Adolphe - CNDP

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2 mai 2009 ... Benjamin Constant, outre qu'elle est très fidèle à l'œuvre littéraire, souligne l' amour inextricable qui unit Adolphe et Ellénore en mettant en ...
teledoc le petit guide télé pour la classe

2008 2009

Adolphe Un film de Benoît Jacquot (2002),

L’adaptation faite par Benoît Jacquot du roman de

scénario de

Benjamin Constant, outre qu’elle est très fidèle à

Benoît Jacquot et Fabrice

l’œuvre littéraire, souligne l’amour inextricable

Roger-Lacan d’après le roman

qui unit Adolphe et Ellénore en mettant en scène

de Benjamin Constant,

de manière délibérément théâtrale le jeu des

avec Isabelle Adjani (Ellénore), Stanislas Merhar (Adolphe),

regards et des postures furtives. Une initiation au

Jean Yanne (le comte),

récit romantique à ne pas négliger, d’autant plus

Romain Duris (d’Erfeuil).

que les interprétations d’Isabelle Adjani et

1 h 39 min

Stanislas Merhar sont remarquables.

CINÉCINÉMA ÉMOTION SAMEDI 2 MAI, 12 h 50

Amours et désamours romantiques Lettres, éducation au cinéma, seconde Un jeune homme partageant son ennui entre des études inachevées, des projets d’avenir incertains et de vaines mondanités, s’éprend d’une jeune femme qui semble inaccessible. Mais dès qu’il conquiert la belle Ellénore, Adolphe se lasse de cet amour, qu’il juge vite trop encombrant. Le jeune ambitieux avide de liberté profite d’un éloignement nécessaire à Paris pour ne plus voir Ellénore, mais, de lâcheté en dérobade, il ne parvient jamais à formuler un adieu alors même que la rupture est déjà consommée. Par amour-propre, il refuse les interventions de son père pour mettre fin à cette liaison et confond fierté et amour. Il suit donc contre son gré la jeune femme qui lui a tout sacrifié dans une Pologne hostile. Une indiscrétion révèle cruellement à Ellénore les tentatives d’Adolphe pour rompre cette relation. La jeune femme, trahie par l’homme auquel elle a donné sa réputation, sa vie de famille et sa liberté, meurt, laissant un homme accablé par le remords.

Rédaction Agnès Lefillastre, professeur de lettres modernes Crédits photos ARP Édition Anne Peeters Maquette Annik Guéry Ce dossier est en ligne sur le site de Télédoc. www.cndp.fr/tice/teledoc/

Des postures romantiques

> Repérer les motifs romantiques et notamment les sources d’inspiration picturales. L’adaptation cinématographique de ce roman romantique s’est départie de tout lyrisme chatoyant: pas de nature grandiose, pas d’envolées mystiques, peu d’effusions sentimentales. Cependant, on retrouvera les références aux prémices du romantisme français qui abondent dans les deux premières séquences: discussion sur Mme de Staël à propos du rôle des femmes, conversation sur les romans sentimentaux, traduction de poèmes anglais; mais, une fois que le récit est ancré dans l’époque romantique, les allusions disparaissent. Les motifs romantiques sont évidents: – la musique de Schumann; – les postures romantiques qui jalonnent tout le film: la promenade dans le parc au bord de l’eau, le cavalier sur son cheval blanc, la femme à la fenêtre rêvant derrière un rideau de pluie, l’épisode du duel à peine esquissé dans le roman, le jeune désœuvré, en chemise blanche, étendu sur son lit, la femme évanouie portée par son amant. À ce romantisme de convention, il convient d’ajouter un romantisme pictural tout en nuances. On comparera la première apparition d’Ellénore avec le célèbre portrait d’Ingres Madame de Rivière: même robe, même position, même rondeur du visage accentué par les perles, même lumière. Les éclairages recréent l’atmosphère des portraits d’Ingres (voir page 3). On rapprochera les scènes polonaises de la blancheur sourde et oppressante des intérieurs du peintre Vilhelm Hammershoi, plus tardif.

Un récit très sobre

> Pourquoi cet univers paraît-il plus classique que romantique? • On dégagera la construction pyramidale du récit: une phase ascendante de conquête, des instants d’harmonie évoqués dans deux scènes avant une très longue phase de déclin. On relèvera les procédés qui signalent les étapes de l’intrigue. Les nombreux commentaires en voix off, empruntés au roman de Benjamin Constant, rythment l’action dramatique et servent de contrepoint à tout ce qui pourrait faire affleurer le lyrisme. En effet, les analyses froides, sans complaisance, viennent démentir ce que le spectateur pourrait prendre un instant pour une manifestation de la sensibilité amoureuse. Le récit s’apparente ainsi aux romans d’analyse psychologique de l’âge classique (La Princesse de Clèves, Manon Lescaut). On distinguera les différentes lettres qui évoquent les romans épistolaires et scan-

dent également le récit: on déclare son amour, on presse l’autre de revenir, puis on pallie l’absence par des lettres qui diffèrent le retour. C’est à cause d’une lettre qu’Ellénore meurt, mais c’est aussi par une lettre posthume qu’elle immortalise son amour. • Enfin, l’action dramatique est très resserrée car le film ne comporte aucune scène qui ne présente un rapport étroit avec le drame sentimental en train de se jouer. L’univers social paraît très étriqué puisque l’on retrouve toujours dans les scènes collectives le même couple, les d’Arbigny, incarnant le conservatisme et la bassesse ainsi que le jeune dandy débauché, d’Erfeuil, double cynique d’Adolphe.

Le rétrécissement de l’espace

> Caractériser les différents lieux du film et observer la progression symbolique qui leur est associée. Au fil du récit, l’espace devient de plus en plus sobre – voire abstrait – et rétrécit pour dire le huis clos des amants. • Le château du comte dans la campagne française, avec son grand parc, offre un vaste espace d’ennui, mais où il est possible d’aimer. Les hauts plafonds sont ensuite remplacés par les murs bas léprosés de la nouvelle demeure d’Ellénore, les grandes fenêtres aux lignes verticales soulignées par les plis des rideaux et de la robe d’Ellénore cèdent la place à des fenêtres étriquées semblables à des meurtrières. • De Paris, nous ne voyons que la maison paternelle dorée où se jouent les atermoiements d’Adolphe ainsi que les arcades du Palais-Royal, écrasées en plongée. • La Bohème se réduit à une terrasse donnant sur une nature harmonieuse et inaccessible que les amants ne semblent pas voir. • Le château en Pologne au porche très bas, blanc à l’extérieur comme à l’intérieur, encerclé de neige et d’austères sapins, annonce la disparition d’Ellénore. En contrepoint apparaît le minuscule cabinet doré de l’ambassadeur, dans lequel un domestique attise un poêle comme le diplomate aiguise les démons du jeune homme désemparé.

Une voix contre un visage

> Distinguer les façons pour le spectateur d’aborder la vie intérieure des personnages. À l’aide de quels procédés le réalisateur adopte-t-il les deux points de vue des protagonistes tout au long du film? • Adolphe est avant tout une voix, celle du narrateur adulte qui rythme les actions, analyse ses sentiments sans complaisance, toujours en décalage avec l’instant présent. Ces commentaires en voix off viennent le plus souvent corriger les propos, interpréter les dialogues des deux amants. L’introspection froide se cisèle en aphorismes au fur et à mesure que le jeune homme s’égare dans ses tergiversations. Ensuite, après la fuite, c’est la voix du père et de l’ambassadeur qui prennent le relais. • La femme romantique est avant tout un visage qui offre à lire tous les signes d’une passion muette. Isabelle Adjani joue tout en retenue et paraît à la fois absente et présente. Les dilemmes de sa conscience sont suggérés par le regard impassible d’une gouvernante. On relèvera tous les signes physiques de sa passion. Son trouble profond se devine dans son regard perdu tandis qu’elle joue à la crapette avec sa tante; il se trahit dans les battements de cils, dans la démarche maladroite ou encore dans une moue d’enfant coupable, dans des gestes furtifs de dénégation de la main. La passion éclate ensuite avec une démarche hagarde sur les chemins déserts, avec l’errance dans le labyrinthe de la foule. Mais cette passion ne se dévoile qu’au spectateur et ne semble pas être perçue d’Adolphe.

La désunion

> Le film s’efforce de montrer ainsi un constant décalage entre les deux êtres. Quels procédés narratifs ou cinématographiques soulignent cette opposition? • Pour les deux personnages, la valse des sentiments se danse en trois temps mais jamais au même moment. Ellénore résiste à ses sentiments en imposant au jeune homme trois épreuves (le refus, la fuite, la barrière mondaine) avant de s’abandonner définitivement alors qu’Adolphe semble succomber à ses charmes immédiatement. C’est ensuite à son tour d’hésiter et de différer. Il renâcle à retourner auprès d’Ellénore devenue accessible et arrive au galop, au trot, puis au pas chez sa maîtresse. Il réécrit à trois reprises la lettre de séparation. De même, il ne parvient à se séparer d’elle qu’après trois résolutions jamais respectées. • On comparera les situations communes aux deux amants pour montrer qu’elles ne viennent que renforcer leur opposition. L’errance d’Adolphe au début

du film est faite de distraction, d’inattention mêlée d’ennui; celle d’Ellénore est au contraire un repli sur une vie intérieure, une concentration sur sa douleur. Le dépit de l’amoureux qui essuie un refus est ostentatoire tandis que la souffrance de la femme délaissée est contenue. La sensibilité d’Ellénore s’accompagne d’une grande clairvoyance qui la pousse à précipiter malgré elle l’échec alors que le jeune homme calculateur et distant ne cesse de se leurrer. • On analysera les joutes verbales qui expriment également la désunion: les baisers entrecoupés de reproches amers, le brusque tutoiement qui ne parvient jamais à abolir la distance. Les phrases de l’interlocuteur que l’on reprend âprement pour les dénier ôtent à la scène de la fuite en carrosse toute illusion sentimentale: «Vous êtes très généreux. – Je suis très amoureux. – Vous vous dévouez à moi parce que je suis persécutée. – Je me dévoue à vous parce que je vous aime.» • On relèvera les positions des deux amants lorsqu’ils sont tous les deux et on montrera qu’elles suggèrent également une communication impossible. Ainsi, les deux chaises longues parallèles dans la scène sur la terrasse expriment, autant que le dialogue, la lutte entre les amants. Le voile que porte Ellénore annonce le linceul de neige de la dernière séquence et dérobe son visage. • Enfin, le générique montre les deux silhouettes superposées, puis l’absence d’Ellénore quand Adolphe se retourne enfin vers elle. Cette annonce de la fin tragique s’oppose à l’image finale du jeune homme qui a pour tout avenir le corbillard d’Ellénore, derrière lequel il court désespérément. Tout se passe comme si le drame de ces amants venait d’un décalage dans le temps: un homme écrasé par une éducation traditionnelle est encore incapable de s’éprendre d’une femme romantique prête à s’émanciper. Et il prend la mesure de sa liberté et de la beauté de l’amour quand il est trop tard. „

Pour en savoir plus • CONSTANT Benjamin, Adolphe, Gallimard, coll. « Folio Plus classique », 2007. • Le site de l’Institut Benjamin Constant de l’université de Lausanne offre de nombreuses informations sur l’auteur et sur son œuvre. http://www.unil.ch/ibc • BONY Jacques, Lire le romantisme, Armand Colin, coll. « Lettres sup », 2005. • « Le romantisme », TDC, n° 970, 15 février 2009. http://www.cndp.fr/Produits/DetailSimp.asp?ID=136173

Benoît Delhomme, directeur de la photo « Pour la partie ‘’française’’ du film, j’ai cherché à approcher le plus possible l’atmosphère des portraits d’Ingres. Le portrait de mademoiselle Rivière était une parfaite référence de la lumière que je voulais pour Isabelle. Cette lumière du jour douce, frontale, un peu froide et intemporelle que donnaient les verrières des ateliers de peintre du XIXe. […] De même, pour les scènes éclairées à la bougie, j’ai décidé de ne pas jouer le parfait réalisme d’un éclairage de demi-pénombre très doré, mais au contraire de me tenir à cette lumière des portraits d’Ingres, très neutre et toujours lumineuse sur les visages, surtout celui d’Ellénore. Je crois que cette grande proximité d’ambiance entre le jour et la nuit dans les scènes d’intérieur suit bien ce sentiment d’intemporalité qui est au cœur du roman. Benoît Jacquot souhaitait que ‘’le château en Pologne’’ soit entouré de neige et nous avons choisi un château blanc à l’intérieur comme à l’extérieur, un véritable linceul. Lors de ma première rencontre avec Isabelle Adjani quelques semaines avant le tournage, nous avions évoqué l’atmosphère des peintures de Vilhelm Hammershoi. » Document AFCAE

Voix off Fiche de travail

La particularité du roman de Benjamin Constant est d’utiliser le « je » narratif pour conduire un récit sur le mode de la confession autobiographique. Mais ce « je » permet chez Constant l’analyse clinique des sentiments qui exprime une vérité froide, et non pas l’épanchement romantique des sentiments. Le parti pris par Benoît Jacquot et Fabrice Roger-Lacan est de conserver ce caractère autobiographique et de traduire de diverses façons le « je » du roman. Plutôt que la caméra subjective, par exemple, inexistante dans le film, l’usage de la voix off est, dans cette perspective, intéressant à étudier.

Document 1 « Certes, je ne veux point m’excuser, je me condamne plus sévèrement qu’un autre peutêtre ne le ferait à ma place ; mais je puis au moins me rendre ici ce solennel témoignage, que je n’ai jamais agi par calcul, et que j’ai toujours été dirigé par des sentiments vrais et naturels. Comment se fait-il qu’avec ces sentiments je n’aie fait si longtemps que mon malheur et celui des autres ? » Benjamin Constant, Adolphe, 1816.

Document 2 « Ce livre invente quasiment le concept de la voix off de cinéma. Je ne vois pas de solution pour l’adapter sans voix off. On s’est donné pour règle que celle-ci ne soit jamais narrative, qu’elle ne serve pas à faire une ellipse ou à donner des informations. Ce qui n’était pas très difficile puisque le roman ne l’est pas du tout, narratif. On a utilisé la voix off afin de mettre en lumière un aspect vertigineux du livre, impossible à rendre autrement : on voit à l’image des choses qui ont l’air de correspondre à des situations de séduction, à des sentiments d’enthousiasme et, derrière, il y a constamment un type, pourtant assez jeune et proche d’un archétype romantique, qui dit des choses épouvantables telles qu’expliquer que s’il tombe amoureux de cette femme, c’est parce que sa vanité en a besoin, ou révéler, au moment où elle se donne, qu’il sait déjà qu’il s’en désintéressera. Ce constant décalage et cet abîme entre ce qui se passe vraiment et l’intériorité de ce jeune homme jetant des gouttes d’acide sur l’histoire, c’est la texture même du livre. » Fabrice Roger-Lacan, adaptateur d’Adolphe avec Benoît Jacquot, in Synopsis, novembre-décembre 2002, propos recueillis par Marie Marvier.

Questions 1. Rappelez ce qu’est une voix off au cinéma. Qui peut être le locuteur ? 2. En vous appuyant sur des exemples que vous extrairez du film et sur la lecture du document 2, montrez que la voix off exprime en même temps proximité et distance. Recherchez des exemples précis du film où se joue un décalage entre ce qui se passe à l’image et ce que le commentaire en dit. 3. En choisissant une scène avec Ellénore et Adolphe, imaginez l’introduction d’une voix off, ou son intervention dans le cours de la scène, qui exprime cette fois-ci le point de vue de la femme.