Lire une interview de Kristin Cashore

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Avant la sortie de Rouge le 19 mai en Orbit et la venue de Kristin Cashore en ... En réalité, Graceling m'a appris à prendre la mesure de toutes les choses qu'un ...
Interview de Kristin Cashore *** Avant la sortie de Rouge le 19 mai en Orbit et la venue de Kristin Cashore en France comme invitée d’honneur aux Imaginales d’Épinal fin mai, Orbit vous propose une interview du jeune prodige de la fantasy.

Avez-vous toujours eu envie d’être écrivain? J’ai toujours voulu être une lectrice et une rêveuse. Puis, à l’université, je me suis rendue compte que j’adorais aussi écrire. Il serait plus juste de dire que j’ai toujours soupçonné que je voulais devenir écrivain, mais que je n’en étais pas totalement certaine avant mes 19/20 ans. Cela m’a ensuite pris quelques années pour envisager sérieusement d’en faire mon métier.

Comment le personnage de Katsa vous est-il venu ? Comme vous pouvez vous en douter, elle s’est imposée à moi en se battant – en se querellant, pour être plus précise – à l’intérieur de mon cerveau avec un autre personnage, qui par la suite est devenu Po. En d’autres termes, Graceling est parti des conversations dans ma tête entre deux personnages qui étaient furieux l’un contre l’autre. Mon travail a été de les écouter discuter et de comprendre ce qui les contrariait tant, ce qui se passait dans leur monde et à quoi celui-ci ressemblait. Selon moi, Katsa et Po se sont en quelque sorte créés eux-mêmes : au début, j’étais donc plus observatrice que créatrice.

Comment les paysages de votre roman ont-ils pris forme ? Dans certains cas, j’avais dès le début des paysages, des décors précis en tête. Par exemple, je savais que Po venait d’un lieu qui était d’une certaine façon « un ailleurs » : d’où la création de l’île de Lienid, qui est séparée des autres royaumes. Dans d’autres cas, ils se sont développés pour des raisons futiles, ridicules, comme : « Tiens, j’ai besoin que le trajet de Po et Katsa du point A au point B dure plus longtemps. Et si je faisais pousser une forêt impénétrable par ci, et si j’élevais quelques montagnes infranchissables par là ? »

En réalité, Graceling m’a appris à prendre la mesure de toutes les choses qu’un écrivain peut composer avec des paysages et des décors. Lorsque j’ai élaboré Rouge, ceux-ci ont fait partie des premiers éléments que j’ai ressentis et imaginés, et ils étaient aussi importants dans mon travail d’écriture que les personnages. Je suppose que j’ai appris à raisonner de cette manière pendant la rédaction de Graceling.

Comment le concept de Graceling – et la manière dont il se manifeste chez les différents personnages – vous est-il venu ? Difficile à dire avec précision. C’était en moi depuis le tout début : Katsa avait un pouvoir inhabituel qui l’excluait terriblement des autres. Alors que je peaufinais le concept de Graceling, il m’a semblé juste d’établir que chaque Graceling devait posséder une version poussée à l’extrême, « améliorée » d’une capacité que les gens de notre monde possèdent également. Par exemple, il existe des gens normaux qui peuvent courir très vite : le Graceling leur correspondant aurait alors la capacité de courir encore plus vite – à une vitesse surhumaine. D’autres personnes tombent rarement malades, alors pourquoi ne pas imaginer un Graceling qui résisterait aux maladies ? D’autres encore sont exceptionnellement perspicaces : un Graceling pourrait posséder une sorte de don de lecture dans les pensées. Certaines personnes encore entretiennent un rapport privilégié avec la terre et la nature : le Graceling qui leur serait associé pourrait avoir la capacité de prédire le temps qu’il va faire. Et ainsi de suite. J’ai essayé d’éviter les dons qui appartiennent trop au domaine de la science-fiction – par exemple, je ne pense pas que la téléportation ferait un don crédible dans le monde de Graceling. Mais peut être que je me trompe ; fondamentalement, j’essaie d’éviter les incompatibilités, j’espère y parvenir au mieux !

Si vous étiez une Graceling, quel don aimeriez-vous posséder ? Si seulement je ne venais pas de rejeter l'idée d’un Graceling ayant le don de téléportation ! En effet, à chaque fois que je voyage, les lecteurs de mon blog me regardent me plaindre sur le fait que j’adorerais pouvoir me téléporter. Mais j’aimerais aussi avoir le don des langues ; je n’ai jamais eu de facilités pour apprendre les langues étrangères, et j’envie les personnes qui en ont. Ou encore un don de santé qui m’immunise aux maladies. Je souhaiterais en vérité pouvoir être capable de transmettre ce don à ma famille et à mes amis !

Quand vous rédigiez Graceling, l’écriviez-vous intentionnellement pour un public adolescent ? Je n’avais aucun lectorat en tête quand j’ai écrit Graceling. Je l’ai écrit pour moi. Cependant, comme j’aime follement la fantasy pour jeunes adultes, je n’ai pas été très surprise que mon

roman appartienne à ce sous-genre. Et aujourd’hui je suis enchantée – c’est au-delà même de l’enchantement – de partager mes univers avec des lecteurs adolescents, des lecteurs adultes, et toutes les autres catégories de lecteurs. C’est un rêve qui devient réalité.

Que pouvez-vous nous raconter à propos de Rouge, votre nouveau roman ? Je suis contente que vous me posiez la question, parce la façon dont mon nouveau roman se rapporte à Graceling est quelque peu déroutante. C’est une sorte de « companion book » et de préquelle à Graceling. Il se situe de l’autre côté des montagnes, à l’est des Sept Royaumes, trente ou quarante ans avant l’histoire de Graceling, dans un royaume rocheux et déchiré par la guerre appelé les Dells. Il n’y a pas de Graceling connus dans les Dells, mais de magnifiques créatures dénommées « monstres ». Ces monstres ont la forme d’animaux ordinaires : lions des montagnes, libellules, chevaux, poissons, etc. Mais les poils, les écailles ou les plumes de ces monstres sont somptueusement colorés – fuchsia, turquoise, bronze étincelant, vert iridescent – et leurs esprits ont le pouvoir de contrôler ceux des humains. Rouge est âgée de 17 ans, elle est le dernier monstre à forme humaine des Dells. Divinement belle, monstrueuse de corps et d’esprit, mais possédant une appréciation humaine du bien et du mal, elle est détestée et crainte par presque tous les habitants des Dells. Ce livre raconte son histoire, et si vous vous demandez ce qui le relie à Graceling, la réponse est que (Attention : Graceling spoiler !) l’un des personnages secondaires de Rouge est un affreux petit garçon avec des yeux vairons qui semble avoir des capacités verbales étranges… Rouge n’est en aucun cas l’histoire de Leck, mais il révèle d’où il vient (et ce qui est arrivé à son oeil !). Je n’ai pas écrit Graceling avec l’intention d’en écrire ensuite une préquelle. Mais tandis que j’écrivais Graceling, le récit de Po à propos des origines de Leck a commencé à titiller mon esprit – et l’histoire de Rouge a alors germé. Malheureusement, cela prête légèrement à confusion pour la commercialisation de Rouge, et j’espère que les gens comprendront comment les deux romans fonctionnent ensemble, et qu’ils les liront de préférence dans le bon ordre, à savoir Graceling en premier ! (Jusqu’ici, d’après mes lecteurs, ils n’ont pas besoin d’être obligatoirement lus dans cet ordre, mais je pense tout de même que c’est une bonne idée).

Une séquelle de Graceling est prévue. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire une séquelle axée autour du personnage de Bitterblue ? Allons-nous y découvrir ce qui advient aux autres personnages de Graceling ?

Vous me posez cette question alors que je suis au beau milieu de l’écriture de Bitterblue ! Ma réponse sera donc inévitablement accompagnée de soupirs et de gémissements d’angoisse ainsi que de prédictions selon lesquelles ce sera le plus mauvais livre jamais publié (bon, je vous aurais dit la même chose si vous m’aviez posez des questions sur Graceling pendant que je l’écrivais ! Mais quand même). Je suis effectivement en train d’écrire une séquelle de Graceling appelée Bitterblue, dans laquelle Bitterblue, âgée de 16 ans, est le protagoniste principal. Je n’avais pas prévu de l’écrire : comme pour Rouge, j’ai simplement réalisé un jour – cette fois sur une suggestion de ma mère, que je remercie – que Bitterblue avait une histoire, et que je désirais l’écrire. Mon espoir réside dans le fait que Bitterblue liera les trois romans ensemble, d’une certaine manière. Mais (soupirs, gémissements, le plus mauvais livre jamais paru, etc.) cela implique un niveau de cohésion qui n’existe pas jusque là ! Et oui, Katsa, Po, Giddon, Helda et d’autres personnages de Graceling apparaîtront dans Bitterblue. Ce qui promet de nombreux combats en perspective !

Que lisez-vous en ce moment ? Lisez-vous d’autres genres littéraires ? J’adore cette question. Vous devriez peut être stocker quelques provisions avant que je commence à répondre (rires). Bien sûr que je lis d’autres genres littéraires. En fait, je lis très peu de fantasy pour jeunes adultes lorsque j’en écris. Cela me rappelle trop le travail et me panique aussi quelquefois. Je vois des ressemblances et je commence alors à m’inquiéter, je me dis que mes idées ne sont pas originales. Ou alors je me compare aux autres auteurs et je me sens dérisoire : c’est une catastrophe ! J’ai hâte de terminer Bitterblue car j’ai l’intention de faire une pause avec la fantasy après. Je pourrai enfin lire les livres de Megan Whalen Turner, d’Alison Croggon et ceux de Robin McKingley que je n’ai pas encore lus. Lire de la littérature pour jeunes adultes me manque. Mais je m’éloigne du sujet – je parle des livres que je souhaite lire, et non de ceux que j’ai effectivement lus. Assez donc pour les livres que je n’ai pas encore lus. Passons à ceux que je suis en train de lire – je suis toujours à la recherche de lectures qui diffèrent de ce que j’écris, afin de pouvoir faire une pause dans mon travail et de me reposer l’esprit. Voici quelques romans que j’ai lus ces dernières semaines : China Court: The Hours of a Country House de Rumer Godden, The Astonishing Life of Octavian Nothing, Traitor to the Nation, Volume One: The Pox Party de M. T. Anderson, Lord Peter et l’autre de Dorothy L. Sayers, Ramona Quimby, Âge 8 de

Beverly Cleary et L’Été dramatique de Moumine de Tove Jansson. Et quelques livres que j’ai achetés : la trilogie Kristin Lavransdatter de Sigrid Undset, traduite par Tiina Nunnally (qui est l’un de mes livres préférés), la pièce Rosencrantz et Guildenstern sont morts de Tom Stoppard (l’une de mes pièces de théâtre préférées), The Frog and Toad Treasury, écrit et illustré par Arnold Lobel, The Disreputable History of Frankie Landau-Banks d’Emily Lockhart, Les Gens de Dublin de James Joyce et La petite sirène de Hans Christian Andersen illustrée par Lisbeth Zwerger, qui est une virtuose. Et enfin quelques livres que j’ai empruntés à la bibliothèque pour les lire prochainement : Kabir: Ecstatic Poems, traduits par Robert Bly, Little Brother de Cory Doctorow et deux enquêtes policières du Frère Cadfael d’Ellis Peters. J’ai également continué l’écoute des versions audios de All Creatures Great and Small, la fabuleuse série inspirée des livres de James Herriot, magistralement interprétée par Christopher Timothy.

Quel(s) genre(s) de musique écoutez-vous ? Oh la ! J’espère que vous avez sérieusement quelques rations de survie près de vous (rires) ! J’ai grandi dans une maison où l’on écoutait constamment de la musique classique ainsi que des classiques plus récents et incroyables comme Abbey Road des Beatles ou Bookends de Simon & Garfunkel. Je me souviens aussi avoir été obsédée par Aaron Copland et m’être souvent battue avec ma grande sœur qui voulait toujours écouter Appalachian Spring (alors que moi je désirais écouter Billy the Kid). Je suis étonnée que mes parents puissent encore écouter certaines de ces musiques ! Ils auraient dû en être dégoûté à vie à force de les entendre encore et encore. C’est difficile de vous dire ce que j’écoute en ce moment parce que j’aime beaucoup de musiques différentes et que j’aurais l’impression de trahir toutes celles que j’oublierais en n’en citant que quelques-unes… Néanmoins, comme vous me le demandez, je vais vous énumérer quelques artistes que j’aimerai toujours : Bruce Springsteen, Ani DiFranco, Jane Monheit, Coldplay, Peter Gabriel, Sinéad O’Connor, Joni Mitchell, Andrew Lloyd Webber, George Gershwin, Aaron Copland, Dvorák, Schubert et Beethoven. De plus, une batterie de cornemuses pourrait probablement me convaincre de faire n’importe quoi et rien ne m’emplit plus de joie qu’un live d’un bon quintet de cuivre. J’aime également toutes les chansons interprétées par un Muppet (tout particulièrement par Kermit). Enfin, j’étais au bord de l’évanouissement quand Yo-Yo Ma, qui était l’orateur à ma remise de diplôme de fin d’études, a pris son violoncelle sur scène pour jouer Appalachia Waltz de Mark O’Connor et le Premier mouvement de la suite pour violoncelle de Bach.

Interview traduite et reproduite avec l’accord de l’auteur et de son agent. Sources : http://www.orbitbooks.fr/articles/a-lire-une-interview-de-kristin-cashore-000497