Chronique de la Shoah

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de barbelés électrifiée qui a mis fin à sa vie. ... son propre cœur que le monde incinérait à Auschwitz. » ... La fin du Troisième Reich approchait, mais les nazis.
ACTES DÉSESPÉRÉS

1944 APRÈS

des travaux de recherche considérables, l’historienne Danuta Czech, spécialiste de la Shoah compila une Chronique d’Auschwitz 1939-1945. Son livre, de 855 pages, décrit en détail l’anéantissement de plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants – dont 90% étaient juifs – assassinés dans ce camp de la mort. Au 24 mai 1944, D. Czech mentionne 2 000 prisonniers juifs de Hongrie déportés à Auschwitz. Ils reçurent les numéros d’identification allant de A-5729 à A-7728. L’un de ces numéros – A-7713 – fut tatoué sur le bras gauche d’un adolescent juif de Sighet, une bourgade roumaine de 26 000 habitants passée sous contrôle hongrois en 1940. Ce garçon, Élie Wiesel, survécut à Auschwitz, devint un écrivain célèbre et reçut le prix Nobel de la paix en 1986. « À Auschwitz, a dit Wiesel, c’était non seulement l’homme qui mourait, mais également l’idée de l’homme… C’était son propre cœur que le monde incinérait à Auschwitz. » Wiesel est l’auteur de La nuit, l’un des deux livres les plus lus sur la Shoah. Évoquant les mois terrifiants qu’il passa à Auschwitz en 1944, cet ouvrage biographique montre que Wiesel, son père, sa mère et sa petite sœur Tzipora furent déportés de Sighet un dimanche. Leur train était l’un des quatre qui envoyèrent les Juifs de Sighet à Auschwitz du 16 au 22 mai. Les convois de Sighet faisaient partie d’une déportation en masse des Juifs de Hongrie dont l’importante population juive – 725 000 âmes, en 1941, avait été épargnée par les pires aspects de la Shoah. La situation changea du tout au tout le 19 mars, lorsque les forces allemandes occupèrent la Hongrie pour empêcher leurs collaborateurs hésitants de négocier un armistice avec les Alliés. Plus de 60 000 Juifs vivant en Hongrie avaient été massacrés avant l’occupation allemande. Adolf Eichmann supervisa l’attaque. En quelques semaines, le temps jouant au détriment des nazis, car leur situation militaire se dégradait sur le front oriental, tous les Juifs de Hongrie, à l’exception de ceux qui habitaient à Budapest, furent enfermés dans des ghettos. Leur biens furent expropriés et les déportations commencèrent. Du 15 mai au 9 juillet, plus de 140 trains transportèrent 437 000 Juifs de Hongrie à Auschwitz. L’immense majorité, y compris la mère et la petite sœur de Wiesel, furent gazés. Loin d’Auschwitz, le 25 mai, le lendemain du jour où Wiesel reçut son numéro tatoué dans le camp, une autre adolescente juive, Anne Frank, tenait son journal. Cette jeune auteur ne rencontra jamais Wiesel, mais elle pensait à des gens comme lui et comme sa famille lorsqu’elle fit Un détenu d’Auschwitz est étendu près de la clôture de barbelés électrifiée qui a mis fin à sa vie.

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Des Juifs hongrois attendent au point de rassemblement d’Auschwitz-Birkenau, en 1944, avant d’être gazés.

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remarquer que « le monde est sens dessus dessous. Des gens convenables sont envoyés dans les camps de concentration, dans les prisons, ou encore tremblent dans des cellules solitaires, tandis que la lie gouverne jeunes et vieux, riches et pauvres. » Les propos d’Anne Frank allaient bientôt s’appliquer à elle et à sa famille. Mais, tandis qu’Élie Wiesel et les Juifs de Sighet atteignaient Auschwitz et l’odeur de chair brûlée, Anne Frank dormait dans sa cachette à Amsterdam, au 263 Prinsengracht. Née le 12 juillet 1929, environ neuf mois après Wiesel, Anne Frank, accompagnée de sa famille, quitta l’Allemagne, leur pays natal, pour les PaysBas, après la prise du pouvoir par les nazis, en 1933. Sa vie relativement insouciante changea le 10 mai 1940, lorsque l’Allemagne envahit et occupa les Pays-Bas. Début juin 1942, les conditions s’étaient considérablement détériorées pour les Juifs néerlandais. Avec l’aide d’amis comme Miep Gies, les Frank s’installèrent dans leur cachette. Environ un quart des 25 000 Juifs néerlandais qui se cachèrent furent par la suite arrêtés et déportés. Les Frank furent trahis (l’identité de la personne qui les dénonça demeure inconnue) et arrêtés par le SD (Service de la Sûreté), le 4 août 1944. Un mois plus tard, le 3 septembre, Anne Frank et sa famille faisaient partie des 1 019 prisonniers juifs du dernier convoi pour Auschwitz qui quitta Westerbork, le camp de transit néerlandais d’où quelque 107 000 Juifs avaient été déportés depuis juillet 1942. La Chronique d’Auschwitz établit que 549 Juifs du convoi des Frank en provenance de Westerbork furent gazés à leur arrivée à Auschwitz. Anne Frank fut épargnée et envoyée dans le camp des femmes d’Auschwitz-Birkenau. Le 28 octobre 1944, 1 308 femmes juives, dont Anne, furent transférées à Bergen-Belsen, un camp de concentration situé en Allemagne même, où elle mourut du typhus en mars 1945. Anne Frank commença à rédiger son journal le 14 juin 1942, deux jours après que son père Otto le lui eut offert pour son 13ème anniversaire. Sauvé par Miep Gies, le journal est devenu le livre le plus lu sur la Shoah. Son dernier texte est daté du 1er août 1944. Moins de trois semaines plus tôt, le 15 juillet, Anne avait écrit les mots les plus connus de son journal. Elle savait que le monde devenait « un désert » et elle entendait « toujours plus fort le grondement du tonnerre qui approche, et qui annonce probablement notre mort. » Mais elle écrivit cependant : « Je continue à croire à la bonté innée de l’homme. » Il était difficile de partager la conviction d’Anne Frank sur la bonté humaine, en 1944. La fin du Troisième Reich approchait, mais les nazis étaient déterminés à gagner la guerre contre les Juifs. Auschwitz demeura ce qu’Élie Wiesel appela : « le lieu de la nuit éternelle… la tombe du cœur de l’homme. » Le 6 juin, lorsque Anne Frank entendit l’émission de la BBC sur le Jour J, le grand débarquement des Alliés en Normandie, des milliers de Juifs hongrois continuaient à être envoyés à Auschwitz. Le 20 juin, des officiers allemands attentèrent en vain à la vie d’Adolf Hitler, mais ce jour-là, 2 000 Juifs de Grèce arrivèrent à Auschwitz. Au début de la semaine, les troupes soviétiques libérèrent le camp de la mort de Majdanek en Pologne, ainsi que la ville polonaise de Lublin, mais il ne restait plus qu’une poignée de Juifs sur les 40 000 habitants juifs de Lublin avant la guerre.

Le 20 août, Elie Wiesel fut témoin du bombardement par les Américains de l’usine chimique d’I.G. Farben, près de Monowitz-Buna, la partie du complexe d’Auschwitz dans laquelle son père Shlomo et lui-même avaient été envoyés travailler. Accompagnés par des avions de chasse Mustang, 127 bombardiers américains lâchèrent 1 336 bombes de plus de 200 kilogrammes sur l’usine. À moins de cinq kilomètres de distance, le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau ne fut pas touché. Après la guerre, l’analyse des photographies aériennes prises lors du raid du 13 septembre contre I. G. Farben indique que 65 wagons se trouvaient sur les rails de Birkenau et qu’une file de gens – peut-être 1 500 – semblaient se diriger vers les chambres à gaz. La controverse demeure sur la question de savoir si les Alliés auraient dû bombarder Auschwitz ou les voies ferrées menant à ce camp d’extermination. L’historien David Wyman affirme que, dès le mois de mai 1944, l’armée de l’air des États-Unis aurait pu bombarder Auschwitz et les voies ferrées y conduisant. Ce fut d’ailleurs demandé tout au long de l’année 1944. Le porte-parole du ministère de la Guerre des États-Unis, le secrétaire adjoint à la guerre John J. McCloy, déclara le 14 août qu’« après enquête, il devenait évident qu’une telle opération ne pourrait être exécutée qu’en détournant un soutien aérien considérable, indispensable au succès de nos forces aujourd’hui engagées ailleurs dans des opérations décisives et serait de toute façon d’une efficacité si incertaine qu’elle ne justifierait pas l’utilisation de nos ressources. L’opinion est largement partagée qu’une telle opération, en admettant qu’elle soit réalisable, risquerait de provoquer une action plus vindicative de la part des Allemands. » Auschwitz-Birkenau ne fut pas bombardé. Moins de deux semaines après la déclaration de McCloy, les Alliés libéraient Paris, mais pas avant que les nazis aient effectué une descente dans des homes d’enfants juifs dans la région parisienne et déporté 250 garçons et filles à Auschwitz. Les 3 et 4 septembre, les Alliés libérèrent les villes belges de Bruxelles et Anvers. Entre-temps, les Frank étaient en route pour Auschwitz. Tandis que le convoi transportant la famille Frank se dirigeait vers l’est, environ 200 000 Juifs hongrois demeuraient à Budapest. Le 15 octobre, peu après la répression, le 7 octobre, d’une révolte de prisonniers d’Auschwitz-Birkenau par les SS, les Croix fléchées (un parti fasciste hongrois fanatiquement antisémite qui bénéficiait du soutien allemand) firent régner la terreur parmi les Juifs de Budapest. Les opérations de gazage à Auschwitz ralentissaient, mais, à l’automne 1944, le travail forcé, les marches de la mort et les tirs au hasard coûtèrent la vie à plusieurs dizaines de milliers de Juifs de Budapest. Des milliers d’autres furent massacrés sur les rives du Danube par les Croix fléchées qui jetèrent ensuite les corps dans le fleuve. Le diplomate suédois Raoul Wallenberg utilisa des « passeports de protection » et des maisons protégées pour sauver des milliers de Juifs de Budapest. Lorsque les forces soviétiques libérèrent la ville, début 1945, 120 000 Juifs étaient encore en vie. Dans son journal, aujourd’hui célèbre, Anne Frank nota, le 15 juillet 1944 qu’elle « compatissait à la douleur de millions de gens. Et pourtant, poursuivaitelle, quand je regarde le ciel, je pense que ça changera et que tout redeviendra bon, que même ces jours impitoyables prendront fin, que le monde connaîtra de nouveau l’ordre, le repos et la paix. » La fin de la Shoah était effectivement proche, mais elle ne survint pas en 1944. Cette année-là, plus de 600 000 Juifs européens périrent.

Les Alliés bombardèrent d’innombrables cibles dans l’Europe occupée, mais furent critiqués pour n’avoir pas bombardé Auschwitz.

André Trocmé, pasteur du village du Chambon-sur-Lignon, donna refuge à plusieurs centaines de Juifs en quête de sécurité. 507

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ACTES

DÉSESPÉRÉS

De nombreux camps et ghettos conservaient des rapports détaillés sur le nombre de décès intervenus. Cet histogramme du 1er janvier 1944 montre le nombre de décès survenus à Theresienstadt – le ghetto et camp de concentration « modèle » en Tchécoslovaquie – entre le 24 novembre 1941 (début de la construction du camp), jusqu’à la fin 1943. Environ 33 000 personnes périrent à Theresienstadt. En outre, près de 88 000 détenus du camp furent envoyés à la mort dans les chambres à gaz d’Auschwitz. Proche du président Franklin Roosevelt, Henry Morgenthau Jr., secrétaire d’État au Trésor, était le Juif occupant le poste le plus élevé au gouvernement. Début 1944, Morgenthau reçut un document émanant de plusieurs de ses subordonnés, intitulé « Rapport au ministre sur le consentement de ce gouvernement au meurtre des Juifs. » Apportant le rapport au président, Morgenthau mit en place le War Refugee Board qui réussit à sauver environ 200 000 âmes dans les derniers mois de la guerre.

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• 1944 : L’industrie d’extermination nazie atteint son point culminant et emploie à plein temps 47 000 personnes qualifiées. • L’espérance de vie d’un travailleur à l’usine d’I.G. Farben Bunawerk (usines Buna) qui produit de l’essence et du caoutchouc synthétique à Auschwitz (Pologne), est de trois à quatre mois ; dans les mines de charbon, un mois. • Le roi Gustave de Suède et le pape Pie XII exercent des pressions sur la Hongrie pour mettre fin aux déportations

Sara Lamhaut (à gauche), juive, prépare sa première communion catholique sous le nom de Jeannine van Meerhaegen. Les parents de Sara, Icek Leib et Chana Laja Goldwasser, combattirent avec les partisans belges jusqu’à ce qu’ils soient dénoncés, arrêtés, puis envoyés à la mort à Auschwitz. Cachée dans divers couvents, entre autres celui des Sœurs de Sainte Marie, près de Bruxelles, Sara survécut à la guerre et retrouva des amis de ses parents qui devinrent ses tuteurs. Œuvrant ensemble, la Résistance juive et l’Église catholique belge réussirent à cacher environ 4 000 enfants juifs belges.

des Juifs. • La domination de l’Axe dans l’Europe occupée, un livre du juriste Raphaël Lemkin, décrit le régime nazi et le massacre des Juifs comme un retour à la barbarie. Lemkin forge le mot « génocide » à partir du grec genos (nation / peuple) et du latin cide (tuer).

• Début 1944 : Le ministère nazi de la Propagande lance un film intitulé Le Führer donne une ville aux Juifs, une

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En anglais et en hébreu, cette affiche exhorte les membres du yishouv (la communauté juive en Palestine) à rejoindre la Brigade juive. Depuis le début de la guerre, des Juifs de Palestine s’étaient enrôlés dans l’armée britannique. Mais la nouvelle des massacres en masse exacerba le désir de créer une unité distincte, selon des critères sionistes, pour combattre les forces de l’Axe en Europe.

Yad Vashem décerna à Ona Simaite le titre de Juste parmi les nations. Bibliothécaire à Vilnius (Lituanie), elle se rendit régulièrement dans le ghetto de la ville, sous le prétexte de récupérer des livres de bibliothèque non restitués. Elle apportait en fait des vivres et autres ravitaillements aux habitants du ghetto, tout en aidant la Résistance. Capturée par les nazis en 1944, elle refusa de livrer la moindre information à ses ravisseurs en dépit des tortures atroces qu’elle subit. Par la suite, les nazis l’envoyèrent dans un camp en France où elle fut libérée par les Alliés. description en grande partie inventée de la bonne vie prétendument menée par les Juifs dans le camp / ghetto de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie.

• 10 janvier 1944 : Le professeur Victor Basch et son épouse sont exécutés près de Lyon, en représailles à la mort d’un collaborateur français tué par des partisans français.



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Le War Refugee Board Les efforts internationaux investis en vue de sauver les Juifs d’Europe s’intensifièrent avec la création, en janvier 1944, du War Refugee Board (WRB, Comité des réfugiés de guerre) américain. Après plus d’un an d’atermoiements, le président Franklin Roosevelt finit par réagir à la pression de l’opinion publique et ordonna de créer le Comité en question. Il demanda au WRB de prendre « toutes les mesures en son pouvoir pour sauver les victimes de l’oppression ennemie se trouvant en imminent danger de mort. » Ni le président, ni le Département d’État, cependant, ne s’étaient engagés à aider le WRB et ils n’accordèrent pas suffisamment de fonds pour son activité. La majeure partie du financement fut demandée à des organisations juives privées. Dirigé par John Pehle (photo), le War Refugee Board coordonnait les efforts de sauvetage grâce à quelques agents secrets en poste à l’étranger. Leur stratégie de sauvetage consistait à organiser l’évacuation des Juifs des régions occupées par les nazis, à trouver des endroits pour les reloger, à empêcher les déportations prévues et à poster des colis d’urgence aux prisonniers dans les camps nazis. En août 1944, le WRB réussit à mettre en sécurité aux États-Unis 982 réfugiés d’Italie, dont 874 Juifs. Durant l’année 1944, le WRB s’attacha principalement à sauver les Juifs hongrois de la déportation par les nazis et des violences perpétrées par les Croix fléchées. En dépit d’efforts courageux qui permirent de sauver probablement plus de 200 000 vies humaines, le WRB, selon son directeur, fit « trop peu et trop tard. »

• 12 janvier 1944 : Frau Hanna Solf,

la veuve de Wilhelm Solf (ancien ambassadeur allemand à Tokyo) et sa fille, la comtesse Lagi von Ballestrem – toutes deux membres de la Résistance antinazie – sont arrêtées quatre mois après avoir assisté à une réunion de la Résistance infiltrée par un informateur de la Gestapo.

• 13 janvier 1944 : Deux fonctionnaires du ministère des Finances des ÉtatsUnis – Josiah DuBois et Randolph Paul – menacent de démissionner et de rendre public leur rapport sur les activités scandaleuses du Département d’État à l’égard des Juifs. Ce rapport, intitulé à l’origine Rapport au ministre [des Finances] sur le consentement de ce gouvernement au meurtre des Juifs, 509

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ACTES

DÉSESPÉRÉS

Le village plein de sollicitude Pendant l’hiver 1940-41, Magda Trocmé entendit frapper à la porte et alla ouvrir. Une femme terrifiée se présenta comme une Juive allemande. Elle avait entendu dire qu’elle pourrait trouver de l’aide au Chambon. Magda Trocmé lui dit : « Entrez. » Le Chambon est un village de montagne situé en Haute-Loire. De nombreux villageois étaient des descendants des Huguenots qui s’étaient enfuis sur ce haut plateau afin de pouvoir pratiquer le protestantisme sans encourir de punition. La méfiance de longue date des habitants à l’égard de l’autorité et leur tradition d’écouter leur conscience chrétienne les déterminèrent à aider les Juifs. Cinq mille Juifs persécutés trouvèrent refuge au Chambon, mais la réaction du village ne se produisit pas du jour au lendemain. Les germes du courage et de l’altruisme se développaient dans cette population depuis des années, car André Trocmé, le pasteur de la communauté, avait prêché les leçons fondamentales du christianisme : paix, entente et amour. Son message était celui de la non-violence, mais une non-violence qui rejetait l’inaction et condamnait l’injustice. La population du Chambon adhéra à ce message. Alors qu’on encourait la mort en cachant des Juifs, la population du Chambon ouvrit ses portes. « Aucun d’entre nous ne pensait que nous étions des héros, dit Magda Trocmé. Nous n’étions que des gens qui tentaient de faire de leur mieux. »

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Les troupes britanniques arrivent sur la plage d’Anzio, en Italie, le 22 janvier 1944. Après avoir rencontré une farouche résistance de la part des Allemands à Anzio, Monte Cassino et la ligne Gustave, les forces alliées avancèrent vers le nord. Rome tomba le 4 juin et Florence fut prise à la mi-août. En un curieux revirement, août marqua aussi le début de la campagne italienne contre l’Allemagne, son allié d’antan. Les Alliés pénétrèrent en Italie et, le 6 juin, après avoir traversé la Manche, attaquèrent en Normandie ; ces combats marquèrent le début du déclin du Troisième Reich.

Ceux qui ne périrent pas des expériences médicales nazies en subirent souvent les effets à tout jamais. Cette femme, détenue pendant la guerre dans le camp de concentration de Ravensbrück, en Allemagne, montre les résultat de l’opération au cours de laquelle le muscle de son mollet fut retiré de sa jambe droite. Dans le cadre du projet dirigé par le docteur Karl Gebhardt, les expérimentateurs amputaient souvent des membres de prisonniers prétendument au profit des soldats blessés. Près de la moitié des 24 femmes qui subirent ces expériences particulières moururent.

accusait les responsables du Département d’État de « tentatives délibérées d’empêcher toute entreprise de sauver des Juifs des griffes d’Hitler. »

• 18 janvier 1944 : Trois cents Juifs

cachés dans les forêts près de Buczacz, en Ukraine, sont cernés par les tanks nazis et massacrés.

• 20 janvier 1944 : 1 155 Juifs sont déportés du camp de transit de Drancy, dans la banlieue parisienne, à Auschwitz. • 22 janvier 1944 : Cédant aux pressions, le président américain Franklin Roosevelt crée le War Refugee Board. • 25 janvier 1944 : Hans Frank, gouverneur général de la Pologne occupée,

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La conviction religieuse conduisit de nombreux Témoins de Jéhovah à éviter de prêter allégeance au gouvernement nazi. Aux jours sombres de la guerre, en 1943, une employée de bureau Mary Smigiel (photo) devint Témoin de Jéhovah à Gdynia, en Pologne. Estimant que seul Jéhovah devait être glorifié et honoré, M. Smigiel refusa de taper Heil Hitler sur toute correspondance comme l’exigeait son patron allemand. Sa désobéissance fut dénoncée et elle fut envoyée au camp de travail de Stutthof, en Pologne. Elle survécut à la guerre, se maria et s’installa par la suite aux États-Unis.



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Même dans les effroyables conditions prévalant dans les camps de concentration, les détenus cherchèrent à préserver un semblant d’humanité. Cette broche en laine, fabriquée par une détenue du camp de Bergen-Belsen, en Allemagne, fut offerte à Ruth Wiener pour son anniversaire.

Pour certains Juifs des Pays-Bas occupés, le simple fait de se cacher des nazis était un exploit – comme ce fut le cas pour ce couple âgé, Coen et Ella van Eekeres-Jünge, qui se réfugièrent dans cette minuscule cave d’Amsterdam. L’inconfort et les désagréments étaient les moindres des périls dans les cachettes ; les habitants de l’immeuble devaient être entièrement acquis à la sécurité de leurs hôtes juifs et conscients des graves risques qu’ils encouraient eux-mêmes. Ils devaient se méfier des voisins antisémites et même de proches, ainsi que des inévitables enquêtes des autorités nazies.

note dans son journal qu’il reste environ 100 000 Juifs dans la région sous son contrôle, alors qu’il y en avait 3,4 millions à la fin de l’année 1941.

• 29 janvier 1944 : À Cracovie, en Pologne, un tribunal nazi condamne à mort cinq Polonais pour avoir aidé des Juifs. L’un des accusés, Kazimierz Jozefek, est pendu sur la place publique.

• 30 janvier 1944 : 700 Juifs de Milan (Italie) sont déportés à Auschwitz.

• Février 1944 : Adam Goetz, un ingénieur de Hambourg qui avait considérablement contribué à la mise au point des dirigeables, meurt dans le ghetto de Lodz. • Moïse Fingercwajg, un dirigeant de la Résistance juive âgé de 20 ans, est exécuté en France.

• 4 février 1944 : 365 Juifs de

Salonique (Grèce), placés sous la protection du gouvernement espagnol, quittent le camp de concentration de Bergen-Belsen, en Allemagne, pour se rendre en Espagne, en sécurité.

• 8 février 1944 : 1 015 Juifs des

Pays-Bas sont déportés à Auschwitz. Parmi eux se trouvent des enfants 511

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ACTES

DÉSESPÉRÉS

En janvier 1944, le fonctionnaire SS Adolf Eichmann expédia un télégramme secret à tous les chefs de la Sicherheitspolizei et du Sicherheitsdienst, à Bruxelles. Il ordonnait que tous les Juifs argentins résidant en Belgique soient envoyés au camp de concentration de Bergen-Belsen, en Allemagne. Pendant la guerre, plusieurs Juifs furent protégés par les documents argentins qu’ils possédaient. Après la guerre, de nombreux nazis et quelques survivants juifs se retrouvèrent en Argentine.

La déportation des Juifs néerlandais commença en 1942 et était en grande partie achevée deux ans plus tard. La plupart des déportés furent envoyés à Westerbork, puis à Auschwitz ou Sobibor. En 1944, il restait peu de citoyens juifs aux PaysBas et leurs choix étaient limités : se cacher, verser des sommes exorbitantes à des extorqueurs qui promettaient de différer ou d’annuler des ordres de déportation, ou résister. Ici, des membres de la Résistance néerlandaise cachent un fusil et des munitions de 9mm sous le sol d’une salle de bains. Le corps tenu par deux kapos, un prisonnier dans un camp attend la douleur cinglante du fouet sur son dos nu. Le moindre délit pouvait conduire à de cruels châtiments susceptibles d’affaiblir un détenu au point qu’il ne pouvait plus travailler et était donc envoyé à la mort. Ce dessin de l’artiste hongrois Gyorgy Kadar, qui survécut à cinq camps, traduit puissamment les souffrances et le supplice du détenu.

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atteints de scarlatine et de diphtérie ; voir 10 février 1944.

• 10 février 1944 : Sur les 1 015 Juifs d’un train de déportation des PaysBas qui arrive à Auschwitz, 800 – dont tous les enfants – sont immédiatement gazés. 1 229 Juifs sont déportés de Westerbork (Pays-Bas) à Auschwitz.

• 14 février 1944 : Le Reichsmarschall Hermann Göring envoie un télégramme au ministre de l’Armement et des munitions, Albert Speer. Il demande le plus grand nombre possible de détenus des camps de concentration pour les faire travailler dans les usines de l’industrie aéronautique. • 20-25 février 1944 : Au cours de la

Grande semaine (Opération Argument),

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Nahum Goldmann contribua à la création du Congrès juif mondial (CJM) en 1936. L’organisation, dont le siège se trouvait aux États-Unis, cherchait à « assurer la survie du peuple juif et à promouvoir son unité ». La Shoah ne fit qu’intensifier la conviction de Goldmann qu’un État juif devait être créé en Palestine.

• 24 février 1944 : S’attendant à des évasions, les SS déportent 200 prisonniers d’un Sonderkommando d’Ausch-

ACTES

DÉSESPÉRÉS

Pierre Marie Benoît

Contrairement à de nombreuses victimes du nazisme qui n’avaient aucun espoir de liberté, les membres des Témoins de Jéhovah n’avaient qu’à signer une Erklärung (déclaration) pour être libérés de Dachau ou d’autres camps de concentration. Bien que les nazis aient cherché à séparer les Témoins les uns des autres et à briser leur moral, la plupart demeurèrent inébranlables et refusèrent de prêter allégeance à Hitler. Les Témoins de Jéhovah considéraient la persécution comme un signe de l’approche du Jugement dernier. des unités aériennes américaines engagent le combat avec les aviateurs allemands afin d’attirer la Luftwaffe dans une guerre d’usure qu’elle ne peut gagner. Les Alliés s’assurent de la supériorité dans les airs au-dessus de l’Europe occidentale avant le Jour J.



Alors que bien des hommes d’Église choisirent le silence et la sécurité pendant la Shoah, quelques rares héros se souvinrent de l’injonction d’aimer son prochain, qu’il soit juif ou chrétien. Un moine capucin de l’ordre des Franciscains, le père Pierre Marie Benoît, sauva des Juifs, d’abord en France, puis à Rome. À l’abri dans son monastère à Marseille, le père Benoît fut témoin des rafles de Juifs non français voués aux camps de concentration. À l’instar du pasteur protestant André Trocmé, Benoît estimait possible une véritable action. Son monastère devint un centre de sauvetage pour les Juifs cherchant à fuir dans des pays neutres comme l’Espagne ou la Suisse. Après l’occupation de la France de Vichy par les nazis, Benoît prépara une audacieuse entreprise de sauvetage, de concert avec les autorités françaises et italiennes pour sauver les 30 000 Juifs vivant à Nice et pour les mettre à l’abri en Afrique du Nord. Ce plan fut contrarié par l’occupation du nord de l’Italie par les nazis. De tels obstacles incitèrent Benoît à prendre de nouvelles initiatives de sauvetage, en particulier en faveur des Juifs de Rome. Travaillant avec des organisations juives et sous un faux nom, Benoît sauva plus de 100 Juifs en leur fournissant de faux papiers d’identité et en persuadant diverses ambassades d’aider son entreprise. Après la guerre, Yad Vashem décerna à Benoît le titre de « Juste parmi les nations. »

witz au camp de la mort de Majdanek, en Pologne, où ils sont tous abattus.

• Mars 1944 : Les forces allemandes

envahissent et occupent la Hongrie. L’usine d’ustensiles de cuisine de l’industriel Oskar Schindler se trouve à proximité et Schindler intercède à plusieurs reprises auprès des autorités locales pour empêcher l’arrestation et la

déportation de ses employés juifs ; voir été 1944. • Trois cents orphelins juifs de la région de Transnistrie, en Roumanie, reçoivent l’autorisation de se rendre en Palestine. • Les Juifs de l’île de Rab, au large de la côte dalmate en Serbie, sont arrêtés et déportés à Auschwitz. • Les Allemands commencent à évacuer les détenus juifs des camps de concentration vers l’ouest, au fur et à mesure de 513

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ACTES

DÉSESPÉRÉS

Rédigée en anglais et en hébreu, cette affiche invite les lecteurs à faire des dons pour sauver les Juifs de l’Europe sous domination nazie. Publiée par la HIAS (Hebrew Sheltering and Immigrant Aid Society), l’affiche exhortait la population à aider les Juifs à fuir la mort et à trouver refuge aux États-Unis. Consciente que des millions de personnes étaient menacées, la HIAS œuvra avec d’autres organisations et déploya une intense activité pour assurer la traversée aux enfants juifs, tout en continuant cette croisade après la guerre en faveur des Juifs dans les camps européens de personnes déplacées. La HIAS faisait partie d’une organisation plus importante, se consacrant aux secours et à l’immigration, la HICEM, fondée en 1927.

Gisi Fleischmann Envoyée dans un wagon classé Rückkehr unerwünscht (retour non souhaité), la militante sioniste Gisi Fleischmann faisait partie des derniers juifs acheminés à Auschwitz. Elle qui avait sauvé tant de vies, ne put sauver la sienne. Travaillant à Bratislava, en Slovaquie, G. Fleischmann dirigeait la section de l’aliyah (immigration) du Centre juif, organisant l’émigration juive en Palestine. À la tête du « groupe de travail », elle sauva des vies en soudoyant des fonctionnaires nazis avec des fonds privés collectés aux États-Unis. Lorsque les déportations cessèrent en Slovaquie en octobre 1942, G. Fleischmann contribua à mettre au point le « plan Europa » destiné à échanger des Juifs contre des marchandises dont les Allemands avaient besoin, tout en continuant à organiser un chemin de fer clandestin pour évacuer les Juifs qui fuyaient les ghettos. Même lorsque les SS resserrèrent le filet autour d’elle à Bratislava, G. Fleischmann continua son travail de sauvetage, refusant la possibilité de se rendre dans une cachette. Elle fut gazée le 18 octobre 1944.

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Avec le titre pompeux de Reichgesundheitsführer (chef de la Santé du Reich), Leonardo Conti dirigea le programme de santé nazi. À ce poste, il ordonna le meurtre d’adultes malades mentaux. Pour inciter d’autres médecins à suivre ses traces, Conti procéda lui-même aux premières injections mortelles. Membre du parti nazi dès les débuts, Conti fonda l’Ärztebund (Association des médecins nationauxsocialistes) avant qu’Hitler ne le nomme à la tête des médecins de la nation en 1939. Capturé à la fin de la guerre et détenu avant son procès à Nuremberg, il choisit de se suicider plutôt que de répondre des milliers de meurtres qu’il avait ordonnés sous couvert d’euthanasie. l’avance des Soviétiques. Le Reich ordonne la destruction des documents des camps, ainsi que des corps.

• 4 mars 1944 : Quatre femmes juives

découvertes dans la partie « aryenne » de Varsovie sont assassinées par les Allemands. Sont tués également 80 Polonais non juifs. Les corps, ainsi que les personnes encore en vie, sont brûlés.

• 5 mars 1944 : Max Jacob, âgé de 60 ans, catholique baptisé contraint de porter l’étoile jaune, meurt à Drancy d’une pneumonie en attendant la déportation. Max Jacob, filleul de Pablo Picasso, était un poète réputé.

• 7 mars 1944 : L’historien polonais,

archiviste du ghetto de Varsovie, Emanuel Ringelblum, fait partie des

1944

Mobilisée pour une guerre totale, l’Armée rouge eut recours à des femmes combattantes – entre autres ces Polonaises de la Division Kosciuszko. En février 1944, les forces soviétiques avaient refoulé les Allemands de plusieurs régions de Pologne et continuaient leur progression vers l’ouest. Mais l’offensive destinée à libérer l’Europe orientale ne pouvait se dérouler que par étapes et prenait du temps. Les sourires légitimement triomphants de ces soldates ne peuvent faire oublier que d’innombrables prisonniers de la Shoah allaient encore mourir ; en outre, plusieurs Juifs polonais qui survécurent découvrirent que l’antisémitisme n’avait pas disparu de leur pays.



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Paul Celan, né en Roumanie en 1920, composa une poésie obsédante sur la Shoah. Pendant l’occupation nazie, ses parents furent déportés en Transnistrie où son père mourut du typhus et où sa mère fut abattue. Celan passa 18 mois dans un camp de travail. Ses expériences et la mort de ses parents furent à l’origine de son poème le plus célèbre « Fugue de mort ». Ce poème évoque les images d’une souffrance incessante, par exemple les mots « Lait noir de l’aube, nous le buvons le soir. »

Au camp de Westerbork, aux Pays-Bas, des policiers juifs transportent une vieille femme jusqu’à un train en partance pour Auschwitz. Le 10 février 1944, un train contenant un millier de détenus de Westerbork arriva au camp de la mort. 800 d’entre eux furent gazés, les autres astreints au travail, leur mort n’étant que différée.

38 Juifs capturés par la Gestapo dans un bunker du côté « aryen » de Varsovie. Ringelblum et sa famille sont torturés et tués. • Le poète David Vogel est déporté de Drancy à Auschwitz. Dans ce même convoi, se trouvent, parmi les enfants, Henriette Hess, âgée de 17 ans et son frère Roger, âgé de 9 ans. Tous deux sont déportés sans leurs parents.

• 3 800 Juifs tchèques sont gazés à Auschwitz quelques jours après une visite du camp organisée pour une délégation de la Croix-Rouge, au cours de laquelle les administrateurs du camp offrent des assurances quant au bien-être des détenus. Pendant le gazage, les Juifs qui résistent à mains nues sont conduits dans les chambres à gaz à coups de crosses de fusils et de lance-flammes. Ils meurent en chantant

l’hymne national tchèque et la Hatikva qui deviendra par la suite l’hymne de l’État d’Israël. Onze couples de jumeaux sont épargnés pour les expériences servant à la « recherche » du docteur Josef Mengele. • Quinze cents Juifs sont déportés de Drancy à Auschwitz. • Anne Frank observe que « celui qui ne perd ni courage ni confiance ne périra jamais dans la misère ! »

515

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

La Shoah en Grèce L’anéantissement des Juifs de Grèce est l’un des chapitres les plus sombres de la Shoah. Sur plus de 58 000 Juifs qui furent déportés de Grèce entre mars 1943 et juillet 1944, moins de 2 000 revinrent. Le massacre des Juifs de Grèce s’opéra en trois étapes. En mars 1943, les Juifs de Thrace (photo) et de Macédoine, deux régions grecques annexées par la Bulgarie, furent déportés à Treblinka. Environ 4 200 Juifs furent gazés à leur arrivée. Au cours de la deuxième étape, les Juifs vivant dans les régions de Grèce occupées par les Allemands furent isolés dans des ghettos situés à Salonique, puis transportés à Auschwitz. Quelque 45 000 Juifs furent déportés entre les mois de mars et août 1943. Environ 34 000 furent gazés immédiatement et plus de 12 000 sélectionnés pour le travail forcé. La dernière étape des opérations meurtrières contre les Juifs de Grèce eut lieu après la reddition de l’Italie, en septembre 1943. Les déportations depuis Athènes et de nombreuses villes plus petites du continent acheminèrent plus de 9 000 Juifs à Auschwitz. Des Juifs grecs résistèrent à l’oppression nazie. Des prisonniers grecs contribuèrent à faire sauter le four crématoire III d’Auschwitz, et un homme, Albert Errera, s’évada après avoir blessé ses gardiens.

Environ 60 000 des 75 000 Juifs de Grèce furent envoyés à la mort. Ces Juifs du nord de la Grèce furent rassemblés en mars 1944 au cours d’une rafle. Pendant un certain temps, les Juifs habitant dans les régions de Grèce sous occupation italienne furent protégés par l’armée italienne. Cependant, les Allemands finirent par occuper aussi ces régions. La plupart des Juifs furent envoyés à la mort en Pologne.

L’orphelinat du ghetto de Kovno (Lituanie) fut camouflé en service de pédiatrie de l’hôpital du ghetto. Les orphelins étaient l’une des cibles privilégiées des Allemands. En octobre 1941, les Allemands murèrent le ghetto et assassinèrent 9 000 Juifs dont près de la moitié étaient des enfants. L’« Action des enfants » des 27 et 28 mars 1944 aboutit à la mort de 1 300 Juifs.

1944 516

• 15 mars-2avril 1944 : Les

Allemands entreprennent une grande rafle de Juifs en Grèce continentale pour les déporter à Auschwitz.

• 19 mars 1944 : La Hongrie passe

sous domination allemande, ce qui place 725 000 Juifs sous un contrôle allemand plus direct. Les unités SS du Sonderkommando Eichmann chargées de débarrasser la Hongrie de

ses Juifs entreprennent les déportations. • Deux cents médecins et avocats juifs choisis au hasard dans un annuaire téléphonique en Hongrie sont déportés au camp de concentration de Mauthausen, en Autriche. • À l’approche des troupes soviétiques, le camp de la mort de Majdanek est évacué. Les prisonniers malades sont transportés à Auschwitz et gazés.

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

En mars 1943, presque tous les Juifs vivant dans le Generalgouvernement avaient été tués. Heinrich Himmler décida alors de ralentir l’opération Reinhard (l’extermination des Juifs de la région) qui prit fin officiellement le 19 octobre 1943. En août, les 25 000 derniers Juifs vivant dans le ghetto de Bialystok furent transportés à Treblinka où ils furent massacrés. Les nazis fermèrent le camp à l’automne, puis le rasèrent pour dissimuler leurs crimes. Lorsque les Soviétiques arrivèrent dans la région en juillet 1944, ils découvrirent qu’une famille de paysans ukrainiens s’était installée dans une maison (photo) construite sur le terrain du camp par les SS. L’Armée rouge contraignit les Ukrainiens à sortir, puis mit le feu à la maison.

L’homme d’affaires Saly Mayer était le président de la Schweizerischer Israelitischer Gemeindebund (Fédération des communautés juives de Suisse) de 1936 à 1942. Il s’aventura sur le terrain dangereux des négociations avec les nazis pour sauver des Juifs hongrois tout en refusant les exigences des nazis concernant des ressources qui auraient prolongé la guerre. En 1940, il devint le représentant du Jewish Distribution Committee (JDC) en Suisse. À ce poste, il chercha à acheminer des fonds provenant de Juifs suisses pour soutenir les Juifs des pays occupés et négocier leur libération. Depuis son QG dans un imposant immeuble de Paris, la milice, une unité paramilitaire, fut fondée en janvier 1943 à l’initiative de Joseph Darnand. Elle fonctionna en partie comme l’équivalent de la SS. Chargée de la sécurité intérieure dans la France occupée par les nazis, la milice s’attacha principalement à débusquer des Juifs et des membres de la Résistance française.

• Printemps 1944 : Le réseau de camps

près de Stutthof, en Allemagne, est agrandi au point de comprendre 74 camps annexes.

• 22 mars 1944 : Sous la direction de Shlomo Kushnir, près de 100 Juifs s’évadent du camp de travail de Koldichevo, en Biélorussie. Les rebelles laissent derrière eux une charge explosive qui tue dix gardes SS. La plupart des évadés évi-

tent la capture et rejoignent le groupe de résistance de Bielski dans la forêt de Naliboki. Kushnir se suicide après avoir été capturé.

• 23 mars 1944 : Dans la région de

Bialystok, en Pologne, un groupe de partisans juifs placés sous la direction d’Andrei Tsymbal détruit un train militaire allemand transportant des

blindés sur le front Est. • Près de 6 500 Juifs de Grèce, dont 1 687 de Jannina sont déportés à Auschwitz.

• 24 mars 1944 : Huit cents Juifs d’Athènes (Grèce) sont assassinés à Auschwitz. • Près des catacombes, à la sortie d’Ardea, dans les environs de Rome, les Allemands massacrent 335 civils dans les Fosses ardéatines en 517

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Sur cette photographie officielle, Hans Frank apparaît comme un dignitaire de la hiérarchie nazie. Après mars 1942, cependant, Frank ne détenait plus guère de pouvoir véritable, bien qu’il ait conservé son titre de gouverneur du Generalgouvernement, les régions polonaises conquises, mais non incorporées au Reich. Dans le Generalgouvernement, la véritable autorité appartenait aux SS. Début 1944, Frank nota fièrement dans son journal qu’il ne restait que 100 000 Juifs dans sa région, alors qu’on en comptait 3,5 millions en 1941.

Sont photographiés (de gauche à droite) dans le bureau du secrétaire d’État Cordell Hull (à gauche), le secrétaire d’État au Trésor Henry Morgenthau Jr. et le secrétaire d’État à la guerre Henry L. Stimson. Ces trois membres du gouvernement se réunirent le 21 mars 1944, lors de la troisième rencontre du War Refugee Board. Cette instance, mise en service sur ordre du président Franklin Roosevelt en janvier 1944, avait reçu pour mandat d’élaborer une politique de sauvetage des victimes de l’agression nazie.

1944

représailles à la résistance antinazie ; plus de 250 victimes sont catholiques, 78 sont juives. • Le président des ÉtatsUnis Franklin Roosevelt avertit les auteurs de crimes de guerre qu’ils n’échapperont pas au châtiment.

• 27 mars 1944 : 1 000 Juifs sont déportés de Drancy (région parisienne) à Auschwitz.

518

Récemment mariés, Donna Habib et Peppo Levi posent pour une traditionnelle photo de mariage. Après la reddition de l’Italie, les Juifs grecs, dont ce jeune couple de Rhodes, furent confrontés à de nouvelles menaces. Leur bonheur conjugal prit fin brutalement, un mois plus tard lorsqu’ils furent envoyés à Auschwitz avec quelque 1 700 autres Juifs de Rhodes. La majeure partie de ce groupe alla directement dans les chambres à gaz et environ 400 personnes furent astreintes au travail.

• 27-28 mars 1944 : Au camp de Zezmariai, en Lituanie et dans les environs de Kovno, tous les enfants juifs sont rassemblés et assassinés. Parmi les survivants, le petit Zahar Kaplanas, âgé de cinq ans, emporté en lieu sûr dans un sac porté par une Lituanienne non juive. Une femme, à laquelle un Allemand avait déclaré qu’elle ne pouvait garder qu’un seul de ses trois enfants, ne parvient pas

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Massacre aux Fosses ardéatines

Cette tête de mort, emblème SS, retrouvée au camp de concentration de Dachau, en Allemagne, illustre l’extrême cruauté de ceux qui choisirent de la porter. Dans les derniers mois de la guerre, Dachau s’étendit en recevant des milliers de détenus des camps de l’Est. La maladie et la mort y régnaient, faisant des crânes et des ossements la réalité dominante du camp.

Le rabbin Abba Hillel Silver, originaire de Lituanie, l’une des voix les plus nettes et les plus puissantes de la communauté juive, immigra aux États-Unis à l’âge de neuf ans. Devenu rabbin à l’Hebrew Union College en 1915, Silver accepta un poste dans une communauté à Cleveland (Ohio) où il demeura durant toute sa carrière. Très sioniste, Silver fut un porte-parole éloquent et passionné en faveur d’une patrie juive. En 1938, il fut nommé à la tête de l’United Palestine Appeal, une collecte en faveur de la Palestine. Par la suite, il devint, avec le rabbin Stephen Wise, le coprésident de l’American Zionist Emergency Council.

à choisir et les regarde partir tous les trois dans un camion.

• 31 mars 1944 : Le fonctionnaire SS

Adolf Eichmann affirme aux dirigeants juifs hongrois que les relations judéo-allemandes seront normalisées après la guerre.

• Avril 1944 : Aux fosses communes de

C’est aux Fosses ardéatines situées à la sortie de Rome que fut perpétré le meurtre de 335 otages italiens, dont 78 Juifs. Le massacre eut lieu en représailles à une attaque de partisans qui avait coûté la vie à 33 soldats allemands, via Rasella à Rome. Le lieutenant Herbert Kappler ordonna le massacre le 24 mars 1944. Cinq mois plus tôt, le 16 octobre 1943 (le « samedi noir »), Kappler avait ordonné la rafle des Juifs de Rome. Plus d’un millier furent déportés à Auschwitz où plus de 800 furent assassinés. Après la guerre, Kappler fut jugé par un tribunal militaire italien et condamné à la prison à vie. Il s’évada dans le coffre de la voiture de sa femme en 1977, mais mourut peu après en Allemagne. Le capitaine SS Erik Priebke, qui dirigea les massacres des Fosses, fut extradé d’Argentine en Italie en 1996. Une cour martiale italienne le jugea, mais refusa de l’accuser de crimes de guerres, soutenant qu’il n’avait fait qu’obéir aux ordres et qu’il y avait prescription. Jugé à nouveau par une autre cour martiale en 1996, Priebke fut condamné à cinq ans de prison dont il ne purgea que six mois.

Ponary, en Lituanie, Isaac Dogim, l’un des Juifs qui reçurent l’ordre d’exhumer et de brûler les corps des Juifs massacrés, découvre les corps en décomposition de sa femme, ses trois sœurs et ses trois nièces. • L’ancien chef des partisans des marécages de Pripet, en Ukraine, désormais membre de l’Armée soviétique, est tué en tentant de franchir un champ de mines. • Neuf cents orphelins juifs de la région de Transnistrie en

Roumanie sont autorisés à se rendre en Palestine. • Max Josef Metzger, un prêtre catholique allemand dont l’appel de 1942 en faveur d’un nouveau gouvernement allemand avait été intercepté par la Gestapo, est exécuté à Brandebourg, en Allemagne. • Une usine d’essence synthétique à Blechhammer, en Pologne, qui comprenait 5 500 esclaves juifs à son ouverture en 1942, n’en compte plus que 4 000 vivants. Ce 519

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Itzhak Katzenelson Le poète Itzhak Katzenelson et son fils Zvi, âgé de 18 ans, furent assassinés avec des milliers d’autres personnes dans les chambres à gaz d’Auschwitz, au printemps 1944. À une époque plus heureuse, en Pologne, Katzenelson avait été un écrivain prolifique en yiddish et en hébreu, dans plusieurs genres, depuis les comédies jusqu’aux livres pour enfants. Sous l’occupation allemande, d’abord à Lodz, en Pologne, puis à Varsovie, Katzenelson rallia la communauté du ghetto par des œuvres exprimant la ténacité face aux épreuves écrasantes, notamment la déportation à Treblinka de sa propre femme et de deux de ses enfants. Pendant le soulèvement du ghetto de Varsovie, Katzenelson et son fils, protégés par des faux papiers honduriens, furent envoyés au camp de concentration de Vittel, en France dans le cadre d’un échange de prisonniers avec les Alliés. L’horreur dont Katzenelson avait été témoin l’incita à continuer à écrire. Dans son journal, il témoigne du courage des déportés du ghetto et de l’héroïsme des combattants de Varsovie. Ses poèmes de Vittel expriment la prémonition poignante que l’échange allait échouer et que lui-même et son fils allaient périr. Dans « Le chant du peuple juif assassiné », Katzenelson souffre : « Une telle moisson bénie, d’un seul coup – un peuple tout entier réuni. » Les Allemands firent périrent Katzenelson et son fils en avril 1944.

1944

Portant leur bébé, un jeune couple juif d’Afrique du Nord se prépare à embarquer sur le bateau qui les conduira vers une vie nouvelle en Palestine. Partis de divers endroits, dont le Portugal, des bateaux affrétés par des organisations juives de sauvetage emmenèrent des Juifs d’Afrique du Nord en Palestine. Cependant, même à l’arrivée des troupes américaines, les Juifs, dans des villes comme Casablanca, au Maroc, continuèrent à subir arrestations et violences, parfois de la part des autorités françaises antisémites de droite. Walter Schellenberg atteignit de nouveaux sommets en 1944 en tant que chef des services de sécurité de la SS et de la Wehrmacht. Sa nomination suivit la dissolution de l’Abwehr et l’arrestation de son chef, l’amiral Wilhelm Canaris. Autrefois aide d’Heinrich Himmler, Schellenberg assuma diverses responsabilités durant la guerre, notamment à la tête du RSHA Amt VI chargé de recueillir des renseignements dans les pays étrangers. Sa nouvelle nomination en 1944 en fit le deuxième personnage de la SS, juste après Himmler.

mois-là, Blechhammer est appelé Auschwitz IV.

• 4 avril 1944 : Les États-Unis pren-

nent les premières photos aériennes de reconnaissance d’Auschwitz.

• 5 avril 1944 : Sur les 835 Juifs

déportés de Fossoli (Italie) à Auschwitz, 692 sont gazés à leur arrivée. 520

Parmi les victimes, Sara Klein, âgée de 71 ans et Rosetta Scaramella, âgée de 5 ans.

• 6 avril 1944 : Trois mille soldats

allemands se déploient dans le secteur « aryen » de Varsovie, en Pologne, pour dénicher des Juifs fugitifs. Soixante-dix hommes et trente femmes sont arrêtés et seront assassinés. • Un détachement de la

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

« J’ai vu plusieurs internés s’attacher à leur dignité humaine jusqu’à l’extrême fin. Les nazis réussissaient à les dégrader physiquement, mais ne parvenaient pas à les avilir moralement. Grâce à ces quelques personnes, je n’ai pas entièrement perdu ma foi en l’humanité. Si, même dans la jungle de Birkenau, tous ne furent pas nécessairement inhumains envers leurs prochains, alors il y a vraiment de l’espoir. » —Olga Lengyel, Souvenirs de l’au-delà (traduit du hongrois, paru en anglais sous le titre Five Chimneys : The Story of Auschwitz) Max Josef Metzger était un prêtre catholique pacifiste. Chapelain de l’armée allemande pendant la Première Guerre mondiale, il fonda et dirigea l’Alliance des catholiques allemands pour la paix. Pendant la guerre, il appela à un gouvernement non nazi pour l’Allemagne. Arrêté et condamné pour haute trahison par le Tribunal du peuple farouchement pronazi, il fut exécuté en avril 1944.

Le 13 avril 1944, l’un des derniers convois de Juifs du camp de transit de Drancy (région parisienne) partit pour Auschwitz. Quinze cents prisonniers arrivèrent à Auschwitz le 16 avril, dont la famille Brin (photo). Tous, sauf 388 personnes périrent dans les chambres à gaz.

Gestapo dirigé par Klaus Barbie procède à une perquisition dans la maison d’enfants d’Izieu, en France, près de la frontière suisse et arrête sept éducateurs et 44 enfants juifs. La plupart sont transportés à Drancy, puis à Auschwitz. L’une des petites filles emmenées à Auschwitz, âgée de 11 ans, Liliane Berenstein, écrit une lettre à Dieu pour le supplier qu’Il fasse revenir ses parents.

• 8 avril 1944 : En ce premier soir de la Pâque, le rabbin polonais Mosze Friedman, récemment arrivé à Auschwitz, saisit un lieutenant SS et le maudit pour ses crimes, promettant l’existence éternelle des Juifs et l’imminente destruction du nazisme.

Vrba, âgé de 19 ans, s’évadent d’Auschwitz. Tous deux fourniront plus tard aux Alliés les premiers récits de témoins oculaires de la « solution finale », ainsi qu’un avertissement sur l’intention des nazis d’exterminer les Juifs hongrois. • L’Armée rouge s’empare d’Odessa, en Ukraine.

• 10 avril 1944 : Deux Juifs slovaques, Alfred Wetzler, âgé de 26 ans et Rudolf

• 13 avril 1944 : 1 500 Juifs sont déportés de Drancy (région parisienne) à

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1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

PRINCIPAUX GHETTOS EN HONGRIE, 1944 HAUTE SILÉSIE

N

GENERALGOUVERNEMENT

BOHÊME & MORAVIE

SLOVAQUIE Kosice  GRANDE ALLEMAGNE

Le processus de ghettoïsation et de déportation se déroula extrêmement rapidement en Hongrie et les Juifs furent en général déportés quelques jours seulement après avoir emménagé dans les ghettos. Cette photographie montre Moritz Goldstein et son fils Endre, dans le ghetto de Debrecen. Moritz et sa femme Matilde avaient quatre fils ; un seul, Ernst, survécut à la guerre et immigra aux États-Unis en 1946.

Miskolc



Uzhgorod



 Munkács

Nyíregyháza

 Sighet Marmatiei za  is  Budapest T Satu Mare   Szombathely Debrecen Dej    HONGRIE Székesfehérvár  Oradea Cluj  Besztercze   Tirgu Mures Kaposvár Szeged  Danube

Dra va



ROUMANIE 0

100 miles

CROATIE 0

200 kilomètres

SERBIE

Après l’occupation de la Hongrie par l’Allemagne, le 19 mars 1944, les Juifs du pays (à l’exception de ceux de Budapest) furent contraints d’habiter dans des ghettos. Du 15 mai au 9 juillet, plus de 430 000 Juifs hongrois furent déportés, principalement dans les chambres à gaz d’Auschwitz. Le 19 mars 1944, les nazis occupèrent la Hongrie et commencèrent à préparer l’extermination des 725 000 Juifs de ce pays, en grande partie épargnés jusqu’alors. La majeure partie de ces Juifs furent déportés à Auschwitz, le plus grand camp de la mort. Cette carte montre les districts de police créés par les nazis en Hongrie pour assurer la déportation « efficace » des Juifs de la nation.

1944 522

Auschwitz. L’une des survivantes du groupe, Simone Jacob, âgée de 16 ans, deviendra ministre de la Santé en France (Simone Veil) et, en 1979, présidente du parlement européen à Strasbourg.

• 15 avril 1944 : Les travailleurs juifs contraints d’exhumer les corps des Juifs et des prisonniers de guerre assassinés à Ponary (Lituanie), près de Vilnius,

tentent une évasion. Sur les 40 qui parviennent à pénétrer dans un tunnel secret creusé sur le côté de la fosse commune, 15 gagnent les forêts voisines. La plupart d’entre eux rejoindront les partisans ; voir 20 avril 1944. • En Hongrie, des dizaines de milliers de Juifs sont contraints de quitter leur maison pour emménager dans des ghettos.

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Des hommes et des femmes de la Résistance polonaise partagent un moment de camaraderie avant de retourner au combat. Utilisant des tactiques de guérilla, ces combattant aidèrent l’Armée russe en harcelant les troupes allemandes dans la région de Vilnius, en Lituanie. Certains Juifs, opérant depuis la forêt de Rudninkai et d’autres endroits secrets, participèrent à la Résistance, préparant la voie à la libération de Vilnius, en juillet.

Joseph Darnand, vétéran de la Première Guerre mondiale, avait longtemps fréquenté les groupes antisémites de droite, en France. Il fonda le Service d’ordre légionnaire (SOL), un groupe paramilitaire collaborationniste d’environ 15 000 membres. Darnand devint par la suite le chef de la milice de la France de Vichy et fut donc chargé du maintien de l’ordre. On le voit ici, le 16 avril 1944, à un rassemblement organisé à Paris pour encourager la collaboration au sein de la population de la ville.

Hermann Göring avait compté parmi les personnalités les plus influentes de l’Allemagne, mais en 1944, il était complètement drogué à l’héroïne et son influence déclina. Il avait aussi considérablement grossi et pesait plus de 135 kg. Hitler, qui accusa Göring d’être à l’origine du retournement de la situation militaire contre l’Allemagne, refusa souvent de le rencontrer. Göring perdit son prestige antérieur au profit de Joseph Goebbels, Heinrich Himmler et Martin Bormann.

• 20 avril 1944 : Vingt-neuf Juifs

astreints au travail, restés en arrière après une évasion partiellement réussie depuis Ponary (Lituanie) sont abattus par les surveillants SS.

• 22 avril 1944 : Cinquante enfants font partie des 250 Juifs et prisonniers de guerre soviétiques qui travaillent à l’usine d’appareils électriques de Siemens Schuckert à Bobrek, en Pologne.

• 28 avril 1944 : Adolf Eichmann

répartit les 1 500 premiers travailleurs juifs de Hongrie réduits en esclavage dans les usines d’armements d’Auschwitz et des environs.

•29 avril 1944 : Première déportation à

Auschwitz de Juifs hongrois de Kistarcsa. • 1 004 Juifs du camp de transit de Drancy (région parisienne) sont déportés

à Auschwitz, dont le poète yiddish Itzhak Katzenelson et son fils aîné.

• 30 avril 1944 : Deux mille Juifs

robustes de Topolya (Hongrie) sont déportés à Auschwitz.

• Mai 1944 : Christian Wirth, Sturm-

bannführer et commandant du camp de la mort de Belzec, en Pologne, est 523

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Soigneusement disposés et entreposés, ces services de porcelaine avaient autrefois été la fierté de familles juives de Prague (Tchécoslovaquie). Ils faisaient partie d’une immense collection d’objets, y compris des livres et des meubles, pillés par les nazis dans l’une des communautés juives les plus réputées d’Europe, et destinés à constituer la collection du futur Musée central de la race juive éteinte. Malheureusement, les objets survécurent à bon nombre de leurs propriétaires.

Le commandant SS Christian Wirth prit l’initiative d’utiliser du gaz toxique pour tuer les victimes du programme d’« euthanasie ». Il administra les camps de la mort de Belzec, Treblinka et Sobibor. À Belzec, il possédait une grande boîte contenant des dents prises aux Juifs assassinés. « Voyez vous-mêmes le poids de cet or ! » se vantait-il. « C’est seulement d’hier et d’avanthier. Vous n’imaginez pas ce que nous trouvons chaque jour – des dollars, des diamants, de l’or ! » Par la suite, il fut chargé du camp de concentration italien La Risiera di San Sabba où il organisa 22 convois de déportés pour Auschwitz. Il fut tué par des partisans italiens, près de Fiume (Yougoslavie), en mai 1944. Trois Juifs emmènent une vieille Juive à la chambre à gaz d’Auschwitz. Ces hommes souhaitaient probablement éviter une réaction violente des gardes SS qui figurent à l’arrière-plan. Jusqu’au tout dernier moment, de nombreux Juifs s’accrochaient à l’espoir que ce qu’ils avaient entendu sur Auschwitz n’était pas vrai.

1944 524

assassiné par des partisans à Fiume, en Yougoslavie. • De nombreux Juifs font partie des troupes polonaises et des troupes alliées à l’abbaye de Monte Cassino, en Italie. • Liquidation du ghetto de Lodz (Pologne). • Alors que commencent les déportations des Juifs de Hongrie dans les camps de la mort, plusieurs centaines de Juifs hongrois de Sátoraljaújhely et Miskolc sont

abattus pour avoir refusé d’embarquer dans les trains pour Auschwitz. • 33 000 Juifs de Munkács (Hongrie) sont assassinés à Auschwitz.

• 3 mai 1944 : À Gleiwitz (Pologne),

près d’Auschwitz, les Allemands ouvrent une usine avec de la maind’œuvre réduite en esclavage pour produire de la « fumée noire » utilisée pour créer des écrans de fumée.

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

«Canada»

Éclipsées par le monceau de chaussures se dressant devant elles, des détenues d’Auschwitz trient les chaussures en plusieurs tas en fonction de la pointure. La durée de vie de ces chaussures était bien souvent supérieure à celle des femmes qui les triaient. Après un premier tri, les chaussures étaient emportées au « Canada », le dépôt. Puis, les femmes du Schuhkommando (équipe des chaussures) se mettaient au travail, séparant les empeignes des semelles et le cuir du caoutchouc. La majeure partie de ces produits était envoyée en Allemagne.

Les Aufräumungskommandos (commandos de nettoyage), dont la plupart des membres étaient juifs, recevaient la tâche macabre de trier les affaires des victimes des chambres à gaz. Les détenus du camp surnommaient les dizaines de baraquements où étaient entreposés ces objets « Canada », les associant aux richesses de ce pays.

• 13 mai 1944 : L’Armée rouge s’empare de Sébastopol, en Ukraine. • Dans l’ensemble des camps nazis, les numéros tatoués sur le corps des détenus entament une nouvelle série précédée de la lettre « A ». Il s’agit de cacher le nombre de prisonniers à Auschwitz. • 15 mai 1944 : Les Allemands commencent la déportation à Auschwitz

Tandis que leurs victimes périssaient dans les chambres à gaz d’Auschwitz-Birkenau, les nazis pillaient les effets personnels des morts. Dans une certaine section du camp de Birkenau, les équipes de travail, principalement constituées par des femmes juives, triaient le butin. Cette partie du camp était appelée « Canada », cyniquement comparée à un pays connu pour ses richesses et son abondance. Jour et nuit, des « commandos » de prisonniers triaient et classaient systématiquement vêtements, valises, couvertures, ustensiles, objets de valeur et nourriture. Certains prisonniers triaient les chaussures, d’autres seulement les vêtements d’hommes. Ils séparaient valises, couvertures et même voitures d’enfants qu’ils entassaient en monceaux gigantesques. Dans le bâtiment appelé « baraquement de ravitaillement », d’énormes quantités de nourriture, par exemple du salami hongrois et du fromage de Hollande moisirent et pourrirent. Avides d’argent et de bijoux, les SS ordonnèrent aux prisonniers de presser les tubes de dentifrice dans des seaux pour chercher des diamants cachés. Même des objets personnels comme rubans pour cheveux, montres, lunettes et prothèses dentaires furent pillés. Le butin trié était chargé sur des trains et des camions et acheminé en Allemagne. Contraints d’évacuer le camp, début 1945, les nazis laissèrent derrière eux 349 820 costumes d’hommes, 836 255 ensembles pour femmes et environ 38 000 paires de chaussures masculines.

des Juifs hongrois de Ruthénie et de Transylvanie. • 878 Juifs de Drancy (région parisienne) sont déportés au camp de travail de Reval, en Estonie.

seau pour les besoins. Suicides et cas de folie font des ravages pendant les transports.

• 15 mai-9 juillet 1944 : Plus de

Aleksander Skotnicki est tué pendant un combat de son unité contre les chars de la division SS Viking près de la forêt de Parczew, en Pologne. • Un train de déportation parti de Paris arrive à Kovno, en Lituanie ; voir 19 mai 1944.

430 000 Juifs sont déportés à Auschwitz. Plus d’une centaine sont entassés dans des wagons de marchandises avec un seul seau d’eau et un autre

• 18 mai 1944 : Le chef des partisans juifs

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1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

L’extermination des Juifs hongrois « Je suis née en mai. Je suis morte en mai, » écrit Isabella Leitner dans ses souvenirs de la Shoah intitulés Fragments d’Isabella. « Nous avons commencé le voyage de l’horreur, le 29 mai. Nous allions à Auschwitz. Nous sommes arrivés le 31 mai. » Même au début de 1944, les 725 000 Juifs de Hongrie semblaient relativement en sécurité. Les dirigeants de cette dernière grande communauté juive d’Europe avaient entendu parler du sort des Juifs sous l’occupation nazie, et les Juifs hongrois vivaient dans une situation précaire du fait de l’alliance de ce pays avec Hitler. Mais, par rapport à la situation d’autres communautés juives, pour la plupart exterminées en 1944, les Juifs hongrois semblaient avoir de la chance. De fait, jusqu’au 19 mars 1944, date de l’occupation par les Allemands du territoire de leur allié hésitant, de nombreux Juifs de Hongrie souffrirent de ce que l’écrivain Ida Fink, autre rescapée de la Shoah, appela « la pauvreté de l’imagination. » Ils ne croyaient pas que ce qui était arrivé aux Juifs dans l’Europe occupée par les nazis pourrait leur arriver aussi.

1944 526

Le cauchemar commença cependant en avril 1944. Les premiers Juifs hongrois furent parqués dans des ghettos, puis, les 29 et 30 avril, deux convois de 3 800 hommes et femmes quittèrent la Hongrie et arrivèrent à Auschwitz, le 2 mai. La « sélection » épargna 486 hommes et 616 femmes pour le travail. Les 2 698 autres furent gazés. Vers la mi-juillet, 147 trains avaient déporté à Auschwitz plus

de 430 000 Juifs hongrois. Plus de 75% furent assassinés à leur arrivée. Avant la libération de la Hongrie, début 1945, plus de 560 000 Juifs hongrois avaient péri. Le 20ème anniversaire d’Isabella Leitner tombait le dimanche 28 mai 1944. Elle le « célébra » tout en préparant la déportation du lendemain. Au cours de ce voyage, I. Leitner et

• Les déportations de Theresienstadt (Tchécoslovaquie) à Auschwitz prennent fin avec un convoi de 2 500 Juifs.

• 19 mai 1944 : Les Juifs de Paris déportés à Kovno (Lituanie) sont mitraillés par des gardes dans un périmètre enclos après que quelques prisonniers ont attaqué des SS. • Les Allemands acheminent le Juif hongrois

ses quatre sœurs, son frère et sa mère, ainsi que plusieurs centaines d’autres Juifs hongrois du ghetto de Kisvárda furent emmenés à Auschwitz. Sa mère et sa plus jeune sœur furent assassinées à l’arrivée. Une autre sœur périt à Bergen-Belsen, mais Isabella, son frère et ses autres sœurs survécurent. Par la suite, elle retrouva également son père. Désespéré, il était parti pour les États-Unis pour tenter de sauver sa famille en obtenant un visa pour eux. Les atrocités nazies lui furent épargnées, mais pour le restant de sa vie, il eut le sentiment de n’avoir pas fait assez pour sauver les siens. Après sa libération et son arrivée aux États-Unis, I. Leitner fut incapable d’oublier « l’autre vie » dans le ghetto, dans le train, dans les camps. « Vous avez une vision de la vie, dit-elle au cours d’une interview, j’en ai deux. » Parlant au nom de plusieurs rescapés de la Shoah, elle ajoute que « nous avons ces… ces doubles vies. Nous ne pouvons pas le supprimer. Cela ne s’en va pas… C’est très pénible. »

Joel Brand en Turquie avec une proposition d’Adolf Eichmann d’échanger avec les Alliés 10 000 camions contre un million de Juifs d’Europe orientale. Eichmann appelle cette transaction « du sang contre des camions. » Arrêté par les Britanniques, Brand est envoyé à Lord Moyne (ministre résident du Moyen-Orient) qui commente : « Et que ferais-je d’un million de Juifs ? »

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Au printemps 1944, les nazis entreprennent la déportation des 725 000 Juifs de Hongrie, pour la plupart à Auschwitz. Ces trois photos montrent des Juifs hongrois à Auschwitz-Birkenau. Sur la première, à gauche, figure le rabbin Naftali Zvi Weiss, de la ville de Bilke. Sur la deuxième photo, des femmes et enfants hongrois, peut-être d’une même famille, sont assemblés pour une photographie devant la clôture électrifiée, attendant leur sort. La troisième photo montre une femme et ses trois petits-enfants en route pour la chambre à gaz, en mai 1944. Toutes les personnes photographiées sur cette page furent parmi les premiers des quelque 400 000 Juifs hongrois qui périrent à Auschwitz.

• 21 mai 1944 : La Gestapo emprisonne les 260 Juifs de La Canée (Khania en Crète) à Rethymnon, sur l’île. • 22-27 mai 1944 : Les Juifs préparés

pour être transportés en train de Munkács (Ukraine) et de la ville hongroise de Sátoraljaújhely résistent. Certains sont abattus.

• 25 mai 1944 : À Auschwitz, des

• 28 mai 1944 : Renouvellement de

• 27 mai 1944 : Deux Juifs, Arnost

• 29 mai 1944 : Plusieurs milliers de Juifs de Baja, en Hongrie, arrivent à la frontière allemande après un voyage en train de trois journées et demi ; 55 sont morts et environ 200 sont devenus fous.

Juifs hongrois menés à la chambre à gaz se dispersent, mais sont abattus par les SS ; voir 28 mai 1944.

Rosin, de Tchécoslovaquie, et Czeslaw Mordowicz, de Pologne, s’évadent d’Auschwitz.

l’incident du 25 mai ; les Juifs menés à la chambre à gaz d’Auschwitz courent vers les forêts, mais sont abattus.

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1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

« Autour de nous, tout le monde pleurait. Quelqu’un commença à réciter le Kaddish, la prière pour les morts. Je ne sais pas si c’est jamais arrivé auparavant, au cours de la longue histoire des Juifs, qu’un peuple ait récité pour lui-même la prière pour les morts. » —Le chroniqueur de la Shoah Élie Wiesel, rappelant ce qu’il a vécu, adolescent, lors du convoi le menant à Auschwitz au printemps 1944

Deux enfants s’agrippent à la main de leur père, tandis que leur mère, se maintenant sur des béquilles, tente de suivre pendant la déportation des Juifs du ghetto hongrois de Sighet. Du 16 au 22 mai 1944, la majeure partie des 8 600 Juifs qui avaient été entassés dans le ghetto de la ville sont déportés à Auschwitz. Parmi ceux qui sont envoyés de Sighet, le jeune Élie Wiesel qui devait plus tard décrire ses expériences dans La nuit. La petite ville hongroise de Köszeg ne comptait que 80 Juifs lorsqu’un ghetto y fut créé, le 11 mai 1944. La population totale du ghetto, qui incorpora les Juifs des bourgades environnantes, ne s’élevait qu’à 103 habitants. Cette photographie montre le chargement de la population du ghetto dans des trains en partance pour Auschwitz. On remarque la présence de soldats de l’organisation fasciste de Hongrie, les Croix fléchées. Les membres de cette organisation, dont bon nombre étaient pauvres et sans instruction, participèrent aux déportations avec enthousiasme.

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• Fin mai 1944 : À l’embranchement d’Auschwitz, des soldats allemands qui rencontrent un train de déportation clos transportant des Juifs hongrois au camp de la mort de Birkenau, au mépris des menaces des gardes SS, donnent de l’eau et des vivres aux prisonniers implorants. • Un SS tombé amoureux d’une jeune Juive réussit pendant des mois à lui épargner la chambre à gaz, mais lorsque leur

liaison est découverte, tous deux sont exécutés.

• 31 mai 1944 : Le SS Edmund Veesenmayer, général de brigade, précise dans son rapport à Berlin que 204 312 Juifs ont été déportés de Hongrie. • Près de la frontière allemande, un train de déportation hongrois s’arrête pour retirer 42 corps.

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Hannah Szenes se détend dans sa ville natale de Budapest (Hongrie), avant la guerre. Très douée, Hannah excellait dans ses études avant d’immigrer en Palestine où elle rejoignit un kibboutz. Son journal intime et ses poèmes reflètent un amour de la vie que dépasse seulement son farouche dévouement pour le peuple juif. Membre d’un groupe d’audacieux parachutistes envoyés en Yougoslavie pour sauver des pilotes alliés et encourager la résistance juive, elle fut capturée après avoir franchi la frontière hongroise. Torturée, elle refusa de révéler les codes de la radio. Son poème « Bénie soit l’allumette » devint l’emblème de son héroïque abnégation. Il comprend le vers suivant : « Bénie soit l’allumette qui s’est consumée dans une flamme brûlante. » Ayant quitté sa Slovaquie natale pour immigrer en Palestine en 1939, Haviva Reik rejoignit la Haganah (organisation militaire juive) pour combattre les nazis. Après ce service, H. Reik se porta volontaire pour des missions de parachutage encore plus dangereuses, espérant retourner dans son pays natal pour sauver ses frères juifs. Parachutée le 21 septembre 1944 près de Banská Bystrica, en Slovaquie, elle chercha à joindre les chefs de la Résistance juive à Bratislava. Des combats acharnés l’en empêchèrent et H. Reik, ses camarades parachutistes et des partisans locaux se retirèrent dans les montagnes. Capturée par les SS, elle fut exécutée le 20 novembre.

• Juin 1944 : Un sondage d’opinion

publique organisé aux États-Unis révèle que 57% des Américains s’attendent à « une grande campagne dans ce pays » contre les Juifs. • 13 500 Juifs de Miskolc (Hongrie) sont déportés à Auschwitz.

• 1er juin 1944 : Alors que 55 000

quotas d’immigration en provenance



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Les parachutistes palestiniens Environ 250 Juifs palestiniens se portèrent volontaires pour être parachutistes dans l’armée britannique – mission extrêmement dangereuse. Ceux qui furent choisis comptaient parmi les Juifs d’Europe orientale les plus brillants, ceux qui parlaient les langues balkaniques et connaissaient les coutumes et la géographie des Balkans. Après avoir subi un entraînement, 32 Juifs furent parachutés dans les Balkans, en Autriche et en France pour espionner au profit des Britanniques. Lorsque les Juifs eurent terminé leurs missions pour les Alliés, les Britanniques les autorisèrent à aider leurs coreligionnaires juifs. Bien qu’opposé au début à l’entraînement au combat de Juifs palestiniens, le vice-ministre britannique au Caire, Lord Walter Moyne, finit par accepter. Il reconnut cyniquement que le parachutage des Juifs les plus courageux dans des missions-suicides en Europe orientale leur ferait quitter définitivement la Palestine. L’une des parachutistes juives palestiniennes les plus célèbres fut Hannah Szenes, une poétesse née en Hongrie. Comme la plupart de ses camarades, elle réalisa sa mission pour les Britanniques avec succès. Mais, une fois sa tâche achevée, elle fut capturée et exécutée par les Allemands. Un autre membre du groupe, Enzo Sereni, fut entraîné par les Britanniques et parachuté dans le nord de l’Italie en mai 1944. Portant l’uniforme d’un capitaine britannique, il fut capturé et envoyé dans le camp de concentration de Dachau, en Allemagne où il fut l’une des principales personnalités parmi les prisonniers.

de l’Europe occupée n’ont pas été utilisés, le président Franklin Roosevelt n’autorise qu’un millier de réfugiés juifs à pénétrer aux États-Unis. Ils seront hébergés à Fort Ontario, à Oswego, dans l’État de New York.

• 2 juin 1944 : Itzhak Gruenbaum, président du comité de sauvetage de l’Agence juive, réclame le bombardement des

voies ferrées menant à Auschwitz. • Les Alliés entreprennent de bombarder les Balkans (opération Frantic) en vue de faire diversion pour les Allemands avant les atterrissages alliés en France. Les bombardiers survolent les lignes de chemin de fer menant de Hongrie à Auschwitz. L’opération dure quatre mois, durant lesquels plusieurs dizaines de milliers de Juifs hongrois sont déportés à 529

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Joël Brand était un dirigeant juif du Comité de secours et de sauvetage en Hongrie. Approché par Adolf Eichmann avec un projet de transaction apparemment truqué consistant à échanger la vie des Juifs hongrois contre 10 000 camions des Alliés, Brand tenta de communiquer cette offre aux Alliés qui la rejetèrent et arrêtèrent Brand. Libéré en 1944, Brand rejoignit le Groupe Stern en Palestine où il participa à des activités contre les Britanniques et contre l’Agence juive. Il mourut en 1964.

Des Juifs contre des camions Au plus fort des déportations de Hongrie, en 1944, un « plan » allemand fut élaboré pour échanger des Juifs contre des camions. Heinrich Himmler, lui-même, architecte en chef de la « solution finale », envisageait volontiers une rançon. Il fut proposé d’échanger un million de Juifs contre 10 000 camions et des centaines de tonnes de thé, café et savon. Les négociations, valant ce qu’elles valaient, furent menées par Joël Brand, un Juif ; des membres du War Refugee Board ; et des membres du ministère britannique des Affaires étrangères. Les Alliés ne considérèrent pas sérieusement la proposition. Non seulement ils n’avaient pas confiance en Himmler, mais les Britanniques estimaient que la libération de tant de Juifs conduirait à des pressions pour leur immigration en Palestine que la Grande-Bretagne tentait de limiter. Les Soviétiques s’opposèrent au plan parce que les nazis auraient utilisé les camions contre eux. Pendant les négociations, plus de 1 600 Juifs hongrois (dont ceux de la photo) furent libérés et trouvèrent la sécurité en Suisse.

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Auschwitz. Les voies ferrées transportant les Juifs ne furent jamais prises pour cible.

• 4 juin 1944 : Libération de Rome par les Alliés.

• 6 juin 1944 : Les forces alliées débarquent en France sur les plages de Normandie ; c’est la première étape de la libération de l’Europe par les Alliés

En 1943, le gouvernement de la France de Vichy créa la Milice, une organisation paramilitaire collaborationniste dirigée par Joseph Darnand qui souhaitait assurer le maintien de l’ordre en France, la remodeler à l’image nazie et combattre les ennemis du régime de Vichy. La plupart de ses membres, y compris des groupes pour les femmes et les enfants, provenaient du Service d’ordre légionnaire, un groupe de vétérans de guerre qui se consacraient à la protection du régime de Vichy. Cette photographie montre des troupes de la Milice faisant défiler des membres de la Résistance dans un camp d’internement, le 2 juin 1944.

occidentaux. Lorsque les autorités allemandes prennent conscience que la nouvelle du débarquement allié circule parmi les Juifs du ghetto de Lodz, en Pologne, une perquisition est menée à la recherche de radios illégales. Six Juifs sont arrêtés. • Les 1 800 Juifs de l’île de Corfou, à l’ouest de la Grèce, sont arrêtés par la Gestapo et déportés à Auschwitz où 1 600 d’entre eux sont

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Des soldats américains poussent des prisonniers de guerre allemands, les mains en l’air et leur équipement encore sur le dos, hors de portée du feu de tireurs isolés, tandis que les Alliés traversent Cisterna, en Italie. La longue campagne italienne aboutit à d’importantes victoires pour les Alliés, début 1944. Les troupes américaines pénétrèrent dans Rome le 4 juin, sous le commandement du général Mark Clark.

Les troupes et les tanks américains entrèrent dans Rome le 4 juin 1944. Les deux parties avaient convenu que Rome était une ville ouverte, préservant ainsi la grande capitale d’autres destructions. La campagne italienne avait été conçue comme un raccourci pour les forces alliées se rendant en Allemagne, mais elle s’avéra être une longue opération âprement disputée contre une résistance allemande obstinée, inflexible et brillamment dirigée. Huit mille Juifs s’étaient cachés dans Rome, mais en octobre 1943, les Allemands procédèrent à la rafle d’un millier de Juifs « sous le nez du pape » et les envoyèrent à la mort à Auschwitz. Des Juifs néerlandais sont déportés début juin 1944. De mars à septembre 1944, les nazis déportèrent chaque mois plusieurs centaines de Juifs néerlandais, et 1 019 dans le dernier train (qui comprenait Anne Frank) en septembre. Sur les 107 000 Juifs déportés des Pays-Bas, 5 200 seulement survécurent à la Shoah.

gazés et les 200 autres astreints au travail. • Un bateau allemand déportant environ 260 Juifs de La Canée est coulé au large de la Crète. Les récits d’aujourd’hui donnent des précisions contradictoires : selon une version, le bateau transportait les corps de Juifs assassinés par les nazis qui envoyèrent le bateau puis le coulèrent pour supprimer les traces de leur crime. Selon une

autre, le bateau se rendait à Auschwitz, mais fut torpillé et coulé par un sousmarin britannique. Outre les Juifs, le bateau transportait 300 prisonniers de guerre italiens et 400 civils grecs.

• 7 juin 1944 : Achèvement de la pre-

mière phase de la déportation et de l’extermination des Juifs hongrois. Près de 290 000 Juifs ont été assassinés en 23 jours.

• 9 juin 1944 : Arrestation de la poé-

tesse juive hongroise, parachutiste de Palestine, Hannah Szenes en Hongrie, alors qu’elle vient de terminer sa mission pour les Britanniques en Yougoslavie. Elle tentait d’aider les Juifs hongrois qui allaient être transférés à Auschwitz.

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ACTES

DÉSESPÉRÉS

Vivre dans la crasse Les Allemands tentèrent de détruire le cœur, l’âme, l’esprit et le corps des Juifs de différentes façons, y compris par les excréments. L’un des aspects de la politique allemande consistait à avilir les Juifs en les forçant à vivre et à mourir dans un environnement dominé par la crasse. Les soldats enfermaient les déportés dans des wagons de marchandises sans rien fournir pour faire ses besoins. Des ruisseaux d’ordures, de boue, de vomissures et d’excréments coulaient dans les baraquements des camps. Dans le camp de Bergen-Belsen, en Allemagne, une seule latrine desservait 30 000 prisonnières. Dans presque tous les camps, les prisonniers contractèrent le typhus et/ou la dysenterie, deux maladies qui provoquaient des diarrhées. De nombreux prisonniers attachaient une ficelle en bas de leur pantalon pour retenir leurs excréments, évitant ainsi d’être battus ou tués pour avoir pris le temps de se rendre aux latrines. Reska Weiss écrivit que certains prisonniers n’étaient « pas même des animaux, mais des corps en putréfaction se déplaçant sur deux jambes. »

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Des troupes américaines, britanniques, canadiennes et autres troupes alliées débarquèrent en Normandie, le 6 juin 1944. Ce débarquement contraignit l’Allemagne à une guerre sur deux fronts (les Soviétiques attaquant à l’est), guerre qu’elle ne pouvait gagner. Bien que retardés pendant plusieurs semaines sur le difficile terrain normand, les Alliés finirent par opérer une brèche. Ils déferlèrent ensuite rapidement à travers la France et atteignirent les frontières de l’Allemagne en décembre. Au fur et à mesure qu’ils conquéraient du terrain, les Alliés arrivèrent dans des camps de concentration et les libérèrent.

La veille de 6 juin, jour J du débarquement, des Juifs se réunirent sur les marches de la synagogue de l’hôpital et du foyer pour personnes âgées de Brooklyn (New York). Portant leurs châles de prière et soufflant dans le chofar (corne de bélier) pour appeler le peuple à la prière, ces Juifs âgés intercédèrent pour une victoire rapide des Alliés qui mettrait fin au régime nazi et aux souffrances des Juifs d’Europe.

• 10 juin 1944 : Dans le village français d’Oradour-sur-Glane, les Allemands massacrent 642 habitants en représailles à la mort d’un officier SS abattu par un tireur de la Résistance. Femmes et enfants sont brûlés vifs dans une église et les hommes sont mitraillés. Sur les 642 victimes, sept sont des réfugiés juifs qui avaient échappé à la déportation à Auschwitz grâce à la compassion des vil-

lageois d’Oradour-sur-Glane. Parmi les morts, Serge Bergman, âgé de huit ans.

• 11-16 juin 1944 : Les Allemands

acheminent 50 805 autres Juifs hongrois à Auschwitz.

• 14 juin 1944 : Deux mille Juifs de Corfou (Grèce) sont déportés à Auschwitz. • Le résistant juif Léon

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Séparés les uns des autres, les membres d’une famille cherchaient des moyens de maintenir le contact et de prendre des nouvelles. La plupart des nouvelles cependant, brisaient le cœur. Est reproduite ici une lettre de Marian Watnicki à son frère Mietek, à Auschwitz. Marian raconte à Mietek que, si quelques membres de la famille se trouvent dans un camp de concentration, d’autres sont morts ou disparus. Détenu en tant que prisonnier politique, Mietek réussit à cacher à ses gardiens qu’il était juif.



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Sylvester Stadler commandait le régiment SS Der Führer qui assassina 634 personnes, dont des Juifs, dans le village français d’Oradoursur-Glane. Les victimes furent rassemblées dans l’église du village, puis massacrées, en représailles à la mort d’un officier SS abattu par la Résistance.

Ces 38 écolières comptaient parmi les 634 victimes du régiment SS Der Führer, le 10 juin 1944, à Oradour-sur-Glane, en France. Dans leurs représailles, les nazis tuaient en général femmes et enfants, estimant que l’impact sur la Résistance serait plus fort.

Sakkis est abattu par une mitrailleuse allemande tandis qu’il aide un camarade blessé en Thessalie (Grèce).

• 16 juin 1944 : Les habitants du ghetto

de Lodz, en Pologne, reçoivent l’ordre de « s’inscrire volontairement pour le travail à l’extérieur du ghetto. » En réalité, il n’y aucun travail, mais seulement la mort au camp d’extermination de Chelmno, en

Pologne, où les Allemands prévoient d’assassiner 3 000 Juifs par semaine, pendant trois semaines. • En France, l’historien juif Marc Bloch, dirigeant du groupe de résistants Francs-tireurs et partisans (FTP), est exécuté par des soldats allemands. • Les forces allemandes commencent à battre en retraite au-delà de la Douve (Cotentin).

• 17 juin 1944 : Les Juifs de Budapest (Hongrie) sont confinés dans des « immeubles juifs » désignés. • Été 1944 : Plus de 500 Juifs sont

secrètement protégés par l’industriel Oskar Schindler.

• 22 juin 1944 : L’Armée rouge lance une offensive sur 300 kilomètres sur

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ACTES

DÉSESPÉRÉS

La Libération de la France conduisit, entre autres, à l’arrestation de ceux qui avaient collaboré avec les Allemands. Certains furent poursuivis en justice, d’autres furent exécutés sommairement par la Résistance. Ici, des collaborateurs sont regroupés dans une ville française non identifiée. Un jeune Français jugé coupable de collaboration avec l’ennemi est fusillé par un peloton d’exécution à Grenoble. Il fut l’un des six habitants de cette ville fusillés ce jour-là.

Les faux papiers étaient indispensables pour les Juifs cachés dans la population non juive. Cette carte d’identité française, détenue par Lina Donoff, la faisait passer pour Denise Alice Joséphine Rochard. La mère de Lina fit faire cette carte pour protéger sa fille de la déportation. Des faux papiers de ce genre n’étaient pas rares et apportaient souvent à leurs détenteurs la protection souhaitée. Ce qui, bien évidemment, souligne l’absurdité de l’affirmation nazie selon laquelle les Juifs étaient instantanément reconnaissables à leurs caractéristiques physiques.

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les fronts baltes et biélorusses. La première cible est Vitebsk (Biélorussie) située sur la ligne de chemin de fer Riga-Moscou. • Les SS ferment le camp de concentration de Riga-Kaiserwald, en Lettonie.

• 23 juin 1944 : Reprise des opérations au camp de la mort de Chelmno. • Les Alliés apprennent que plus de 430 000

Juifs hongrois ont été déportés à Auschwitz et assassinés depuis le mois de mai. Il ne reste que 300 000 Juifs en vie en Hongrie. • Une délégation de la CroixRouge, qui visite le camp / ghetto de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie, est apparemment abusée par l’atmosphère superficiellement affable. Cependant, presque simultanément, la CroixRouge envoie à la Hongrie une protes-

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ACTES

DÉSESPÉRÉS

L’Amérique et les Juifs Le 6 juin 1944, les soldats américains précipitèrent la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe en rejoignant les troupes britanniques et canadiennes, le jour J du débarquement en Normandie. Seule la défaite de l’Allemagne nazie allait stopper la Shoah, et les États-Unis jouèrent un rôle décisif dans l’écrasement du Troisième Reich. Néanmoins, le gouvernement américain ne fit jamais du sauvetage des Juifs européens une priorité absolue. L’Allemagne ne déclara la guerre aux États-Unis que le 11 décembre 1941. À cette date, les Einsatzgruppen avaient déjà abattu plusieurs centaines de milliers de Juifs européens ; les opérations de gazage avaient commencé à Chelmno, en Pologne, et les nazis avaient assassiné près d’un million de Juifs depuis le début de l’année 1941. Qualifiant le « meurtre en masse systématique des Juifs » de « crimes les plus noirs de toute l’histoire », le président américain Franklin Roosevelt (photo) prit l’engagement, le 24 mars 1944, que les assassins ne demeureraient pas « impunis. » Le sort tragique des Juifs d’Europe ne fut cependant jamais considéré comme une raison déterminante de l’entrée en guerre de l’Amérique. Sur une plaque apposée sur la statue de la

tation officielle contre la déportation des Juifs hongrois.

• 24 juin 1944 : L’armée de l’air

américaine déclare que le bombardement des voies ferrées menant à Auschwitz est « irréalisable » parce qu’il ne pourrait se faire qu’en détournant des soutiens aériens d’ « opérations décisives » en cours, par exemple, le bombardement des usines alle-

Liberté à New York, figurent les mots de la poétesse juive américaine Emma Lazarus : « Donnemoi tes pauvres, tes exténués, Qui en rangs pressés aspirent à vivre libres, Le rebut de tes rivages surpeuplés ». En dépit de ces mots, de puissants courants antisémites, opposés à l’immigration et, à l’époque, isolationnistes, déferlèrent aux États-Unis. Au cours des trois années et demi durant lesquelles le pays mena la guerre contre l’Allemagne nazie, le Département d’État n’autorisa que 21 000 réfugiés à pénétrer dans le pays, à peine 10% de ceux qui auraient pu légalement être admis en vertu des quotas en vigueur, déjà très restrictifs. Ce ne fut qu’à l’été 1944 que les États-Unis prirent des dispositions spéciales pour amener des réfugiés juifs en Amérique, dispositions d’ailleurs inadéquates. Roosevelt donna pour instruc-

mandes d’essence synthétique. Le fait est que nombre de ces usines sont situées près d’Auschwitz. • Les amoureux Edward Galinski, un Polonais non juif, et Mala Zimetbaum, juive, s’évadent d’AuschwitzBirkenau dans des uniformes SS volés et restent en liberté pendant deux semaines.

• 25 juin 1944 : Le pape Pie XII

envoie un télégramme à l’amiral

tions que le groupe « comprendrait un pourcentage raisonnable des diverses catégories de populations persécutées. » Le 9 juin 1944, il annonça que 1 000 réfugiés supplémentaires, en plus du quota d’immigration, seraient accueillis temporairement dans un « abri d’urgence pour les réfugiés », à Fort Ontario, des installations militaires archaïques situées à une soixantaine de kilomètres au nord-ouest de Syracuse, dans l’État de New York. 982 personnes arrivèrent effectivement, dont 89% étaient juives. L’antisémitisme étant largement répandu aux États-Unis, les attitudes américaines à l’égard de ce geste purement symbolique furent mitigées. De 1938 à 1941, les sondages d’opinion indiquaient qu’un tiers à la moitié des Américains avaient le sentiment que les Juifs disposaient de « trop de pouvoir aux ÉtatsUnis. » Après 1941, et tout au long des années de guerre de l’Amérique, le pourcentage de personnes en accord avec cette affirmation atteignit les 50%. Tandis que les Américains menaient la guerre qui allait vaincre l’Allemagne nazie et mettre fin à la Shoah, 15 à 24% des personnes interrogées déclarèrent que les Juifs représentaient « une menace pour l’Amérique. »

Miklós Horthy lui demandant de stopper la déportation « vers une destination inconnue » de Hongrois à cause de leur race. Le pape n’utilise pas le mot « Juif » dans ses messages.

• 27 juin 1944 : L’un des chefs de la résistance juive en France, David « Dodo » Donoff, âgé de 24 ans, est abattu près de Lyon.

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ACTES

DÉSESPÉRÉS

Theresienstadt Le 4 juin 1942, Pavel Friedmann, âgé de 21 ans, terminait un poème sur le dernier papillon qu’il avait vu. « Les papillons, concluait l’écrivain juif, ne vivent pas ici, dans le ghetto. » Quelques semaines auparavant, les Allemands avaient déporté Friedmann à Terezin (Theresienstadt en allemand), la ville militaire fortifiée de Tchécoslovaquie où ils avaient commencé à parquer les Juifs tchèques dans des ghettos à l’automne 1941. Un an plus tard, 50 000 Juifs luttaient pour survivre dans les conditions en détérioration constante de Theresienstadt. Theresienstadt devint aussi un camp de concentration et de transit pour les Juifs d’Allemagne et d’Europe occidentale qui furent ultérieurement déportés à Auschwitz. Vers la mi-mai, les nazis embellirent temporairement Theresienstadt pour abuser les délégués de la Croix-Rouge en visite et réaliser un film de propagande représentant le ghetto comme un cadeau d’Hitler aux Juifs. La réalité était fort différente. Sur plus de 140 000 Juifs envoyés à Theresienstadt, plus de 33 000 périrent et environ 88 000 furent déportés et assassinés. Seulement 20 000 environ survécurent. Les Juifs de Theresienstadt comptaient parmi eux de nombreux artistes, écrivains, scientifiques, musiciens, intellectuels et professeurs de Tchécoslovaquie, Allemagne et Autriche. Durant leur séjour à Theresienstadt, des enfants et des jeunes gens écrivirent des poèmes sur leurs sentiments et produisirent des dessins représentant leurs expériences. Pavel Friedmann mourut à Auschwitz, le 29 septembre 1944, mais son poème intitulé « Je n’ai plus jamais vu un autre papillon » illustre les expressions artistiques de Theresienstadt.

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Ces enfants, qui semblent avoir été bien traités, furent photographiés dans un jardin à Theresienstadt. Les nazis créèrent ce ghetto et camp de concentration « modèle » en Tchécoslovaquie, en partie comme un stratagème de propagande destiné à donner l’impression que les camps nazis étaient des endroits plaisants. Ce fut le seul camp dont les nazis autorisèrent la visite à des étrangers, notamment des représentants de la Croix-Rouge internationale. Sur les 15 000 enfants qui furent internés dans ce camp, une centaine seulement survécurent à la guerre.

Cette photo extraite d’un film de propagande sur Theresienstadt, intitulé Le Führer donne une ville aux Juifs, montre des femmes et des enfants lisant dans leurs baraquements, début 1944. Plusieurs organismes sociaux, en particulier la Croix-Rouge, furent escortés durant leur visite à Theresienstadt. Les nazis insistaient sur le fait que les Juifs vivaient bien, alors que la plupart des détenus allaient être abattus. Sur les 140 000 prisonniers qui passèrent par Theresienstadt, 90 000 furent conduits dans des camps de la mort, en premier lieu, Auschwitz.

• 28 juin 1944: Alors que l’Armée rouge

s’approche du camp de concentration de Maly Trostinets, en Biélorussie, près de Minsk, les troupes SS régulières remplacent les gardes auxiliaires SS non allemands. Tous les prisonniers survivants – Juifs et civils russes non juifs – sont parqués dans un baraquement qui est incendié. Les prisonniers qui tentent de sortir du bâtiment en flammes sont abattus.

Une vingtaine de Juifs du camp / ghetto de Theresienstadt (Tchécoslovaquie) à Maly Trostinets s’évadent dans les bois ; voir 4 juillet 1944. • Fermeture du camp de concentration de prisonniers de guerre soviétiques de Vaivara, en Estonie.

• 30 juin 1944 : Les fours crématoires d’Auschwitz fonctionnent à pleine capacité avec l’arrivée de 2 044 Juifs de

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ACTES

DÉSESPÉRÉS

Marc Bloch, éminent historien juif français, est l’auteur de L’étrange défaite, une analyse des causes de la défaite de la France, en 1940. Il fut également l’un des chefs de la Résistance à Lyon où il fut arrêté, torturé et fusillé, le 16 juin 1944, dix jours après le débarquement des Alliés en Normandie.

Attestant la méticulosité des médecins nazis, ce document daté de fin juin 1944 était attaché à la tête d’un enfant tsigane âgé de 12 ans. Signé par Josef Mengele et envoyé de l’infirmerie du camp tsigane d’Auschwitz, il demandait que la tête fasse l’objet d’un examen plus approfondi.

En juin 1944, les Juifs demeurant à Budapest, en Hongrie, furent contraints d’emménager dans des maisons marquées d’une étoile juive. À compter du 8 novembre 1944, environ 70 000 Juifs hongrois furent contraints par les SS et les fascistes hongrois des Croix fléchées de marcher depuis Budapest jusqu’à la frontière autrichienne. Des milliers de Juifs de Budapest périrent durant ces marches de la mort.

Corfou et d’Athènes (Grèce). Vers la fin de la journée, les paratonnerres installés sur les cheminées des crématoires sont gauchis par la chaleur produite par les fours.

•Juillet 1944 : Des partisans juifs

soviétiques de Pologne et de Lituanie opèrent derrière les lignes du front à Lublin (Pologne) et Kovno, Vilnius et

Siauliai (Lituanie), tandis que les troupes soviétiques approchent depuis l’est. • L’Armée rouge libère Lvov, en Ukraine. • Les SS achèvent l’évacuation du camp de la mort de Majdanek. • Les SS évacuent le camp de concentration de Kovno, en Lituanie. • Le lieutenant-colonel Murray C. Bernays, un Juif américain, est chargé par la section des affaires civiles de l’armée américaine de recueillir

des témoignages sur les crimes de guerre perpétrés contre les militaires américains. Bernays commence par définir le nazisme en tant que conspiration criminelle, concept qui sera déterminant pour le tribunal de Nuremberg de 1945-46. • La Suisse, pays neutre, met fin aux normes très restrictives de l’immigration juive en vigueur de longue date et admet tous les réfugiés juifs se présentant aux frontières. 537

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Sont représentés ici les dirigeants du FPO (Fareynikte Partisaner Organzatsye), Organisation unifiée de partisans. Le FPO tenta en vain de préparer le ghetto de Vilnius (Lituanie) à la libération : les membres du groupe furent contraints de battre en retraite dans les forêts voisines et d’y organiser la résistance.

Les premiers enfants arrivèrent à Auschwitz en juin 1940, mais ce fut durant les six derniers mois de 1944 qu’arriva le plus grand nombre. Ici, des enfants polonais regardent dehors par la clôture en barbelés d’Auschwitz. Les enfants polonais et russes considérés comme dotés de caractéristiques physiques « aryennes » – cheveux blonds et yeux bleus – étaient arrachés à leurs parents et envoyés dans les bureaux de Réinstallation. Des milliers d’enfants polonais, garçons et filles, furent détenus à Auschwitz avant d’être transférés en Allemagne pendant la Heuaktion (Action des foins).

1944 538

Alfred Rosenberg, principal théoricien nazi, ministre du Reich pour les Territoires occupés de l’Est, était un adepte convaincu des théories sur la supériorité du sang aryen et allemand. Après avoir rédigé de nombreuses brochures racistes – souvent achetées par les Allemands, mais rarement lues – Rosenberg dirigea l’Institut nazi pour l’étude de la question juive, et prévoyait de présider un congrès antijuif international, en juillet 1944.

• 2-3 juillet 1944 : Trois mille Juifs de Vilnius – des travailleurs d’usine et les derniers Juifs de la ville – sont exécutés par les SS près de Ponary.

concernant la constitution d’une Brigade juive combattant dans l’armée britannique, sous un étendard bleu et blanc frappé de l’étoile de David.

• 3 juillet 1944 : L’Armée rouge s’em-

• 4 juillet 1944 : Les unités de l’Armée

pare de Minsk, en Biélorussie. • Le Cabinet de guerre britannique accepte d’examiner la requête du dirigeant sioniste Haïm Weizmann

rouge atteignent le camp de concentration de Maly Trostinets, en Biélorussie. Une vingtaine de Juifs évadés dans les bois six mois plus tôt sont pris par les soldats de

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Les potences de Vught, aux PaysBas, dominent le paysage, symbole du tournant radical intervenu en 1943 dans ce camp de transit et de travail lorsque le SS-Sturmbannführer Adam Grünewald en prit le commandement. Des partisans belges et néerlandais furent pendus à ces potences. Le nombre de prisonniers de Vught ne cessa de diminuer à partir de la mi-1943, lorsque les nazis voulurent exterminer tous les Juifs qui y étaient internés. Début mai 1943, le camp comprenait 8 684 prisonniers juifs ; il en restait moins de 500 au début de l’été 1944. La plupart des Juifs de Vught furent envoyés à la mort à Auschwitz et Sobibor, via Westerbork.

La Croix-Rouge En dépit de sa vocation humanitaire dans le monde, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), dont le siège se trouve en Suisse, n’investit que des efforts sporadiques pour aider les Juifs d’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Les responsables de la Croix-Rouge craignaient qu’une condamnation publique des atrocités nazies ne se retourne contre eux et ne mette en péril le travail de l’organisation en faveur des prisonniers de guerre et des internés civils. Le CICR était convaincu qu’il ne pouvait pas faire grand-chose pour véritablement sauver des Juifs. Incapable même de

l’Armée rouge ; voir 1946. • Un millier de femmes juives d’Auschwitz sont envoyées à Hambourg, en Allemagne pour déblayer les décombres des édifices endommagés par les bombardements alliés. • 250 détenus, pour la plupart des Juifs français du camp d’Alderney dans les Îles anglo-normandes occupées, sont tués par des coups de feu tirés de bâtiments de guerre britanniques alors qu’ils sont transportés sur le continent.

connaître le sort de la plupart des déportés, le CICR tenta de soulager les souffrances en envoyant quelques colis de vivres, de vêtements et de médicaments aux détenus dont on connaissait le lieu de détention. Les envois ne parvinrent pas à ceux qui en avaient le plus besoin. Les nazis firent obstruction à la plupart des tentatives de la Croix-Rouge de visiter les camps de concentration et d’extermination. Ce ne fut qu’après des pressions croissantes qu’en 1944, les nazis autorisèrent à contrecœur la Croix-Rouge à inspecter le camp / ghetto de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie. L’« inspection », cependant, ne fut qu’une masca-

• 4-5 juillet 1944 : 2 565 Juifs de Pápa, en Hongrie, sont envoyés à Auschwitz, juste au moment où le gouvernement hongrois est prêt à s’opposer aux Allemands en cessant les déportations. 30 seulement des 2 800 Juifs de Pápa survivront à la guerre. • 7 juillet 1944 : Le premier ministre britannique Winston Churchill informe le ministre des Affaires étrangères

rade, les nazis ayant brièvement transformé la prison en un confortable ghetto « modèle ». Abusés, les inspecteurs de la Croix-Rouge rédigèrent un rapport favorable sur les conditions. Le CICR protégea plus efficacement les Juifs grâce au travail de son représentant à Budapest, Friedrich Born, qui participa aux efforts internationaux investis pour mettre fin aux déportations depuis la Hongrie, en 1944. Plus de 50 ans après la Shoah, les responsables de la Croix-Rouge internationale reconnaissaient qu’on aurait pu et dû agir davantage et que les piètres efforts de l’organisation traduisaient un « échec moral ».

Anthony Eden qu’il est favorable au bombardement d’Auschwitz par la Royal Air Force. Du 7 juillet 1944 au 19 janvier 1945, les Alliés bombarderont des cibles industrielles situées près d’Auschwitz, au moins à quatre reprises, y compris le bombardement accidentel d’Auschwitz.

• 8 juillet 1944 : Le gouvernement

hongrois déclare à Berlin qu’il a l’intention de stopper les déportations de 539

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Illustrant la cruauté de la vie, même au camp de travail de Vught aux Pays-Bas, cette table de dissection était utilisée lors de l’autopsie de prisonniers. Pour certains détenus, notamment ceux qui travaillaient pour la société Philips (fabricant de composants électriques), le camp offrait une meilleure chance de survie, dans la mesure où Philips cherchait à protéger ses travailleurs et leur fournissait une nourriture adéquate. Entre autres maladies, la pneumonie et la scarlatine se répandaient rapidement dans le camp, au fur et à mesure que les conditions empiraient.

Le complot contre Hitler Le 20 juillet 1944, près d’Adolf Hitler, le colonel Claus von Stauffenberg faisait exploser une bombe qui n’endommagea que les tympans du Führer, le blessa au bras droit et le brûla sans le tuer. L’échec de cette tentative d’éliminer Hitler déclencha une réaction immédiate et sanglante. Les conspirateurs comptaient dans leurs rangs d’importants personnages de l’establishment militaire allemand. Ils cherchaient à mettre fin à « la direction incompétente et sans scrupules » d’Hitler. Stauffenberg ayant directement accès à Hitler, il sembla tout désigné pour assassiner le dirigeant allemand. Après l’explosion de la bombe, les conspirateurs crurent avoir réussi à tuer Hitler. Ils allèrent prendre le contrôle du ministère de la Guerre à Berlin et donner l’ordre d’arrêter les dirigeants nazis et les membres de la SS. La survie miraculeuse d’Hitler, cependant, contrecarra les projets de renverser le régime nazi. La vengeance d’Hitler fut rapide et violente. Les participants au complot furent arrêtés et pendus avec du fil de fer, mourant dans de terribles souffrances. Les exécutions furent filmées pour Hitler qui, dit-on, se réjouit de regarder les hommes se tordre de douleur. Plus de 7 000 autres personnes furent capturées par la Gestapo, dont 200 furent exécutées.

1944 540

Juifs dans ses frontières. Quelque 300 000 Juifs (dont plus de 170 000 à Budapest et dans les environs) sont sauvés, mais plus de 430 000 ont déjà été assassinés. • Marianne Cohn, une militante juive qui aidait les Juifs à passer de France en Suisse, est exécutée par les Allemands à VilleLa-Grand.

Officier allemand, Claus von Stauffenberg déposa la bombe destinée à tuer Hitler. Stauffenberg, héros de guerre issu d’une prestigieuse famille aristocratique, avait été gravement blessé. Mais, comme la plupart des Allemands conservateurs impliqués dans le complot du 20 juillet, il estimait qu’Hitler était « allé trop loin. » Il fut exécuté par un peloton d’exécution après l’échec du complot.

• 8-13 juillet 1944 : Les troupes de

l’Armée rouge et des partisans juifs tuent environ 8 000 soldats allemands à Vilnius.

• 9 juillet 1944 : Le diplomate suédois

Raoul Wallenberg arrive à Budapest avec une liste de plus de 600 Juifs hongrois munis de visas suédois en règle. Avec l’aide d’autres diplomates en Hongrie,

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Le bras droit tremblant après l’explosion, Hitler inspecte les conséquences de l’attentat du 20 juillet. À la droite d’Hitler, se tient son allié, Benito Mussolini, le dictateur italien destitué qui évita la prison grâce à une opération de sauvetage ordonnée par Hitler. Entre eux, se trouve Paul Schmidt, diplomate et interprète personnel d’Hitler. Schmidt écrivit par la suite un essai décrivant la personnalité d’Hitler.

Ludwig Beck était le chef d’état-major de l’armée allemande. Accueillant à l’origine favorablement la prise du pouvoir en Allemagne par Hitler, Beck craignit une guerre prolongée et démissionna de ses fonctions en 1938. Par la suite, il participa au « club du mercredi » qui regroupait des intellectuels, des économistes et des hommes politiques opposés à Hitler. Étant l’un des principaux conjurés du 20 juillet, Beck était considéré comme un candidat potentiel pour remplacer Hitler à la tête de l’État allemand. Avant d’être arrêté, il manqua une tentative de suicide. Un soldat du bataillon de la garde l’acheva.

d’un soutien financier extérieur et grâce à son propre courage et sa propre imagination, Wallenberg sauva des dizaines de milliers de Juifs hongrois.

• 10 juillet 1944 : Trente Juifs sont

abattus après avoir été découverts dans la partie aryenne de Varsovie.

• 12 juillet 1944 : Sur les 8 000 Juifs

Carl Friedrich Goerdeler, ancien maire de Leipzig, en Allemagne, et ancien dignitaire nazi, fut impliqué dans la tentative d’assassinat d’Hitler. Goerdeler, élément unificateur parmi les conspirateurs de juillet, avait l’intention de devenir chancelier allemand, en remplacement d’Hitler, si le complot avait réussi. Il fut arrêté, jugé devant le tribunal du peuple et exécuté en février 1945.

demeurant dans le ghetto de Kovno, en Lituanie, plusieurs sont massacrés et le ghetto est incendié. Non loin, un menuisier lituanien nommé Jan Pauvlavicius donne refuge à, au moins, huit Juifs de Kovno dans une cachette qu’il a construite dans sa cave.

• Les Allemands assassinent plusieurs centaines de prisonniers de guerre et de partisans juifs dans le Vercors (Alpes françaises) • 42 Juifs travaillant dans les ateliers de la prison de Pawiak à Varsovie sont exécutés par les Allemands qui s’attendent à une attaque de l’Armée rouge.

• 14 juillet 1944 : Des Juifs hongrois déte-

• 15 juillet 1944 : Les Allemands

nus au camp de travail de Reval, en Estonie, sont abattus dans une forêt voisine.

déportent 7 000 Juifs du ghetto de Siauliai (Lituanie) dans le camp de 541

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Le général de corps d’armée Friedrich Olbricht était l’un des chefs du haut commandement de l’armée. Profondément religieux et aimant l’Allemagne, Olbricht prit l’initiative du complot contre Hitler de juillet 1944 et l’organisa. Le 15 juillet, date originelle choisie pour attenter à la vie du Führer, Olbricht se compromit en ordonnant prématurément aux troupes de marcher sur Berlin. Il fut blâmé pour cette action et arrêté lorsque le complot échoua le 20 juillet. Olbricht fut fusillé par un peloton d’exécution quelques heures plus tard, en même temps que Claus von Stauffenberg, autre conjuré.

Otto Mueller comptait parmi les théologiens catholiques romains les plus influents d’Allemagne. Il créa la Maison Ketteler qui devint le cœur des activités catholiques antinazies de la ville de Cologne. Cet acte le mit en conflit avec des courants de l’Église catholique qui haïssaient et redoutaient les forces sociales prétendument incarnées par les Juifs : libéralisme, socialisme et – la pire de toutes – le communisme. La relation entre l’Église catholique allemande et le gouvernement d’Hitler commença, en 1933, dans l’ambivalence (plutôt que dans l’hostilité) et se poursuivit de la même façon. Mueller n’en continua pas moins ses efforts et devint bien connu des autorités nazies. Il fut arrêté après le coup manqué contre Hitler, le 20 juillet 1944 et mourut en prison.

Roland Freisler (au centre) présida le Volksgericht (tribunal du peuple) de 1942 à 1945. Ici, il ouvre le procès des conspirateurs du 20 juillet. Nazi de longue date, Freisler était fanatiquement antibolchevique, après avoir été fait prisonnier par les Russes pendant la Première Guerre mondiale et détenu pendant cinq ans en Sibérie. Il se rendit célèbre pour les réprimandes qu’il adressait aux inculpés lors des procès. Freisler fut tué par une bombe des Alliés le 3 février 1945, alors qu’il présidait le procès d’un conspirateur du complot du 20 juillet.

1944 542

concentration de Stutthof, en Allemagne. Une centaine de Juifs sont laissés en arrière et tués là où ils se trouvent ; voir 27 juillet 1944.

• 19 juillet 1944 : Mille deux cents Juifs hongrois de Kistarcsa sont emmenés dans des camions à Rákoscsaba, en Hongrie, puis en train pour Auschwitz. • Angelo Roncalli, le futur pape Jean

XXIII, lance un appel à l’amiral Miklós Horthy en faveur de 5 000 Juifs hongrois disposant de visas palestiniens. Roncalli fournit des certificats de baptême à des Juifs cachés.

• 20 juillet 1944 : Des membres du

haut commandement allemand et des conservateurs organisent un attentat à la bombe contre Hitler dans le

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

« Il ne fait aucun doute qu’il s’agit du crime le plus colossal et le plus horrible jamais commis dans toute l’histoire du monde. » —Le premier ministre britannique Winston Churchill, à propos des atrocités dans les camps d’extermination, été 1944 Le camp de la mort de Majdanek en Pologne orientale fut le premier camp libéré par les Alliés, le 23 juillet 1944. Cette photo, prise à Majdanek, montre des corps exhumés par les Allemands qui espéraient les brûler avant l’arrivée des Russes. Souvent, comme ce fut le cas ici, les offensives soviétiques se déroulaient si rapidement que l’Armée rouge apparaissait avant que les Allemands aient pu achever leur sinistre tâche.

Les nazis utilisèrent souvent des incinérateurs, comme ceux-ci à Majdanek, pour brûler les corps de leurs victimes. À la fin, cependant, le nombre de victimes s’avéra trop important, même avec cette méthode relativement « efficace » pour faire disparaître les corps. Les Alliés trouvèrent plusieurs centaines de milliers de cadavres dans les camps qu’ils libérèrent. À Theresienstadt, le ghetto et camp de concentration « modèle » des Allemands en Tchécoslovaquie, plusieurs expériences furent tentées pour créer une illusion de normalité. Cette photo du plateau d’un film de propagande allemand, montre l’orchestre des « Swingers du ghetto ». Les « Swingers » n’étaient certainement pas aussi libres que le suggère cette photo, mais Theresienstadt hébergeait un cercle musical animé qui produisit certaines œuvres remarquables comme l’opéra de Victor Ullman sur un livret de Peter Kien, Der Kaiser von Atlantis, (L’empereur de l’Atlantide) ; la sonate pour piano d’Ullman n° 6, opus 49 ; et l’opéra pour enfants de Hans Karasa, Bundibar. « repaire du loup » à Rastenburg, en Allemagne. Protégé de la bombe par une table en bois massif, Hitler est secoué, provisoirement assourdi, mais pas grièvement blessé. La majeure partie des conspirateurs et leurs partisans sont des conservateurs qui estiment qu’Hitler mène l’Allemagne à sa perte en continuant la guerre en dépit d’obstacles insur-

montables. • Les troupes allemandes commencent les déportations des Juifs des îles italiennes (par la suite grecques) de Rhodes et Kos.

• 21 juillet 1944 : Les troupes soviétiques se dirigent à vive allure vers Brest-Litovsk, en Biélorussie, et Lublin, en Pologne.

• 22 juillet 1944 : Les survivants d’une exécution en masse de travailleurs juifs, le 13 juillet, à Bialystok (Pologne), gagnent les lignes de l’Armée rouge après avoir rampé pendant neuf nuits. • Les troupes allemandes se retirent de la forêt de Parczew (Pologne) où eurent lieu d’innombrables recherches de fugitifs juifs et de partisans. • L’Armée rouge occupe Chelm (Pologne), à l’est de Lublin. 543

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Ces corps partiellement brûlés racontent la macabre histoire de Maly Trostinets, un village situé près de Minsk, en Biélorussie, où les derniers déportés du ghetto de Minsk trouvèrent la mort. À l’approche des forces soviétiques, les Allemands exécutèrent à la hâte des prisonniers qui avaient été utilisés pour détruire les traces de milliers d’autres morts. Les prisonniers, aussi bien des Juifs que des civils russes non juifs, furent parqués dans un baraquement et les Allemands y mirent le feu. En dépit des efforts nazis, quelques Juifs survécurent pour raconter les massacres en masse perpétrés à Maly Trostinets et dans le village voisin de Bolshoi Trostinets.

Des soldats russes et des civils polonais, y compris une religieuse, sont accablés par la douleur et l’horreur devant les ruines du camp de la mort de Majdanek. Les administrateurs du camp, craignant d’être capturés et redoutant que la finalité du camp ne soit révélée, s’enfuirent hâtivement en juillet 1944 avant l’arrivée de l’armée russe, emmenant avec eux un millier de prisonniers. Ils mirent le feu au camp, espérant détruire les traces de leurs crimes, mais ne parvinrent pas à effacer les chambres à gaz, témoignage majeur des objectifs du camp. Ce monceau d’ossements fournissent une macabre preuve du nombre de morts à Majdanek. Pendant plusieurs années, à la fois camp de concentration et camp de la mort, Majdanek reçut environ 500 000 détenus dont 360 000, pour la plupart juifs, périrent gazés, pendus, ou par suite de la faim, des maladies et de l’excès de travail. Lorsque l’Armée rouge libéra le camp, les soldats ne trouvèrent qu’environ 500 détenus encore en vie.

1944 544

• 23 juillet 1944 : Les troupes sovié-

tiques libèrent le camp de Majdanek abandonné où environ 500 détenus sont encore en vie. • Les nazis déportent à Auschwitz 1 700 Juifs de Rhodes (sous domination italienne).

agents de la Gestapo et des miliciens massacrent 36 Juifs (28 hommes et 8 femmes) actifs dans la Résistance. Certaines victimes sont jetées vivantes dans un puits. • L’armée allemande adopte le salut nazi, abandonnant le salut militaire ordinaire.

• 24 juillet 1944 : 258 orphelins juifs de Paris et de la banlieue sont appréhendés. • À Bourges (dans le Cher), des

• 25 juillet 1944 : Trois navires-citernes transportant plus 1 600 Juifs de l’île de

1944

ACTES

DÉSESPÉRÉS

LIBÉRATION DES PRINCIPAUX CAMPS DE CONCENTRATION, 1944–1945 N

mer Baltique

mer du Nord

Sachsenhausen



Bergen-Belsen avril 1945

avril 1945

Od

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 Dora-Mittelbau

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GRANDE ALLEMAGNE

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Majdanek juillet 1944

Auschwitz janvier 1945



PROTECTORAT DE BOHÊME & MORAVIE



GENERALGOUVERNEMENT

 Libéré par les États-Unis  Libéré par la Grande-Bretagne    et le Canada Ginskirchen Mauthausen  Libéré par l’Union soviétique  mai 1945 mai 1945 Landsberg 0 150 miles Ebensee avril 1945 Ebensee

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SUISSE

Bu

Gross-Rosen février 1945

avril 1945  Buchenwald avril 1945 Ghetto de Ohrdruf avril 1945  Theresienstadt Flossenbürg avril 1945

mai 1945

le

Ruhr

Stutthof Ravensbrück  avril 1945

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Westerbork avril 1945

PAYS-BAS

REICHSKOMMISSARIAT OSTLAND Nema n

Neuengamme mai 1945

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Le 9 novembre 1942, 4 000 Juifs de Lublin, en Pologne, furent les premiers à périr dans les chambres à gaz de Majdanek. À l’instar d’Auschwitz, l’usine de la mort de Majdanek utilisait le pesticide Zyklon B pour assassiner les victimes. Ici, en 1944, deux employés du camp portent des boîtes de cristaux qui, à la température de la pièce, se transformeront en gaz mortel. Ces deux Allemands furent par la suite exécutés pour les crimes qu’ils avaient commis au camp.



ube Dachau avril 1945

Gusen mai 1945

mai 1945 May

0

150 kilomètres

Les troupes alliées avançant en Allemagne arrivèrent dans les camps de concentration nazis et libérèrent les prisonniers. Les Soviétiques découvrirent d’abord les atrocités de Majdanek, près de Lublin (Pologne), le 23 juillet 1944, tandis que les troupes américaines virent pour la première fois les atrocités de la Shoah à Ohrdruf, en Allemagne, le 4 avril 1945.

Bien que de nombreuses personnes en Allemagne et en Europe occupée fussent au courant de ce qui arrivait aux Juifs, les nazis s’efforcèrent de cacher leur crimes. Les étrangers, par exemple, étaient dissuadés de s’approcher des camps et il était quasiment impossible d’en visiter un. Ce panneau à Majdanek, rédigé en allemand et en polonais, dit : « Attention ! Périmètre du camp. Stop ! Interdiction de photographier ! Tirs sans sommation ! »

Rhodes (sous domination italienne) s’arrêtent à l’île de Kos où 94 autres Juifs sont contraints d’embarquer ; voir 30 juillet 1944. • Trente et une fausses cartes postales de déportés arrivent au ghetto de Lodz (Pologne). Les auteurs affirment avoir été réinstallés avec bonheur, alors qu’en réalité, ils ont été gazés à Chelmno. • Hitler nomme Joseph Goebbels ministre du Reich pour la guerre totale. • Lord Walter Moyne, princi-

pal responsable britannique au MoyenOrient, finit par approuver l’entraînement militaire par les Britanniques de Juifs palestiniens qui seront envoyés dans des missions suicides dans l’Europe occupée. Il écrit : « Ce projet ferait partir de Palestine un certain nombre de Juifs actifs et ingénieux… Les chances que nombre d’entre eux reviennent à l’avenir causer des troubles en Palestine semblent faibles. »

• 27 juillet 1944 : Libération de Siauliai, en Lituanie, par l’Armée rouge, 12 jours après la déportation de 7 000 Juifs de l’endroit et le meurtre de 100 autres sur place. • Libération de Dvinsk (Lettonie) par l’Union soviétique. • La Wehrmacht quitte Lvov, en Ukraine. Seuls, quelques Juifs de la ville, dont plusieurs se sont cachés dans les égouts, ont survécu à l’occupation allemande. 545

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Les nazis ne cherchaient pas seulement à exterminer tout Juif en Europe, mais également à supprimer les preuves que les Juifs aient un jour existé. Cette photographie montre deux soldats de l’Armée rouge inspectant un rouleau de la Torah en partie brûlé, vestige de la culture que le Troisième Reich cherchait à détruire. Le rouleau fut retrouvé lorsque les troupes soviétiques libérèrent le camp de la mort de Majdanek.

Cette jeune femme, l’une des quelque 20 000 Tsiganes enregistrées à Auschwitz-Birkenau, est photographiée sous divers angles comme pour une photographie d’identité judiciaire. Le traitement réservé à la jeune femme par les nazis fut déterminé en partie par la « pureté » ou le « mélange » de son sang. Paradoxalement, ceux qui étaient considérés comme Mischlinge (sangs mêlés) souffrirent davantage que les « purs » Tsiganes curieusement considérés comme Aryens. Ceux qui se trouvaient dans le camp pour familles, peut-être cette jeune femme elle-même, furent envoyés à la mort durant l’été 1944.

1944

• 28 juillet 1944 : L’Armée rouge s’em• 29 juillet 1944 : 3 520 Juifs de Varsovie sont astreints à une marche de la mort vers l’ouest. Plus de 200 périssent.

sous contrôle italien, arrivent au Pirée, en Grèce, où les passagers sont entassés dans des camions et conduits au camp de détention de Haidar, près d’Athènes. • Plus de 100 Juifs de Toulouse sont déportés à Auschwitz.

• 30 juillet 1944 : Trois bateaux-

• 31 juillet 1944 : Parmi les 1 300

pare de Brest-Litovsk, en Biélorussie.

citernes transportant quelque 1 750 Juifs des îles de Kos et de Rhodes, 546

Quelques semaines après le débarquement, le secrétaire d’État à la guerre L. Stimson, montre fièrement la progression alliée en territoire sous occupation nazie. Après avoir visité plusieurs fronts, Stimson informa le peuple américain, dans un discours radiodiffusé, que la victoire était en vue, malgré les ripostes acharnées de l’ennemi. Bien plus acharnées d’ailleurs que Stimson ne l’imaginait : quoique le jour J ait effectivement marqué le début de la marche des Alliés vers la victoire, les troupes allemandes résistèrent pendant encore 11 mois extrêmement éprouvants. Encouragés par Hitler, les Waffen-SS et la Wehrmacht en déroute détruisirent souvent ce qu’ils ne pouvaient défendre, privant les Alliés de logements, d’essence et d’autres matériels.

Juifs déportés de Drancy (nord-est de Paris) à Auschwitz, se trouvent 258

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

La politique britannique en Palestine

Ce dessin d’un survivant de la Shoah, Gyorgy Kadar, exprime les conditions extrêmes de la vie dans les camps de concentration, notamment le contraste entre les prisonniers décharnés et démoralisés, et le garde du camp bien nourri et arrogant. Si certains gardes ne maltraitaient pas ouvertement les détenus, d’autres utilisaient leur position de pouvoir pour infliger des châtiments et des humiliations sadiques aux hommes et aux femmes sous leur contrôle. Un comportement de ce type, bien qu’alimenté par l’antisémitisme et attisé par des années de guerre, provenait aussi de certaines sombres failles de la conscience humaine où s’étaient enracinés la force brute, la soif de domination et le mépris complet pour la dignité et la vie d’un « ennemi » désarmé. enfants juifs raflés dans Paris et la banlieue le 24 juillet. À leur arrivée au camp, 500 enfants et 300 adultes sont gazés. C’est le dernier convoi de Juifs du camp de Drancy à Auschwitz. Au total, au départ de Drancy, 73 853 Juifs auront été conduits à la mort à Auschwitz et Sobibor.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la politique britannique en Palestine se fondait sur le Livre blanc de mai 1939. Ce document officiel émanant du gouvernement revenait sur le soutien accordé de longue date par la Grande-Bretagne à un État juif et fixait des règles draconiennes pour les transferts de terres en Palestine. La clause du Livre blanc qui affecta le plus les Juifs européens était celle qui limitait l’immigration juive. Redoutant une escalade de la violence en Palestine, le gouvernement restreignit l’immigration juive à 75 000 personnes sur une période de cinq ans. Après ces cinq années, la poursuite de l’immigration serait soumise à l’approbation des Arabes. Ne souscrivant qu’en paroles à l’idée de fournir aux Juifs d’Europe un refuge, la Grande-Bretagne ne mena jamais une politique délibérée qui aurait permis la création d’un tel havre au Moyen-Orient. Pendant les deux premières années de la guerre, la Grande-Bretagne interdit aux réfugiés juifs l’accès aux routes d’évasion. Des bateaux chargés de personnes qui fuyaient la persécution nazie se virent refuser l’entrée en Palestine et retournèrent dans les pays dangereux d’où ils venaient. Le ministre britannique des Affaires étrangères, Anthony Eden, était particulièrement résolu dans son refus de faire de la Palestine un refuge pour les Juifs. Indirectement du moins, les Britanniques contribuèrent à la mort de plusieurs dizaines de milliers de Juifs.

• Fin juillet 1944 : Le Juif français

Maurice Löwenberg, fondateur du groupe de résistance Mouvement de libération national, est torturé à mort par la Gestapo. • Le général SS Richard Baer devient le nouveau commandant d’Auschwitz. • 46 000 détenus juifs sont gazés et incinérés à Auschwitz.

• Août 1944 : Des Juifs non

pratiquants libérés à Berlin en 1943 sont à nouveau arrêtés et déportés à Auschwitz. • Auschwitz III (usine de caoutchouc synthétique) est bombardé par les appareils alliés basés en Italie. • Soulèvements juifs à Castres et Mazamet, dans le Tarn. • À cette date, il ne reste que 4 000 Tsiganes en vie dans la Grande Allemagne. 547

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Anne Frank et les Juifs des Pays-Bas Sur les 140 000 Juifs vivant aux Pays-Bas lorsque cette nation fut envahie par les nazis, en mai 1940, 75% périrent par la suite. 5 200 Juifs seulement sur plus de 100 000 qui furent déportés vers l’Est survécurent à la guerre. La population juive des Pays-Bas comprenait également plus de 14 000 Juifs d’Allemagne qui, tentant d’échapper aux nazis, avaient franchi la frontière. Parmi eux, Anne Frank, âgée de 11 ans, et sa famille s’installèrent à Amsterdam. Les Frank, qui avaient quitté l’Allemagne en 1933, se retrouvèrent subitement pris au piège par la conquête des Pays-Bas par les nazis. Lorsque les rafles et les déportations commencèrent, en 1942, les Frank, se cachèrent. Pendant deux ans, Anne et sa sœur, sa mère et son père vécurent secrètement dans un minuscule espace mansardé qu’ils partageaient avec quatre autres personnes. Ils dépendaient d’amis non juifs qui risquaient leur propre sécurité pour les approvisionner. Dans un journal qu’elle reçut pour son 13ème anniversaire, Anne nota les émotions, les appréhensions et les difficultés quotidiennes de l’existence pénible du groupe. En août 1944, cependant, un informateur anonyme révéla leur cachette à la police. Les SS arrêtèrent les huit Juifs et les transférèrent au camp de transit de Westerbork ; de là, les prisonniers furent emmenés à Auschwitz. Edith, la mère d’Anne, y périt en janvier 1945. Après avoir contracté le typhus, Anne et sa sœur Margot moururent à Bergen-Belsen, en mars 1945. Leur père, Otto, survécut et, par la suite, publia le remarquable et désormais célèbre journal d’Anne.

1944 548

Voici la maison, située au 263 Prinsengracht dans laquelle Anne Frank et sa famille se cachèrent pendant environ deux ans. Mais finalement, un informateur déclara aux autorités locales que des Juifs se cachaient dans la maison. Le 4 août 1944, les SS et la police de la Sûreté arrêtèrent les huit personnes cachées dans « l’annexe secrète » de la maison. Ils arrêtèrent également deux des personnes qui les avaient aidés, Victor Kugler et Johannes Kleiman. Anne fut transférée à Auschwitz le 3 septembre et fut par la suite envoyée au camp de Bergen-Belsen, en Allemagne. Elle y mourut au début du printemps 1945, quelques semaines à peine avant la libération du camp par les Britanniques. L’escalier menant à « l’annexe secrète » d’Anne Frank était dissimulé derrière une bibliothèque. Cacher des Juifs était une entreprise extrêmement difficile et périlleuse ; il fallait souvent prendre des mesures compliquées pour assurer le succès de la dissimulation.

• 1er août 1944 : L’Armée rouge libère

Kovno, en Lituanie. Pendant la libération, des habitants non juifs assassinent Jan Pauvlavicius, un charpentier de la ville qui avait donné abri à des Juifs trois semaines plus tôt. • À Pise, en Italie, le philanthrope catholique Giuseppe Pardo Roques, quatre non Juifs et sept Juifs qu’il avait hébergés sont assassinés par les nazis.

• 1er août-4 octobre 1944 : La Résistance

polonaise et un millier de Juifs se révoltent contre les Allemands à Varsovie. Le New York Times publie, presque chaque jour, de longs récits de ce soulèvement, certains à la une. Les Alliés font de grands efforts pour aider les Polonais, tout en étant conscients que le parachutage de matériel de guerre à Varsovie aboutirait à de lourdes pertes aériennes

1944

Est représenté ici le journal, probablement le plus célèbre de l’histoire, celui d’Anne Frank. L’adolescente tint ce journal du 12 juin 1942 au 1er août 1944. Publié pour la première fois en 1947, ce journal décrit non seulement les expériences exceptionnelles vécues par la famille durant ces années de dissimulation, mais également la vie intérieure d’une jeune fille véritablement remarquable. Le 15 juillet 1944, elle écrivit : « Malgré tout, je continue à croire à la bonté innée de l’homme. »



ACTES

DÉSESPÉRÉS

« Nous, Juifs, n’avons pas le droit de faire valoir notre sentiment; il ne nous reste qu’à être forts et courageux, à accepter tous les inconvénients sans rouspéter, à nous en tenir à ce qui est en notre pouvoir, en faisant confiance à Dieu. Un jour, cette terrible guerre prendra fin, un jour, nous serons des gens comme les autres, et non pas seulement des Juifs. » —Anne Frank, 11 avril 1944

Anne Frank était, à bien des égards, une jeune fille typique qui tentait de se raccrocher à quelque chose qui ressemblerait à une vie normale. Sur ce mur de sa chambre, elle avait apposé des photos de vedettes de cinéma, ainsi que des cartes postales décrivant un monde extérieur qu’il lui était interdit de fréquenter.

et à la saisie par les Allemands de la majeure partie du matériel parachuté. Une centaine de bombardiers sont retirés d’autres opérations militaires pendant deux mois, ce qui interrompt la campagne stratégique des Alliés consistant à bombarder l’Allemagne.

• 2 août 1944 : 2 897 Tsiganes sont assassinés à Auschwitz.

• 2-30 août 1944 : Au moins 60 000

Juifs du ghetto de Lodz (Pologne) sont déportés à Auschwitz.

• 4 août 1944 : Des Juifs de Varsovie sont

évacués par un train de la mort au camp de concentration de Dachau, en Allemagne ; voir 9 août 1944. • À Amsterdam, agissant sur un renseignement fourni par un informateur de quartier, un briga-

dier SS – un Autrichien nommé Karl Silberbauer – et cinq membres de la Police de la sûreté néerlandaise font irruption dans l’annexe secrète où se cachent la jeune auteur Anne Frank et sa famille au 263 Prinsengracht. Tous sont arrêtés ; voir 3-5 septembre 1944.

• 5 août 1944 : Les forces polonaises libèrent le camp de Gesiowka, dans

549

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Une longue file de Juifs s’étend du ghetto de Lodz (Pologne) vers la gare pour la déportation à Auschwitz. Le 7 août 1944, Hans Biebow, l’administrateur du ghetto, annonça aux Juifs rassemblés le « transfert du ghetto » pour le travail dans des usines de munitions et autres industries de guerre. Pour entretenir la duperie et calmer les craintes, Biebow demanda même aux déportés d’emporter des ustensiles, des casseroles, etc., afin qu’ils puissent reprendre la vie de famille, une fois arrivés à destination. Joop Westerweel (photo), un Néerlandais non juif, et Joachim Simon, juif, supervisèrent une opération clandestine à partir des Pays-Bas. Ils sauvèrent des Juifs néerlandais en leur faisant traverser la frontière française pour les acheminer en Espagne, pays neutre. De là, nombre de ces réfugiés traversèrent l’Atlantique pour trouver abri dans les Amériques. Les nazis finirent par capturer Westerweel et l’exécutèrent le 11 août 1944, mettant fin à cette opération réussie.

En France, la joie de la Libération fut suivie par un déferlement de colère contre les nazis et leurs collaborateurs. À Laval, en Bretagne, cette femme, accusée d’avoir aidé les Allemands, est contrainte par des résistants et la population locale de marcher à travers la ville en arborant une grande croix gammée sur ses vêtements.

1944 550

leur pays, et libèrent 324 Juifs et 24 Juives.

• 6 août 1944 : Devant la progression de l’Armée rouge vers l’Ouest, les SS commencent à transférer les détenus des camps de concentration de Pologne orientale dans le camp de Stutthof, en Allemagne.

• 6-8 août 1944 : Quarante-quatre

Juifs détenus dans le camp de Kaiserwald, près de Riga (Lettonie), sont chargés sur des bateaux pour un voyage de deux jours le long de la côte balte à Stutthof, en Allemagne.

• 9 août 1944 : Un train de la mort de Var-

sovie en route pour Dachau (Allemagne) depuis le 4 août arrive au camp ; 2 000 des 3 600 passagers ont péri en route.

1944

Des tanks allemands circulent dans les rues de Banská Bystrica, en Slovaquie, tandis que des soldats allemands et hongrois pronazis sont alignés le long du trottoir. Interrompue en octobre 1942, la déportation des Juifs reprit après l’échec du soulèvement contre la garde Hlinka et les nazis, à l’automne 1944. Si certains Juifs parvinrent à se cacher, d’autres furent découverts et massacrés. Plus de 13 000 furent envoyés à Auschwitz et dans d’autres camps.



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Le comité juif antifasciste Créé à Moscou en avril 1942, l’Evreiski Antifashistski Komitet (comité juif antifasciste) fut approuvé par le dirigeant soviétique Joseph Staline parce qu’il tentait de gagner le soutien des Juifs du monde à l’Union soviétique pendant la guerre. Le comité diffusa de la propagande antifasciste et répondit également aux besoins proprement juifs. Son magazine en yiddish, Eynikeyt (Unité), rapportait les atrocités perpétrées par les nazis pendant la Shoah et donnait des informations sur la vie juive en Union soviétique pendant et après la Shoah. D’éminents dirigeants de ce comité furent des personnalités du monde littéraire et intellectuel yiddish, comme Bernard Mark, historien juif ; Ilya Grigoryevich Ehrenbourg, auteur du Livre noir du judaïsme soviétique, qui détaillait les atrocités nazies contre les Juifs soviétiques ; Shlomo Mikhoels, directeur du théâtre national juif de Moscou ; et l’éminent écrivain Peretz Markish (photo). Le comité fut détruit en 1948 lors des purges et des assassinats des intellectuels juifs par Staline. Nombre d’entre eux étaient encore à la tête du comité, notamment Mikhoels et Fefer.

Achevant leur long périple vers la liberté, les Juifs du « train Kasztner » arrivent en Suisse. Portant le nom de Rezso Kasztner, l’un des dirigeants du comité de sauvetage et de secours de Budapest, le voyage avait été organisé par le comité après de longues négociations avec les nazis dans le cadre de la transaction appelée « des Juifs contre des camions ». Bien que l’accord portant sur l’échange de camions et d’autres marchandises contre la vie des Juifs de Hongrie n’ait pas abouti, le comité réussit à mettre en sûreté ce groupe de 1 684 Juifs.

• 15 août-25 août 1944 : Soulèvement général à Paris qui est libéré par les Alliés le 25 août.

• 16 août 1944 : Arrivée à Auschwitz

d’un train de déportation transportant des Juifs des îles de Rhodes et de Kos, sous domination italienne.

• 17 août 1944 : Départ pour Buchen-

wald du dernier convoi de Drancy avec 51 Juifs.

• 20 août 1944 : L’armée de l’Air des

États-Unis bombarde Auschwitz III (usine d’essence et de caoutchouc), à moins de 5 kilomètres d’Auschwitz I (camp principal) et à 8 kilomètres de Birkenau, le camp de la mort d’Auschwitz. 127 bombardiers escortés par

100 avions de chasse (qui n’affrontent que 19 appareils allemands) larguent plus de 1 300 bombes de plus de 200 kilos. Un seul bombardier est abattu.

• 22 août 1944 : La Gestapo lance une campagne de terreur, l’opération Orage, contre les fonctionnaires allemands antinazis. Cinq mille personnes sont arrêtées. • 261 bombardiers des

551

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Fort Ontario À partir d’août 1944, Fort Ontario à Oswego, dans l’État de New York, offrit un abri à 982 réfugiés, pour la plupart juifs, originaires de 17 pays. Libérés par les Alliés dans le sud de l’Italie, ils reçurent asile dans le « port franc » à condition qu’ils retourneraient dans leurs patries respectives à la fin de la guerre. Le nombre de détenus était limité pour apaiser les craintes que les États-Unis ne soient submergés par un afflux de réfugiés juifs sans le sou à la fin de la guerre. Confinées dans le camp, plusieurs personnes se désespéraient. Une mère, dont les deux fils avaient émigré précédemment et combattaient dans l’armée américaine, était confrontée au dilemme navrant de ne plus jamais les revoir si elle était rapatriée. La femme du président, Eleanor Roosevelt, était profondément touchée par le sort douloureux des réfugiés, mais fit remarquer « qu’en temps de guerre, les gens ne sont pas logiques et le Congrès agit comme le souhaitent les habitants. »

1944

Avec des étiquettes attachées à leurs vêtements, des réfugiés arrivent au camp de Fort Ontario, dans l’État de New York. Ouvert en 1944, ce camp servit de refuge temporaire à près d’un millier de Juifs européens, ainsi qu’à quelques non Juifs. Ayant peu d’espoir de rester aux États-Unis après la guerre, les réfugiés étaient démoralisés et anxieux pour leur avenir. En décembre 1945, le président Harry Truman leva les restrictions, autorisant les réfugiés à demeurer aux États-Unis s’ils le souhaitaient.

Yohovet et Abraham Alcana, des Juifs séfarades de l’île de Rhodes, posent solennellement pour le photographe. Les efforts des nazis pour éliminer les Juifs de l’île s’intensifièrent durant l’été 1944, lorsque Adolf Eichmann envoya son assistant, Anton Burger, à Rhodes. Les Juifs furent rassemblés à divers endroits et envoyés par bateau à Athènes où ils furent emprisonnés avant d’être acheminés à Auschwitz. Abraham, âgé de 70 ans et Yohovet, âgée de 60 ans, furent parmi ceux que les nazis considérèrent comme trop vieux pour travailler. Ils furent dirigés vers les chambres à gaz à leur arrivée à Auschwitz. États-Unis lançant un raid aérien contre des raffineries de pétrole allemandes passent à 60 kilomètres d’Auschwitz.

• 23 août 1944 : Renversement du régime du dictateur roumain Ion Antonescu. La Roumanie rejoint les Alliés. • 24 août 1944 : Trois mille travailleurs réduits en esclavage sont assassinés à

552

Mielec, en Pologne. • Une rescapée juive de la ville de Lvov libérée (Ukraine) note dans son journal que 3% seulement des Juifs de la région sont encore en vie.

• 25 août 1944 : Reddition des forces

allemandes à Paris. Un grand nombre de Juifs rejoignent les Forces françaises libres dans les combats

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

L’une des choses qui firent d’Auschwitz le camp le plus terrifiant était la sélection effectuée dès l’arrivée des prisonniers. Cette photographie montre un SS décidant qui mourra immédiatement dans les chambres à gaz et qui travaillera jusqu’à la mort en tant qu’esclave de la « race supérieure. » Enfants et femmes enceintes, qui représentaient l’avenir de la « race » juive, furent systématiquement sélectionnés pour les chambres à gaz.

Les détenus des camps de concentration et des camps de la mort subissaient une « vie en commun » la plus rigoureuse et la plus avilissante. L’idée même d’intimité, qui aurait pu donner aux prisonniers un soupçon d’espoir ou de dignité, était une impossibilité compte tenu des objectifs mêmes des camps. Cette rangée de latrines non isolées, à Auschwitz comme ailleurs, obligeait les détenus à se soulager le plus vite possible, en particulier parce que certains gardiens profitaient de ces brefs instants pour infliger d’abjectes humiliations.

Il était interdit – et extrêmement dangereux – de photographier ce qui se passait dans les camps de la mort. Mais les membres de la Résistance considéraient comme une priorité absolue de conserver des traces de ce qui se passait, afin que personne ne puisse douter des témoignages sur ce que les nazis avaient infligé aux Juifs d’Europe. Cette photographie d’un groupe de femmes conduites aux chambres à gaz d’Auschwitz fut prise par un membre de la Résistance. Toutes ces femmes périrent peu après la prise de la photo. pour la libération de Lyon. • Adolf Eichmann et son équipe quittent la Hongrie, ce qui met fin aux déportations des Juifs hongrois par les nazis.

• 28 août 1944 : À l’approche des

troupes soviétiques venant de l’est, les camps de travail de Narva, Reval et Klooga, sur la côte estonienne, sont évacués vers le sud par bateau au camp de Stutthof, en Allemagne.

• 29 août 1944 : Plus de 800 Juifs assi-

gnés au travail sont transportés d’Auschwitz au camp de Sachsenhausen, en Allemagne, pour travailler dans les usines des environs. Ailleurs, en Allemagne, environ 72 Juifs – des malades ou des femmes enceintes – sont emmenés d’un camp de travail près de Leipzig et acheminés jusqu’aux chambres à gaz d’Auschwitz.

• 31 août-3 septembre 1944 : Les

Juifs auparavant internés au camp de travail de Nováky se battent contre les Allemands au cours d’un soulèvement des Slovaques. Au total, plus de 1 500 Juifs rejoignent 16 000 soldats slovaques et partisans. Une femme juive, Edita Katz, qui commandait un bataillon de partisans, couvre la retraite de ses hommes avec une 553

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Pourquoi Auschwitz ne fut-il pas bombardé ? Le 9 août 1944, John McCloy, le secrétaire adjoint à la Guerre, aux États-Unis, reçut un message d’Ernst Frischer, un Juif membre du Conseil national tchécoslovaque en exil à Londres. Frischer demandait qu’Auschwitz soit bombardé. Dans les milieux Juifs comme chez les Alliés, l’opinion était divisée sur la possibilité de réaliser une telle action, mais l’appel de Frischer n’était ni le premier ni le dernier dans ce sens. McCloy reconnaissait les « motifs humanitaires » inspirant la requête, ce qui ne l’empêcha pas de la rejeter. « Une étude », affirma-t-il, montrait que le bombardement d’Auschwitz, « nécessiterait de détourner un soutien aérien considérable ». Un bombardement serait d’une « efficacité incertaine » et risquerait de provoquer une action encore plus vindicative de la part des Allemands. » Les arguments peu précis de McCloy masquaient la politique confidentielle préparée en janvier par le département de la Guerre. Les forces américaines ne seraient pas « utilisées pour sauver des victimes de l’oppression ennemie, à moins que de tels sauvetages soient le résultat direct d’opérations militaires menées en vue de vaincre les forces armées de l’ennemi. » En juin 1944, les Alliés commencèrent à envisager le bombardement des usines de fabrication d’essence et de caoutchouc synthétiques liées à Auschwitz. Par la suite, des photographies aériennes prises au cours de missions de reconnaissance montrèrent le complexe d’Auschwitz. Durant un raid effectué le 20 août, des appareils américains larguèrent 1 336 bombes de plus de 220 kg sur le site des usines, à moins de 8 km des chambres à gaz d’Auschwitz. La controverse demeure à propos de la réticence à bombarder Auschwitz. Il semble aujourd’hui évident qu’un bombardement au printemps et à l’été 1944 eût sauvé de nombreuses vies.

1944

Des soldats russes sont joyeusement accueillis par les Roumains à Bucarest, en août 1944. Mais la libération intervenait trop tard pour des centaines de milliers de Juifs roumains qui furent massacrés par des antisémites autochtones et des Einsatzgruppen allemands. Au total, plus de 420 000 Juifs de Roumanie périrent sous la domination nazie.

Les missions aériennes de reconnaissance des Alliés volèrent régulièrement au-dessus du camp de la mort d’Auschwitz et le photographièrent. Les fours crématoires et les chambres à gaz, ainsi que de nombreux baraquements et tours de contrôle sont nettement visibles. On aperçoit même quelques prisonniers et les voies ferrées qui amenaient les victimes au camp. Les Alliés, qui décidèrent que le meilleur moyen de mettre fin aux atrocités commises à Auschwitz était de terminer rapidement la guerre, ne firent aucun effort pour bombarder le camp.

mitrailleuse et des grenades à main jusqu’à ce qu’elle soit tuée par les Allemands et la Garde Hlinka. Un autre partisan juif, Tibor Cifea, est abattu par les Allemands qui le laissent pendu pendant trois jours.

• Septembre 1944 : Cinq mille femmes et

cinq cents hommes sont évacués d’Auschwitz vers le nord, à Stutthof, en Allemagne.

554

Trois mille femmes détenues à Auschwitz sont évacuées vers le nord-ouest à Neuengamme, en Allemagne. • Après le bombardement par les Américains des usines d’Auschwitz, les SS accordent aux détenus d’excellents soins médicaux, ainsi que des fleurs et du chocolat – ruse de propagande destinée aux médias allemands. Une fois guéris, les détenus sont exterminés. • À Przemysl (Pologne),

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Abattus, des officiers de la Wehrmacht sont assis dans le hall de l’hôtel Majestic, leur ancien QG à Paris. Le commandant allemand de Paris, le général Dietrich von Choltitz, ignora l’ordre d’Hitler de détruire la ville, estimant que ce serait un acte dénué de valeur et accablant. Après quelques combats, son armée se rendit aux premières forces françaises entrées dans Paris le 25 août 1944, la deuxième Division blindée (2ème DB) commandée par le général Jacques Leclerc. Quatre ans de domination allemande en France prirent fin lorsque la Wehrmacht vaincue battit en retraite. Le général Charles de Gaulle marche en tête du défilé victorieux de l’Arc de triomphe aux Champs-Élysées, à Paris, le 26 août 1944. Symbole imposant de la volonté française de vaincre les nazis, de Gaulle devint le chef du gouvernement provisoire de la France à la fin du mois.

Célébrant la libération de Paris tant attendue, le 25 août 1944, des jeunes femmes radieuses embrassent un soldat allié. S’adressant aux habitants de la capitale, le général Charles de Gaulle, chef des forces françaises libres, proclama fièrement : « Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé, mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple. » la Gestapo et les SS exécutent huit membres d’une famille polonaise non juive, ainsi qu’une petite fille juive après les avoir tous découverts en train de jouer ensemble dans une cour. • Winston Churchill, partisan de l’idée depuis le début, ordonne enfin la création d’une Brigade juive de Juifs palestiniens dans l’armée britannique. Le ministre des Affaires étrangères, Anthony Eden, continue à s’y opposer.

• Début septembre 1944 : À Auschwitz, la

détenue Gisella Perl observe un vieux Juif néerlandais tendre au chef d’une équipe de travail une sacoche de diamants en échange de quelques pommes de terre crues. Les mains tremblantes, l’homme mange immédiatement les pommes de terre.

• 2 septembre 1944 : Environ 2 000 Juifs déportés de Plaszów (Pologne)

sont gazés à Auschwitz.

• 3 septembre 1944 : Libération de Bruxelles (Belgique) par les troupes alliées. • Les Alliés commencent à évacuer par avion les Juifs des régions de Yougoslavie sous le contrôle des partisans pour les acheminer en Italie, pays occupé par les Alliés. • Un officier de police italien nommé Giovanni Pala555

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

En août 1944, la résistance polonaise, désormais en grande partie non juive, se révolta contre les troupes allemandes dans la ville de Varsovie. Quelques victoires au début, comme la capture de ces soldats allemands (photo), revêtirent une grande importance psychologique, et les Polonais furent ensuite encouragés par la proximité des troupes soviétiques. Au lieu d’envoyer ses forces à Varsovie le plus rapidement possible, le dirigeant soviétique Joseph Staline ordonna à ses troupes d’attendre à l’extérieur de la ville, jusqu’à ce que les Allemands aient écrasé le soulèvement. Cependant, en septembre, Staline autorisa effectivement les avions britanniques et américains à utiliser les terrains d’aviation soviétiques pour larguer des vivres et du matériel aux Polonais en difficulté. Une grande partie de ce qui fut parachuté tomba entre des mains allemandes et Staline suspendit l’usage des terrains d’aviation russes par les Alliés, au bout d’une semaine seulement. D’autres vols des Alliés, partis de Foggia, en Italie, furent aperçus par des Juifs et d’autres personnes internées à Auschwitz. En octobre, la révolte de Varsovie avait été écrasée.

1944 556

tucci, arrêté dans la ville yougoslave de Fiume pour avoir aidé des Juifs, est envoyé au camp de concentration de Dachau, en Allemagne, où il meurt.

• 3-5 septembre 1944 : Anne Frank

fait partie des 1 019 Juifs déportés à Auschwitz dans le dernier convoi du camp de Westerbork, aux Pays-Bas ; voir 6 septembre 1944.

• 4 septembre 1944 : À Lugos, en

Hongrie, des centaines de Juifs sont massacrés par les fascistes hongrois. • Les Alliés s’emparent du port d’Anvers, en Belgique.

• 5 septembre 1944 : De fausses rumeurs sur l’imminente libération des Pays-Bas suscitent la fuite des nazis néerlandais. Cette journée est appelée

1944

Ce Schutzpass (sauf-conduit) fut délivré à Lili Katz, une Juive hongroise, par des représentants suédois à Budapest. Le Schutzpass protégeait le détenteur de la déportation vers une mort quasi certaine dans l’un des camps. On remarquera le « W » en bas à gauche, indiquant qu’il fut délivré par Raoul Wallenberg.



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Klaus Barbie Chef de la Gestapo, à Lyon, Klaus Barbie fut un nazi convaincu remplissant ses fonctions impitoyablement et jusqu’à la fin. Barbie supervisa le dernier convoi de Juifs de Lyon à Auschwitz, début août 1944, quelques semaines seulement avant la libération de la ville par les Alliés. Quelques mois auparavant, en avril, Barbie avait envoyé 41 enfants juifs d’Izieu au camp. L’opiniâtreté de Barbie à déporter les Juifs n’avait d’égal que son acharnement à traquer les membres de la Résistance française. Sur son ordre, par exemple, le chef de la Résistance Jean Moulin fut capturé et torturé. Après la guerre, Barbie s’enfuit en Bolivie où, sous un nom d’emprunt, il tenta d’échapper à la justice. Après des années d’efforts investis par des organisations juives, il fut extradé en France. Barbie, le « boucher de Lyon », fut jugé en 1987 pour crimes contre l’humanité. Il fut condamné à la prison à vie et mourut en 1991 en détention.

Les Alliés œuvrèrent de concert pour réunir des preuves des crimes contre l’humanité perpétrés par les Allemands. Ici, des enquêteurs russes examinent les corps exhumés de quelques victimes du camp de Treblinka, en Pologne. Malgré tous leurs efforts, les nazis ne purent camoufler leurs crimes atroces et des photos comme celle-ci furent utilisées aux procès de Nuremberg et dans d’autres procès pour crimes de guerre.

le Dolle Dinsdag (mardi fou). • Les SS ferment le camp de concentration de s’Hertogenbosch, aux Pays-Bas.

• 6 septembre 1944 : Zalman Gradowski,

membre d’un Sonderkommando à Auschwitz, enterre le journal de la vie au camp qu’il a tenu depuis son arrivée en février 1943. • Un Einsatzkommando commandé par le capitaine SS Hauser pénètre à

Topolcany, en Slovaquie, pour réprimer un soulèvement juif. Plusieurs dirigeants de la communauté juive locale sont arrêtés et assassinés, entre autres, l’ancien vice-maire Karl Pollak et son épouse, et Moritz Hochberger, attaqués par des soldats SS. • 549 Juifs néerlandais du convoi d’Anne Frank sont gazés. Anne est provisoirement sauvée, parce qu’elle a 15 ans. Si elle n’en avait eu que 14, elle aurait été

tuée immédiatement. Comme pour tous les autres prisonniers, un numéro est inscrit sur son bras et sa tête est rasée ; voir 30 octobre 1944.

• 7 septembre 1944 : Les autorités

hongroises autorisent Ottó Komoly, un Juif, à louer des immeubles à Budapest pour y protéger des enfants juifs. Komoly protègera finalement 557

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Les enfants et la Shoah Les traitements barbares administrés de sang-froid aux enfants juifs durant la Shoah relèvent du mal absolu. Non seulement les bouchers nazis et leurs complices massacrèrent plus d’un million d’enfants juifs, mais ils en mirent d’innombrables autres dans des situations qu’aucun être humain, encore moins un enfant, ne devrait connaître. La création des ghettos en Pologne marqua un profond changement dans la vie des enfants juifs. Toute caractéristique de l’enfance – l’innocence, la liberté et la sécurité – était absente de leur vie. La désintégration de la cellule familiale dans les ghettos signifiait que les parents ne pouvaient plus assurer la subsistance de leurs enfants ou les protéger. Des dizaines de milliers de Juifs succombèrent, victimes de la faim et des maladies. Un observateur contemporain s’exclama que les changements les plus douloureux affectaient le visage des enfants. Ils étaient « exténués au dernier degré par la misère, le manque de nourriture, de vitamines, d’air et d’exercices ; [leurs visages étaient] défigurés par les soucis écrasants, l’anxiété, les malheurs, les souffrances et les maladies. » Lorsque les épidémies faisaient rage dans les ghettos et que les parents étaient déportés, des milliers d’enfants devenaient orphelins. L’absence d’équipements sanitaires, de nourriture suffisante et d’abri adéquat rédui-

1944 558

sait nombre d’entre eux à errer dans les rues. Selon Haïm Kaplan, du ghetto de Varsovie, chaque matin, « on pouvait voir leurs petits corps gelés dans les rues du ghetto. » Un rapport sur la situation sociale, rédigé en février 1942, résumait la situation comme suit : « La faim, la maladie et la misère sont leurs compagnons de tous les instants, et la mort est l’unique visiteur de leur foyer. » L’interminable politique de terreur pratiquée par les nazis fit des ravages chez les enfants juifs. La plupart passèrent leur vie tragiquement brève sans jouer dans un jardin ou dans une piscine. Pire encore, la fermeture des

5 000 enfants dans 35 immeubles ; voir début 1945.

• 9 septembre 1944 : Des SS gardant les

travailleurs de la carrière du camp de Mauthausen, en Autriche, torturent et assassinent 39 Néerlandais, sept Britanniques et un agent secret américain. • Depuis le début des déportations du ghetto de Lodz (Pologne) au camp de la

écoles dans les ghettos priva les jeunes de la stimulation intellectuelle indispensable à l’enfance. Une fois la « solution finale » commencée, en 1941, seuls les Juifs qui pouvaient travailler furent gardés en vie. Comme les enfants ne pouvaient assumer aucune tâche productive, la plupart furent assassinés immédiatement à leur arrivée dans les camps. Les jeunes qui purent se faire passer pour des adultes survécurent au tristement célèbre processus de sélection. Quoi qu’il en soit, les centres d’extermination brûlèrent impitoyablement les enfants juifs. Des pré-adolescents accompagnaient leurs mères dans les chambres à gaz, tandis que les bébés étaient souvent jetés dans des fosses remplies de corps en train de brûler. Les jeunes qui survécurent au processus de sélection furent réduits en esclavage. Ils furent alors affamés, battus et contraints à travailler jusqu’à la mort. Selon les mots de Jack Rubinfeld, un rescapé des camps : « Je devais serrer les dents et supporter, tenter de montrer que j’étais solide, que j’étais exactement comme les adultes. » Le système de terreur nazi supprima brutalement l’idée même d’enfance pour des millions de Juifs. Ceux qui survécurent, par exemple Aljoscha Lebedew (photo), vécurent avec l’horreur pour le restant de leurs jours.

mort de Chelmno, le 23 juin 1944, 775 montres-bracelets et 550 montres de gousset ont été volées aux Juifs avant leur mort.

• 10 septembre 1944 : Cinquante-

deux Juifs, faits prisonniers à Topolcany, en Slovaquie, sont contraints par un Einsatzkommando et des unités auxiliaires slovaques de creuser

1944

Le 8 juillet 1944, trois semaines avant la libération du ghetto de Kovno (Lituanie) par les Soviétiques, les nazis débusquèrent les Juifs des bunkers souterrains avec des chiens, des grenades fumigènes et des bombes incendiaires. Deux mille Juifs périssent et quatre mille autres sont déportés dans des camps en Allemagne. Si les Allemands réussirent tant d’opérations en Lituanie, c’est à cause des éléments qui, dans toutes les couches de la société lituanienne, collaborèrent avec eux pour « débarrasser la nation » de la « vermine » juive.



ACTES

DÉSESPÉRÉS

C’est dans le neuvième fort, élément du système de défense d’origine de Kovno, en Lituanie, que les Allemands et les Lituaniens massacrèrent près de 10 000 Juifs en octobre 1941. Par la suite, plusieurs dizaines de milliers d’autres Juifs de toute l’Europe y furent tués également. Cette photographie montre des graffitis laissés par des Juifs avant d’être assassinés. Quelques messages étaient de simples souvenirs, d’autres réclamaient vengeance. D’autres encore soulignaient que les Juifs « mouraient avec fierté pour notre nation juive. » Les soldats de l’armée des États-Unis débarquent avec des approvisionnements sur une plage dans le sud de la France pour soutenir le débarquement des Alliés dans la région, le 30 août 1944. Cette attaque coïncidait avec la poursuite de l’attaque en Normandie. Le débarquement dans le sud libéra par la même occasion les Juifs cachés dans la zone contrôlée par Vichy, mais l’impact sur la Shoah fut limité, la majeure partie des Juifs se trouvant en Europe orientale.

leurs tombes avant leur exécution. Parmi les victimes, six enfants dont un bébé de trois mois.

• 12 septembre 1944 : Des

travailleurs juifs réduits en esclavage près de Lieberose, en Allemagne, sont astreints à construire un centre de vacances pour les officiers allemands ; voir décembre 1944.

• 13 septembre 1944 : Les soviétiques parachutent des vivres aux résistants qui combattent dans Varsovie. L’action est sans effet. • 15 septembre 1944 : Libération de Nancy par les troupes alliées.

• 16 septembre 1944 : La Bulgarie

déclare la guerre à l’Allemagne après un coup d’État communiste.

• 17 septembre 1944 : Les Allemands entreprennent l’évacuation de la mine de cuivre du camp de Bor, en Hongrie. Soixante travailleurs sont abattus pendant la marche et 600 après être arrivés à destination, le four d’une briqueterie à Cservenka, en Hongrie. • Près de Vérone, en Italie, Rita Rosani, une Juive de 23 ans qui dirige un groupe de partisans ita-

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1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Deux femmes à Strasbourg lisent le premier journal français qu’elles ont vu depuis le début de l’Occupation. Derrière elle, sur le mur, une inscription en allemand dit : « Juifs, démocrates et bolcheviques sont les fossoyeurs de l’humanité. C’est pourquoi nous les combattrons jusqu’à la victoire finale. »

Marion Kaufmann (à l’arrière-plan au centre) se trouve au milieu de la famille tsigane qui la cacha et la protégea en septembre 1944. Marion connut des années de peur, de cachette et d’évasion à partir de 1942, lorsqu’elle s’enfuit avec sa mère dans le sud de l’Allemagne. Aidées par des chrétiens à s’évader aux Pays-Bas, elles découvrirent que les nazis occupaient ce pays. Séparée de sa mère, qui se cacha pendant un an dans une grange, Marion trouva refuge auprès de la Résistance jusqu’à la libération par des troupes canadiennes.

1944

Des soldats américains chantent gaiement sur un manège à Verviers, en Belgique. Pour les Juifs belges, la vie n’était pas aussi joyeuse et la libération des nazis ne fut que la première étape d’une longue reconstruction de leur vie. Les rescapés luttèrent pour retrouver des membres de leur famille et récupérer leurs biens confisqués. Durant les mois qui suivirent la libération, les aumôniers juifs des armées alliées et les membres de la Brigade juive aidèrent les survivants à se procurer l’essentiel et à rechercher leurs proches.

liens, est tuée dans un combat contre des troupes allemandes.

• 18 septembre 1944 : Mille quatre cents garçons juifs d’Auschwitz sont emmenés de leurs baraquements dans le block des enfants, puis sont gazés. • 19-23 septembre 1944 : Les troupes

soviétiques se rapprochant, les SS assas560

sinent 2 400 Juifs et 100 prisonniers de guerre soviétiques au camp de travail de Klooga, en Estonie. 85 détenus seulement survivent.

• 22 septembre 1944 : Les troupes soviétiques libèrent Arad, en Roumanie. • 24 septembre 1944 : Alors que les

déportations à Auschwitz connaissent un ralentissement, les nazis gazent 200

1944

Un policier juif serre la main de l’un des mille Juifs qui vont quitter le camp de concentration de Westerbork, aux Pays-Bas, début septembre 1944. Sur les 1 019 prisonniers de Westerbork qui arrivèrent à Auschwitz début septembre, 549 furent immédiatement envoyés dans les chambres à gaz. Parmi ceux qui furent admis dans le camp, se trouvait Anne Frank, la jeune auteur du célèbre journal. Les meurtres allaient se poursuivre à Auschwitz pendant encore cinq mois, fait particulièrement terrible parce que l’aviation alliée avait la capacité de bombarder l’ensemble du camp depuis l’automne 1943.



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Westerbork Créé près de la frontière allemande par le gouvernement néerlandais, Westerbork fut à l’origine un camp pour les réfugiés juifs. En occupant les Pays-Bas, en mai 1940, les nazis firent de Westerbork un camp de transit dont la population changea constamment, tout en maintenant au camp une population stable de travailleurs. À partir de juillet 1942, Westerbork devint, pour 100 000 Juifs néerlandais, une étape sur la route des camps de la mort de l’Est. Les baraquements furent le dernier toit que connurent des milliers de familles, dont celle d’Anne Frank. En général le mardi, des milliers d’hommes et de femmes étaient entassés dans des wagons à bestiaux pour leur dernier voyage. Personne ne fut épargné. Après avoir été témoin de l’infernal processus de la déportation, Etty Hillesum, qui allait ellemême être envoyée à Auschwitz, rapporta qu’« une autre partie de notre camp a été amputée. »

Le camp de transit de Vittel joua un rôle déterminant dans l’assassinat des Juifs de France. Des milliers d’entre eux, dont plusieurs n’étaient pas citoyens français, passèrent par ce camp avant d’être envoyés dans des camps de concentration français plus grands ou à Auschwitz pour y être exterminés. Les personnes photographiées ici faisaient partie des 2 087 prisonniers trouvés à Vittel par les armées alliées qui libérèrent le camp le 12 septembre 1944. membres des Sonderkommandos. Les corps sont brûlés ultérieurement dans la journée. Le nombre total de membres de Sonderkommandos demeurant dans le camp s’élève à 661.

• 26 septembre 1944 : En ce jour de Kippour, 1 000 jeunes garçons sont rassemblés à Auschwitz en présence du docteur Josef Mengele. Tout gar-

çon dont la tête n’atteint pas une planche que Mengele a clouée à un poteau est mis sur le côté pour être gazé ; voir 28 septembre 1944.

• 28 septembre 1944 : Les garçons jugés trop petits par le médecin d’Auschwitz, Josef Mengele, sont gazés. • Après une interruption de quatre mois, les nazis reprennent les déportations à partir du

camp / ghetto de Theresienstadt (Tchécoslovaquie) vers Auschwitz. Parmi les 2 499 prisonniers déportés ce jour-là, Petr Ginz, un adolescent tchèque d’origine juive qui avait dirigé Vedem (En tête), un « magazine » secret créé et distribué dans Theresienstadt. Plus d’un millier de ces 2 499 prisonniers sont gazés immédiatement. • Josef Bürckel, commissaire du Reich en Autriche, se suicide avec sa femme. • Libération du camp 561

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Travail forcé et esclavage Au fur et à mesure que la guerre s’éternisait, les besoins en main-d’œuvre des nazis augmentèrent, tandis que leur réservoir s’épuisait. En 1944, un nombre de plus en plus important d’Allemands furent enrôlés dans l’armée, augmentant encore le besoin de travailleurs. Hésitant à contraindre des femmes (celles de la photo peinaient au camp de Ravensbrück, en Allemagne) à travailler dans les industries de guerre, les nazis tentèrent de combler le fossé en recrutant des travailleurs étrangers. Ceux-ci provenaient de la population civile dans les pays occupés, des rangs des prisonniers de guerre et des Juifs emprisonnés dans les ghettos et les camps de travail. Les contingents fixés début 1944 nécessitèrent la mobilisation de millions de travailleurs supplémentaires affectés à l’effort de guerre. Vers la fin de l’année, plus de neuf millions de civils étrangers et prisonniers de guerre travaillaient dans le Reich. Pendant toute la durée de la guerre, ce chiffre atteignait au moins 12 millions. Les nazis mobilisèrent des travailleurs étrangers (Fremdarbeiter) pour le travail forcé et dans l’agriculture et dans l’industrie, tandis que, dans les camps de concentration, les Juifs trimaient exclusivement au profit de l’industrie allemande. Un décret de 1942 sur la maind’œuvre servile permit à Fritz Sauckel, plénipotentiaire général au recrutement et à l’emploi de la

1944 562

main d’œuvre, de rassembler impitoyablement les « recrues ». Ses agents cueillaient les gens dans les rues, les places, à la sortie des églises et des cinémas pour les déporter en Allemagne. Déterminés par des considérations raciales, le traitement et les conditions de travail de ces travailleurs variaient. Les nazis considéraient les travailleurs d’Europe orientale comme des « sous-hommes » inférieurs, les soumettant à des contrôles draconiens, à des punitions rigoureuses et à un travail exténuant. Contraints à porter des

insignes pour qu’on les reconnaisse, Polonais et Russes recevaient des salaires extrêmement bas, ne pouvaient fréquenter des Allemands et étaient confinés dans leurs baraquements après le travail. Par contre les travailleurs d’Europe occidentale recevaient des salaires plus élevés et un bien meilleur traitement. Bien pire, cependant, était la condition des Juifs en Pologne occupée qui étaient exploités par les nazis dans les ghettos et notamment dans les camps de travail spécialement construits. Sous l’autorité des SS, le taux de mortalité était

de Klooga (Estonie) par les Soviétiques.

• 29 septembre 1944 : Quinze cents

prisonniers du camp / ghetto de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie, sont déportés à Auschwitz. 750 sont gazés à leur arrivée. • Le syndicaliste allemand Wilhelm Leuschner est pendu par les nazis. • Des Juifs se réunissent dans la ville ukrainienne de Kiev libérée pour commé-

extrêmement élevé parmi les détenus qui trimaient 12 heures par jour, sans nourriture ni abri adéquats. Un certain nombre d’industries allemandes profitaient de la main-d’œuvre servile immédiatement disponible en installant leurs usines près des camps de concentration ou même à l’intérieur. Durant la première moitié de 1944, les usines de la région d’Auschwitz se développèrent et utilisèrent, outre les Juifs des prisonniers de guerre. Les usines Krupp réduisaient en esclavage la maind’œuvre pour produire de l’acier. L’entreprise Rheinmetall, de Düsseldorf, qui fabriquait des munitions, s’installa à Buchenwald. I.G. Farben, le géant de la chimie qui produisait des teintures, des explosifs, du caoutchouc synthétique, et de nombreux produits liés à la guerre, créa tout un système de camps annexes près d’Auschwitz, notamment les usines Buna où la main-d’œuvre réduite en esclavage produisait du caoutchouc synthétique et du kérosène. Le camp de travail de Myslowice fournissait 1 300 esclaves aux mines de charbon de Fürstengrube. À Sosnowiec, les prisonniers fabriquaient des canons de fusil et des obus pour les usines OstMaschinenbau Gesellschaft. La société Siemens-Schukert utilisa des enfants pour produire des pièces électriques pour les avions et les sous-marins. Lorsqu’ils étaient épuisés et devenaient inaptes au travail, les travailleurs étaient aisément remplacés.

morer le troisième anniversaire du massacre de leurs frères à Babi Yar (Ukraine) par les nazis.

• Octobre 1944 : Environ 15 000 Juifs du

camp / ghetto de Theresienstadt (Tchécoslovaquie) sont déportés à Auschwitz. • Les Allemands contraignent les prisonniers d’Auschwitz à entreprendre des marches de la mort vers des camps situés

1944

Le camp de concentration de Klooga, situé au nord de l’Estonie, fut créé en 1943. Le 19 septembre 1944, alors que les forces soviétiques approchaient du camp, les nazis eurent recours à ce qui devint la réaction type à la libération imminente : le meurtre précipité, délibéré. Les détenus furent emmenés par groupes dans la forêt voisine et exécutés. Environ 2 400 détenus juifs du camp et une centaine de prisonniers de guerre soviétiques furent assassinés de cette façon. Parmi les victimes, il y avait cette femme enceinte et son enfant pas encore né. Lorsque l’Armée rouge libéra le camp de Klooga (Estonie), le 28 septembre, 85 détenus seulement étaient encore en vie, dont les quatre Russes photographiés ici.

en Allemagne, notamment Dachau, Bergen-Belsen et Sachsenhausen. • Au camp de concentration de Stutthof en Allemagne, début des exécutions de prisonniers juifs. Les premières tueries sont perpétrées de la façon suivante : les détenus sont assemblés dos au mur de l’infirmerie sous prétexte d’examens médicaux. Des fentes dans le mur derrière la tête de chaque détenu permettent de leur tirer

une balle dans le cerveau depuis la pièce voisine. • Il reste quelque 150 jumeaux, pour la plupart des enfants, dans le block médical du docteur Mengele à AuschwitzBirkenau.

• 4 octobre 1944 : Toutes les femmes et tous les enfants d’un train venu de Theresienstadt (Tchécoslovaquie) à Auschwitz sont gazés à l’arrivée.



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Énergique organisateur nazi dans la Sarre et le Palatinat depuis 1925, Josef Bürckel gravit les échelons du pouvoir pour devenir Gauleiter (chef du parti nazi) de la région. Après l’Anschluss (annexion) de l’Autriche en 1938, Bürckel devint Gauleiter de Vienne et Reichstatthalter (gouverneur) d’Autriche. Il œuvra assidûment pour consolider l’union avec l’Allemagne, encourageant notamment les décrets antijuifs et la saisie des biens juifs. Il mourut, probablement en se suicidant, le 28 septembre 1944.

• 6 octobre 1944 : L’Armée rouge pénètre en Hongrie.

• 6-7 octobre 1944 : Des Juifs de Pologne, de Hongrie et de Grèce, membres du Sonderkommando, contraints de transporter les corps gazés au four crématoire d’Auschwitz, attaquent les gardes SS avec des marteaux, des pierres, des pics, des pinces et des haches. Ils font également sauter l’un des 563

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Le soulèvement national slovaque

Petr Ginz, souriant, est photographié ici avec ses parents et sa soeur. Adolescent lorsqu’il fut déporté au camp / ghetto de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie, Petr rejoignit d’autres garçons de talent, dirigés par le professeur Valter Eisinger, pour publier un « magazine » secret appelé Vedem (En tête). Risquant leur vie, ils copièrent méticuleusement, à la main, des dessins, de la poésie et des nouvelles, de nuit, dans leurs baraquements. Puis, ils distribuèrent le magazine dans le ghetto. En septembre 1944, Petr fut l’un des 2 499 prisonniers déportés dans les chambres à gaz d’Auschwitz.

Lorsque les Allemands conquirent la Tchécoslovaquie, en 1938, ils créèrent un territoire conquis appelé le Protectorat de Bohême et de Moravie, ainsi qu’un État fantoche allié à l’Allemagne, appelé Slovaquie. Le gouvernement de Slovaquie, une dictature totalitaire dirigée par le prêtre catholique Jozef Tiso, collabora à la campagne allemande destinée à déporter à Auschwitz les deux-tiers des 90 000 Juifs de Slovaquie. En août 1944, plusieurs groupes, dont le gouvernement tchèque en exil et le parti communiste, appelèrent à une révolte nationale. Seize mille membres de l’armée nationale slovaque y répondirent – comme également un grand nombre de partisans et de Juifs des camps de travail. Au cours d’une bataille sanglante, une unité juive du camp de travail de Nováky combattit vaillamment contre les nazis avant d’être écrasée. La révolte fut réprimée par les nazis, le 27 octobre 1944. Plus de 1 500 Juifs y avaient participé.

1944 564

Inébranlable dans son opposition aux nazis, Wilhelm Leuschner paya de sa vie l’échec de la tentative d’assassinat d’Hitler, en juillet 1944. Avec Julius Leber, Leuschner était à la tête de l’opposition socialiste aux nazis, puis rejoignit le Cercle Kreisau, un réseau de résistance. Ses camarades résistants le nommèrent vice-chancelier du gouvernement qu’ils voulaient établir après le renversement d’Hitler. Après l’échec du complot, il subit un procès truqué devant le Tribunal du peuple, fut condamné à mort et pendu le 29 septembre 1944.

quatre fours crématoires avec des explosifs introduits clandestinement d’une usine de munitions voisine. Des prisonniers de guerre russes jettent un SS vivant dans un four crématoire. Les SS ripostent avec des mitrailleuses, des grenades à main et des chiens. 250 Juifs sont abattus à l’extérieur des barbelés du camp. 12 autres qui tentent de s’évader seront repris et exécutés ; voir 9 octobre 1944.

• 9 octobre 1944 : Les SS arrêtent trois femmes juives à l’usine de munitions d’Auschwitz pour complicité dans l’introduction clandestine d’explosifs utilisés lors du soulèvement des 6 et 7 octobre ; voir 10 octobre 1944. • 10 octobre 1944 : Quatre autres

femmes impliquées dans l’introduction d’explosifs utilisés lors du soulèvement

1944

Oskar Schindler pose avec son cheval à Emalia, son usine d’ustensiles en émail. Connu pour son cosmopolitisme et son goût du luxe, Schindler reconnut aussi le besoin autour de lui, tendant la main à ses ouvriers par de petits gestes d’humanité. Léon Leyson, alors enfant travaillant dans l’usine, garde un vif souvenir de la façon dont Schindler intervint à plusieurs reprises pour le sauver, lui et sa famille, et se rappela même d’ordonner de servir une ration de soupe supplémentaire au garçon affamé.



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Cette usine, située au 4 de la rue Lipowa à Cracovie (Pologne), fournit un refuge aux Juifs qui eurent la chance de travailler pour Oskar Schindler, un Allemand des Sudètes, membre du parti nazi. Utilisant de la main-d’œuvre juive bon marché, Schindler réussit à faire fortune, mais dépensa ensuite son immense richesse pour épargner à ses travailleurs la déportation et la mort. En octobre 1944, alors que les nazis accéléraient l’extermination des Juifs de Cracovie, Schindler soudoya les autorités nazies pour lui permettre de déplacer son usine et quelque 1 100 travailleurs en sécurité à Brünnlitz, dans les Sudètes.

Le secrétariat de l’usine d’ustensiles en émail d’Oskar Schindler à Cracovie pose pour une photo de groupe. Extrêmement loyal envers les gens qui travaillaient pour lui, Schindler risqua sa propre vie pour sauver ses 300 ouvrières lorsqu’elles furent par erreur embarquées dans un train pour Auschwitz, au lieu d’être emmenées en lieu sûr à Brünnlitz, dans les Sudètes, où Schindler avait ouvert sa propre usine.

des 6 et 7 octobre à Auschwitz sont arrêtées, notamment une détenue appelée Rosa Robota. Quatorze hommes de l’unité du Sonderkommando du camp sont eux aussi arrêtés. Le seul survivant, un Juif grec du nom d’Isaac Venezia, mourra de faim par la suite, après l’évacuation des détenus d’Auschwitz par leurs gardiens vers Ebensee, en Autriche ; voir 6 janvier 1945.

• 13 octobre 1944 : Libération de Riga (Lettonie) par les troupes soviétiques.

• 14 octobre 1944 : En Hongrie, le gou-

vernement Horthy s’engage à libérer les parachutistes juifs palestiniens emprisonnés ; voir 15 octobre 1944.

• 15 octobre 1944 : Le groupe

fasciste hongrois des Croix fléchées

est installé au pouvoir par les nazis après une requête du dirigeant hongrois l’amiral Miklós Horthy adressée aux Alliés sur les conditions d’un armistice. Un nazi hongrois, Ferenc Szálasi, est nommé régent.

• 16-26 octobre 1944 : Les Allemands et des membres du groupe fasciste Nyilas interdisent aux Juifs de Budapest

565

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

À l’automne 1944, la situation des Allemands en Pologne se détériorait rapidement, tandis que les forces soviétiques avançaient vers l’ouest à travers le pays, en direction de l’Allemagne. Ainsi, les nazis, les maîtres absolus des habitants polonais peu auparavant, se retrouvèrent en train de mener une guerre défensive à l’issue prévisible. L’horreur, bien sûr, c’est que ce revirement intervint trop tard pour empêcher l’extermination de trois millions des Juifs sur les 3,3 millions que comptait la Pologne. Ici, des combattants polonais armés de mitrailleuses visent des troupes nazies à Praga, une banlieue de Varsovie. Un soldat de la Brigade juive enseigne l’hébreu à des enfants de la hakhshara Rishonim (école agricole) de Bari, en Italie, près de la côte adriatique. Première école agricole du genre, celle de Bari, comme celles qui suivirent, avait pour mission de préparer les réfugiés et les rescapés à un nouvel avenir en Palestine. Parvenus en Italie en novembre 1944, les soldats de la Brigade participèrent à la dernière offensive alliée au printemps suivant.

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Natzweiler-Struthof, situé en Alsace, était un camp de concentration tristement connu pour ses carrières de pierres et d’ardoise, ainsi que pour ses usines souterraines construites par les détenus, astreints au travail jusqu’à ce que mort s’ensuive. Les activités du camp étaient en fait suffisamment développées pour faire travailler plusieurs camps annexes ; le complexe dans son ensemble exploitait au moins 20 000 personnes. Ce document fut trouvé à Natzweiler à l’automne 1944. Sous forme de tableau, il répartit les prisonniers masculins par âge et par catégorie, montrant un mélange très divers : socialistes, prêtres, criminels, Tsiganes, prisonniers de guerre, anarchistes, travailleurs civils étrangers, Espagnols, Témoins de Jéhovah, homosexuels, soldats, « Aryens » et, fatalement, Juifs.

(Hongrie) de quitter leur domicile. De nombreux Juifs réduits en esclavage sont massacrés par les membres du Nyilas sur un pont reliant Buda et Pest.

teur Josef Mengele supervise d’autres sélections de détenus pour la chambre à gaz à Auschwitz.

• 17 octobre 1944 : Le fonctionnaire SS

Plaszów (Pologne) sont envoyés du camp de Gross-Rosen, en Allemagne au camp de Brünnlitz, dans les Sudètes. Oskar Schindler, propriétaire d’une usine de munitions qui vient d’ouvrir à Brünnlitz, convainc les SS de lui donner les 700 Juifs comme tra-

Adolf Eichmann retourne à Budapest (Hongrie) pour se procurer 50 000 Juifs en bonne santé qui seront contraints de se rendre à pied en Allemagne pour y travailler ; voir 20 octobre 1944. • Le doc-

• 18 octobre 1944 : Sept cents déportés de

1944



ACTES

DÉSESPÉRÉS

Les femmes et la Shoah Les assassins sont en liberté ! Ils parcourent le monde / Tout au long de la nuit, oh Dieu, tout au long de la nuit. Gertrud Kolmar, brillante auteur juive, inclut ces mots dans un poème qu’elle intitula « Meurtre ». La date exacte de sa mort à Auschwitz – elle fut déportée de Berlin durant l’hiver 1943 – demeure inconnue, mais son cri persiste. Dans son angoisse, elle se lamente sur les meurtres impitoyables de millions de femmes, principalement des Juives, pendant la « solution finale ». Les listes des déportés et des morts dressées par les Allemands précisaient souvent le sexe. Femmes et hommes étaient séparés dans les camps de concentration et dans les camps de la mort et, au début, les femmes juives furent mieux traitées que les hommes. Cependant, avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en 1939 et la solution finale en cours en 1942, les femmes juives furent de plus en plus menacées. Les autorités allemandes jugeaient les Juives âgées inutiles à l’effort de guerre. Elles furent donc condamnées à mourir de faim, de maladies, d’une balle ou

vailleurs. Schindler organise également le transfert de 300 femmes juives d’Auschwitz à son usine ; voir 21-29 janvier 1945.

• 18 ou 19 octobre 1944 : Gisi Fleischmann qui, avant la guerre, était à la tête du mouvement des femmes sionistes en Slovaquie, est gazée à Auschwitz.

par le gaz. Les femmes juives en âge de porter des enfants posaient un problème plus préoccupant. D’une part, leur travail pour le Troisième Reich pouvait être productif, de l’autre, elles faisaient peser une menace plus sérieuse parce qu’elles pouvaient engendrer des enfants juifs. La solution finale fit en sorte d’éviter cette issue.

Des centaines de milliers de femmes juives furent assassinées à Treblinka. Des centaines de milliers d’autres furent exterminées par le travail ou gazées à Auschwitz. D’autres encore astreintes au travail, aux expériences médicales barbares et tuées à Ravensbrück, un camp de concentration pour femmes qui avait ouvert en mai 1939 près de Fürstenberg, à 80 kilomètres au nord de Berlin. Destiné à

• 20 octobre 1944 : Les administrateurs

nazis d’Auschwitz brûlent les documents concernant les prisonniers et leur destin. • Les nazis entreprennent, par des marches de la mort, la déportation des Juifs de Budapest (Hongrie), en Allemagne. • 22 000 Juifs sont embarqués dans des trains pour être déportés à Auschwitz. • Six cents garçons juifs d’un groupe de 650 enfermés dans un baraquement à Auschwitz-Birkenau vont

accueillir plusieurs milliers de prisonnières, sa population dépassait les 40 000 personnes en 1944. Plus de 100 000 femmes de plus de 20 pays furent emprisonnées à Ravensbrück à différentes époques. Environ 13,5% d’entre elles étaient juives et 5,5% tsiganes. Sur l’ensemble des prisonnières du camp, environ 92 000 périrent. Environ 6 000 femmes furent gazées dans les derniers mois du camp, lorsque les Allemands choisirent Ravensbrück comme destination des prisonniers évacués des camps de l’Est, l’Armée rouge contraignant l’Allemagne à battre en retraite. Aucun autre camp de concentration en Allemagne n’eut un pourcentage de prisonniers assassinés aussi élevé. Myrna Goldenberg, spécialiste de la Shoah résume à propos la situation : L’enfer était peut-être le même pour les femmes et pour les hommes pendant la Shoah, mais les horreurs étaient différentes selon les sexes. Gertrud Kolmar aurait certainement acquiescé à ces propos comme le suggèrent les derniers mots de son poème La poétesse – « m’entends-tu ressentir ? »

être gazés. Plusieurs courent à travers le camp, nus et paniqués, avant d’être matraqués par les SS qui les poursuivent. Les 50 survivants sont mis au travail à décharger des pommes de terre dans des autorails. • Des hommes de l’armée polonaise de l’intérieur attaquent des maisons juives dans le village d’Ejszyszki, à peine libéré. Les Juifs du village exerceront par la suite des représailles contre les Polonais. 567

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ACTES

DÉSESPÉRÉS

Ala Gertner, l’une des héroïnes du soulèvement du Sonderkommando à Auschwitz-Birkenau, en 1944, pose avec chic sur cette photographie d’une époque plus heureuse, avant la guerre, à Bedzin, en Pologne. Déportée à Auschwiz avec son mari, elle fut astreinte à travailler dans l’usine de munitions. Là, avec deux de ses compagnes de travail, elle réussit à dérober et à cacher les explosifs qu’utilisa le Sonderkommando pour faire sauter le four crématoire, le 7 octobre. Arrêtée, détenue dans un bunker et torturée, elle mourut sans avoir trahi ses camarades.

Roza Robota Roza Robota occupe une place privilégiée dans les annales de l’héroïsme pendant la Shoah. Militante de la Résistance sioniste en Pologne, elle fut déportée à Auschwitz en 1942. Son moral ne fut pas brisé par les horreurs d’Auschwitz-Birkenau, et elle assura les relations entre le camp des femmes et la Résistance qui se constituait dans le camp des hommes. Affectée à une usine de fabrication de bombes, elle commença, avec d’autres femmes courageuses, à faire sortir clandestinement des petites quantités de poudre avec laquelle la Résistance avait prévu de faire sauter un four crématoire à Birkenau, le 7 octobre. Prise et interrogée avec trois autres femmes de l’usine, Roza refusa de divulguer la moindre information malgré d’interminables tortures. Son exécution par pendaison devant tous les prisonniers du camp était destinée à éteindre toute velléité de résistance. Roza laissa à ses camarades un souvenir particulièrement vif lorsqu’elle hurla « Nekama ! », (vengeance !) juste avant de mourir.

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L’amiral Miklós Horthy dirigea un gouvernement autoritaire durant une grande partie de la guerre. Bien qu’il fût antisémite, les Allemands considéraient Horthy comme trop souple sur la question juive. Par exemple, il s’opposa à la ghettoïsation des Juifs de Hongrie. Finalement, lorsqu’il proposa un armistice aux Soviétiques à l’automne 1944, le mouvement des Croix fléchées soutenu par les Allemands renversa son gouvernement, établissant une dictature fasciste violemment antisémite.

• Les nazis astreignent 35 000 Juifs hongrois (25 000 hommes et 10 000 femmes) à creuser des tranchées antitanks pour entraver l’avance de l’Armée rouge. .

• 21 octobre 1944 : Les troupes américaines s’emparent d’Aix-laChapelle, en Allemagne.

• 23 octobre 1944 : À Budapest, le

consul suédois Raoul Wallenberg et le consul suisse Carl Lutz continuent à délivrer des papiers aux Juifs, en partie en réaction à un décret selon lesquels les Juifs de nationalité étrangère ou détenant des passeports étrangers en Hongrie seront exemptés de travail forcé.

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ACTES

DÉSESPÉRÉS

L’un des objectifs premiers du nouveau gouvernement des Croix fléchées en Hongrie était de coopérer avec les Allemands en matière d’extermination des Juifs hongrois. Sont représentés ici les dirigeants du mouvement des Croix fléchées lors d’un rassemblement organisé à l’époque du coup d’État qui renversa le gouvernement Horthy. On remarquera la similitude entre le salut des Croix fléchées et celui des nazis, ainsi que la similitude des insignes et de la symbolique.

Le 15 octobre 1944, l’organisation fasciste hongroise des Croix fléchées organisa un coup d’État, avec le soutien allemand, contre le gouvernement de l’amiral Miklós Horthy considéré par eux comme « un larbin des Juifs et un traître à son pays. » Les nazis soutinrent le nouveau gouvernement du fait du violent antisémitisme de ses dirigeants. Cette photographie montre la prestation de serment de Ferenc Szálasi, chef du mouvement des Croix fléchées, en tant que nouveau dirigeant de la Hongrie.

• 26 octobre 1944 : Libération de Munkács, en Hongrie, par les troupes soviétiques.

• 27 octobre 1944 : Des nazis parcourant le ghetto de Varsovie découvrent un bunker caché. Ils tuent les sept Juifs qui s’y trouvent et qui venaient d’ouvrir le feu.

• 28 octobre 1944 : Un train parti de

Après le coup d’État du 15 octobre, le gouvernement des Croix fléchées donna libre cours à la haine de longue date que ressentait la population hongroise à l’égard des Juifs. On voit ici des membres des Croix fléchées battant des Juifs, place Kalman Tisza, à Budapest. Une série d’actions violentes contre la population juive de Budapest caractérisa les journées qui suivirent la prise du pouvoir par les Croix fléchées. Les SS et les Croix fléchées rassemblèrent des milliers de Juifs. Cependant, des protestations internationales contraignirent le gouvernement hongrois à libérer les Juifs, qui échappèrent (du moins temporairement) à une mort quasi certaine. Bolzano, en Italie, arrive à Auschwitz avec 301 prisonniers. 137 d’entre eux sont immédiatement gazés.

• 30 octobre 1944 : Le dernier train parti

de Theresienstadt (Tchécoslovaquie) arrive au camp d’Auschwitz. Sur les 2 038 prisonniers du convoi, 1 689 sont immédiatement gazés. • Les Allemands transfèrent Anne Frank à Bergen-Belsen ; voir mars 1945.

• Fin octobre 1944 : Jonathan Stark,

Témoin de Jéhovah âgé de 18 ans, est pendu par les nazis à Sachsenhausen (Allemagne) où il a été interné pour avoir refusé de prêter serment d’allégeance à Hitler.

• Novembre 1944 : Douze mille Juifs de

Stutthof (Allemagne), dont 4 000 femmes, entreprennent une marche de la mort 569

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ACTES

DÉSESPÉRÉS

Raoul Wallenberg Grâce à sa détermination et à son énergie, le diplomate suédois Raoul Wallenberg sauva plusieurs milliers de Juifs hongrois d’une mort certaine dans les chambres à gaz d’Auschwitz. Envoyé à Budapest par le ministre suédois des Affaires étrangères, Wallenberg œuvra pour sauver les 200 000 Juifs restant dans la ville des déportations prévues pour juillet 1944. Il délivra des milliers de « passeports de protection » spécialement estampillés par l’ambassade suédoise à des Juifs hongrois. Doté de fonds fournis par le War Refugee Board, Wallenberg acheta également à Budapest des immeubles dont il fit des « abris » pour ceux qui étaient sauvés des convois. Organisant un réseau de centaines de jeunes agents juifs, il réussit à distribuer des vivres et des médicaments aux Juifs cherchant refuge dans ces abris. Ayant recours à ses lettres de créance diplomatiques ou au bluff, Wallenberg fit même pression sur les SS pour qu’ils lui restituent certains prisonniers déjà embarqués dans les trains de déportation. Alors qu’Adolf Eichmann avait ordonné des marches de la mort pour des milliers de Juifs vers la frontière autrichienne, Wallenberg poursuivit les colonnes qui partaient, obtenant la libération de bon nombre de ceux qui étaient en possession de passeports suédois. Début 1945, tandis que l’armée soviétique approchait de Budapest, il dissuada le commandant des SS de perpétrer le massacre des Juifs restés dans la ville. Après la libération de Budapest, Wallenberg disparut, vraisemblablement arrêté par les Soviétiques qui l’accusèrent d’espionnage. Son sort demeure un mystère.

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La tête basse dans la défaite, le colonel Gerhard Wilck, commandant de la garnison allemande à Aix-la-Chapelle, en Allemagne, accompagné de trois de ses officiers, est assis dans une jeep de l’armée américaine après sa capture. Certes, les Allemands allaient se battre encore pendant plusieurs mois, y compris durant la Bataille dite du Saillant, mais la défaite allemande n’en apparaissait pas moins comme une question de temps aux Alliés occidentaux avançant vers le Rhin et aux Soviétiques évoluant en Prusse orientale. Avec la prise d’Aix-la-Chapelle, le 21 octobre, les troupes américaines se trouvèrent pour la première fois en territoire allemand. Haïm Weizmann prend la parole à Tel Aviv, en Eretz Israël (alors appelé Palestine), devant un public de volontaires de la Brigade juive. Weizmann était le dirigeant de l’Organisation sioniste mondiale qui avait pour objectif d’encourager les Juifs à émigrer en Palestine et à y créer un État juif. Ayant fui l’antisémitisme tant en Russie qu’en Allemagne où il avait été professeur de chimie, Weizmann devint le premier président de l’État d’Israël, en février 1949.

vers le sud-ouest. Plusieurs centaines sont tués ou meurent d’épuisement durant le trajet de plus de 800 kilomètres. • Les 400 derniers travailleurs réduits en esclavage à Piotrków, en Pologne, sont contraints de marcher jusqu’à Buchenwald (Allemagne), Bergen-Belsen (Allemagne), Mauthausen (Autriche) et d’autres camps de concentration. • Des parachutistes juifs recrutés par les Britanniques en Palestine sont largués

derrière les lignes allemandes. • Un médecin polonais non juif, Stanislaw Switala, abrite dans son hôpital sept anciens dirigeants de l’Organisation juive de combat, notamment Yitzhak Zuckerman et Touvia Borzykowski. • Le gouvernement hongrois accepte de créer un ghetto juif international à Budapest où, dans 72 immeubles, les Juifs seront placés sous protection suisse ; voir 31 décembre 1944.

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ACTES

DÉSESPÉRÉS

Cette photographie, prise depuis l’automobile de Raoul Wallenberg, montre des Juifs de Budapest sauvés de la déportation dans un camp de la mort. Lorsqu’ils arrivèrent à la gare pour leur voyage fatidique, les Juifs reçurent des Schutzpässe distribués par la délégation diplomatique suédoise de Raoul Wallenberg. Ici, ils retournent au ghetto international à Budapest, peuplé de Juifs non hongrois.

Eliyahou Dobkin, membre de l’exécutif de l’Agence juive, dépasse d’une tête ses jeunes protégés qui se préparent à embarquer de Lisbonne (Portugal) pour la Palestine à bord du navire portugais le Guine. Évacués clandestinement de France par la Résistance française, ces enfants avaient déjà échappé à un terrible péril. En dépit de tous les obstacles, l’exécutif de l’Agence juive réussit à obtenir des bateaux et à acheminer plus de 3 500 réfugiés en Palestine, vers la fin de l’année 1944. Des Juifs sont rassemblés sur le quai de la gare Jósefváros à Budapest. On aperçoit à droite Raoul Wallenberg, les mains derrière le dos. Ces Juifs reçoivent des Schutzpassen qui leur épargneront la déportation. Plusieurs furent sauvés, mais bien d’autres ne le furent pas. Même les détenteurs de saufconduits délivrés par Wallenberg et par d’autres diplomates « neutres » n’étaient pas ipso facto en sécurité, les bandes des Croix fléchées choisissant, en fonction de leur humeur, de respecter ou d’ignorer les papiers présentés.

• 3 novembre 1944 : Un train chargé

de Juifs du camp de travail de Sered, en Slovaquie, arrive à Auschwitz. Les chambres à gaz du camp étant démantelées, les 990 Juifs sont envoyés au travail ou dans les baraquements au lieu d’aller à la mort.

• 4 novembre 1944 : Libération de Szolnok, en Hongrie, par les troupes soviétiques. • Après avoir été contraints de creuser leurs propres tombes, des centaines de Juifs affectés à la mine de cuivre du camp de travail de Bor, en Hongrie, sont exécutés ou battus à mort à Györ, en Hongrie. Parmi les victimes, se trouve un poète réputé Miklós Radnóti, âgé de 35 ans.

• 6 novembre 1944 : Les Croix fléchées de Hongrie assassinent 19 Juifs à Budapest et en emmènent près de 30 000 vers l’ancienne frontière autrichienne. • 7 novembre 1944 : La poétesse sio-

niste Hannah Szenes est exécutée par les Croix fléchées à Budapest, en Hongrie, après avoir été parachutée dans le pays, en mission de la Résistance pour les Britanniques. 571

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ACTES

DÉSESPÉRÉS

Raphaël Lemkin Juriste polonais, Raphaël Lemkin forgea le terme « génocide » pour désigner l’extermination systématique des Juifs européens par les nazis. Le mot apparut pour la première fois en 1944 lorsqu’il publia La domination de l’Axe dans l’Europe occupée, lois d’occupation – analyse du gouvernement, propositions de réparations. Né dans une famille juive de Galicie orientale, Lemkin avait étudié à l’université de Lvov. Après la montée d’Hitler au pouvoir, Lemkin s’intéressa encore davantage aux meurtres en masse et à la persécution des minorités. Il compila son analyse pionnière de la législation raciale nazie alors qu’il vivait en Suède. Il la publia en 1944 après être arrivé aux États-Unis par un périple compliqué via la Suède, l’URSS, le Japon et le Canada. Après la guerre, Lemkin aida les États-Unis à poursuivre en justice les criminels de guerre nazis à Nuremberg et dans d’autres procès pour crimes de guerre.

Utilisant son statut diplomatique comme une arme, Carl Lutz intervint pour sauver la vie de milliers de Juifs de Budapest (Hongrie), entre 1942 et 1945. En tant que consul suisse responsable de l’octroi de visas, il délivra quelque 50 000 passeports suisses, plaçant des Juifs sous la protection du gouvernement suisse. Risquant d’être assassiné par les SS, Lutz s’acharna à sauver autant de vies que possible dans les derniers mois de la guerre. Par la suite, il se joignit lui-même à la marche de la mort de 70 000 Juifs, en novembre 1944, en sauvant quelques-uns en leur accordant des certificats de nationalité salvadorienne.

Adjoint au secrétaire de la guerre, John J. McCloy joua un rôle déterminant dans l’établissement des priorités militaires des ÉtatsUnis. McCloy fut prié à maintes reprises par le War Refugee Board, l’Emergency Committee to Save the Jewish People of Europe et d’autres groupes d’ordonner le bombardement des voies ferrées menant à Auschwitz, ainsi que les chambres à gaz du camp. McCloy refusa, affirmant à tort que la cible se trouvait hors d’atteinte des bombardiers américains et britanniques.

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• 8 novembre 1944 : Les Allemands obli-

gent des Juifs de Budapest à entreprendre une marche de la mort vers la frontière autrichienne. L’intervention de Raoul Wallenberg sauve plusieurs dizaines de milliers de Juifs. • Les résistants du groupe Stern assassinent Lord Walter Moyne, ministre de Grande-Bretagne au Moyen-Orient. • John W. Pehle, chef du War Refugee Board, qui diffère depuis plusieurs mois une demande pour qu’Auschwitz soit bom-

bardé, change d’avis. Il affirme qu’un bombardement détruirait les chambres à gaz, ainsi que les usines allemandes, et que les soldats dans la région encourageraient la résistance et libèreraient des prisonniers. Le secrétaire adjoint à la Guerre John J. McCloy rejette le raisonnement de Pehle, prétendant à tort que le bombardement d’Auschwitz entraverait l’effort de guerre.

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ACTES

DÉSESPÉRÉS

À l’Institut d’anatomie de Strasbourg, le docteur August Hirt dirigeait un programme spécial exhibant 86 squelettes juifs à des fins « éducatives ». Les Juifs avaient été spécialement choisis à Auschwitz et acheminés au Struthof, en France, pour y être gazés. Les corps juifs furent immergés dans des cuves d’alcool pendant plus d’un an avant que l’équipe de Hirt ait la possibilité de détacher la chair des os. Les directeurs de l’institut tentèrent à la dernière minute de détruire les preuves, mais les Alliés arrivèrent à temps. Au camp de concentration de Neuengamme, une enfant lève le bras pour montrer la cicatrice consécutive à l’ablation de ses ganglions lymphatiques, opération effectuée dans le cadre d’une expérience nazie destinée à mesurer les effets de la tuberculose sur le système immunitaire. La plupart des détenus de Neuengamme, camp situé près de Hambourg, en Allemagne, travaillaient dans une usine d’armements. Quelques-uns, une centaine d’adultes et vingt enfants, envoyés d’Auschwitz, furent choisis pour subir des expériences médicales. Sur l’ordre du docteur Kurt Heissmeyer, la tuberculose fut inoculée aux enfants. Lorsque l’imminente défaite de l’Allemagne devint évidente, la plupart furent tués pour éviter qu’ils ne témoignent des horreurs qu’ils avaient subies.

• 14 novembre 1944 : Bernhard Let-

• 20 novembre 1944 : Les para-

chutistes juifs palestiniens Haviva Reik, Rafael Reiss et Zvi Ben-Yaakov sont exécutés en Tchécoslovaquie.

trent le diplomate suédois Raoul Wallenberg à la légation suédoise de la ville ; voir 23-27 novembre 1944. • Libération de Mulhouse par les Alliés.

• 18 novembre 1944 : Le

• 21 novembre 1944 : Saarburg, en Alle-

• 23-27 novembre 1944 : Les respon-

terhaus, dirigeant travailliste catholique, membre de la Résistance, est pendu par les Allemands.

parachutiste juif palestinien Enzo Sereni est exécuté par les Allemands à Dachau, en Allemagne.

magne, est pris par les troupes alliées.

• 22 novembre 1944 : Les protecteurs des Juifs à Budapest (Hongrie) rencon-

sables du consulat suisse Leopold Breszlauer et Ladislaus Kluger délivrent 300 documents protecteurs à des Juifs hongrois rassemblés à la

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ACTES

DÉSESPÉRÉS

Comme un grand nombre d’Allemands étaient au front ou avaient été tués à la guerre, les nazis comptèrent de plus en plus sur le travail servile pour leur production. C’était le cas, comme le montre cette photo, même dans les opérations de technologie de pointe. Dans l’usine d’armement souterraine du complexe de Dora-Mittelbau, près de Nordhausen, en Allemagne, ces prisonniers effectuent un travail extrêmement complexe intervenant dans la construction de la fusée V2.

Les Allemands devinrent de plus en plus acharnés au fur et à mesure que leur défaite se confirmait. Les dirigeants de l’Allemagne placèrent toute leur confiance dans les armes « Vengeance » dernièrement conçues qui, croyaient-ils, allaient retourner l’issue de la guerre. La fusée V2 était destinée à ravager Londres. Si des centaines de V1 et de V2 pleuvaient sur Londres à la fin de la guerre, elles eurent peu d’influence militaire ; les fusées mettaient cependant les nerfs des Britanniques à rude épreuve et en tuèrent environ 5 500.

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frontière austro-hongroise.

• 25 novembre 1944 : Début de la démolition par les prisonniers du four crématoire II d’Auschwitz. Des conduites et des moteurs de ventilation sont démontés et envoyés dans les camps de Mauthausen, en Autriche, et de Gross-Rosen, en Allemagne.

• 27 novembre 1944 : « Le procès et le châtiment des criminels de guerre européens », un rapport rédigé par le secrétaire d’État américain à la Guerre, Henry Stimson, et le secrétaire d’État Cordell Hull, est soumis au président Franklin Roosevelt. • Décembre 1944 : Après trois mois de

travaux à Lieberose, en Allemagne, les nazis interrompent le travail des détenus

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ACTES

DÉSESPÉRÉS

Dora-Mittelbau/Nordhausen

Comme le montre cette photo, les nazis mirent au point un système élaboré pour se débarrasser des corps de leurs victimes. Ce soldat américain et un membre de la Résistance française observent le four crématoire du camp libéré de Natzweiler-Struthof, en France, le 2 décembre 1944. On remarquera les pinces qui servaient à manipuler les corps lorsqu’on les mettait dans les fours.

Construit en tant qu’annexe du camp de concentration de Buchenwald, Dora-Mittelbau, situé près de la ville de Nordhausen en Allemagne orientale, devint un camp indépendant à l’automne 1944. À partir de 1943, des milliers de prisonniers furent affectés à Dora pour élargir les tunnels d’une ancienne mine de sel profondément enfouie dans les montagnes du Harz. Ils construisirent une usine souterraine qui produisit en secret les fusées V1 et V2. La vie humaine ne signifiait rien pour les nazis uniquement préoccupés à éviter la défaite. Même d’après des normes des camps de concentration, les prisonniers de Dora étaient traités particulièrement brutalement par leurs gardiens. Ils ne voyaient jamais le soleil, ne disposaient d’aucune installation sanitaire et travaillaient jusqu’à ce qu’ils s’effondrent. Les corps, couverts de poux et ne pesant souvent que 35 kg, étaient renvoyés à Buchenwald pour y être brûlés au rythme d’un millier par mois. Lorsque l’usine de fusées fut terminée, Mittelwerk GmbH, entreprise étatisée, utilisa des milliers de prisonniers comme ouvriers, notamment de nombreux Juifs. Eux aussi travaillaient dans des conditions lamentables, buvant l’eau des fuites dans des canalisations. La hantise du sabotage servait de prétexte aux gardes pour avoir recours à un sadisme exceptionnel, les prisonniers étant pendus ou torturés par simple caprice. Des milliers de détenus dont on ne parla jamais, périrent à Dora et lors des marches de la mort à partir du camp, durant les derniers jours de la guerre.

Le corps une fois incinéré, il restait des cendres, ce qui présentait un problème pour les assassins de la Shoah, notamment si l’on considère le nombre de leurs victimes. On voit ici un résistant français qui inspecte les urnes que les nazis utilisaient pour enterrer les cendres de leurs victimes au camp de Natzweiler-Struthof.

qui construisaient un centre de vacances pour les officiers allemands. Ils évacuent les travailleurs juifs à pied vers le camp de concentration de Sachsenhausen, en Allemagne, situé à 160 kilomètres au nordouest. Sur les 3 500 détenus qui commencent la marche, 900 seulement arrivent à destination. Plusieurs centaines de malades, dans l’incapacité d’entreprendre la marche, sont abattus là où ils sont couchés. • La France libérée organise une

« semaine de l’Absent » à la mémoire des innocents encore entre les mains des nazis. • Le spécialiste américain des sondages Elmo Roper avertit que l’antisémitisme a contaminé les États-Unis, en particulier, dans les grandes villes et leurs banlieues.

• 11 décembre 1944 : Des travailleurs

juifs réduits en esclavage à Auschwitz III (Monowitz-Buna) célèbrent silencieusement Hanoukka.

• 16 décembre 1944 : Sur un front de 65 kilomètres de long dans la forêt des Ardennes, au Luxembourg, 300 000 soldats allemands, y compris les cinquième et sixième divisions Panzer lancent une offensive surprise contre les cinquième et neuvième armées américaines. Manquant d’expérience, les troupes américaines en première ligne sont submergées, les Allemands risquant le tout pour le

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ACTES

DÉSESPÉRÉS

La Brigade juive La Brigade juive était un régiment de l’armée britannique composé exclusivement de volontaires juifs de Palestine. Officiellement créé en septembre 1944, le groupe combattit sur le front italien, puis contribua aux efforts d’immigration juive clandestine en Palestine. Précurseur de la Brigade juive, le Régiment de Palestine, fut créé en août 1942. Il était composé de quatre bataillons : trois juifs et un arabe. La pression exercée par l’Organisation sioniste mondiale, ainsi que le soutien apporté par Winston Churchill et Franklin Roosevelt, aboutit à la création de la Brigade juive indépendante. Dirigée par le général Ernest Benjamin, cette Brigade combattait sous drapeau sioniste. Cinq mille Juifs palestiniens servirent dans cette unité. L’idée de créer un régiment juif fut à l’origine écartée par les Britanniques qui craignaient de s’aliéner la population arabe de Palestine. Les contingences du temps de guerre contraignirent cependant le gouvernement et l’establishment militaire britanniques à changer d’avis.

Ce GI américain, l’un de ceux qui libérèrent le camp de NatzweilerStruthof, inspecte les marques sur le vêtement d’un prisonnier. Les lettres « NN » signifient Nacht und Nebel (Nuit et brouillard). Le décret Nuit et brouillard, adopté par Hitler le 2 décembre 1941, devait être utilisé à l’encontre des organisations de sabotage et les personnes accusées d’espionnage. Elles devaient être exécutées dès leur capture, ou, si ce n’était pas réalisable, déportées dans le Reich pour y être jugées. La plupart de ces prisonniers furent envoyés à Natzweiler.

Encore habillés en civils, des recrues rejoignent la Brigade juive au parc Méir, à Tel Aviv, en Eretz Israël (Palestine). Portant des brassards les désignant comme « volontaires », ils voulurent rejoindre les forces juives déjà envoyées de Palestine un mois plus tôt pour combattre durant la campagne italienne. Certains membres de l’Armée juive, la Résistance juive en France, avaient déjà franchi les Pyrénées pour se rendre en Espagne l’année précédente, en vue de gagner la Palestine pour continuer le combat pour la liberté.

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tout pour s’emparer du port stratégique d’Anvers, en Belgique. Cette action prit le nom de « Bataille du saillant » par suite de la poche créée au début par les Allemands dans les lignes américaines.

• 17 décembre 1944 : Quatre-vingt-

six prisonniers de guerre américains sont massacrés par des troupes SS à Malmédy, en Belgique.

• Hiver 1944 : Des centaines de femmes

juives malades et affamées meurent lentement dans des tentes à part du camp de concentration de Stutthof, en Allemagne. • Création, en France, d’Organisation technique, un groupe clandestin collaborationniste.

• 26 décembre 1944 : Lancée le 16

décembre, l’ultime offensive des Alle-

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ACTES

DÉSESPÉRÉS

Les mains en l’air en signe de reddition, des soldats américains marchent devant leurs vainqueurs allemands. La dernière grande offensive allemande de la guerre était destinée à séparer les deux armées alliées sur le front occidental. Servis par un temps nuageux qui cloua au sol les avions américains et britanniques, les Allemands remportèrent au début des succès. Mais leur avance prit fin lorsque les renforts arrivèrent pour les Alliés et que les avions purent recommencer à bombarder l’intendance allemande.

Ces panneaux indiquant Malmédy et Saint-Vith en Belgique, témoignent d’un autre épisode barbare de la guerre. Dans un ultime stratagème pour éviter la défaite, à la mi-décembre, Hitler envoya dans les Ardennes autant d’hommes et de tanks qu’il put réunir contre les Alliés occidentaux. Près de Saint-Vith, la sixième division blindée SS se heurta à une farouche résistance américaine qui freina sa progression. En violation flagrante des lois de la guerre, les soldats de la première division blindée qui se trouvait à Malmédy retournèrent leurs fusils contre les Américains qu’ils avaient fait prisonniers, en tuant 86. Les corps de soldats allemands jonchent le champ de bataille de Bastogne, en Belgique, site de l’un des affrontements les plus acharnés de la Bataille du saillant. Ayant reçu le renfort de parachutistes, les forces alliées refusèrent de se rendre alors qu’elles étaient encerclées et en nombre très inférieur. Lorsque les nuages se dissipèrent les avions alliés larguèrent du ravitaillement et Bastogne fut libéré le lendemain de Noël.

mands contre les troupes américaines dans la forêt des Ardennes, au Luxembourg, prend fin après dix jours de succès impressionnants. L’objectif de cette offensive – la prise d’Anvers – n’est pas atteint. Près de 250 000 soldats allemands ont été tués, blessés ou faits prisonniers, et plus de 1 400 tanks allemands et pièces d’artillerie lourde ont été per-

dus. L’Allemagne mène désormais une guerre exclusivement défensive.

• 28 décembre 1944 : Des membres des Croix fléchées enlèvent 28 Juifs dans un hôpital de Budapest. Ils les assassineront deux jours plus tard.

• 31 décembre 1944 : Des membres des Croix fléchées hongroises font irruption

dans un foyer protégé par la Suisse à Budapest et attaquent les habitants à l’arme automatique et à la grenade. Trois Juifs sont tués, mais les autres sont sauvés par une unité militaire hongroise ; voir 11-14 janvier 1945.

• 1944-47 : La guerre civile s’intensi-

fie dans la Pologne soviétisée et coûte la vie à plusieurs milliers de Juifs. 577