Nuit et Brouillard - Jean Moulin de LOCMINE

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Le XXème siècle et notre époque. Nuit et Brouillard. Documentaire de 32 minutes. Réalisé par Alain Resnais, en 1955. Texte de Jean Cayrol dit par Michel  ...
Le XX siècle et notre époque ème

Nuit et Brouillard Documentaire de 32 minutes. Réalisé par Alain Resnais, en 1955. Texte de Jean Cayrol dit par Michel Bouquet. Connexion entre le cinéma et l'histoire, la mémoire de l'histoire Pour comprendre la société française contemporaine il est utile d'analyser les mécanismes de sa conscience collective. Le cinéma créé pour un grand public est révélateur des intentions de ses producteurs et metteurs en scène, mais aussi des goûts et des mythes du public pour lequel il est conçu. (Autrement dit quand on voit un film on en apprend autant sur le public à qui il s'adresse que sur le sujet traité.) Or une des dynamiques de l'inconscient communautaire français est la fascination qu'exerce son passé collectif sur la société contemporaine. Ce goût du passé a donné naissance à de nombreux films dont Nuit et Brouillard, œuvre pour la mémoire, œuvre de lutte contre l'antisémitisme toujours prêt à resurgir. C'est un film de commande : « Nuit et Brouillard, commandé par le Comité d'histoire de la Seconde Guerre mondiale pour le dixième anniversaire de la libération des camps de concentration . Alain Resnais opère un croisement entre les images en couleurs tournées en 1955 et les images d'archives en noir et blanc, leur constante mise en perspective par le commentaire sobre et informatif de Jean Cayrol dit par Michel Bouquet, le lent crescendo dans l'horreur des images confèrent au film une force confondante. ⇒ les images tournées en 1955 en couleurs, à Auschwitz ; ⇒ celles tirées des archives nazies : beaucoup de photos fixes ; ⇒ celles des cinéastes des armées alliées qui ont ouvert et « nettoyé » les camps en 1945. Alain Resnais a eu notamment accès à certaines séquences tournées par Sidney Bernstein, chef de la section cinéma des armées alliées à l'ouverture du camp de Bergen-Belsen dans le but de faire le procès des Allemands. C'est à Wagner que les nazis empruntent la terminologie de « Nuit et Brouillard » : dans L'Or du Rhin, Alberich, coiffé du casque magique se change en colonne de fumée tandis qu'il chante « Nuit et brouillard, je disparais ». Pour l'extrême droite allemande au pouvoir, il ne s'agit nullement de disparaître mais de faire disparaître sans laisser de traces. Le grand mérite du court métrage d'Alain Resnais, c'est, avec une économie de moyens, en 32 minutes, de guetter les traces, de faire surgir les questionnements, de tenter de faire sentir l'indicible. Le regard porté sur l'histoire n'étant pas neutre, on étudiera avec intérêt les pressions que le film rencontre à sa sortie. Et cela éclaire terriblement le propos de Jean Cayrol, romancier et ancien déporté, co-auteur du commentaire du film d'Alain Resnais : « Nous qui feignons de croire que tout cela est d'un seul temps et d'un seul pays, nous qui n'entendons pas qu'on crie sans fin ». En trente minutes, l'essentiel est dit : l'horreur du meurtre de masse, la survie et la mort, le temps qui passe et l'enjeu de la mémoire. Brève biographie des auteurs Alain Resnais est né à Vannes le 3 juin 1922, réalisateur français, également scénariste et acteur. Issu d'une famille lettrée, Alain Resnais se passionne très tôt pour toutes les formes d'art, de la photographie à la littérature, influences qui marqueront durablement son œuvre. Ses scénarios sont souvent le fruit de collaborations avec des écrivains autour des problématiques de mémoire et de déstructuration du récit. Après-guerre, il réalise une série de films d'art très remarqués (Van Gogh, Guernica). Contemporain de la Nouvelle Vague, il est plus proche d'un groupe "Rive gauche" engagé dont font partie Chris Marker, avec qui il co-signe Les Statues meurent aussi (Prix Jean Vigo 1954) il obtient encore le Prix Jean-Vigo, pour Nuit et brouillard, documentaire qui deviendra un film de référence sur la déportation. Jean Cayrol est né à Bordeaux en 1911. Il fait des études de droit et de lettres, fonde à l’âge de seize ans, une revue littéraire. Bibliothécaire depuis 1937, il prend part à la guerre 39-40 dans un service secret dès 1941, s’engageant dans le réseau C.N.D. Castille du colonel Rémy. Arrêté en 1942, il est déporté à Gusen puis à Mauthausen. Poète, nouvelliste, romancier, scénariste et réalisateur. Contexte (historique, social, artistique …) Contexte des années 1950 : le film est réalisé 10 ans après la fin de la guerre. De fait, Nuit et Brouillard est d'abord un film sur le phénomène concentrationnaire tel que les déportés des camps de Dachau et de Buchenwald ont pu en rapporter l'expérience. L'auteur du commentaire, Jean Cayrol, en était lui-même un rescapé. Le film montre bien les chambres à gaz d'Auschwitz mais gomme la spécificité du génocide juif. L’œuvre d'Alain Resnais se situe dans cette première période de la mémoire de la déportation, où le choc de l'ouverture des camps est proche mais où l'on distingue encore mal l'ampleur et la diversité du phénomène.

« À la veille du passage du film en commissions de censure, Resnais est prié de supprimer un plan. [...] On lui promet, en échange, "de ne rien couper à la dernière bobine", donc à l'ouverture du film sur le présent. Son refus de s'autocensurer bloque le film jusqu'au jour où Resnais consent à "mettre une poutre à la gouache sur le képi du gendarme" tout en maintenant la référence orale à Pithiviers dans le commentaire. [...] [Le film] mêle un certain soutien officiel et des marchandages de dernière minute, dont la note d'humour n'est pas exclue : le dos de la photo incriminée portait l'autorisation de la censure allemande. » (Joseph Daniel, Guerre et Cinéma, Armand Colin et Fondation nationale des sciences politiques, 1972.) Une volonté d'amnésie, dix ans après la fin de la guerre, révélatrice du désir de refouler certaines taches de la police française sous l'Occupation, afin de ne pas troubler l'imagerie d'une France unanimement résistante. Or l'incroyable est vrai : les copies en circulation de Nuit et Brouillard perpétuent ce mensonge par omission. À l'annonce du choix de Nuit et Brouillard pour représenter la France au festival de Cannes, l'ambassade d'Allemagne de l'Ouest fit une démarche, couronnée de succès, auprès du gouvernement de Guy Mollet pour faire retirer le film de la sélection officielle. L'affaire Nuit et Brouillard venait de commencer. Jean Cayrol, le scénariste, s'exprima publiquement : « La France refuse ainsi d'être la France de la vérité, car la plus grande tuerie de tous les temps, elle ne l'accepte que dans la clandestinité de la mémoire. [...] Elle arrache brusquement de l'histoire les pages qui ne lui plaisent plus, elle retire la parole aux témoins, elle se fait complice de l'horreur. [...] Mes amis allemands [...], c'est la France elle-même qui fait tomber sa nuit et son brouillard sur nos relations amicales et chaleureuses. » (Le Monde, 11 avril 1956.) Seule la Suisse interdit Nuit et Brouillard au nom de... la neutralité.

Conclusion Le contraste noir et blanc/ couleurs permet des flash-back narratifs entre le passé et le présent tout au long du film. Il montre tour à tour comment les lieux des camps de concentration ainsi que le travail d'extermination pouvaient avoir une allure ordinaire, comment ils étaient organisés de façon rationnelle et sans état d'âme, et comment l'état dans lequel ont été conservés les lieux est loin d'indiquer ce qui jadis s'y perpétrait. Il permet également de mesurer la proximité des villages aux alentours des camps où la vie banale se déroulait sans vouloir voir, entendre ou sentir ce qui se passait à sa porte… Les images choquent et interpellent d’autant plus qu’elles sont accompagnées de la lecture d'un texte de l'écrivain français Jean Cayrol, ancien déporté, dont le texte poétique rappelle le quotidien des camps de concentration : humiliation, déshumanisation, torture, terreur, massacres, traitement des « restes » matériels et humains… Les nazis semblaient vouloir jeter l'oubli - Nacht und Nebel - sur la Solution finale. Ce documentaire, malgré quelques défauts, a le mérite d’exister pour rappeler aux jeunes générations que camps de concentration et génocides ont existé et perdurent encore aujourd’hui. Ils ne sont pas d’un temps que l’on aimerait révolu à jamais. Réalisé sobrement, sans effet grandiloquent, ce film constitue un modèle, puisqu’il réussit, avec peu de moyens, en suggérant plus qu’en montrant, à faire ressentir au spectateur l’insoutenable : « Toute la force du film réside dans le ton adopté par les auteurs : une douceur terrifiante ; on sort de là ravagé, confus et pas très content de soi. ». Par ces quelques mots, François Truffaut résumait en 1975 les impressions profondes que suscite Nuit et Brouillard ainsi que la difficulté critique d’en parler sans indécence. Œuvres liées, références, etc. Louis Aragon, Auschwitz..., poème de 1942. « Nuit Et Brouillard », Chanson de Jean Ferrat. Anne Frank, Le journal d'Anne Frank, Calmann-Lévy, 1950. Adapté au cinéma en 1959 par George Stevens Primo Levi, Si c'est un homme (Se questo è un uomo), 1947, traduit en 1987 par Martine Schruoffeneger aux éditions Julliard. Récit autobiographique. Art Spiegelman, Mauss, 1986 et 1991. Seul prix Pulitzer attribué à une BD en 1992, également Grand Prix au Festival international de la bande dessinée d'Angoulême en 2011 Pascal Croci, Auschwitz, Collection Atmosphères, 2000. Bande dessinée documentaire en noir et blanc avec un dossier à la fin de l'histoire. Elle a obtenu le prix jeunesse de l’Assemblée nationale. La vie est belle de Roberto Benigni, 1997 La rafle, film de Rose Bosch avec Mélanie Laurent, Jean Reno, 2009 Le prêteur sur gage, film de Sydney Lumet, 1965 La liste de Schindler, film de Steven Spielberg, 1993 Le pianiste, film de Roman Polanski. 2002 Ligne de vie - Court métrage d’animation de Serge Avédikian, France, 2003 – 12' L'art, les ghettos, la déportation et les camps sur le site de Dominique Natanson http://d-d.natanson.pagesperso-orange.fr/art_et_camps.htm