Livre Blanc

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Livre Blanc montrent que nous ne sommes qu'au début de cette histoire. ... du conseil aux entreprises et au gouvernement français, les CCE ont aujourd'hui une.
Le défi des investissements français en Chine Livre Blanc

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Cet ouvrage a été réalisé en collaboration entre les Missions Economiques de Chine, les Conseillers du Commerce Extérieur et la Chambre de Commerce Française en Chine. L’édition de l’ouvrage a été financée par la section Chine des CCE et réalisée par la CCIFC. Il se fonde sur des entretiens individuels réalisés auprès de 88 entreprises françaises, dont la liste figure en annexe page 57 (à l’exception de 3 entreprises qui n’ont pas souhaité être citées). Ces entretiens ont été réalisés par Hubert Testard, Benjamin Dubertret, appuyés par Marie-Chantale Piques, Hélène Hovasse, Alain Berder, Thibaut Fabre, Stéphane Piskorz pour les Missions Economiques de Chine, ainsi que par Emmanuel Suquet, stagiaire ENA et Cécile Stos, directrice du développement de la CCIFC, en collaboration avec Bathilde Delafuys, Camille Giraudo et Melinda Sellin. Le document de synthèse a été rédigé par Benjamin Dubertret pour les trois premiers chapitres et Hubert Testard pour le dernier chapitre.

Le China World Trade Center, le cœur du quartier d’affaires, dans le district de Chaoyang.

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Préface

os relations économiques avec la Chine, entend-on souvent dire, n’ont pas la même intensité, la même qualité que notre relation politique, qui s’est enracinée depuis dix ans dans un partenariat stratégique global ambitieux. Ce Livre Blanc, réalisé conjointement par les Conseillers du Commerce Extérieur, les Missions Economiques et la Chambre de Commerce Française en Chine, concernant l’implantation de nos entreprises sur le continent chinois, permet d’enrichir et d’améliorer notre vision de cette relation économique. La présence de nos entreprises en Chine est certes récente, puisqu’elle ne remonte guère en moyenne à plus de 10 à 15 ans, mais elle est déjà considérable, tant par les chiffres d’affaires réalisés qui représentent deux fois et demie nos exportations directes, que par l’emploi créé qui atteint 250 000 salariés. Et les témoignages rapportés dans le Livre Blanc montrent que nous ne sommes qu’au début de cette histoire. Les rythmes de progression de l’activité sont rapides (+20 à 25% en moyenne), les prises de participations stratégiques se développent, de plus en plus de nos entreprises, grandes comme petites, nourrissent des perspectives très ambitieuses. La Chine n’est pas seulement une opportunité de marché, elle est aussi une composante stratégique de la compétitivité de nos entreprises, qui doivent faire face à des exigences croissantes de globalisation des achats et des plates formes de production, et d’innovation. Leurs activités sont dès lors multiformes, alliant achats de composants, production locale, importations d’équipement clés à partir de France ou d’Europe, création de centres de recherche-développement. Mais, contrairement aux idées reçues, seule une infime minorité d’entreprises voit la Chine comme une terre de délocalisation. Les témoignages recueillis montrent également qu’il n’est pas facile de travailler en Chine. Les pièges sont nombreux, qu’il s’agisse des problèmes de partenariat, de concurrence déloyale, d’obstacles non tarifaires, de contrefaçons, d’incertitudes juridiques. Mais l’un des messages principaux de ce Livre Blanc est que les difficultés d’accès au marché chinois n’empêchent pas nos entreprises de réussir et d’avoir de vastes projets. Etre en Chine comporte des risques, mais pour la quasi-totalité de nos entreprises, ne pas y être se traduirait par une perte d’opportunité, et dans de nombreux cas par un risque compétitif majeur. Je voudrais en conclusion remercier les Conseillers du Commerce Extérieur, la Chambre de Commerce et d’Industrie Française en Chine et les Missions Economiques pour avoir réuni leurs forces dans cette œuvre collective. J’espère que toutes celles de nos entreprises qui s’interrogent actuellement sur l’intérêt d’une présence en Chine trouveront dans ce Livre Blanc matière à réflexion et inspiration. Elles trouveront toujours en « l’équipe France » en Chine aide et conseil : plus que jamais, nous sommes à leurs côtés pour les aider à mener leurs projets à bien. Hervé Ladsous Ambassadeur de France en Chine  

Avant propos

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i, depuis le milieu des années 90, nombreux sont ceux qui débattent de l’opportunité, des risques et des avantages d’être présent en Chine, un millier d’entreprises françaises - de la PME personnelle a la grande multinationale - ont déjà franchi le pas et participent directement sur place à l’ouverture de ce grand pays. L’objet de notre Livre Blanc est de faire un point d’étape de cette grande aventure, car il faut bien appeler cela une aventure. Ses conclusions peuvent se résumer en deux points forts: la Chine est aujourd’hui un pays incontournable, et s’y développer nécessite pour les entreprises françaises de travailler en équipe soudée. Quelle que soit la nature de son activité, une PME ayant décidé de s’implanter en Chine se trouve confrontée à un vrai parcours d’obstacles auquel elle ne peut pas faire face par ses propres moyens. La nécessaire mutualisation de ces moyens est illustrée par le concept de “chasse en meute” développé par les Conseillers du Commerce Extérieur de la France (CCE). Impliqués dès l’origine dans le développement des implantations françaises par le biais du conseil aux entreprises et au gouvernement français, les CCE ont aujourd’hui une mission beaucoup plus ciblée d’aide aux PME. Spécialistes de l’international, les quelques 80 CCE de Chine sont prêts à apporter leur expérience et leurs réseaux, en essayant de rassembler les PME pour améliorer leur efficacité et diminuer leur vulnérabilité et, plus concrètement en parrainant certaines entreprises, en leur offrant un portage ou en hébergeant des VIE.

Gérard Deleens Président de la section Chine des Conseillers du Commerce Extérieur

 

Avant propos

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epuis sa création en 1992, la Chambre de Commerce et d’Industrie Française en Chine (CCIFC) s’est donné comme double objectif d’accompagner le positionnement des entreprises françaises sur le marché chinois, et d’appuyer celles qui ont fait le choix de s’y implanter dans leur développement. On recense désormais plus de 1 800 implantations françaises en Chine. Près de onze cents sont enregistrées à la Chambre de commerce, ce qui nous permet de vous présenter un « portrait robot » de l’entreprise française implantée en Chine. En effet, 60% de nos membres sont installés depuis moins de 5 ans sur le territoire chinois. Majoritairement contrôlés à 100% par des capitaux français, ils sont également massivement installés à Shanghai ou dans les régions avoisinantes. 65% de ces entreprises emploient moins de 100 salariés en Chine, et 40% d’entre elles moins de 250 personnes dans le monde. Enfin, plus de deux tiers des maisonsmères de sociétés implantées localement sont originaires de la région parisienne. Le marché chinois reste très attractif pour les PME françaises, qui sont toujours plus nombreuses à nous rejoindre. La CCIFC a enregistré cette année plus de 130 membres supplémentaires, et aura accompagné, à la fin de l’année, environ 200 nouvelles entreprises sur le marché chinois. Plus de 50% d’entre elles mènent des projets d’export. La valorisation de l’investissement français en Chine passe désormais par la remise en cause de certaines idées reçues. C’est donc avec enthousiasme que nous nous sommes associés à la démarche initiée par les Missions Economiques de Chine et les Conseillers du commerce extérieur, visant à mettre en valeur les retombées positives pour la France de l’investissement de ses entreprises en Chine.

Annick de Kermadec-Bentzmann Présidente de la Chambre de Commerce et d’Industrie Française en Chine

 

Sommaire INTRODUCTION

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LE DEVELOPPEMENT DES IMPLANTATIONS FRANÇAISES EN CHINE EST UN PHENOMENE ENCORE RECENT

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Les trois vagues successives d’implantation ü  Les précurseurs des années 1980 ü  La grande vague des années 1990 ü  L’approfondissement des années 2000 La présence géographique de nos entreprises se diversifie progressivement ü  La Chine de l’Est consolide son rang de première destination des   implantations françaises ü  Pékin intéresse toujours nos entreprises pour sa proximite du pouvoir central et son accès à la Chine du Nord-Est ü  La province du Guangdong est la 3eme province d’accueil de nos  investissements ü  La diversification vers le Centre et l’Ouest est encore timide, sauf sur les  pôles de croissance de Chongqing, Chengdu, Wuhan et Xian ü  Historiquement, Hong Kong est souvent utilisée comme base   d’approche du marché chinois Le poids de la Chine pour nos sociétés est encore modeste, mais son importance est stratégique ü  A quelques exceptions près, la Chine ne contribue encore que   faiblement à l’activité globale de nos sociétés ü  La Chine représente néanmoins déjà un enjeu jugé stratégique

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L’ACCES AU MARCHE CHINOIS DEMEURE LA MOTIVATION PRINCIPALE DE L’IMPLANTATION, MAIS LES AUTRES FACTEURS JOUENT UN ROLE CROISSANT

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Les implantations répondent principalement à une ambition commerciale en Chine ü  La production locale n’est en moyenne que très faiblement exportée ü  Quel marché ?

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Dans une moindre mesure, la Chine est aussi pour nos entreprises une base d’exportation, essentiellement régionale ü  Pour une minorité d’entreprises, la Chine est principalement une base  d’exportation à bas coût d’investissement et de production ü  Les exportations de nos entreprises depuis la Chine pourraient se développer, malgré la croissance du marché chinois  

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La Chine est d’ores et déjà pour nos entreprises une plate-forme mondiale d’achats qui leur permet d’améliorer leur compétitivité globale ü  La Chine est devenue le pivot des politiques d’achat de nombreuses sociétés ü  Cette tendance devrait s’accélerer au cours de prochaines années La Chine commence à accueillir quelques centres d’innovation d’entreprises françaises ü  Certaines sociétés ont mis en place de véritables moyens de recherche   en Chine ü  Les motifs et les limites de cette évolution L’IMPLANTATION : DIFFICULTES RENCONTREES ET SOLUTIONS TROUVEES Les freins à l’implantation se sont récemment plutôt renforcés ü  L’investissement reste contraint dans certains secteurs sensibles, qui sont autant de points forts de nos entreprises ü  Le cadre général des investissements étrangers s’est resserré depuis     2006 Les principaux risques d’une implantation en Chine ü  La question centrale du partenariat capitalistique ü  Les atteintes à la propriété intellectuelle ü  Le défi des ressources humaines

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L’IMPACT DES IMPLANTATIONS EN CHINE EST GLOBALEMENT FAVORABLE POUR LES ENTREPRISES COMME POUR L’ECONOMIE FRANÇAISE

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Contrairement à une idée reçue, de nombreuses entreprises françaises sont profitables en Chine

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Du point de vue de l’économie française ü  Les effets sur l’emploi ü  L’effet d’entrainement des PME ü  Les flux financiers rapatriés ü  Les effets induits

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CONCLUSION: DEMAIN, QUELS ENJEUX?

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Introduction L’importance des investissements français en Chine est largement méconnue. Les statistiques n’en rendent que très imparfaitement compte : selon les chiffres publiés par la Banque de France, le stock d’investissements directs français en Chine atteignait1 2,7 Mds d’euros fin 2005, avec des flux en nette augmentation ces dernières années par rapport à la moyenne des années 1990. Les statistiques chinoises dressent pour leur part un tableau assez différent de la situation, avec un stock d’investissement français estimé à 6,8 Mds de dollars US en 2005 et un flux 2005 de 600 M de dollars US, en stagnation. Que retenir de ces chiffres qui ne convergent pas? Rapportés à des données comparables, ils tendent à montrer que l’investissement français en Chine est encore relativement marginal, d’un point de vue français comme d’un point de vue chinois : la Chine ne représenterait que 0,3 % du stock total de nos investissements à l’étranger, nos investissements ne s’y élèveraient qu’à 1,2% du total accueilli par la Chine ; la France ne serait ainsi que le 10ème investisseur mondial en Chine et le 3ème européen. Est-ce à dire que nos investissements en Chine sont encore insuffisants, au moins en termes comparatifs ? Certainement. Mais à l’inverse, ces chiffres minorent considérablement le poids réel de nos investissements, qui transitent en grande partie par des pays tiers (Pays-Bas ou parfois paradis fiscaux) et ne sont donc plus comptabilisés comme français. Surtout, l’investissement tel qu’il est mesuré ne donne pas une image fidèle de la présence et de l’activité de nos entreprises, dont l’intensité capitalistique est extrêmement variable selon les secteurs. La présence française en Chine peut être estimée, selon les dernières données recueillies par les Missions économiques de Chine à la mi-2007 à près de 1 800 implantations réalisées par 850 entreprises. Ces sociétés appartiennent pour moitié à l’industrie, à 40% au secteur des services et à 10% à l’agro-alimentaire et aux biens de consommation. Elles emploient près de 250 000 personnes. Mais pour mieux saisir l’importance relative de la présence économique française en Chine, il faut rapporter le chiffre d’affaires des filiales chinoises d’entreprises françaises au montant des exportations depuis la France. Ce chiffre d’affaires cumulé a été évalué par la Mission économique de Pékin à plus de 20 Mds d’euros en 2006, sur la base d’une enquête spécifique auprès de 109 groupes français, à comparer à près de 8 Mds d’Euros d’export la même année. Autrement dit, le chiffre d’affaires de nos entreprises en Chine représente au moins deux fois et demie celui qu’elles réalisent sur ce pays à partir de la France. Alors que l’attention se focalise souvent sur notre seul commerce extérieur – et sur le creusement de notre déficit avec la Chine – le véritable enjeu économique paraît plutôt aujourd’hui tenir à la capacité de nos entreprises à développer leur activité sur le territoire chinois. La véritable nature des investissements français en Chine est également trop souvent mal comprise. Alors que l’émergence économique et commerciale de la Chine inquiète et que les 1

Données les plus récentes disponibles à la date d’édition de ce document.

 

délocalisations industrielles hors de France sont une réalité dans plusieurs secteurs, certains assimilent hâtivement les investissements en Chine à des délocalisations. Or la réalité est tout autre : la Chine n’est pas une destination privilégiée pour les délocalisations. Celles-ci sont plus fréquentes vers les pays de l’Est ou le Maghreb, pour des raisons de proximité et de facilité de réalisation de l’investissement et l’on peut affirmer que les cas de délocalisations vers la Chine sont extrêmement rares. Quant à l’idée que l’implantation se substituerait à l’exportation depuis la France, et que l’investissement en Chine serait donc nuisible à notre commerce extérieur et à l’emploi en France, si elle peut être exacte dans quelques rares cas, elle ne résiste pas globalement à l’épreuve des faits, comme le savent de nombreuses entreprises qui continuent à exporter depuis la France, voire ont accru leurs exportations depuis leur implantation. Investissement et commerce extérieur apparaissent bien plus complémentaires que substituables. Pour donner une image plus fidèle du développement de la présence des entreprises françaises en Chine, dans toutes ses dimensions, les Missions économiques de Chine, les Conseillers du commerce extérieur de Chine et la Chambre de Commerce et d’Industrie française en Chine ont conjointement décidé de la rédaction d’un livre blanc. Ce document, public, a été établi principalement sur la base d’entretiens en face-à-face avec les responsables de 88 sociétés françaises implantées en Chine. Ces sociétés ont été sélectionnées pour obtenir un échantillon représentatif de notre présence – même s’il est nécessairement imparfait – en termes de secteur d’activité, de taille et de localisation géographique. On y retrouve aussi bien Carrefour, premier employeur français du pays, avec 40 000 salariés, que des entreprises qui y comptent moins de 10 salariés. Même si aucune entreprise ayant échoué dans son implantation en Chine n’a été interviewée – l’intégralité du travail de recherche pour ce rapport ayant été réalisé sur place – il a été pris soin de ne pas écarter les témoignages d’entreprises qui ont connu ou connaissent encore des difficultés, parfois importantes, du fait de leur implantation en Chine. La liste des entreprises interviewées figure en annexe à ce rapport ; s’y ajoutent quelques autres qui ont souhaité témoigner de manière anonyme. Le rapport s’articule autour de quatre grandes questions, auxquelles il s’efforce de répondre objectivement, à la lumière des expériences vécues par les entreprises rencontrées : ß  Depuis quand et où les entreprises françaises s’implantent-elles en Chine ? ß  Pourquoi ces entreprises viennent-elles en Chine ? ß  Quelles sont les difficultés rencontrées et quelles solutions ont pu être trouvées ? ß  Quel est l’impact de ces implantations, pour les entreprises comme pour l’économie française ?

 

Le développement des implantations françaises en Chine est un phénomène encore récent Les trois vagues successives d’implantation Les précurseurs des années 1980 Il n’existe quasiment pas d’entreprises dont la présence en Chine continentale puisse être retracée, de manière continue, antérieurement à l’ouverture économique du pays, amorcée en 1979 par Deng Xiaoping. Si des entreprises françaises avaient bien sûr abordé le marché chinois auparavant, le cas échéant en s’y implantant physiquement, les bouleversements du XXème siècle en ont effacé les signes. Ó  Dans la chronologie des implantations françaises, deux entreprises font figure de pionniers, avec une implantation antérieure à 1979 Air France, après avoir ouvert une ligne sur Hong Kong en 1938, a ouvert une ligne sur Shanghai dès 1966 ; celle-ci a été fermée en 1973 au profit de Pékin, la Chine n’autorisant à l’époque qu’une seule ligne par compagnie étrangère. Il faudra attendre 1998 pour que la liaison sur Shanghai soit réouverte, puis 2004 et 2006 pour relier respectivement Canton et Chengdu à Paris (via Amsterdam par un vol KLM). Technip est la seconde exception notable. A la suite de la reconnaissance de la République populaire de Chine par le Général de Gaulle en janvier 1964, un accord a été trouvé pour faire réaliser par la France un complexe pétrochimique à Liaoyang, dans le Liaoning. Technip qui, allié à Speichim, emmène un consortium d’entreprises françaises, ouvre un bureau de représentation en 1975 après avoir signé un premier contrat au début de la décennie et fait venir sur site un grand nombre d’expatriés avec leurs familles ; une école est ouverte. Le complexe, construit par l’armée, sera achevé en 1979. Jusqu’à la fin des années 1980, le bureau de représentation s’avèrera adapté pour soutenir le flux d’exportations d’études et d’équipements depuis la France. Ce n’est qu’au milieu des années 1990 que le tarissement de ce flux impose de créer une véritable filiale pour relancer l’activité. C’est donc seulement à la toute fin des années 1970 que remonte le premier véritable mouvement d’implantation de nos entreprises en Chine. Encore ne s’agit-il que de cas isolés, qui concernent quasi-exclusivement des grands groupes, essentiellement dans le secteur industriel. Les premiers résultats ont d’ailleurs été parfois modestes, marquant une forme de faux départ. Ó  Les grands groupes industriels ouvrent la voie Dès 1979, Alstom ouvre son bureau de représentation à Pékin. La même année, Elf et Total font leurs premiers pas en Chine dans l’exploration offshore, en partenariat avec une société chinoise qui est devenue par la suite la China National Offshore Oil Company (CNOOC). Les recherches d’Elf sont restées sans résultat ; Total a exploité pendant 4-5 ans un petit champ pétrolier jusqu’à sa restitution à CNOOC. Le véritable retour du groupe Total dans l’exploration en Chine ne s’effectuera que plus de 20 ans après avec le contrat  

© DR

signé en 2006 avec Petrochina pour l’évaluation d’un gisement de gaz piégé dans des réservoirs très compacts à Sulige, dans le bassin de l’Ordos, qui pose des problèmes techniques délicats de forage et d’extraction des gaz, pour lesquels une expertise étrangère est jugée nécessaire. En 1980, Rhône Poulenc installe un bureau de représentation à Shanghai. Le groupe chimique français, devenu aujourd’hui Rhodia, fut le pionnier de la chimie de spécialités en Chine. En 1983, Alcatel crée à Shanghai une joint-venture majoritaire avec Shanghai Bell, entreprise d’Etat. Alcatel Shanghai Bell, qui a connu depuis une réussite remarquable, reste à ce jour la seule société à majorité étrangère sous la supervision de la State-owned Assets Supervision and Administration Commission (SASAC), autorité de tutelle des entreprises publiques. La même année, Sanofi s’implante en Chine. En 1985, Peugeot s’implante à Canton avec la création de la co-entreprise Guangzhou Peugeot Automobile Company. Mais cette première expérience n’est pas un succès : la joint-venture produit 100 000 voitures (des 505 familiales et des pick-up 504) au cours des 12 années de son existence avant de fermer en 1997, l’outil industriel étant cédé à Honda. L’inexpérience des autorités locales, les interférences politiques, mais aussi le faible degré de priorité du côté du groupe français, qui est alors en pleine période de redressement en Europe et n’est pas en mesure de se concentrer sur cette aventure lointaine, expliquent cet échec. Le groupe PSA reviendra en Chine les années suivantes par le biais de la marque Citroën.

Un complexe de polyéthylène construit en Chine par Technip.  

Schneider Electric réalise en 1987 son premier investissement à Tianjin, en joint-venture, pour la fabrication et la vente sur le marché chinois de l’un de ses produits-phares, le minidisjoncteur. Ce « ballon d’essai » s’avère une réussite commerciale, sinon économique. Thomson a débuté en Chine dès les années 70 via son unité « Thomson-CSF » qui correspond aujourd’hui à la division « Thales Traffic Management » par la vente d’un radar à Pékin. Le premier bureau de représentation s’est ouvert ensuite, dès 1980. Mais l’aventure la plus emblématique de ces années reste celle vécue par Framatome2, EDF, Alstom et Vinci pour la construction de la centrale nucléaire de Daya Bay, dans la région de Canton (cf. encadré). L’importance du projet conduira à y installer la principale communauté d’expatriés français de l’époque. Cette réalisation aura été la première pierre dans l’édification du partenariat stratégique qui lie aujourd’hui encore la France et la Chine dans l’industrie nucléaire civile. Ó  Dans les services, la présence française se développe encore peu Les banques suivent naturellement leurs clients industriels, notamment à travers l’accompagnement des grands projets et le financement du commerce extérieur. En 1980, BNP a ouvert son bureau de représentation à Pékin, suivi d’autres bureaux dans le courant de la décennie à Shanghai, Canton et Shenzhen. La banque participe ainsi notamment au financement sur crédits export de la centrale nucléaire de Daya Bay. Pour sa part, la Société Générale, après avoir mis un pied à Hong Kong en 1979 avec un bureau de représentation qui dispose déjà d’une antenne à Canton, ouvre en 1981 un bureau de représentation à Pékin, puis en 1983 à Shanghai et Shenzhen. Elle finance en 1986 le premier achat d’un appareil Airbus par l’aviation civile chinoise. Les cabinets d’avocats français s’implantent également, dans la même logique d’accompagnement de leurs clients, mais sont contraints par le cadre juridique, qui les empêche à l’époque d’ouvrir des bureaux de représentation. Des solutions sont trouvées pour s’implanter néanmoins, à petite échelle : en 1986, DS Avocats ouvre un bureau de consultant à travers une association créée en France, tandis que Gide Loyrette Nouel s’implante un an plus tard sous la forme d’une société de moyens. Dans les services au consommateur, peu d’entreprises tentent encore l’aventure de la Chine et elles se heurtent alors au manque de maturité du marché. Ainsi, après avoir ouvert son premier hôtel en 1985 en joint-venture, Accor a connu une série de déconvenues, les joint-ventures mises en place dans les années suivantes n’ayant pas produit de résultats. Si le groupe développe progressivement sa présence dans le pays, le tournant n’interviendra qu’au début des années 2000, avec la suppression de l’obligation de s’implanter sous la forme de joint-ventures dans ce secteur. France Telecom ouvre fin 1986 son bureau de représentation à Pékin, dans une optique de veille et de contacts. Ce n’est que dix ans plus tard que la société sera autorisée – malheureusement momentanément, cf. infra – à créer deux co-entreprises avec China Unicom. Snecma (intégré aujourd’hui dans le groupe Safran) ouvre un bureau de représentation à Pékin dès 1989, cinq ans avant Airbus. 2

Intégré par la suite dans le groupe AREVA NP

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L’aventure de Daya Bay Le principe d’une coopération franco-chinoise pour la production d’énergie d’origine nucléaire fut acquis dès 1980 par un accord entre Valéry Giscard d’Estaing et Deng Xiaoping. En octobre 1986, le contrat pour les deux centrales de 1 000 mégawatts de Daya Bay est signé. EDF supervise, pour le compte de la China Guangdong Nuclear Power Company (CGNPC), la construction et la mise en service de ces deux réacteurs, tandis que Framatome fournit l’îlot nucléaire, GEC-Alsthom3 l’îlot conventionnel et Campenon Bernard4 réalise le génie civil. Une base vie est créée, avec une école et des logements pour 500 familles françaises (envoyées par les différentes entreprises en charge du projet) : c’est à l’époque la principale implantation d’expatriés français en Chine, loin devant Pékin et Shanghai. Les Français, persuadés d’être dans un pays d’un faible niveau technique et connaissant mal le pays (aucun ne parlait chinois), voulaient faire par eux-mêmes et réagissaient avec méfiance aux initiatives de leurs partenaires. Les Chinois voulaient déjà acquérir leur autonomie, envoyant en masse leurs cadres techniques en formation en France, et posant de multiples questions. L’accoutumance mutuelle passa par une série de crises. Toute la documentation technique était rédigée en français (contraignant les ingénieurs à formaliser de nombreuses procédures) et traduite à grand’peine par une armée d’assistantes sur des machines à écrire, avec de multiples allers-retours pour corriger des milliers d’erreurs, jusqu’à ce que la partie chinoise fournisse une installation entièrement neuve dotée d’ordinateurs dernier cri. Un conflit interne entre deux entreprises chinoises conduisit à la paralysie des travaux d’installation des digues du port pendant un an, jusqu’à une intervention de Li Peng (à l’époque vice-premier ministre) qui permit de réaliser la totalité des travaux en un temps record (5 mois) pour, en définitive, respecter le calendrier initial. Une crise similaire se produisit pour les travaux de montage, montrant à la fois les difficultés du consensus interne en Chine et l’extraordinaire rapidité d’action une fois qu’une instruction claire venue d’en haut mettait un terme aux débats. Les ingénieurs français traitaient distraitement les nombreuses questions techniques posées par leurs interlocuteurs, jusqu’au moment où ils ont réalisé qu’elles étaient souvent pertinentes et qu’elles mettaient le doigt sur des améliorations possibles. C’est en définitive grâce à certaines personnalités fortes, comme par exemple Gao Shenyan, responsable du personnel chinois et représentant du parti, que la coopération entre responsables français et chinois devint efficace après une phase initiale d’incompréhension. La centrale de Daya Bay est entrée en opération en 1994. 3 4

Devenu Alstom Intégré par la suite dans le groupe Vinci

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La grande vague des années 1990 Le premier afflux significatif d’implantations françaises en Chine intervient dans le courant des années 1990, dans tous les secteurs, mais avec une intensité qui dépend de la maturité des marchés et des conditions d’accueil des investissements étrangers. La première implantation en Chine continentale a souvent été précédée d’une implantation à Hong Kong, qui a servi de base de découverte du monde chinois. Ó La présence française se diversifie sectoriellement, mais les grands groupes prédominent encore Dans l’automobile, Citroën signe en 1990 avec Dongfeng Motors un contrat de jointventure qui débouche en 1992 sur la création de la société Dongfeng Citroën Automobile Company (DCAC). Cette société produit la ZX, premier modèle commercialisé à la fois en France et en Chine. Deux unités de production sont créées à Wuhan (assemblage) et à Xiang Fan (moteurs et boites de vitesse), avec une capacité de production de 150 000 véhicules/an à partir de 1996. C’est précisément sous l’impulsion du groupe PSA que Valeo, qui disposait de quelques licenciés en Chine au début des années 1990, s’implante à partir de 1994, sous la forme d’une demi-douzaine d’usines, installées principalement à Wuhan et dans le Zhejiang, avec comme clients la joint-venture de Citroën ou encore Volkswagen. Faurecia, filiale du groupe PSA, s’est également implantée en 1998, créant depuis lors une à deux usines par an. Hutchinson, filiale de Total, s’est d’abord implantée en 1995, sur le segment automobile, à Wuhan. Dans différents secteurs industriels, les premières implantations remontent souvent à cette époque : Airbus crée un bureau de représentation à Pékin en 1994, avant de mettre en place un centre de formation et un centre de services clients en 1997. Dès 1994 également, Delachaux s’implante à Wuhan, en créant une joint-venture majoritaire dans le domaine de la conductique. En 1996, Bacou-Dalloz, leader mondial des protections individuelles en milieu industriel s’implante, tout comme Lafarge Gypsum, filiale plâtre de Lafarge (qui constituera dès 1999 une joint-venture avec l’australien Boral) et Moret Pompes5. En 1997, Aldes, société familiale lyonnaise aujourd’hui leader européen du confort de l’habitat installe en Chine un bureau de représentation, puis une filiale l’année suivante. La même année, Somfy, leader mondial des systèmes d’automatisation et de motorisation pour la maison et les bâtiments ouvre en 1997 un bureau de représentation à Shanghai pour distribuer ses produits en Chine. Dans les biens de consommation, Seb ouvre sa première usine en Chine en 1995. Deux ans auparavant, Sitram, fabricant d’articles et ustensiles de cuisine en inox, a créé une usine avec un fabricant de casseroles, également en joint-venture. Dans les nouvelles technologies, Ubisoft installe en 1996 une filiale de vente et de production de jeux vidéo. Dans le domaine de la santé, Ipsen crée un bureau de représentation en 1992, avant d’installer une usine à Tianjin en 1997. Essilor s’implante en 1995, avec un démarrage effectif de son usine en 1997. C’est aussi la décennie où les grands acteurs du secteur des services s’implantent. Carrefour crée sa première implantation en 1995 et Auchan en 1999. La compagnie 5

Devenu à partir de l’an 2000 la société Ensival-Moret comme nous l’indiquons dans la suite du texte.

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© Joris ZYLBERMAN

maritime CMA CGM s’implante dès 1992 pour profiter de l’essor du commerce extérieur chinois, tandis que Sodexho crée sa première structure en Chine au milieu des années 1990. Dans le domaine des services à l’environnement, le groupe indépendant d’ingénierie et de conseils Sogreah, après deux premiers projets financés par l’Union européenne puis la France en 1990 et 1994, ouvre son premier bureau de représentation à Pékin en 1997. Dès 1995, Veolia a créé une présence en Chine sur trois de ses métiers : l’eau, l’énergie et le traitement des déchets. La présence de l’assureur Groupama remonte à 1994, à travers le bureau de représentation du GAN, racheté en 1998, tandis qu’AXA ouvre en 1999 sa première joint-venture d’assurance-vie à Shanghai, avec le chinois Minmetals. Le cabinet d’audit Mazars s’implante en Chine continentale en 1997, tandis que les cabinets d’avocats officialisent leur présence, à la suite d’une évolution de la réglementation en 1992, autorisant les avocats étrangers à ouvrir des bureaux de représentation. Adamas est ainsi le premier cabinet français à obtenir une licence, dès 1992 ; Gide Loyrette Nouel fait de même en 1993. Dans l’agro-alimentaire, la PME Grimaud Frères, leader mondial de la sélection génétique des palmipèdes, s’est installée en 1996 à Chengdu, dans le Sichuan, après avoir établi au cours des années précédentes un courant de ventes régulier avec la Chine.

Carrefour a créé sa première implantation en 1995. 13 

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Ó Les sociétés qui avaient déjà investi développent leur présence Technip parvient, en s’appuyant notamment sur ses effectifs de Malais d’origine chinoise, à surmonter les barrières à l’implantation dans le domaine de l’ingénierie pétrolière et crée une filiale en 1996 ; elle reste à ce jour l’une des trois seules sociétés étrangères autorisées dans sa spécialité. Elf et Total se lancent en Chine sur leurs métiers autres que l’exploration-production au cours de cette période, avec le raffinage en 1992 (prise de participation de 22% dans la raffinerie de Wepec), la pétrochimie au milieu des années 1990, et la distribution, dans la région de Wuhan, en 1999. Elf Atochem (devenue par la suite Arkema) s’installe en Chine en 1995 et développe en quelques années une présence importante dans la chimie fine, avec une quinzaine d’unités industrielles et une société holding en 1997. Elf Atochem employait près de 2000 salariés dès la fin de la décennie Schneider Electric, fort de la réussite de sa première joint-venture, décide en 1991 de se développer en Chine sur toute la gamme de ses produits. Après avoir mis en place des bureaux conséquents à Hong Kong puis Pékin, elle connaît une croissance externe rapide en multipliant les joint-ventures industrielles de 1994 à 2000. Les années 1990 marquent aussi pour Thomson un virage stratégique et surtout un changement d’échelle, avec la délocalisation vers la Chine des usines précédemment situées en Asie du Sud-Est (Singapour et Malaisie notamment), pour servir les grands marchés d’exportation dans les domaines des radios réveil, de la hi-fi, puis des téléviseurs et de tubes, avec un effectif qui atteindra un pic de 30 000 salariés en 2002 et un CA export de plus de 2 Mds €. Dans le secteur bancaire, les années 1990 voient s’étoffer la présence de la Société Générale, toujours autour de grands projets – comme la participation à la constitution de la joint-venture de Citroën à Wuhan, puis le financement de l’extension de l’usine. BNP pour sa part (et Paribas parallèlement) développe des succursales sur des activités de banque commerciale, à Shanghai en 1992, Tianjin (1994), puis Pékin (1997). Dans l’aéronautique, Snecma ouvre un centre de formation et de maintenance aéronautique dans le Sichuan en 1996 et crée une joint venture avec Air China en 1999.

Le groupe PSA est implanté en Chine depuis les années 1980. 14 

L’approfondissement des années 2000 Les années 2000 sont marquées par l’adhésion de la Chine à l’OMC en décembre 2001. Au-delà des baisses tarifaires, celle-ci améliore le cadre des investissements et permet l’accélération du mouvement d’implantations françaises. La croissance de l’activité locale des cabinets d’avocats, fortement corrélée aux projets d’investissements français, en témoigne : depuis 2000, ceux-ci connaissent une nette accélération de la croissance de leur chiffre d’affaires, qui s’établit à +30/+40% par an. Ó Des entreprises de taille plus modeste s’implantent Certains groupes de taille intermédiaire, présents depuis longtemps à Hong Kong, comme la Cnim (spécialisée dans les industries mécaniques de haute précision pour les transports, l’énergie, l’environnement et la Défense), Saft (fabrication de batteries de haute technologie) ou encore Biomérieux (fabrication de tests réactifs et de machines de diagnostic pour le médical et l’agroalimentaire), s’implantent en Chine continentale. D’autres, comme Oberthur Card Systems (fournisseur de solutions à base de cartes à puce) ou encore Roquette (producteur de dérivés de l’amidon et de co-produits à base de blé, maïs, pomme de terre et fécule de manioc), qui exportaient déjà de manière significative vers la Chine, y créent un site industriel. Sur cette période s’implantent aussi : AFE Technologies (fonderie pour l’aéronautique et l’automobile ; 2007), Avantec (formulation de spécialités chimiques ; 2005), Axon Cable (production de cables plats flexibles et de cordons électroniques ; 2000), Business Interactif (marketing en ligne ; 2005), Chapellet (distribution de fixations, visserie, boulonnerie, etc. ; 2005), DMC (fabrication de fils de broderie ; 2005), Easybox (packaging pour le luxe ; 2005), G2J.com (services de conférence à distance ; 2005), La boîte à Pizza (restauration ; 2006), Masaï (sourcing ; 2005), Manitou (chariots élévateurs tout terrain  ; 2006), Onduline (matériaux de toiture légers ; 2001), Sogal (façades coulissantes et rangements sur mesure ; 2004) et Uniross (batteries rechargeables et chargeurs ; 2003). Le cabinet d’avocats Bignon Lebray et Associés obtient sa licence d’exercice et ouvre un bureau à Shanghai en février 2007. Ó Les investissements changent d’échelle et les structures se rationalisent Pour beaucoup de sociétés déjà présentes, les années 2000 marquent le changement d’échelle de leur investissement. La conjugaison de la levée d’obstacles réglementaires et de la maturation du marché conduit en effet à y intensifier le rythme d’investissement. De nombreuses PME et groupes intermédiaires déjà implantés font la transition du bureau de représentation à une filiale commerciale ou industrielle. A titre d’exemple, Somfy transforme en 2002 son bureau en WFOE6, avant de prendre une participation majoritaire dans une usine chinoise en 2005. De même, Pillard implante une filiale en 2004, dix ans après la création de son bureau de représentation. Pour une bonne partie des grands groupes, le rythme de croissance en Chine s’est accéléré depuis une demi-douzaine d’années. Alcatel crée son siège Asie Pacifique à Shanghai dès l’an 2000 et prend en 2002 la majorité 6

Wholly Foreign Owned Entreprise

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du capital de sa filiale Shanghai Bell. Le développement de Carrefour l’illustre : après une période de stagnation de sa croissance due à des restructurations internes, Carrefour Chine se développe depuis 2005 au rythme extrêmement rapide de 20 nouveaux hypermarchés par an, passant de 45 à 100 sites en 4 ans seulement. C’est aujourd’hui, avec près de 40 000 employés en Chine, le premier employeur français du pays. C’est aussi, depuis la levée de l’obligation d’avoir un partenaire dans le secteur hôtelier au début des années 2000, le cas d’Accor : selon ses responsables en Chine, la société ne s’est jamais développée aussi vite que dans ce pays. L’entreprise prévoit à partir de 2007 d’ouvrir 20 à 25 hôtels filiales et 10 à 15 hôtels en gestion simple par an. Accor a commencé à ouvrir des hôtels Ibis en WFOE en 2004 et estime le potentiel du marché chinois sur ce segment à 500 hôtels. L’ouverture, encore limitée, du secteur financier a permis aux banques françaises d’amorcer leur véritable développement en Chine à partir de 2002/2003, tout en restant très en-deçà de leur potentiel. Dans le domaine du luxe, une société comme LVMH a constaté le décollage du marché à partir de 2000, alors même que le secteur de la distribution avait entamé son évolution dès 1993. De même, dans l’environnement, le développement de Veolia s’est nettement accéléré à partir de 2000/2001. Face à l’explosion du marché automobile chinois, PSA définit au cours de cette période une nouvelle stratégie d’expansion : en 2001 le capital de sa joint-venture – qui devient Dongfeng Peugeot Citroën Motor Company – est porté à 700 M€ ; en 2004 est décidé le doublement de la capacité de l’usine d’assemblage, puis en 2006 la création d’une nouvelle ligne d’assemblage à Wuhan, qui portera en 2009 la capacité de production annuelle totale à 450 000 véhicules. Quant à Airbus, l’année 2007 marque une étape décisive avec la signature du contrat portant création à Tianjin d’une joint-venture pour la chaîne d’assemblage final de l’Airbus A 320. Troisième ligne de production du consortium après Toulouse et Hambourg, cette chaîne permettra de faire face à la demande chinoise d’appareils mono-couloirs. Ó  Plusieurs groupes sont actuellement dans une phase de restructuration de leurs sociétés chinoises, pour leur donner plus de cohérence. Le renforcement et la diversification des investissements ont souvent conduit à la multiplication des entités juridiques, aux statuts parfois hétérogènes. Deux axes sont privilégiés : ü  la mise en place d’une véritable structure de pilotage et de moyens partagés pour l’ensemble du pays. Ainsi plusieurs groupes transforment ou remplacent leurs bureaux de représentation par une « société de conseil en management » pour mutualiser les ressources fonctionnelles : entre autres, Thales a ouvert une nouvelle société, Thales Beijing Services, qui regroupe progressivement les fonctions ressources humaines, finances, informatique, sécurité, marketing, ainsi que le lobbying. Carrefour appuie et pilote ses différentes joint-ventures grâce à une telle société, basée à Shanghai, tandis qu’Areva, après en avoir créé une première à Pékin, en met une autre en place à Shanghai. LVMH est également en cours de transformation de son bureau de représentation, tandis 16 

© Anne-Severine DOUARD

qu’EADS commence à mutualiser certaines fonctions jusqu’à récemment déconcentrées dans les entités du groupe. ü  de manière plus ambitieuse, la constitution d’une holding locale. Elle permet de consolider les comptes des entités chinoises et donc de compenser les pertes des entités récentes par les profits générés par les sociétés plus anciennes et, le cas échéant, d’autofinancer les investissements au lieu de faire appel à la maison mère : depuis la fin 2005, Auchan a créé une société holding qui rachète progressivement toutes les entités du groupe en Chine ; ce processus s’accompagne également de la création de fonctions support communes. EADS ou LVMH envisagent également la création d’une holding. Les exigences de capitalisation d’une holding en Chine - 30 millions de dollars sur les 3 premières années - sont cependant jugées excessivement lourdes par certains groupes, qui privilégient Hong Kong comme siège de leur holding ou continuent à gérer leurs participations depuis la France.

Une boutique Hermès à Pékin

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La présence géographique de nos entreprises se diversifie progressivement La présence française en Chine peut être estimée, selon les dernières données recueillies par les Missions économiques de Chine à la mi-2007 à près de 1 800 implantations pour 850 entreprises. Si la majorité des bureaux de représentation reste localisée à Pékin (39%) et Shanghai (31%), les implantations industrielles sont plus concentrées dans les régions de Shanghai (31%) et Canton (16%). Les entreprises françaises ont donc largement choisi les trois principales portes d’entrée du marché chinois pour conquérir une clientèle encore essentiellement concentrée sur la façade Est du pays. En quatrième position, le Jiangsu totalise une centaine d’implantations françaises devant le Hubei (une cinquantaine d’entreprises), le Sichuan, la Municipalité de Tianjin, le Shandong et le Liaoning. A noter également que de nombreux investisseurs continuent d’utiliser Hong Kong pour approcher le marché chinois.

La Chine de l’Est consolide son rang de première destination des implantations françaises La Chine de l’Est (Shanghai, Jiangsu, Zhejiang, Anhui) concentre à ce jour pas moins de 43% des implantations françaises sur le territoire chinois ; à Shanghai, la présence française a été multipliée par 2 depuis 2002. Ce développement a bien entendu profité de la politique d’accueil des IDE depuis l’ouverture de la Chine dans les années 80, avec la création de zones spéciales de développement offrant un environnement économique et juridique privilégié aux investissements étrangers. Ces zones ont drainé la grande majorité des capitaux étrangers en Chine, mais aussi la technologie et le capital humain occidentaux. L’entrée de la Chine à l’OMC en 2001 et la perspective d’harmonisation des taxes sur l’ensemble du territoire chinois en 2008 ne devraient pas atténuer les multiples avantages qu’offrent ces zones. La logique fiscale entrera moins en compte dans la décision des opérateurs de choisir telle ou telle implantation, ce sont des considérations plus stratégiques qui guideront ces options. Le choix de Shanghai pour accueillir l’exposition universelle 2010 devrait par ailleurs offrir d’intéressantes opportunités d’affaires pour les entreprises françaises.

Pékin intéresse toujours nos entreprises pour sa proximité du pouvoir central et son accès à la Chine du Nord-Est Avec une augmentation de la présence française de 70% depuis 2002, Pékin est toujours en 2007 la seconde destination de nos entreprises. Les quelque 330 implantations françaises recensées à Pékin en juin 2007 sont essentiellement des sièges d’entreprises ou des bureaux de représentation et dans une très faible mesure des installations industrielles. Siège du gouvernement et des principales institutions chinoises, la capitale reste le choix naturel de la plupart des grands groupes qui disposent de plusieurs unités de production sur le territoire pour la base de leurs opérations en Chine. 18 

Pékin joue également un rôle majeur dans le domaine des hautes technologies et de la R&D. Plus de 50% des centres de R&D étrangers en Chine sont à Pékin et plus de 50% d’entre eux sont dans les TIC. Le gouvernement tente désormais d’utiliser les IDE pour soutenir sa politique d’aménagement du territoire, enjeu fondamental compte-tenu de l’ampleur des déséquilibres géographiques en Chine. Il s’agit donc notamment pour les autorités de revitaliser les provinces industrielles du Nord-Est. De par sa position géographique privilégiée, Pékin joue véritablement son rôle de moteur du commerce international du Nord-Est chinois, en même temps qu’elle profite en retour d’un élan de développement économique de l’ensemble de cette région. Autour de Pékin, les villes de Tianjin, Dalian, Shenyang constituent trois autres pôles d’attraction avec de véritables installations industrielles. Le Shandong est également devenu une destination importante des investisseurs français.

La province du Guangdong est la 3ème province d’accueil de nos investissements Les grandes réformes économiques et la création de Zones Economiques Spéciales ont également profité à la Chine du Sud en entraînant dès 1984 l’arrivée de nombreux investissements étrangers. Aujourd’hui, la province du Guangdong – en particulier le Delta de la rivière des Perles (Canton/ Shenzhen) – est la 1ère province d’accueil des investisseurs étrangers et la 3ème province d’accueil des implantations françaises avec près de 15% de nos investissements industriels et commerciaux dans le pays. La France est aujourd’hui, avec un nombre d’implantations multiplié par 2 depuis 2002, le 4ème investisseur européen de la province derrière l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume Uni. Si les investissements à destination du Guangdong se portent aujourd’hui très bien, il convient de rappeler les enjeux de diversification de ces investissements au secteur tertiaire, encore trop négligé, par rapport au secteur industriel, ainsi que la concurrence des autres provinces prospères du Sud comme le Fujian ou l’île de Hainan, ainsi que des provinces intérieures comme le Yunnan et le Guangxi, ou encore les provinces nouvellement les plus attractives au Centre et au Nord du pays (Sichuan, Chongqing, Liaoning,…). Enfin, il ne faut pas négliger non plus le rôle croissant joué, en termes d’IDE, par Dongguan mais aussi par d’autres villes du Delta de la rivière des Perles, comme Foshan, Huizhou, Shunde, Zhongshan et Jiangmen.

La diversification vers le Centre et l’Ouest est encore timide, sauf sur les pôles de croissance de Chongqing, Chengdu, Wuhan et Xian Le développement des régions du Centre et de l’Ouest, restées largement à l’écart de la forte croissance qui a transformé le paysage économique et social de la Chine côtière au cours des vingt dernières années, est une priorité affichée des autorités chinoises. Il figure également parmi les politiques prioritaires du XIe plan quinquennal (200619 

2010). La volonté d’encourager les investissements dans le Centre et l’Ouest du pays a également conduit à l’adoption, en juin 2000, d’un catalogue spécial pour ces zones (le Catalogue du Centre et de l’Ouest). Ainsi, des investissements étrangers qui seraient tout juste permis dans l’Est du pays, sont encouragés dans l’Ouest. Il en résulte notamment une plus grande souplesse de la procédure d’approbation et des avantages fiscaux. Or les régions du Centre et de l’Ouest du pays ont des difficultés à faire valoir leurs atouts en comparaison des provinces côtières développées. Outre leur enclavement naturel que ne contrebalance pas encore un réseau de communications insuffisamment développé, elles ne bénéficient pas toujours d’une main-d’œuvre qualifiée abondante. Leur avantage comparatif réside bien souvent dans la possession d’importantes réserves de matières premières. Au-delà des déclarations politiques, le rôle que les investisseurs étrangers sont appelés à jouer dans cette “ruée vers l’Ouest” reste mal défini. Ainsi, les incitations proposées par le gouvernement n’ont pour l’instant pas porté leurs fruits compte tenu de l’éloignement et du sous-équipement en infrastructures de ces provinces. Il faut toutefois préciser que les régions concernées ne sont pas homogènes et plusieurs pôles de croissance attirent depuis déjà une dizaine d’années les investissements français, tant pour leur marché local que pour leur tissu industriel et le niveau d’éducation de leur population. C’est ainsi que Chengdu (capitale du Sichuan), Chongqing (ville-province enclavée dans le Sichuan), Wuhan (capitale du Hubei) et Xian (capitale du Shaanxi) reçoivent à elles quatre la majorité des investissements effectués dans l’Ouest. La présence française à Wuhan est considérable avec près d’une cinquantaine d’implantations, qui font de notre pays le troisième investisseur dans cette province. Celles-ci se situent principalement dans la filière automobile et l’énergie, avec notamment le rôle central joué par Dongfeng Peugeot Citroen Automotive (DPCA) qui y emploie plus de 8000 salariés, et l’acquisition récente de Wuhan Boiler Group par Alstom, avec une diversification récente dans les télécommunications, le ferroviaire, l’électronique, l’hôtellerie, ou la grande distribution. Dans le Sichuan, la France occupe la 10ème place des investisseurs étrangers ce qui fait d’elle le premier investisseur européen, avec près d’une vingtaine d’entreprises françaises implantées ( dans des secteurs diversifiés allant de l’agro-alimentaire à l’aéronautique, en passant par l’industrie lourde, l’électronique et les services financiers).

Historiquement, Hong Kong est souvent utilisée comme base d’approche du marché chinois Plus de la moitié des 551 implantations françaises recensées fin 2006 à Hong Kong se déclarent comme “centre régional”, dont un quart ne couvrant que la Chine et les trois quarts couvrant tout ou partie de l’Asie-Pacifique. Sans surprise, la proportion d’entreprises à vocation régionale est plus élevée dans le commerce que dans les services. Environ 30% des implantations françaises de Hong Kong sont des sociétés créées localement et contrôlées par une personne de nationalité française. Ces entreprises sont le plus souvent des bureaux commerciaux faisant du “sourcing” en Chine continentale et des sociétés de service aux entreprises. Nombre de ces entreprises qui ont souvent commencé sous la forme de bureaux d’achat, puis ont évolué vers la sous-traitance, ont désormais des 20 

filiales de production en Chine, notamment dans le Guangdong, et certaines d’entre elles y emploient, chacune, plusieurs milliers de salariés. Cette approche du marché chinois via Hong Kong devrait se poursuivre pour plusieurs raisons : ü  les accords commerciaux CEPA (Closer Economic Partnership Agreement) signés depuis juin 2003 entre la Chine et la RAS de Hong Kong offrent à Hong Kong un avantage concurrentiel en permettant aux produits, aux particuliers et aux entreprises un accès privilégié au marché chinois. Il n’est toutefois pas facile pour une entreprise française de répondre aux critères d’origine prévus dans cet accord. ü  la possibilité de contourner les contraintes de la réglementation chinoise sur les JV en créant une société commune de droit hongkongais, dont les statuts sont beaucoup plus flexibles, qui peut parfois investir elle-même sous forme de WFOE en Chine continentale. ü  l’intérêt de faire jouer certains avantages fiscaux (notamment si la Chine réintroduit le principe d’une retenue à la source sur les dividendes).

Le poids de la Chine pour nos sociétés est encore modeste, mais son importance est stratégique Le caractère récent du phénomène d’implantation des sociétés françaises en Chine et le manque de maturité de certains marchés, qui commencent juste à décoller, expliquent que la Chine ne représente encore, bien souvent, qu’une petite fraction de l’activité mondiale de nos sociétés.

A quelques exceptions près, la Chine ne contribue encore que faiblement à l’activité globale de nos sociétés Quelques groupes se singularisent par le fait que la Chine représente déjà une fraction très importante de leur chiffre d’affaires, supérieure à 10%. Le cas le plus emblématique est celui de CMA CGM, qui réalise un tiers de son chiffre d’affaires avec la Chine ; cette situation reflète le poids du commerce extérieur chinois. Sur le marché immense des liaisons maritimes entre la Chine et le reste du monde (le tiers du marché mondial), CMA CGM a réussi à prendre la place de deuxième société étrangère, derrière Maersk Line, avec 2 millions de TEU transportées en 2006. A un niveau moindre mais néanmoins très élevé, le marché chinois contribue actuellement à hauteur de 20% aux ventes d’appareils Airbus. Sur le métier de la fabrication du ciment, Lafarge réalise 14% de sa production mondiale en Chine. Avant la fusion avec l’américain Lucent, le chiffre d’affaires d’Alcatel en Chine dépassait également 10% de son chiffre d’affaires mondial. Quelques autres groupes réalisent en Chine un chiffre d’affaires significatif, compris entre 5% et 10% de leur total mondial. C’est le cas de Rhodia (10% de son chiffre d’affaires), Ensival Moret (10%), d’Alstom (8%), PSA (7%) Delachaux (7%), Schneider Electric (7%) ou encore de JC Decaux (7%) et Ipsen (6%). Pour l’immense majorité des groupes, la contribution de la Chine au chiffre d’affaires 21 

© CMA-CGM

Un porte conteneurs prêt à partir

mondial demeure modeste, atteignant moins de 5%. Appartiennent notamment à cette catégorie : Areva (4%), Biomérieux (3%), Veolia (environ 3%), Lafarge plâtre (près de 3%), Faurecia (2,5%), Carrefour (2,5%), Seb (moins de 2%), Essilor (un peu plus de 1%), Sanofi Aventis (moins de 0,5%), tout comme Total, EDF, Thomson, France Telecom, Accor, l’ensemble de nos banques et de nos compagnies d’assurance. Pour les PME, la situation est en réalité assez peu différente, même si certaines ont connu un développement suffisamment rapide pour que la Chine contribue significativement à leur chiffre d’affaires. A titre d’exemple, une société comme G2J.com, dès son premier exercice complet en Chine, y a réalisé 8% de son chiffre d’affaires.

La Chine représente néanmoins déjà un enjeu jugé stratégique

Ó  La Chine fait figure de relais de croissance pour nos entreprises L’activité en Chine de la majorité de nos entreprises est encore modeste en termes relatifs, mais sa croissance est bien souvent telle que celles-ci anticipent une situation radicalement différente d’ici quelques années seulement. Il « suffit » en effet d’un taux de croissance de 19% par an pour doubler de taille en quatre ans, et bien des sociétés françaises enregistrent aujourd’hui des taux de croissance 22 

annuels supérieurs à 20% voire 30%. Tel est d’ailleurs le cas aussi bien d’entreprises déjà fortement implantées, comme CMA CGM, dont le taux de croissance en Chine ralentit certes, mais à des niveaux exceptionnels (45% en 2005, 31% en 2006 et probablement 27% en 2007), que d’entreprises moins présentes, comme Sanofi Aventis, dont la croissance des activités en Chine devrait atteindre 38% en 2007 après 50% en 2005 puis 2006. Autrement dit, si la contribution à la croissance des entreprises françaises de leurs implantations chinoises est encore modérée, parce qu’elle est atténuée par la taille relative des opérations en Chine, elle pourrait devenir majeure d’ici quelques années, sous réserve naturellement de profiter de la croissance du marché chinois. Ce réservoir de croissance, qui existe dans d’autres pays émergents, au premier chef l’Inde, est d’autant plus valorisé que la croissance demeure atone et en tout cas structurellement inférieure sur les marchés européens et américains, qui sont plus matures, voire saturés. Seuls deux secteurs font sans doute aujourd’hui véritablement exception à cet égard : le nucléaire civil et le BTP. Les projets de construction de centrales se sont en effet multipliés dans divers pays depuis 2004, alors que la Chine était quasiment le seul pays à avoir un programme d’équipement électronucléaire en 2000. Dans le BTP, la demande internationale a déjà explosé, saturant les carnets de commande. Mais pour le reste, les analystes financiers ne s’y trompent pas : comme l’ont indiqué plusieurs groupes interrogés, ceux-ci font preuve d’une grande sensibilité à toute nouvelle, bonne ou mauvaise, sur leurs activités en Chine. Et certains laissent entendre que leur implantation en Chine, sans avoir été dictée par la communauté des analystes financiers, a du moins été confortée, voire hâtée par celle-ci. Mais loin d’être le simple fruit d’une mode ou d’une focalisation excessive sur le potentiel du marché chinois, cette attention témoigne de ce que l’enjeu d’une implantation en Chine est plus large. Ó  L’impact de la présence en Chine dépasse l’enjeu du seul marché chinois Le caractère stratégique d’une présence en Chine ne se résume en effet pas à un pari sur un gain de croissance – profitable si possible. Certaines caractéristiques du pays - notamment la faiblesse de ses coûts conjuguée à un niveau de développement déjà élevé dans certaines régions – expliquent en effet qu’une implantation puisse avoir des effets sur la compétitivité d’ensemble d’une entreprise. Ces effets peuvent être de deux ordres : - directs, si l’implantation en Chine permet soit d’améliorer la compétitivité-prix par l’optimisation de la politique d’achat ou par l’exportation de produits finis à moindre coût, soit de développer des capacités d’innovation ; - induits, et souvent initialement non prévus lors de l’implantation, si celle-ci favorise l’obtention de marchés en pays tiers, par le contact avec des clients ou des prescripteurs chinois, ou plus profondément la réévaluation de la stratégie de développement international en fonction de l’analyse des forces et des faiblesses des principaux concurrents chinois. L’analyse des motifs de l’implantation de nos entreprises en Chine montre précisément la richesse de l’enjeu qu’elle revêt. 23 

L’accès au marché chinois demeure la motivation principale de l’implantation, mais les autres facteurs jouent un rôle croissant Un examen d’ensemble des motivations des sociétés françaises dans leur démarche d’implantation en Chine permet d’en distinguer quatre, qui correspondent chacune à la recherche de l’optimisation d’une fonction de base de l’entreprise : ü  vendre : l’implantation permet d’aborder le marché chinois dans les meilleures conditions, en prolongeant une démarche d’exportation depuis la France qui rencontre souvent des limites ; ü  produire : dans un certain nombre de cas l’établissement d’une capacité de production en Chine ne répond pas seulement – voire aucunement – à une stratégie de vente en Chine, mais à la volonté de créer une base d’exportation à faible coût d’investissement et de fonctionnement. ü  acheter : certaines sociétés consacrent une part significative de leurs moyens en Chine au « sourcing » ou recherche de fournisseurs pour l’ensemble de leurs entités mondiales ; ü  innover : certaines entreprises commencent à développer en Chine une véritable capacité d’innovation, qui va au-delà de l’adaptation des produits au marché local. Pour nos entreprises, la Chine est donc à la fois un marché – potentiellement le premier dans le monde –, une base de production à bas coût, une plate-forme d’achat au meilleur prix et un réservoir de capacité d’innovation. Plus marginalement, pour quelques grands groupes, l’implantation en Chine répond également à des considérations stratégiques d’identification et d’observation de concurrents ou de partenaires chinois émergents ; mais si la plupart des entreprises françaises implantées en Chine assurent localement une telle veille, peu la citent comme un motif central d’implantation. Les témoignages des entreprises consultées montrent que les poids relatifs des quatre principaux motifs d’implantation sont très inégaux. L’attrait du marché chinois est en effet fortement prépondérant ; il est d’ailleurs probable qu’il le reste durablement, à mesure que le développement économique accroît les débouchés commerciaux sur place. En dynamique toutefois, l’implantation de nos entreprises semble se complexifier et s’enrichir, prenant mieux en compte les possibilités d’exportation, d’innovation et de sourcing qu’offre la Chine.

Les implantations répondent principalement à une ambition commerciale en Chine La production locale n’est en moyenne que très faiblement exportée

Chaque entreprise a certes des produits, une culture et une histoire qui lui sont propres et qui influencent son modèle de développement en Chine. Il existe néanmoins des grandes tendances et beaucoup suivent des schémas d’implantation comparables. La 24 

dynamique de développement la plus fréquente commence par des exportations vers la Chine depuis une base française ou européenne ; à ce stade, un simple bureau de représentation peut suffire pour assurer la liaison avec les clients ou avec un réseau de distribution externe. Une deuxième étape est parfois franchie avec la création d’une filiale commerciale permettant de facturer en monnaie locale et surtout d’étoffer la présence commerciale, pour démarcher plus activement les clients ou mieux contrôler les distributeurs. Mais rapidement, les entreprises font un constat partagé : pour vendre en Chine il faut y produire, pour de multiples raisons : compétitivité-coût, maîtrise des délais de livraison, offre d’un service après-vente performant, réactivité à l’évolution de la demande ou encore exigences des autorités en termes de localisation. Rares sont donc les entreprises qui parviennent encore à servir le marché chinois seulement depuis la France : parmi les entreprises interviewées, tel est le cas d’Acteon, DMC, Biomérieux ou encore Onduline. Plus rares encore sont celles qui n’ont pas l’intention, au cours des prochaines années, de s’y implanter industriellement. Parfois encore rendue difficile par la réglementation ou par les politiques industrielles chinoises, l’implantation d’une production – de biens ou de services – en Chine est néanmoins l’horizon partagé de nos entreprises. A l’appui de ce schéma, il est frappant de constater que l’essentiel des capacités de production des entreprises françaises présentes en Chine répond à cette logique commerciale, ce qu’atteste la faiblesse des taux d’export. La quasi-totalité des entreprises Airbus en Chine, le cas-type d’une implantation par étapes successives, pour servir uniquement le marché chinois On peut distinguer quatre phases dans l’implantation d’Airbus en Chine, toutes destinées à accompagner au mieux le développement commercial de l’entreprise sur le marché domestique : ü  création en 1994 d’un bureau de représentation pour développer les ventes auprès des compagnies aériennes ; ü  création en 1997 d’un centre de formation et d’un centre de support client pour rendre l’offre commerciale plus compétitive ; ü  développement d’une coopération industrielle avec les constructeurs chinois, portant à la fois sur la sous-traitance (à hauteur de 60 M USD en 2007 et le double en 2010) et l’ingénierie (création d’un centre d’ingénierie conjoint avec AVIC I et AVIC II en 2005) ; ü  établissement en 2007 d’une joint-venture qui accueillera une nouvelle chaîne d’assemblage final de l’Airbus A 320. Assez représentatif des étapes commerciales puis industrielles d’une implantation en Chine, le développement d’Airbus est en revanche original en ce que les décisions de coopération industrielle puis d’implantation d’une ligne d’assemblage ne relèvent nullement d’une logique de minimisation des coûts, mais répondent exclusivement à la demande des autorités chinoises, qui y voient un enjeu de partenariat stratégique et de rattrapage technologique. 25 

industrielles interrogées indique exporter hors de Chine moins du quart de leur production et ce chiffre est le plus souvent inférieur à 10%. Parallèlement, aucun cas d’export de services à partir de Chine n’a été identifié. La deuxième caractéristique majeure de la production de biens (et d’ailleurs de services) par nos entreprises en Chine est qu’elle s’accompagne fréquemment d’exportations à partir de France ou d’Europe, soit pour les produits finis les plus hauts de gamme, soit pour des composants critiques. Le cas de Faurecia en est la parfaite illustration : avec un taux de ventes locales de 96%, cette entreprise importe d’Europe auprès de ses filiales ou de ses fournisseurs entre le tiers et la moitié de ses produits commercialisés en Chine, selon les branches et les gammes de produits. La situation est donc très éloignée d’un schéma de délocalisation, dans lequel l’export depuis la Chine serait très élevé et l’export depuis la France plus faible.

Quel marché ?

ü L’accompagnement des clients historiques

Bien souvent, l’idée de venir en Chine est suggérée, avec plus ou moins d’insistance, par certains clients français ou internationaux. Tel a été en particulier le cas des équipementiers automobiles, comme Valeo, Electricfil, Faurecia ou encore Hutchinson, pour lesquels la pression des coûts et la logique de livraison en flux tendu ont imposé de se rapprocher des usines chinoises de leurs clients. Mais c’est vrai également dans bien d’autres domaines. La présence en Chine permet en effet de disposer d’une offre globale plus complète et plus crédible, et de conserver ainsi ses grands comptes historiques lorsque ceux-ci s’internationalisent. Avantec souligne ainsi que sa récente implantation chinoise accroît ses chances de voir ses produits qualifiés au niveau mondial par ses principaux clients de l’électronique, de l’automobile et de l’aviation. C’est tout aussi vrai dans le champ des services. La PME G2J.com est d’abord venue en Chine pour développer une capacité de réponse globale aux besoins des multinationales qui ont recours à ses services de vidéoconférence. Le cabinet d’audit Mazars s’est également installé en Chine à la demande d’un certain nombre de ses grands clients ; et cette présence est devenue un élément déterminant pour remporter les appels d’offres lancés par les sociétés françaises cotées pour assurer l’audit de l’ensemble de leurs filiales. Cette présence permet non seulement de mieux servir et de conserver les clients historiques, mais aussi d’élargir sa clientèle. Ainsi, alors que Gide Loyrette Nouel s’est implanté en priorité pour ses clients existants, ses quatre principaux clients aujourd’hui, pourtant non-chinois, n’étaient pas clients du bureau de Paris. Au total, pendant une période plus ou moins longue, le marché servi en Chine par les entreprises étrangères et notamment françaises n’est souvent pas chinois à proprement parler, mais constitué de clients occidentaux. ü  Le marché proprement chinois Le marché chinois fascine par la conjugaison de sa taille et de sa croissance. Pour ne prendre qu’un exemple, quelle entreprise du secteur des hautes technologies ne rêverait 26 

pas d’un marché de 500 millions d’abonnés à un réseau de téléphonie mobile, qui croît de 5 millions chaque mois, ou encore d’un marché de 160 millions d’internautes, bientôt le premier marché devant les Etats-Unis ? Si plusieurs entreprises tirent directement les bénéfices de l’ampleur du marché (Alcatel, Airbus, Carrefour, etc.), de nombreuses entreprises étrangères se sont heurtées à son caractère en partie utopique, pour deux séries de raisons : - D’abord parce que ce marché reste encore souvent virtuel : souvent en forte croissance, il ne fait en réalité que démarrer dans un certain nombre de secteurs. Des entreprises aussi diverses que Somfy, Aldes, Essilor ou Sanofi Aventis relèvent le manque de maturité de leur marché, qui impose bien souvent de surinvestir dans « l’éducation » des clients ou des prescripteurs. C’est particulièrement vrai dans les services. Le cas de Sodexho l’illustre : de 1995 à 2000, le démarrage de l’activité en Chine a été très rapide, en s’appuyant sur les implantations de sociétés étrangères ; depuis, les taux de croissance se sont réduits, se heurtant notamment au fait que les entreprises chinoises ont longtemps suivi un modèle intégré (ayant même leur propre école ou leur propre hôpital) : la sous-traitance des activités non centrales est donc une nouveauté pour elles et un effort important « d’éducation des clients » est nécessaire. Aujourd’hui, les entreprises chinoises représentent néanmoins près de la moitié des clients de Sodexho, proportion appelée à croître. De manière encore plus caractérisée, Mazars se heurte au fait que bon nombre de sociétés chinoises ne perçoivent pas encore clairement la valeur ajoutée apportée par l’audit et le conseil, à la différence des sociétés occidentales, et ne sont pas prêtes à payer pour ce type de service. A contrario, pour l’avenir, la montée en puissance des sociétés chinoises qui investissent à l’étranger ou sont intéressées par une cotation sur les marchés européens devrait faire émerger un besoin spécifique d’intermédiation et d’accompagnement. - Ensuite parce que le marché, quand il existe bien, n’est de fait souvent pas réellement accessible. Une entreprise comme Hutchinson, par exemple, souligne que l’accès au marché des constructeurs automobiles chinois impose de dégrader la qualité des produits pour rester compétitif en termes de coûts, tandis que ceux des constructeurs japonais ou allemands reposent sur des logiques de préférence nationale. Dans d’autres secteurs (télécommunications, finance, une partie du secteur énergétique) les barrières règlementaires à l’implantation empêchent les entreprises françaises et étrangères de pénétrer le marché à grande échelle. Malgré des investissements cumulés supérieurs à 20Md$ ces deux dernières années (sous forme de participations minoritaires), les banques étrangères restent ainsi des acteurs très minoritaires sur un marché bancaire en pleine explosion. Souvent confrontées au dilemme de la guerre des prix, les entreprises françaises ont opté dans leur immense majorité pour un positionnement haut de gamme, qui leur offre souvent à court terme un marché plus étroit mais qui permet de se différencier qualitativement des innombrables concurrents locaux. Cette approche est, parmi beaucoup d’autres, celle de Schneider Electric, Pillard ou encore Uniross. Il reste que dans les cas où le marché chinois est à la fois déjà important par la taille et 27 

accessible, il offre un retour d’expérience unique. C’est ce qu’a constaté une entreprise comme PSA après le lancement du modèle C Triomphe en Chine, qu’elle a pu par la suite commercialiser avec succès dans d’autres régions du monde. Ce retour d’expérience est également une motivation importante pour EDF : le programme énergétique chinois étant le plus important au monde dans tous les domaines (centrales à charbon, centrales nucléaires ou hydrauliques), la participation d’EDF lui permet de maintenir à l’optimum sa courbe d’expérience et sa capacité d’innovation. L’expérience et les innovations chinoises sont prises en compte par EDF pour réaliser en Allemagne, à travers sa filiale ENBW, une centrale à charbon super critique de 1 000 MW.

Dans une moindre mesure, la Chine est aussi pour nos entreprises une base d’exportation, essentiellement régionale Pour une minorité d’entreprises, la Chine est principalement une base d’exportation à bas coût d’investissement et de production

© DR

Comme cela a été évoqué, les entreprises françaises qui exportent une part significative de leur production chinoise sont rares. Trois cas de figure peuvent être distingués : ü  Certaines entreprises ont des taux d’exportation élevés, mais cette situation est contingente et ne correspond pas à l’objectif initialement poursuivi. Tel est par exemple le cas de Seb, avant le rachat de Supor. La proportion des ventes locales ne représentait que 20% de la fabrication : le site industriel se voulait une plateforme d’essai pour se faire

Ubisoft travaille uniquement pour l’export

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connaître en Chine, mais ne pouvait être viable en s’appuyant sur les seuls débouchés offerts par un marché très concurrentiel, positionné sur le bas-moyen de gamme. Tel est aussi le cas d’Ubisoft, dont le studio de production de jeux vidéo de Shanghai travaille uniquement pour l’export, faute de marché. ü  Deuxième cas de figure, l’implantation en Chine vise à contrer la montée en puissance de concurrents chinois sur des marchés tiers, où la faiblesse de leurs coûts de production s’avère décisive : il est alors important d’adopter une structure de coûts chinoise, tout en offrant une qualité stabilisée. Tel a été notamment la logique qui a prévalu lors des implantations industrielles récentes de sociétés comme Roquette ou Somfy. Roquette a vu, depuis son implantation encore récente, ses productions chinoises atteindre la moitié de ses volumes globaux en Asie, ce qui permet d’enrayer la baisse de ses parts de marché face à ses concurrents essentiellement chinois. Somfy, pour sa part, dirige 90% de sa production chinoise vers le Moyen-Orient et l’Europe (hors France), avec des produits d’entrée de gamme ; le marché chinois lui-même est plutôt servi par l’export de produits haut de gamme depuis la France. ü  Enfin, dans certains cas, l’implantation en Chine ne correspond pas à un choix tactique mais à une nécessité absolue, pour des raisons de coûts.Tel est notamment le cas de STMicroelectronics pour son activité d’assemblage et de test. La production est alors souvent concentrée en Chine, comme chez Uniross, qui fabrique aujourd’hui 95% de ses produits en Chine, ou encore Easybox (60% de la production réalisée en Chine). Si ce dernier cas de figure peut évoquer une logique de délocalisation, s’agissant d’entreprises en développement sur des marchés en croissance, il n’y a pas eu de substitution pure de capacité de production, mais plutôt localisation de capacités additionnelles d’exportation à un coût d’investissement moindre. De fait, les cabinets d’avocats français implantés en Chine confirment n’avoir eu à connaître de quasiment aucun cas de délocalisation de production depuis la France au cours des dix dernières années.

Les exportations de nos entreprises depuis la Chine pourraient se développer, malgré la croissance du marché chinois A l’avenir, deux facteurs pourraient favoriser la croissance des exportations réalisées par des entreprises françaises implantées en Chine. D’une part, la montée en puissance de la concurrence chinoise sur des marchés tiers pourrait pousser un certain nombre d’entreprises françaises à développer une offre d’entrée de gamme produite en Chine. D’autre part, la mise en place de partenariats structurants avec des entreprises chinoises auxquels aspirent plusieurs sociétés françaises dans les domaines de l’énergie, des transports et des télécommunications (cf. infra) aurait clairement pour objectif, au-delà du marché chinois, d’aborder des marchés tiers à partir d’une base industrielle commune localisée en Chine.

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La Chine est d’ores et déjà pour nos entreprises une plateforme mondiale d’achats qui leur permet d’améliorer leur compétitivité globale La Chine est devenue le pivot des politiques d’achat de nombreuses sociétés Le fait de produire en Chine appelle naturellement le développement local d’une fonction achats, car la capacité à se fournir localement est un élément de la compétitivité des produits et des services offerts, en termes de coûts ou de maîtrise des délais ; ainsi, presque toutes les entreprises qui produisent en Chine y « sourcent » également leurs fournitures nécessaires à cette production. Mais le développement des activités d’achat prend de plus en plus d’importance, à une échelle qui dépasse la question de l’accompagnement du marché chinois : beaucoup de sociétés – dont certaines ne produisent pas en Chine – font d’ores et déjà du sourcing en Chine pour l’ensemble de leurs activités en France et à l’international, avec pour objectif un accroissement global de la compétitivité-coût. C’est une évidence dans la grande distribution : depuis longtemps les principaux distributeurs s’approvisionnent en Chine, comme dans d’autres pays émergents, pour un nombre croissant de produits – hors agro-alimentaire – revendus dans le monde entier. Carrefour a ainsi créé en Chine une filiale dédiée au sourcing (Carrefour Global Sourcing) totalement indépendante de la filiale distribution. Son siège à Shanghai fait également office de siège régional de la branche sourcing pour l’Asie-Pacifique. Son activité fait presque doubler le chiffre d’affaires du groupe Carrefour en Chine, la valeur de ses ventes étant presque équivalente à celle réalisée par la filiale distribution. CGS exporte vers l’ensemble des filiales du groupe dans le monde, essentiellement des articles textiles et de bazar. Les activités d’Auchan en Chine sont organisées sur le même schéma, avec Auchan Hypermarket et Auchan Trading, centrale d’achat qui exporte majoritairement vers la France des produits achetés en Chine. L’activité de sourcing d’Auchan Trading s’accroît rapidement, ce qui permet à l’entité de générer un chiffre d’affaire propre de quelques centaines de millions de dollars. Les produits exportés depuis la Chine appartiennent aux secteurs du textile, de l’outillage, du plastique mais très peu au domaine alimentaire. Dans son domaine plus spécifique de distribution de fixations, visserie, boulonnerie et produits connexes, l’implantation chinoise d’une société comme Chapellet répond aux deux mêmes considérations que la grande distribution : servir le marché chinois – en l’occurrence plutôt une clientèle européenne qui s’implante elle-même en Chine – et parallèlement développer les achats de produits fabriqués en Chine pour son réseau de distribution en Europe. Mais le sourcing est également une réalité ancienne en amont de la distribution, en particulier dans des industries ou pour des gammes ou des composants intensifs en main d’œuvre. L’électroménager en est un exemple : depuis la fin des années 1980, Seb a mis sur pied à Hong Kong une entité dédiée au sourcing en Chine, Seb Asia. 30 

S’appuyant sur un vaste réseau de sous-traitants chinois, elle représente aujourd’hui 25% du chiffre d’affaires mondial du groupe. Mais des secteurs à contenu technologique plus fort y font également appel depuis quelques années, signe que la qualité a fortement crû : des sociétés comme Alstom, Areva (à destination de ses unités dans le monde), ou encore Essilor, pour ses instruments, commencent à développer une politique d’achat de composants ou d’équipements en Chine. Même Airbus, à la demande des autorités chinoises et non pas dans une logique de réduction des coûts, achète certaines des pièces de ses avions en Chine, pour lesquelles la qualité est jugée comparable aux productions européennes. En 2007, Airbus confiera ainsi 60 M USD de contrats de sous-traitance aux industriels chinois (chiffre qui atteindra 120 M USD en 2010) ; au cas d’espèce, le sourcing reste donc très inférieur au chiffre d’affaires réalisé en Chine (20 % des ventes d’Airbus dans le monde (pour un prix catalogue de 6,5 Mds USD en 2007). Le cas Sidem : le sourcing en Chine, clé de la compétitivité globale Sidem (Société industrielle de dessalement d’eau de mer), PME créée il y a une quarantaine d’années, offre des solutions de dessalement reposant sur la technique de distillation. Sidem ne dispose pas d’une structure juridique en Chine. Le principal concurrent de Sidem est l’israélien IDE, qui utilise également la technique de la distillation ; l’une des différences entre les deux offres tient à ce que Sidem utilise des tuyaux en cuivre, plus onéreux mais plus résistants à la corrosion, là où IDE utilise l’aluminium. L’offre d’IDE est donc classiquement moins chère. Un appel d’offres important a été lancé il y a quelques années par le groupe charbonnier Shenhua, qui a vu se nouer une confrontation directe entre Sidem et IDE ; in fine, en 2003, Sidem l’a emporté de justesse, alors qu’IDE était encore une fois moins-disant, mais moins au point techniquement. Ce premier succès en Chine a néanmoins convaincu les dirigeants de Sidem qu’il fallait s’approvisionner davantage en Chine pour accroître sa compétitivité globale. La société française a donc passé en revue les fournisseurs potentiels chinois, jusqu’à en identifier deux, capables de produire des tubes de cuivre jusqu’à 10% moins chers que ceux de ses fournisseurs coréens ; les Coréens en question se fournissant en réalité en Chine. Puis l’achat d’autres matériels s’est développé en Chine (évaporateurs notamment), jusqu’à représenter plus du quart des achats de Sidem . Cette politique de sourcing a permis à Sidem de remporter de nouveaux marchés en pays tiers : elle a notamment remporté le contrat pour l’usine de Marafiq en Arabie Saoudite d’un montant de l’ordre de 900 M USD. Le concurrent principal était le coréen Dosan : c’est donc le sourcing chinois qui a permis à Sidem d’être compétitif en termes de prix. De même, en 2006, un appel d’offres lancé par l’aciérie de Shougang, en banlieue de Pékin, a été remporté par Sidem face à IDE, grâce à des prix cette fois inférieurs. 31 

Le phénomène du sourcing global touche en réalité aujourd’hui tous les secteurs à des degrés divers et l’on peut affirmer qu’en dehors des prestataires de services strictement intellectuels, aucune société implantée en Chine n’a éludé le sujet. Ceci traduit le rôle essentiel que peut jouer une politique d’achat optimisée pour la compétitivité d’une entreprise sur ses différents marchés. Par exemple, la Cnim indique que c’est son implantation en Chine, en permettant une baisse des prix de ses fournitures, qui a permis de remporter le marché du métro de Toulouse. Le cas de la société Sidem (cf. encadré) fournit une autre illustration, très nette, du bénéfice global que peuvent retirer nos sociétés du sourcing en Chine, dans une logique de baisse de prix ou d’accroissement de marge. Bien souvent, l’activité d’achat en Chine y a précédé la vente ou la production et a encore une importance supérieure. C’est le cas par exemple d’Avantec, qui se fournit actuellement en Chine pour les gaz réfrigérants. Son volume d’achats représente près de 3 fois le chiffre d’affaires actuel d’Avantec en Chine. Cette activité est appelée à se développer encore, vers d’autres matières premières et formulations. Compte tenu de l’importance prise par le sourcing, plusieurs sociétés ont créé leurs propres bureaux d’achat locaux, là où elles avaient d’abord sous-traité l’identification de leurs fournisseurs et les négociations de prix et de volume à des intermédiaires. Ainsi, Cache-Cache, enseigne de prêt-à-porter féminin du groupe Beaumanoir a récemment créé deux bureaux d’achat en Chine : l’un pour l’achat de produits finis, afin de valider et de contrôler son parc industriel de sous-traitants ; l’autre pour l’achat de fournitures diverses pour le groupe (mobilier, etc.). Ceci n’empêche nullement les sociétés de sourcing de se développer elles-mêmes en Chine. Entre autres, une société comme AEC, ayant développé depuis longtemps une activité de sourcing industriel, ou comme Masai, récemment implantée à Shanghai, offre à des sociétés européennes ou internationales des prestations d’optimisation des achats en Chine. L’idée initiale était d’améliorer les services offerts à ses clients européens ; mais sa présence permet également à Masaï de vendre directement ses prestations aux filiales de multinationales étrangères implantées en Chine, en complément de leurs politiques d’achat.

Cette tendance devrait s’accélérer au cours de prochaines années Tout donne à penser que les activités de sourcing en Chine sont appelées à croître rapidement dans les prochaines années, à mesure que les fournisseurs chinois – ou plus exactement localisés en Chine - diversifient leur production et en améliorent la qualité tout en conservant un avantage en termes de coût. Ainsi, les entreprises qui font déjà du sourcing en Chine indiquent majoritairement qu’elles vont encore développer cette activité. C’est le cas en particulier dans le secteur des télécommunications où les grands équipementiers chinois (Huawei, ZTE) se développent rapidement sur le marché européen. Valeo pourrait de son côté acheter dans les pays émergents près de 70% de ses fournitures. Ses achats en Chine devraient ainsi passer de 400 M€ actuellement à plus d’1 Md € à terme. 32 

D’autre part, les rares entreprises qui ne se fournissent pas actuellement en Chine pour leurs activités mondiales l’envisagent dans les prochaines années, au moins partiellement. Il existe en effet des limites tenant encore à la qualité de certains produits. Tel est le cas pour Biomérieux par exemple pour les matières premières biologiques entrant dans la composition des réactifs (anticorps, chimie fine). Même dans les secteurs où la Le site internet de Valeo Chine semble peu compétitive, des possibilités de sourcing existent à la marge pour nos sociétés. Ainsi, Roquette n’achète ses matières premières agricoles en Chine que pour fournir ses usines locales. Elle estime que le secteur agricole chinois n’a pas vocation à fournir le monde, faute de compétitivité internationale à long terme. En revanche, la société s’intéresse à la possibilité de se fournir en équipements industriels sur le marché chinois. De même, les fournitures de Sodexho sont aujourd’hui achetées localement sur chaque marché, correspondant à une démarche délibérée de développement durable. Sodexho réfléchit néanmoins à la possibilité de faire du sourcing en Chine, non pas pour l’alimentaire – matériellement impossible – mais pour les couverts en plastique, serviettes en papier, etc. Le projet en est au stade expérimental, mais il s’agit d’une évolution probable, pour des raisons de coût.

La Chine commence à accueillir quelques centres d’innovation d’entreprises françaises Comme cela a déjà été indiqué, le suivi du marché impose presque systématiquement d’installer sur place une fonction d’adaptation des produits aux besoins et aux goûts des clients, qui peut soit travailler de manière autonome, soit servir de relais à des équipes qui restent basées en France ; de Sodexho, qui propose en Chine des menus adaptés localement aux tendances de la consommation, aux exigences diététiques et aux attentes de ses clients, à Faurecia, qui a mis sur pied à Shanghai une activité importante de design et de développement, presque toutes les entreprises ont fait ce choix. Mais, au-delà, s’amorce depuis peu une évolution du simple développement vers la recherche appliquée.

Certaines sociétés ont mis en place de véritables moyens de recherche en Chine Le phénomène concerne pour l’heure essentiellement les secteurs à forte intensité technologique comme les télécommunications, la santé ou l’électronique. ü  Dans la santé, le cas de Sanofi Aventis illustre bien l’évolution vers la recherche amont 33 

qu’ont engagée certaines sociétés. Sanofi Aventis ne disposait jusqu’à récemment en Chine que d’une unité de 45 chercheurs dont l’activité principale consiste à obtenir les autorisations de mise sur le marché de ses médicaments et à documenter les effets de ceux-ci auprès des médecins. Mais, depuis la fin de l’année 2005, la société a décidé de créer une nouvelle unité de 16 personnes, chargée de conduire des études globales sur de nouveaux médicaments, en s’appuyant sur des cohortes de patients chinois. Dans un troisième temps, Sanofi Aventis envisage de mettre sur pied une véritable unité de recherche, active dans le domaine de la biotechnologie, et en particulier les cellules souches. Depuis quatre ans, Biomérieux, qui ne produit pourtant pas en Chine, a également décidé d’y développer des activités de recherche. Deux coopérations ont ainsi été engagées, l’une avec l’hôpital du cancer à Fudan, pour développer des tests de marqueurs du cancer, l’autre sous forme d’une joint-venture à Pékin avec un laboratoire public qui relève de la China Academy of Medical Sciences. Cette coopération a notamment permis de produire un test de la grippe aviaire permettant de déterminer en 1h30 si une personne est contaminée. Dans les télécommunications, le centre de R&D de France Telecom à Pékin, avec un effectif d’environ 200 chercheurs, est l’un des 16 centres de recherche du groupe. La moitié de ces centres est située en France. Les autres sont soit des centres de R&D situés à proximité des principaux marchés de France Télécom / Orange en particulier pour adapter les services au marché local (Pologne, Grande-Bretagne, Espagne), soit des centres destinés à détecter et transférer l’innovation dans des pays où France Télécom n’a pas de position majeure d’opérateur mais qui ont un rôle essentiel au niveau mondial dans les technologies de l’information et les services télécom novateurs (Etats-Unis, Japon, Corée). Le centre chinois fait partie de cette seconde catégorie. Il concentre ses activités sur les terminaux mobiles et convergents, les services à valeur ajoutée (mobiles et internet) et les business models innovants en Chine, les normes et technologies chinoises (en particulier le TD-SCDMA pour les mobiles de troisième génération). Une coopération est développée avec les universités chinoises (Tsinghua, Beida, Académie des Sciences, etc.), mais France Telecom veille à conserver la propriété intellectuelle des projets qu’elle finance et celle-ci est systématiquement rapatriée en France où les brevets sont déposés. L’activité de R&D d’Alcatel en Chine, d’abord concentrée sur l’adaptation de produits préexistants au marché chinois, évolue aussi vers l’amont et contribue aujourd’hui au développement de nouvelles technologies. La capacité de recherche d’Alcatel Shanghai Bell (3 sites de R&D à Shanghai, Chengdu et Nanjing) a été très fortement renforcée par les importantes structures dont disposait Lucent, portant les effectifs du groupe en R&D à 40% des effectifs totaux (4 000 sur 10 000 employés). A terme, la Chine devrait être l’une de ses bases majeures d’innovation. ü  Dans l’électronique, Thomson dispose d’une filiale à 100% qui abrite son laboratoire de recherche, avec un effectif de 450 personnes. L’objectif du groupe est de travailler sur les technologies de compression de l’image, les systèmes de sécurité et les protocoles de communication. Il s’agit de suivre la mise en place des nouveaux standards chinois 34 

en essayant d’éviter les contraintes gouvernementales (mise à disposition gratuite de brevets, paiement de redevances). Ce suivi des nouvelles normes porte notamment sur les Digital Rights Management (DMR) et l’EVD (candidat chinois à la succession du DVD). La Chine contribue de plus en plus à la R&D du groupe : l’activité de développement de produits représente 25% du total mondial, et l’équipe de 60 chercheurs représente 20% de l’effectif du groupe. Sa production de brevets est encore limitée (une vingtaine sur un stock d’environ 500), mais elle se développe.

Les motifs et les limites de cette évolution

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Le caractère mondial de la recherche, fondé sur des centres d’innovation travaillant en réseau, est désormais souvent reconnu comme un facteur-clé de succès. Les témoignages des entreprises concernées permettent d’identifier trois éléments qui conduisent à localiser une capacité de recherche en Chine : ü  le coût modéré des chercheurs – qu’il s’agisse de salariés ou de contrats passés avec des laboratoires universitaires – pour un niveau de formation jugé bon ; ü  la possibilité de contribuer à la définition et/ou à la maîtrise de nouvelles normes et standards technologiques chinois qui pourraient s’imposer sur le plan international, du seul fait de la taille du marché chinois ; ü  dans le domaine médical spécifiquement, la taille de la population chinoise, qui permet de constituer des cohortes suffisamment larges pour réaliser des essais cliniques pour le diagnostic ou le traitement de maladies rares ; Une majorité d’entreprises se montrent toutefois encore très réservées sur l’opportunité de localiser des capacités de recherche en Chine, principalement par crainte d’une violation de leurs droits de propriété intellectuelle, soit existants, soit surtout à venir : la recherche est souvent considérée comme le nerf de la guerre, l’activité qui par excellence doit rester en France ou du moins aux Etats-Unis ou en Europe. Il est encore trop tôt pour juger de l’orientation que prendront les entreprises sur ce point, mais il est probable que celles-ci développeront progressivement des équipes de recherche en Chine, en complément des moyens mis en place en France et dans d’autres pays. Il apparaît en tout cas que l’on restera durablement en dehors d’un schéma - théoriquement possible – de délocalisation des capacités de recherche de la France vers la Chine.

Centre R&D de Alcatel à Shanghai 35 

L’implantation : difficultés rencontrées et solutions trouvées Depuis 1980, la conjoncture chinoise sera restée porteuse pour nos entreprises, avec un taux de croissance moyen du PIB de 9,8% sur la période 1980-2006. Les deux seuls vrais àcoups macro-économiques se sont produits en 1981 et surtout en 1989-1990, suite aux événements de Tiananmen. Plus récemment, la crise asiatique de 1997, même si elle a en grande partie épargné la Chine, a été une période de recul pour certaines entreprises ou au moins un palier de croissance ; à une moindre échelle, la crise sanitaire du SRAS en 2003, s’est également traduite par un ralentissement voire un arrêt de la croissance de quelques-unes de nos entreprises. Parallèlement, avec la libéralisation de l’économie et la maturation des marchés, les conditions d’implantation se sont tendanciellement améliorées, notamment depuis l’adhésion de la Chine à l’OMC en décembre 2001, qui a conduit à clarifier et moderniser le cadre juridique dans de très nombreux domaines. Pourtant, l’implantation reste dans de nombreux cas contrainte, et la politique d’accueil des investissements étrangers est devenue nettement plus sélective depuis un peu plus d’un an. Dans le même temps, tout investissement en Chine demeure exposé à des risques particuliers en matière de partenariats, de propriété intellectuelle et de ressources humaines. L’expérience de nos entreprises montre toutefois qu’il existe des solutions pour limiter l’occurrence et l’effet de ces risques.

Les freins à l’implantation se sont récemment plutôt renforcés L’investissement reste contraint dans certains secteurs sensibles, qui sont autant de points forts de nos entreprises Sans chercher à recenser exhaustivement les freins à l’implantation, on peut relever qu’ils se concentrent en pratique dans quelques secteurs jugés sensibles par les autorités chinoises, non pas tant pour des raisons de sécurité nationale que pour garantir un développement le plus autonome possible de grands champions nationaux. Or la spécialisation française est telle que plusieurs projets majeurs d’investissement, le plus souvent possibles au regard d’une réglementation partiellement assouplie, n’ont pas encore pu être menés à bien. ü  Dans le domaine du nucléaire civil, Areva a initialement privilégié, à la demande de ses clients, et parce que l’industrie nucléaire chinoise n’était pas encore mure, une réalisation de contrat « clés en main » avec une forte part importée. A partir de 2003, les exigences de localisation devenant plus strictes, Areva a cherché à devenir un équipementier en Chine, en particulier sur les équipements lourds (cuves métalliques, pompes primaires, tuyauteries, générateurs de vapeur). Or cette volonté s’est jusqu’ici heurtée aux réticences des autorités chinoises, fondées sur le souhait d’autonomie du programme nucléaire chinois. Seule exception, Areva est parvenu à créer en 2005 une joint-venture dans le Sichuan pour produire des pompes primaires. Le projet de construction de plusieurs 36 

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réacteurs de troisième génération de type EPR en Chine, relancé en gré à gré dès janvier 2007 après l’attribution du marché de quatre réacteurs à Westinghouse en décembre 2006, pourrait permettre à Areva de constituer des partenariats capitalistiques ; un succès de l’EPR pourrait ainsi déboucher sur l’installation d’une capacité de production en Chine, qui donnerait un surplus de moyens de développement appréciable. Signe positif à cet égard, EDF, depuis longtemps intéressée à prendre des participations dans des centrales nucléaires comme co-investisseur exploitant, est invitée dans le cadre des nouvelles négociations pour la vente de réacteurs EPR à participer à la fois comme investisseur auprès de CGNPC et comme assistant à maître d’ouvrage, ouvrant la porte à un partenariat renforcé entre les deux électriciens. ü  Dans le secteur pétrolier, le développement de Total en Chine demeure freiné par une réglementation contraignante, malgré des évolutions liées aux engagements de libéralisation pris par la Chine lors de son adhésion à l’OMC. A titre d’exemple, l’ouverture du marché de gros des produits pétroliers, décidée en 2006, peine à se concrétiser, malgré une première exception avec la création d’une raffinerie conjointe d’ExxonMobil, Aramco et Sinopec. Or, outre l’intérêt intrinsèque qu’il y aurait à investir dans des raffineries, l’existence d’un oligopole chinois de la distribution de gros pénalise le fonctionnement des réseaux de stations-service que Total développe par ailleurs. ü  Dans le secteur des transports ferroviaires, Alstom est confronté à une problématique comparable à celle d’Areva : avec des exigences croissantes des pouvoirs publics en matière de localisation, l’implantation est la seule manière de préserver la part de l’entreprise au

Exploitation d’un gisement off-shore par Total 37 

fil des appels d’offres. Dans ce cas, la formule de la joint-venture apparaît incontournable, soit parce qu’elle est obligatoire, soit parce qu’un partenariat avec une société chinoise est indispensable pour avoir une chance de l’emporter dans les appels d’offres, soit encore parce qu’il est nécessaire de s’appuyer sur une base industrielle existante pour faire face à l’ampleur des commandes. Mais, bien que l’industrie ferroviaire figure dans la catégorie des « investissements encouragés » dans le catalogue des investissements étrangers, la constitution d’un partenariat industriel reposant sur des liens capitalistiques continue à se heurter à des réticences des autorités gouvernementales, qui privilégient les transferts de technologie dans le cadre de partenariats ad hoc, sans lien capitalistique. ü  Dans les télécommunications, France Telecom a été autorisé en 1996 à créer deux coentreprises avec China Unicom (indirectement) dans le Guangdong pour la mise en place d’un réseau de téléphonie mobile GSM, dans un schéma de type Build-Assist-Transfer : la société française finançait la mise en place du réseau et le transférait à l’opérateur chinois en échange d’une participation aux recettes. Le projet a été interrompu par le Ministère de l’information (MII), qui était opposé à cette initiative locale, et qui voyait avec inquiétude ou agacement l’expansion de China Unicom (entreprise créée sous l’impulsion de Li Peng lorsqu’il était vice-ministre de l’énergie et des chemins de fer) à l’aide d’investissements étrangers indirects. Par ailleurs, China Unicom voulait entrer en bourse en l’an 2000, ce qui rendait nécessaire une pleine propriété des actifs. France Telecom fut contrainte d’abandonner les deux joint-ventures, obtenant une compensation financière raisonnable. En 2001, France Telecom s’est alors repliée sur son bureau de représentation à Pékin et son activité de services aux entreprises menée par sa filiale Equant, avant de relancer ses activités en Chine dans le domaine de la recherche. Aujourd’hui, malgré une ouverture de principe consentie aux investisseurs étrangers lors de l’adhésion à l’OMC, permettant de créer des sociétés-mixtes avec des opérateurs chinois pour une participation pouvant aller jusqu’à 49%, aucune société étrangère n’a encore pu en profiter autrement qu’à la marge. C’est un enjeu important pour France Telecom, qui comme certains de ses concurrents internationaux, examine la possibilité d’établissement d’un réel partenariat stratégique en Chine. ü Le secteur de la construction a connu une régression majeure, comme l’illustre l’histoire de Vinci. Le groupe est arrivé en Chine pour la première fois en 1987, à l’occasion de la réalisation de la centrale de Daya Bay. Depuis, le barrage d’Ertan, l’usine souterraine de Xiaolandi, la station de traitement des eaux de Chengdu, la tour Jinmao et le stade de Pékin ont été autant de projets que Vinci a pu réaliser en obtenant à chaque fois une licence ad hoc. Un simple bureau de représentation, basé à Pékin, a suffi à soutenir cette activité. Mais depuis septembre 2002, l’activité du groupe en Chine se heurte aux effets des décrets 113 et 114, qui imposent, pour réaliser des projets, de disposer d’une entité légale d’entrepreneur en Chine, fortement capitalisée (30M€ pour une qualification grade A supérieure). Très peu de sociétés étrangères ont fait ce choix, qui paraît hasardeux. Depuis l’entrée en vigueur de ces deux textes, Vinci n’a réalisé aucun projet en Chine, sauf la mission de conseil sur le stade de Pékin. L’avenir de Vinci Construction en Chine passe désormais logiquement par une prise de participation significative dans une entreprise de BTP chinoise. ü  Le secteur financier reste particulièrement fermé aux étrangers, qu’il s’agisse des 38 

banques, des activités de marché ou des assurances. Malgré le respect formel des accords OMC, plusieurs contraintes importantes continuent de peser sur les entreprises financières étrangères: - si les restrictions géographiques et de clientèle ont été levées, les étrangers ne peuvent participer que de manière très limitée au capital des acteurs locaux (notamment pour la banque, avec des plafonds très restrictifs de 20% pour un seul actionnaire étranger et de 25% pour l’ensemble des étrangers) ; - la fermeture du compte de capital contraint très fortement les opérateurs étrangers (besoin de licences, de visas administratifs, imposition de quotas d’investissement, refinancement en devises très contraint, etc.) ; - les délais de traitement administratif des demandes de licence permettent de facto d’exclure la concurrence étrangère (en particulier dans le domaine de l’assurance). Dans le secteur des services juridiques, l’accès aux cabinets d’avocats étrangers demeure relativement fermé. Un cabinet d’avocats qui s’implante en Chine doit avoir une licence par ville et doit attendre trois années avant de pouvoir ouvrir un second bureau. Il ne peut pas constituer une entreprise commune avec un cabinet chinois local. Les avocats chinois qui souhaitent collaborer dans un cabinet étranger doivent se faire omettre et ne sont donc plus avocats, se privant ainsi de l’accès à la pratique judiciaire. Au total, il est vraisemblable que si ces différentes barrières étaient levées, le stock de l’investissement français en Chine pourrait doubler en quelques années. Mais l’évolution de la réglementation des investissements depuis 2006 a au contraire témoigné d’une attitude plus frileuse des autorités.

Le cadre général des investissements étrangers s’est resserré depuis 2006 La problématique générale dans laquelle se trouve actuellement l’économie chinoise explique en grande partie la montée en puissance du nationalisme économique. Après une longue période d’investissements étrangers massifs (plus de 600 Mds US Dollars en données cumulées), la Chine a bâti une industrie puissante, mais très dépendante du reste du monde (60 % des exportations sont réalisées par les entreprises étrangères, 2/3 des brevets chinois leur appartiennent, la valeur ajoutée locale ne dépasse pas en moyenne 30 % de la valeur totale des produits), avec une spécialisation qui reste dominée par les produits bas de gamme. Cet outil industriel dégage désormais des excédents massifs vis-à-vis du reste du monde qui conduisent le gouvernement à rechercher le qualitatif plutôt que le quantitatif. En un mot, l’investissement étranger est moins nécessaire, sauf s’il permet d’accélérer le rattrapage technologique. A ce constat économique s’est ajouté un débat idéologique et social : les entreprises étrangères accentuent mécaniquement les déséquilibres régionaux (entre la zone côtière et l’Ouest du pays) ainsi que les écarts villes-campagnes. Pour certains partisans de la ‘’nouvelle gauche’’, elles entretiennent aussi la corruption des fonctionnaires, elles participent au ‘’pillage’’ des actifs publics et cherchent à occuper des positions dominantes dans différents secteurs. Au nom de la ‘’société harmonieuse’’ souhaitée par le Président Hu Jintao, ces partisans estiment nécessaire la mise en place d’une politique plus protectionniste. 39 

© XIE Bin

Lors des réunions de l’Assemblée Nationale Populaire du mois de mars 2006, un certain nombre de responsables ont pris publiquement des positions très critiques sur l’influence économique étrangère en Chine. La réponse du gouvernement chinois à ces prises de position transparaît dans le discours prononcé par le Premier Ministre Wen Jiabao devant l’ANP, qui a tenté de définir une voie moyenne : la Chine devait s’ouvrir davantage au monde extérieur, mais en accordant une attention particulière à la sauvegarde de la « sécurité économique chinoise ». La Chine devait bâtir sa propre économie du savoir, passant par des innovations indépendantes, un développement accéléré des ressources humaines scientifiques et techniques. Depuis, outre des mesures sectorielles (immobilier, production audiovisuelle notamment), les textes de portée générale modifiant le cadre de l’investissement étranger se sont multipliés. Cinq textes retiennent plus particulièrement l’attention : ü  la politique de promotion des champions nationaux a été réaffirmée et précisée en juin 2006 pour ce qui concerne l’industrie mécanique dans un document d’orientation intitulé Opinions du Conseil des Affaires d’Etat sur la promotion de l’industrie manufacturière, qui comporte notamment des développements sur l’acquisition d’une indépendance technologique dans seize industries clés. Le Conseil des Affaires d’Etat doit désormais être consulté par les entreprises domestiques sur toute transaction ayant pour conséquence une prise de contrôle par un investisseur étranger d’une société de production d’équipements dans un des secteurs clés. ü  la nouvelle loi sur les acquisitions d’entreprises domestiques par des entreprises étrangères d’août 2006 impose un mécanisme d’approbation alourdi pour les projets qui se situent dans une « industrie clé », dans un domaine où la sécurité économique nationale peut être menacée, ou qui concernent une marque chinoise renommée. L’absence de définition de ces trois critères permet au gouvernement d’intervenir sur tous les projets qu’il juge sensibles. La nouvelle procédure implique, outre la consultation interministérielle habituelle, un avis de la profession concernée. S’agissant des investissements français, cette procédure a été appliquée pour la première fois aux prises de participation majoritaires d’Alstom dans Wuhan Boiler Group et de Seb chez Supor. Dans les deux cas les projets français ont été finalement autorisés, après un délai

La Cour Suprême de Pékin 40 

de procédure supérieur à un an. ü  s’agissant du secteur public, la SASAC a publié en décembre 2006 un Avis d’orientation sur la restructuration des actifs et des entreprises d’Etat. Pour les investissements dans les sociétés d’Etat, il est indiqué que « l’introduction des investisseurs stratégiques étrangers est soumise aux conditions préalables de protection de la sécurité économique de l’Etat, de la sécurité de la défense nationale et de la sécurité sectorielle. Il faut éviter les monopoles, protéger les droits de propriété intellectuelle et les marques reconnues des entreprises domestiques concernées et encourager le développement de nouveaux produits ». Dans ses commentaires sur l’avis, le ministre de la SASAC a précisé pour la première fois les 7 secteurs « d’importance stratégique » dans lesquels l’Etat entendait garder un contrôle effectif : armement, production et distribution d’électricité, pétrole et pétrochimie, télécommunications, charbon, aviation civile et transport maritime. Il a toutefois été précisé que la restructuration des secteurs de la pétrochimie aval et des services de télécommunication à valeur ajoutée serait accélérée en vue d’accueillir des investissements privés et étrangers. ü  En janvier 2007, la SASAC7 et le Ministère des finances ont prolongé le texte de décembre en précisant les nouvelles règles concernant la vente d’actifs appartenant à l’Etat, renforçant son contrôle. Désormais, les ventes d’actifs nationaux et la détermination de leur prix nécessiteront l’approbation des autorités. Le prix final de la vente ne devra pas être inférieur à 90% de l’estimation faite par les autorités. En outre, tout investissement fait dans une entreprise d’Etat devra présenter un intérêt en termes de développement technologique et de modernisation industrielle. ü  Enfin, en mars 2007, une réforme fiscale, applicable au 1er janvier 2008 avec une période de transition, a mis fin aux privilèges dont bénéficiaient les investisseurs étrangers en matière d’impôt sur les sociétés (taux de 15%, 24 ou 33%, contre 33% pour les sociétés chinoises). Le taux commun d’imposition est désormais fixé à 25%, avec des taux préférentiels de 20% pour les petites entreprises à faibles revenus, et 15% pour certaines entreprises de pointe. Conforme à la pratique internationale, cette harmonisation du système fiscal marque néanmoins clairement la fin d’une époque en matière de politique d’accueil des investissements étrangers.

Les principaux risques d’une implantation en Chine Quel que soit le pays, toute démarche d’implantation commerciale ou industrielle comporte des risques, politiques, réglementaires, concurrentiels, etc. et la Chine ne fait pas exception. Si l’on peut identifier des étapes bien différenciées dans le mouvement d’implantation en Chine, il serait en revanche erroné de croire que nos entreprises, une fois installées en Chine, y ont eu un développement continu : beaucoup ont connu des accidents de parcours et toutes ont dû s’adapter aux mutations de l’environnement des affaires. L’évolution de la stratégie de Thomson (cf. encadré) illustre cette exigence permanente d’adaptation. Autorité de supervision et de contrôle des actifs de l’Etat, chargée notamment de la modernisation des grandes entreprises publiques 7

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La stratégie évolutive de Thomson en Chine L’implantation du groupe en Chine s’est faite en trois étapes très différenciées, qui sont un résumé des transformations de l’économie chinoise : ü  au début des années 1980 l’objectif du groupe est de vendre en Chine ses produits d’électronique grand public (téléviseurs) ou professionnelle (caméras, studios de télévision..). Il y parvient à une échelle relativement modeste ; ü  au début des années 1990 la stratégie devient radicalement différente : il s’agit de délocaliser vers la Chine des usines précédemment situées en Asie du Sud Est (Singapour et Malaisie notamment) pour servir les grands marchés d’exportation dans les domaines des radios réveil, de la Hi Fi, puis des téléviseurs. Thomson prend entre autres une participation majoritaire dans une JV à Foshan, qui deviendra sa principale base d’exportation de tubes de téléviseurs. L’effectif total atteindra 30 000 salariés en 2002, avec un CA export de plus de 2 Md€. ü  à partir de 2003 s’opère la nouvelle mutation stratégique du groupe qui consiste à céder les activités d’électronique grand public dont la rentabilité s’est fortement érodée pour se recentrer sur les activités de production et de services multimédias. La production de téléviseurs est cédée à TCL en 2004 et, pour ce qui concerne l’usine de Foshan, à l’entreprise indienne Videocom en 2006. Le groupe Thomson s’intéresse désormais essentiellement au marché chinois et au rôle que peut avoir la Chine dans sa politique d’innovation. Sa clientèle est passée du consommateur aux grands groupes chinois des télécommunications, de l’internet et des médias. Alors que la montée en puissance de Thomson en Chine dans les années 1990 se traduisait par des importations en France et sur les marchés européens, dans la phase actuelle les exportations françaises de matériels professionnels refont leur apparition à une échelle qui n’est pas négligeable (30 à 40 M€ en moyenne annuelle).

Jeune ingénieur dans le centre de recherche de Thomson à Pékin 42 

© Anne DOUARD

Parmi les différents risques liés à l’implantation, trois méritent un examen plus approfondi, de par leur fréquence accrue de réalisation en Chine : ü  les conflits avec le partenaire local ; ü  les atteintes à la propriété intellectuelle ; ü  les difficultés de gestion des ressources humaines.

La question centrale du partenariat capitalistique Faut-il prendre un partenaire chinois ? Certains seraient tentés d’apporter une réponse catégorique à la lumière des mésaventures actuelles du groupe Danone avec la société Wahaha, chaque jour plus médiatisées. Sans doute révélatrice de l’un des visages du capitalisme chinois (cf. encadré), cette affaire dont l’issue demeure imprévisible – mais qui fera sans aucun doute un jour figure de « cas d’école » – est encore trop récente pour en tirer des leçons de portée générale. Le conflit Danone/Wahaha ou la gestion de relations complexes avec le nouveau capitalisme chinois Dès les premiers accords signés en 1996 entre Danone (51%) et Wahaha (49%), les marques Wahaha avaient fait l’objet d’un contrat de transfert de marques à la co-entreprise. Malgré cela, la partie chinoise à la co-entreprise représentée par M. Zong Qinghou a signé de façon indépendante des accords de sous-traitance pour la fabrication et la distribution de nouveaux produits concurrents de ceux commercialisés par la co-entreprise, sous marque Wahaha. Au terme d’un nouvel accord conclu entre Danone et M. Zong en décembre 2006, les partenaires avaient prévu de réintégrer ce dispositif parallèle dans le giron de la co-entreprise. Toutefois, la dénonciation de cet accord par la partie chinoise s’est immédiatement traduite par une nette détérioration du climat entre les deux partenaires conduisant in fine au lancement de différentes actions en justice accompagnées de déclarations très médiatisées. Sur le fond, le cas Wahaha-Danone pose très clairement la question de la sécurisation des investissements étrangers en Chine dans le cadre de co-entreprises et celle, non moins stratégique, de la validité de contrats déjà signés dans un cadre juridique particulièrement dense et évolutif, souvent laissé à l’interprétation d’une administration chinoise toute puissante. Remis en perspective, ce conflit consacre également l’affrontement entre deux visions de l’entreprise, deux systèmes de management : celui, en cours d’émergence, fondé sur le respect d’un droit objectif et celui, plus traditionnel, basé sur un système relationnel opaque – ou « guanxi » - associant étroitement intérêts publics et privés. Dans ce contexte particulier où le droit le cède parfois aux stratégies d’enrichissement personnel sous couvert de la préservation d’intérêts chinois, le fondateur du groupe public Wahaha, M. Zong Qinghou, représente l’archétype des nouveaux entrepreneurs chinois : omniprésents dans les circuits de décision, autoritaires, bien introduits auprès des autorités, ils ont su opportunément mettre à profit la croissance exponentielle de leur secteur d’activité. Ils ont notamment pu surfer sur le nouveau cadre réformé des sociétés chinoises (rachat d’entreprises d’État à bon compte, enrichissement via un actionnariat privé, création de sociétés conjointes pour bénéficier d’exemptions fiscales etc.) afin de s’enrichir. Les nouveaux entrepreneurs chinois, dont l’ascension a été favorisée par le fameux 43 

mot d’ordre « Enrichissez-vous » lancé par Deng Xiaoping dans les années 80, sont en marche. Les injonctions aux accents néo-confucéens en faveur d’une « société harmonieuse » du Président Hu Jintao ne devraient pas stopper leur course. Synthèse de ce capitalisme à deux visages, la figure emblématique du fondateur du groupe Wahaha, est à ce titre tout à fait intéressante : de nombreux Chinois continuent de l’assimiler à un entrepreneur privé lancé, tel David, dans un combat inégal contre les grandes multinationales, sans se douter que la société qu’il dirige est en réalité un groupe d’Etat (46% des participations) et que ses avoirs personnels le classent parmi les 25 premières fortunes « privées » de Chine. Mais personne n’ignore en revanche que cette personnalité du monde des affaires est également Député au Parlement chinois, tribune d’où ont été lancées les premières attaques publiques à l’encontre de Danone. Dans une Chine qui entend engranger les bénéfices de son ouverture au reste du monde tout en pesant en permanence sur le rythme des concessions qu’elle est en mesure de consentir (transparence, mise en application des engagements OMC, gouvernance…), le discours de M. Zong a certainement rencontré un écho favorable parmi les membres les plus conservateurs de la société chinoise, inquiets des rapides transformations économiques vécues par leur pays ces dernières années. En exploitant la fibre nationaliste des consommateurs chinois et en assumant avec emphase le rôle de protecteur de « ses » employés, il a su trouver le moyen de convaincre une large frange de la population chinoise.

Plus instructive est l’évolution dans le temps de la réponse donnée par nos entreprises à cette question. Après une première phase d’implantation sous forme de joint-ventures, souvent obligatoires, les filiales à 100% (ou WFOE, Wholly Foreign-Owned Entreprise) se sont développées et sont aujourd’hui privilégiées : plus souvent autorisées que par le passé, elles évitent de devoir gérer des partenaires fréquemment critiqués. Se dessine toutefois un retour partiel des joint-ventures, à travers quelques grosses opérations de prises de participation dans des sociétés chinoises. Il reste que les récentes mésaventures du groupe Danone vont renforcer les préventions des investisseurs à l’égard des partenaires potentiels chinois. Ó  La joint-venture, un instrument initial d’implantation très critiqué Longtemps et dans de nombreux secteurs, la forme de la joint-venture avec un partenaire chinois a été imposée aux sociétés étrangères désireuses de dépasser l’étape du bureau de représentation et de créer une filiale en Chine. Aux yeux des autorités chinoises, ce type de sociétés présentes l’avantage de favoriser les transferts d’expérience, de méthode et de technologie vers les entreprises chinoises. Mais les joint-ventures peuvent aussi profiter aux entreprises étrangères, qui s’appuient souvent sur le réseau relationnel de leur partenaire à la fois pour pénétrer plus vite le marché et pour assurer l’interface avec les autorités administratives et politiques. Bien souvent, la joint-venture est donc un moyen, 44 

classique et accepté sinon choisi, d’intégration locale des entreprises étrangères. Le modèle le plus abouti de cette « sinisation » est probablement Alcatel Shanghai Bell (cf. encadré). Une joint-venture particulière : le cas d’Alcatel Shanghai Bell (ASB) A la différence des autres industriels étrangers du secteur, tous implantés en WFOE, Alcatel continue à se développer en co-entreprise avec Shanghai Bell. Alcatel dispose de 50% des parts plus une. Bien que la législation chinoise qui imposait le statut de joint-venture au moment de l’arrivée d’Alcatel ait été abrogée, Alcatel a choisi de conserver cette co-entreprise qu’il considère comme très fructueuse. Shanghai Bell est une entreprise d’Etat supervisée par la State-owned Assets Supervision and Administration Commission of the State Council (SASAC), entité chargée de gérer les actifs de l’Etat chinois. ASB est la seule entreprise à majorité étrangère sous la supervision de la SASAC. Les statuts de la co-entreprise prévoient que le président du Conseil d’administration est nommé par la SASAC et que les membres du Conseil se répartissent à égalité (4 et 4) entre représentants d’Alcatel et de Shanghai Bell. Il est également prévu que le directeur général et le directeur financier sont des représentants d’Alcatel alors que le directeur financier adjoint est un membre de Shanghai Bell. En cas de blocage au Conseil d’administration, la part majoritaire d’Alcatel lui permet d’emporter la décision. Cependant, ce cas demeure théorique, Alcatel n’ayant pas intérêt à passer outre la volonté de son partenaire en raison de son lien direct avec l’Etat chinois. Ce lien direct offre à la société plusieurs avantages majeurs : ü  c’est un atout important pour sa candidature aux appels d’offre lancés par les opérateurs de téléphonie ; ü  elle bénéficie de la politique très volontariste du gouvernement chinois en matière d’aides à l’exportation. ASB dispose des garanties à l’exportation offertes par des institutions comme Sinosure pour réaliser des investissements dans des pays où la Coface refuse de prendre en charge les risques financiers. ASB bénéficie ainsi des avantages mis à disposition des entreprises d’Etat chinoises pour investir dans les pays producteurs de pétrole en Afrique et au Moyen-Orient ainsi qu’en Asie centrale ; ü  la société est invitée par le gouvernement chinois à participer aux groupes de recherche mis en place pour développer de nouvelles technologies dans le secteur des télécommunications. Ce point est déterminant dans un contexte où les autorités chinoises souhaitent développer, entre autres, une nouvelle norme de protocole Internet (Internet Protocol V6) et une quatrième génération de norme de téléphonie mobile. Ces nouvelles normes, une fois mises au point, pourraient devenir une référence au niveau mondial en raison de la taille du marché chinois.

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Mais ce cas unique en son genre ne doit pas faire illusion. Dans un certain nombre de cas, les entreprises françaises ont rencontré et rencontrent encore des difficultés avec leurs partenaires chinois, plus ou moins sévères : ü  le plus souvent, le partenaire n’apporte pas la valeur ajoutée attendue en termes de relationnel commercial et institutionnel ; il est « dormant » ; ü  des divergences de fond quant à la stratégie à conduire apparaissent aussi fréquemment. De nombreuses sociétés françaises indiquent que les partenaires chinois cherchent souvent à maximiser leurs dividendes à court terme, au détriment d’investissements de long terme ; ü  dans quelques cas, le partenaire développe des pratiques douteuses ou profite de la joint-venture pour monter de son côté une activité directement concurrente. Ces problèmes ont parfois conduit des entreprises françaises, notamment des PME, à se retirer de Chine. Outre qu’ils reflètent la difficulté de choisir un bon partenaire, ils paraissent résulter de deux causes. D’une part, trop d’entreprises n’envoient pas toujours sur place les moyens humains nécessaires pour assurer un contrôle minimal des opérations, favorisant les abus et perdant ainsi la maîtrise de leur joint-venture. Le cas de la société Bacou-Dalloz illustre ce type d’écueil : la société Bacou a constitué en 1996 une joint-venture au sein de la zone franche shanghaienne de Waigaoqiao, qui assemble certains produits à fort besoin de main d’œuvre ajoutée (comme des masques à gaz). Cette implantation, légère, qui avait vocation à permettre d’observer le marché, de répondre à quelques premiers appels d’offres et d’amorcer une activité de sourcing, a été placée sous un management entièrement chinois. Après la fusion entre Bacou et Dalloz, une petite équipe biculturelle a été envoyée en Chine en 2003 pour reprendre les commandes des activités et les développer sur ce marché porteur. Des surprises de taille ont alors été mises à jour, notamment en termes d’éthique du management et de sincérité des comptes. BacouDalloz s’est alors trouvée impliquée dans plusieurs instances judiciaires – qui se sont conclues finalement à son avantage – et dans des démêlés avec les autorités locales. Suite à l’assainissement de la situation, une WFOE a pu être créée en 2006, et une nouvelle usine a été installée à Songjiang. D’autre part, un partenaire, même minoritaire, dispose d’un pouvoir de blocage sur les décisions les plus importantes concernant la vie de la joint-venture. Ceci lui donne un effet de levier sur l’ensemble des décisions au sein de la structure. La première jointventure de Seb illustre cette problématique. Seb Chine a en effet connu une période assez mouvementée avec son partenaire minoritaire chinois Red Heart (Hong Xin) : le partenaire a toujours privilégié le développement de sa propre marque au détriment des marques du groupe Seb et des divergences se manifestaient de façon régulière sur le choix des produits à développer et des investissements à réaliser. Malgré sa position minoritaire, il est arrivé à peser sur les opérations et la négociation de sa sortie de la joint-venture est devenue la seule option envisageable. Mais il serait évidemment caricatural de Une équipe Bacou-Dalloz au travail

généraliser ces difficultés à tous les partenariats capitalistiques entre sociétés chinoises et françaises. Plusieurs sociétés, y compris parmi celles qui connaissent de très belles réussites, s’appuient de préférence sur des joint-ventures. A titre d’exemple, Carrefour a fait le choix délibéré d’un développement en joint-venture : imposée initialement par la législation dans ce secteur, l’implantation en joint-venture reste la forme retenue par Carrefour pour presque tous ses nouveaux sites. La levée de l’obligation légale de former une joint-venture dans le secteur de la distribution en décembre 2004 n’a pas infléchi la stratégie de l’entreprise, qui s’implante avec un ou plusieurs partenaires chinois différents par ville (20 sociétés possédant 95 magasins). Carrefour estime bénéficier ainsi des contacts de ses partenaires avec les autorités, les fournisseurs et les promoteurs locaux. Ceci renforce également la position de Carrefour dans les négociations avec les autorités locales sur le régime fiscal de la société. Carrefour ne possède certains magasins en propre que lorsqu’il n’a pas trouvé de partenaire intéressant localement. Les relations de l’entreprise avec ses partenaires sont jugées bonnes. Et bon nombre de sociétés françaises font preuve de pragmatisme, en s’appuyant à la fois sur des joint-ventures et WFOE, selon qu’elles parviennent à trouver un partenaire jugé valable pour chaque projet. Il apparaît d’ailleurs possible d’améliorer la formule de la joint-venture en s’efforçant notamment de définir à l’avance les conditions de sortie des partenaires. Certaines sociétés, pour maximiser les avantages de chaque formule, s’appuient aussi parfois sur un schéma constitué d’une joint-venture holding à Hong Kong, où le cadre juridique reste plus adapté aux joint-ventures, et d’une ou plusieurs WFOE en Chine continentale. Il reste que le développement accéléré des structures à capitaux 100% étrangers, dès lors que les possibilités d’y recourir ont été élargies, témoigne d’une perception généralement assez négative des partenariats capitalistiques avec des sociétés chinoises. Ó  La vague des filiales à 100% ü  Beaucoup de sociétés françaises ont progressivement racheté les parts de leur partenaire Comme Bacou-Dalloz ou Seb, de nombreuses entreprises françaises, confrontées à des difficultés multiples avec leur partenaire, n’ont eu d’autre possibilité que de racheter les parts de celui-ci. Tel a été le cas par exemple de Delachaux, qui sept ans après avoir créé à Wuhan une joint-venture entre Delachaux (51%) et le groupement Chinois CMSTW (49%) dans le domaine de la conductique, a racheté ses parts. De même, Hutchinson, faisant le constat de l’absence de valeur ajoutée de son partenaire minoritaire Dongfeng Exploring Development Company, a transformé début 2007 son usine de Wuhan en société à capitaux exclusivement étrangers. Grimaud Frères, majoritaire à 55% d’une jointventure, était pour sa part confronté à des divergences d’objectifs et à des désaccords sur les décisions d’investissement, entravant son développement en Chine ; la PME a progressivement racheté la quasi-totalité des parts de ses deux partenaires chinois. Essilor a pour sa part été confrontée à deux reprises à la problématique de sortie d’un partenariat, à chaque fois avec succès : l’implantation a démarré sous la forme d’une jointventure dont le partenaire, une société d’investissement relevant du bureau des finances de Shanghai, détenait 20%. Très vite, il est apparu que le partenaire chinois avait pour 47 

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seul objectif la maximisation du bénéfice distribué à court terme, alors qu’Essilor avait un véritable projet industriel de long terme. Après 6 mois seulement, Essilor a obtenu le retrait du partenaire moyennant une indemnisation raisonnable. Mais, à l’époque, avoir une WFOE imposait d’exporter 95% de la production. Pour éviter cette contrainte, Essilor s’est rapproché d’un second partenaire (une autre société publique locale), qui a accepté de rentrer à hauteur de 5% du capital pour une période limitée à 10 ans et sans droit d’intervenir dans le management. La réglementation ayant changé quelques années après, Essilor a négocié la sortie anticipée de son partenaire, au bout de 7 ans. De manière plus systématique, certains groupes, qui avaient dû se développer sous forme de joint-ventures, ont procédé dès que possible au rachat systématique des parts de leurs partenaires, afin de se donner la maîtrise complète de leur développement en Chine. Tel est le cas d’Auchan: depuis l’évolution de la réglementation déjà évoquée, la société a pu racheter progressivement tous ses partenaires et possède aujourd’hui l’ensemble de ses magasins à 100% à l’exception de deux, où il est majoritaire. De même, Rhodia a engagé une politique de rachat des parts que détenaient des sociétés chinoises dans ses usines ; à une moindre échelle, Sanofi Aventis s’est donné les moyens d’être désormais propriétaire exclusif ou quasi-exclusif (entre 98% et 100%) de ses trois usines à Pékin, Hangzhou et Shenzhen. ü  Les nouvelles implantations ont le plus souvent été constituées sous la forme de filiales à 100% C’est la suppression de l’obligation de s’implanter en joint-venture qui a déclenché la décision d’Accor de programmer un développement très ambitieux d’hôtels filiales. Ces implantations s’avèrent les plus rentables et permettent là aussi à l’entreprise de maîtriser intégralement son produit ; l’expérience a en effet montré qu’il était très difficile d’obtenir de partenaires chinois le respect des règles de standardisation des hôtels Accor. Disposant actuellement de 37 hôtels en gestion simple, correspondant à une gamme haute et luxe (de 3 à 4 étoiles : Mercure, Novotel et Sofitel) et seulement 6 hôtels filiales (2 étoiles : Ibis), Accor entend appuyer son développement à venir sur cette seconde catégorie, sans renoncer toutefois aux hôtels en gestion simple : l’entreprise Les hotels Accor sont majoritairement gérés sous prévoit à partir de 2007 d’ouvrir 20 à 25 hô- statut de joint-venture tels filiales et 10 à 15 hôtels en gestion simple par an. Quant aux PME, il est frappant de constater qu’au cours des années 2000, elles ont presque systématiquement privilégié la formule de la WFOE, devenue plus largement accessible. Ó  Le retour des joint-ventures ? Pouvant être avantageuses si le partenaire est soigneusement choisi, les joint-ventures ne sont pas vouées à disparaître, d’autant qu’elles apportent une réponse à un éventuel manque de ressources financières pour s’implanter seul. Elles peuvent aussi revêtir un intérêt tactique, pour faire obstacle à l’alliance du partenaire chinois avec un concurrent étranger ; dans ce cas l’acquisition d’une position minoritaire s’avère suffisante.

Mais au-delà, certains prédisent un véritable retour des joint-ventures, à la faveur d’opérations importantes de prise de participation dans des entreprises chinoises. Une telle évolution paraît effectivement possible, sous réserve de leur autorisation par les autorités chinoises, pour deux raisons principales. ü  Le marché chinois grandissant et se structurant autour d’acteurs mieux identifiés, une démarche ambitieuse d’implantation passe plus volontiers par une croissance externe que strictement organique. Deux cas de figure peuvent être distingués. Une acquisition majeure peut permettre à une société encore peu présente sur le marché chinois d’y prendre véritablement pied. Tel est le cas par exemple de Seb, déjà bien implanté en Chine, mais dont la production locale est majoritairement exportée. Son site de production de Xinzhuang devait atteindre ses pleines capacités en 2006. Se posait alors le choix entre l’extension du site actuel ou l’acquisition d’usines existantes. Le rachat extérieur était envisageable grâce à l’évolution de la réglementation chinoise, intervenue en septembre 2006 conformément aux engagements pris à l’OMC. Cette dernière option a été retenue, malgré les déboires rencontrés avec le premier partenaire de Seb, en lançant une OPA amicale sur Supor Cookware en 2006. Cette opération a été finalement approuvée par les autorités, aux termes d’une procédure administrative longue, à l’été 2007, lui permettant de racheter 30% de Supor dans un premier temps. Le groupe Supor est le numéro 1 chinois des ustensiles de cuisine et occupe la 4ème place sur le segment du petit électroménager. Employant 5 000 personnes sur 4 sites industriels, il a réalisé en 2006 un chiffre d’affaires d’environ 200 millions d’euros. Les 2/3 des produits du groupe Supor sont distribués en Chine : à travers cette opération, le groupe Seb va donc pouvoir s’imposer significativement sur le marché local, avec l’intention, non seulement de consolider la position de n°1 qu’occupait Supor sur les ustensiles de cuisine, mais également de gagner des parts de marché sur le petit électroménager, cible principale de Seb. Pour une société déjà fortement présente sur le marché chinois, comme Schneider Electric, une politique de croissance externe peut présenter des avantages pour élargir ou compléter sa gamme, notamment vers le bas. Ainsi, après s’être plutôt développée en WFOE au début des années 2000, Schneider Electric cherche depuis trois ans à réaliser des acquisitions significatives. Deux sociétés chinoises ont notamment été identifiées et sont actuellement en cours de rachat. Il reste que, comme dans le cas de Seb, ces opérations font l’objet d’un examen lent et sourcilleux par les autorités chinoises, qui témoigne d’un état d’esprit moins favorable à l’investissement étranger que par le passé (cf. supra.). ü  Par ailleurs, comme cela a déjà été noté, plusieurs groupes français ont des projets majeurs de prise de participation dans des domaines « stratégiques » où seules les jointventures sont envisageables, de fait ou de droit. Dans le secteur de l’aéronautique (où il est vrai que l’existence du duopole Airbus-Boeing modifie sans doute l’équilibre des discussions entre client et fournisseur), la récente création de la joint-venture pour la ligne d’assemblage de l’A320 à Tianjin, avec la bénédiction des autorités chinoises, fait aujourd’hui figure de référence pour nouer de futurs partenariats industriels sino-français, notamment dans les secteurs de l’énergie et des transports. 49 

Les préoccupations liées à la propriété intellectuelle et aux transferts de technologies

Ó  La copie illégale est endémique, mais des solutions existent pour en limiter l’impact Les problèmes de contrefaçon en Chine sont largement documentés et médiatisés. On peut en rappeler brièvement les trois principales caractéristiques : 1. C’est un phénomène croissant et absolument général, en ce qu’il concerne : ü  tous les droits de la propriété intellectuelle (brevets d’invention, dessins et modèles industriels, marques et indications géographiques, droits d’auteur) ; ü  quasiment tous les secteurs ; ü  toutes les entreprises, y compris chinoises, qui en sont aujourd’hui les premières victimes. S’agissant des entreprises françaises, on restreint souvent à tort la contrefaçon aux marques de l’industrie du luxe (habillement, maroquinerie, parfums, etc.). Les laboratoires pharmaceutiques (paracétamol de Rhodia…) et les équipementiers automobiles (Faurecia, Valeo) figurent également parmi les victimes régulières des copieurs chinois et les cas de copie illégale vont en fait bien au-delà : « O » du logo d’Alstom, marque Essilor, ustensiles de cuisine de Seb ou Sitram, tête de pylône d’un pont dans le Fujian qui est la copie conforme de celle du pont de Normandie ou encore plaques de plâtre de Lafarge Gypsum… La problématique de la copie touche même le secteur des services : Technip a vu ses méthodes copiées par son partenaire chinois ; la protection des modes opératoires, qui intéressent la concurrence, est aussi un enjeu pour des sociétés comme Veolia ou Sodexho, même si ces sociétés jugent que « l’expérience fait la différence » dans leurs métiers et qu’il est en réalité très difficile de copier efficacement une prestation. Mais la contrefaçon atteint son paroxysme dans le domaine des droits d’auteur (cd, dvd, logiciels), domaine où nos sociétés sont relativement moins présentes. A contrario, une société comme Ubisoft en a pris de plein fouet les effets : après avoir bien développé ses ventes en Chine les cinq premières années de son implantation, celles-ci ont fortement chuté jusqu’à aujourd’hui. Le piratage des jeux a en effet quasiment tué le marché des jeux vidéo en Chine et ailleurs en Asie ; c’est en réaction à ce phénomène que les producteurs coréens de jeux ont élaboré un nouveau modèle économique, le « tout en ligne gratuit » avec achat d’avatars et d’items en ligne. Outre que son activité de production en Chine n’est nullement affectée, la présence commerciale d’Ubisoft lui permet de suivre de près l’émergence de ce nouveau modèle et le cas échéant de l’adopter s’il s’avère économiquement viable. 2. La difficulté à enrayer la copie illégale ne tient pas à des défauts du cadre juridique, mais à sa mauvaise mise en œuvre. La Chine a en effet adhéré à toutes les grandes conventions internationales en matière de propriété intellectuelle et s’est dotée depuis une vingtaine d’années d’une législation protectrice qu’elle révise périodiquement. Les réformes intervenues au cours des cinq dernières années ont d’abord consisté à rendre le droit interne chinois conforme aux exigences de l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle liés au Commerce (ADPIC), la Chine s’étant engagée à respecter cet accord 50 

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dès son adhésion à l’OMC. Une nouvelle vague de modification des lois sur les brevets, les marques et les droits d’auteur est en cours. Les problèmes de mise en œuvre tiennent à l’insuffisance quantitative des moyens administratifs et judiciaires face à l’ampleur du phénomène, mais aussi à leur modalités d’exercice : volonté de préserver les intérêts économiques locaux, pouvoirs trop limités des agents administratifs, fréquents refus de la police de prêter main forte, caractère peu dissuasif des sanctions prononcées, qu’elles soient administratives, civiles ou pénales. Les priorités des autorités dans la lutte contre les contrefaçons sont par ailleurs fortement influencées par leurs objectifs ambitieux en matière de rattrapage technologique : ainsi, la lutte anti-contrefaçon est-elle concentrée essentiellement sur les marques et les droits d’auteur, alors qu’en matière d’innovation, les pouvoirs publics privilégient les incitations au transfert de technologie d’origine étrangère et la sensibilisation progressive des entreprises chinoises à la nécessité d’innover et de se protéger par des brevets. 3. La contrefaçon ne provient pas seulement de la concurrence, mais aussi des partenaires et des clients. C’est ce que rappelle par exemple une entreprise comme Ensival Moret. Elle observe, comme les autres entreprises du secteur, une proportion importante de copies de ses produits. Ces dernières sont le fait de clients chinois de l’entreprise qui, sans s’en cacher, s’adressent à un fournisseur chinois en lui demandant de produire la même pièce, mais moins chère. Les clients chinois de Ensival Moret avouent pourtant que, s’ils obtiennent un prix inférieur en moyenne de 30%, ils sont confrontés à des changements de ces pièces beaucoup plus fréquents, dûs à une qualité moindre. Par ailleurs, bien qu’il ne s’agisse que d’un cas isolé, on ne peut omettre de mentionner les difficultés inattendues rencontrées par la société Schneider Electric, actuellement attaquée elle-même en contrefaçon par l’un de ses principaux contrefacteurs, Chint. Après avoir gagné plusieurs procès contre Chint en Chine et à l’étranger, Schneider Electric se retrouve maintenant accusée devant les tribunaux chinois d’avoir copié un petit élément d’un disjoncteur d’origine Schneider, élément que la société chinoise avait légèrement modifié et déposé auprès de l’office chinois des brevets dans la catégorie « dessins et modèles ». Ce type de comportement opportuniste, dont il faudra voir s’il est appelé à se développer à mesure que les entreprises chinoises se familiarisent avec le droit de la propriété intellectuelle, invite à une prudence redoublée. Sans qu’il existe de remède miracle, l’expérience des entreprises françaises confrontées à la copie illégale montre qu’il existe des solutions viables. Il est tout d’abord essentiel de protéger au maximum ses droits, en déposant les brevets, dessins, modèles et marques auprès des offices chinois compétents. Cela peut sembler une évidence, mais certaines entreprises interrogées reconnaissent ne pas avoir systématiquement fait les démarches requises au moment de leur implantation et être aujourd’hui dépourvues de recours. Il faut ensuite se mettre en mesure de faire valoir ces droits, par une veille permettant d’invalider les brevets ou dessins et modèles En 2006, les deux tiers des produits ou encore de s’opposer à l’enregistrement de contrefaits saisis en Europe venaient d’Asie. 51 

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© Franc PERET (www.idcreations.com.cn)

marques de tiers qui enfreindraient ces droits. Si les entreprises sont unanimement très pugnaces en cas d’infraction constatée hors de Chine, un contrefacteur ayant exporté ses produits, elles sont en revanche partagées sur l’opportunité d’un recours, administratif ou judiciaire, en cas d’infraction constatée en Chine. Certaines sociétés comme Aldes ne portent pas plainte, considérant que les poursuites demeurent peu efficaces et ne permettent d’obtenir que de très faibles indemnisations. Mais plusieurs autres, sans doute plus durement affectées, utilisent désormais plus systématiquement les recours disponibles et s’en montrent plutôt satisfaites. Tel est le cas de Seb : les produits de ses diverses marques sont contrefaits un peu partout en Chine de l’Est et du Sud, plus particulièrement dans le Zhejiang, le Guangdong et le Fujian. Seb s’appuie sur une petite équipe de terrain chargé de repérer les contrefacteurs et agit systématiquement contre ceux-ci. L’entreprise a constaté une évolution très sensible de l’attitude des autorités chinoises, qu’il s’agisse des AIC (Administration de l’Industrie et du Commerce) ou de la police, qui se montrent très coopératives, sans distinction de région. Avec leur appui, Seb parvient aujourd’hui dans la plupart des cas à faire cesser la fabrication des produits chez les contrefacteurs dès lors qu’ils ont été identifiés. Par ailleurs, Seb se félicite de l’efficacité des douanes chinoises, auprès desquelles, comme la réglementation le permet, ont été enregistrés tous les produits des diverses marques du groupe, destinés à l’exportation ainsi que la liste des sous-traitants chinois habilités par la société française. Des saisies de produits contrefaits, suivies de leur destruction, sont ainsi régulièrement effectuées par les autorités douanières, qui permettent en outre d’identifier des contrefacteurs. Lafarge Gypsum a récemment pris le même parti. Depuis 2 ans, sans doute en raison d’une hausse des prix pratiqués, les copies de ses plaques de plâtre se sont considérablement développées, au point que l’entreprise estime que la production de ces copies dans le seul Est de la Chine correspond à l’ensemble de la consommation de plaques de plâtre de la Malaisie, de Singapour, du Vietnam et du Cambodge réunis. Lafarge Gypsum a perdu ce segment de marché presque totalement en 6 mois seulement. L’entreprise a depuis décidé de combattre par tous les moyens la copie de ses produits, menant une centaine d’actions de saisies avec les autorités en charge de la lutte contre la contrefaçon en un an. Plusieurs procès ont été intentés par ailleurs. Parallèlement, une refonte de la stratégie commerciale a permis de trouver de nouveaux débouchés qui font plus que compenser les pertes dues à la copie. Dans tous les cas, les entreprises privilégient la prévention des risques de copie et la limitation de leur portée économique, par divers moyens : ü  le contrôle strict des stocks de matières premières, de composants et de produits, comme le pratique L’usine Ensival-Moret par exemple Easybox ;

ü  la limitation à l’assemblage du rôle des unités de production chinoises, avec maintien

d’un import de matières premières clés, des équipements de fabrication et des composants critiques : c’est notamment le choix d’une entreprise comme Saft. Dans un tout autre domaine, le fait que la nouvelle unité de production d’Airbus soit une ligne d’assemblage final réduit certainement les risques de fuite technologique ; ü  l’innovation « défensive » : Sanofi-Aventis a développé une étiquette sur l’emballage qui permet immédiatement au client de vérifier l’authenticité du produit ; ü  l’amélioration de la qualité : c’est ce que fait Ensival Moret pour conserver une vraie différenciation par rapport à ses contrefacteurs ; ü  l’innovation en matière de produits : une société comme Pillard souligne que ses clients industriels sont friands des dernières innovations et que la capacité à les offrir est un facteur important de différenciation. Mais à l’inverse, certaines sociétés font le choix de ne pas introduire leurs toutes dernières technologies en Chine : tel est par exemple le cas de Vinci avec son système Hydro-plus de fusible sur les barrages. En prolongeant ce dernier raisonnement, ne pas s’implanter en Chine serait-il donc pas finalement « la » solution pour éviter la contrefaçon ? Il est vrai que le développement commercial en Chine, en augmentant la notoriété locale des produits, attire les contrefacteurs ; en outre, une implantation industrielle accroît les risques de copie, comme le souligne Acteon, qui y a pour l’heure renoncé sous ce motif. Mais il ressort nettement des témoignages des entreprises que l’absence commerciale ou industrielle de Chine n’est pas une protection contre les contrefaçons : les sociétés chinoises ont désormais la capacité de copier des produits ou des marques qui ne sont pas distribués en Chine. Les exceptions à cet égard concernent des cas particuliers de produits reposant sur un savoir-faire difficilement réplicable, sauf à débaucher les personnels. Tel est le cas par exemple d’Onduline, qui envisage de créer une usine en Chine : son produit-phare (plaques de toiture légères) est à la fois assez basique et difficilement copiable, car il utilise des déchets, dont la composition varie au cas par cas, ce qui impose d’adapter à chaque fois la « recette ». Ó  Jusqu’ici, les transferts de technologie n’ont pas compromis les perspectives en Chine ni dans les pays tiers Les entreprises françaises concernées par la problématique des transferts de technologie font un constat partagé : « le copieur est moins autonome que le créateur ». Autrement dit, historiquement, les sociétés chinoises qui ont bénéficié de transferts de technologie n’ont que rarement été capables d’améliorer le produit en innovant elles-mêmes. Or l’innovation continue est une clé de la compétitivité, du moins sur les marchés les plus solvables, ce qui inclut le marché chinois, par ailleurs sensible à l’attrait des dernières technologies. C’est ce qu’illustre par exemple la coopération nucléaire civile entre la France et la Chine : il aura fallu près de 20 ans, depuis le lancement du projet de Daya Bay, pour que les sociétés locales puissent se passer quasi-totalement du savoir-faire français et développer une filière proprement chinoise de centrales de deuxième génération ; et cela sans préjudice de l’intérêt actuel du gouvernement pour les technologies dites de troisième génération, américaines ou françaises, mais pas chinoises. 53 

Nos entreprises considèrent donc qu’il existe un modèle viable dans la durée de transfert de technologie rémunéré, s’il est accompagné d’une innovation qui permet de proposer le moment venu un produit amélioré, qui pourra lui-même faire l’objet d’un transfert de technologie. Il reste que la voie est étroite : sans parler de la question du prix, la détermination du type de technologie cessible et des modalités de transfert est absolument cruciale. La politique d’Alstom en la matière (cf. encadré) illustre l’importance des limites qui doivent être fixées en la matière. La politique d’Alstom en matière de transferts de technologie Sur la question de transferts de technologie, qui conditionnent bien souvent l’attribution d’appels d’offres dans ses secteurs d’activité, Alstom a une politique allante, qui prend toutefois soin de fixer une limite, en distinguant le « know how » et le « know why ». Le « know why », c’est-à-dire le design adaptatif, n’est jamais transféré, même aux joint-ventures contrôlées. Alstom accepte en revanche de transférer le « know how » dans deux cas : ü  à des joint-ventures contrôlées sur un plan technique et de management (au moins à 50/50). Le transfert donne lieu à royalties versées par la joint-venture à la maison-mère ; ü  à des clients, pour emporter le marché, dans une logique de dynamique de développement où la société pense qu’elle peut conserver une technologie d’avance. Le cas du barrage des Trois Gorges illustre ce schéma : en 1997, pour l’aménagement de la rive gauche, Alstom a accepté de transférer à une société chinoise sa technologie de turbines 700 MW en échange de l’achat de 8 machines. En 2003, l’aménagement de la rive droite aurait pu logiquement ne déboucher sur aucun contrat pour Alstom ; mais entre-temps, la société avait réalisé des améliorations significatives du design hydraulique, offrant des rendements améliorés et une stabilité accrue. Alstom a finalement obtenu qu’un appel d’offres international soit lancé, à la fois pour les turbines et les alternateurs, dans lequel sa joint-venture de Tianjin a remporté un lot de 4 machines. Ceci montre « qu’il y a de la vie après un transfert de technologie réussi » et que l’intérêt d’une implantation en Chine bien contrôlée est de pouvoir faire le transfert de technologie tout en limitant les risques. Lorsque les appels d’offres de la partie souterraine du barrage des Trois Gorges seront publiés, la joint-venture Tianjin Hydro pourra en effet être consultée comme n’importe quelle société chinoise. Un schéma un peu comparable s’est appliqué dans le domaine des locomotives, où la signature d’un contrat pour des locomotives de fret de type « BoBo » en 2004 en partenariat avec Datong, qui a bénéficié d’un transfert de technologie, n’a pas empêché de signer un nouveau contrat pour 500 locomotives de type « CoCo » en 2007. Plus fondamentalement, la pérennité d’un schéma de ce type est sujette à caution, 54 

d’une part parce qu’il existe sans doute une limite à l’importance qu’attache l’acheteur à l’amélioration technologique marginale et d’autre part parce qu’à long terme son autonomie technologique est nécessairement croissante.

Le défi des ressources humaines A l’inverse de la propriété intellectuelle, l’enjeu de la gestion des ressources humaines est encore largement méconnu. Or, selon de nombreuses entreprises, surmonter les difficultés dans ce domaine constitue en réalité leur principal défi aujourd’hui.

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Ó  Recruter, former et conserver ses employés La Chine représente un formidable réservoir de main d’œuvre non qualifiée, dont le faible coût est durablement garanti par le potentiel de déversement du secteur primaire vers les secteurs secondaire et tertiaire. En revanche, le pays est caractérisé par la faiblesse relative de ses ressources qualifiées : employés, techniciens, ingénieurs ou cadres. Trois facteurs sont souvent cités pour expliquer cette pénurie : ü  pour les générations au travail les plus âgées, la Révolution culturelle, qui a conduit à la fermeture des universités, des collèges et des lycées pendant 10 ans, a eu un effet majeur ; ü  pour les générations plus jeunes, des motifs culturels sont souvent invoqués : le système éducatif serait encore ancré dans le confucianisme, ou dans un conformisme idéologique, plutôt que sur l’esprit critique, l’apprentissage de l’autonomie et la responsabilisation ; ü  l’enseignement des techniques de management demeure en retard par rapport à l’enseignement scientifique, qui revêt aux yeux des autorités un caractère prioritaire pour le développement du pays. Quoi qu’il en soit, et alors même que les universités ont mis 4,95 millions de diplômés sur le marché du travail en 2007, il existe clairement un problème d’adéquation entre l’offre et la demande de main d’œuvre qualifiée, notamment pour les entreprises étrangères,

Il y aura 4,95 millions de diplômés en Chine en 2007. 55 

Trouver de bons managers : un enjeu majeur pour les entreprises françaises. 56 

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dont le niveau d’exigence est relativement plus élevé. Le problème croît avec le niveau de qualification recherchée et se pose avec une acuité particulière pour les fonctions de management au sens large : finance, marketing, juridique, gestion des ressources humaines. La difficulté à trouver de bons candidats se traduit par deux phénomènes concomitants aiguisés par la concurrence entre entreprises : ü  un taux de rotation élevé, notamment sur les postes-clés ; ü  une spirale des salaires à la hausse. Assez logiquement, dans une économie en croissance rapide, qui offre plus d’opportunités, le turnover des effectifs s’établit à un niveau plus élevé. Encore existe-t-il des variations géographiques importantes selon la dimension des bassins d’emplois, qui déterminent les possibilités d’arbitrage entre employeurs. La mobilité des salariés chinois étant encore faible, les grandes villes et surtout Shanghai, c’est-à-dire là où sont implantées majoritairement les sièges de nos entreprises, affichent

ainsi des niveaux de turnover particulièrement élevés. A contrario, les implantations industrielles bénéficiant souvent de recrutements de proximité et pour des postes moins qualifiés, leurs personnels sont donc d’habitude plus stables. Au total les entreprises interrogées situent le taux de rotation du personnel dans leurs secteurs respectifs dans une fourchette comprise entre 15 et 25%. Il peut être plus élevé encore dans la phase initiale d’embauche comme le souligne Auchan. Quant à l’augmentation des salaires, elle est surtout flagrante pour l’encadrement supérieur. Plusieurs entreprises constatent qu’ils deviennent comparables à ceux d’Europe de l’Est. Sur la région de Shanghai, les cadres supérieurs sont ainsi rémunérés dans une fourchette allant de 30 à 80 000 euros annuels. Cette hausse des coûts est accentuée par deux phénomènes : ü  comme les compétences des salariés recrutés, même à ces niveaux de salaire, restent fréquemment en deçà des exigences des sociétés, il est essentiel d’investir fortement dans la formation. Cet effort s’ajoute à celui déjà nécessaire vis-à-vis des personnels peu qualifiés pour garantir les standards de qualité internationaux des produits ou des services. Nos sociétés surinvestissent donc en formation, alors même que le maintien de turnovers élevés implique qu’une part de cet effort est gaspillée ; ü  par prudence, certaines entreprises, comme DMC, doublonnent les postes-clés au siège ou dans les unités de production. Aussi les sociétés françaises se sont-elles mobilisées pour échapper à ce qui apparaît comme une véritable « guerre des ressources humaines », en fidélisant leurs salariés, notamment les plus qualifiés. Parmi les solutions mises en œuvre, on relève : ü  l’attention portée aux conditions de travail, indépendamment de la rémunération ; ü  une gestion spécifique des cadres à haut potentiel. Accor ou Lafarge, par exemple, ont identifié ce vivier, auquel sont proposées des fonctions dédiées et des perspectives de carrière attrayantes ; ü  l’intéressement : pour motiver ses directeurs d’hôtels, Accor a récemment mis en place un plan ambitieux d’intéressement, qui leur permet de percevoir jusqu’à 45% de leur rémunération sous forme variable, en fonction des résultats. De même, Auchan ouvre en 2007 son actionnariat aux employés locaux ; ü  les formations en France, qui sont devenues un mode classique de récompense ; ü  enfin, les implantations de taille modeste sont confrontées à une difficulté spécifique, celle de proposer des perspectives de progression. Une société comme Auris Industries, qui compte 15 employés chinois, a connu initialement des taux de départ annuels excessivement élevés, atteignant jusqu’à 60%. La réduction de ces taux est notamment passée par la définition d’une grille de postes permettant d’expliciter les possibilités de progression. Par la professionnalisation de leur gestion des ressources humaines, de nombreuses sociétés françaises ont constaté la réduction du turnover. Lafarge ou Sanofi, par exemple, le contiennent à 10% contre des moyennes respectives sur leurs marchés de 15% et 25%. Pour l’avenir, on peut penser que la pénurie d’employés qualifiés va s’atténuer progressivement : ü  avec l’accroissement du flux des diplômés de l’université, et la montée en puissance 57 

progressive d’un véritable enseignement du management ; ü  avec l’augmentation du vivier des salariés ayant déjà eu une expérience dans une entreprise étrangère et occupé des fonctions correspondant aux exigences occidentales. Ó  Quel équilibre entre Chinois et expatriés ? Parce qu’il existe un consensus pour dire « qu’il faut être Chinois sur le marché chinois », la plupart des entreprises françaises considèrent qu’il faut rechercher une « sinisation » maximale des effectifs de leurs implantations chinoises. Accessoirement, des considérations de coût conduisent à limiter le nombre d’expatriés, même si ces derniers peuvent aussi être remplacés par des contrats locaux. Certaines entreprises sont déjà allées très loin dans ce sens. A titre d’illustration, sur ses quelques 13 000 employés en Chine, Sodexho ne compte qu’une demi-douzaine d’expatriés. CMA CGM Chine n’a que 4 expatriés sur 1 000 employés. De même, la petite taille des implantations des PME ne permet souvent pas d’y envoyer plus d’un ou deux expatriés. Les sociétés dont les produits ont un fort contenu technologique connaissent en revanche d’habitude des taux d’expatriés supérieurs, car par définition, des Chinois, souvent récemment embauchés, n’ont pas l’expertise technique requise. Ainsi, par exemple, Alstom a en permanence une centaine d’expatriés en Chine, dont une quarantaine sur la réalisation de projets (sur un effectif de 8200 personnes). Mais la volonté des sociétés françaises d’accroître encore la localisation de leur personnel rencontre des limites : ü  en premier lieu, toutes recommandent une démarche progressive en ce sens : à ses débuts, l’implantation nécessite au contraire un suivi très étroit, qui ne peut être assuré que par des cadres expatriés. Cela est a fortiori vrai si l’implantation est réalisée en partenariat avec une société chinoise ; ü  en second lieu, aucune société n’envisage une sinisation complète de son management dans les prochaines années, à la fois en raison des difficultés de recrutement et de fidélisation déjà évoquées, et plus fondamentalement des différences culturelles. Surmonter ces dernières suppose l’envoi de cadres chinois pour de longues durées en France, voire aussi dans d’autres pays occidentaux, ce que commencent seulement à faire certains groupes. Ceux qui, implantés de plus longue date, l’ont fait, en voient également les limites puisque certains des intéressés ne souhaitent pas revenir en Chine, ou alors seulement avec un statut d’expatrié. Et reste toujours, selon certaines sociétés actives sur les grands projets lancés par le gouvernement chinois, une interrogation sur la « double appartenance » de leurs cadres chinois qui les conduit à la plus grande prudence sur les données des plus confidentielles (coûts, cœur de la technologie, stratégie). Il est donc probable que l’ouverture des postes d’encadrement supérieur aux Chinois demeurera partielle au cours des prochaines années, les entreprises renforçant parallèlement l’emploi de salariés « biculturels » : ü  Français d’origine chinoise ; ü  jeunes Français ayant fait leurs études en Chine ü  expatriés installés en Chine de longue date et parlant le mandarin. 58 

L’impact des implantations en Chine est globalement favorable pour les entreprises comme pour l’économie française Contrairement à une idée reçue, de nombreuses entreprises françaises sont profitables en Chine Peu d’entreprises acceptent de communiquer des informations précises sur les profits qu’elles réalisent en Chine. L’enquête menée dans le cadre du Livre Blanc a permis cependant de recueillir une série de commentaires qui permettent de dresser un tableau, certes impressionniste, mais dans l’ensemble assez positif de la situation. Un certain nombre de grands groupes estiment avoir une rentabilité qualifiée de « satisfaisante » pour Veolia, comparable à la moyenne mondiale pour Valeo, Alstom ou Rhodia, affichée comme simplement « positive » par Auchan, Delachaux, Faurecia, Ipsen, Lafarge Gypsum, Sanofi Aventis, Seb, Schneider Electric. Carrefour déclare de « bons résultats financiers », Accor juge « très profitables » ses investissements dans la gamme IBIS, Alcatel Shanghai Bell et Onduline déclarent un « résultat positif à deux chiffres », CMA-CGM et Bio-Mérieux indiquent que leurs filiales chinoises ont « toujours fait des profits », EDF juge sa profitabilité en Chine supérieure à sa moyenne mondiale. D’autres groupes ont des résultats moins satisfaisants liés à l’intensité de la concurrence (Thomson, Areva T&D) au poids des investissements à réaliser (PSA, Roquette) ou aux limites posées par la réglementation (Vinci). Le secteur financier a un retour sur investissement assez long lié aux fortes contraintes prudentielles (il est évalué par AXA à 5-6 ans pour les succursales d’assurance), les résultats des banques étant par ailleurs biaisés par le poids des activités off-shore (syndications de crédits, crédits export) ainsi que le rôle encore dominant joué par la place financière de Hong-Kong dans les activités de marché. Du côté des PME interrogées, la plupart affichent des résultats nets positifs. C’est le cas par exemple de Somfy, Acteon, Grimaud Frères, Aldes, Ensival Moret, Oberthur Card Systems. Certaines sont encore en phase initiale d’implantation et n’ont pas atteint le point mort (Chapellet, La Boite à Pizzas). Les cabinets d’avocats et les cabinets comptables (Gide, Mazars) jugent satisfaisante la profitabilité de leurs activités. Pour certaines entreprises comme Ubisoft, la notion de rentabilité n’a guère de sens, l’essentiel des contrats et des ventes étant réalisés sur d’autres marchés. L’impression positive que dégage ce tableau est sans doute biaisée par la discrétion des entreprises en situation financière difficile (un grand groupe qui n’a pas voulu être cité évoque par exemple une « rentabilité très médiocre »). Elle correspond cependant aux statistiques globales du gouvernement chinois et aux travaux de l’OCDE sur la rentabilité des entreprises étrangères, qui s’est fortement améliorée sur la période 1998-2003 avant d’être affectée en 2005-2006 par la hausse récente des prix de l’énergie et des matières premières. 59 

Au total l’idée selon laquelle « on ne gagne pas d’argent en Chine » ne semble pas correspondre à la réalité d’aujourd’hui, même si le retour sur investissement peut s’avérer long dans un certain nombre de cas.

Du point de vue de l’économie française Les effets sur l’emploi Les effets de nos investissements en Chine sur l’emploi en France sont divers et complexes à analyser. Les cas de délocalisations sont restés très rares, et on peut estimer, dans le cas de la Chine, qu’il n’y a pratiquement pas eu d’effet de substitution avec l’emploi en France. Le cabinet d’avocats Adamas indique ainsi qu’il a rencontré un seul cas de délocalisation en 12 ans de pratique. Le Cabinet Gide Loyrette Nouel déclare n’en connaître aucun parmi ses clients. La Chine de ce point de vue se distingue très nettement des pays d’Europe Centrale et Orientale ou du Maghreb. La question du sourcing est plus délicate. Le sourcing en Chine est de plus en plus nécessaire pour permettre à la grande distribution de baisser ses prix (avec des effets en principe positifs pour les consommateurs et le pouvoir d’achat en France), et aux entreprises industrielles pour réduire leurs coûts, rester compétitives et par conséquent préserver leurs emplois. Mais le sourcing peut avoir un effet d’éviction sur l’emploi dans certains secteurs, s’il conduit à marginaliser un nombre croissant d’entreprises. Ce qui s’est passé hier dans les industries de main d’oeuvre peut se passer demain dans d’autres domaines (second œuvre du bâtiment, équipements automobiles…). L’expérience de Seb montre que l’effet négatif du sourcing peut être fortement atténué par une politique active d’implantation: le sourcing de Seb en Chine, qui représente 25% du chiffre d’affaires du groupe, se concentre sur les produits d’entrée de gamme et permet à la marque de maintenir sa présence globale dans la grande distribution tandis que la production française s’est réorientée sur le haut de gamme. Des diminutions d’emploi sont intervenues, mais dans un processus progressif et contrôlé par l’entreprise. Elles ont été pour partie compensées par la montée en puissance des ventes de Seb en Chine, qui incorporent désormais certains produits venant de France. Une stratégie similaire a été développée par Sitram pour les articles de cuisine en Inox, et par une autre entreprise des arts de la table qui n’a pas souhaité être citée. Si l’on analyse plus globalement les retombées en emploi des implantations françaises en Chine, on peut distinguer quatre groupes d’entreprises : ü  un petit nombre dont les ventes en Chine ont un fort contenu en importations de France (et d’Europe), et qui génèrent par conséquent un effet très positif sur l’emploi dans notre pays. Entrent dans cette catégorie nos grands groupes de l’aéronautique : Airbus estime que près de 20% des salariés du groupe travaillent pour la « destination Chine ». Le contenu en emplois français des ventes d’Eurocopter, de Thales, ou de Safran 60 

est également élevé. Il en est de même dans l’industrie lourde pour Vallourec, qui exporte encore une large partie de ses ventes de tubes à partir de France. L’industrie française du Luxe et dans une certaine mesure de l’agro-alimentaire (LVMH, Hermès, Chanel, Dior, Pernod Ricard et bien d’autres) ont également une implantation essentiellement commerciale qui bénéficie aux produits originaires de France. Du côté des PME, il en est de même pour Somfy (80% des produits distribués viennent de France), Aldes dans les équipements pour le confort de l’habitat, Onduline dans les matériaux de toiture. ü  quelques sociétés de service transfrontières dont l’activité en Chine génère un niveau d’emploi significatif pour la France. Un bon exemple est celui d’Air France. Les 42 liaisons hebdomadaires du groupe avec la Chine font travailler une partie du personnel navigant, des équipes marketing et commerciales, et des services de maintenance. On peut estimer6 très approximativement à environ 1500 emplois l’impact de la Chine sur les effectifs du groupe (auxquels s’ajoutent ceux de la sous traitance). CMA-CGM connaît une situation assez comparable. Les 28 services hebdomadaires vers la Chine sont gérés à partir du siège de Marseille, une partie des équipages est d’origine française. Au total les emplois en France induits par l’activité Chine sont évalués à environ 1500 personnes. ü  une majorité d’entreprises dont l’activité en Chine a un impact positif mais limité sur l’emploi en France. Un exemple de cette troisième catégorie est le groupe PSA. Son développement en Chine entraîne un certain volume d’importations de voitures (environ 3000 en 2007) et des importations d’équipements automobiles relativement importantes, mais limitées par les objectifs de localisation fixés pour chaque modèle produit en Chine. Une centaine d’expatriés résident en Chine, auxquels s’ajoutent des centaines d’ingénieurs séjournant en court séjour, et autant d’autres suivant de France les développements des activités chinoises. Au total on estime chez PSA que plus d’un millier d’emplois français sont directement ou indirectement liés à la Chine. Ce schéma associant présence plus ou moins importante d’expatriés (une centaine Estimation du rédacteur, qui n’engage pas la responsabilité d’Air France

PSA : plus d’un millier d’emplois français liés à la Chine 61 

© PSA

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également chez Total, Veolia ou Accor), développement en France des fonctions support, qu’elles soient techniques ou marketing , et maintien d’un certain courant d’importations de biens d’équipement ou de matières (les principes actifs par exemple dans la pharmacie) est assez général. Il touche des entreprises aussi différentes qu’Alstom, Veolia, Total, Carrefour parmi les grands groupes, Oberthur (à travers les achats de composants), Avantec, Saft, Ipsen, Acteon, Pillard, La Boite à Pizzas, Cache-Cache, G2J.COM au sein des PME. Axon Cables estime ainsi que pour 4 emplois nouveaux en Chine un emploi a été créé en France. ü  un groupe plus réduit pour qui l’impact de l’implantation en Chine est relativement neutre en termes d’emplois. C’est le cas par exemple de France Telecom qui souligne que la création de son centre de R&D en Chine ne s’est pas traduit par des réductions d’effectifs dans les centres de recherche du groupe en France (les échanges de trafic telecom avec la Chine ayant par ailleurs un effet positif sur l’activité du groupe en France). Des sociétés comme la Cnim, Business Interactif, Bacou-Dalloz ou Auris Industries ont la même analyse. Pour Easybox, l’implantation en Chine s’est traduite par une modification de la structure des emplois en France, avec une baisse des emplois de production compensée par une augmentation des emplois dans les domaines commercial et marketing . ü  quelques entreprises admettent une relative réduction d’effectifs en France. C’est le cas des industries de main d’œuvre déjà évoqué. Mais l’impact peut évoluer dans le temps. DMC par exemple, leader historique des fils de broderie, estime que la balance des flux entre les achats en Chine pour le groupe et les ventes de produits made in France en Chine devrait atteindre l’équilibre dans les prochaines années. Thomson, qui produisait massivement de l’électronique grand public en Chine destinée à l’exportation, importe désormais de France des équipements de télévision professionnelle. Comment concilier les résultats plutôt encourageants de cette enquête, même s’ils ne sont pas spectaculaires, avec la réalité statistique de l’emploi industriel en France, qui diminue annuellement de 2 à 3%, sous la pression des pays à bas coûts parmi lesquels la Chine est au premier rang ? La réponse tient au sourcing, à la globalisation des achats orchestrée par les grands groupes multinationaux qui donne une place de plus en plus importante aux pays émergents. Le cas de Valeo cité précédemment ( porter à 70% la part de ses achats en provenance des pays émergents pour faire face à la formidable pression sur les coûts qui s’exerce sur l’ensemble de la filière automobile) illustre un mouvement global. L’intérêt de l’enquête est de montrer que l’implantation en Chine n’est pas en soi un facteur d’accélération de ce mouvement (qui peut très bien se développer avec l’aide de sociétés spécialisées comme l’explique Masai sourcing, ou avec des équipes légères). L’implantation est à la fois un moyen pour maîtriser le risque d’éviction qu’entraîne la mondialisation du sourcing, et un relai de croissance à travers le développement du marché chinois et asiatique. Elle permet de limiter, voire de contrer les effets négatifs d’un mouvement d’internationalisation qu’il serait illusoire de vouloir freiner. Il ne faut donc pas se tromper de cible : ce n’est pas l’implantation dans les marchés émergents qui affaiblit l’emploi en France. Cette implantation permet au contraire d’atténuer les effets parfois ravageurs de la mondialisation des achats en permettant à nos entreprises de conserver leur compétitivité et de poursuivre leur croissance. 62 

L’effet d’entraînement des PME De manière générale, l’implantation des premières entreprises françaises en Chine facilite tendanciellement celles des suivantes: la connaissance de l’environnement des affaires se diffuse progressivement et les services aux entreprises s’étoffent. Mais, audelà, certains grands groupes ont mis en oeuvre une politique de soutien et d’aide à l’implantation des PME de leur secteur. Le meilleur exemple est celui d’EDF, qui a monté le “Partenariat France-Chine Electricité” (PFCE) pour favoriser l’essor de partenariats industriels franco-chinois dans le domaine de l’électricité. Cette structure regroupe une quarantaine d’entreprises françaises et organise chaque année des missions de contacts avec l’industrie chinoise. Plus de la moitié des membres du PFCE dispose aujourd’hui de partenariats industriels ou technologiques avec l’industrie chinoise. Dans la filière automobile, l’implantation de PSA a entraîné celle des équipementiers de premier rang dans les années quatre-vingt-dix, puis celle de plus petites entreprises depuis le début de la décennie. Mais le message adressé par les principaux acteurs français du secteur (PSA, Valeo, Faurecia) est un message d’alerte : Faurecia par exemple ne trouve pas suffisamment de fournisseurs français prêts à s’implanter en Chine, malgré différents séminaires organisés par l’entreprise pour les inciter à venir. Très peu franchissent le pas à l’inverse de leurs concurrents allemands qui s’installent en nombre. Faurecia est dès lors contraint de passer des commandes à d’autres fournisseurs internationaux. Dans la distribution, le panier de la ménagère chinoise (6 à 8 euros par visite) reste à ce stade insuffisant pour générer une diversification de l’offre au profit des produits importés. Tant Carrefour qu’Auchan distribuent à 99% des produits locaux, tout en s’efforçant de faire venir en Chine certains de leurs fournisseurs. Ainsi, Auchan par exemple, a organisé voici quelques mois une première opération de promotion de produits français importés à Shanghai, avec un succès inattendu. Dans le secteur pétrolier, Total développe une politique d’appui aux PME qui a enregistré un certain nombre de résultats. Dans l’aéronautique l’implantation d’Airbus à Tianjin et la montée en puissance des programmes chinois sont en train de susciter un mouvement significatif : il est probable que d’ici deux ans une dizaine de grosses PME, parmi les plus performantes du secteur, se seront implantées en Chine, pour la plupart du côté de Tianjin qui devrait devenir un pôle aéronautique sino-européen. Au total l’effet d’entraînement des grands groupes sur les PME est inégal et globalement insuffisant : la démarche individuelle reste la règle et l’action collective l’exception.

Les flux financiers rapatriés Les implantations de nos sociétés en Chine donnent lieu à rapatriement de flux financiers à différents niveaux. En premier lieu, la plupart des sociétés semblent pratiquer la facturation des prestations croisées internes, ce qui revient majoritairement à rémunérer les sièges, tant pour le soutien en back-office que pour des missions d’appui ad hoc. Si cet aspect de la comptabilité des entreprises est difficile à cerner, il représente néanmoins des volumes financiers probablement très significatifs. Toujours en amont du résultat net 63 

des entités chinoises, des royalties sont également régulièrement versées pour utilisation de la technologie détenue par les maisons-mères, a fortiori lorsque l’implantation a été réalisée en joint-venture. En revanche, in fine, les profits semblent rarement rapatriés en France: l’importance des projets de développement conduit en effet bon nombre de sociétés à réinvestir localement leurs profits en les abondant même si nécessaire. Ce n’est guère que lorsqu’il n’y a pas de besoin d’investissement lourd (cas par exemple d’une société comme Biomérieux, qui ne produit pas en Chine) que les profits sont rapatriés.

Les effets induits Comme cela a déjà été souligné à plusieurs reprises, la présence en Chine permet à de nombreuses sociétés de renforcer à la fois la compétitivité de leurs produits en France et sur d’autres marchés occidentaux, notamment par la baisse des prix de leurs fournitures, et la crédibilité de leur offre, dont le caractère global est conforté. Mais l’implantation en Chine induit encore d’autres effets, plus originaux (cf. encadré). Parmi ceux-ci, le plus remarquable est le bénéfice que commencent à tirer certaines entreprises de leur présence en Chine en accédant à des marchés en pays tiers auxquels elles n’auraient pas pu prétendre faute d’une telle présence. Tel est parfois le cas grâce à un financement institutionnel chinois : l’usine de Tianjin d’Alstom a ainsi remporté sa première commande d’équipements de production d’hydroélectricité au Vietnam notamment grâce à un prêt de l’Eximbank et à la garantie de Sinosure. Mais s’agissant d’une aide liée, le bénéfice de ces financements suppose une production essentiellement chinoise, et une « qualification » de l’entreprise comme chinoise qui n’est pas automatique. Plus souvent, des entreprises françaises bénéficient simplement de leur notoriété accrue de par leur présence en remportant des marchés lancés par des entreprises chinoises pour des réalisations à l’étranger. L’implantation en Chine conforte alors l’activité globale de ces entreprises. Ainsi, une société comme Somfy remporte en Chine un nombre croissant de marchés lancés par des entreprises chinoises de BTP pour des constructions notamment au Moyen-Orient. Vinci envisage de sous traiter à des entreprises chinoises des sous ensembles de contrats en pays tiers pour faire face à l’explosion de la demande mondiale et à la pression sur les coûts. Ensival Moret, en tant que fournisseur régulier des grands groupes pétroliers chinois, peut avoir accès aux contrats d’usines clés-en-main que passent de plus en plus de pays pétroliers en Afrique et au Moyen-Orient avec ces groupes, directement concurrents des ingénieries occidentales. Et dans un domaine tout autre, Sogreah, grâce à sa présence ancienne en Chine en accompagnement des projets d’aide au développement en Chine, se renforce aujourd’hui dans d’autres régions en s’appuyant sur l’émergence de l’aide au développement chinoise. Total développe une relation suivie avec les grands groupes pétroliers et gaziers chinois en vue de coopérer dans les pays tiers, qu’il s’agisse de l’Afrique (Nigeria notamment), du Moyen Orient ou de l’Amérique Latine. La complémentarité technique et géographique entre Total et les groupes chinois devrait faciliter le développement de projets communs, dans un contexte global où le coût et les difficultés des nouveaux projets imposent 64 

souvent un partage des risques entre grands opérateurs. . Il est permis de penser que ce type d’effet induit devrait se multiplier, à mesure que les entreprises chinoises se développent à l’international. Delachaux : des effets induits originaux Les centres de R&D du groupe Delachaux sont pour le moment tous localisés en Europe. Cependant, le fait d’avoir remporté plusieurs appels d’offre en Chine, notamment sur les lignes à grande vitesse, a permis de développer de nouvelles techniques, développements réutilisables dans le reste du monde. C’est de cette manière qu’un groupe de travail sur les voies sans ballast pour trains à grande vitesse a été créé à Valenciennes en partenariat avec RFF et d’autres industriels du secteur : n’étant pas une spécialité du groupe à l’origine, cette activité a été « révélée » par le marché chinois, ce qui permet désormais à Delachaux de concurrencer l’offre allemande.

CONCLUSION: Demain, quels enjeux ? La Chine va devenir centrale pour la plupart des entreprises qui ont fait le choix de s’y implanter. La quasi-totalité des entreprises interrogées prévoient une forte progression de leur activité en Chine dans les prochaines années, principalement par croissance organique, mais aussi par des acquisitions là où la politique de contrôle des investissements étrangers le permet. Parmi les grands groupes Carrefour affiche une priorité à la croissance organique : ayant dépassé la centaine de magasins en août 2007, le groupe prévoit dans les prochaines années l’ouverture d’au moins une vingtaine de magasins par an, avec la volonté d’être présent dans toutes les villes chinoises de plus de 500 000 habitants. PSA entend multiplier par 2,5 ses ventes en Chine d’ici 2010 pour porter le chiffre d’affaires à 10% de celui du groupe dans le monde et ambitionne, à terme, de fabriquer un million de voitures. Le montage d’une deuxième JV avec un autre partenaire est en cours et devrait aboutir fin 2007. Alstom prévoit le doublement de son chiffre d’affaires sur 5 ans. Accor va construire en 6 ans en Chine la moitié des hôtels IBIS construits en France sur 30 ans (soit 120 hôtels), faisant de la Chine, la première destination des investissements du groupe. Faurecia prévoit un triplement de son chiffre d’affaires sur 6 ans. Thomson veut faire passer la part de l’Asie (dont la Chine représente le tiers) - de 8 à 15% - des activités du groupe d’ici 2009. Airbus vise 50% du marché chinois à l’horizon 2012 contre 8% il y a 10 ans et 35% actuellement. CMA-CGM a des projets d’investissements considérables dans les zones portuaires, et dans les réseaux de logistique internes (en particulier les terminaux ferroviaires de porte-conteneurs). Thales vise une croissance de 60% de son chiffre d’affaires sur 3 ans. Total a des projets ambitieux dont la réalisation est pour partie liée à la poursuite de l’ouverture du marché 65 

(notamment dans le raffinage et la distribution). Pour Veolia le marché chinois est loin d’être saturé et continuera à servir de relais de croissance. Dans le cas d’Air France, la croissance du chiffre d’affaires est assez fortement corrélée à celle du pays (elle est de l’ordre de 15% par an). Il continuera donc de croitre à un rythme trois fois supérieur à celui de la moyenne mondiale. Alcatel Shanghai Bell anticipe une progression de chiffre d’affaires comparable à celle des dernières années, autour de 20 à 25 % par an. Areva pour ses ventes et EDF pour ses investissements devraient connaitre une très forte progression de leurs activités avec la conclusion attendue de contrats pour deux centrales EPR. Seb va changer d’échelle en Chine avec la prise de contrôle par étape du groupe Supor, qui doit lui permettre de multiplier par 8 son chiffre d’affaires. Schneider devrait poursuivre sa pénétration du marché tant par croissance organique (avec une progression de l’ordre de 20% par an ces dernières années) que par de nouvelles acquisitions si celles-ci ne se heurtent pas à un véto gouvernemental. Roquette veut faire passer son activité en Chine de 5 à 10% de son chiffre d’affaires mondial dans un délai de 5 à 10 ans. France Telecom fonde de grands espoirs sur un partenariat stratégique avec un grand opérateur chinois. Les banques françaises et compagnies d’assurance poursuivent une double stratégie de croissance organique par la filialisation de leur activité en Chine et l’ouverture de nouvelles agences ( Société Générale prévoit ainsi la création d’une vingtaine d’agences d’ici 2010), et une stratégie de prises de participation en fonction des opportunités de marché. La croissance externe reste cependant fortement contrainte par les limites fixées à l’investissement étranger dans ce secteur. Pour Lafarge Gypsum, la Chine devrait devenir le 2ème marché mondial de l’entreprise d’ici 2010 devant le Japon, avec une progression attendue du chiffre d’affaires de l’ordre de 15 à 20 % par an. Les grands noms de l’industrie française du luxe restent également très optimistes sur les perspectives du marché chinois, avec des progressions de chiffres d’affaires qui sont de l’ordre de 30 à 40% par an en moyenne. Du coté des PME, les prévisions ne sont pas moins optimistes. Somfy estime qu’à terme la Chine représentera plus de la moitié de ses ventes asiatiques contre 20% actuellement. Uniross pense devenir l’un des leaders du marché chinois (dans les batteries rechargeables) d’ici 5 à 10 ans. Acteon voit une progression de chiffre d’affaires de 20 à 30% par an. Easybox pense multiplier par 10 ses effectifs et devenir un leader du packaging de luxe en Chine. Dans les activités de conseil, le cabinet Gide anticipe un doublement de son chiffre d’affaires d’ici 2015, tandis que Mazars envisage de multiplier ses effectifs par cinq d’ici 5 à 10 ans. Dans la filière automobile Hutchinson prévoit de quadrupler son chiffre d’affaires d’ici 2012, Electricfil pense atteindre 5% de son chiffre d’affaires global en 2010 après un démarrage en 2006 à Wuhan. Delachaux table sur un doublement d’activité d’ici 2010. Les entreprises qui n’affichent pas de prévisions chiffrées ambitieuses sont celles qui sont confrontées à des obstacles réglementaires qui freinent, voire empêchent le développement de leurs activités. C’est le cas de la construction où Bouygues et Vinci sont très en deçà de leur potentiel, d’une partie du secteur énergétique (pétrole 66 

et gaz notamment), où dans une moindre mesure des services financiers et des télécommunications. A l’inverse le retard de croissance des biens de consommation et de nombreux secteurs des services permettent d’anticiper des opportunités considérables pour de nombreuses années dans ces domaines où s’implantent actuellement beaucoup de PME françaises. Un seul exemple : Essilor indique que le marché des verres correcteurs en Chine représente seulement 10% du marché américain pour une population quatre fois plus nombreuse. De quoi soutenir la croissance d’Essilor en Chine pour 20 à 30 ans, même si la concurrence locale s’est développée à une vitesse fulgurante avec de nombreux problèmes de propriété intellectuelle et de concurrence déloyale. Ces prévisions impressionnantes reflètent une réalité macro-économique qu’il faut avoir en mémoire. La Chine « pèse » aujourd’hui 6% du PIB mondial, soit un peu moins que l’Allemagne. Elle sera devenue en 2020 la seconde économie mondiale, nettement devant le Japon, avec une part du PIB mondial qui devrait se situer entre 12 et 15%. Elle deviendra la première puissance commerciale de la planète d’ici peu et devrait détrôner les Etats-Unis comme première puissance industrielle avant 2020. L’organisation interne des groupes va devoir être adaptée en conséquence. La montée en puissance de la Chine impose de nouveaux modes d’organisation dans les grandes entreprises. Les décisions stratégiques liées à la Chine doivent pouvoir être prises plus rapidement, et en toute connaissance de cause, ce qui conduit à raccourcir les circuits de décision et à donner plus de visibilité aux responsables pays. Là où les activités d’un groupe sont multiples, le besoin d’une gestion globale se fait sentir, à la fois pour des raisons d’efficacité interne et de visibilité externe. Un bon exemple de ce mouvement est la décision prise par PSA en 2007 de nommer un responsable Chine couvrant toutes les activités du groupe et membre du comité de direction générale, avec accès direct au Président et capacité de négociation vis-à-vis des grandes directions opérationnelles. Total a également envoyé en Chine son directeur des relations internationales qui, pour la première fois, représente le groupe dans ses 4 lignes de métier avec pour rôle de bâtir une stratégie globale. Dans les banques, la filialisation conduit également à la nomination de responsables pays chargés de piloter l’ensemble des activités. Dans les PME, l’enjeu d’une communication directe avec le «patron » est encore plus important. Comme le souligne le représentant d’Electricfil, la vitesse d’évolution du marché chinois impose des décisions rapides, et une adaptation permanente que les directions générales françaises ont du mal à intégrer. Le lien personnel entre patron et responsable local est souvent décisif pour saisir les opportunités. Le contexte concurrentiel se durcit et l’environnement réglementaire reste incertain Le marché chinois a toujours été marqué par une concurrence féroce avec une multiplicité d’acteurs (2000 sidérurgistes, 200 producteurs de verres correcteurs…). Dans la période actuelle de croissance record où les liquidités abondent, la concentration des marchés 67 

autour d’un nombre plus limité d’entreprises ne s’opère pas, malgré les tentatives du gouvernement pour y parvenir. Il y a par exemple plus de sidérurgistes aujourd’hui qu’au début de la décennie, alors que la NDRC s’efforce d’en limiter le nombre depuis quatre ans. Les entreprises françaises sont prises en tenaille entre la montée en gamme de concurrents chinois technologiquement et commercialement mieux armés, l’activisme de leurs concurrents internationaux, et la survie de nombreuses PME pratiquant une guerre des prix permanente. Des entreprises comme Thomson, Essilor, Alcatel, Afe technologies, Cnim, Lafarge Gypsum, Ipsen et d’autres, soulignent cette concurrence croissante qui, dans un certain nombre de cas s’accompagne de pratiques déloyales à grande échelle (normes industrielles, espionnage industriel, contrefaçons).Carrefour anticipe une « consolidation » de la grande distribution d’ici deux à trois ans, avec la disparition probable des entreprises les moins bien gérées. La réglementation des affaires connaît une amélioration apparente avec la mise en place d’un corpus législatif désormais complet (avec l’adoption récente de lois sur les fusions acquisitions, la concurrence et les faillites, la rénovation du contrat de travail, le renforcement des normes anti-pollution). Mais cette amélioration est en réalité à court terme source d’une insécurité juridique supplémentaire comme le souligne le cabinet DS avocats : les nouvelles lois co-existent parfois avec des lois plus anciennes, et l’application de ces lois laisse surtout aux fonctionnaires locaux un pouvoir d’appréciation considérable dont ils abusent parfois. Les mêmes textes sont ainsi mis en œuvre d’une façon qui peut être sensiblement différente entre Pékin, Shanghai, Canton ou l’Ouest du pays. La corruption, qui fait l’objet de campagnes gouvernementales vigoureuses, reste pourtant omniprésente, avec des « tarifs » qui augmentent au rythme de la croissance du pays. La combinaison d’un environnement réglementaire plus complexe, de coûts en progression constante et d’une concurrence accrue tendent à renchérir le coût d’une implantation, comme le souligne la société Ipsen dans le secteur pharmaceutique. Mais les risques de l’absence sont dans beaucoup de cas supérieurs à ceux d’une implantation Aucun des responsables d’entreprise rencontrés ne présente l’implantation en Chine comme une partie de plaisir. Tous soulignent au contraire les difficultés de démarrage, qu’elles soient d’ordre culturel, liées à des problèmes de partenariat, de concurrence déloyale, de difficultés règlementaires ou tout simplement à l’évolution très rapide de la situation. Compréhension du pays, capacité d’adaptation et force de travail sont considérées comme des qualités indispensables pour réussir en Chine. La nécessité d’une préparation approfondie, la capacité à tenir dans la durée en cas d’imprévus sont également vues comme nécessaires : trop de petites ou moyennes entreprises sont venues en Chine « la fleur au fusil ». Comme dans l’ouest américain du 19ème siècle, l’arrivée dans ce pays peut être une expérience douloureuse pour les « pieds tendres ». 68 

A contrario les opportunités de ce marché ont été développées en détail dans les différents chapitres de ce livre. Les perspectives de croissance impressionnantes soulignées par une majorité d’entreprises permettent de relativiser l’impact des difficultés rencontrées. Il reste à se poser la question inverse : quel est le risque du non investissement ? Il est jugé élevé par bon nombre d’entreprises, en particulier les PME qui jugent qu’une non implantation leur ferait peser le double risque d’une perte de compétitivité (notamment par rapport à ceux de leurs concurrents qui ont déjà fait la démarche), et d’une perte de clientèle face aux exigences croissantes des grandes entreprises en matière de localisation dans les pays émergents. Du côté des grands groupes la Chine est devenue incontournable, même si elle n’est pas encore centrale, et la question de la non implantation ne se pose plus depuis cinq à dix ans (à l’exception notable de Renault dont la présence en Chine reste symbolique à ce stade). La concurrence chinoise va par ailleurs se déplacer en Europe. L’IDE chinois vers l’extérieur atteignait déjà 21Md€ en 2006, et devrait tripler d’ici la fin de la décennie d’après les prévisions du ministère chinois du Commerce. Des acquisitions importantes en France se sont faites récemment : le rachat d’Adiseo et de la division silicones de Rhodia par le groupe Bluestar, qui devient le premier employeur chinois en France avec 2500 salariés, ou le rachat de NFM technologies (le seul tunnelier français) par Shenyang Heavy Machinery . Les équipementiers téléphoniques Huawei et ZTE poursuivent une croissance très rapide sur le marché européen, qui se traduit par un début d’implantation en France. Beaucoup d’entreprises qui renoncent à s’exposer en Chine pour se concentrer sur le marché européen risquent de trouver demain un de leurs concurrents rachetés par une entreprise chinoise. La conclusion simple de notre enquête est qu’il est à terme moins risqué d’être en Chine que d’en être absent. Plusieurs livres parus récemment en France ont voulu alerter sur les risques de l’aventure chinoise (« La face cachée de la Chine, La Chine sera-t-elle notre cauchemar ? Le grand bluff chinois »….). Ces livres fourmillent d’anecdotes qui illustrent, parfois jusqu’à la caricature, les problèmes auxquels nos entreprises peuvent être confrontées ou les tensions de la société chinoise. Mais ils font l’impasse sur la problématique globale : la Chine est une formidable opportunité de croissance et un défi concurrentiel majeur. Il est possible d’y être avec succès, d’y prospérer malgré les nombreux pièges du marché, d’y bâtir une stratégie régionale, voire globale. Il est dangereux de l’éviter. Pas pour tout le monde, mais le nombre de secteurs, le type d’entreprises à vocation internationale pour lesquelles une présence en Chine n’est pas utile diminue chaque année. La Chine représente pour nos entreprises, avec des caractéristiques évidemment différentes, un défi comparable à ce qu’était le marché américain dans les années soixante-dix ou quatre-vingt. Nous espérons que ce Livre Blanc contribuera à une vision équilibrée de ce nouveau défi, et qu’il pourra convaincre les entreprises qui n’ont pas encore fait la démarche d’une implantation en Chine d’y porter attention.

69 

Annexe Liste des entreprises interrogées. 1

Accor

Emmanuel MARION

2

Acteon

Rodolfo FREI

3

Adamas Avocats Associés

Franck DESEVEDAVY

4

AFE Technologies

Laurent THIBAUD

5

Airbus

Philippe LIN

6

Air France

Franck LEGRE

7

Alcatel

Gérard DEGA

8

Aldes

Victor CHONLANE

9

Alstom

Alain BERGER

10

AEC

André CHIENG

11

Areva

Arnaud de BOURAYNE

12

Auchan

Bruno MERCIER

13

Auris Industries Ltd.

Thomas FLAURAUD

14

Avantec

Christophe MARQUE

15

Axa

Philippe DONNET

16

Axon’ Cable

Joseph PUZO

17

Bacou-Dalloz

Francis ALLIROT

18

Biomérieux

Pascal VINCELOT

19

BNP Paribas

Olivier ROUSSELET

20

Bouygues Engineering

FAN Xiaohong

21

Business Interactif

Thomas CHABRIERES

22

Cache-Cache - Beaumanoir

Fréderic DUPUIS

23

Canaltoys

Rodolphe COUTE

24

Carrefour

Stephane DEUTSCH

25

Chapellet

Christian ROUSSEL

26

CMA-CGM

John WANG

27

CNIM

Jean-Marie LOPEZ

28

Danone

Bertrand AUSTRUY

29

Delachaux

Fabrice SEEWALD

30

DMC

Stéphane CHANUS

31

DS Avocats

Claude LE GOANACH-BRET

32

Easybox

Issake BANGOURA

33

EDF

Hervé MACHENAUD

34

Electrifil

Zhu YONG

35

Ensival Moret

Alain SEYEUX

36

Essilor

HE Yi

37

Faurecia

Armand CHEN

38

France Telecom

Hervé CAYLA

39

G2J.com

Sylviane JACQUES

40

Gide Loyrette Nouel

Yan LAN / Stéphane VERNAY

41

Grimaud Frère sélection

ZHANG ShuChen

42

Groupama

YU Weidong 70 

43

Hutchinson

François SARAZIN

44

Ipsen

Eric BOUTEILLER

45

JC Decaux

Thierry BARDOUX

46

La Boîte à Pizza

Franck BOUDOT

47

Lafarge Gypsum

Christian DEVILLERS

48

Leroy Somer

Ghislain BOITEAU

49

LVMH

Andrew WU

50

Manitou BF

Fernand MIRA

51

Masai

Clément HOMOLE

52

Mazars

Thierry LABARRE

53

Michelin

WANG Zhaohua

54

Oberthur Card Systems

Didier BOSSON

55

Onduline

Pierre SHAN

56

Pillard

Claude ROBERT

57

PSA

Yves BOUTIN

58

Rhodia

Christophe BERNARD

59

Roquette

Thierry LAURENT

60

Safran

LIU Kening

61

Saft

Pierre-Marc LEROY

62

Saint-Gobain

Marc d’ANTRAS

63

Sanofi

Thomas KELLY

64

Schneider

Guy DUFRAISSE

65

SDV

Philippe HAMON

66

Seb

Calogero FRANCHINA

67

Sinatis

Gérard DELEENS

68

Sitram

Serge TUMEO

69

Société Générale

Marc POIRIER

70

Sodexho

Christophe SOLAS

71

Sogal

YU Xiaomin

72

Sogreah

Patrick-Yann DARTOUT

73

Somfy

Emmanuelle GAURIT

74

ST Microelectronics

Sébastien BERNARD

75

Technip

Dominique PEIFFERT

76

Thales

Eric IMBERT

77

Thomson

Olivier LAFAYE

78

Tokheim

Patrick BERTHON

79

Total

Jacques de BOISSESON

80

Ubisoft

Corinne LEROY

81

Uniross

Boris DUHAMEL

82

Valeo

Ali ORDOOBADI

83

Veolia

Jorge MORA

84

Vinci

Jean-Louis THOURET

85

WST

Fabrice VOSSIER 71