Revue Lamy de la

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8 déc. 2008 ... REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20. Droit I Économie I Régulation ... Siège social : 1, rue Eugène et Armand Peugeot ..... T-405/06, ArcelorMittal Luxembourg,. ArcelorMittal Belval ...
J U I L L E T / S E P T E M B R E

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2 0 0 9

Revue Lamy de la

Concurrence IDroitIÉconomieIRégulationI La théorie de l’entreprise défaillante « Failing Firm Defense » : une renaissance dans la crise ? Antoine WINCKLER

Imputation de l’infraction et prescription : les enjeux de la notion d’entreprise en droit de la concurrence Linda ARCELIN-LÉCUYER

La Commission d’examen des pratiques commerciales Jean-Christophe GRALL

Aide nouvelle sur aide illégale et incompatible non remboursée ne vaut – Actualité de la doctrine Deggendorf Benjamin CHEYNEL

ENTRETIEN

« Le droit de la concurrence, garant du Marché commun, est au fondement de la construction économique et politique de l’Europe » Noëlle LENOIR ÉTUDES

Droit de la publicité : bilan de l’année 2008 (2de partie) Linda ARCELIN-LÉCUYER

Politique de la concurrence et faillites bancaires – Les éclairages de la théorie économique Anne PERROT

Profession réglementée : la théorie de « l’état de la législation antérieure » ne vaut que pour les dispositions législatives adoptées avant 1958 Guylain CLAMOUR

Mise en Seine de la concurrence Guylain CLAMOUR

Lumière sur le groupe EDF Stéphane DESTOURS

Le conseiller auditeur de l’Autorité : un homonyme plus qu’un homologue du conseiller auditeur communautaire Éric BARBIER de la SERRE et Clémence MACÉ de GASTINES

Canada : premières modifications significatives de la loi sur la concurrence depuis 1985 Loraine DONNEDIEU de VABRES-TRANIÉ

Le droit de la concurrence face aux défis de la crise mondiale

dans la masse des décisions des autorités de concurrence

François BRUNET

Laurence BOY et Marc DESCHAMPS

PRATIQUE

Loi de modernisation de l’économie – An I –

Dispositions relatives aux relations industrie/commerce (2de partie) Jean-Christophe GRALL, Thomas LAMY, Nathalia KOUCHNIR-CARGILL et Éléonore CAMILLERI

COLLOQUE

Rencontres Lamy du droit de la concurrence Questions d’actualité – La nouvelle Autorité de la concurrence Lundi 8 décembre 2008

BILLET D’HUMEUR

« Plus, n’est pas nécessairement mieux » ou la difficulté de faire apparaître la (les) vraie(s) question(s) de droit

À LIRE

Revues Simon GENEVAZ

Conseil scientifique > Jacques Azéma Agrégé des Facultés de droit Directeur du Centre Paul Roubier

> Marie-Dominique Hagelsteen Président-adjoint de la Section du contentieux du Conseil d’État

> Roger Bout Agrégé des Facultés de droit Professeur à l’Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III

> Christine Homobono Directeur général de la DGCCRF

> Dominique Brault Avocat à la Cour Ancien Rapporteur général de la Commission de la concurrence Président d’honneur de l’AFEC > Guy Canivet Membre du Conseil constitutionnel

> Bruno Lasserre Président de l’Autorité de la concurrence > Aristide Lévi Directeur du CREDA (Centre de recherche sur le droit des affaires de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris)

> Guillaume Cerruti PDG de Sotheby’s France Ancien Directeur général de la DGCCRF > Marie-Anne Frison-Roche Professeur des Universités à Sciences Po

> Christian Montet Professeur à l’Université de Polynésie française et LAMETA Université de Montpellier I

> Olivier Guersent Chef d’Unité « Mergers II », Commission européenne

> Michel Pédamon Professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas (Paris II)

Revue Lamy de la

Concurrence IDroitIÉconomieIRégulationI

Éditeur : WOLTERS KLUWER FRANCE SAS au capital de 300 000 000 €

Siège social : 1, rue Eugène et Armand Peugeot 92856 Rueil-Malmaison Cedex RCS Nanterre 480 081 306

2

> Frédéric Jenny Président du Comité de la concurrence de l’OCDE Conseiller à la Cour de cassation en service extraordinaire

Directeur de la publication, Président Directeur Général : Xavier Gandillot Associé unique : Holding Wolters Kluwer France Directrice de la rédaction : Héléna Alves Rédactrice en chef : Julie Vasa (01 76 73 42 53 ; [email protected]) Réalisation PAO : Camille Mathy, Audrey Évrard Assistante d’édition : Florine Lhuillier

REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20

> Jacqueline Riffault-Silk Conseiller à la Cour de cassation > Stephen C. Salop Professor of Economics and Law Georgetown University Law Center > Véronique Sélinsky Avocat > Kurt Stockmann Ancien Vice-président a. D. du Bundeskartellamt > Bo Vesterdorf Ancien Président du Tribunal de première instance des Communautés européennes

Imprimerie : Delcambre BP 389 - 91959 Courtabœuf cedex Nº Commission paritaire : 1211 T 85786

> Véronique

Sélinsky Conseiller de la rédaction

Information et commande : Tél. : 0 825 08 08 00 Fax : 01 76 73 48 09 Internet : http://www.wkf.fr

Dépôt légal : à parution N° ISSN : 1770-9377 Abonnement annuel : 462 € HT (TVA 2,10 %), 471,70 € TTC

Cette revue peut être référencée de la manière suivante : RLC 2009/20, n° 1387 (année/n° de la revue, n° du commentaire)

Périodicité : trimestrielle Prix au numéro : 119 € HT (TVA 2,10 %), 121,50 € TTC

Droit I Économie I Régulation

éditorial L’autorité « unique » court-elle le risque d’un étouffement? Dominique BRAULT Avocat à la Cour Ancien rapporteur général de la Commission de la concurrence Président d’honneur de l’AFEC

À l’occasion des premières Rencontres judicieusement organisées par l’Autorité de la concurrence le 15 juin 2009, son président, M. Bruno Lasserre, a fait valoir que si l’on pouvait regretter que l’Autorité ne puisse toujours pas apprécier l’opportunité des poursuites, cela avait au moins, en contrepartie, l’avantage de lui permettre d’explorer des champs nouveaux et intéressants pour la concurrence. Cela était dit dans un propos introductif à une présentation de la jurisprudence du Conseil de la concurrence sur le commerce en ligne. Il est exact que, grâce aux latitudes que lui donnent les procédures qui débouchent sur des engagements, l’organe qui était censé s’en tenir au contrôle des pratiques anticoncurrentielles sans empiéter sur celui des pratiques restrictives s’est de fait investi dans ce dernier domaine de manière aussi utile qu’efficace. Il marque des limites à la liberté du refus de vente lorsqu’il réserve aux membres d’un réseau de distribution sélective celle de vendre des produits de luxe sur Internet. Il offre ainsi aux justiciables une alternative aux tribunaux qui auraient une vocation plus évidente à sanctionner le parasitisme. C’est encore de concurrence déloyale que traite l’Autorité de la concurrence lorsque, reprochant à EDF, producteur d’électricité photovoltaïque, de faire du détournement de clientèle aux dépens de fournisseurs alternatifs, elle corrige sa communication institutionnelle. Quand l’Autorité sanctionne des actes de publicité comparative diffamante et trompeuse (Aut. conc., déc. n° 09-D-14, 25 mars 2009, Gaz et Électricité de Grenoble), c’est dans le champ de compétence du tribunal correctionnel qu’elle intervient. Sans contester le principe et les fondements de ces incursions, on peut s’inquiéter de voir bientôt l’Autorité submergée par de trop nombreuses sollicitations. Les nouvelles et lourdes missions dont elle a récemment été chargée, ainsi que sa crédibilité et l’efficacité que lui assure une gamme diversifiée de procédures et de sanctions ne risquent-elles pas de l’entraîner vers l’engorgement? L’Autorité va-t-elle être victime de son succès? Va-t-elle connaître un afflux de demandes et l’allongement qui en résulte fatalement pour la durée moyenne de ses procédures alors que le Conseil de la concurrence avait beaucoup progressé à cet égard? Dans quelle mesure y remédiera-t-elle par le recours à l’abandon de la collégialité pour la prise de décision? Était-il judicieux d’inviter l’Autorité à se distraire des vrais problèmes de fonctionnement des marchés en donnant des avis (déjà plus de 15!) sur les dérogations aux règles relatives aux délais de paiement? Autant de questions qui suggèrent la nécessité d’alléger la charge de l’Autorité. Un effort budgétaire a été fait pour proportionner ses moyens à des tâches accrues. Est-ce une réponse suffisante? Nous pouvons en douter. Tôt ou tard il faudra aussi proportionner les tâches à des moyens qui sont nécessairement limités. Alors que même la Cour de cassation et le Conseil d’État se sont autorisé une certaine sélectivité, un organe de nature administrative tel que l’Autorité de la concurrence ne peut même pas rejeter une saisine qui pose principalement des problèmes relevant de la compétence des tribunaux ou une plainte qui dissimulerait mal son instrumentalisation. Un premier pas a été fait dans la LME pour doter le rapporteur général d’un certain pouvoir d’appréciation de l’opportunité des poursuites puisqu’il peut désormais choisir dans les programmes d’enquêtes de la DGCCRF ou dans les résultats des enquêtes que cette dernière a réalisées les affaires qui lui paraissent mériter d’être traitées par l’Autorité. Dès lors, on ne voit pas au nom de quelle logique ce qui vaut pour les affaires dont l’origine est ministérielle ne vaudrait pas pour toutes les saisines, quelle qu’en soit l’origine. Quelques réserves que l’on ait sur le nouveau dispositif de règlement des pratiques anticoncurrentielles mineures, il aura au moins le mérite de concourir à une plus grande concentration de l’Autorité sur les principaux dysfonctionnements des marchés. Il faudra d’autres idées pour rompre avec l’illusion que, telle une juridiction, l’Autorité a compétence liée quel que soit l’intérêt des cas dont elle est saisie. Moins encombrée de dossiers, elle pourrait traiter chacun avec davantage de soin et de célérité. Je souhaite que des lecteurs de la Revue lancent ces nouvelles idées. ◆

Droit I Économie I Régulation

N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE

3

Actualités

9

Concentrations économiques Christian MONTET et Antoine WINCKLER

ÉCLAIRAGE

9>

La théorie de l’entreprise défaillante « Failing Firm Defense » : une renaissance dans la crise? Antoine WINCKLER

33 > Calcul des amendes et récidive 33 > Détermination du montant des amendes et ententes 34 > Feu principe de dissociation?

35

Transparence et pratiques restrictives Martine BÉHAR-TOUCHAIS

ACTUALITÉS

17 > Poursuite de la consolidation du secteur aérien : Iberia fait main basse sur le low cost en Espagne 18 > La Commission autorise la prise de participation par Dassault Aviation dans Thales 19 > La crise financière : la Commission autorise la première nationalisation d’une banque 19 > Rejet de l’argument de l’entreprise défaillante à l’occasion d’une opération de concentration dans le secteur des batteries de démarrage automobile 20 > Concentration sous conditions dans le secteur de la viande 21 > Comment vendre et garder le contrôle 22 > Premières décisions d’autorisation de l’Autorité de la concurrence

25

Pratiques anticoncurrentielles Dominique BRAULT et Véronique SÉLINSKY

ÉCLAIRAGE

25>

Imputation de l’infraction et prescription : les enjeux de la notion d’entreprise en droit de la concurrence

ÉCLAIRAGE

35 > La Commission d’examen des pratiques commerciales Jean-Christophe GRALL

ACTUALITÉS

39 > Autonomie de l’action de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence du ministre 40 > De l’application de l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, lors des négociations? 41 > De la rupture immédiate de relations commerciales établies pour propos racistes tenus par le contractant 41 > Du point de départ du préavis pour l’application de l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce

43

Aides d'État Jean-Louis COLSON, Jacques-Philippe GUNTHER, Christian LAMBERT et Lucien RAPP

ÉCLAIRAGE

43>

Actualité de la doctrine Deggendorf Benjamin CHEYNEL

Linda ARCELIN-LÉCUYER

ACTUALITÉS

27 > Arrêt cardiaque 27 > Téléphonie mobile et pratiques concertées 27 > Recevabilité des enregistrements sonores réalisés à l’insu des personnes enregistrées : la Cour persiste et signe (de la main de son Président) 29 > Exclusivité dans les stations-service 29 > Exclusivité d’approvisionnement 30 > Les pharmaciens d’officine ne bénéficient pas d’une exclusivité territoriale 30 > Pratiques tarifaires abusives 31 > Même pour riposter à des pratiques commerciales critiquables de la part de son concurrent, un opérateur dominant n’est pas autorisé à le dénigrer 31 > Position dominante et marché connexe 32 > (In)compatibilité entre engagements et mesures conservatoires

4

REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20

Aide nouvelle sur aide illégale et incompatible non remboursée ne vaut

ACTUALITÉS

52 > Licence UMTS, suite et fin 53 > Grille d’analyse de la compatibilité des aides d’État 54 > Communication de la Commission relative à l’application des règles en matière d’aides d’État par les juridictions nationales

56

Concurrence et droit public Guylain CLAMOUR, Stéphane DESTOURS et Philippe TERNEYRE

ÉCLAIRAGES

56>

Profession réglementée : la théorie de « l’état de la législation antérieure » ne vaut que pour les dispositions législatives adoptées avant 1958

Guylain CLAMOUR

58>

Mise en Seine de la concurrence Guylain CLAMOUR

59>

Lumière sur le groupe EDF Stéphane DESTOURS

Droit I Économie I Régulation

sommaire ACTUALITÉS

60 60 61 61

> > > >

63 64 64 65

> > > >

66

Un Ordre anticoncurrentiel Obsèques anticoncurrentielles (suite) Eurocontrol hors contrôle Centre Pompidou, extérieurs concurrentiels Îles déloyauté Concurrence sécurisée Le repos dominical n’est pas un luxe Police et activités économiques en archéologie préventive

Droit processuel de la concurrence Éric BARBIER de la SERRE et Cyril NOURISSAT

66>

ÉCLAIRAGE

Le conseiller auditeur de l’Autorité : un homonyme plus qu’un homologue du conseiller auditeur communautaire

74 > Quand le ministre tire le premier mais à titre incident 75 > Aides d’État : une jurisprudence sinueuse sur le droit de contester devant le Tribunal des éléments factuels non remis en cause devant la Commission 76 > L’autre façon de prendre en compte la coopération 77 > Absence d’exercice de la pleine juridiction d’office à la hausse 78 > Le contrôle de légalité, une peau de chagrin? 79 > Recours contre les opérations de visites et saisies : nouveaux délais, nouvelles procédures

81

Décisions des autorités nationales de concurrence étrangères Loraine DONNEDIEU de VABRES-TRANIÉ

81>

Éric BARBIER de la SERRE et Clémence MACÉ de GASTINES

Canada : premières modifications significatives de la loi sur la concurrence depuis 1985 Loraine DONNEDIEU de VABRES-TRANIÉ

ACTUALITÉS

70 > De nombreux enseignements sur la prescription en droit communautaire 72 > Accès au dossier de la Commission en vue de poursuites civiles 73 > Les poursuites civiles comme « intérêt public supérieur » justifiant un accès aux documents de la Commission

ÉCLAIRAGE

86 > Nouvelle-Zélande : les entreprises étrangères et les personnes physiques n’échapperont pas à l’application du droit de la concurrence 88 > Chine : l’interdiction de l’acquisition du groupe Huiyuan Juice par la société Coca-Cola, une décision insatisfaisante pour les entreprises étrangères

Perspectives

90 93

ENTRETIEN

90>

« Le droit de la concurrence, garant du Marché commun, est au fondement de la construction économique et politique de l’Europe »

Noëlle LENOIR

ÉTUDES

93>

Droit de la publicité : bilan de l’année 2008 (2de partie) Linda ARCELIN-LÉCUYER

99>

Politique de la concurrence et faillites bancaires – Les éclairages de la théorie économique Anne PERROT

104> Le droit de la concurrence face aux défis de la crise mondiale

117

François BRUNET

PRATIQUE

117>

Loi de modernisation de l’économie – An I –

Dispositions relatives aux relations industrie/commerce (2de partie) Jean-Christophe GRALL, Thomas LAMY, Nathalia KOUCHNIR-CARGILL et Eléonore CAMILLERI

129 132 160

BILLET D’HUMEUR

129 > « Plus, n’est pas nécessairement

mieux » ou la difficulté de faire apparaître la (les) vraie(s) question(s) de droit dans la masse des décisions des autorités de concurrence

Par Laurence BOY et Marc DESCHAMPS

COLLOQUE

132 > Rencontres Lamy du droit de la concurrence La nouvelle Autorité de la concurrence – Questions d’actualité 8 décembre 2008 À LIRE

160>

Revues Simon GENEVAZ

Ce numéro est accompagné de deux encarts publicitaires

Droit I Économie I Régulation

N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE

5

Index thématique des sources commentées CONCENTRATIONS ÉCONOMIQUES ENTREPRISE DÉFAILLANTE, FAILING FIRM DEFENSE (FFD) CONCENTRATION, SECTEUR AÉRIEN, « LOW COST », CESSION DE CRÉNEAUX

Déc. Comm. CE, 9 janv. 2009, aff. COMP/M.5364, Iberia/Vueling/ Clickair, JOUE 26 mars, n° C 72

RLC

POSITION DOMINANTE, MARCHÉ CONNEXE, ABUS, LIEN DE CAUSALITÉ, PRIX PRÉDATEURS

1387

PROCÉDURES NÉGOCIÉES, ENGAGEMENTS, MESURES CONSERVATOIRES, MARCHÉ ÉMERGENT, CONCURRENCE DÉLOYALE

1388

1389

CONCENTRATION, BANQUE, NATIONALISATION, CRISE

Déc. Comm. CE, 14 mai 2009, aff. COMP/M.5508, SoFFin/Hypo Real Estate

1390

CONCENTRATION, BATTERIES AUTOMOBILES, ENTREPRISE DÉFAILLANTE

Déc. Comm. CE, aff. COMP/M.4381, JCI/VB/Fiamm

1391

1392

CONCENTRATION, BIÈRE, CONTRÔLE CONJOINT, RESTRICTION ACCESSOIRE

Lettre min. Éco., Ind. et Emploi n° C2008/129, 5 mars 2009, aux conseils de la société Pédandel, relative à une concentration dans le secteur des boissons, BOCCRF 27 avr. 2009

PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES

1405

AMENDE, RÉCIDIVE, LÉGALITÉ DES PEINES

1406

ENTENTE, AMENDE, ÉGALITÉ DE TRAITEMENT

TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-12/03, Itochu Corp. c/ Commission ; TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo Co., Ltd, Nintendo of Europe GmbH c/ Commission

1407

CJCE, 26 mars 2009, aff. C-113/07 P, Selex Sistemi Integrati SpA

TRANSPARENCE ET PRATIQUES RESTRICTIVES

1408

RLC

COMMISSION D’EXAMEN DES PRATIQUES COMMERCIALES (CEPC), LME

Ord. n° 2008-1161, 13 nov. 2008, JO 14 nov. 1393

SEUIL DE NOTIFICATION, COMMERCE DE DÉTAIL, CONCESSIONNAIRE AUTOMOBILE, HYPERMARCHÉ

Aut. conc., déc. n° 09-DCC-01, 8 avr. 2009, relative à la prise de contrôle de la société Pellier Metz S.A.S. par le groupe Bailly S.A.S. ; Aut. conc., déc. n° 09-DCC-04, 29 avr. 2009, relative à la prise de contrôle de la société Noukat par la société d’Exploitation Amidis & Cie SAS, filiale du Groupe Carrefour

1404

NOTION D’ENTREPRISE, PRINCIPE DE DISSOCIATION, NAVIGATION AÉRIENNE, SÉCURITÉ

VIANDE, EFFETS HORIZONTAUX, EFFETS CONGLOMÉRAUX, PARTAGE DE MARQUE

Lettre min. Éco., n° C2008-100, 17 févr. 2009, Groupe Bigard/ Socopa Viandes

Aut. conc., déc. n° 09-MC-01, 8 avr. 2009, affaire relative aux pratiques d’EDF visant à favoriser les activités concurrentielles de sa filiale de production d’électricité photovoltaïque TPICE, 6 mai 2009, aff. T-116/04, Wieland-Werke AG c/ Commission

CONCENTRATION, DÉFENSE, AÉRONAUTIQUE, EFFETS VERTICAUX

Déc. Comm. CE, 10 mars 2009, aff. COMP/M.5426, Dassault Aviation/TSA/Thales

Cass. com., 17 mars 2009, n° 08-14.503, P+B+R

1409

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE, PRATIQUES RESTRICTIVES, ACTION PROPRE, DÉLÉGATION DE POUVOIRS, CEDH

Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-15.264, D

1410

RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS COMMERCIALES ÉTABLIES, NÉGOCIATION, AGENT COMMERCIAL, POURPARLERS

Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-11.916, D 1394

RLC

1411

RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS COMMERCIALES ÉTABLIES, FAUTE DU COCONTRACTANT, PROPOS RACISTES, OBLIGATION DE LOYAUTÉ

Cass. com., 31 mars 2009, n° 08-13.964, D

1412

RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS COMMERCIALES ÉTABLIES, PRÉAVIS POINT DE DÉPART, INFORMATION SUR LA NON-CONTINUATION DES RELATIONS

Cass. com., 7 avr. 2009, n° 08-11.572, D

1413

NOTION D’ENTREPRISE, IMPUTATION DE L’INFRACTION, PRESCRIPTION

TPICE, 31 mars 2009, aff. T-405/06, ArcelorMittal Luxembourg, ArcelorMittal Belval & Differdange, ArcelorMittal International c/ Commission

1395

COMPÉTENCES CONCURRENTES, APPELS D’OFFRES CA Paris, 1re ch., sect. H, 8 avr. 2009, n° RG : 2008/01092

1396

AIDES D'ÉTAT

PRATIQUE CONCERTÉE, PREUVE, RÉUNION

CJCE, 4 juin 2009, aff. C-8/08, T-Mobile Netherlands BV e.a. c/ Raad van bestuur van de Nederlandse Mededingingsautoriteit ; Communiqué CJCE n° 47/09, 4 juin 2009

1397

STATION-SERVICE, EXCLUSIVITÉ, DURÉE, PRIX

1399

PAIEMENT, EXCLUSIVITÉ D’APPROVISIONNEMENT

Déc. Comm. CE, 13 mai 2009, aff. COMP 37/990, Intel Corporation

1400

ORDRE PROFESSIONNEL, SANTÉ, EXCLUSIVITÉ TERRITORIALITÉ, PHARMACIENS, DÉONTOLOGIE

Aut. conc., déc. n° 09-D-17, 22 avr. 2009, Ordre des pharmaciens de Basse-Normandie

1401

EXCLUSIVITÉ D’APPROVISIONNEMENT, REMISE, MICROPROCESSEUR, PRATIQUE TARIFAIRE ABUSIVE

Déc. Comm. CE, 13 mai 2009, aff. COMP 37/990, Intel Corporation

1402

MONOPOLE, POSITION DOMINANTE, ABUS, DÉNIGREMENT, DÉRÉGULATION

Aut. conc., déc. n° 09-D-14, 25 mars 2009, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fourniture de l’électricité

CJCE, 2 avr. 2009, aff. C-431/07, Bouygues et Bouygues Telecom c/ Commission

1415

Projet de principes communs d’évaluation économique de la compatibilité des aides d’État en application de l’article 87, paragraphe 3

1416

AIDES D’ÉTAT, COMMISSION, JURIDICTIONS NATIONALES, SUBSIDIARITÉ, AIDES ILLÉGALES, RÉCUPÉRATION, DOMMAGES ET INTÉRÊTS, ASSISTANCE

Communiqué Comm. CE n° IP/09/316, 25 févr. 2009, JOUE 9 avr., n° C 85

CONCURRENCE ET DROIT PUBLIC

1417

RLC

PROFESSIONS RÉGLEMENTÉES, LIBERTÉS PUBLIQUES, LIBERTÉS PROFESSIONNELLES, THÉORIE DE LA LÉGISLATION ANTÉRIEURE

CE, 21 nov. 2008, n° 293960, Association Faste Sud Aveyron

1418

MESURE DE POLICE ADMINISTRATIVE, BATEAU-MOUCHE

1403

Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy de la Concurrence

6

1414

CONCURRENCE, AIDES D’ÉTAT, LICENCE UMTS, ANTÉRIORITÉ, AVANTAGE, NATURE ET ÉCONOMIE DU SYSTÈME

1398

CJCE, 2 avr. 2009, aff. C-260/07, Pedro IV Servicios c/ Total España SA

TPICE, 11 févr. 2009, aff. T-25/07, Iride et Iride Energia c/ Commission CONCURRENCE, AIDES D’ÉTAT, LICENCE UMTS, ANTÉRIORITÉ, AVANTAGE, NATURE ET ÉCONOMIE DU SYSTÈME

PREUVE, LOYAUTÉ, PROCÉDURE PÉNALE, PROPORTIONNALITÉ CA Paris, 29 avr. 2009, 1re ch., sect. H, n° RG : 2008/11907,

Philips France e.a.

RLC

DOCTRINE DEGGENDORF, AIDE NOUVELLE, AIDE ILLÉGALE, AIDE INCOMPATIBLE

REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20

CE, 15 mai 2009, n° 311082, Société Compagnie des bateauxmouches

1419

Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy de la Concurrence

Droit I Économie I Régulation

Le texte intégral des sources commentées est accessible en ligne grâce au cédérom Revue Lamy de la Concurrence

CONFUSION, OPÉRATEUR HISTORIQUE, ÉLECTRICITÉ

Aut. conc., déc. n° 09-MC-01, 8 avr. 2009, relative à la saisine au fond et à la demande de mesures conservatoires présentée par la société Solaire Direct

ACTIONS CIVILES, MÉDIATEUR, ACCÈS AUX DOCUMENTS, ARTICULATION AVEC PROGRAMMES DE CLÉMENCE

1420

ORDRE PROFESSIONNEL, PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE

Aut. conc., déc. n° 09-D-17, 22 avr. 2009, relative à des pratiques mises en œuvre par le conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Basse-Normandie RÉGIE MUNICIPALE, POMPES FUNÈBRES, ABUS DE POSITION DOMINANTE CA Paris, 1re ch., sect. H, 31 mars 2009, n° 2008/11353

CA Paris, 8 avr. 2009, n° 2008/01092, ELA Medical e.a. 1421

1422

1423

1424

ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE, SERVICE PUBLIC, CONCURRENCE PUBLIQUE, PRINCIPE DE NON-CONCURRENCE, CONCURRENCE DÉLOYALE, PRIX ANORMALEMENT BAS, RESPONSABILITÉ ADMINISTRATIVE

CAA Paris, 15 déc. 2008, n° 05PA01979, Société Transiles

1425

PROFESSION RÉGLEMENTÉE, LIBERTÉ DU COMMERCE ET DE L’INDUSTRIE

CAA Versailles, 18 déc. 2008, n° 06VE02076, X. c/ Préfecture de l’Essonne

1426

REPOS HEBDOMADAIRE, DÉROGATION

1433

AIDES D’ÉTAT, RECOURS EN ANNULATION, RECEVABILITÉ DES MOYENS, ARGUMENTS NON PRÉSENTÉS LORS DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE

TPICE, 4 mars 2009, aff. T-445/05, Associazone italiana del risparmio gestito e.a. c/ Commission ; TPICE, 1er juill. 2009, aff. T-81/07, T-82/07 et T-83/07, KG Holding c/ Commission

1434

PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES, AMENDES, COOPÉRATION EN-DEHORS DE LA COMMUNICATION SUR LA CLÉMENCE, PÉRIODE ET VALEUR AJOUTÉE DE LA COOPÉRATION

TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo e.a. c/ Commission

CONCESSION DOMANIALE, DOMAINE PUBLIC, POSITION DOMINANTE

CAA Paris, 16 mars 2009, n° 07PA02471, Centre national d’art et de culture Georges Pompidou

1432

RECOURS INCIDENT, RECEVABILITÉ, PORTÉE DU RECOURS

ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE, ENTREPRISE, PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE

CJCE, 26 mars 2009, aff. C-11/07 P, Selex Sistemi Integrati SpA

Projet de recommandation du Médiateur européen dans son enquête relative à la plainte 3699/2006/ELB contre la Commission européenne

1435

PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES, AMENDES, PLEINE JURIDICTION, ABSENCE DE RÉVISION D’OFFICE À LA HAUSSE

TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo e.a. c/ Commission, non encore publié

1436

PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES ET CONCENTRATIONS, CONTRÔLE DE LÉGALITÉ, INTENSITÉ DU CONTRÔLE

TPICE, 7 mai 2009, aff. T-151/05, NVV e.a. c/ Commission ; TPICE, 6 mai 2009, aff. T-116/04, Wieland Werke c/ Commission ; TPICE, 6 mai 2009, aff. T-122/04, Outokumpu e.a. c/ Commission ; TPICE, 6 mai 2009, aff. T-137/04, KME Germany e.a. c/ Commission

1437

OPÉRATIONS DE VISITES, DÉROULEMENT DES OPÉRATIONS, LOI DE SIMPLIFICATION ET DE CLARIFICATION DU DROIT

CE, 11 mars 2009, n° 308874, Fédération nationale de l’habillement, nouveauté et accessoires

1427

ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE, POLICE ADMINISTRATIVE, ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE

CE, 11 mai 2009, n° 296919, Ville de Toulouse

1428

DROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCE

RLC

L.R., 1985, ch. C-34, Loi sur la concurrence, disponible sur le site < http://lois.justice.gc.ca/fr/ShowFullDoc/cs/C-34//20090728/fr> 1429

PRESCRIPTION, INTERDICTION (EFFET ERGA OMNES), SUSPENSION (EFFET RELATIF)

TPICE, 31 mars 2009, aff. T-405/06, ArcelorMittal Luxembourg e.a. c/ Commission

1430

ACCÈS AUX DOCUMENTS, RÈGLEMENT N° 1049/2001, EXCEPTIONS, PROTECTION DU PROCESSUS DÉCISIONNEL

TPICE, 11 mars 2009, aff. T-166/05, Borax Europe c/ Commission ; TPICE, 11 mars 2009, aff. T-121/05, Borax Europe c/ Commission

DÉCISIONS DES AUTORITÉS NATIONALES DE CONCURRENCE ÉTRANGÈRE

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RLC

CANADA, LOI SUR LA CONCURRENCE

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE, CONSEILLER AUDITEUR, DROITS DE LA DÉFENSE

L. n° 2008-776, 4 août 2008, JO 5 août ; D. n° 2009-335, 26 mars 2009, JO 28 mars

L. n° 2009-526, 12 mai 2009, art. 139 VII (1°), JO 13 mai

1439

NOUVELLE-ZÉLANDE, CARTEL, SECTEUR DES PRODUITS CHIMIQUES DE CONSERVATION DU BOIS

Neil Harris v. The Commerce Commission, CA CA255/2007, 18 mars 2009, connu sous le nom de The Koppers Arch Litigation, décision disponible sur le site du ministère de la justice de Nouvelle-Zélande

1440

CHINE, ACQUISITION, INTERDICTION

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Site

Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy de la Concurrence

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Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy de la Concurrence

Nomenclature des arrêts de la Cour de cassation D : arrêt diffusé - P : arrêt publié au bulletin mensuel - B : arrêt publié au bulletin d’information - R : arrêt mentionné dans le rapport annuel - I : arrêt publié sur le site internet

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ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE

CONCENTRATIONS ÉCONOMIQUES Sous la responsabilité de Christian MONTET, Université de la Polynésie française et LAMETA, Université de Montpellier I et Antoine WINCKLER, Avocat, Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP.

R LC

Par Antoine WINCKLER

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La théorie de l’entreprise défaillante « Failing Firm Defense » : une renaissance dans la crise ? Dans le contexte actuel de la crise financière, la théorie de l’entreprise défaillante pourrait trouver une actualité nouvelle. Le présent article revisite les cas fondateurs de cette théorie aux ÉtatsUnis et en Europe, avant d’analyser l’opportunité de son renouveau face à la rapide aggravation de la situation de l’économie réelle.

INTRODUCTION Depuis le déclenchement de la crise financière au cours de l’été 2007, les économies à l’échelle mondiale connaissent une récession sans précédent depuis la deuxième guerre mondiale. Dans cet environnement économique instable, les opérations de concentration dans lesquelles une des parties (ou les deux) se trouve(nt) au bord de la faillite vont nécessairement se multiplier. Cette situation a fait ressurgir les questions qui entourent l’intégration d’objectifs de politique économique ou sociale au sens large dans la régulation de la concurrence et plus précisément celle de la théorie de l’entreprise défaillante – « failing firm defense » (ci-après « FFD ») – dans le cadre du contrôle des concentrations. La FFD, également connue en Europe sous la dénomination de « concentration de sauvetage » (« rescue merger »), est un concept reconnu de longue date et appliqué de manières diverses par une grande majorité des autorités de concurrence à travers le monde. La FFD est généralement invoquée par la partie notifiante lorsque la cible est sur le point de faire faillite et se trouve dans une situation telle qu’elle risque de disparaître du marché si l’opération envisagée n’a pas lieu. Dans de tels cas, la doctrine de la FFD veut que l’autorité de concurrence compétente puisse décider d’autoriser la concentration, quand bien même celle-ci créerait ou renforcerait une position dominante de nature à détériorer la structure concurrentielle du marché, en raison de l’absence de lien de causalité entre l’opération de concentration et l’effet négatif potentiel sur la concurrence. L’idée est que même si l’opération de concentration n’avait pas lieu, la situation concurrentielle serait dégradée puisque la cible et ses actifs sortiraient inéluctablement à court terme du marché et que l’entreprise acquérante récupérerait en tout état de cause la plus grande partie de la part de marché de l’entreprise défaillante. Dans de tels cas, la perte éventuelle de compétitivité sur le marché due à la faillite de la cible est équivalente à celle qui résulterait de la réalisation de l’opération de concentration. Il n’y a donc pas de lien de causalité entre la concentration et la détérioration de la structure concurrentielle du marché.

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On voit combien ce type de justification repose aussi bien sur une analyse des conditions de concurrence prévalant historiquement sur le marché en cause, que sur l’analyse de la plausibilité relative des scénarios futurs possibles, voire d’une sorte de classement concurrentiel des résultats possibles, selon que l’opération a lieu ou non. La charge de la preuve de l’absence de lien de causalité est classiquement supportée par les parties à l’opération mais le rôle de l’autorité de régulation est évidemment capital dans l’évaluation difficile des scénarios alternatifs (les « counterfactuals »). On notera au passage que la FFD fait partie d’un ensemble d’instruments qui permet aux régulateurs de répondre aux situations d’urgence, comme par exemple le fait de déroger à l’obligation de suspension des opérations de concentration pendant l’enquête. Étant donné le caractère éminemment hypothétique de l’exercice et sachant qu’en tout état de cause – l’autorité de régulation est appelée à trancher entre la création d’une position dominante et la disparition complète d’un concurrent –, il n’est pas étonnant que, malgré une existence déjà ancienne, la FFD n’a été appliquée qu’à de rares occasions. Il n’est pas étonnant non plus que la mise en œuvre de la FFD ait été entourée classiquement de précautions rigoureuses. Néanmoins, la récession économique actuelle amènera nécessairement les autorités de concurrence à « revisiter » leur application du contrôle des concentrations (pour plus d’informations, cf. Knox R., ICN 2009 : Enforcers examine merger control in tough times, 3 juin 2009, Global Competition Review, )

face à une recrudescence significative des occasions dans lesquelles la FFD sera invoquée (la théorie de l’entreprise défaillante a récemment été invoquée dans l’affaire de la concentration de la chaîne de grands magasins allemande Kaufhof avec son concurrent Karstadt, annoncée le 18 mai 2009, ainsi que dans l’affaire relative à l’acquisition de Preston Bus Limited par son concurrent Stagecoach Bus Holding Limited – affaire renvoyée à la Competition Commission par l’OFT le 28 mai 2009; cf. , ainsi que . De même, il n’est pas impossible que, sur certains marchés, la faillite de grands constructeurs nord-américains donne lieu > à des discussions du même ordre).

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LA THÉORIE DE L’ENTREPRISE DÉFAILLANTE « FAILING FIRM DEFENSE » : UNE RENAISSANCE DE LA CRISE ?

Le présent article propose un résumé de la position des ÉtatsUnis et de l’Union européenne concernant la FFD (I) et analyse quelques exemples et arguments échangés dans le contexte de la crise actuelle (II).

I. – RÉSUMÉ DES POSITIONS AMÉRICAINE ET COMMUNAUTAIRE A. – Les États-Unis La FFD est apparue aux États-Unis dès 1930. Elle est actuellement codifiée à l’article 5 des « lignes directrices sur les concentrations horizontales » de 1997 qui sont communes au Département américain de la Justice (« DoJ ») et à la Federal Trade Commission (ci-après « les lignes directrices »; US Department of Justice and Federal Trade Commission Horizontal Merger Guidelines, 2 avr. 1992, révisée le 8 avr. 1997, disponible sur ).

Les lignes directrices posent quatre conditions cumulatives pour l’application de la FFD. Les parties à la concentration doivent démontrer que (i) l’entreprise défaillante est incapable de remplir ses obligations financières à court terme, (ii) elle n’est pas en mesure de se réorganiser avec succès dans le cadre du Chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites, (iii) elle a fourni, de bonne foi et sans succès, des efforts pour rechercher une offre alternative d’acquisition raisonnable (moins préjudiciable pour la structure concurrentielle du marché), et (iv) en l’absence de concentration, ses actifs sortiraient vraisemblablement du marché, c’est-à-dire ne seraient rachetés par d’autres opérateurs du marché pertinent (ibid., Section 5.1 « A merger is not likely to create or enhance market power or facilitate its exercise if the following circumstances are met : (i) the allegedly failing firm would be unable to meet its financial obligations in the near future ; (2) it would not be able to reorganize successfully under Chapter 11 of the Bankruptcy Act ; (3) it has made unsuccessful good-faith efforts to elicit reasonable alternative offers of acquisition of the assets of the failing firm that would both keep its tangible and intangible assets in the relevant market and pose a less severe danger to competition than does the proposed merger ; and (4) absent the acquisition, the assets of the failing firm would exit the relevant market »).

Les lignes directrices établissent que la FFD est un moyen de défense « affirmatif » et, qu’en conséquence, les parties ont la charge de prouver que ses conditions sont remplies. 1° International Shoe Company v. Federal Trade Commission La première utilisation de la théorie de l’entreprise défaillante par la Cour suprême des États-Unis remonte à une affaire de 1930 relative à l’acquisition de Mc Elwain Company par International Shoe Company (International Shoe v. FTC, 280 U.S. 291, 302 (1930), disponible sur ). La Cour était appelée à examiner une décision de la Federal Trade Commission interdisant la concentration de deux concurrents majeurs sur le marché de la production, de la vente et de la distribution de chaussures (la Federal Trade Commission avait décidé que la concentration violait le Clayton Act puisqu’elle aurait pour effet de diminuer la concurrence entre les deux sociétés sur le marché de la chaussure de restreindre le commerce et de créer un monopole sur le marché). Du fait de la baisse des ventes dans

les années 1920 aux États-Unis, Mc Elwain s’est trouvée au bord d’une « ruine financière ». International Shoe, quant à elle, ne disposait pas de capacités de production suffisantes pour répondre à la demande. International Shoe a donc décidé d’acquérir Mc Elwain afin de disposer de ses capacités de production inutilisées. La Cour suprême a autorisé l’opération au motif que Mc Elwain était au bord de la faillite et que la concentration ne diminuerait pas la concurrence, ni ne restreindrait le commerce

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au sens du Clayton Act. La Cour a jugé que les effets anticoncurrentiels de la concentration seraient moins dommageables que la disparition pure et simple de Mc Elwain du marché « qui entraînerait une perte pour ses actionnaires et un dommage aux communautés situées à l’endroit où opéraient ses usines » (cette référence aux coûts sociaux qu’entraînerait une interdiction de la concentration, déjà présente dans la décision de la Cour suprême dans l’affaire General Dynamics, était l’un des arguments avancés par les partisans de l’idée selon laquelle la théorie de l’entreprise défaillante devrait prendre en considération les bénéfices sociaux susceptibles d’émerger d’une concentration d’assainissement et que, par conséquent, les standards d’évaluation devraient être plus souples. Voir infra, Section II). Selon la Cour, l’acquisition

de Mc Elwain par International Shoe (sans qu’il n’y ait eu aucun autre acquéreur potentiel) n’avait pas pour effet de restreindre la concurrence mais de faciliter l’intégration des activités de Mc Elwain et devait permettre d’amoindrir les effets dommageables sur la concurrence qui auraient probablement résulté de la faillite de Mc Elwain. Il est intéressant de constater que le raisonnement de la Cour contient déjà, au moins implicitement, un argument fondé sur les efficiences industrielles : entre une situation où une position dominante est créée par voie de concentration « contractuelle » et celle où le pouvoir de marché est créé par la sortie d’un acteur du marché, la première solution n’est préférable qu’en raison des efficiences qui résultent de l’intégration des deux appareils de production/distribution. En d’autres termes, s’il n’y a qu’un seul acquéreur intéressé et que celui-ci décide de racheter des actifs défaillants pour continuer à les utiliser sur le marché, c’est sans doute qu’il croit pouvoir les faire fonctionner de façon plus efficace que le précédent propriétaire (s’il achète simplement pour profiter d’une hausse des prix, il est probable qu’il aurait plus intérêt à attendre que les actifs sortent « naturellement » du marché par le biais de la faillite). C’est là un point capital de la doctrine FFD qui ne sera établi que bien plus tard. L’autre enseignement essentiel de ce jugement est que le raisonnement doit être fondé sur une analyse des alternatives en l’absence d’opération (le « but for » des économistes). 2° Citizen Publishing Company v. United States L’affaire Citizen Publishing Company v. United States (Citizen Publishing Co. v. United States, 394 US 131 (1969), disponible sur ) a permis à la Cour suprême de développer

la doctrine de la FFD. La Cour a rejeté la défense des parties à la concentration et adopté un test strict pour l’application de la FFD (le test appliqué par la Cour dans cette affaire est similaire, bien que présentant certaines différences, au test finalement adopté dans les lignes directrices). Les deux seuls quotidiens de la ville de Tucson en Arizona, Le Citizen et Le Star, avaient négocié en 1940 un accord d’entreprise commun par lequel les activités générales des deux entreprises devaient être fusionnées (par ailleurs, trois types de contrôle étaient imposés : (i) fixation de prix, (ii) groupement de profits et (iii) contrôle du marché). L’État fédéral américain avait reproché aux parties d’abuser de leur pouvoir de marché en violation de la Section 2 du Sherman Act, considérant que l’objet de l’opération était de supprimer toute concurrence entre les deux quotidiens. La District Court, devant laquelle les entreprises avaient porté l’affaire, avait confirmé cette décision. Les parties en avaient alors appelé à la Cour suprême, arguant que Citizen était au bord de la faillite et que la FFD devait être appliquée. La Cour suprême a précisé qu’avant de pouvoir s’appuyer sur la FFD, les parties devaient démontrer : (i) que la cible était en danger imminent de tomber en faillite ; (ii) qu’il n’existait aucune perspective réaliste de réorganisation efficace et (iii)

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CONCENTRATIONS ÉCONOMIQUES

que l’entreprise en difficulté avait entrepris de bonne foi, et de manière raisonnable, la recherche d’un acquéreur alternatif qui poserait moins de risques en termes de concurrence. En l’espèce, la Cour a considéré que, au moment où Citizen et Star avaient conclu l’accord, Citizen n’était pas au bord de la faillite et qu’il n’existait pas de probabilité sérieuse que Citizen mette fin à ses activités et liquide ses actifs si la concentration n’avait pas lieu. En réalité, à ce moment précis, Citizen constituait toujours une menace concurrentielle vis-à-vis de Star et aurait continué même dans le cadre d’une procédure de faillite. La Cour a également indiqué qu’aucun effort n’avait été fait pour vendre le journal et que, par conséquent, le troisième élément du test n’était pas rempli.

B. – L’Union européenne La doctrine FFD et ses critères d’application sont reflétés aux paragraphes 89 et 90 des Lignes directrices relatives aux concentrations horizontales (Lignes directrices sur l’appréciation des concentrations ho-

rizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, JOCE 5 févr. 2004, n° C 31 ; 89. La Commission peut conclure qu’une opération de concentration, qui pose par ailleurs des problèmes de concurrence, est néanmoins compatible avec le marché commun si l’une des parties à l’opération est une entreprise défaillante. La condition fondamentale est que la détérioration de la structure de la concurrence qui se produirait après la concentration ne puisse pas être considérée comme étant causée par cette opération. Il faut donc que la détérioration de la structure de la concurrence sur le marché soit au moins aussi grave si l’opération ne se réalisait pas ; 90. La Commission estime que les trois conditions suivantes sont particulièrement pertinentes pour que « l’argument de l’en3° United States v. General Dynamics Corporation treprise défaillante » soit retenu. En premier lieu, l’entreprise prétendument défaillante serait, Dans cette affaire ( United States v. General dans un proche avenir, contrainte de quitter le marché en Dynamics Corp., 415 US 486, 501, disponible sur ), la Cour par une autre entreprise. Deuxièmement, il n’existe pas d’autre de la FFD, les parties suprême a autorisé une concentration alternative de rachat moins dommageable pour la concurdoivent démontrer entre deux producteurs majeurs de charrence que la concentration notifiée. Troisièmement, si la qu’en l’absence bon en Illinois. L’acquisition par General concentration n’était pas réalisée, les actifs de l’entreprise de concentration, Dynamics Corp. du contrôle d’United défaillante disparaîtraient inévitablement du marché).

Electric Coal Companies devait donner Pour pouvoir bénéficier de la FFD, les la détérioration de la naissance à une entreprise disposant parties doivent démontrer qu’en l’abstructure concurrentielle d’une part de marché importante sur un sence de concentration, la détérioration sur le marché serait marché fortement concentré. Toutefois, de la structure concurrentielle sur le marau moins aussi grave l’avenir de l’une des deux entreprises était ché serait au moins aussi grave que si que si l’opération avait menacé à terme par la disparition de ses l’opération avait effectivement eu lieu. effectivement eu lieu. capacités minières. Par son jugement, la La Commission a retenu trois conditions Cour a établi un précédent de « quasi-faipour que l’argument de l’entreprise déling firm » ou de l’entreprise affaiblie concurrentiellement (US faillante puisse être retenu : (i) l’entreprise prétendument défaillante risque d’être, dans un proche avenir, obligée de quitv. International Harvester Co, 564 F.2d 769, 774 (7th Cir. 1977)). L’État fédéral améter le marché en raison de ses difficultés financières si elle ricain avait pour sa part considéré que la concentration réduin’est pas reprise par une autre entreprise, (ii) il ne doit pas sait substantiellement la concurrence sur le marché de la proexister d’autre alternative de rachat moins dommageable pour duction et de la vente de charbon. Il avait refusé d’appliquer la concurrence que la concentration notifiée, et (iii) si la concenla doctrine FFD car, au moment de l’acquisition, les deux tration n’était pas réalisée, les actifs de l’entreprise défaillante sociétés étaient encore dans une situation saine. De plus, les devraient inévitablement disparaître du marché. parties à la concentration n’avaient pas démontré que GeneCette approche a été créée et développée à partir de la praral Dynamics Corp. constituait le seul acquéreur potentiel. tique décisionnelle de la Commission et de la jurisprudence La Cour a cependant considéré qu’en dépit de son importante des juridictions communautaires. part de marché, United Electric Coal Companies ne représenLa théorie de l’entreprise défaillante a été invoquée pour la tait qu’une faible contrainte concurrentielle, dans la mesure première fois en Europe dans l’affaire Aerospatiale-Alenia/de où ses réserves de charbon étaient épuisées ou déjà engagées Havilland (Déc. Comm. CEE n° 91/619, 2 oct. 1991, aff. IV/M.053, Aerospatialedans des contrats à long terme. Dès lors, les parts de marché combinées historiques ne reflétaient pas la capacité concurAlenia/de Havilland, JOCE 5 déc., n° L 334). La Commission avait toutefois rentielle future de la nouvelle entité. La compétitivité d’une rejeté cette ligne de défense au motif, d’une part, qu’il était entreprise sur ce marché dépend en effet directement des répeu probable que de Havilland soit contrainte de sortir du serves de charbon non engagées. En l’espèce, puisque l’une marché en l’absence de l’opération et, d’autre part, que les des deux entreprises ne disposait pas de telles réserves, elle parties n’avaient pas démontré l’absence de toute autre altern’aurait très rapidement plus eu la capacité de conquérir de native moins dommageable pour la concurrence (ibid., pt. 31). nouveaux contrats d’approvisionnement à long terme. Même 1° Kali und Salz si elle a refusé d’appliquer la FFD, la Cour a néanmoins autorisé la concentration au motif qu’elle ne mettrait pas à mal Les critères d’application de la FFD ont été établis pour la la structure concurrentielle sur le marché (les lignes directrices ont première fois dans l’affaire Kali und Salz/MdK/Treuhand (Déc. plus tard intégré l’esprit de la décision General Dynamics dans la Section 1.521 « Changing Market Conditions » qui dispose que, bien que la concentration du marché et les données de parts de marché soient fondées sur des preuves historiques, la Cour doit parfois prendre en compte dans son analyse les conditions dynamiques de marché et la compétitivité de la société résultant de l’opération, en particulier lorsque les changements récents ou en cours susceptibles d’indiquer que les parts de marché actuelles d’une société particulière sous-estiment ou surestiment l’importance de sa compétitivité future, § 1.521, note 6). Notons

que le précédent General Dynamics a joué un rôle important dans l’appréciation d’opérations stratégiques aux États-Unis, comme la fusion Boeing-McDonnell Douglas.

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Comm. CE n° 94/449, 14 déc. 1993, aff. IV/M.308, Kali und Salz, JOCE 21 juill. 1994, n° L 186). L’opération en cause avait pour objet le regroupe-

ment des activités de « potasse » et de « sel gemme » de Kali und Salz (filiale du groupe chimique allemand BASF) et de la société Mitteldeutsche Kali AG (MdK – entreprise détenue à 100 % par la Treuhand). À la suite d’une chute de la demande d’environ 30 % au cours des cinq années précédentes, MdK était au bord de la faillite et ne survivait que grâce au soutien financier de Treuhand (organisme de droit public chargé de restructurer les anciennes entreprises publiques >

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LA THÉORIE DE L’ENTREPRISE DÉFAILLANTE « FAILING FIRM DEFENSE » : UNE RENAISSANCE DE LA CRISE ?

la concentration se réalise ou non. La situation était différente de la RDA pour les rendre compétitives et les privatiser). En dans l’affaire BASF/Eurodiol/Pantochim, puisque d’autres application des règles relatives aux aides d’État notamment, concurrents étaient présents sur le marché, et auraient pu réun tel soutien ne pouvait plus perdurer. cupérer une partie des parts de marché des sociétés cibles. La Bien que la nouvelle entité issue de l’opération soit appelée Commission a toutefois admis que les actifs de l’entreprise à disposer d’une part de marché de 98 %, constituant ainsi défaillante disparaîtraient définitivement du marché si l’opéun monopole de fait, la Commission a autorisé la concentraration n’était pas autorisée puisque les usines d’Eurodiol et tion en appliquant la doctrine FFD. Celle-ci a identifié trois de Pantochim ne pouvaient être exploitées de manière rencritères permettant d’établir l’absence de lien de causalité table qu’ensemble, étant donné qu’elles appliquaient un proentre la concentration et la création d’une position dominante : cessus de production intégré qui ne permet pas le rachat d’ac(i) l’entreprise acquise disparaîtrait rapidement du marché si tifs isolés. La Commission a noté que la disparition des actifs elle n’était pas reprise par une autre entreprise, (ii) l’entreet des capacités de production d’Eurodiol et de Pantochim prise acquérante reprendrait la part de marché de l’entreprise provoquerait une pénurie de capacités non négligeable puisque acquise si celle-ci venait à disparaître du marché et (iii) il n’y le marché se caractériserait déjà par un phénomène de sousaurait pas d’alternative moins dommageable pour la concurcapacité manifeste. Cela aurait eu des rence (Kali und Salz, préc., pts. 70 à 72). En l’eseffets préjudiciables sur les conditions pèce, la Commission a donc considéré du marché pour une période transitoire que le renforcement de position domiLe critère de sortie considérable et aurait défavorisé les nante résultait de la disparition de l’endu marché des actifs consommateurs européens en entraînant treprise défaillante du marché et non de de l’entreprise défaillante une augmentation des prix. la concentration. est en lui-même Malgré la création d’une position domiL’État français a fait appel de cette déextrêmement exigeant. nante à l’échelle de l’Union européenne cision, notamment au motif que la Comsur différents marchés de produits chimission avait appliqué la FFD sans resmiques (BASF obtenant une part de marpecter toutes les conditions posées par ché de 70 % à l’issue de l’opération), la Commission a autole droit américain (CJCE, 31 mars 1998, aff. jtes. C-68/94 et C-30/95, République risé la concentration au titre de la FFD, considérant que les française e.a. c/ Commission). Le gouvernement français contestait trois critères étaient remplis : (i) les entreprises défaillantes par ailleurs l’introduction du critère de l’absorption de la part feraient faillite immédiatement si la concentration n’était pas de marché de l’entreprise défaillante. La Cour de justice des réalisée, (ii) après contacts avec d’autres acteurs du marché, Communautés européennes a considéré que, même s’il n’était il s’avérait qu’il n’y avait pas d’autre offre d’achat plus concurpas suffisant, ce critère contribuait à s’assurer de « la neurentielle et (iii) les actifs à racheter disparaîtraient inévitabletralité de cette opération par rapport à la dégradation de la ment du marché. Notons en passant que le critère de sortie structure concurrentielle du marché » (pt. 116) et donc l’absence du marché des actifs de l’entreprise défaillante est en luide line de causalité. Étant donné que, sans la concentration, même extrêmement exigeant (il signifie par exemple que doiMdK serait en faillite et disparaîtrait du marché, sa part de vent être en principe exclues les entreprises qui peuvent faire marché serait automatiquement reprise par son seul concurl’objet de procédures de continuation d’activité de type Chaprent : Kali und Salz. Par conséquent, la structure de la concurter 11 ou les situations dans lesquelles plusieurs acquéreurs rence résultant de la concentration se serait détériorée de la potentiels sont intéressés – puisqu’une telle situation démême manière si l’opération n’avait pas eu lieu. montre que les actifs de l’entreprise défaillante ont une chance 2° BASF/Eurodiol/Pantochim de rester sur le marché de façon profitable après liquidation ou vente concurrentielle). Cette affaire concernait l’acquisition par BASF de deux entreprises belges, Pantochim et Eurodiol (Déc. Comm. CE n° 2002/365, 3° Les affaires Arthur Andersen 11 juill. 2001, aff. COMP/M.2314, BASF/Eurodiol/Pantochim, JOCE 17 mai 2002, n° L 132). Ces affaires ne portaient pas sur la FFD au sens strict puisque Les entreprises cibles avaient été placées sous le les opérations en cause ne remplissaient pas les critères de régime de la « préfaillite » belge et devaient être déclarées son application (les entreprises n’étaient pas en risque de en faillite en l’absence de repreneur à l’expiration d’une faillite immédiate). La Commission a toutefois autorisé les « période d’observation ». concentrations en constatant l’absence de lien de causalité Cette affaire a permis à la Commission de préciser les critères entre les opérations et la détérioration de la structure concurqu’elle avait posés dans Kali und Salz, en maintenant les prerentielle du marché. mier et troisième critères, mais en modifiant celui de la reÀ la suite du scandale Enron (dont Arthur Andersen avait cerprise des parts de marché. La Commission a suivi l’opinion tifié les comptes), le réseau mondial d’Arthur Andersen a comdes parties selon laquelle il n’était pas nécessaire de démonmencé à se désintégrer et les quatre plus importantes entretrer que la société acquérante récupérerait la totalité de la prises comptables ont acquis certaines divisions nationales part de marché de la société acquise si on pouvait démonde l’entreprise, donnant lieu à trois notifications (Déc. Comm. CE, trer que (i) les actifs à racheter disparaîtraient inévitablement du marché en l’absence de la concentration et (ii) la détério1er juill. 2002, aff. COMP/M.2810, Deloitte & Touche/Andersen UK, §§ 45-60, JOCE 23 août, ration de la structure concurrentielle faisant suite à l’opéran° C 200; Déc. Comm. CE, 5 sept. 2002, aff. COMP/M.2816, Ernst & Young/Andersen France, tion de concentration ne serait pas plus importante qu’en pts. 76 à 90; Déc. Comm. CE, 27 août 2002, aff. COMP/M.2824, Ernst & Young/Andersen l’absence de concentration. Germany, JOCE 12 oct., n° C 246). Deux des trois opérations (RoyaumeCette affaire peut être distinguée de l’affaire Kali und Salz, Uni et France) créaient des chevauchements significatifs sur dans laquelle seules deux entreprises étaient actives sur le le marché de la fourniture de services d’audit et de comptamarché, la société acquérante et l’entreprise défaillante. En bilité aux sociétés cotées au niveau national (dans l’affaire Ernst & conséquence, il était très probable que la société acquérante Young/Andersen Germany, la Commission a conclu qu’il n’était pas établi que le passage aurait absorbé la part de marché de l’entreprise rachetée, que de six à cinq concurrents était de nature à créer ou renforcer une position dominante col-

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REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20

Droit I Économie I Régulation

ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE

CONCENTRATIONS ÉCONOMIQUES

lective sur l’un des marchés nationaux des services d’audit et de comptabilité aux sociétés cotées au niveau national, pt. 64).

La Commission a toutefois décidé d’autoriser ces deux opérations pour les raisons suivantes : – bien qu’il n’ait pas été démontré qu’Arthur Andersen cesserait complètement ses activités (elle pouvait survivre en fournissant ses services à des entreprises de plus petite taille), la Commission a jugé qu’il était suffisant qu’Arthur Andersen risque de disparaître définitivement du marché de la fourniture de services d’audit et de comptabilité aux grandes sociétés cotées. Le passage du « Big Five » au « Big Four » était inévitable ; – la Commission a établi que la structure du marché née de la concentration ne serait pas pire que celle résultant de l’interdiction des opérations. Pour parvenir à cette conclusion, la Commission a examiné en détail deux scénarios possibles (à savoir le scénario de concentration et le scénario contraire, « counterfactual scenario »). Elle en a conclu qu’aucun lien de causalité entre l’opération et le risque de dominance collective n’était établi. Les scénarios alternatifs incluaient : (i) la dispersion des clients entre les quatre entreprises restantes ou (ii) l’acquisition d’Andersen par l’une des autres entreprises. L’application par la Commission du principe d’absence de lien de causalité pour autoriser ces concentrations a conduit certains auteurs à considérer qu’elle avait appliqué une FFD « tronquée », dès lors que le risque de disparition des entreprises cibles n’était pas complètement établi. 4° JCI/Fiamm Dans l’affaire récente JCI/Fiamm (Déc. Comm. CE, 10 mai 2007, aff. COMP/M.4381, JCI/Fiamm), la Commission a également pris en compte la FFD. La Commission avait tout d’abord envisagé d’appliquer la théorie de la « division/branche défaillante » (« failing division defence ») mais a rejeté cette possibilité car le groupe Fiamm en son entier était en situation de précessation de paiement. En effet, la situation financière de la division concernée rejaillissait sur l’ensemble du groupe (voir infra). Cette opération concernait l’acquisition par VB Autobatterie des activités de Fiamm dans le domaine des batteries de démarrage automobiles. VB était une entreprise commune constituée entre Johnson Controls Inc. et la société allemande Robert Bosch GmbH dans le secteur des batteries de démarrage automobile, dont elle occupait la première place au niveau de l’Espace économique européen. La Commission a constaté que l’opération aurait pour conséquence de conférer une position dominante à VB sur plusieurs marchés pertinents (notamment en Italie, en Autriche, en République tchèque et en Slovaquie). Les parties (ainsi que les créditeurs de Fiamm) ont invoqué la situation financière critique de la société et le fait que la concentration était cruciale pour la survie de l’ensemble du groupe Fiamm. La Commission a examiné si la concentration concernait un « service défaillant » ou une « entreprise défaillante », affirmant à cet égard que la FFD était applicable dès lors que le service en cause était à ce point peu rentable qu’il mettait en danger la viabilité de l’entreprise dans son ensemble (ibid., pt. 710). La Commission a considéré que le troisième critère de Kali und Salz n’était pas rempli (à savoir la démonstration que tous les actifs de SBB disparaîtraient du marché si la concentration n’était pas autorisée). Par ailleurs, elle a comparé les conséquences de la concentration aux scénarios alternatifs, en particulier les effets probables du scénario de la société

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défaillante (la liquidation de SBB) sur la structure concurrentielle du marché (ibid., pts. 751 et s.). La Commission a conclu qu’il existait un lien de causalité entre la concentration notifiée et les effets négatifs sur la concurrence, car les conditions de concurrence ne se détérioreraient pas autant en l’absence de concentration, quand bien même cela devait mener à la liquidation de Fiamm SBB. La Commission a donc rejeté l’application de la FFD au cas d’espèce. C. – La théorie de la division défaillante Les parties à une concentration portant sur le rachat d’une division défaillante peuvent, dans certaines circonstances exceptionnelles, invoquer une variante à la FFD. 1° Les États-Unis La première évocation de la théorie de la division défaillante par le DoJ remonte aux lignes directrices sur les concentrations de 1992, qui décrivaient la FFD et précisaient que cette même théorie était applicable quand l’entreprise défaillante constituait une partie non complètement intégrée d’une société mère plus importante. La version actuelle des lignes directrices reconnaît explicitement la théorie de la division défaillante appliquée à des groupes d’entreprises par ailleurs viables (US Department of Justice and Federal Trade Commission Horizontal Merger Guidelines, préc., § 5.2 : « A similar argument can be made for “failing” divisions as for failing firms. First, upon applying appropriate cost allocation rules, the division must have a negative cash flow on an operating basis. Second, absent the acquisition, it must be that the assets of the division would exit the relevant market in the near future if not sold. Due to the ability of the parent firm to allocate costs, revenues, and intracompany transactions among itself and its subsidiaries and divisions, the Agency will require evidence, not based solely on management plans that could be prepared solely for the purpose of demonstrating negative cash flow or the prospect of exit from the relevant market. Third, the owner of the failing division also must have complied with the competitively-preferable purchaser requirement of Section 5.1 »).

Afin de pouvoir bénéficier de l’application de cette théorie, la division défaillante doit remplir trois conditions : (i) elle doit disposer d’un flux de trésorerie négatif, (ii) sans l’acquisition, les actifs de la division disparaîtraient ou seraient vendus hors du marché pertinent et (iii) aucune solution moins anticoncurrentielle ne pourrait être trouvée. Bien qu’ayant été formulée clairement pour la première fois en 1982 et bien que cette théorie ait suscité une attente importante, elle n’a jamais été appliquée par les tribunaux américains. Plusieurs raisons à cet état de fait ont été avancées (Wait A. L., Surviving the shipwreck : a proposal to revive the failing division defence, William and Mary Law Review, oct. 2003, vol. 45 : 429, pp. 429-468) : (i) les tribunaux américains

n’ont pas eu l’occasion d’appliquer cette théorie : le refus de prendre en compte cette théorie dans des affaires telles que FTC v. Harbour Group Investment, dans laquelle la juridiction compétente n’a pas voulu répondre à cette question non résolue, a pu décourager les entreprises d’avancer cette théorie, (ii) les juridictions américaines ont pu craindre qu’une application de cette théorie inciterait à la manipulation des données des entreprises afin de remplir les conditions de preuves strictes, et (iii) certains tribunaux américains ont pu considérer que la théorie de la division défaillante était inutile du fait de l’application accrue de l’analyse « General Dynamics » dans des affaires impliquant les actifs d’une division défaillante. 2° L’Union européenne La théorie de la division défaillante n’est même pas mentionnée dans les lignes directrices sur les concentrations horizontales, mais les juridictions communautaires et la Commission l’ont prise en compte dans certaines affaires. >

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Bertelsmann/Kirch/Premiere.– (Déc. Comm. CE, 27 mai 1998, aff. IV/M.993, Bertelsmann/Kirch/Premiere). La Commission a pris en compte la théorie de la division défaillante pour la première fois lors de son examen de la prise de contrôle conjointe par les entreprises CLT-UFA SA et Taurus Betiligung-GmbH & Co. KG, des entreprises allemandes de télévision payante Premiere, BetaDigital et BetaResearch (cette dernière étant auparavant contrôlée uniquement par Kirch). Avec la cession des actifs de DF1 et de la chaîne sportive DSF, ainsi qu’avec la cession de ses droits dans les domaines de la télévision payante et du paiement à la séance, Kirch devait apporter à Premiere des actifs d’une grande importance sur ce marché. En combinant les activités digitales de la chaîne gratuite DF1 avec le diffuseur de télévision payante Premiere, le but était de créer une plateforme commune de programmation et de commercialisation de la télévision payante. La concentration a été interdite par la Commission, qui a considéré que Premiere obtiendrait un quasi-monopole sur le marché allemand. La Commission a examiné l’opération à la lumière de la FFD, mais elle a conclu que celle-ci n’était pas applicable au cas d’espèce, car l’opération ne remplissait aucune des conditions définies dans l’affaire Kali und Salz précitée. La Commission a toutefois souligné que cette affaire ne concernait pas une entreprise défaillante mais une division défaillante, puisque DF1 ne constituait qu’une partie des activités de Kirch dans le domaine de la télévision payante. Dès lors, même dans l’éventualité où DF1 risquait de disparaître du marché, Kirch dans sa totalité n’était pas menacée et pouvait subvenir aux besoins de sa division (ibid.). La Commission a souligné que les conditions d’une autorisation d’une opération impliquant un service défaillant doivent être plus strictes que dans le cas d’une entreprise défaillante. La concentration en cause dans le cas d’espèce ne remplissait pas les critères de la FFD et ne pouvait donc pas être autorisée sur ce fondement (pt. 71 : « Dans ce cas de figure, où l’argument invoqué est celui de la “division défaillante” (“failing division defence”) et non celui de l’“entreprise défaillante” (“failing society defence”), il faut exiger des preuves particulièrement solides attestant que les conditions de l’objection de l’absence d’un lien de causalité sont satisfaites. Si tel n’était pas le cas, il suffirait, pour justifier au regard du droit des ententes toute concentration portant sur la vente d’un secteur d’activité supposé non rentable, que le vendeur annonce son intention de mettre fin à l’activité en question dans l’hypothèse où l’opération ne se concrétiserait pas »).

Le fait que la Commission prenne en considération la théorie de la division défaillante atteste de son existence au moins potentielle en droit européen, quand bien même elle ne serait applicable que dans des circonstances exceptionnelles. Rewe/Meinl. – (Déc. Comm. CE, 3 févr. 1999, aff. IV/M.1221, Rewe/Meinl, pts. 66 à 69). L’opération concernait la prise de contrôle par le groupe Rewe, exerçant des activités d’achat, de financement et d’exploitation d’entreprises de commerce de gros et de détail (notamment dans le commerce de détail des denrées alimentaires), de Meinl, la partie alimentaire d’un groupe plus large. La Commission a conclu que la concentration aurait conduit à la création d’une position dominante sur le marché autrichien de la distribution. Les parties avaient convoqué la FFD, argumentant que Meinl se trouverait très défavorisée dans le domaine alimentaire par rapport à ses concurrents, beaucoup plus puissants. La Commission a considéré que l’absence de lien de causalité n’avait pas été démontrée puisque la concentration ne remplissait pas les conditions définies dans l’affaire Kali und Salz. Tout comme dans l’affaire Bertelsmann, la Commission a indiqué que, s’agissant d’un cas de « division défaillante »

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et non d’« entreprise défaillante » (puisque Meinl International AG faisait fonction de holding pour les activités du groupe Meinl en Europe centrale et orientale), il fallait exiger des preuves particulièrement solides de l’existence des conditions justifiant l’objection relative à l’absence d’un lien de causalité. En particulier, la Commission a énoncé les considérations suivantes : – le retrait de Meinl du marché autrichien du commerce de l’alimentation de détail constituait une décision de gestion interne entérinant l’abandon d’une activité commerciale, dont le développement ne correspondait plus aux attentes de la direction. Dès lors Meinl ne pouvait être considérée comme étant déjà, ou allant être dans un proche avenir, insolvable. Quand bien même la situation de Meinl s’était détériorée, les parties n’avaient en aucune façon prouvé que Meinl disparaîtrait de toute façon rapidement du marché si elle n’était pas reprise par une autre entreprise ; – la Commission a également rejeté l’affirmation des parties selon laquelle les parts de marché de Meinl iraient essentiellement à Rewe/Billa, puisque les parties avaient également affirmé que le groupe alimentaire Spar pouvait également en bénéficier; – finalement, la Commission a rejeté la thèse des parties selon laquelle il n’existait aucune possibilité moins dommageable pour la concurrence puisque Spar, en raison de sa position sur le marché, ne pouvait être un candidat acceptable (les parties avaient soutenu que Spar possédait, sur l’ensemble du marché autrichien, une position similaire à celle de Rewe/Billa en termes de parts de marché, sa plus forte implantation se situait dans l’ouest de l’Autriche et disposait en outre d’une surface de vente plus importante que celle de Rewe/Billa). En effet, les parties n’avaient ni indiqué avec quelles entreprises intéressées le groupe Meinl avait négocié, ni donné les raisons pour lesquelles ces négociations avaient échoué. NewsCorp/Telepiù. – (Déc. Comm. CE, 2 avr. 2003, aff. COMP/M.2876, NewsCorp/Telepiù, pts. 205 à 221). Dans cette affaire, la Commission a autorisé la concentration entre les sociétés italiennes de télévision payante : Telepiù, appartenant à Vivendi et Stream, une entreprise commune de NewsCorp et Telecom Italia. L’opération devait aboutir à un quasi-monopole sur le marché italien de la télévision payante. NewsCorp a toutefois invoqué la FFD, alléguant que le scénario de la concentration ne serait pas pire que le scénario contraire (c’est-à-dire si la concentration n’avait pas lieu), car dans ce dernier, il est probable que sa propre filiale Stream aurait déposé le bilan. La Commission a noté en premier lieu que Stream était contrôlée conjointement par NewsCorp et Telecom Italia et qu’elle constituait, par conséquent, une division de la société acquérante, et non de la société acquise qui était défaillante. La Commission a ensuite exprimé ses doutes quant à la possibilité d’appliquer l’argument de la société défaillante lorsque l’entreprise acquérante était financièrement saine, mais que l’une de ses divisions, défaillantait, fusionne avec la cible. Tout comme dans les affaires Bertelsmann et Rewe/Meinl, la Commission a insisté sur le fait que la charge de la preuve de l’absence de lien de causalité était plus lourde quand l’argument de la division défaillante était avancé, et qu’en l’occurrence le groupe Newscorp n’était pas en danger. Les parties n’ayant pas démontré que les conditions telles que définies dans l’affaire Kali und Salz étaient remplies, la Commission a refusé d’appliquer la théorie de la division défaillante considérant, en effet, que : – l’entreprise dans son ensemble (NewsCorp) n’était pas appelée à disparaître rapidement du marché puisqu’elle n’était

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confrontée à aucune difficulté financière. Le retrait de Stream (Mariahilf/Asklepios) en février 2009 et la concentration dans le marché tchèque de l’assudu marché italien de la télévision payante ne revêtirait que rance (CPP/Kooperativa) en mars 2009). Par ailleurs, au nom de considéla forme d’une simple décision de gestion interne consistant rations d’intérêt public, les autorités de concurrence vont inà abandonner une activité économique dont l’évolution évitablement être appelées, voire sommées, de plus en plus n’avait pas répondu aux attentes du conseil d’administrafréquemment à assouplir l’application des règles de concurtion de l’entreprise ; rence, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre de la – dans la mesure où ni NewsCorp, ni Telecom Italia n’avaient FFD. Les premiers signes de ces pressions sont déjà apparus. offert de vendre Stream, les parties n’avaient pas démontré Pour le moment et de façon largement préventive, les autoriqu’il n’y avait pas d’autre alternative moins dommageable tés américaines, la Commission européenne, l’Office of Fair pour la concurrence ; Trading (OFT) et la Competition Commission britanniques ont, – il n’était pas nécessaire de prendre position sur la quesdans une magnifique unanimité, indiqué leur intention de tion de savoir si les actifs à racheter disparaîtraient inévitaprincipe de ne pas appliquer des critères moins stricts pour blement du marché en l’absence de concentration, puisque déterminer si une concentration doit être autorisée sur le terles deux premières conditions n’étaient en tout état de cause rain de la FFD. pas remplies. Neelie Kroes, Commissaire à la concurToutefois, la Commission, en autorisant rence, a ainsi récemment déclaré que la À mesure que la crisese l’opération, a réinterprété à sa manière Commission va « continuer à appliquer traduit par une montée l’argument de la FFD en expliquant par les règles existantes, y compris, le cas brutale du chômage et exemple que l’approbation de la concenéchéant, la théorie de l’entreprise déune fragilisation des tration, sous réserve de conditions apfaillante » (Kroes N., Faire face à la crise financière acchampions industriels propriées, serait plus avantageuse pour tuelle, oct. 2008, disponible sur ). Cet nationaux, la question se voquée par la disparition éventuelle de engagement à respecter les principes pose nécessairement Stream (Déc. Comm. CE, 2 avr. 2003, aff. COMP/M.2876, existants en matière de contrôle des de savoir dans quelle concentrations, même s’ils sont conçus NewsCorp/Telepiù, pt. 221; Bavasso A. et Lindsay A., Caumesure les régulateursde pour faire face à des circonstances exsation in EC merger control, Journal of Competition Law and la concurrence doivent ceptionnelles, s’oppose à l’approche pluEconomics (3), 17 avr. 2007, pp. 181-202). Ce cas constiinfléchir leur politique. tôt pragmatique adoptée par certains tue sans doute la formulation européenne États membres (voir infra). Toutefois, force la plus proche de la doctrine General Dynamics américaine où l’évolution dynamique des marchés est est de constater qu’aucun exemple de recours à cette théoune dimension-clé de la décision. Comme rappelé ci-dessus, rie n’a été signalé depuis l’été 2008. la théorie de la division défaillante a également été évoquée Ainsi encore, en décembre 2008, l’OFT a réaffirmé sa posidans l’affaire JCI/Fiamm précitée. tion concernant la FFD (l’OFT réaffirme sa position concernant la « FFD », déc.

II. – LA CRISE ÉCONOMIQUE ET LE RENOUVEAU DE LA FFD La crise financière a débuté en juillet 2007, date à laquelle une perte de confiance des investisseurs dans la valeur des prêts hypothécaires aux États-Unis a entraîné une crise des liquidités qui s’est transmise à l’économie « réelle ». Celle-ci a suscité de très importantes injections de capitaux dans les marchés financiers en Europe et aux États-Unis, tendance qui s’est étendue à d’autres secteurs de l’économie. La tendance générale a montré que l’économie mondiale était proche d’une défaillance systémique du système bancaire qui justifiait le sauvetage d’urgence des institutions en question. Ces sauvetages et restructurations ont certes donné lieu à des investissements massifs de capitaux publics mais ont posé relativement peu de questions (à quelques exceptions près) au regard des règles de la concurrence en raison du faible taux de concentration des marchés financiers. À mesure que la crise se traduit par une montée brutale du chômage et une fragilisation des champions industriels nationaux, la question se pose nécessairement de savoir dans quelle mesure les régulateurs de la concurrence doivent infléchir leur politique. Il est ainsi probable qu’après une période de « coma » où le nombre d’opérations de M & A non financières est resté très faible, un nombre croissant de parties notifiantes ou de gouvernements vont s’efforcer de faire valoir sous une forme ou une autre la FFD (cf. l’acquisition de UK’s Bank Of Scotland Halifax par Lloyds TSB (Lloyds TSB/HBOS) en octobre 2008, la concentration de deux compagnies aériennes italiennes (Alitalia/Air One) en décembre 2008, la concentration de deux hôpitaux allemands

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2008, OFT1047, disponible sur ). Il a en effet déclaré qu’il n’autoriserait des

opérations où la FFD a été invoquée que si les conditions nécessaires à son application étaient satisfaites (les exigences de l’OFT sont similaires à celles appliquées par la Commission et les juridictions communautaires. Il s’agit d’un test en deux étapes : la transaction ne sera autorisée sur le fondement de la FFD que (i) si la cible disparaissait inévitablement du marché en l’absence de concentration et (ii) s’il n’existe aucune alternative réaliste et moins anticoncurrentielle; cf., par exemple, la décision de l’OFT sur l’acquisition anticipée par le First West Yorkshire limited of Black Prince Buses Limited, le 26 mai 2005, ).

L’OFT a également précisé qu’il ne prendrait en compte la situation économique et les conditions de marché que dans la mesure où ces critères seraient nécessaires à l’évaluation de la FFD. Quelles que soient les conditions retenues, l’OFT ne compte pas assouplir le critère de la « preuve suffisamment déterminante » requis pour démontrer que la concentration ne conduira pas à moins de concurrence (voir supra). Il n’est pourtant pas complètement évident que cette approche n’ait pas été quelque peu assouplie récemment dans les décisions de renvoi de l’OFT (dans le cadre du « test de référence » (« reference test ») l’OFT a le devoir de renvoyer certaines opérations à la Commission de la concurrence pour une enquête approfondie, équivalant à la deuxième phase de l’enquête pour la Commission européenne) dans l’affaire Preston Limited Bus/Bus Stagecoach Holdings Limited (affaire renvoyée par l’OFT devant la Commission de la concurrence le 28 mai 2009) ainsi que dans sa décision d’autorisation dans l’affaire HMV/Zavvi (le 28 avril 2009, l’OFT a autorisé la concentration de 15 anciens magasins Zavvi par HMV plc, tous deux étant les principaux distributeurs de produits de divertissement. Zavvi, l’ancienne branche du Groupe Virgin au Royaume-Uni et en Irlande a été déclarée en faillite le 24 décembre 2008 mettant 2500 emplois en danger. Le 14 janvier 2009, HMV a annoncé qu’il allait acquérir certains magasins appartenant à Zavvi. L’OFT a examiné, de sa propre initiative, l’opération envisagée, puisqu’avant même >

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LA THÉORIE DE L’ENTREPRISE DÉFAILLANTE « FAILING FIRM DEFENSE » : UNE RENAISSANCE DE LA CRISE ?

l’effondrement du groupe Zavvi, les deux entreprises étaient propriétaires de magasins dans un grand nombre de localités à travers le Royaume-Uni. Toutefois, l’OFT a conclu que la saisine de la Commission de la concurrence n’était pas nécessaire dès lors que les conditions d’application de la FFD étaient satisfaites. En particulier, l’OFT a conclu que (i) sans la concentration les deux magasins devraient inévitablement quitter le marché de détail de divertissement à la suite de l’effondrement du Zavvi, et (ii) qu’il n’y avait pas d’alternative moins anticoncurrentielle à la concentration dans ces zones de chevauchement; cf., pour plus d’informations, ). Par ailleurs,

shipwreck. A proposal to revive the failing division defence, William and Mary Law Review, oct. 2003) pensent que les « fusions de sauvetage » sont souhai-

tables car en période de crise financière, en particulier des entreprises peuvent être forcées de sortir du marché pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le jeu concurrentiel (en période de crise de liquidités par exemple). Certains auteurs ont avancé qu’une approche plus souple pouvait, en accroissant le pouvoir de marché et la rentabilité des entreprises en temps de crise financière, encourager de nouveaux entrants. Ainsi, dans l’affaire HBOS/Lloyds TSB, le gouvernement de sa Maselon Mason et Weeds (Mason R. et Weeds H., préc., p. 4) une politique jesté a autorisé un rapprochement bancaire contre l’avis de son autorité de concurrence afin d’assurer « la stabilité du sysde contrôle des concentrations souple peut laisser espérer une tème financier britannique » (pour plus d’informations, cf. Gérard D., Manarentabilité accrue en période de crise financière. Ce phénomène pourrait, à son tour, inciter les enging the Financial Crisis in Europe : Why Competition Law treprises qui ne sont pas encore actives is Part of the Solution, Not of the Problem, déc. 2008, UniLa réforme du droit sur le marché à entrer, réduisant ainsi à versity of Louvain, GCP). des concentrations en terme la concentration. De façon généLe gouvernement italien a quant à lui France rendra la pression rale, ces entreprises craindraient moins adopté une approche encore plus dissopolitique plus difficile de perdre la valeur totale de leur invesnante en adoptant le 28 août 2008 un tissement si elles savaient que la FFD décret ordonnant la suspension des règles dès lors que l’Autorité était appliquée avec plus de clémence de concurrence à l’égard des grandes enfrançaise n’est plus (Mason R. et Weeds H., préc., p. 4, § 2 : « Nous soutenons, treprises en crise (D.-L. n° 134/2008, relatif aux mesures urgentes concernant la restructuration des grandes entreprises en crise), qui a été voté par le par-

soumise à l’autorité hiérarchique du ministre.

lement italien le 27 octobre 2008 et a été transformé en loi (L. n° 166/2008, Decreto-legge 28 agosto 2008, n° 134, Disposizioni urgenti in materia di ristrutturazione di grandi imprese in crisi, published in the Ufficiale n° 201, 28 août 2008, cf. ).

Sur le fondement de ce décret, l’autorité italienne de la concurrence a été forcée d’autoriser l’opération de sauvetage d’Alitalia/Air one (dans le cadre de la tentative de sauvetage d’Alitalia, une compagnie aérienne nationale italienne subissant de graves difficultés économiques, le Parlement italien a adopté le 27 octobre 2008 une loi visant à modifier les dispositions en matière d’insolvabilité (également dénommé « loi Marzano »). Ces amendements ont été introduits par le décret-loi n° 134/2008 relatif à des mesures urgentes concernant la restructuration des grandes entreprises en crise, aussi connu sous le nom de « Decreto Alitalia ». Le décret établit que toute concentration, impliquant une entreprise de services publics, réalisée conformément à la procédure mise en place par la loi Marzano à partir du mois de juin 2009 satisfait de manière intrinsèque aux intérêts publics fondamentaux et, en conséquence, est exemptée de la nécessité d’obtenir une autorisation de l’autorité italienne de la concurrence conformément au régime interne de contrôle des concentrations. Elle s’applique à la procédure en ce qui concerne l’administration extraordinaire de grandes entreprises en difficulté employant au moins 1000 salariés et ayant accumulé un passif total d’au moins un milliard d’euros pendant au moins une année. À la suite d’un recours, le Tribunal de Lazio, un tribunal administratif régional, a renvoyé la loi devant la Cour constitutionnelle estimant qu’il était probable que le décret serait discriminatoire à l’égard des transporteurs aériens et confèrerait un traitement plus favorable aux grandes compagnies telles que Alitalia et Air One et que l’opération créerait ou renforcerait une position dominante).

La réforme du droit des concentrations en France rendra la pression politique plus difficile dès lors que l’Autorité française n’est plus soumise à l’autorité hiérarchique du ministre. Il n’en reste pas moins que certains exemples du passé montrent que l’application de la FFD peut donner lieu à des interprétations qui ont été taxées en leur temps d’opportunistes (pour un autre exemple moins récent d’une interprétation différente de la notion de FFD entre la Commission européenne et le gouvernement français, cf. Déc. Comm. CE, 13 nov. 2001, aff. COMP/M.2621, SEB/Moulinex).

L’existence d’approches différentes retenues par la Commission, l’OFT et l’État italien peut, au moins en partie et en dehors des pressions politiques, s’expliquer par les différentes écoles de pensée qui s’opposent en ce qui concerne l’application de la FFD en temps de crise. Ceux qui sont en faveur de l’assouplissement des conditions d’application de la FFD (pour plus d’informations, cf. Mason R. et Weeds H., The failing firm defence : Merger Policy and Entry, 15 janv. 2003; Waits A. L., Surviving the

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par conséquent, que les opérations de sauvetage sont souhaitables précisément parce qu’elles augmentent le pouvoir de marché de l’entreprise et sont donc profitables en période de crise financière. En effet, les règles de concentrations influent sur la décision d’entrer sur le marché et donc sur le moment de l’entrée. L’entrée survient plutôt lorsque les entreprises sont autorisées à fusionner et ainsi à augmenter leurs profits lorsque l’une des entreprises est défaillante. Si par principe l’entrant est susceptible d’être le premier à la sortie (parce que l’entreprise déjà présente sur le marché dispose d’un avantage intrinsèque par exemple), alors le fait d’autoriser l’entreprise défaillante à acquérir une plus grande part de marché grâce à la concentration encourage l’entrée. Enfin, une politique clémente en matière de concentrations (autorisant la concentration à un stade précoce de la crise financière) portera vraisemblablement d’avantage atteinte à l’entreprise présente qu’elle ne profitera à l’arrivant »).

D’autres partisans d’une politique de contrôle plus clémente soulignent aussi que les coûts sociaux résultant du blocage d’une opération dans laquelle l’une des sociétés est défaillante sont d’autant plus visibles et importants en période de crise. Selon Waits (Waits A. L., préc., p. 458), le préjudice social, c’est-àdire le préjudice aux employés, aux actionnaires, aux créanciers ainsi qu’à l’ensemble des membres de la communauté entourant l’entreprise défaillante doit être examiné et contrebalancé par rapport aux effets anticoncurrentiels. À cet égard, Waits fait référence à l’arrêt de la Cour suprême des ÉtatsUnis, International Shoe (ce jugement est examiné en détail dans la section I). À l’inverse, les partisans d’une application stricte des critères en temps de crise (par exemple, John Fingleton de l’OFT), font valoir que les arguments appuyés sur la FFD et les gains d’efficacité générés par les concentrations doivent être traités avec prudence et tenant compte du fait que le pouvoir de marché conduit à moins, et non pas à plus, d’efficacité au sein des entreprises (voir position de l’OFT supra). D’autres soulignent qu’en temps de crise une remontée des prix anticoncurrentielle ou de concentration du pouvoir de marché est encore plus néfaste dans la mesure où elle ralentit le processus de reprise de l’économie. Quant à l’argument selon lequel une opération de sauvetage inciterait les entreprises à entrer sur le marché, ceux-ci répondent que ces dernières pourraient au contraire être attirées vers des marchés où la FFD est appliquée avec plus d’indulgence, ce qui pourrait entraîner un effet de distorsion de la concurrence (Heyer K. et Kimmel S., Merger Review of Firms in Financial Distress). En ce qui concerne l’argument relatif aux coûts sociaux engendrés par le blocage d’une opération de sauvetage, l’ancienne General Counsel de la Federal Trade Commission, Debra A. Valentine, soulignait en son temps le caractère dou-

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teux des arguments fondés sur le sauvetage des emplois en affirmant que : « des emplois sont susceptibles d’être supprimés que la concentration soit bloquée ou qu’elle soit autorisée. Si une opération est bloquée et qu’une entreprise devient défaillante, les suppressions d’emplois résulteront, de toute évidence, de la fermeture de l’usine. Mais si une opération posant des problèmes de compétitivité est autorisée, il résulte de la théorie de l’oligopole [« oligopoly theory »], que des emplois risquent d’être perdus si l’industrie fait augmenter les prix et réduit la production. La différence est que la suppression d’emploi est, dans ce cas, largement disséminée et progressive et peut être sévère, drastique et localisée lorsqu’un employeur essentiel de la communauté disparaît » (Valentine D. A., Horizontal Issues :

ci avait établi un « plan de stabilisation de base », qui visait à réduire la capacité existante dans le cadre d’industries « structurellement en dépression », « structurally depressed industries ». Un fonds de garantie spécifique a été créé et les ministères de tutelle ont été autorisés à mettre en place des ententes, avec la participation d’entreprises opérant dans les secteurs en difficulté. Plus récemment, la décision prise par le secrétaire d’État britannique Peter Mandelson concernant la concentration Lloyds TSB/HBOS peut également être considérée comme un exemple de mesure anticoncurrentielle qui s’est révélée être un cadeau empoisonné pour l’acquéreur (en

What’s happening and what’s on the horizon, 8 déc. 1995, Federal Trade Commission, cf. ).

Pour les raisons citées ci-dessus, le débat actuel ne va pas manifestement dans le sens d’une modification des conditions d’application de la FFD dans le contexte d’un ralentissement économique. En revanche, la rapide aggravation de la situation de l’économie réelle, qui ne fait que commencer, plaide en faveur d’un recours à toutes les formes éprouvées et confirmées juridiquement de politique de la concurrence et en particulier (i) une approche fondée sur le précédent General Dynamics, c’est-à-dire sur une analyse dynamique des questions de concurrence, (ii) une étude au cas par cas plus approfondie et complète des efficiences économiques sur la base de critères sans doute plus ouverts que ceux appliqués actuellement (où les analyses des efficiences économiques restent encore le parent pauvre des décisions de concentration) et (iii) une pleine utilisation des outils procéduraux qui permettent une résolution plus rapide et moins bureaucratique des cas de concentrations. ◆

En outre, l’expérience historique va, de manière générale, à l’encontre d’une politique de suspension des politiques de concurrence en période de crise économique. Un certain nombre de mesures prises par le passé afin de protéger les entreprises défaillantes ont souvent prolongé la crise économique. Par exemple, en 1933, l’administration Roosevelt a autorisé une réglementation facilitant les cartels et les monopoles dans le but de protéger les entreprises fragilisées par la Grande Dépression (The National Industrial Recovery Act (NIRA), 16 juin 1933 (Ch. 90 48 Stat. 195, codifié dans 15 USC sec 703). Le NIRA devait expirer en juin 1935, mais la Cour suprême des États-Unis a déclaré l’inconstitutionnalité du Titre I du NIRA le 27 mai 1937, au motif que cette loi étendait le sens de la clause commerciale).

De même, les mesures prises par le gouvernement japonais en 1974 (cf., pour plus d’informations Bela Balassa/Marcus Noland, Japan in the world economy, 1988, pp. 59 et seq) n’ont pas été couronnées de succès. Celui-

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Poursuite de la consolidation du secteur aérien : Iberia fait main basse sur le low cost en Espagne La Commission autorise le projet de rachat par Iberia de Vueling Airlines et de Clickair sous réserve de mesures correctives. Déc. Comm. CE, 9 janv. 2009, aff. COMP/M.5364, Iberia/Vueling/Clickair, JOUE 26 mars, n° C 72

Le 9 janvier 2009, la Commission a autorisé, à l’issue d’une procédure de Phase I et sous réserve de mesures correctives, le projet de rachat des deux compagnies aériennes espagnoles low cost, Vueling Airlines et Clickair, par la compagnie aérienne nationale espagnole Iberia. Iberia est basée à l’aéroport de Madrid-Barajas et assure des services de transport aérien régulier de passagers de court et long courriers, ainsi que des services de transport de fret. Clickair est basée à l’aéroport de Barcelona-El Prat. Vueling Airlines est basée à l’aéroport de Barcelona-El Prat ainsi qu’à ce-

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effet, depuis la réalisation de la concentration, la santé financière de l’ensemble du groupe s’est considérablement détériorée).

lui de Madrid-Barajas. Les deux compagnies low cost assurent des services de transport aérien régulier de passagers (court courrier) en Espagne et à destination de plusieurs autres pays européens. Avant l’opération envisagée, Iberia détenait déjà une participation de 20 % non contrôlante dans Clickair. Le projet de concentration comportait plusieurs opérations juridiques interdépendantes, qui ont fait l’objet d’une analyse globale : dans un premier temps, une opération de restructuration devait permettre de porter la participation d’Iberia dans le capital de Clickair de 20 à 80 % ; dans un second temps, Vueling Airlines et Clickair devaient fusionner pour former « Nueva Vueling ». Au final, Iberia devait détenir une participation de 45,8 % dans la nouvelle entité. La décision contient des précisions utiles sur la définition des marchés dans le secteur du transport aérien régulier de passagers. Fidèle à son approche dite « O & D », la Commission a défini des marchés point à point, chaque liaison entre deux villes constituant un marché distinct. Comme dans la décision Ryanair (Déc. Comm. CE, 27 juin 2007, aff. COMP/M.4439, Ryanair/Aer Lingus), la Commission a considéré que, même si les différences de « business model » pouvaient être prises en compte au stade de l’analyse concurrentielle, les compagnies low cost faisaient partie du même marché que les compagnies traditionnelles « en réseau ». Par ailleurs, la Commission a analysé la pertinence d’autres facteurs susceptibles d’affecter la délimitation des marchés pertinents : – les vols directs et indirects n’ont pas été considérés comme substituables étant donné que la grande majorité des voya- >

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Les remèdes proposés en l’espèce sont conformes à la pratique décisionnelle de la Commission dans les précédentes affaires liées à la consolidation du secteur aérien européen. L’expérience montre toutefois que ce type de remèdes ne s’est pas toujours révélé suffisamment incitatif pour attirer de nouveaux entrants. À l’avenir, on ne peut pas exclure que la Commission souhaite étendre les mises à disposition de créneaux à des routes non directement affectées par la concentration et/ou les accompagner d’autres mesures correctives de nature structurelle. À cet égard, la décision de la Commission dans l’affaire Lufthansa/SN Airholding (Brussels Airlines), qui devrait être rendue le 1er juillet après une extension de la Phase II, pourrait apporter un certain nombre d’éclaircissements utiles. Frédéric de BURE Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP RLC

geurs a indiqué ne pas envisager de prendre un vol indirect en réaction à une augmentation des prix des vols directs de 5 à 10 % ; – l’avion et le train à grande vitesse ont été considérés comme substituables sur la route Barcelone-Madrid, compte tenu notamment de la similarité de la durée totale du trajet et des avantages du train en termes de confort et de proximité. En revanche, le ferry n’a pas été retenu comme une alternative acceptable à l’avion sur les routes à destination d’Ibiza en raison des différences de durée du trajet ; – l’éventuelle distinction entre les passagers, selon qu’ils sont sensibles ou non au temps, a été laissée ouverte. Les parties avaient soutenu qu’une telle distinction n’avait pas lieu d’être puisque Clickair et Vueling appliquent des tarifs identiques quel que soit le type de passagers alors que l’enquête de marché tendait à confirmer l’importance du facteur temps ; – la possibilité d’une substituabilité entre différents aéroports – en particulier entre les aéroports principaux et secondaires – n’a pas été retenue par la Commission. Sur la base d’un raisonnement développé dans l’affaire Ryanair/Aer Lingus selon lequel les aéroports situés dans un rayon de 100 km ou d’une heure de route d’un autre aéroport pouvaient être considérés comme substituables (cf., également en ce sens, Déc. Comm. CE, 17 déc. 2008, aff. COMP/M.5141, KLM/Martinair, RLC 2009/19, n° 1329, obs. Medina C.), les parties soutenaient notamment que l’aéroport de Barcelone (où opèrent les parties) était substituable avec ceux de Girone et de Reus (où opère Ryanair). L’enquête de marché a toutefois montré qu’une majorité de passagers ne considérait pas les aéroports secondaires de Girone et de Reus comme substituables à celui de Barcelone, en raison notamment des coûts additionnels de déplacement, du peu de créneaux horaires et des contraintes de temps. En préambule à son analyse concurrentielle, la Commission a relevé que le secteur du transport aérien espagnol était le deuxième plus important au sein de l’UE et relativement peu concentré, en raison de la présence de trois acteurs domestiques (Iberia, Air Europa et Spanair) et de plusieurs compagnies low cost. Néanmoins, la Commission a identifié des problèmes de concurrence sur 19 liaisons (principalement des lignes domestiques ainsi qu’à destination de la France, de l’Italie et de la Grèce). Sur ces routes, les parties auraient bénéficié d’une situation de monopole ou de quasi-monopole en termes de nombre de passagers transportés, renforcée par la détention d’une très grande partie des créneaux disponibles (droits d’atterrissage ou de décollage sur un aéroport donné pour une plage horaire donnée) dans les aéroports de BarcelonaEl Prat (entre 40 et 50 % des créneaux) et de MadridBarajas (entre 50 et 60 % des créneaux). Afin de lever les doutes de la Commission, les parties ont présenté deux types de mesures correctives qui ont été jugées satisfaisantes. D’une part, les parties se sont engagées à mettre à disposition sans frais un certain nombre de créneaux dans plusieurs aéroports afin de permettre l’entrée de nouveaux concurrents ou l’expansion des concurrents existants (l’enquête de la Commission a montré en effet que les limitations de capacités disponibles dans les aéroports constituaient la principale barrière à l’entrée ou à l’expansion sur les 19 liaisons problématiques). D’autre part, les parties promettent de permettre à tout nouvel entrant de participer au programme de fidélité Iberia Plus pour les liaisons concernées.

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La Commission autorise la prise de participation par Dassault Aviation dans Thales La Commission a conclu que l’opération ne portait pas atteinte à la concurrence dans les secteurs spatial et aéronautique. Déc. Comm. CE, 10 mars 2009, aff. COMP/M.5426, Dassault Aviation/TSA/Thales

Le 10 mars 2009, la Commission a autorisé sans engagement l’acquisition d’une participation minoritaire par Dassault Aviation dans Thales. L’opération a été soutenue par l’État français qui est, d’une part, le principal actionnaire de Thales et, d’autre part, l’un des principaux acheteurs des équipements militaires fabriqués par les parties. Antérieurement à l’opération, Thales était contrôlée conjointement par l’État français (via la société TSA) et le groupe Alcatel-Lucent. Dassault Aviation a racheté les participations détenues par Alcatel-Lucent et le Groupe Industriel Marcel Dassault (« GIMD ») dans le capital social de Thales et s’est substituée à Alcatel-Lucent dans le cadre du pacte d’actionnaires qui l’unissait à TSA. La Commission a conclu qu’à l’issue de l’opération, Thales serait contrôlée conjointement par l’État français et Dassault Aviation (qui disposeront, respectivement, de 41,6 % et 20,4 % des droits de vote). La Commission a examiné l’impact de l’opération sur le secteur spatial et notamment sur les marchés des satellites. L’examen de la Commission a porté d’une part, sur les liens entre Thales et EADS et, d’autre part, sur les rapports verticaux entre Thales et Dassault Aviation : – Thales et EADS sont les principaux constructeurs de satellites institutionnels au niveau européen (part de marché combinée de 80-100 %) et de satellites militaires au niveau français (part de marché combinée de 90-100 %). EADS détient une participation de 46,3 % dans Dassault Aviation (la majorité du capital de cette société est détenue par GIMD). Toutefois, la Commission a conclu qu’EADS ne contrôlait pas Dassault Aviation car elle ne disposait d’aucun droit de veto sur les décisions stratégiques de cette société. Par ailleurs, la participation aux bénéfices de Thales à laquelle EADS pourrait prétendre via Dassault Aviation (environ 12 %) serait trop

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ACTUALITÉS

Ianis GIRGENSON Fried, Frank, Harris, Shriver & Jacobson (London) LLP

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La crise financière : la Commission autorise la première nationalisation d’une banque La Commission donne son feu vert au rachat d’Hypo Real Estate par le Fonds allemand de stabilisation des marchés financiers. Déc. Comm. CE, 14 mai 2009, aff. COMP/M.5508, SoFFin/Hypo Real Estate

Le 15 mai 2009, la Commission a autorisé l’acquisition de la banque allemande Hypo Real Estate par le Fonds de stabilisation des marchés financiers contrôlé par l’État allemand (Sonderfonds Finanzmarktstabilisierung ou SoFFin). Il s’agit de la première nationalisation d’une banque autorisée par la Commission en application des règles sur le contrôle des concentrations depuis le début de la crise financière (pour un rapprochement entre deux sociétés privées dans le contexte de la crise, cf. Déc. Comm. CE, 3 déc. 2008, aff. COMP/M.5384, BNP Paribas/Fortis, RLC 2009/19, n° 1330, obs. Bure (de) F.).

Hypo Real Estate est un groupe allemand actif dans le financement de l’immobilier commercial et des infrastructures. Le groupe a été victime de la crise des subprimes et a bénéficié de plusieurs aides accordées par le gouvernement allemand. Ces aides se sont toutefois avérées insuffisantes et en avril 2009, SoFFin a lancé une offre publique pour acquérir l’intégralité des actions d’Hypo Real Estate. SoFFin est un organisme public créé par l’État allemand en octobre 2008 et utilisé comme véhicule d’intervention publique dans le cadre de la crise financière. La Commission a constaté que postérieurement à l’opération, Hypo Real Estate serait contrôlée par SoFFin et cesserait d’agir en tant qu’entité économique distincte et autonome. SoFFin est administré par l’Agence de stabilisation des marchés financiers et celle-ci est dirigée par un comité exécutif dont les membres sont désignés par le ministère fédéral des Finances. Ce dernier contrôle également l’un des concurrents d’Hypo Real Estate, la banque publique Kreditanstalt für Wiederaufbau (« KfW »). La Commission a dès lors examiné le chevauchement entre les activités d’Hypo Real Estate et KfW. Elle a conclu que l’opération n’était pas de nature à porter atteinte à la concurrence car les parts de marché combinées des deux banques ne dépassaient 20 % sur aucun des marchés pertinents. Tout en autorisant la nationalisation d’Hypo Real Estate, la Commission a ouvert une enquête approfondie concernant les aides accordées par l’Allemagne à cette banque (cf. Communiqué Comm. CE n° IP/09/712, 7 mai 2009). I.G. RLC

limitée pour inciter EADS à relâcher la pression concurrentielle que ce groupe exerce sur Thales ; – Dassault Aviation fournit Thales en équipements pyrotechniques pour satellites (Dassault Aviation est notamment l’unique fabricant français des initiateurs pyrotechniques). Toutefois, la Commission a estimé que les risques de forclusion sur le marché français des satellites militaires étaient très limités puisque les équipements pyrotechniques ne représentent qu’une infime partie du prix total d’un satellite (estimé à 0,05 % par les parties) et toute variation du prix de ces composantes aurait un impact négligeable sur le coût de la production d’un satellite. De surcroît, ces équipements ne font pas partie des composantes stratégiques et les fournisseurs pourraient inclure des équipements d’origine étrangère dans des satellites militaires destinés aux autorités françaises. La Commission a également examiné les effets de l’opération dans le secteur aéronautique. Dassault Aviation est un fabricant d’avions d’affaires, d’avions de combat et de simulateurs de vol, alors que Thales est un fournisseur de produits avioniques et non avioniques. L’examen de la Commission a notamment porté sur les marchés suivants : – les drones militaires : Thales fournit des radars dans le cadre de deux programmes de développement de drones, dont l’un est piloté par EADS et l’autre par un consortium composé de Dassault Aviation, Indra et Thales. La Commission a conclu que l’État français, qui contrôle conjointement Thales et qui est aussi l’unique acheteur des drones militaires en France, ne laisserait pas Thales se retirer du programme développé par EADS pour favoriser celui de Dassault Aviation ; – l’avionique militaire : Dassault Aviation est l’unique fournisseur d’avions de combat (Rafale) à l’État français alors que Thalesfournit la quasi-totalité de l’avionique de Rafale. La Commission a cependant noté que les programmes militaires des avions de combat en France étaient figés pour les 20 ou 30 prochaines années, ce qui limitait toute possibilité de changement de fournisseurs de systèmes avioniques et non avioniques. En conséquence, l’intégration verticale des activités des parties n’aurait pas d’impact sur la concurrence à court ou moyen terme ; – la simulation de vol militaire : Dassault Aviation et Thales réalisent les simulateurs du Rafale dans le cadre d’un partenariat et détiennent une part de marché cumulée de 90-100 % sur le marché français des simulateurs de vol militaire. Leur part de marché européenne est d’environ 50-60 % ; toutefois, le chevauchement de leurs activités en dehors de la France est très limité. Le ministère de la Défense français est fortement impliqué dans les programmes développés par les parties et n’envisage pas d’autre programme de simulation ou d’avion de combat à court ou moyen terme. Le ministère de la Défense a indiqué que l’opération ne serait pas susceptible de conduire à une augmentation des prix ou à une dégradation de la qualité des produits. La Commission en a déduit que l’opération ne modifierait pas substantiellement la structure du marché. L’analyse de la Commission est conforme à sa pratique décisionnelle relative à l’industrie de la défense. Dans ce secteur, la Commission accepte généralement un degré de concentration et d’intégration verticale relativement élevé, compte tenu du pouvoir de négociation des acheteurs (les ministères de la Défense) et de l’intensité capitalistique de cette industrie (cf. Déc. Comm. CE, 4 avr. 2007, aff. COMP/M.4403, Thales/Finmeccanica/Alcatel Alenia Space & Telespazio, RCL 2007/13, n° 891, obs. Gérard D.).

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Rejet de l’argument de l’entreprise défaillante à l’occasion d’une opération de concentration dans le secteur des batteries de démarrage automobile La Commission autorise, à l’issue d’une enquête approfondie et sous réserve d’engagements, une

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Déc. Comm. CE, aff. COMP/M.4381, JCI/VB/Fiamm

Le 5 mai 2009, la Commission a mis en ligne une décision du 10 mai 2007, dans laquelle elle avait approuvé à l’issue d’une enquête approfondie de Phase II, le rachat par l’allemand VB Autobatterie des activités de batteries de démarrage automobile du groupe italien Fiamm. Les deux parties à l’opération étaient actives dans la fourniture de batteries de démarrage pour voitures et poids lourds (i) sur le marché européen « de première monte » à destination des constructeurs de voitures et de poids lourds et (ii) sur les marchés nationaux « de seconde monte » à destination des réparateurs indépendants, des grossistes en pièces détachées, des supermarchés et des autres points de vente au détail. La Commission a par ailleurs considéré que les batteries de démarrage destinées aux voitures et les batteries de démarrage destinées aux poids lourds appartenaient à des marchés distincts. Sur les marchés de première monte, la Commission craignait en particulier que l’opération, telle qu’initialement notifiée, ne crée ou ne renforce la position dominante de VB Autobatterie tant sur les batteries de démarrage destinées aux voitures (55 à 65 % de parts de marché) que sur celles destinées aux poids lourds (entre 50 et 60 % de parts de marché), limitant ainsi considérablement la possibilité pour les constructeurs de voitures et de poids lourds de changer de fournisseur. Sur les marchés de seconde monte, la Commission estimait que la combinaison des marques bien implantées de VB Autobatterie avec les marques nationales porteuses de Fiamm pouvait conférer une position très forte à la nouvelle entité dans quatre États membres : l’Autriche (45-65 % de parts de marché), l’Italie (50-60 % de parts de marché), la République tchèque (60-75 % de parts de marché) et la Slovaquie (entre 45-60 % de parts de marché). Les mesures correctives proposées par les parties incluent notamment la cession de capacités de production de batteries destinées aux marchés de première monte, ainsi que la cession de plusieurs marques reconnues de Fiamm distribuées sur les marchés de seconde monte autrichien, italien, tchèque et slovaque. L’intérêt particulier que présente cette décision, ainsi que son actualité, tient au fait que les parties avaient avancé l’argument de l’entreprise défaillante (ou « failing firm defense ») en invoquant les graves problèmes de liquidités rencontrés par le groupe Fiamm et le risque d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à son encontre. En effet, malgré la profitabilité des autres divisions du groupe Fiamm, la division batteries de démarrage automobile représentait environ 40-50 % des ventes et subissait de lourdes pertes depuis plusieurs années, mettant en danger l’ensemble du groupe. Dès lors, les parties soutenaient que l’éventuel impact anticoncurrentiel de l’opération était moins grave que l’atteinte à la concurrence qui aurait résulté de la disparition de Fiamm. La Commission a donc examiné si les trois conditions cumulatives définies dans l’affaire Kali und Salz (Déc. Comm. CE, 14 déc. 1993, aff. IV/M.308, Kali und Salz/MdK/Treuhand) étaient réunies. Elle a conclu que seules les deux premières conditions étaient remplies : – (i) si la concentration n’avait pas lieu, Fiamm serait probablement placée en liquidation judiciaire à court terme (ou à

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tout le moins la division batterie de démarrage automobile disparaîtrait du marché) ; – (ii) il est peu probable que Fiamm pourrait trouver un autre acheteur qui poserait moins de problèmes de concurrence ; – (iii) toutefois, il n’est pas suffisamment démontré que, si la concentration n’avait pas lieu, tous les actifs de la division batterie de démarrage automobile disparaîtraient inévitablement du marché. En effet, la Commission évoque la possibilité que certains actifs puissent être rachetés par des plus petits producteurs (ou même par JCI) pendant la procédure de liquidation judiciaire et, par conséquent, remis sur le marché à moyen terme. Au-delà de l’analyse « classique » fondée sur l’examen des trois critères évoqués plus haut, la Commission s’est livrée à une comparaison entre le scénario de l’entreprise défaillante et celui de la concentration. En effet, même lorsque l’un des trois critères de Kali und Salz n’est pas rempli, la Commission doit évaluer si le scénario de la défaillance n’est pas plus restrictif de concurrence que celui de la concentration. En l’espèce, la Commission a conclu que pour chacun des marchés concernés les effets anticoncurrentiels engendrés par une disparition de la branche défaillante du groupe Fiamm seraient plus limités dans le temps et donc moins néfastes que les effets induits par l’opération de concentration. Cette décision confirme ainsi que la Commission est prête à examiner l’argument de l’entreprise défaillante, mais qu’elle exigera des parties d’apporter des preuves particulièrement solides. F. de B. OBSERVATIONS • Pour une étude plus générale, voir dans cette rubrique, Winckler A., La théorie de l’entreprise défaillante « Failing Firm Defense » : une renaissance dans la crise ?, RLC 2009/20, n° 1387 RLC

concentration entre le premier et le troisième fabricant de batteries de démarrage automobile au sein de l’Espace économique européen, mais rejette l’argument de l’entreprise défaillante.

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Concentration sous conditions dans le secteur de la viande Après plusieurs mois d’étude, le ministre de l’Économie a autorisé sous conditions le rapprochement entre Socopa Viandes et le Groupe Bigard, les deux principaux acteurs de la production industrielle de viande de boucherie en France. Lettre min. Éco., n° C2008-100, 17 févr. 2009, Groupe Bigard/Socopa Viandes

Par un dossier notifié le 14 novembre 2008 mais déclaré complet seulement le 11 février 2009, le ministre de l’Économie a finalement autorisé le 17 février 2009, au terme d’une procédure de Phase I, l’acquisition de Socopa Viandes par le Groupe Bigard sous réserve d’engagements. L’opération concernait les marchés de l’abattage d’animaux (première transformation), du désossage et de la découpe des carcasses (deuxième transformation), de la mise en barquettes de viande prête à cuire (troisième transformation) et de la fabrication de produits élaborés à base de viande (quatrième transformation). Le ministre a considéré que ces marchés devaient être sous-segmentés en fonction notamment du type de viande (ovine, porcine et bovine), du canal de distribution, du type de produit, de son positionnement. La dimension géographique était nationale, régionale ou locale selon les marchés de produits (en particulier le marché de la première transformation a été analysé aux niveaux locaux et régionaux). En raison

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ter l’entrée ou la progression sur le segment des marques de fabricants d’un tiers, qui bénéficiera par ailleurs des investissements publicitaires consacrés par le Groupe Bigard à cette marque, en particulier pour la distribution d’autres produits carnés (à base de viande porcine notamment). Sur les effets congloméraux, le ministre sème le doute sur la grille d’analyse à retenir pour apprécier les effets de gamme. Dans la décision Somfy/Zürfluh-Feller, le ministre avait examiné, conformément aux lignes directrices de la Commission européenne sur l’appréciation des concentrations non horizontales, (i) la capacité de la nouvelle entité à évincer ses concurrents, (ii) son intérêt économique à le faire et (iii) l’incidence d’une telle stratégie sur la concurrence (Lettre min. Éco. n° C2007-171, 12 juin 2008, Somfy/Zürfluh-Feller). Pour établir la première condition, le ministre avait pris soin de caractériser les critères posés par les lignes directrices de la DGCCRF, à savoir : (i) l’existence d’une forte position sur au moins un des marchés connexes, (ii) le caractère déterminant de la détention d’une gamme de produits étendue pour les clients et (iii) l’incapacité des concurrents à proposer une gamme aussi complète. Dans la présente décision, le ministre s’écarte de la grille d’analyse de la Commission et se limite à caractériser les trois critères précités des lignes directrices de la DGCCRF, s’abstenant ainsi de démontrer l’intérêt économique de la nouvelle entité à évincer ses concurrents et d’analyser l’incidence d’une telle stratégie sur la concurrence. Ce faisant, le ministre retient l’existence d’un risque anticoncurrentiel de nature conglomérale sur les marchés de troisième et quatrième transformation. Pour atténuer ce risque, les parties se sont donc engagées pour une durée de cinq ans à (i) ne pas proposer à leurs clients de quelconque avantage dont la contrepartie serait l’achat simultané de plusieurs produits différents et à (ii) ne pas subordonner l’octroi d’une réduction de prix sur un produit à l’achat d’un ou plusieurs autres produits. Les parties se sont également engagées à ne pas subordonner la vente d’un produit à l’achat simultané d’un ou plusieurs autres produits pendant une durée de cinq ans à compter de la présente décision. S’agissant enfin des effets verticaux, la relative faiblesse des parts de marché sur les marchés verticalement affectés et l’existence de nombreux débouchés et sources d’approvisionnement alternatifs permettent au ministre d’exclure tout risque de forclusion tant sur les marchés amont que sur les marchés aval. Jean-Baptiste PINÇON Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP RLC

de la présence simultanée des parties sur chacun des quatre stades de transformation de la viande, et ce pour tous les types de viande et tous les canaux de distribution, le ministre a analysé les effets horizontaux, congloméraux et verticaux de l’opération. S’agissant des effets horizontaux, le ministre a considéré que l’opération était de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés de première, deuxième et troisième transformation de la viande bovine (hors veau) et, au stade de la quatrième transformation, sur le marché des viandes marinées. En premier lieu, le ministre a identifié des risques de création d’une puissance d’achat sur les marchés de viande bovine au stade de la première transformation dans les zones nord et est de la France et de la deuxième transformation au niveau national. Afin de remédier à ces risques, les parties ont pris l’engagement de céder plusieurs abattoirs comportant des ateliers de première et deuxième transformation. De manière plus surprenante, le ministre a écarté tout risque d’atteinte à la concurrence, au stade de la première transformation, sur le marché de la collecte de bovins destinés à l’abattage en zone ouest, après avoir pourtant identifié 13 marchés locaux sur lesquels les parties détenaient des parts de marché cumulées supérieures à 40 % (supérieures à 70 % sur deux de ces marchés). Le ministre a procédé à une analyse globale de la zone ouest et s’est limité à souligner, sans distinguer selon les marchés locaux, (i) l’existence d’une forte concurrence et (ii) les capacités de production excédentaires des abattoirs concurrents, de nature à offrir des débouchés alternatifs pour les fournisseurs de bovins. En deuxième lieu, le ministre a relevé que la nouvelle entité serait susceptible de se comporter de manière indépendante de ses concurrents sur le marché de la troisième transformation de la viande bovine au niveau national (en raison de parts de marché cumulées très élevées, supérieures à 70 % sur certains segments, et de l’absence d’offre équivalente en termes de profondeur de gamme et de positionnement de prix). L’engagement de cession de deux sites de troisième transformation est toutefois de nature à limiter les risques d’atteinte à la concurrence, en réduisant sensiblement les incréments de parts de marché liés à l’opération. Le ministre a également pris en compte les capacités de production excédentaires des concurrents et la puissance d’achat des clients, notamment les grandes et moyennes surfaces. En troisième lieu, l’opération aurait été susceptible d’entraîner la création d’une position dominante sur le marché de la production de viandes marinées à destination des grandes et moyennes surfaces (quatrième transformation), en particulier sur le segment des viandes vendues sous marque de fabricant. Sur ce segment, la nouvelle entité disposerait en effet des trois grandes marques de viandes marinées (Bigard, Charal et Valtero) et détiendrait une part de marché supérieure à 70 %. Les parties se sont donc engagées à conclure avec un tiers une licence exclusive de la marque Valtero portant sur la vente des produits à base de viande bovine destinés aux grandes et moyennes surfaces. Le ministre autorise ainsi un partage de marque, souvent vu d’un mauvais œil par les autorités communautaires, la nouvelle entité conservant l’exploitation de cette marque pour les autres canaux de distribution et types de viande. Le ministre retient que la licence de cette marque notoire est susceptible de facili-

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Comment vendre et garder le contrôle Le ministre de l’Économie a considéré qu’un accord commercial signé concomitamment à l’opération était suffisant pour donner le contrôle conjoint au vendeur. Lettre min. Éco., Ind. et Emploi n° C2008/129, 5 mars 2009, aux conseils de la société Pédandel, relative à une concentration dans le secteur des boissons, BOCCRF 27 avr. 2009

Le 5 mars 2009, le ministre de l’Économie a autorisé l’acquisition par le Groupe Bertrand Distribution de plusieurs >

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de la Commission en vertu du règlement n° 139/2004/CE du Conseil relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, pt. 20, JOUE 21 févr. 2009, n° C 43).

Par ailleurs, le ministre a considéré que l’accord commercial conclu entre Inbev et Groupe Bertrand ne constituait pas une restriction accessoire et n’était donc pas « couvert » par la décision d’autorisation. En effet, selon le ministre, l’accord n’était pas lié et nécessaire à l’opération puisque ses dispositions ne visaient pas à assurer la survie des actifs cédés ou le démarrage de la nouvelle entité. L’analyse peut surprendre puisque le ministre a considéré dans le même temps que l’accord constituait un élément déterminant de l’opération qui justifiait à lui seul l’existence d’un contrôle conjoint. En outre, le ministre a examiné l’impact de l’accord sur la concurrence dans son

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analyse des effets verticaux et a conclu à l’absence d’effets significatifs. Dès lors, il aurait semblé logique de le faire bénéficier du régime des restrictions accessoires. F. de B. RLC

filiales d’Inbev actives dans la distribution de bière en France. Inbev est le leader mondial de l’industrie brassicole. Le Groupe Bertrand est un négociant en gros et demi gros de boissons à destination des Cafés-Hôtels-Restaurants (« CHR ») en France. Au terme de l’opération, Inbev a néanmoins conservé une action dans chacune des sociétés cédées. L’opération ne posait pas de problème de concurrence particulier en raison des parts de marché limitées du Groupe Bertrand sur les marchés nationaux et régionaux de la distribution de boissons en France. Le principal intérêt de la décision réside dans l’appréciation par le ministre de la nature du contrôle exercé sur les sociétés cédées. Le ministre a considéré qu’Inbev conserverait une influence déterminante sur la gestion courante et la politique commerciale des sociétés cédées et en détiendrait donc le contrôle conjointement au Groupe Bertrand (alors que les parties avaient notifié une prise de contrôle exclusif par Groupe Bertrand). En effet, concomitamment à l’opération, les parties avaient conclu un accord commercial d’une durée de 10-15 ans aux termes duquel le Groupe Bertrand s’engageait à se fournir auprès d’Inbev pour 70-80 % des besoins des sociétés cédées en fûts de bière à destination des CHR. Ces objectifs de volume étaient assortis de pénalités financières particulièrement importantes (selon les marques, entre 20 et 60 % du prix de l’hectolitre pour tout hectolitre manquant). L’accord commercial prévoyait également un système de « reporting » d’informations et de contrôle particulièrement détaillé et certaines modalités financières entre le Groupe Bertrand et Inbev. Le ministre a considéré que les dispositions de l’accord commercial étaient particulièrement contraignantes pour Groupe Bertrand et suffisaient à conférer un contrôle conjoint à Inbev. Il a toutefois appuyé la requalification de la nature du contrôle par d’autres indices concordants comme l’existence de droits de veto attachés à l’action unique détenue par Inbev dans chacune des sociétés cédées (concernant la modification des statuts ou de la composition du capital). On relèvera, qu’en suggérant qu’un accord de distribution soit susceptible de donner le contrôle en l’absence de tout lien capitalistique, le ministre s’est écarté de la pratique décisionnelle de la Commission européenne. Celle-ci considère traditionnellement que « dans des circonstances exceptionnelles, une situation de dépendance économique peut conduire à un contrôle de fait lorsque, par exemple, de très importants contrats de livraison à long terme ou des crédits octroyés par des fournisseurs ou des clients, conjugués à des liens structurels, confèrent une influence décisive » (Communication consolidée sur la compétence

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Premières décisions d’autorisation de l’Autorité de la concurrence Depuis son entrée en fonction en mars 2009 jusqu’à la rédaction de cette chronique, l’Autorité de la concurrence a autorisé huit opérations de concentration. Aut. conc., déc. n° 09-DCC-01, 8 avr. 2009, relative à la prise de contrôle de la société Pellier Metz S.A.S. par le groupe Bailly S.A.S. ; Aut. conc., déc. n° 09-DCC-04, 29 avr. 2009, relative à la prise de contrôle de la société Noukat par la société d’Exploitation Amidis & Cie SAS, filiale du Groupe Carrefour

Depuis le 2 mars 2009, date de la première réunion du Collège de l’Autorité de la concurrence, celle-ci exerce les compétences auparavant dévolues au ministre de l’Économie et à la DGCCRF en matière de contrôle des opérations de concentration. Aux côtés des trois services d’instruction des affaires d’entente ou d’abus de position dominante, l’Autorité de la concurrence a créé un « service des concentrations » qui examine les projets de concentration et prépare les projets de décision, en sollicitant, le cas échéant, le concours du service économique. Les décisions sont adoptées par une formation du Collège ou, s’agissant des décisions de Phase I, par le président ou un vice-président désigné par lui. L’Autorité a annoncé qu’elle préparait des lignes directrices relatives au contrôle des opérations de concentration – qui feront l’objet d’une consultation publique – et qu’entre-temps, elle s’inspirait des méthodes d’analyses exposées dans les lignes directrices de la DGCCRF d’avril 2007. Depuis mars 2009, l’Autorité a adopté huit décisions d’autorisation, dont seulement deux ont été publiées : une décision relative à l’acquisition d’un concessionnaire automobile BMW en Lorraine (Aut. conc., déc. n° 09-DCC-01, 8 avr. 2009) et une décision relative à l’acquisition par le groupe Carrefour du contrôle exclusif d’un hypermarché dont il détenait déjà le contrôle conjoint (Aut. conc., déc. n° 09-DCC-04, 29 avr. 2009). Ces deux opérations ont pour point commun de n’avoir été notifiables qu’en vertu du nouveau régime applicable aux entreprises exploitant des points de vente de détail. En effet, les entreprises dont le changement de contrôle était notifié n’atteignaient pas le seuil « traditionnel » de cinquante millions d’euros de chiffre d’affaires réalisé en France ; en revanche, elles franchissaient le seuil de quinze millions d’euros réalisé dans le secteur du commerce de détail en France. Il s’agit des premières opérations ainsi notifiées au titre de cette nouvelle série de seuils qui a pour vocation de permettre à l’Autorité de mieux contrôler les conditions de concurrence dans le secteur de la distribution, et tout particulièrement de la grande distribution. S’agissant des définitions de marché, la continuité prévaut : l’Autorité se réfère aussi bien aux précédents de la Commission européenne qu’à ceux de la DGCCRF.

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ACTUALITÉS

CONCENTRATIONS ÉCONOMIQUES

Dans la seconde affaire, le groupe Carrefour détiendra, à l’issue de l’opération, une part de marché de 50 à 54 % sur le segment local des hypermarchés. L’Autorité estime néanmoins que l’opération elle-même n’augmente pas le pouvoir de marché du groupe Carrefour, dans la mesure où ce dernier ne fait qu’acquérir le contrôle exclusif d’un hypermarché dont il détenait précédemment le contrôle conjoint et dont il contrôlait déjà la politique commerciale. Ces premières affaires auront probablement permis à l’Autorité de « tester » son dispositif avant l’examen de sa première opération de concentration significative, le rapprochement des Caisses d’Épargne et des Banques Populaires.

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L’Autorité considère que les opérations en cause ne portent pas atteinte à la concurrence, même si les parts de marché des parties peuvent paraître élevées sur certains segments de marché. S’agissant de la prise de contrôle du concessionnaire BMW implanté en Lorraine, la nouvelle entité détiendra, sur un marché local regroupant trois départements, une part de marché de 12 % sur le marché inter-marques et de 63 % sur le marché intra-marque. L’Autorité indique qu’en matière de distribution automobile, la concurrence inter-marques joue un rôle plus important que la concurrence intra-marque et que toute tentative de hausse unilatérale des prix de la nouvelle entité se heurterait à un report de la demande sur les modèles concurrents de Mercedes ou Audi. De surcroît, la nouvelle entité reste en concurrence avec d’autres concessionnaires BMW implantés en France, mais aussi en Allemagne et au Luxembourg.

Éric PAROCHE Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP

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ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE

PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES Sous la responsabilité de Dominique BRAULT, Avocat à la Cour, Ancien rapporteur général de la Commission de la concurrence, Président d’honneur de l’AFEC, et Véronique SÉLINSKY, Avocat

Par Linda ARCELINLÉCUYER Maître de conférences en droit privé à la Faculté de droit de La Rochelle

R LC

Membre du CEJLR

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Imputation de l’infraction et prescription : les enjeux de la notion d’entreprise en droit de la concurrence Les questions d’imputabilité des infractions concurrentielles n’en finissent pas d’alimenter la jurisprudence. Preuve en est cet arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (TPICE) rendu le 31 mars 2009 dans l’affaire des Poutrelles II. La Commission européenne avait sanctionné le 8 novembre 2006 trois sociétés du groupe ARBED (ArcelorMittal aujourd’hui), à savoir ARBED, TradeARBED et ProfilARBED, pour avoir violé l’article 65, paragraphe 1, CECA prohibant les ententes. ARBED produisait les poutrelles en acier, TradeARBED, sa filiale à 100 %, distribuait moyennant commission ces poutrelles et ProfilARBED, filiale à 100 % d’ARBED, avait par la suite repris les activités de production des poutrelles d’ARBED. Seule TradeARBED avait participé à l’entente, ce qui n’a pas empêché la Commission de reconnaître solidairement responsables ARBED et ProfilARBED. Le TPICE rejette cette solidarité mais pour des questions de prescription. TPICE, 31 mars 2009, aff. T-405/06, ArcelorMittal Luxembourg, ArcelorMittal Belval & Differdange, ArcelorMittal International c/ Commission

I. – IMPUTATION DE L’INFRACTION À LA SOCIÉTÉ MÈRE DE LA FILIALE À 100 % En principe, une filiale est présumée autonome d’un point de vue économique en raison de sa personnalité juridique distincte de celle de sa société mère. Cependant, lorsque la filiale est détenue à 100 %, c’est une autre présomption qui joue. De façon tout à fait traditionnelle (TPICE, 1er avr. 1993, aff. T-65/89, BPB Industries Pic et British Gypsum Limited c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 493, Contrats, conc., consom. 1993, comm. 94, obs. Vogel L., Europe juin 1993, comm. 249, obs. Idot L. ; cf., également, TPICE, 14 mai 1998, aff. T-354/94, Stora Kopparbergs Bergslags AB c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 2111, Europe juill. 1998, comm. 251, obs. Idot L. ; TPICE, 20 avr. 1999, aff. jtes. T-305/94, T-306/94, T-307/94, T-313/94, T-314/94, T-315/94, T-316/94, T-318/94, T-325/94, T-328/94, T-329/94 et T-335/94, Limburgse Vinyl Maatschappij NV e.a. c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 931, Europe juin 1999, comm. 219, obs. Idot L. ; CJCE, 16 nov. 2000, aff. C-286/98 P, Stora Kopparbergs Bergslags AB, Rec. CJCE, I, p. 9925, Europe janv. 2001, comm. 30, obs. Idot L., Contrats, conc., consom. 2001, comm. 30, obs. Poillot-Peruzzetto S. ; TPICE, 13 déc. 2001, aff. jtes. T-45 et T-47/98, Krupp-Thyssen, Europe févr. 2002, comm. 62, obs. Idot L., RTD com. 2002, p. 132, obs. Blaise J.-B. et Idot L. ; TPICE, 15 juin 2005, aff. jtes. T-71/03, T-74/03, T-87/03 et T-91/03, Tokai Carbon c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 1711 ; TPICE, 27 sept. 2006, aff. T-314/01, Avebe c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 3085 ; TPICE, 12 sept. 2007, aff. T-30/05, Prym ; TPICE, 12 sept. 2007, aff. T-112/05, AkzoNobel c/ Commission, Europe févr. 2008, comm. 60, obs. Idot L. ; cf. Krenzer A., Présomption de responsabilité des sociétés mères du fait de leurs filiales en droit communautaire des pratiques anticoncurrentielles, RLC 2008/15, n° 1116), le Tribunal vient en effet rappeler

Droit I Économie I Régulation

que « dans le cas particulier où une société mère contrôle à 100 % sa filiale auteur d’un comportement infractionnel, il existe une présomption réfutable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (…) et constitue donc avec celle-ci une seule entreprise au sens de l’article 81 CE ». Cette autonomie n’est pas circonscrite au domaine de l’infraction mais s’apprécie plus globalement. Le TPICE note ainsi que ce n’est pas « une relation d’instigation relative à l’infraction entre la société mère et sa filiale (…) mais le fait qu’elles constituent une seule et même entreprise (…) qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère d’un groupe de sociétés ». Le travail de la Commission est allégé : il lui suffit, expose le TPICE, de prouver que « la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour que la présomption que cette dernière exerce une influence déterminante sur le comportement de la filiale sur le marché soit établie. La Commission sera en mesure, par la suite, de tenir la société mère solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à la filiale ». Le critère d’imputabilité de l’infraction est donc fondé sur la détention du capital social et non sur la participation de la société mère à l’infraction. C’est en vain que cette dernière invoque la pratique de la Commission consistant à « adresser sa décision à la société mère lorsqu’il existe des preuves précises impliquant celle- >

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IMPUTATION DE L’INFRACTION ET PRESCRIPTION : LES ENJEUX DE LA NOTION D’ENTREPRISE EN DROIT DE LA CONCURRENCE

ci dans la participation de sa filiale à l’entente ». Pour le juge communautaire, si la Commission a apporté d’autres éléments, il ne s’agit que d’« éléments de preuve additionnels, qui, par-delà la présomption tirée de la détention par la société mère de la totalité du capital de sa filiale, sont venus confirmer non pas la participation matérielle effective d’ARBED aux infractions en cause, mais l’influence déterminante de celle-ci sur le comportement de TradeARBED et l’usage effectif de ce pouvoir ». La seule échappatoire de la société mère réside dans le renversement de cette présomption par la démonstration de l’autonomie économique de la filiale – ce qui, au vu de la jurisprudence, est loin d’être aisé (pour les éléments exigés, cf. Arcelin-Lécuyer L., Notion d’entreprise en droit interne et communautaire de la concurrence, J-Cl. Concurrence Consommation, Fasc. 35). En revanche,

l’argument selon lequel elle n’aurait pas participé à l’infraction est inopérant.

ARBED, soit l’exploitant initial. Selon elles, la Commission aurait dû choisir entre les deux : l’exploitant initial ou son successeur économique. Cependant, la solidarité s’impose ici en raison de l’unité économique que composent les sociétés du groupe ARBED. Contrairement à l’affaire ETI où le successeur économique a supporté l’amende intégralement puisque l’exploitant initial ne faisait plus partie du groupe au moment de la décision de la Commission ; dans la présente espèce, ARBED est restée membre du groupe de sociétés. Dans ces conditions, la solidarité apparaît « comme une conséquence normale de l’imputation de responsabilité du comportement d’une société à une autre, en particulier lorsque ces deux sociétés constituent une même entreprise ». Mais encore faut-il pour que la solidarité soit admise que l’infraction puisse « être également constatée dans le chef » d’ARBED, ce qui était le cas.

III. – NOTION D’ENTREPRISE ET PRESCRIPTION II. – IMPUTATION DE L’INFRACTION AU SUCCESSEUR ÉCONOMIQUE DE LA SOCIÉTÉ MÈRE

La présente espèce montre les limites de la notion d’entreprise face à la prescription. En effet, ARBED avait intenté un recours devant le juge communautaire lors de C’est encore dans la droite ligne de la jurisprudence anla première affaire des Poutrelles, ce qui avait eu pour eftérieure que le TPICE condamne ProfilARBED en tant que fet de suspendre la prescription. La successeur économique d’ARBED dans Commission avait rendu sa décision le domaine de la production des pouLe principe selon lequel en respectant alors le délai quinquentrelles au sein du groupe ARBED. Le la personne juridique qui nal. La question se posait de savoir principe selon lequel la personne juexploitait l’entreprise au si les autres contrevenantes pouvaient ridique qui exploitait l’entreprise au moment des faits reste se voir opposer cette suspension de moment des faits reste responsable responsable de l’infraction prescription. de l’infraction tant qu’elle subsiste, Dans une argumentation assez déveconnaît en effet une exception en prétant qu’elle subsiste, loppée, le TPICE rappelle que la sussence d’un groupe de sociétés (TPICE, connaît en effet une pension, comme l’interruption, consti15 mars 2000, aff. jtes. T-25/95, T-26/95, T-30/95, exception en présence tuent une exception au principe de la T-31/95, T-32/95, T-34/95, T-35/95, T-36/95, T-37/95, d’un groupe de sociétés. prescription quinquennale et qu’elles T-38/95, T-39/95, T-42/95, T-43/95, T-44/95, T-45/95, doivent être interprétées de manière T-46/95, T-48/95, T-50/95, T-51/95, T-52/95, T-53/95, restrictive. Toutefois, leur régime diffère : « à la différence T-54/95, T-55/95, T-56/95, T-57/95, T-58/95, T-59/95, T-60/95, T-61/95, T-62/95, de l’interruption de la prescription, qui vise à permettre à T-63/95, T-64/95, T-65/95, T-68/95, T-69/95, T-70/95, T-71/95, T-87/95, T-88/95, la Commission de poursuivre et de sanctionner efficaceT-103/95 et T-104/95, Cimenteries, Rec. CJCE, II, p. 491 ; CJCE, 7 janv. 2004, aff. jtes. ment les infractions aux règles de concurrence, la suspenC-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, Aalborg sion de la prescription concerne, par définition, une hypoPortland c/ Commission, Rec. CJCE, I, p. 123 ; TPICE, 27 sept. 2006, aff. T-43/02, thèse dans laquelle la Commission a déjà adopté une Jungbunzlauer AG c/ Commission ; CJCE, 11 déc. 2007, aff. C-280/06, Autorità Gadécision ». Une procédure intentée devant le juge comrante della Concorrenza e del Mercato c/ Ente Tabacchi Italiani (ETI), RLC 2008/14, munautaire n’a qu’un effet inter partes. C’est en vain que n° 978, obs. Arcelin-Lécuyer L. ; cf. Arcelin-Lécuyer L., Imputabilité des pratiques la Commission a recours au concept d’entreprise et à anticoncurrentielles en cas de modification juridique et/ou économique de l’auteur, l’unité économique qu’elle représente pour étendre les efJ.-Cl. Concurrence Consommation, 2009, à paraître). « En cas de transfert fets de la suspension à l’ensemble des sociétés en cause. de tout ou partie des activités économiques d’une entité Le Tribunal consent que « s’il est vrai que les règles de juridique à une autre, expose le Tribunal, la responsabiconcurrence du Traité s’adressent à des entreprises, il n’en lité de l’infraction commise par l’exploitant initial, dans demeure pas moins que, aux fins de l’application et de le cadre des activités en question, peut être imputée au l’exécution des décisions de la Commission en la matière, nouvel exploitant si celui-ci constitue avec celui-là une il est nécessaire d’identifier, en tant que destinataire, une même entité économique aux fins de l’application des entité dotée de la personnalité juridique, que la commurègles de concurrence, et ce même si l’exploitant initial nication des griefs doit préciser sans équivoque la personne existe encore en tant qu’entité juridique ». Comme en juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes convenait déjà l’avocat général Kokott dans ses concluet être adressée à cette dernière ». Et le TPICE de conclure : sions sous l’arrêt ETI, l’application stricte du principe « cette personne juridique est seule à même d’introduire pourrait conduire l’exploitant initial à devenir « une un recours contre la décision adoptée à l’issue de la procoquille vide » à la suite de la restructuration interne cédure administrative et, dès lors, elle est seule susceptible du groupe et à priver ainsi la sanction de toute effectide se voir opposer la suspension de la prescription ». vité ( cf. Concl. av. gén. Kokott, 3 juill. 2007, pt. 79 ; CJCE, 11 déc. 2007, Dès lors, seule ARBED peut être mise en cause, excluant aff. C-280/06, ETI ). la responsabilité de TradeARBED et de ProfilARBED (sur Si les parties n’ont pas discuté l’imputation de l’infraction à ProfilARBED, elles ont en revanche contesté le fait que la cette décision, voir aussi, dans la rubrique « Droit processuel de la concurrence », BarCommission tienne également pour responsable solidaire bier de la Serre E., RLC 2009/20, n° 1430). ◆

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Droit I Économie I Régulation

ACTUALITÉS

PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES

1397

Téléphonie mobile et pratiques concertées

COMPÉTENCE RLC

PREUVE RLC

PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES 1396

Arrêt cardiaque

Une seule réunion entre sociétés peut constituer une pratique concertée contraire au droit communautaire de la concurrence.

Plusieurs sociétés médicales contestent la décision du Conseil de la concurrence concernant l’acquisition de défibrillateurs cardiaques.

CJCE, 4 juin 2009, aff. C-8/08, T-Mobile Netherlands BV e.a. c/ Raad van bestuur van de Nederlandse Mededingingsautoriteit ; Communiqué CJCE n° 47/09, 4 juin 2009

CA Paris, 1re ch., sect. H, 8 avr. 2009, n° RG : 2008/01092

D-49, 19 déc. 2007, relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés Biotronik, Ela Medical, Guidant, Medtronic et Saint Jude Medical à l’occasion de la passation d’un appel d’offres lancé par le CHU de Montpellier).

L’entente avait consisté à mettre en échec une nouvelle procédure d’achat en commun pour obtenir de meilleurs prix et de meilleurs services. Parmi les questions évoquées, on retiendra celle portant sur la compétence de l’autorité. En effet, les entreprises sanctionnées invoquaient l’irrégularité de cette nouvelle procédure d’appel d’offres : elles considéraient en conséquence que le juge administratif était seul compétent, étant précisé qu’aucune des entreprises condamnées n’y avait participé puisque ce qui leur était reproché était précisément le refus de répondre. Très classiquement, la Cour d’appel de Paris rappelle les conditions de la répartition des compétences entre le juge et l’autorité de concurrence, et la possibilité de qualifier une entente illicite « passive » résultant d’un refus collectif de donner suite à un appel d’offres. EXTRAIT DE L’ARRÊT « Considérant que, si le juge administratif est seul compétent pour apprécier la légalité d’un acte administratif, en l’occurrence la procédure d’appel d’offres, et en prononcer l’annulation, le Conseil de la concurrence est compétent pour apprécier, au regard du droit de la concurrence, les comportements des entreprises auxquelles cet appel d’offres s’adresse, qu’elles prennent ou non le parti d’y répondre, et prononcer, le cas échéant, des sanctions et injonctions à l’encontre de ces entreprises si leur comportement révèle une entente ayant un objet ou un effet anticoncurrentiel ; que l’intervention du juge administratif pour appréhender la légalité d’un acte administratif ne fait pas obstacle à la compétence du Conseil pour examiner de telles pratiques, indépendamment des irrégularités alléguées de l’appel d’offres ».

Véronique SÉLINSKY

Droit I Économie I Régulation

En 2001, cinq opérateurs de téléphonie mobile néerlandais s’étaient réunis pour décider d’une réduction de la rémunération standard des revendeurs pour les abonnements et avaient été condamnés pour entente en première instance. La juridiction nationale saisie de leur recours en appel demandait à la Cour de justice de préciser si le juge national qui examine l’existence d’une pratique concertée est tenu d’appliquer la présomption de causalité énoncée par la jurisprudence et de déterminer si cette présomption est applicable même dans les cas où la concertation n’est fondée que sur une seule réunion des entreprises concernées. La réponse est positive. Le juge national est tenu d’appliquer cette présomption de causalité selon laquelle les entreprises participant à la concertation et demeurant actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pendant ladite réunion pour déterminer leur comportement sur ce marché. La Cour rappelle que, selon la structure du marché, des contacts réguliers sur une longue période peuvent être nécessaires pour mettre en place un système complexe de concertation. Cependant, comme dans le cas d’espèce, une seule concertation ponctuelle qui vise un paramètre isolé de la concurrence, peut suffire pour réaliser la finalité anticoncurrentielle recherchée. Pour la Cour, ce qui importe « n’est pas tant le nombre de réunions entre les entreprises concernées que le fait de savoir si le ou les contacts qui ont eu lieu ont offert à ces dernières la possibilité de tenir compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur le marché considéré et de substituer sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence ». Pour combattre cette présomption, les entreprises doivent rapporter la preuve que cette concertation n’a pas eu d’influence sur leur comportement sur ledit marché. Catherine ROBIN Avocat, ALERION RLC

Dans sa décision n° 07-D-49 en date du 19 décembre 2007, le Conseil de la concurrence avait condamné l’entente constituée entre les sociétés Biotronik, Ela Medical, Guidant, Medtronic et Saint Jude Medical qui s’étaient concertées pour refuser de répondre à l’occasion de l’appel d’offres lancé par le CHU de Montpellier, mandaté par seize autres centres hospitaliers universitaires, pour se procurer des défibrillateurs cardiaques (Cons. conc., déc. n° 07-

1398

Recevabilité des enregistrements sonores réalisés à l’insu des personnes enregistrées : la Cour persiste et signe (de la main de son Président) La Cour d’appel de Paris se prononce sur les modalités d’obtention des enregistrements sonores,

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entre loyauté de la preuve et volonté de lutte contre les ententes secrètes. CA Paris, 29 avr. 2009, 1re ch., sect. H, n° RG : 2008/11907, Philips France e.a.

1. En l’absence de texte réglementant la production des preuves par les parties à l’occasion de procédures suivies devant l’Autorité de la concurrence sur le fondement des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, la question est souvent au centre des débats : l’objet de la preuve (notamment la question de la concertation dans le cas des ententes verticales) et les modes de preuve (documentaires ou pas), ainsi que les modalités de leur obtention, constituent des préoccupations récurrentes. Rappelons brièvement les données du problème : dans une décision n° 05-D-66 rendue le 5 décembre 2005, le Conseil de la concurrence avait admis la possibilité pour une partie de produire des enregistrements de conversations téléphoniques réalisés à l’insu de l’interlocuteur. Dans un arrêt du 19 juin 2007, la Cour d’appel de Paris avait approuvé cette position en se fondant, notamment, sur l’« autonomie procédurale tant à l’égard du droit judiciaire privé national qu’à l’égard du droit communautaire » dont bénéficie l’autorité française de concurrence. Deux limites étaient malgré tout posées : d’une part, de tels enregistrements ne pouvaient être produits par des enquêteurs, auxquels s’impose une exigence de loyauté ; d’autre part, ils devaient être soumis à la contradiction afin d’en apprécier la valeur probante. 2. En juin 2008, cet arrêt était cassé par la chambre commerciale de la Cour de cassation : tout en rappelant que l’admissibilité des modes de preuve relève essentiellement du droit interne, elle jugeait, au visa de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, que « l’enregistrement d’une conversation téléphonique réalisé par une partie à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve » (Cass. com., 3 juin 2008, nos 07-17.147 et 07-17.196, Bull. civ. IV, n° 112, RLC 2008/17, n° 1193, note V.S. et S.C.; CA Paris, 1re ch., sect. H., 19 juin 2007, n° RG 2006/00628, Philips France e.a., RLC 2007/13, n° 894, note V.S. et RLC 2007/13, n° 937 note B.C.; Cons. conc., déc. n° 05-D-66, 5 déc. 2005, secteur des produits d’électronique grand public, RTD com. 2006, p. 325, obs. Claudel E.; Momège C., Le Conseil de la concurrence reconnaît la possibilité pour les parties d’utiliser les enregistrements sonores effectués à l’insu des intéressés, mais en borne l’exercice?, Concurrences, 1-2006, p. 157; Nourissat C., Admission d’enregistrements au rang des modes de preuves : attention danger!, RLC 2006/6, n° 459 ; Arcelin L., L’alliance raisonnable entre droit de la concurrence et CEDH, RLC 2007/11, n° 804; RLC 2006/6, n° 459, obs. Nourissat C.; Sélinsky V., Sévérité renforcée à l’égard des accords verticaux, RLC 2006/6, n° 488).

3. Sur renvoi, la Cour de Paris vient de rendre un arrêt en formation solennelle par lequel elle résiste à la Cour de cassation. Selon la Cour d’appel, en effet, si « l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, implique que chaque partie dispose de la faculté, non seulement de faire connaître les éléments nécessaires au succès de ses prétentions, mais aussi de prendre connaissance et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision, (...) il n’emporte en lui-même aucune conséquence quant à l’admissibilité des preuves, qui demeure régie par le droit national, mais exige seulement que la procédure, prise dans son ensemble, garantisse un procès équitable ».

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REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20

« Si les enregistrements opérés ont constitué un procédé déloyal à l’égard de ceux dont les propos ont été insidieusement captés, ils ne doivent pas pour autant être exclus du débat et ainsi privés de toute vertu probante par la seule application d’un principe énoncé abstraitement, mais seulement s’il est avéré que la production de ces éléments a concrètement porté atteinte au droit à un procès équitable, au principe du contradictoire et aux droits de la défense de ceux auxquels ils sont opposés ». 4. Si l’on examine de près les arguments de l’arrêt, il est possible d’en distinguer plusieurs, de nature et de portée différentes, par lesquels elle valide le procédé. Ces arguments tiennent (i) à la nature des propos recueillis, portant exclusivement sur des sujets professionnels, (ii) au comportement des intéressés qui, loin de protester contre la déloyauté du procédé ou de renier leurs propos, les ont au contraire confirmés en les explicitant et en apportant des précisions complémentaires, (iii) à la possibilité qui leur est offerte de discuter ces éléments de preuve, (iv) à la nécessité de lutter contre les ententes secrètes : « dans le contexte particulier d’ententes qui présentent le plus souvent un caractère occulte, où les victimes sont généralement désarmées et confrontées à la difficulté de fournir des éléments suffisamment probants à l’appui de leur saisine pour caractériser les manœuvres elles-mêmes déloyales de partenaires économiques puissants et connaissant bien les lois du marché, comme en l’espèce, que l’utilisation de tels éléments de preuve n’est pas disproportionnée aux fins poursuivies par le droit de la régulation économique ». 5. La Cour de Paris, par cet acte de rébellion, estime donc que les règles relatives à l’admission des preuves dans le cadre de la procédure civile doivent être écartées au motif que la mission de défense de l’ordre public économique confiée à l’autorité de concurrence justifie un régime dérogatoire, plus proche de celui admis en procédure pénale. La proximité avec la procédure pénale, si elle ne va pas jusqu’à l’assimilation, est renforcée par la loi n° 2008-776 de modernisation de l’économie dite « LME » et les textes subséquents. Le législateur n’a-t-il pas souligné – non par inadvertance – la soumission des investigations du droit de la concurrence aux règles de la procédure pénale ? Or, en matière pénale, l’article 427 du Code de procédure pénale pose le principe de liberté des preuves tempéré par l’exigence d’une procédure pénale équitable et impartiale tout en restant efficace. Dans ce cadre général, la loyauté des preuves n’est pas une exigence légale et dès lors, la production par une partie d’un procédé de preuve obtenu de façon déloyale n’est pas, en soi, une cause de rejet (Lemoine P., La loyauté de la preuve à travers quelques arrêts récents de la chambre criminelle, Rapp. C. cass. 2004, p. 141). Ainsi, pour la Cour de Paris, les « ruses de

guerre » doivent être admises dans ces matières où il est fort difficile pour une victime de réunir des éléments au soutien de ses affirmations (Carbonnier J., Droit civil, Introduction, PUF, Thémis, 26e éd., 1999, n° 188, p. 363). De là à aller jusqu’à admettre que la « victime » de pratiques anticoncurrentielles soit totalement déloyale, il y a un fossé que la Cour franchit allègrement. Cette jurisprudence ne va-t-elle pas développer la tentation d’enregistrer les enquêteurs à leur insu pour contester la régularité des enquêtes ? Rappelons que l’enquêteur reste pour sa part soumis au principe de loyauté, ce qui lui interdit de se livrer à des tromperies et machinations, même pour la bonne cause. Il y a quelque chose de gênant dans cette disparité et il est probable que le sujet ne soit pas encore épuisé. V.S.

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ACTUALITÉS

PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES

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Exclusivité dans les stationsservice Des éclaircissements sont apportés sur la durée de l’exclusivité et les pratiques de prix dans les accords entre pétroliers et stations-service au regard du règlement n° 2790/1999. CJCE, 2 avr. 2009, aff. C-260/07, Pedro IV Servicios c/ Total España SA

Dans cette affaire, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) était saisie de questions préjudicielles sur l’interprétation des clauses de durée et de prix d’une série d’accords contractuels signés entre une station-service, la société Pedro IV Servicios (« Pedro IV ») et un pétrolier, Total España SA (« Total ») pour une durée de vingt ans. La station-service soutenait la nullité de ces clauses au regard des deux règlements d’exemption applicables pendant cette période, les règlements n° 1984/83 et n° 2790/1999. Selon les accords contractuels en cause, le terrain appartenait à Pedro IV qui en avait accordé un « droit de superficie » au pétrolier, à charge pour lui de construire une station-service dont Pedro IV devenait propriétaire au terme de la période de vingt ans. Un deuxième contrat concédait la jouissance de la station-service à Pedro IV. Un troisième contrat prévoyait un approvisionnement exclusif en carburants auprès de Total et la communication par le pétrolier de prix de vente recommandés, tandis que, par un quatrième contrat, Total accordait un prêt hypothécaire à Pedro IV, garantie par une hypothèque sur le terrain. 1. Sur la durée de l’exclusivité.– Aux termes de l’article 5, a) du règlement n° 2790/1999 du 22 décembre 1999 de la Commission, un accord vertical ne peut bénéficier de l’exemption que si l’exclusivité d’approvisionnement (« l’obligation de nonconcurrence ») mise à la charge du distributeur est limitée à cinq ans. Le texte prévoit une exception selon laquelle cette limitation à cinq ans ne s’applique pas lorsque les produits qui font l’objet de cette exclusivité sont vendus par l’acheteur à partir de locaux et de terrains dont le fournisseur est propriétaire ou que le fournisseur loue à des tiers non liés à l’acheteur, à condition que la durée effective ne soit pas supérieure à la période d’occupation des locaux et des terrains par l’acheteur. En cela, il est différent du texte antérieur qui prévoyait que la limitation de durée (de 10 ans) ne s’appliquait pas aux accords selon lesquels le fournisseur a donné la station-service en location au revendeur et qui autorisait donc une exclusivité d’approvisionnement dont la durée pouvait être calquée sur la période pendant laquelle le revendeur exploite la station-service (Règl. Comm. CEE n° 1984/83, 22 juin 1983, art. 12, § 1, c). Selon l’interprétation de la Cour, le règlement ancien n’exigeait pas, comme le soutenaient Pedro IV et la Commission, que le fournisseur soit propriétaire du terrain sur lequel la station-service a été construite et donnée en location. En revanche, le règlement en vigueur aujourd’hui exige, pour le bénéfice de l’exemption et la dérogation à la limitation de durée de cinq ans, que le fournisseur soit propriétaire tant de la station-service qu’il donne en location au revendeur que du terrain sur lequel celle-ci est bâtie ou, dans le cas où il n’est pas le propriétaire, qu’il loue des biens à un tiers non lié au revendeur.

Droit I Économie I Régulation

2. Sur la pratique de prix.– Quel que soit le règlement applicable, la pratique du prix de revente imposé entre le fournisseur et le revendeur exclut le bénéfice de toute exemption par catégorie et peut constituer une pratique d’entente interdite par l’article 81, paragraphe 1, CE. En revanche, la pratique du prix maximal ou du prix recommandé est expressément mentionnée comme étant licite dans le règlement n° 2790/1999, le règlement antérieur étant muet sur ce point, même s’il prévoyait expressément l’exclusion des obligations qui tendaient à limiter la liberté du revendeur de déterminer librement ses prix de vente. En l’espèce, aux termes du contrat d’approvisionnement exclusif, le prix de vente au public est recommandé par Total, sans mention d’un prix maximal. La Cour invite cependant la juridiction nationale à vérifier « les modalités de la fixation du prix de vente au public » et de « vérifier, en tenant compte de l’ensemble des obligations contractuelles prises dans leur contexte économique et juridique, ainsi que du comportement des parties au principal, si le prix de vente au public, recommandé par le fournisseur, ne constitue pas, en réalité, un prix de vente fixe ou minimal » (pt. 79; cf., en ce sens, CJCE, 11 sept. 2008, aff. C279/06, CEPSA, pts. 67 et 70, non encore publié au Recueil). Cette vérification doit être effectuée in concreto. Le revendeur doit disposer d’une « possibilité réelle » de diminuer le prix de vente recommandé et le fournisseur ne doit pas pouvoir lui imposer le respect de ce prix par des moyens indirects, tels que la fixation d’une marge de distribution, un niveau maximal de réduction, des menaces, des intimidations, des avertissements, des sanctions ou des mesures d’incitations (pt. 70). Pour autant, rappelle la Cour, même si la fixation d’un prix de vente au public est une restriction de concurrence expressément prévue à l’article 81, paragraphe 1, CE, cette pratique ne relève du champ de l’interdiction que dans la mesure où l’accord qui la met en œuvre a pour objet ou pour effet de restreindre de manière sensible la concurrence à l’intérieur du marché commun et où il est de nature à affecter le commerce entre États membres (pt. 82). S’agissant des accords d’achat exclusif, la Cour rappelle la nécessité de vérifier leurs effets sur la concurrence et « la nécessité de prendre en considération le contexte économique et juridique au sein duquel celui-ci se situe et où il peut concourir, avec d’autres, à un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence. Il convient, par conséquent, d’analyser les effets que produit un tel contrat, en combinaison avec d’autres contrats de même type, sur les possibilités, pour les concurrents nationaux ou originaires d’autres États membres, de s’implanter sur le marché de référence ou d’y agrandir leur part de marché (cf. CJCE, 28 févr. 1991, aff. C-234/89, Delimitis, pts. 13 à 15, Rec. CJCE, I, p. 935; CJCE, 7 déc. 2000, aff. C-214/99, Neste, pt. 25, Rec. CJCE, I, p. 11121 et CEPSA, préc., pt. 43) » (pt. 83). C.R. RLC

RLC

ENTENTES ILLICITES

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Exclusivité d’approvisionnement L’exclusivité d’approvisionnement par le paiement de sommes d’argent et la restriction à la distribution de produits concurrents est anticoncurrentielle. Déc. Comm. CE, 13 mai 2009, aff. COMP 37/990, Intel Corporation

En effectuant des paiements au profit de fabricants, à condition qu’ils retardent ou annulent le lancement d’ordinateurs équipés d’un microprocesseur concurrent et en leur imposant >

N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE

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RLC

C.R. 1401

Les pharmaciens d’officine ne bénéficient pas d’une exclusivité territoriale L’Autorité de la concurrence condamne l’Ordre des pharmaciens de Basse-Normandie pour avoir encouragé un établissement de soins de se fournir en médicaments auprès de pharmaciens désignés sur des critères de proximité. Aut. conc., déc. n° 09-D-17, 22 avr. 2009, Ordre des pharmaciens de BasseNormandie

1. Les pharmaciens d’officine sont soumis à un numerus clausus en vertu duquel ils ne peuvent exploiter une pharmacie que s’ils sont titulaires d’une autorisation. De telles autorisations sont délivrées de façon limitative pour une zone donnée, et en fonction de la population de la zone (en moyenne une officine pour 2 669 habitants). Il est donc certainement tentant pour un pharmacien de considérer, symétriquement, qu’il dispose d’une sorte de priorité d’exploitation sur la zone où il est installé. Mais il n’en est rien. C’est ainsi que l’Ordre des pharmaciens de Basse-Normandie a été condamné pour avoir incité un établissement de soins et de séjour (l’EHPAD) à se procurer des médicaments auprès de pharmacies choisies selon un critère de proximité et non de compétitivité. Contrairement à ce qu’il croyait, à tort, le « maillage territorial des officines de pharmacie » organisé par le Code de la santé publique (C. santé publ., art. L. 5125-1 et s.) a uniquement pour objet de garantir la desserte de la population en médicaments et non celui de garantir une clientèle à chaque pharmacie. Il n’existe donc pas de monopole territorial légal des pharmacies. 2. Ce n’est pas la première fois qu’un ordre professionnel est vu comme le support d’une entente illicite. Tel est le cas chaque fois qu’un tel organisme agit en dehors du strict cadre des missions qui lui sont confiées par les pouvoirs

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REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • N0 20

publics (Cons. conc., déc. n° 97-D-26, 22 avr. 1997, secteur du portage de médicaments à domicile). Tous les secteurs sont concernés : géomètres-experts (Cons. conc., déc. n° 02-D-14, 28 févr. 2002), avocats (Cons. conc., déc. n° 00-D-52, 15 janv. 2001 ; Cons. conc., déc. n° 03-D-03, 16 janv. 2003 ; Cons. conc., déc. n° 03-D-04, 16 janv. 2003 ; Cons. conc., déc. n° 05-D-56, 21 oct. 2005 ; Cons. conc., déc. n° 05-D-57, 21 oct. 2005), architectes (Cons. conc., déc. n° 96D-18, 26 mars 1996), médecins (Cons. conc., déc. n° 07-D-41, 28 nov. 2007), chirurgiens-dentistes (Cons. conc., déc. n° 05-D-43, 20 juill. 2005), et cela sans que l’ordre puisse s’abriter derrière sa mission de service public (cf. Nourrissat C., RLC 2008/14, n° 1023). La compétence de l’Autorité s’exerce donc sur toute « pratique susceptible d’avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel mis en œuvre par un [ordre professionnel] ». La décision d’un tel organisme « révèle nécessairement une entente, au sens de l’article L. 420-1, entre ses membres » puisque l’Ordre en représente la collectivité (cf. notamment, Cass. com., 16 mai 2000, n° 98-12.612, Bull. civ. IV, n° 100 ; Cons. conc., déc. n° 05-D-43, 20 juill. 2005, relative à des pratiques mises en œuvre par le conseil départemental du Puy-de-Dôme et le Conseil national de l’Ordre national des chirurgiens-dentistes ; CA Paris, 1re ch., sect. H, 7 mars 2006, BOCCRF 26 sept., p. 864 ; et Cass. com., 20 févr. 2007, n° 06-13.498, BOCCRF 7 juin, p. 763).

3. En l’espèce, le Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens estimait pouvoir bénéficier de l’exemption individuelle sur le fondement de l’article L. 420-4 du Code de commerce au prétendu motif, notamment, que « l’exigence de proximité du pharmacien de sa clientèle » résulterait de l’application des textes législatifs et réglementaires du Code de la santé publique. Pour l’Autorité, il y a là au contraire une atteinte à la liberté de choix du client. Véronique SÉLINSKY et Sylvie CHOLET Avocats à la Cour OBSERVATIONS • Sur cette décision, voir aussi, dans la rubrique « Concurrence et droit public », Destours S., Un Ordre anticoncurrentiel, RLC 2009/20, n° 1421.

DOMINATION RLC

des restrictions à la distribution de certains de ces produits, Intel a mis en place une entente anticoncurrentielle, condamnée par la Commission qui sanctionne également un abus de position dominante (voir infra, RLC 2009/20, n° 1402). Les preuves de l’existence de ces pratiques illégales ne figuraient pas explicitement dans les contrats Intel examinés par la Commission. Elles résultaient de toute une série d’éléments de preuve datant de l’époque des faits, comme des courriers électroniques obtenus notamment lors d’inspections sur place effectuées inopinément, de réponses à des demandes formelles de renseignements et de plusieurs déclarations officielles faites devant la Commission par les autres entreprises concernées. L’ensemble de ces éléments montrait qu’AMD, pratiquement le seul concurrent d’Intel sur le marché, était généralement perçu, par les fabricants d’ordinateurs et Intel elle-même, comme ayant amélioré sa gamme de produits, constituant un concurrent viable et présentant une menace croissante pour la concurrence. La décision constate que les pratiques d’Intel ne relevaient pas d’une concurrence fondée sur la qualité intrinsèque des produits respectifs d’Intel et d’AMD, mais plutôt d’une stratégie visant à tirer parti de la solide implantation d’Intel sur le marché à l’époque.

1402

Pratiques tarifaires abusives

Condamnation des pratiques de remises et de paiements destinées à garantir l’exclusivité de l’approvisionnement en microprocesseurs des fabricants d’ordinateurs auprès d’Intel. Déc. Comm. CE, 13 mai 2009, aff. COMP 37/990, Intel Corporation

C’est notamment pour avoir accordé des réductions de prix à des fabricants d’ordinateurs, déjà largement dépendants, que la société Intel est sanctionnée. Ce n’est pas tant le principe des réductions de prix qui est condamné que la manière dont il est structuré pour assurer à l’opérateur dominant sur le marché l’exclusivité de la totalité des approvisionnements de ses clients et les décourager radicalement de s’adresser à un concurrent, la société AMD en l’occurrence. Le communiqué de la Commission cite une tentative de cette société concurrente pour tenter de gagner un client : lui accorder un million de produits gratuits. Bien que séduisante et concurrentielle, cette offre n’a été retenue qu’à hauteur de 160 000 produits par ledit client, qui ne pouvait pas se permettre d’accepter une proposition plus élevée sans perdre la réduction que lui octroyait la société Intel.

Droit I Économie I Régulation

ACTUALITÉS

PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES

C.R.

RLC

OBSERVATIONS • Sur cette décision, voir aussi, supra, RLC 2009/20, n° 1400.

1403

Même pour riposter à des pratiques commerciales critiquables de la part de son concurrent, un opérateur dominant n’est pas autorisé à le dénigrer Profitant de son monopole, la société Gaz Électricité de Grenoble a pratiqué une stratégie de dénigrement à l’arrivée d’un nouveau concurrent sur le marché et s’est vue sanctionnée pour abus de position dominante. Aut. conc., déc. n° 09-D-14, 25 mars 2009, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fourniture de l’électricité

1. Cette affaire s’inscrit dans le cadre de l’ouverture à la concurrence du secteur de la fourniture d’électricité en France depuis le 1er juillet 2004 qui a autorisé les clients professionnels (dits « éligibles ») à se procurer de l’électricité auprès du ou des fournisseurs de leur choix à un prix déterminé par la loi du marché libre, à moins qu’ils ne préfèrent continuer à s’approvisionner auprès de leur fournisseur historique afin de bénéficier des tarifs réglementés fixés par l’État. L’exercice du droit à l’éligibilité est irréversible. 2. En 2005, la société Gaz Électricité de Grenoble (GEG) exerçait sur Grenoble à la fois le monopole de la distribution de l’électricité et l’activité nouvelle soumise à la concurrence pour laquelle elle n’avait qu’un seul concurrent, la société Poweo, qui avait lancé une campagne active de démarchage. En réaction, GEG avait diffusé par voie de presse, un message aux termes duquel, notamment, elle alertait ses clients professionnels contre l’arrivée sur le marché « de nouveaux opérateurs, pour qui le métier et l’expérience de distributeur et de fournisseur d’énergie sont récents. Certains d’entre eux ont une conception de la qualité de services très relative et n’hésitent pas à faire usage de méthodes peu scrupuleuses pour parvenir à leurs fins, souvent strictement financières ».

l’activité exercée en monopole en se prévalant de son image de prestataire de service public. De tels comportements peuvent être sanctionnés comme fautifs au titre d’une action en concurrence déloyale. Ils sont plus graves, et plus lourdement condamnés, s’ils sont mis en œuvre par une entreprise profitant de sa position dominante. En l’espèce, l’Autorité retient que l’entreprise dominante a mis à profit sa notoriété et l’ignorance dans laquelle se trouvaient les petits professionnels quant aux détails de la nouvelle réglementation. La défense de GEG, invoquant qu’elle avait réagi à des pratiques commerciales critiquables de la part des commerciaux de Poweo, n’a pas été retenue. En effet, un opérateur s’estimant victime de pratiques illicites peut et doit mettre en œuvre les voies de droit à sa disposition et non se faire justice lui-même (cf. CA Paris, 1re ch., sect. Concurrence, 3 mai 1990, Confédération nationale des syndicats dentaires; Cons. conc., avis n° 07-A-04, 5 juin 2007). Au surplus, la riposte était en l’espèce disproportionnée par rapport aux agissements dénoncés par l’opérateur historique. 5. Ces pratiques, émanant d’un opérateur historique, sont d’autant plus graves qu’elles ont eu pour effet de stopper « le processus d’ouverture qui était en cours ». Toutefois, l’observation des prix du marché libre depuis 2004 a permis à l’Autorité de la concurrence de considérer que « le surplus du consommateur n’a pas été significativement affecté par les pratiques litigieuses » ; en effet, si les prix du marché libre étaient inférieurs au tarif réglementé en 2005, cette situation s’est inversée depuis, les professionnels n’étant dès lors plus incités à exercer leur éligibilité. Estimant que « le dommage effectif à l’économie apparaît avoir été limité », l’Autorité n’a condamné l’opérateur historique qu’à une amende représentant 0,00256 % de son chiffre d’affaires. V.S. et S.C. RLC

L’abus de position dominante se manifestait également sur le marché de la revente au détail : l’enquête a révélé que le distributeur mondial Media Saturn avait bénéficié du versement de sommes d’argent pour ne présenter à la vente, dans l’ensemble de ses magasins, qu’exclusivement des ordinateurs équipés de microprocesseurs Intel.

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Position dominante et marché connexe On ne peut présumer le lien de causalité entre la domination et l’abus affirmé sur un marché connexe. Cass. com., 17 mars 2009, n° 08-14.503, P+B+R

1. Une entreprise dominante sur un marché peut se voir reprocher un abus sur un marché connexe : la règle est ancienne (CJCE, 3 juill. 1991, aff. C-62/86, Akzo, pts. 37 et 43, Rec. CJCE, I, p. 3359; CJCE, 14 nov. 1996, aff. C-333/94 P, Tetra Pak, pt. 24) et bien établie, tant en droit communautaire qu’en droit interne (Cass. com., 9 mai 2001, n° 98-22.150, Bull. civ. IV, n° 85, BOCCRF 23 juin 2001, p. 527, RTD com. 2001, p. 879, Claudel E.; affaire des « Pompes funèbres de Gonesse »).

3. GEG, en raison du caractère très récent de l’arrivée du nouveau concurrent sur le marché de la fourniture d’électricité, continuait d’être le fournisseur de la quasi-totalité des clients professionnels, sa position étant renforcée par la circonstance qu’elle restait en monopole sur les marchés connexes de la distribution d’électricité, de la fourniture d’électricité aux clients résidentiels et sur l’activité gazière. Elle détenait donc une position dominante limitée au marché géographique à la zone desservie par le réseau de distribution de Grenoble.

2. On se souvient, en l’espèce, qu’un fabricant de médicaments génériques, la société Flavelab, avait saisi le Conseil de la concurrence de pratiques émanant du laboratoire GlaxoSmithKline pour avoir vendu un antibiotique injectable (la céfuroxime, dont le brevet était tombé dans le domaine public) à des prix inférieurs à ses prix d’achat, cela dans le but de l’évincer du marché. Glaxo soutenait, pour sa part, qu’elle ne dominait nullement le marché du céfuroxime injectable, quand bien même ses parts de marché atteignaient 80 à 90 % de celui de l’aciclovir injectable.

4. GEG a mis en œuvre des pratiques de dénigrement et entretenu la confusion entre l’activité en concurrence et

3. Le Conseil de la concurrence avait condamné le laboratoire pour prix prédateurs en se fondant sur la jurisprudence Akzo >

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N0 20 • JUILLET/SEPTEMBRE 2009 • REVUE LAMY DE LA CONCURRENCE

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4. L’affirmation de l’exigence d’un lien de causalité est générale et dépasse le cas des prix prédateurs. Elle résulte de la rédaction même des articles 82 CE et L. 420-2 du Code de commerce. 5. La question de la causalité est nécessairement plus complexe lorsque la domination s’exerce sur un marché et l’abus éventuel sur un autre. Le Conseil avait lui-même souligné « que la jurisprudence, tant française que communautaire, vérifie que les pratiques constatées sur un marché donné et dénoncées comme abusives sont dans un rapport de causalité avec la domination exercée sur un marché ; que, lorsque le marché où se sont déroulées les pratiques litigieuses et le marché dominé sont distincts, cette vérification conduit, généralement, à s’assurer que ces deux marchés ont un lien de connexité objectif » (Cons. conc., déc. n° 00-D-50, 5 mars 2001, Française des jeux). Ce lien « objectif » résultait, dans le cas particulier, du seul fait que l’entreprise dominante (détentrice d’un monopole) se livrait à des transferts de ressources illicites provenant de la rente dégagée grâce à la position détenue sur le marché dominé. Dans un arrêt récent, concernant le secteur des pompes funèbres et les pratiques d’une régie municipale, la Cour d’appel de Paris a jugé que « le marché général des prestations funéraires proposées aux familles » et « les marchés particuliers des obsèques dont le corps a été transporté en chambre funéraire à la demande des établissements de soins ou de séjour (…) ont tous un lien de connexité étroit, soit parce qu’ils sont en amont ou en aval les uns des autres, soit parce qu’ils concernent des prestations similaires, à défaut d’être complètement substituables » (CA Paris, 31 mars 2009, n° RG : 2008/11353, ). Le droit communautaire s’est montré un peu plus restrictif en posant la règle selon laquelle les pratiques mises en œuvre sur un marché non dominé ne peuvent être, par principe, considérées comme constitutives d’une exploitation abusive d’un marché dominé connexe. Il n’en va autrement que si, du fait de cette connexité et de la prééminence détenue sur le marché non dominé par l’entreprise, elle peut y manifester, par rapport aux autres opérateurs qui y sont présents, une indépendance de comportement lui conférant une responsabilité particulière dans le maintien d’une concurrence effective et non faussée (CJCE, 3 juill. 1991, aff. C-62/86, Akzo, préc., pts. 35 à 45; CJCE, 14 nov. 1996, aff. C-333/94 P, Tetra Pak, préc., pts. 21 à 33, repris par Cons. conc., déc. n° 05-D28, 15 juin 2005).

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6. La Cour de cassation juge, pour sa part, qu’on ne peut pas présumer le caractère anticoncurrentiel d’une pratique lorsque le comportement désigné comme abusif est perpétré sur un marché qui n’est pas celui où l’entreprise est dominante. En pareil cas, la charge de la preuve de l’entrave à la concurrence pèse sur l’autorité de poursuite. V.S.

DÉCISIONS DES AUTORITÉS RLC

précitée. Il soulignait que cette stratégie de prix bas sur un marché plus étroit que le marché dominé – moins coûteuse car les quantités vendues sont moins importantes – permet d’envoyer un signal fort aux concurrents potentiels ou de se forger une réputation d’entreprise agressive (Cons. conc., déc. n° 07D-09, 14 mars 2007). La Cour d’appel de Paris s’était, pour sa part, montrée plus réservée, réformant la décision du Conseil dans un arrêt du 8 avril 2008 (CA Paris, 1re ch., sect. H, n° RG : 2007/07008, disponible sur le site de l’Autorité de la concurrence, ) contre lequel le ministre chargé de l’Économie avait formé un pourvoi. À son tour, la Cour de cassation désapprouve la position de l’autorité de concurrence : « Les articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du Traité CE présupposent l’existence d’un lien entre la position dominante et le comportement prétendument abusif qui n’est normalement pas présent lorsqu’une pratique abusive est mise en œuvre sur un marché distinct du marché dominé; que ces dispositions peuvent cependant trouver application notamment lorsque l’autorité de concurrence démontre l’existence de circonstances particulières ».

1405

(In)compatibilité entre engagements et mesures conservatoires L’Autorité de la concurrence se réserve le choix d’accepter une procédure d’engagements ou de prendre des mesures conservatoires dans la résolution des litiges concurrentiels. Aut. conc., déc. n° 09-MC-01, 8 avr. 2009, affaire relative aux pratiques d’EDF visant à favoriser les activités concurrentielles de sa filiale de production d’électricité photovoltaïque

1. L’Autorité de la concurrence encourage vivement le recours aux procédures négociées. La procédure d’engagements, notamment, prévue par le point I de l’article L. 464-2 du Code de commerce, permet aux entreprises d’élaborer des solutions répondant aux préoccupations de concurrence de l’Autorité et qui, si elles sont acceptées, mettent fin à la procédure sans constat d’infraction (Aut. conc., Communiqué de procédure, 2 mars 2009, relatif aux engagements en matière de concurrence). Ce dispositif s’inspire, assez librement, du droit communautaire où une procédure comparable quant à ses objectifs existe selon des règles procédurales assez différentes (Vialfond A., Le droit de la concurrence et les procédures négociées, RID éco. 2007, p. 157). Toutefois, lorsque la procédure d’engagements se combine en France avec une procédure de mesures conservatoires, des difficultés peuvent surgir, comme en témoigne la présente décision. 2. La société Solaire Direct avait dénoncé les pratiques mises en œuvre par le groupe Électricité de France (« EDF ») et ses filiales EDF Énergies Nouvelles (« EDF EN »), EDF Énergies Nouvelles Réparties (« EDF ENR »), sur les marchés de la production, de la distribution et de la fourniture d’électricité, pour pénétrer le marché émergent de l’offre globale de services destinés à la production d’électricité photovoltaïque. Elle demandait des mesures conservatoires. Au cours de la séance devant le Conseil de la concurrence, EDF SA et EDF ENR ont exprimé le souhait de se soumettre à la procédure d’engagements. Leur offre a été présentée un mois plus tard. Toutefois, à l’issue d’une nouvelle séance organisée deux mois plus tard, l’Autorité de la concurrence a décidé, sur proposition des services d’instruction, d’abandonner la procédure d’engagements et de prendre des mesures conservatoires, plus restrictives, dans l’attente d’une procédure au fond. L’Autorité estimait, en effet, que les engagements proposés n’étaient pas de nature à mettre fin aux préoccupations de concurrence en ce qu’ils (i) ne supprimaient pas la confusion entretenue entre les activités réglementées d’EDF et les activités concurrentielles de ses filiales, (ii) n’empêcheraient pas ces filiales de proposer des offres sur le marché concurrentiel du secteur

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ACTUALITÉS

PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES

photovoltaïque en bénéficiant d’un accès à des données non reproductibles par ses concurrents. Telle était, du moins, l’opinion émise en séance par « les témoins entendus sur le fondement des dispositions de l’article L. 463-7 du Code de commerce et la saisissante ». 3. Dans ses communiqués de procédure successifs relatifs aux engagements, l’Autorité donne des indications sur les éléments qui rapprochent la procédure de mesures conservatoires et celle aboutissant à des engagements : dans les deux cas, un examen préliminaire de la situation concurrentielle doit être établi, le degré de caractérisation des préoccupations de concurrence auxquelles les engagements doivent répondre est le même que celui des mesures conservatoires. Toutefois, « le Conseil n’est jamais tenu de décider de rendre obligatoires des engagements plutôt que d’agir par voie de sanction ou d’injonction à l’encontre des entreprises ». En d’autres termes, le choix lui appartient. 4. Il est déjà arrivé que le Conseil refuse des engagements proposés après la formulation d’une demande de mesures conservatoires (cf. Cons. conc., déc. n° 07-MC-03, 7 juin 2007). Ce qui est particulier, en l’espèce, c’est que le refus fait suite à une première acceptation de mettre en œuvre la procédure d’engagements. Cela signifie que les entreprises mises en cause sont allées très loin dans la négociation avec le collège. Elles ont nécessairement dévoilé des éléments importants de leur stratégie commerciale et peuvent avoir l’impression d’un marché de dupes. En effet, EDF avait fait une nouvelle proposition d’engagements, rejetée au motif qu’une nouvelle prolongation de délais ne pouvait être accordée à EDF sans remettre en cause la réalisation de l’un des objectifs poursuivis par la procédure d’engagements, qui est « d’accélérer la résolution des affaires ». La question que ne manque pas de se poser le lecteur de la décision est celle de savoir s’il n’aurait pas été possible de s’apercevoir plus tôt de « l’inadéquation des engagements proposés par rapport aux préoccupations de concurrence exprimées ». À moins qu’il n’y ait eu de la part d’EDF et de ses filiales une volonté délibérée de ne pas jouer le jeu. Si les engagements s’inscrivent dans une « évolution caractérisée par le décloisonnement des rôles respectifs des acteurs » (Xueref C., in Le développement en Europe des solutions négociées : engagements, clémence, non-contestation des griefs?, p. 54), encore faut-il que les différents acteurs connaissent bien les rôles de chacun.

industriels en cuivre. Les recours portaient essentiellement sur le calcul des amendes et la prise en compte de la coopération des entreprises. La requérante faisait notamment valoir que la Commission avait exagéré la taille du marché des tubes industriels et, partant, la gravité de l’infraction, ce qui aurait donné lieu à une amende excessive à son encontre. Elle soutenait, entre autres arguments, que le prix du cuivre ne devait pas être pris en considération pour évaluer le marché dans la mesure où il échappe au contrôle des fabricants de tubes industriels, où ce sont les acheteurs de tubes industriels qui décident eux-mêmes à quel prix le métal est acquis, où l’infraction portait uniquement sur la marge de transformation (30 à 40 % du prix final) et où elle n’avait agi en tant qu’intermédiaire. Selon elle, la Commission aurait donc dû calculer le chiffre d’affaires du marché de la même façon qu’elle calcule celui des intermédiaires dans le contexte du contrôle des opérations de concentration et tenir compte de la fraction du prix que l’infraction en cause avait affectée, c’est-àdire la marge de transformation. Le Tribunal accepte de vérifier si c’est à tort que la Commission a pris en compte le prix du cuivre et conclut par la négative en constatant qu’« aucune raison valable n’impose que le chiffre d’affaires d’un marché pertinent soit calculé en excluant certains coûts de production. Ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, il existe dans tous les secteurs industriels des coûts inhérents au produit final que le fabricant ne peut maîtriser, mais qui constituent néanmoins un élément essentiel de l’ensemble de ses activités et qui, partant, ne sauraient été exclus de son chiffre d’affaires lors de la fixation du montant de départ de l’amende (cf., en ce sens, TPICE, 15 mars 2000, aff. jtes. T25/95, T-26/95, T-30/95 à T-32/95, T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T-50/95 à T-65/95, T-68/95 à T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T-104/95, Cimenteries CBR e.a. c/ Commission, pts. 5030 et 5031, Rec. CJCE, II, p. 491). Le fait que le prix du

cuivre constitue une partie importante du prix final des tubes industriels ou que le risque de fluctuations des prix du cuivre soit bien plus élevé que pour d’autres matières premières n’infirme pas cette conclusion » (pt. 69). La requérante critiquait par ailleurs le calcul de l’amende prononcée à son encontre par rapport aux autres contrevenantes en ce qui concerne tant la taille des entreprises que la durée de l’infraction, ainsi que le degré de leur coopération avec la Commission. Ces tentatives restent vaines, le Tribunal valide l’ensemble de l’analyse de cette dernière. C.R.

V.S.

RLC

OBSERVATIONS • Sur la compétence de l’Autorité de la concurrence, voir aussi, RLC 2009/20, n° 1421.

1406

Calcul des amendes et récidive La Commission a fait une exacte application du principe de la légalité des peines. TPICE, 6 mai 2009, aff. T-116/04, Wieland-Werke AG c/ Commission

Le Tribunal de première instance des Communautés européennes (TPICE) confirme la décision de la Commission du 16 décembre 2003 de sanctionner à hauteur de 78,73 millions d’euros, six entreprises ayant constitué un cartel de répartition de marché et de fixation de prix sur le marché des tubes

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RLC

Global Competition Law Centre, consultable sur le site 1407

Détermination du montant des amendes et ententes Le Tribunal respecte le principe d’égalité de traitement, notamment dans la détermination du montant des amendes infligées aux divers participants à une entente. TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-12/03, Itochu Corp. c/ Commission ; TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo Co., Ltd, Nintendo of Europe GmbH c/ Commission

Le Tribunal de première instance des Communautés européennes (TPICE) réduit l’amende infligée par la Commission à la société japonaise Nintendo et sa filiale européenne, d’une part en considérant qu’elles auraient dû bénéficier, au titre de leur coopération, d’un taux de réduction identique >

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à celui appliqué à leur distributeur exclusif au Royaume-Uni et en Irlande, et, d’autre part, qu’elles avaient versé des compensations financières à hauteur de 300 000 euros aux tiers lésés par l’entente litigieuse (Nintendo). En revanche, la décision rendue à l’encontre du distributeur japonais, la société Itochu, pour les infractions commises par sa filiale grecque en qualité de distributeur des produits Nintendo en Grèce, est rejetée. Le Tribunal considère que la société mère n’a pas réussi à renverser la présomption selon laquelle la détention à 100 % de sa filiale lui permettait d’exercer une influence déterminante sur le comportement de celle-ci. Le Tribunal approuve par ailleurs l’analyse de la Commission quant au traitement différencié des entreprises pour tenir compte de leur taille et de leurs ressources globales respectives et pour garantir un effet dissuasif aux amendes. Il adhère également au raisonnement de la Commission qui a refusé à la requérante le bénéfice de la circonstance atténuante tenant à son rôle passif dans l’entente. Il relève en effet qu’en signant l’accord de distribution avec la société Nintendo, la société Itochu avait formellement marqué son accord à la limitation du commerce parallèle et que, si comme elle le soutenait, elle aurait été contrainte de le signer compte tenu de sa forte dépendance économique, elle aurait pu dénoncer cette pression aux autorités compétentes (Itochu, pts. 126 à 150). C.R.

RLC

IMPUTABILITÉ 1408

Feu principe de dissociation? Finalement, Eurocontrol n’est pas une entreprise au sens du droit de la concurrence. Aucune de ses activités n’est en effet dissociable de sa mission de gestion de l’espace aérien et de développement de la sécurité aérienne. Faut-il y voir une appréciation restrictive du principe de dissociation ou une remise en cause de celui-ci ? CJCE, 26 mars 2009, aff. C-113/07 P, Selex Sistemi Integrati SpA

Dans son arrêt du 26 mars 2009, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) rejette le recours intenté par Selex Sistemi Integrati SpA contre l’arrêt du Tribunal de première instance (TPICE) du 12 décembre 2006 (TPICE, 12 déc. 2006, aff. T-155/04, Selex Sistemi Integrati SpA; sur cette décision, cf. Arcelin L., Être ou (et?) ne pas être une entreprise. C’est la question…, RLC 2007/11, n° 745, note Arcelin-Lécuyer L.),

sans pour autant valider l’ensemble du raisonnement du Tribunal. L’organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne (Eurocontrol) s’était vu reprocher un abus de position dominante de la part de Selex. La Commission, puis le TPICE, avaient écarté l’incrimination dans la mesure où soit Eurocontrol ne pouvait être qualifiée d’entreprise au sens du droit de la concurrence, prémisse à l’application de l’article 82 du Traité, soit elle n’avait pas abusé de sa position dominante. Dans cette dernière hypothèse, le Tribunal avait en effet jugé que parmi les activités d’Eurocontrol, seule celle d’assistance aux administrations nationales pouvait être considérée comme une activité économique d’entreprise en raison de sa

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relation indirecte avec sa mission générale de garantie de la sécurité de la navigation aérienne. Étant détachable de cette mission, le TPICE, appliquant ensuite un raisonnement analogique bien connu, considéra qu’il existait un marché des conseils sur lequel Eurocontrol agit en tant qu’offreur de services et sur lequel des entreprises spécialisées en la matière pourraient œuvrer. Or, « le fait qu’une activité peut être exercée par une entreprise privée constitue un indice supplémentaire permettant de qualifier l’activité en cause d’activité d’entreprise ». Toutefois, aucun abus n’avait été commis. La CJCE censure cette analyse en estimant, au contraire, que l’activité d’assistance aux administrations nationales n’était pas dissociable de la mission de gestion de l’espace aérien et de développement de la sécurité aérienne d’Eurocontrol. Ainsi, c’est à tort que le TPICE a jugé que « la relation entre ladite activité d’assistance et la sécurité de la navigation aérienne était indirecte, motif pris de ce que l’assistance offerte par Eurocontrol ne couvrait que les spécifications techniques lors de la mise en œuvre de procédures d’appel d’offres et ne se répercutait donc sur la sécurité de la navigation aérienne que par le biais de ces procédures ». Il en va de même de l’activité de préparation ou d’élaboration des normes techniques par Eurocontrol qui, contrairement à ce qu’avait retenu le TPICE, ne peut être dissociée de sa mission de gestion de l’espace aérien et de développement de la sécurité aérienne. La Cour se réfère à l’arrêt SAT Fluggesellschaft, dans lequel elle a considéré que « prises dans leur ensemble [nous soulignons], les activités d’Eurocontrol, par leur nature, par leur objet et par les règles auxquelles elles sont soumises, se rattachent à l’exercice de prérogatives, relatives au contrôle et à la police de l’espace aérien, qui sont typiquement des prérogatives de puissance publique et qu’elles ne présentent pas un caractère économique. En conséquence, la Cour a dit pour droit que les articles 86 et 90 du Traité (devenus articles 82 CE et 86 CE) doivent être interprétés en ce sens qu’une organisation internationale comme Eurocontrol ne constitue pas une entreprise au sens de ces articles » (CJCE, 19 janv. 1994, aff. C-364/92, SAT Fluggesellschaft, Rec. CJCE, I, p. 43). Faut-il en déduire que le principe de dissociation (cf. CJCE, 16 mars 2004, aff. C-264/01, C-306/01, C-354/01 et C-355/01, AOK-Bundesverband, pts. 58 et s., Rec. CJCE, I, p. 2493) ne joue plus ? La formule « prises dans leur ensemble » semblerait plutôt militer en faveur d’une appréciation globale des activités de l’entité et d’une application du principe « accessorium sequitur principal ». Sans aller jusqu’à une remise en cause pure et simple du principe de dissociation, la Cour exige une séparation nette entre les activités de l’entité afin de leur faire suivre un régime différent. Il convient donc de s’assurer de l’intensité des liens entre les activités pour vérifier si la relation est directe, commandant alors une approche globale, ou bien indirecte, autorisant une dissociation de celles-ci. D’un point de vue procédural, si le TPICE a commis des erreurs de droit dans la qualification des activités d’Eurocontrol, le recours n’aboutit pas pour autant. La Cour rappelle en effet que « si les motifs d’un arrêt du Tribunal révèlent une violation du droit communautaire, mais que son dispositif apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, le pourvoi doit être rejeté ». Le dispositif de l’arrêt étant fondé sur d’autres motifs de droit, celui-ci n’est donc pas annulé. Linda ARCELIN-LÉCUYER OBSERVATIONS • Sur cette décision, voir aussi, dans cette revue, Eurocontrol hors contrôle, RLC 2009/20, n° 1423, obs. S. D.

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ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE

TRANSPARENCE ET PRATIQUES RESTRICTIVES Sous la responsabilité de Martine BÉHAR-TOUCHAIS, Professeur à l’Université René Descartes (Paris V), Directeur du Centre de Droit des affaires et de gestion (CEDAG)

es premières applications jurisprudentielles de la LME dans le domaine des pratiques restrictives de concurrence se font attendre. Alors que le premier anniversaire de la LME est proche, on mesure ainsi que le temps du droit est loin d’être celui de l’économie. Les entreprises ne savent pas plus (ou à peine plus) qu’il y a un an, ce que sera pour les juges « le déséquilibre significatif » de l’article L. 442-6-I-2° du Code de commerce. Il leur reste tout de même les précieuses indications de la CEPC, les avis de l’Autorité de la concurrence sur les accords dérogatoires en matière de délais de paiement. Par ailleurs, aujourd’hui comme auparavant, la jurisprudence reste abondante en matière de rupture brutale des relations commerciales établies. Martine BÉHAR-TOUCHAIS

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La Commission d’examen des pratiques commerciales

Par JeanChristophe GRALL MG Avocats – Grall & Associés

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La CEPC est aujourd’hui devenue un véritable outil au service des professionnels ; ses avis rendus depuis le mois de décembre 2008 le démontrent clairement ; réponses précises et réactivité ; tel semble être devenu son credo sous l’impulsion de son nouveau président ! S’agissant des relations industrie/commerce, ce sont ainsi des dizaines de réponses qui ont été apportées aux professionnels. 1409

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Ord. n° 2008-1161, 13 nov. 2008, JO 14 nov.

orte d’un nouveau président très médiatique à sa tête depuis la fin du mois d’octobre 2008 (Jean-Paul Charié a été désigné président par décret du 22 octobre 2008 [JO 23 oct.] en remplacement de Pierre Leclercq), la Commission d’examen des

pratiques commerciales (CEPC) a bouleversé son organisation et s’est donnée comme objectif d’être « efficace, réactive et lisible » (Rapp. CEPC, 2008-2009, < www.pratiques-commerciales.minefi.gouv.fr/>). Désormais, la Commission se réunit tous les quinze jours pour formuler des avis ou des recommandations sur les questions concernant les relations entre producteurs, fournisseurs et revendeurs qui lui sont soumises. Les nombreux avis rendus depuis l’arrivée du parlementaire Jean-Paul Charié (la CEPC a déjà rendu sept avis depuis sa réorganisation) témoignent de cette nouvelle dynamique. Pour ce dernier « la CEPC, saisie par de plus en plus d’acteurs, relayée par les investigations de la DGCCRF et suivie par les tribunaux dotés de nouveaux moyens, va nous permettre de retrouver la libre mais loyale concurrence à dimension humaine » (CEPC, avis, 22 déc. 2008).

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Cet article s’attachera à présenter cette nouvelle CEPC (I), avant de procéder à l’analyse des avis rendus depuis le mois de décembre 2008 par cette dernière, principalement sur l’application de la loi de modernisation de l’économie (ci-après dénommée « LME ») du 4 août 2008 (L. n° 2008-776, 4 août 2008, JO 5 août ; II).

I. – PRÉSENTATION DE LA CEPC A. – Carte d’identité de la CEPC La Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) a été créée par l’article 51 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, codifié sous l’article L. 440-1 du Code de commerce. Son organisation, ses moyens et ses modalités de fonctionnement ont été fixés par décret n° 2001-1370 du 31 décembre 2001 (modifié par D. n° 2009-559, 19 mai 2009, JO 21 mai. Les dispositions de ce décret ont été codifiées sous les articles D. 440-1 et suivants du Code de commerce). La CEPC n’est ni une instance de médiation (Rapp. CEPC 20082009), ni une juridiction (CEPC, avis, 22 déc. 2008). C’est une ins- >

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LA COMMISSION D’EXAMEN DES PRATIQUES COMMERCIALES

tance consultative placée auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, chargée de veiller à l’équilibre entre producteurs, fournisseurs et revendeurs. Jean-Paul Charié a d’ailleurs rappelé dans le dernier rapport d’activité de la CEPC ce souci d’équilibre. Les dispositions relatives à la CEPC ont été récemment modifiées par la LME et par l’ordonnance du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régularisation de la concurrence (Ord. n° 2008-1161, 13 nov. 2008, JO 14 nov.). Ces modifications, exposées ci-après, concernent tant la composition de la CEPC que ses missions. B. – La composition de la CEPC La composition de la CEPC a été récemment modifiée par le décret n° 2009-559 du 19 mai dernier. Désormais, elle est composée d’un député (Jean-Paul Charié, député du Loiret et actuel président), d’un sénateur (Alain Fouché, sénateur de la Vienne) ainsi que de 22 membres titulaires et 14 membres suppléants. Ces membres titulaires sont répartis de la manière suivante : – trois membres issus des juridictions de l’ordre administratif ou judiciaire ; – sept représentants des secteurs de la production et de la transformation agricole et halieutique ainsi qu’industrielle et artisanale et des transformateurs ; – sept représentants des grossistes et distributeurs ; – deux personnalités qualifiées en matière de problème relatif aux relations industrie-commerce ; – trois représentants de l’administration. L’une des modifications apportées par la LME concerne le statut du président. À l’origine, ce dernier devait être obligatoirement un magistrat de l’ordre administratif ou judiciaire. Cette condition n’a plus lieu de s’appliquer. Le président est maintenant désigné par décret parmi ses membres. C’est ainsi que l’actuel président de la CEPC, Jean-Paul Charié, est député du Loiret et ancien rapporteur général de la LME. C. – L’activité de la CEPC Les missions de la CEPC sont multiples : – donner des avis sur les questions, les documents commerciaux ou publicitaires et les pratiques concernant les relations commerciales entre producteurs, fournisseurs, revendeurs, qui lui sont soumis ; – émettre des recommandations d’ordre général sur les questions portant notamment sur le développement des bonnes pratiques commerciales ; – exercer un rôle d’observatoire régulier de ces pratiques : à ce titre, elle établit chaque année un rapport d’activité, qu’elle transmet au Gouvernement et aux assemblées parlementaires. Ce rapport est rendu public. Depuis la création de la CEPC, six rapports d’activité ont ainsi été publiés. La CEPC peut désormais être consultée pour avis par les juridictions spécialisées en matière de pratiques restrictives de concurrence sur les pratiques relevant de sa compétence. D. – Le fonctionnement de la CEPC La Commission peut être saisie par le ministre de l’Économie, le ministre chargé du secteur économique concerné, le président de l’Autorité de la concurrence, les entreprises, les organisations professionnelles ou syndicales,

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les associations des consommateurs agréées et les chambres de commerce, des métiers ou d’agriculture. La CEPC peut également s’autosaisir. En revanche, les saisines anonymes, directes ou par l’intermédiaire d’un avocat, ne sont pas recevables. Les recommandations et les avis peuvent être publiés avec l’accord de l’auteur de la demande. Depuis la réorganisation de la CEPC, seul un avis n’a pas été publié (CEPC, avis n° 09-02 sur la légalité d’une convention unique proposée par un groupe de distribution bien connu à ses fournisseurs).

II. – BRÈVE ANALYSE DES AVIS DE LA CEPC DEPUIS LE MOIS DE DÉCEMBRE 2008 Nous aborderons ici les avis des 19 et 22 décembre 2008 et du 5 mars 2009. A. – La négociation commerciale La CEPC s’est attachée à définir de manière très pédagogique le nouveau cadre de la négociation commerciale issue de la LME. 1) Les conditions générales de vente S’agissant des CGV, la CEPC considère que le socle de la négociation commerciale est bien constitué par les CGV du fournisseur : 1. Les conditions générales de vente du fournisseur ne sauraient être globalement remises en cause par des conditions d’achat souvent qualifiées à tort de générales. 2. Dans ces conditions, dénoncer les conditions générales de vente du fournisseur avant même que s’engagent les négociations n’est tout d’abord pas conforme à l’esprit de la loi. 3. S’il est dans la nature même de la mise en place d’un partenariat commercial que les dispositions des CGV du fournisseur puissent faire l’objet de négociations, les CGV constituent un document de référence particulièrement probant pour appréhender toute exigence formulée par l’un des cocontractants susceptible de relever de la notion de « déséquilibre significatif » au sens de l’article L. 442-6-I-2°. 4. Les CGV constituent le socle de la négociation et font l’objet d’une négociation entre les parties. Les cocontractants peuvent donc légalement décider, d’un commun accord, d’écarter pour partie les conditions du fournisseur, sous réserve de ne pas créer un déséquilibre significatif au sens de l’article L. 442-6 du Code de commerce. Le principe clairement rappelé par la CEPC est simple : les CGV du fournisseur demeurent le socle de la négociation commerciale et la dénonciation des CGV ab initio avant même que ne s’engage la moindre négociation commerciale n’est pas conforme à l’esprit de la loi. Nier l’existence de ce socle de la négociation commerciale revient à s’inscrire en violation des dispositions visées sous l’article L. 441-6 du Code de commerce. 2) Les conditions catégorielles de vente S’agissant des conditions catégorielles de vente, la CEPC considère que : 1. « Les CGV catégorielles répondent au souhait de certains fournisseurs de définir par avance plusieurs socles

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de négociation selon le type de partenaires. Ces fournisseurs sont désormais responsables de la définition des catégories mais naturellement ces catégories doivent répondre à des critères objectifs qui permettent de viser tous les opérateurs répondant à ces critères. Une catégorie ne saurait être conçue pour un opérateur en particulier. 2. La notion de CGV catégorielles emporte une conséquence en matière de communication : celles-ci font l’objet d’une communication vis-à-vis des seuls clients relevant de la catégorie concernée ». La réalité des conditions catégorielles et leur légitimité ne sont plus à démontrer aujourd’hui. La CEPC va même jusqu’à reconnaître le caractère légal d’une structure tarifaire qui identifierait une catégorie de clientèle qui se résumerait à un seul client. 3) Les conditions particulières de vente S’agissant des conditions particulières de vente ou « CPV », la CEPC considère que : 1. Les conditions particulières de vente viennent, au cours de la négociation, s’ajouter aux conditions générales de vente du fournisseur. Imposer des CPV à son fournisseur peut s’apparenter à un abus prévu dans l’article L. 442-6I-4° : « Obtenir ou tenter d’obtenir, sous la menace d’une rupture brutale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou services ne relevant pas des obligations d’achat-vente ». Nous constatons une quasi-absence d’avis prononcé sur le point particulier des CPV ; c’est en effet davantage au travers du « déséquilibre significatif » que la CEPC s’est exprimée. Il est important de noter que la CEPC insiste une fois encore sur le fait que les CPV viennent s’ajouter au CGV, ces CPV ne devant pas se substituer purement et simplement aux CGV du fournisseur. B. – Les autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur 1) Les anciens services distincts S’agissant des anciens services distincts, la CEPC considère que : Le législateur a adapté la définition de la coopération commerciale pour y intégrer certains services rendus par les grossistes et les distributeurs s’adressant aux professionnels. Dès lors, ces services seront facturés par ce type de distributeurs en tant que services de coopération commerciale. Les obligations du distributeur qui ne répondent pas à cette nouvelle définition de la coopération commerciale relèvent des 1° et 3° et « concourent à la détermination du prix convenu » que le fournisseur facturera au revendeur. Dès lors, les obligations du 1° et du 3° étant déjà prises en compte, elles ne peuvent pas donner lieu à une facture du distributeur. Une instruction de l’administration fiscale publiée au Bulletin officiel des impôts du 18 novembre 2008 assure la sécurité juridique à cet égard. 2) La coopération commerciale S’agissant de la coopération commerciale, la CEPC considère que :

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La LME n’a pas supprimé la possibilité de négociation de services de coopération commerciale. Conformément aux dispositions de l’article L. 441-3 du Code de commerce (qui n’ont pas été affectées par la LME), la rémunération de ces services (portant sur des services détachables de l’opération achat-vente) doit faire l’objet d’une facturation spécifique émanant du distributeur. Par ailleurs, sur le plan fiscal, l’article 266 du Code général des impôts dispose que : « la base d’imposition à la TVA est constituée par (…) les prestations de services, par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par (…) le prestataire en contrepartie de la (…) prestation. Le distributeur s’exposerait donc à un rappel de TVA pour ne pas avoir facturé sa prestation et le fournisseur pour avoir minoré indûment sa base d’imposition. Si l’administration fiscale vient tirer certaines conclusions de la LME sur les obligations du distributeur qui concourent à la détermination du prix des marchandises qu’il achète, elle rappelle bien que “les services dits de coopération commerciale (...) ne sont pas concernés par cette évolution” » (Instr. 18 nov. 2008, BOI 3 E- 2-08). 3) La convention cadre ou unique annuelle S’agissant de la convention cadre ou unique annuelle, la CEPC considère notamment que : 1. Le texte vise le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services, ce qui exclut les produits (ou services) destinés à être transformés par ces derniers. S’agissant du « prestataire de services », le texte s’entend comme visant les prestations de services au titre de la coopération commerciale ou les autres obligations, rendues directement ou indirectement par le distributeur. 2. En dehors des produits ou services soumis à un cycle de commercialisation particulier, la convention est bien annuelle. Elle doit être conclue avant le 1er mars pour l’année en cours. Une tolérance est bien entendu envisagée dans le cas où la relation commerciale est établie en cours d’année. Dans ce cas, il convient de signer la convention dans les deux mois suivant le début de la période de commercialisation des produits ou services. 3. Le contrat peut faire l’objet d’avenants en cours d’année, dès lors que l’équilibre commercial est préservé. Cette possibilité – qui n’est pas une renégociation totale du contrat – permet de tenir compte de la vie des affaires et de la réalité commerciale. 4. Les dispositions prévoyant l’obligation de conclure la convention unique étant pénalement sanctionnées, il convient de faire application des principes généraux relatifs à l’application de la loi pénale française dans l’espace, visés aux articles 113-1 et suivants du Code pénal. La loi pénale française s’applique aux infractions dont un des éléments constitutifs a été commis sur le territoire français. S’agissant des contrats et services visés à l’article L. 441-7, il convient de considérer que tout contrat qui a un effet sur la revente de produits ou la fourniture de services en France entre dans les dispositions de l’article. 4) Nos conclusions Les services distincts ont principalement été rapatriés dans la catégorie des autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre un fournisseur >

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LA COMMISSION D’EXAMEN DES PRATIQUES COMMERCIALES

et un distributeur. Dans la plupart des cas, ces anciens services distincts relèvent par conséquent des réductions de prix, ce qui ne peut que surprendre aujourd’hui encore les fiscalistes. Attention à la formalisation de la convention annuelle, qu’il s’agisse d’un contrat unique ou d’un contrat-cadre, dès lors que l’absence de formalisation de cette convention ou bien son incomplétude est sanctionnée par une peine d’amende pouvant atteindre 75 000 euros pour la personne physique et le quintuple pour la personne morale. La convention prévue par l’article L. 441-7-I possède effectivement un caractère annuel, sauf si nous sommes en présence de produits soumis à un cycle de commercialisation particulier (on peut penser à des produits destinés au traitement de végétaux, par exemple), auquel cas, la convention peut être signée dans les deux mois suivant le début de la période de commercialisation des produits en cause. Il est tout à fait possible de procéder par voie d’avenant à la modification de la convention annuelle, sans naturellement tomber dans une rétroactivité des avantages commerciaux consentis par le fournisseur et sans aller vers une renégociation globale de l’accord annuel, avec pour objectif de remettre en cause son équilibre économique. Tout contrat qui a un effet sur la revente des produits en France est visé par l’article L. 441-7-I du Code de commerce, peu important que le fournisseur soit à cet égard situé à l’étranger ou que la centrale d’achat ou de référencement le soit. Quant au champ d’application du plan d’affaires annuel, cette convention est nécessaire, dès lors que les produits sont destinés à être revendus en l’état, mais pas lorsqu’ils sont destinés à être transformés ou intégrés à d’autres produits ou à des prestations de services, le « prestataire de services » est d’ailleurs clairement entendu par le texte de l’article L. 441-7-I comme étant celui qui rend un service de coopération commerciale ou un ancien service distinct. C. – Les limites à la libre négociation des tarifs/ les abus La CEPC considère notamment que la notion nouvelle de déséquilibre significatif entre droits et obligations des parties a vocation à appréhender toute situation, qu’elle comporte ou non des pratiques décrites par un autre alinéa de l’article L. 442-6 du Code de commerce. Elle pourra être appréciée au regard des effets de l’application de la convention sur les parties. La caractérisation de la pratique consistant à soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif ne requiert pas d’établir au préalable que son auteur détienne une puissance d’achat ou de vente, et est donc facilitée par rapport aux dispositions antérieures. La libéralisation de la négociation commerciale, suite à la suppression de la discrimination abusive dans le droit français, ne doit pas avoir pour conséquence que ce soit désormais la « loi de la jungle » qui prévale ! D. – La réforme des délais de paiement Quelles sont les grandes lignes de force qui animent les réponses apportées par la CEPC ?

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■ Point de départ du délai de 45 jours fin de mois, soit la date d’émission de la facture, soit la date de la fin du mois civil au cours duquel a été émise la facture en cause. ■ Une compensation est-elle possible du fait de la réduction des délais de paiement ? La loi n’interdit pas une telle compensation, même si ce n’est pas l’esprit de la loi.

Le non-respect des nouveaux délais de paiement estil sanctionné pénalement ? La réponse est négative, aucune sanction pénale n’étant prévue par l’article L. 441-6 en cas de non-respect des délais de paiement de 60 jours, date de facture ou de 45 jours fin de mois. Seule une sanction civile existe par application des dispositions visées sous l’article L. 442-6-I-7°.



La signature d’un accord dérogatoire prévu par l’article 21-3 de la LME permet-il de ne pas appliquer les nouveaux délais de paiement ? La réponse est positive dès lors que l’accord a été conclu avant le 1 er mars 2009 et que cet accord a été communiqué au service du ministre de l’Économie, étant ici précisé que de très nombreux avis ont été prononcés par le Conseil de la concurrence, puis par l’Autorité de la concurrence depuis le 1 er janvier dernier et que pas moins d’une douzaine de décrets ont d’ores et déjà été publiés, contribuant ainsi à accroître la sécurité juridique des opérateurs économiques, qui connaissent les délais conventionnels désormais applicables, sans pour autant que ne subsistent certaines zones d’ombre quant au champ d’application de ces accords interprofessionnels.



◆◆◆ Trois autres avis ont été rendus par la CEPC : Le premier avis ( CEPC, avis n° 09-04, 5 mars 2009) concerne certaines pratiques de vente mises en œuvre dans le secteur des manuels scolaires par un négociant-grossiste commercialisant des manuels scolaires, en offrant gratuitement l’utilisation d’un logiciel ; le second (CEPC, avis n° 09-03, 5 mars 2009) concerne l’industrie cimentière et la validation d’une charte de bonne pratique en matière de délais de paiement ; le troisième ( CEPC, avis n° 09-01, 5 févr. 2009) concerne les aspects logistiques de la « supply chain » au vu d’une recommandation négociée au sein d’ECR France par les représentants de la distribution et de l’industrie. ◆◆◆ Nous avons pu constater le dynamisme de la CEPC en parcourant les différents avis rendus depuis le mois de décembre dernier. Son président souhaite poursuivre dans ce sens et propose pour cela de respecter les trois axes suivants : – le maintien du consensus ; – le souci de l’équilibre entre les parties ; – la réactivité, afin de rendre rapidement les avis, le délai entre la saisine et la publication des avis ne devant pas dépasser un mois. Nous pouvons lui faire confiance ! ◆

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PRATIQUES RESTRICTIVES – RÈGLES DE FOND 1410

Autonomie de l’action de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence du ministre La Cour de cassation persiste et conforte son analyse à propos de l’action du ministre fondée sur l’article L. 442-6-III du Code de commerce. Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-15.264, D

Extraits de l’arrêt : « Attendu que l’arrêt retient que le décret n° 87-163 du 12 mars 1987, qui n’a pas été abrogé et est toujours applicable, autorise le ministre de l’Économie à déléguer sa signature dans le cadre de l’ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, que cette ordonnance a été codifiée et que son article 36 est devenu l’article L. 442-6 du Code de commerce, que la loi NRE du 15 mai 2001, si elle a modifié l’article L. 442-6 du Code de commerce et donné de nouvelles définitions de faits illicites ou des demandes nouvelles fondées sur ces faits, n’a pas conféré au ministre de l’Économie un pouvoir nouveau, et que par arrêté ministériel du 25 juillet 2005, pris en application du décret n° 87-163 du 12 mars 1987, Mme X... a reçu du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, délégation permanente à l’effet de signer, dans la limite de ses attributions et de sa compétence territoriale, les actes relatifs à l’action de l’article L. 4426 du Code de commerce ; qu’ainsi, la cour d’appel a fait l’exacte application des textes invoqués ». « Attendu qu’en statuant ainsi, alors que l’action du ministre chargé de l’Économie, exercée en application des dispositions de l’article L. 442-6-III, qui tend à la cessation des pratiques qui sont mentionnées dans ce texte, à la constatation de la nullité des clauses ou contrats illicites, à la répétition de l’indu et au prononcé d’une amende civile, est une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence qui n’est pas soumise au consentement ou à la présence des fournisseurs, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». Cela ne surprendra personne. La Cour de cassation persiste dans sa jurisprudence inaugurée le 8 juillet 2008 (Cass. com., 8 juill. 2008, n° 07-16.761, Bull. civ. IV, n° 143) et continue d’affirmer que l’action du ministre fondée sur l’article L. 442-6-III du Code de commerce est « une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence qui n’est pas soumise au consentement ou à la présence des fournisseurs », sans que cela heurte l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

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Mais là où l’arrêt Baguyled ici commenté est plus intéressant, c’est dans sa motivation relative à la délégation de pouvoir faite par le ministre. Le décret n° 87-163 du 12 mars 1987, qui est signé par le Premier ministre, dispose, dans son article 1er, que : « Le ministre d’État, ministre de l’Économie, des Finances et de la Privatisation peut, par arrêté, donner délégation pour signer les actes relatifs à l’action prévue par l’article 36 de l’ordonnance susvisée (ordonnance du 1er décembre 1986) aux fonctionnaires appartenant au cadre A des services extérieurs de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ». Or, chacun sait que l’article 36 de l’ordonnance de 1986, tel que visé dans le décret précité, n’a pratiquement plus rien de commun avec le texte de l’article L. 442-6 du Code de commerce en vigueur aujourd’hui, ou lors de la délivrance de l’assignation du ministre dans cette espèce. Dès lors, si l’action du ministre se fonde sur un alinéa de l’article L. 442-6 qui n’existait pas dans l’article 36 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, la délégation de pouvoirs est-elle bien valable ? Nous avions déjà vu (cf. Béhar-Touchais M., L’action du ministre fondée sur l’article L. 442-6-III du Code de commerce et le délégataire du ministre, RLC 2009/19, n° 1339) que les grands distributeurs poursuivis par le ministre

soutiennent dans divers contentieux en cours que par le décret du 12 mars 1987, le Premier ministre n’a pu autoriser le ministre de l’Économie à déléguer sa signature que pour les pouvoirs que ce dernier détenait au jour dudit décret du 12 mars 1987, c’est-à-dire ceux figurant dans le texte initial de l’article 36 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et non pas pour les pouvoirs créés postérieurement, surtout quand, pour certains de ces nouveaux pouvoirs, le droit d’action (pour demander la nullité, la restitution de l’indu, et l’amende civile) n’a été accordé au ministre de l’Économie que 14 ans plus tard, par la loi NRE du 15 mai 2001. La Cour de cassation a rejeté l’argument dans l’arrêt Finamo (Cass. com., 16 déc. 2008, n° 07-20.099, D, RLC 2009/19, n° 1339), en interprétant l’arrêté du 27 mai 2004, par lequel le ministre avait délégué sa signature aux fonctionnaires désignés, sur le fondement du décret du 12 mars 1987, donnant au délégataire des pouvoirs qui n’existaient pas au moment de la délégation. L’arrêt Baguyled renforce la motivation de la Cour de cassation. Elle commence par affirmer que « le décret n° 87-163 du 12 mars 1987, (…) n’a pas été abrogé et est toujours applicable ». En d’autres termes, le texte existe, mais il ne semble pas que les opérateurs poursuivis aient soutenu le contraire. Puis, la Cour de cassation poursuit : « la loi NRE du 15 mai 2001, si elle a modifié l’article L. 442-6 du Code de commerce et donné de nouvelles définitions de faits illicites ou des demandes nouvelles fondées sur ces faits, n’a pas conféré au ministre de l’Économie un pouvoir nouveau ». On peut néanmoins être étonné par cette affirmation. On se souvient en effet que par un arrêt du 5 décembre 2000, la Cour de cassation avait affirmé « qu’ayant énoncé que l’action introduite par le ministre sur le fondement de l’article 36 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 est une action en réparation et non en annulation ne lui donnant pas le pouvoir de saisir directement une juridiction de l’ordre judiciaire pour demander la nullité d’une convention à laquelle il n’est pas partie, que le pouvoir d’agir du ministre dans l’exercice de sa mission de gardien de l’ordre public économique par la seule cessation des pratiques illicites et ne lui donne pas la faculté de se substituer aux victimes des pratiques discriminatoires pour évaluer, à leur place, le préjudice causé par les agissements restrictifs de concurrence, et en >

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solliciter la réparation, que les dispositions légales ne lui donnent pas davantage le pouvoir de solliciter la restitution des prix et valeurs des biens en cause, aux lieu et place des victimes, la cour d’appel a fait une exacte interprétation de l’article 36 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ». Le législateur est donc intervenu pour contrecarrer cette jurisprudence et a précisé dans l’article L. 442-6-III du Code de commerce : « III. – L’action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d’un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l’Économie ou par le président du Conseil de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l’occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article. Lors de cette action, le ministre chargé de l’Économie et le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d’ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites, demander la répétition de l’indu et le prononcé d’une amende civile dont le montant ne peut excéder 2 millions d’euros. La réparation des préjudices subis peut également être demandée. Dans tous les cas, il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l’industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l’extinction de son obligation [la dernière phrase a été ajoutée par la loi Dutreil du 2 août 2005] ». En d’autres termes, la Cour de cassation constate en 2000 que, sous l’empire de l’ordonnance de 1986, le ministre n’a pas le pouvoir de demander la nullité du contrat, les restitutions ou des dommages et intérêts (sans parler du pouvoir de demander une amende civile qui n’existait pas à l’époque), alors qu’aujourd’hui, il a ces pouvoirs en vertu de l’article L. 442-6-III du Code de commerce dans sa rédaction issue de la loi NRE du 15 mai 2001. Et pourtant la Cour de cassation en 2009 en déduit que le ministre n’a pas de pouvoir nouveau parce que « la loi NRE du 15 mai 2001, (…) [a] donné de nouvelles définitions de faits illicites ou des demandes nouvelles fondées sur ces faits » ! Tout le monde aura compris que la décision est plus fondée sur l’opportunité que sur un raisonnement juridique logique. C’est une question de politique juridique de la Cour de cassation qui a décidé, au nom de l’effectivité du droit des pratiques restrictives, de sauver (presque) à tout prix, l’action du ministre. Toutefois, la motivation embarrassée de la Cour de cassation nous fait attendre avec d’autant plus d’intérêt ce que dira la juridiction administrative, sur la question de la légalité des arrêtés pris en application du décret du 12 mars 1987 précité, et déléguant les pouvoirs « inexistants auparavant » mais « qui ne seraient pas nouveaux » octroyés au ministre par la loi NRE.

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De l’application de l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, lors des négociations ? Des précisions sur la notion de relation commerciale établie. Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-11.916, D

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Extrait de l’arrêt : « Attendu que l’arrêt retient que les sociétés Tecno Plastic et Alprene ont largement profité des prospections fructueuses de M. Y... pendant dix-sept mois, que pendant cette période elles ont occasionnellement présenté M. Y... comme leur “agent” et que ce dernier, qui était en négociation avec elles pour devenir leur agent à l’expiration des contrats d’agent de M. X..., a attendu vainement une régularisation de sa situation ; qu’en l’état de ces constatations, la cour d’appel, qui a caractérisé l’existence d’une relation de M. Y... avec les sociétés Tecno Plastic et Alprene suivie, stable, et dont il pouvait penser qu’elle allait continuer, a pu statuer comme elle a fait ». On se souvient de l’arrêt de la chambre commerciale du 25 avril 2006 (Cass. com., 25 avr. 2006, n° 02-19.577) qui avait décidé « qu’après avoir relevé, par motifs adoptés, que les cinq commandes passées par la société SJM à la société Meech, sur une période de six mois, n’établissent que la preuve de relations commerciales “ponctuelles et non suivies”, l’arrêt précise que les éléments évoqués par la société Meech dans ses conclusions, notamment dans les pages détaillant l’intégralité des contacts entre les parties et les démarches accomplies dans le cadre de leurs négociations, ne caractérisent pas des relations commerciales établies, mais simplement de longs pourparlers en vue d’un accord commercial, qui n’a en fait jamais été concrétisé; qu’il s’en déduit que la cour d’appel a pris en compte l’entière période couverte par la collaboration entre les deux parties, ainsi que les éléments qualitatifs de celle-ci, et n’encourt pas les griefs du moyen ». Un arrêt du 5 mai 2009 vient légèrement atténuer cette jurisprudence excluant l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce lors des pourparlers (ou plutôt lors des pourparlers de cette espèce). Dans cette affaire, les sociétés Tecno Plastic et Alprene, sociétés italiennes filiales du « groupe » Fischer, avaient confié, jusqu’en 2005, à M. X... un mandat de représentant exclusif pour commercialiser leurs produits en France. À partir d’octobre 2002, M. Y... s’est proposé pour prospecter au service des deux sociétés avec leur accord et celui de M. X..., malade. Entre mai et décembre 2003, le lien entre M. Y... et les sociétés italiennes a fait l’objet de réunions et d’échanges écrits et verbaux mais ces négociations n’ont pas abouti, M. X... restant l’agent commercial en titre et percevant tout ou partie des commissions générées par M. Y... En mars 2004, dans le cadre d’une restructuration, le « groupe » Fischer a décidé de privilégier l’embauche de salariés et a interrompu ses relations avec M. Y..., qui a saisi le tribunal pour voir constater l’existence d’un contrat direct d’agent commercial entre lui et les sociétés Tecno Plastic et Alprene et qui a subsidiairement invoqué une rupture abusive de relations commerciales établies. La cour d’appel a condamné les deux sociétés à indemniser M. Y... pour rupture brutale de relations commerciales établies sur le fondement de l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce. La Cour de cassation, dans cet arrêt du 5 mai 2009, rejette le pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel, aux motifs que « l’arrêt retient que les sociétés Tecno Plastic et Alprene ont largement profité des prospections fructueuses de M. Y... pendant dix-sept mois, que pendant cette période elles ont occasionnellement présenté M. Y... comme leur “agent” et que ce dernier, qui était en négociation avec elles pour devenir leur agent à l’expiration des contrats d’agent de M. X..., a attendu vainement une régularisation de sa situation ; qu’en l’état de ces constatations, la cour d’appel, qui a caractérisé l’existence

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d’une relation de M. Y... avec les sociétés Tecno Plastic et Alprene suivie, stable, et dont il pouvait penser qu’elle allait continuer, a pu statuer comme elle a fait ». Cette motivation suscite plusieurs observations : Tout d’abord, on est bien au stade des négociations puisque la Cour de cassation relève que « ce dernier, qui était en négociation avec elles pour devenir leur agent à l’expiration des contrats d’agent de M. X..., a attendu vainement une régularisation de sa situation ». La motivation de l’arrêt ne permet pas de considérer que M. Y aurait d’ores et déjà bénéficié d’un contrat verbal. Ensuite, la Cour de cassation vise une « relation (…) suivie, stable ». Elle ne parle pas expressément de relation commerciale établie. On peut même se demander si elle a bien voulu appliquer l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, qu’elle ne vise pas dans sa motivation. Certes, elle rejette un pourvoi contre un arrêt qui s’était fondé sur ce texte, mais si l’arrêt peut subsister sur un autre fondement, elle n’avait pas de raison de le casser. On ne manquera d’ailleurs pas de relever que l’agent commercial n’est pas un commerçant et que la Cour de cassation n’a peut-être pas voulu parler à son égard d’une relation commerciale établie. Et cela d’autant plus que l’agent commercial bénéficiant déjà d’un régime protecteur, n’a pas besoin qu’on lui applique le texte susvisé. D’ailleurs, le vocabulaire de la Cour fait davantage penser à une rupture brutale de pourparlers, puisqu’elle relève que M. Y avait été présenté parfois par les deux sociétés comme leur agent et pouvait penser que cette relation suivie et stable allait continuer. Pour finir, il faut tout de même relever que la situation était bien différente dans cette espèce et dans celle de 2006. En 2006, seules quelques ventes avaient été conclues pendant la période de pourparlers. Ici, la Cour relève que « les sociétés Tecno Plastic et Alprene ont largement profité des prospections fructueuses de M. Y... pendant dix-sept mois ». Il apparaît donc que si au cours de pourparlers contractuels, de vraies relations suivies se nouent, la rupture brutale de ses relations pourrait être sanctionnée, probablement sur le fondement de l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, bien que l’arrêt ne soit pas très clair sur le fondement retenu. M. B.-T.

Voici une affaire originale de rupture brutale de relations commerciales établies. Deux sociétés sont en relations d’affaires, l’une livrant à l’autre des produits (probablement du bois). Lors d’une livraison, le gérant de la société So.Go.Bois émet des propos racistes à l’encontre d’un employé de la société Séguin. La société Séguin rompt alors immédiatement les relations avec ce fournisseur. Celle-ci est poursuivie pour rupture brutale des relations commerciales établies sur le fondement de l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce. Or, la cour d’appel refuse de considérer que la rupture immédiate était justifiée par une inexécution contractuelle, l’attitude offensante et raciste du contractant n’entrant pas dans le champ contractuel. Et elle condamne la société dont le salarié a été offensé, à payer à son cocontractant une indemnisation égale à un an de préavis (soit en l’espèce 139 000 euros). Heureusement, la chambre commerciale de la Cour de cassation casse cet arrêt au visa de l’article 1134 du Code civil, au motif que la cour d’appel n’a pas recherché si la société So.Go.Bois n’a pas méconnu son obligation de loyauté dans l’exécution du contrat et notamment dans l’exécution de son obligation de livraison de la chose vendue. On sait que l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce prévoit une indemnisation en cas de rupture brutale des relations commerciales établies. Mais le texte ajoute aussitôt que ses dispositions « ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ». Toute la question en l’espèce était donc de savoir si en émettant des propos racistes à l’égard d’un employé de son contractant, lors de la livraison des marchandises, la société So.Go.Bois avait inexécuté une de ses obligations contractuelles. La question était certes délicate, car ces propos racistes concernent davantage la conduite personnelle de la personne physique du gérant de la société Go.Bois, que l’exécution proprement dite du contrat. Mais la Cour de cassation va trouver ici le moyen de s’en sortir en invoquant l’obligation de loyauté dans l’exécution de l’obligation de livraison. Elle reproche donc à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si l’obligation de loyauté n’avait pas été violée. Insulter son contractant ou ses employés ne serait pas exécuter le contrat de bonne foi !

De la rupture immédiate de relations commerciales établies pour propos racistes tenus par le contractant Quand l’obligation de loyauté vient légitimer une rupture brutale de relations commerciales établies. Cass. com., 31 mars 2009, n° 08-13.964, D

Extrait de l’arrêt : « Qu’en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que la société Bois, à laquelle étaient reprochées des fautes commises lors de l’exécution de son obligation de livraison de la chose vendue, n’avait pas méconnu son obligation de loyauté dans l’exécution du contrat, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134 du Code civil. »

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Du point de départ du préavis pour l’application de l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce L’information du contractant du projet de son cocontractant de pas créer une filiale chargée de l’activité objet du contrat, fait courir le délai de préavis. Cass. com., 7 avr. 2009, n° 08-11.572, D

Extrait de l’arrêt : « Attendu que, pour décider que la société Sodimas avait engagé sa responsabilité en rompant brutalement ses relations avec la société Fatton, l’arrêt retient que la rupture a été notifiée le 24 décembre 2003 sans préavis ; >

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Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors qu’elle constatait que la société Sodimas, interrogée par la société Fatton sur “le devenir de leur collaboration”, avait dès le 25 juin 2003 confirmé que son projet de création d’une filiale de transport, dont la viabilité financière avait été vérifiée, serait finalisé au cours du mois de décembre 2003, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ». Le point de départ du préavis est extrêmement important pour savoir si le délai de préavis a été ou non suffisant. En droit commun, le point de départ du préavis est la notification de la résiliation du contrat, ou du non-renouvellement de celui-ci. Pour l’application de l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, la jurisprudence est souple. Le point de départ sera le jour où le contractant est informé qu’il n’est plus sûr que le contrat se continue. Ainsi s’explique la jurisprudence rendue sur le fondement de l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, qui a décidé que le délai de préavis de rupture commence à courir à partir de l’écrit par lequel un contractant notifie à son prestataire son intention de recourir à un appel d’offres pour choisir à l’avenir son partenaire contractuel. Cet écrit fait courir le délai de préavis, même si ce n’est que plus tard que le contractant initial est prévenu qu’il n’a pas été choisi lors de l’appel d’offres. C’est ce qu’a décidé la Cour de cassation le 6 juin 2001, en ces termes :

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« Attendu qu’en fixant le point de départ du délai de préavis à la date de notification de l’échec de la société Charpentier Armen à l’appel d’offres organisé par le GIE Élis, alors que la notification par le GIE Élis à la société Charpentier Armen, de son recours à un appel d’offres pour choisir ses fournisseurs, manifestait son intention de ne pas poursuivre les relations contractuelles dans les conditions antérieures et faisait ainsi courir le délai de préavis qu’elle a estimé à une durée de six mois, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations » (Cass. com., 6 juin 2001, n° 98-20.831; jurisprudence constante depuis 2001; cf. par exemple, Cass. com., 18 déc. 2007, n° 05-15.970). L’arrêt du 7 avril 2009 va également en ce sens, en dehors de l’hypothèse d’un recours à un appel d’offres. Il décide que le préavis commence à courir au moment où « la société Sodimas, interrogée par la société Fatton sur “le devenir de leur collaboration”, avait dès le 25 juin 2003 confirmé que son projet de création d’une filiale de transport, dont la viabilité financière avait été vérifiée, serait finalisé au cours du mois de décembre 2003 ». Ainsi, il apparaît que la jurisprudence relative à l’appel d’offres n’est pas propre à ce dernier. Dès lors que le contractant a été informé, avant même la notification, que le contrat ne se poursuivrait pas avec lui, ou pas forcément avec lui, le préavis commence à courir. Cette jurisprudence doit être approuvée, car le cocontractant dont le contrat ou les relations commerciales établies vont être rompues, sait dans ce cas qu’il lui faut d’ores et déjà chercher une solution de remplacement. M. B.-T.

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ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE

AIDES D’ÉTAT Sous la responsabilité de Jean-Louis COLSON, Chef de l’Unité Marché intérieur et Concurrence à la Direction générale Transport et Énergie, Jacques-Philippe GUNTHER, Avocat, Willkie Farr & Gallagher LLP, Christian LAMBERT, Président de tribunal administratif, Référendaire à la Cour de justice des Communautés européennes et Lucien RAPP, Professeur agrégé des Facultés de droit, Avocat au Barreau de Paris, Watson, Farley & Williams

Par Benjamin CHEYNEL Doctorant à l’Université Jean Moulin Lyon 3 Of Counsel (WTT Law Firm, Bruxelles)

Aide nouvelle sur aide illégale et incompatible non remboursée ne vaut Actualité de la doctrine Deggendorf

R LC

Depuis la deuxième moitié des années 1990 et les arrêts Deggendorf, la Cour de justice admet que la Commission prenne en compte le défaut de récupération d’une aide préalable déclarée incompatible pour apprécier la compatibilité d’une aide ultérieure ou, à tout le moins, conditionner la compatibilité ou le versement d’une aide au remboursement préalable d’une aide antérieure illégale et déclarée incompatible. Toutefois, jusqu’à l’arrêt sous commentaire, les modalités de mise en œuvre de cette doctrine Deggendorf, ainsi que la marge de manœuvre laissée à la Commission en la matière, demeuraient floues et appelaient des précisions, ce à quoi le Tribunal vient de procéder à l’occasion du contrôle de la décision de la Commission relative à l’aide de l’État italien à AEM Torino destinée à rembourser les coûts irrécupérables dans le secteur de l’énergie. Par là même, il met en lumière la responsabilité particulière qui pèse sur les États dispensateurs mais également les entreprises récipiendaires à l’occasion de la procédure de contrôle. 1414

TPICE, 11 févr. 2009, aff. T-25/07, Iride et Iride Energia c/ Commission

C

ondition déterminante du rétablissement au cas d’espèce d’une concurrence libre et non faussée, et plus largement de la crédibilité du contrôle communautaire des aides d’État, la récupération des aides d’État distribuées illégalement par les États – et par la suite déclarées incompatibles par la Commission – s’est pourtant toujours avérée une pierre d’achoppement (Karpenschif M., La récupération des aides nationales versées en violation du droit communautaire à l’aune du règlement n° 659/1999 : mythe ou réalité?, RTD eur. 2001, p. 551).

Pour tenter de remédier à un taux de récupération incontestablement insuffisant, la Commission s’est engagée, depuis son plan d’action pour les aides d’État de 2005 (Des aides d’État moins nombreuses et mieux ciblées : une feuille de route pour la réforme des aides d’État 2005-2009, document de consultation du 7 juin 2005, COM (2005) 107 final, Communiqué Comm. CE n° IP/05/680, 7 juin 2005), dans une démarche nettement plus

offensive à l’égard des États membres dispensateurs rechignant à se conformer aux ordres de récupération. Et cette rigueur a indéniablement porté ses fruits. Le passif d’aides non récupérées s’est ainsi sensiblement réduit, au moins en valeur relative. À titre d’illustration, au 31 décembre 2008 et malgré les sept nouvelles décisions de récupération de l’année, le nombre de décisions non exécutées est tombé à 46, soit une décision de moins qu’en 2007 (47) et sensiblement moins que les années précédentes (50 au 30 juin 2007, 60 à la fin de 2006, et 94 à la fin 2004). Toutefois, en dépit des progrès accomplis, la situation est encore loin d’être satisfaisante. Ainsi, sur les 46 décisions non exécutées au 31 dé-

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cembre 2008, 20 ont été adoptées il y a plus de 4 ans (donc avant le 1er janvier 2004) et 6 il y a plus de 8 ans (avant le 1er janvier 2000). Concernant les décisions les plus récentes (de 2005 à 2008), le taux de récupération en valeur tourne autour de 50 % (exception faite des décisions de 2007 où ce taux tombe à 30 %; pour des statistiques complètes à jour au 31 décembre 2008, cf. ).

Ces statistiques, certes encore insuffisantes mais assurément encourageantes, tiennent à une double démarche de la Commission, que celle-ci entend à l’avenir voir compléter par un investissement plus grand des juridictions nationales dans la mise en œuvre des décisions de récupération qui, rappelonsle, se voient reconnaître un effet direct au titre de l’article 249 CE (cf. Communication Comm. CE, JOUE 9 avr. 2009, n° C 85, pts. 63 et s., relative à l’application des règles en matière d’aides d’État par les juridictions nationales ; voir cette revue, RLC 2009/20, n° 1417, obs. Tayar D. et Giraud A.).

Comme annoncé dans le Plan d’action et confirmé dans la récente Communication de la Commission concernant la mise en œuvre effective des décisions de la Commission enjoignant aux États membres de récupérer les aides d’État illégales et incompatibles avec le Marché commun (JOUE 15 nov. 2007, n° C 272, RLC 2008/14, n° 994, obs. Giraud A. et Tayar D.), la Commission a sensiblement intensifié son recours à la procédure de manquement simplifiée de l’article 88, paragraphe 2, CE. Depuis quelques mois, les condamnations des États membres se multiplient (CJCE, 6 déc. 2007, aff. C-280/05, Commission c/ Italie, Rec. CJCE, I, p. 181, RLC 2008/15, n° 1078, obs. Aimino L.; CJCE, 20 sept. 2007, aff. C-177/06, Commission c/ Espagne, Rec. CJCE, I, p. 7689; CJCE, 14 déc. 2006, aff. C-485/03 à C-490/03, Rec. CJCE, I, p. 11887), >

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AIDE NOUVELLE SUR AIDE ILLÉGALE ET INCOMPATIBLE NON REMBOURSÉE NE VAUT – ACTUALITÉ DE LA DOCTRINE DEGGENDORF

touchant tout particulièrement la France (CJCE, 5 oct. 2006, aff. C232/05, Commission c/ France, Rec. CJCE, I, p. 10071, dans l’affaire Kiberley Clark/Scott Paper : Cheynel B., Récupération des aides versées en violation du droit communautaire : interrogations, confirmation, sanctions, RLC 2006/9, n° 65; CJCE, 18 oct. 2007, aff. C-441/06, Commission c/ France, Rec. CJCE, I, p. 8887, RLC 2008/14, n° 995, obs. Giraud A., dans l’affaire de l’aide France Telecom par le biais d’une dérogation au régime de droit commun de la taxe professionnelle; CJCE, 13 nov. 2008, aff. C-214/07, Commission c/ France, RLC 2009/18, n° 1285, obs. Marchand A., relative au régime d’aide à la reprise d’entreprises en difficulté). Mais au-delà de ces condamnations au titre de l’ar-

ticle 88, paragraphe 2, CE, la Commission a franchi un cap important en faisant usage pour la première fois de la procédure de « manquement sur manquement » de l’article 228, paragraphe 2, CE à l’encontre de la Grèce qui refusait de se conformer à un ordre de récupération ayant pourtant déjà donné lieu à un premier arrêt de manquement sur le fondement de l’article 88, paragraphe 2, CE (CJCE, 7 juill. 2009, aff. C-369/07, Commission c/ Grèce; pour des prémices concernant l’Italie dans l’affaire des Municipalizzate et celle des mesures d’aide visant à promouvoir l’emploi, Communiqué Comm. CE n° IP/08/133, 31 janv. 2008, RLC 2008/15, n° 1078, obs. Aimino L.).

Toutefois, aussi symboliques que puissent être de telles condamnations ( pour une présentation exhaustive des procédures en cours, cf. ), elles n’en demeurent pas moins affectées du défaut congénital de la procédure de manquement qui ne débouche que sur des arrêts déclaratoires et ne saurait emporter de conséquences immédiates sur l’opération de récupération litigieuse, comme l’illustre l’affaire sous commentaire. C’est certainement pourquoi, depuis quelques années, la Commission fait un usage croissant de la doctrine Deggendorf (CJCE, 15 mai 1997, aff. C-355/95 P, TWD c/ Commission, pts. 25 et 26, Rec. CJCE, I, p. 2549, confirmant TPICE, 13 sept. 1995, aff. T-244/93 et T-486/93, TWD c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 2265) qui lui per-

met de prendre en considération l’absence de récupération d’une aide illégale antérieurement déclarée incompatible par la Commission, soit pour dénier la compatibilité d’une aide nouvelle, soit pour conditionner la compatibilité ou le versement de cette dernière à la récupération préalable de cette aide. En ce sens, il suffit de constater que la pratique décisionnelle de la Commission sur ce point a sensiblement augmenté (pour une recension, voir tableau récapitulatif infra) mais également que les textes d’encadrement – normatifs comme non normatifs – élaborés par la Commission sont notablement empreints de cette préoccupation. Dernièrement, le nouveau règlement général d’exemption par catégorie a clairement exclu du champ de l’exemption « a) les régimes d’aide qui n’excluent pas explicitement le versement d’aides individuelles en faveur d’une entreprise faisant l’objet d’une injonction de récupération suivant une décision de la Commission déclarant des aides illégales et incompatibles avec le marché commun [et] b) les aides ad hoc en faveur d’une entreprise faisant l’objet d’une injonction de récupération suivant une décision antérieure de la Commission déclarant les aides illégales et incompatibles avec le marché commun » (Règl. Comm. CE n° 800/2008, 6 août 2008, JOUE 9 août, n° L 214, art. 1 (6), déclarant certaines catégories d’aide compatibles avec le marché commun en application des articles 87 et 88 du Traité ; Karpenschif M., Le RGEC : nouveau départ pour le droit des aides d’État?, JCP A 2009, n° 5). Auparavant, dans sa

Communication concernant la mise en œuvre effective des décisions de récupération précitée, la Commission a clairement fait état de sa volonté de généraliser l’application de la doctrine Deggendorf, notamment en « l’intégr[ant] dans toutes les règles et décisions à venir concernant les aides d’État », ce à quoi elle avait déjà procédé à l’occasion des lignes directrices communautaires concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté (JOUE 1er oct. 2004, n° C 244, pt. 23) et celles sur le financement des aéroports et

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les aides d’État au démarrage pour les compagnies aériennes au départ d’aéroports régionaux (JOUE 9 déc. 2005, n° C 312, pt. 82). Et c’est sur ce point que l’arrêt sous commentaire vient apporter d’utiles éclaircissements. Il fait suite à la décision de la Commission relative à l’aide de l’État italien à AEM Torino destinée à rembourser les coûts irrécupérables dans le secteur de l’énergie (Déc. Comm. CE n° 2006/941, 8 nov. 2006, relative à l’aide d’État C 11/06 (ex N 127/05)). Après avoir ouvert la procédure formelle d’examen de l’article 88, paragraphe 2, CE au seul motif qu’une précédente décision de récupération visant AEM Torino n’avait pas été exécutée et alors qu’elle relevait dans le même temps que les mesures en cause satisfaisaient pleinement les critères définis par la Communication du 26 juillet 2001 relative à la méthodologie d’analyse des aides d’État liées à des coûts échoués (Communiqué Comm. CE n° IP/06/1544, 10 nov. 2006, RLC 2007/10, n° 706, obs. Cheynel B.), la Commission a conditionné le versement de cette aide à AEM Torino au remboursement préalable par cette dernière d’une aide reçue au titre des aides fiscales accordées par l’Italie aux municipalizzate et qui avaient fait l’objet d’une décision négative et d’un ordre de récupération (Déc. Comm. CE n° 2003/194, 5 juin 2002, JOUE 24 mars 2003, n° L 77), demeuré inexécuté malgré un arrêt de manquement (CJCE, 1er juin 2006, aff. C-207/05, Commission c/ Italie, préc.). À l’occasion du recours, les requérantes ont fait valoir plusieurs arguments dignes d’intérêt. Tout d’abord, elles ont contesté l’existence de ressources d’État. Toutefois, le Tribunal ne fait pas droit à ces moyens et avalise le raisonnement de la Commission qui avait refusé d’appliquer la jurisprudence PreussenElektra (CJCE, 13 mars 2001, aff. C-379/98, PreussenElektra AG c/ Schhleswag AG, Rec. CJCE, I, p. 2099) au mécanisme italien de remboursement des coûts échoués en faveur de l’AEM Torino, financé à partir d’un compte spécifique ouvert par l’Autorità per l’energia elettrica e il gas auprès de la Caisse de péréquation pour le secteur de l’électricité (CCSE), alimenté par le produit de l’application d’une composante déterminée du tarif électrique et mise à la charge de l’ensemble des clients finaux. Pour mémoire, cet arrêt avait conduit la Cour à dénier la qualification d’aide d’État pour défaut de ressources d’État à une mesure imposant aux entreprises d’approvisionnement en électricité une obligation d’acheter le courant produit dans leur zone d’approvisionnement à partir d’énergies renouvelables. Pour ce faire, la juridiction communautaire avait relevé, dans l’affaire PreussenElektra, que l’État allemand n’avait joué aucun rôle dans la collecte et/ou la redistribution des fonds en cause : les sommes correspondant au prix d’achat étaient directement transférées entre des acteurs économiques relevant du secteur privé, à savoir les entreprises distributrices d’électricité, d’une part, et les producteurs d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables, d’autre part. En d’autres termes, elle excluait qu’il puisse y avoir ressources d’État lorsque les autorités publiques n’ont ou n’obtiennent à aucun moment le contrôle des fonds qui financent l’avantage économique en cause (ibid., pts. 59 à 61). Ainsi, même si les sommes correspondant à la mesure en cause ne sont pas de façon permanente en possession des autorités publiques, le fait qu’elles restent constamment sous contrôle public, et par conséquent à la disposition des autorités nationales compétentes, suffit pour qu’elles soient qualifiées de ressources d’État (CJCE, 16 mai 2000, aff. C-83/98 P, France c/ Ladbroke Racing et Commission, pt. 50, Rec. CJCE, I, p. 3271; CJCE, 16 mai 2002, aff. C-482/99, France c/ Commission, pt. 37, Rec. CJCE, I, p. 4397; pour des développements plus étoffés, Giraud A. et Tayar D., L’interprétation du critère de l’emploi de ressources d’État par la Cour de justice : le révélateur d’une lecture formaliste de l’article 87 du Traité CE? (Réflexions à propos de l’arrêt Pearle), LPA 2005, n° 240, p. 4). Or, en l’espèce, les sommes en cause sont

recouvrées et gérées sur un compte spécifique par la CCSE

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ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE

AIDES D’ÉTAT

qui est un organisme public, avant d’être redistribuées au bénéficiaire, à savoir l’AEM Torino. Ainsi, elles étaient constamment sous contrôle public (puisque la CCSE pouvait utiliser les sommes disponibles sur son compte A 6 pour couvrir temporairement un solde débiteur sur d’autres comptes), mais encore étaient la propriété de l’État (puisque la CCSE ne possédait pas de personnalité juridique distincte de celle de l’État italien). En conséquence, le Tribunal ne pouvait qu’admettre l’existence d’une ressource d’État (pour un raisonnement similaire, cf. Déc. Comm. CE n° C (2009) 230 final, 28 janv. 2009, pt. 56, concernant l’aide sous la forme de la création d’un fonds de compensation dans le cadre de l’organisation du marché de l’électricité mise à exécution par le Luxembourg [C 43/2002 – ex NN 75/2001]).

une anomalie par rapport aux conditions normales du marché. Partant, les modifications intervenues dans ce contexte faisaient partie des évolutions auxquelles les opérateurs économiques, au nombre desquels AEM Torino, devaient s’attendre. Mais, c’est assurément sous l’angle de la mise en œuvre de la doctrine Deggendorf que l’arrêt sous commentaire présente le plus grand intérêt. Alors que certaines interrogations avaient pu se faire jour dans la doctrine (Gosset-Grainville A. et Olza Moreno L., La Commission européenne « redécouvre » la valeur de la jurisprudence Deggendorf, Décideurs, Stratégie Finance Droit, 2006, n° 76, pp. 110-111) et de vives critiques avaient

pu être formulées par l’Italie dans l’affaire sous commentaire, ainsi qu’à l’occasion d’une seconde décision concernant cette fois les mesures italiennes en faveur de la réduction des émissions de gaz à efL’ouverture du marché fet de serre (Déc. Comm. CE n° 2006/598, 16 mars de l’électricité à la

Pour autant, et en dépit de l’existence avérée de ressources d’État, la qualification d’aide d’État n’était pas encore définitivement acquise dans la mesure où les reconcurrence par la quérantes contestaient également l’exisdirective n° 96/92 – tence d’un avantage en faveur d’AEM et en conséquence Torino, préférant voir dans le remboursela suppression ment des coûts échoués générés par la libéralisation du secteur de l’électricité l’élide monopoles nationaux mination d’un désavantage concurrentiel et régionaux – ne peut résultant d’investissements effectués s’analyser comme conformément à des obligations impoune anomalie par rapport sées par l’État avant la libéralisation du aux conditions normales marché et qu’elles ne parviennent pas à couvrir au moyen de leurs seules recettes du marché. générées par la vente d’électricité sur le marché libéralisé (pour une illustration, cf. Alexis A., Les aides italiennes octroyées pour compenser les coûts échoués dans le domaine de l’électricité déclarées compatibles, Concurrences, 2-2005, p. 81). Or, cette question était loin d’être dépour-

vue de pertinence dans la mesure où la Commission relève, dans sa Communication relative à la méthodologie d’analyse des aides d’État liées à des coûts échoués du 26 juillet 2001 et sans plus de précision, qu’« un système de prélèvement institué par un État membre et transitant par un fonds pour compenser les coûts d’engagements ou de garanties qui risqueraient de ne pas pouvoir être honorés en raison de l’application de la directive n° 96/92/CE ne constitue pas une mesure susceptible de faire l’objet d’une décision de la Commission accordant un régime transitoire en application de l’article 24 de cette directive : une telle mesure ne nécessite en effet pas de dérogation aux chapitres concernés de la directive. Une telle mesure est en revanche susceptible de constituer une aide d’État, qui relève des articles 87 et 88 du Traité » (nous soulignons). Pour autant, le Tribunal se refuse à retenir la perspective compensatoire avancée par les requérantes. Au contraire, il confirme la solution retenue par la Commission en considérant que ce transfert est un avantage économique qu’AEM Torino n’aurait pas reçu dans des conditions normales de marché. Pour justifier cette solution, il retient que les investissements effectués par AEM Torino avant la libéralisation du secteur – ayant donné lieu aux coûts échoués et justifié les subventions en cause – étaient grevés d’un risque normal inhérent à d’éventuelles modifications de la législation et tout particulièrement à l’ouverture de ce secteur à la concurrence. En effet, au regard, d’une part, du fait que dans un État démocratique, le cadre réglementaire est à tout moment susceptible d’évoluer, et, d’autre part, de l’orientation générale de la politique économique de la Communauté européenne dans le sens d’une ouverture des marchés nationaux et de la favorisation du commerce entre les États membres, l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence par la directive n° 96/92 – et en conséquence la suppression de monopoles nationaux et régionaux – ne peut s’analyser comme

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2005, JOUE 7 sept. 2006, n° L 244, concernant l’aide d’État que l’Italie – région du Latium – entend mettre en œuvre en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, recours pendant sous le numéro T-303/05, introduit le 3 août 2005), l’arrêt du 11 février 2009 permet de

faire le point sur le champ d’application de la doctrine Deggendorf (I) mais également, en négatif, de faire ressortir la diligence qui s’impose non seulement à l’État mais également aux entreprises récipiendaires à l’occasion d’une procédure où apparaît la question de la mise en œuvre de la doctrine Deggendorf (II).

I. – DE LA PORTÉE AFFINÉE DE LA DOCTRINE DEGGENDORF Prenant appui sur un arrêt du 3 octobre 1991 qui énonçait que « lorsque la Commission examine la compatibilité d’une aide d’État avec le marché commun, elle doit prendre en considération tous les éléments pertinents, y compris, le cas échéant, le contexte déjà apprécié dans une décision antérieure, ainsi que les obligations que cette décision antérieure a pu imposer à un État membre » (CJCE, 3 oct. 1991, aff. C-261/89, Italie c/ Commission, pt. 20, Rec. CJCE, I, p. 4437), la juridiction communautaire a explicitement reconnu que la Commission était compétente pour prendre en considération, d’une part, l’éventuel effet cumulé des anciennes aides et des nouvelles aides et, d’autre part, le fait que les anciennes aides, déclarées illicites, n’avaient pas été restituées (TPICE, 13 sept. 1995, aff. T-244/93, préc., pt. 56; CJCE, 15 mai 1997, C355/95 P, préc., pt. 26 confortant cette affirmation en rappelant que dans tout le domaine de l’article 87, paragraphe 3, CE, la Commission jouissait d’un large pouvoir d’appréciation, dont l’exercice implique des évaluations d’ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire).

En dépit de la clarté de l’affirmation de principe formulée dans les arrêts Deggendorf, la mise en œuvre pratique de cette faculté suscitait un certain nombre d’interrogations légitimes auxquelles l’arrêt sous commentaire apporte des réponses (A) mais laisse encore en suspens certaines questions (B). A. – Les réponses de l’arrêt Iride SpA et Iride Energia SpA Sévèrement attaquée notamment par l’Italie qui fit plusieurs fois les frais de son application (Déc. Comm. CE n° 2008/208, 23 oct. 2007, pt. 23, concernant l’aide d’État n° C 30/2006 (ex N 367/05 et N 623/05) que l’Italie entend mettre en œuvre en modifiant un régime existant de réduction des droits d’accises sur les biocarburants; Déc. Comm. CE n° 2006/941, 8 nov. 2006, concernant l’aide d’État n° C 11/06 [ex N 127/05] que l’Italie entend mettre à exécution en faveur de l’AEM Torino, arrêt sous commentaire; Déc. Comm. CE n° 2006/598, préc., pts. 19 à 23, recours pendant n° T-303/05), >

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AIDE NOUVELLE SUR AIDE ILLÉGALE ET INCOMPATIBLE NON REMBOURSÉE NE VAUT – ACTUALITÉ DE LA DOCTRINE DEGGENDORF

la doctrine Deggendorf et plus particulièrement ses modalités d’application étaient soumises pour la première fois au juge communautaire à l’occasion de l’affaire sous commentaire. Confirmant la pratique désormais constante de la Commission (Déc. Comm. CE, 8 oct. 2008, n° C (2008) 5067 final, pt. 76, concernant l’aide d’État n° NN 9/2008 – France/Plan de sauvetage et de restructuration des entreprises de pêche en difficulté; Déc. Comm. CE n° 2006/598, préc., pt. 68), le Tribunal vient

en premier lieu confirmer la portée générale de la doctrine Deggendorf qui a vocation à être mise en œuvre concernant tant les aides individuelles que les régimes d’aides non encore recouvrés, nonobstant les difficultés inhérentes à son application aux régimes d’aides déclarés incompatibles (difficultés d’identifier les bénéficiaires, de déterminer les montants versés…). Le fait que la jurisprudence Deggendorf originelle ait porté sur une aide individuelle non récupérée ne pouvait permettre de conclure que seul ce type d’aide – à l’exclusion des régimes d’aides – était susceptible de donner lieu à la suspension d’aides ultérieures. De même, le fait que les régimes d’aides soient susceptibles de poser des difficultés particulières ne pouvait faire obstacle à une lecture extensive de la jurisprudence Deggendorf dans la mesure où, d’une part, ces difficultés sont imputables à l’éventuel manque de coopération des autorités nationales et, d’autre part, que la jurisprudence constante de la Cour admet que l’absence d’indications exactes, par la Commission, quant aux entreprises bénéficiaires d’un régime illégal et quant aux montants exacts que celles-ci ont perçus n’affecte pas la validité d’un ordre de recouvrement ni ne constitue un obstacle à son exécution, l’État membre concerné étant le mieux placé pour obtenir ces données et la Commission habilitée, en cas d’absence de coopération de l’État membre concerné, à prendre une décision sur le fondement des informations dont elle dispose (TPICE, 14 janv. 2004, aff. T-109/01, Fleuren Compost c/ Commission, pts. 48 à 51, Rec. CJCE, II, p. 127; sur les efforts promis par la Commission sur ce point, Communication concernant la mise en œuvre effective des décisions de récupération, préc., pts. 36 et s.). En d’autres

termes, le Tribunal refuse que les États membres puissent tirer profit de leur propre turpitude. Ainsi, dès lors que l’État membre dispensateur a dépassé le délai de récupération de quatre mois imparti par la Commission européenne (sur ce point et sur le passage du délai commun de deux à quatre mois, cf. Communication concernant la mise en œuvre effective des décisions de récupération, préc., pts. 40 et s.), la Commission est susceptible d’actionner

la doctrine Deggendorf. Naturellement, son usage ne saurait être cantonné aux seules hypothèses dans lesquelles la Cour de justice a eu l’occasion de constater un manquement d’État, même si, naturellement, cette hypothèse rend encore plus nécessaire et justifié le recours à un tel mécanisme, ni même constituer « une procédure exceptionnelle, à laquelle il ne faudrait recourir qu’extrema ratio » (Déc. Comm. CE n° 2006/598, préc., pt. 72). En ce sens, la Commission a d’ailleurs relevé qu’« un contrôle effectif des aides d’État engendrerait précisément une utilisation constante et immédiate de la jurisprudence Deggendorf en vue d’assurer l’efficacité du système, dont l’objectif est de prendre en considération toutes les aides d’État mises à la disposition du bénéficiaire, de réduire ainsi les distorsions de la concurrence et d’assurer une application effective de ses décisions » (ibid., pt. 72). De même, il nous paraît tomber sous le sens qu’en la matière, le caractère définitif de la Commission n’est en aucun cas pertinent. Bien que l’Italie ait tenté de faire valoir cet argument (ibid., pt. 71), la Commission l’a sèchement reprise en soulignant que « ses décisions sont présumées valables et sortent immédiatement leurs effets, ce conformément à l’article 242 du Traité CE, aux termes duquel les recours n’ont pas d’effet suspensif » (ibid., pt. 71; CJCE, 5 oct. 2004, aff. C-475/01, Commission

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c/ Grèce, pt. 18, Rec. CJCE, I, p. 8923; pour une problématique similaire toujours en matière d’aide d’État, cf. CJCE, 12 févr. 2008, aff. C-199/06, Centre d’exportation du livre français (CELF), ministre de la Culture et de la Communication c/ Société Internationale de diffusion et d’édition (SIDE), Cheynel B., Arrêt CELF : une victoire à la Pyrrhus pour la Commission?, RLC 2007/15, n° 1077; Cheynel B. et Giraud A., New paradigm for recovery of unlawful aid in the EU – National Judges and the « Exception of Compatibility », in World Competition, 2008, pp. 557-573; pour une problématique similaire en matière d’antitrust, cf. CJCE, 14 déc. 2000, aff. C-344/98, Masterfoods e.a., pt. 53, Rec. CJCE, I, p. 11369). Il

en irait naturellement différemment si la décision de la Commission venait à faire l’objet d’une mesure provisoire (sur le caractère illusoire des demandes de sursis d’une décision de récupération, cf. Cheynel B., Mesures provisoires : l’urgence toujours en question, RLC 2008/16, n° 1138).

Outre cette confirmation attendue du champ d’application matériel de la doctrine Deggendorf, l’arrêt sous commentaire vient également apporter des précisions sur la charge de la preuve de l’absence d’effet cumulé de l’aide nouvelle avec des aides antérieures illégales et incompatibles avec le Marché commun et non remboursées. Sur ce point, les requérantes faisaient valoir qu’il incombait à la Commission d’expliquer pour quelles raisons les aides nouvelles qui étaient en elles-mêmes compatibles ne pouvaient pas être versées dans la mesure où elles étaient susceptibles d’engendrer une distorsion de concurrence par cumul avec les aides incompatibles préalables non encore remboursées. Autrement dit, il n’appartiendrait ni à l’État dispensateur, ni à l’entreprise bénéficiaire de fournir à la Commission les éléments de nature à démontrer l’absence d’effet cumulé des aides illégales antérieures et des nouvelles aides, sauf à soumettre l’application de l’article 87, paragraphe 3, CE à une condition supplémentaire (ce que la juridiction a déjà eu l’occasion de sanctionner récemment, CJCE, 22 déc. 2008, aff. C-333/07, Société Régie Networks, RCL 2009/19, n° 1344, obs. Cheynel B.). Le Tribunal refuse catégoriquement de faire droit à ce moyen, confirmant en cela pleinement la démarche retenue par la Commission par laquelle la charge de la preuve repose sur l’État dispensateur et l’entreprise récipiendaire. Pour ce faire, il renvoie à la jurisprudence Deggendorf elle-même qui a clairement considéré « que le critère de l’absence d’effet cumulé de l’aide nouvelle examinée avec des aides illégales et incompatibles antérieures non remboursées relevait de l’examen général de la compatibilité d’une aide auquel la Commission doit procéder, et ne constituait donc qu’un des éléments à prendre en considération par elle dans le cadre de l’application [de l’article 87, paragraphe 3, CE] » (pt. 103). Il en résulte que l’obligation pesant sur l’État membre et sur l’entreprise potentiellement bénéficiaire d’aides nouvelles d’apporter à la Commission les éléments de nature à démontrer que ces aides sont compatibles avec le Marché commun s’étend également à la nécessité d’établir l’absence d’effet cumulé de l’aide nouvelle avec des aides antérieures illégales et incompatibles avec le Marché commun et non remboursées (pt.104). Dès lors, le contrôle effectué par le Tribunal sur les décisions d’autorisation sous conditions du respect d’engagements par l’État dispensateur (soit de récupérer les aides incompatibles, préalable à toute distribution d’aide nouvelle ; soit, comme en l’espèce, d’apporter la preuve à la Commission que le récipiendaire n’était pas bénéficiaire de l’aide incompatible antérieure ou a procédé à son remboursement) se réduit à assez peu de choses. La juridiction communautaire veille, en premier lieu, à ce qu’à l’occasion de la décision d’ouverture de la procédure formelle, la Commission explique les raisons pour lesquelles elle entend, en application de la solution dégagée par la jurisprudence Deggendorf, subordonner la compatibilité de l’aide litigieuse à la restitution préalable des aides illégales déclarées incompatibles. Par la suite, et concernant

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AIDES D’ÉTAT

entreprises municipalisées était nationale, n’a pas d’incidence. la motivation de la décision adoptée à l’issue de la procédure Pour la Commission, toutes les aides sont nationales, étant formelle d’examen (existence d’effets potentiellement négadonné que les autorités nationales sont les seules interlocutifs sur la concurrence d’un cumul), le Tribunal fait également trices directes des institutions communautaires. La preuve en preuve de peu d’exigences. Ainsi, lorsque, comme en l’espèce, est que l’Italie a elle-même notifié la mesure et qu’elle est le l’État dispensateur et l(es) entreprise(s) récipiendaire(s) n’ont destinataire de la décision, aux termes des articles 87 et 88 du nullement coopéré à la procédure, la Commission peut se Traité CE. En outre, les fonds concernés sont nationaux, qu’ils contenter de faire état de l’absence d’information pour condisoient distribués par le gouvernement central ou par les autotionner l’octroi de l’aide nouvelle. En effet, il ne saurait être rités régionales » (ibid., pt. 67). fait grief à celle-ci de ne pas avoir démontré dans sa décision les effets potentiellement négatifs sur la concurrence d’un cuSi une telle conclusion nous semble relever de l’évidence, une mul des aides antérieures illégales et de la mesure litigieuse, hypothèse différente suscite assurément plus d’interrogations, puisqu’il ne lui appartenait pas, en l’abà savoir l’absence de prise en considérasence de toute coopération de la Répution pour l’application de la doctrine DegDans l’hypothèse d’une blique italienne et des requérantes, de gendorf des aides incompatibles versées aide nouvelle d’un État rechercher des éléments prouvant de tels illégalement au même récipiendaire (enà une entreprise dont une effets. A contrario, si l’État dispensateur tendu comme entité économique) non filiale étrangère a reçu et le(s) entreprise(s) récipiendaire(s) veplus par le même État mais par un autre naient à faire preuve d’une coopération État. Ce cas de figure s’est présenté dans d’un autre État membre loyale lors de la procédure (notamment une affaire relative à l’aide de la France des aides déclarées en fournissant l’identité des récipienà la restructuration du groupe FagorBrandt. incompatibles et non daires, le montant des aides perçues…) Elle a conduit la Commission à préciser encore remboursées, sans pour autant démontrer le rembourque, dans l’hypothèse d’une aide noula doctrine Deggendorf sement de l’aide ou s’engager à suspendre velle d’un État à une entreprise dont une le versement de la nouvelle, il ne nous filiale étrangère a reçu d’un autre État n’avait pas lieu paraît pas infondé de soutenir que la membre des aides déclarées incompade s’appliquer dans la Commission devrait être astreinte à une tibles et non encore remboursées, la docmesure où il s’agit d’États motivation plus poussée à l’occasion de trine Deggendorf n’avait pas lieu de s’apmembres différents. laquelle elle devrait démontrer en quoi pliquer dans la mesure où il s’agit d’États les éléments fournis par l’État dispensamembres différents (Déc. Comm. CE n° C (2007) teur et/ou le(s) entreprise(s) récipiendaire(s) ne sont pas à 4526 final, 10 juill. 2007, pt. 31, ouverture de la procédure formelle). Or, il est loisible même de lever les doutes qu’elle a formulés dans sa décision de s’interroger sur la pertinence d’une exclusion de principe du d’ouverture de la procédure formelle, en gardant toutefois à champ de la doctrine Deggendorf des aides versées par les autres l’esprit que celle-ci dispose, dans le domaine des aides d’ÉÉtats membres et non récupérées. En effet, même si, comme tat, d’un large pouvoir d’appréciation, soumis à un contrôle le rappelle le TPICE dans l’arrêt sous commentaire, la procérestreint des juridictions communautaires (CJCE, 29 avr. 2004, aff. Cdure en matière d’aides se noue entre l’État dispensateur et la Commission (et non l’entreprise récipiendaire ou ses concur91/01, Italie c/ Commission, pt. 43, Rec. CJCE, I, p. 4355). Mais, en tout état de rentes et la Commission), la compatibilité d’une aide d’État cause, il ne saurait être requis de la Commission qu’elle pros’apprécie non par rapport à l’État dispensateur mais par rapcède à la délimitation du marché en cause. En effet, de jurisport à la nature et aux effets de l’aide en cause. Certes, dans le prudence constante, « il suffit que la Commission établisse que cas d’espèce, la Commission a pris en compte cet élément dans les aides litigieuses (…) faussent ou menacent de fausser la l’analyse de la viabilité de l’entreprise (la récupération de cette aide remetconcurrence, sans qu’il soit nécessaire (…) de délimiter le marché en cause » (CJCE, 17 sept. 1980, aff. 730/79, Philip Morris Holland c/ Commiselle en cause le retour à viabilité pris en considération pour juger de la compatibilité d’un mésion, pts. 9 à 12, Rec. CJCE, I, p. 2671; TPICE, 15 juin 2000, aff. T-298/97, Alzetta e.a. c/ Commission, pt. 95, Rec. CJCE, II, p. 2319).

B. – Des questions encore en suspens Si l’arrêt sous commentaire constitue une consolidation évidente de la pratique de la Commission, des questions encore irrésolues demeurent. Certaines prises de position de la Commission dans la mise en œuvre de la doctrine Deggendorf peuvent susciter le débat ou au moins supposent un aval explicite de la juridiction communautaire. Il en va ainsi de l’origine des aides incompatibles que la Commission prend en considération pour l’application de la doctrine Deggendorf. À l’occasion de sa décision relative à l’aide de la région du Latium en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (Déc. Comm. CE n° 2006/598, 16 mars 2005, préc.), la Commission a pu préciser que le fait que l’aide précédente non récupérée ait été distribuée par l’État italien et non par la région du Latium était sans conséquence sur la faculté dont elle disposait d’opposer à cette région la non-récupération d’une aide distribuée par les autorités centrales italiennes. En ce sens, elle a précisé que « le fait qu’il s’agisse, dans ce cas, d’une aide régionale, alors que l’aide relative aux

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canisme d’aide à la restructuration de FagorBrandt; cf. Déc. Comm. CE n° C 44/2007 (ex N 460/2007), 21 oct. 2008, pts. 61 et 62) mais il nous semblerait légitime de

considérer qu’elle puisse s’autoriser, voire être obligée, de conditionner le versement de la nouvelle aide au remboursement de la première, même si cela a pour effet de faire peser sur un État les conséquences de l’incurie d’un autre. Sans vouloir remettre en cause la marge d’appréciation dont dispose la Commission en matière d’aides (CJCE, 15 mai 1997, aff. C-355/95 P, préc., pt. 26), il nous paraît opportun qu’au lieu d’exclure le jeu de la doctrine Deggendorf, la Commission s’assure tout du moins de l’effet du cumul des aides et/ou de leur absence de récupération. Il en va, selon nous, de la nature même de l’office de la Commission (qui, selon l’arrêt du 3 octobre 1991, « doit prendre en considération tous les éléments pertinents, y compris (…) les obligations qu’[une] décision antérieure a pu imposer à un État membre », et pas seulement à l’État partie à la procédure relative à la nouvelle aide, nous soulignons) et de la protection si ce n’est de la concurrence au moins

des concurrents du récipiendaire d’une aide incompatible dont la récupération a été ordonnée. Enfin, il est loisible de s’interroger sur la conformité d’une telle pratique au principe général du droit communautaire d’égalité de traitement qui, ne relevant pas des droits de la défense (rappelons que ces derniers ne peuvent être invoqués que par les États à la procédure et non les entreprises notamment récipiendaires, >

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AIDE NOUVELLE SUR AIDE ILLÉGALE ET INCOMPATIBLE NON REMBOURSÉE NE VAUT – ACTUALITÉ DE LA DOCTRINE DEGGENDORF

cf. CJCE, 24 sept. 2002, aff. C-74/00 P et C-75/00 P, Falck et Acciaierie di Bolzano c/ Commission, pts. 80 à 83, Rec. CJCE, I, p. 7869), pourrait être invoqué dans le cadre

d’un recours notamment par les récipiendaires d’aides multiples accordées par un seul et même État et partant, soumis à la doctrine Deggendorf. Toujours concernant le champ d’application matériel de la doctrine Deggendorf, une autre source d’interrogations persiste. Elle a trait à la nature des mesures susceptibles d’entrer dans son champ d’application. En effet, dans l’affaire des aides espagnoles au fonctionnement liées à la livraison de trois navires-citernes transporteurs de GNL construits par le chantier naval IZAR, la Commission a clairement énoncé « qu’elle ne peut prendre une décision ordonnant la suspension du paiement d’une aide compatible avec le marché commun – le principe de l’arrêt Deggendorf – que lorsque l’aide autorisée par la nouvelle décision engendre un cumul des aides rendant la nouvelle aide incompatible » (Déc. Comm. CE n° 2003/691, 9 juill. 2003, pt. 26). En l’espèce, l’Espagne avait fait usage du règlement n° 1540/98 concernant la construction navale (remplacé, en 2003, par l’encadrement sur les aides d’État à la construction navale, JOUE 30 déc. 2003, n° C 317, puis prorogé à ce jour jusqu’au 31 décembre 2011) pour subventionner la commande d’IZAR

de plusieurs transporteurs de GNL. En raison de la complexité du projet, elle réclama à la Commission l’autorisation de proroger de trois ans la date de livraison de ces transporteurs, ce que le règlement n° 1540/98 permettait en cas de circonstances exceptionnelles ou de complexité technique. Or, au moment du contrôle effectué par la Commission sur la prorogation de ce délai de livraison, s’est posée la question de l’application de la doctrine Deggendorf, puisque le chantier naval en cause avait également été récipiendaire du crédit d’impôt accordé par l’Espagne aux chantiers navals espagnols, dont la Commission avait constaté l’incompatibilité avec le Traité et ordonné sans succès la récupération. Toutefois, la Commission n’impose pas le remboursement préalable de l’aide. Pour ce faire, elle constate que, « dans la présente affaire, elle n’a pas à se prononcer sur l’éventuel effet de cumul sur le montant de l’aide à autoriser, mais simplement sur l’existence de conditions spécifiques justifiant une prorogation ». En d’autres termes, elle exclut l’application de la doctrine Deggendorf dans la mesure où elle était confrontée non pas à une aide nouvelle mais à la prorogation d’une aide existante. Or, pour des raisons assez similaires à celles précédemment envisagées, il est loisible de s’interroger sur le choix de la Commission et ce, d’autant plus qu’en l’espèce, le refus d’autoriser la prorogation du délai aurait eu pour effet de faire tomber ab initio l’aide dans l’incompatibilité et d’imposer sa récupération. On peut en effet s’interroger sur la pertinence économique d’un tel raisonnement ainsi que sur sa justification notamment au regard de la ratio legis de la doctrine Deggendorf. Malgré certaines incertitudes pesant essentiellement sur le champ d’application de la jurisprudence Deggendorf, une évidence s’impose : les États membres dispensateurs ainsi que les entreprises récipiendaires (potentielles) prennent une part active dans le bon déroulement de la procédure de contrôle et ce, tout particulièrement lorsque la doctrine Deggendorf est susceptible d’être mise en œuvre. Leur diligence au cours de la procédure de contrôle conditionne grandement la fluidité et la célérité des procédures devant la Commission.

II. – DES IMPLICATIONS PRATIQUES DE LA DOCTRINE DEGGENDORF La démonstration de l’absence de soutien préalable, la preuve du remboursement total d’une aide préalablement déclarée

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incompatible (Déc. Comm. CE n° 2004/170, 21 oct. 2003, concernant les aides à la recherche et développement pour le site de Zamudio (Pays basque) que l’Espagne a envisagé de mettre à exécution en faveur de l’entreprise Industria de Turbo Propulsores, SA; par remboursement total, il convient d’entendre le remboursement des sommes versées ou obtenues assorties du taux d’intérêt calculé conformément aux articles 9 à 11 du règlement n° 794/2004, JOUE 30 avr. 2004, n° L 140) ou encore l’engagement de

l’État de ne pas procéder au versement de nouvelles aides tant que les précédentes n’ont pas été remboursées sont autant d’éléments à même de libérer l’État dispensateur et l’entreprise récipiendaire de l’aide du joug de la doctrine Deggendorf. Toutefois, pour ce faire, la Commission doit obtenir la coopération non seulement de l’État dispensateur, mais également celle des entreprises dont elle sait ou envisage qu’elles aient pu être bénéficiaires d’une aide préalable déclarée incompatible. Cette exigence de coopération loyale fait peser, tant sur l’État que sur le récipiendaire (éventuel), une responsabilité qui doit modeler leurs relations respectives avec la Commission européenne. A. – La responsabilité déterminante de l’État dispensateur De jurisprudence constante, l’État membre qui demande à pouvoir octroyer des aides en dérogation aux règles du Traité est tenu à un devoir de collaboration envers la Commission, en vertu duquel il lui incombe, notamment, de fournir tous les éléments de nature à permettre à cette institution de vérifier que les conditions de la dérogation sollicitée sont remplies (CJCE, 28 avr. 1993, aff. C-364/90, Italie c/ Commission, pt. 20, Rec. CJCE, I, p. 2097; TPICE, 15 juin 2005, aff. T-171/02, Regione autonoma della Sardegna c/ Commission, pt. 129, Rec. CJCE, II, p. 2123). Ce devoir de coopération loyale fait donc de

l’État dispensateur l’acteur majeur du bon déroulement de la procédure de contrôle, spécialement lorsque la doctrine Deggendorf est susceptible d’être mise en œuvre. Ne pouvant disposer par elle-même des éléments nécessaires pour s’assurer que la nouvelle aide n’emporte pas d’effet cumulatif ni de distorsion de concurrence et ce, tout particulièrement lorsque sont en cause des régimes d’aides dont les bénéficiaires et le montant des soutiens peuvent s’avérer délicats à identifier, la Commission doit essentiellement s’appuyer sur les États membres dont elle ne saurait admettre qu’ils tirent parti de leur propre turpitude. La diligence de ce dernier dispensateur ou, au contraire, sa mauvaise volonté et/ou sa réticence à fournir les informations utiles à la Commission conditionne ainsi si ce n’est le sens de la décision de la Commission au moins la célérité de la procédure. La pratique décisionnelle de la Commission révèle ainsi que, même en cas d’absence de récupération préalable d’une aide déclarée incompatible, la bonne volonté et la diligence des États dispensateurs permettent un traitement aisé si ce n’est rapide des demandes d’autorisation d’aides dont la compatibilité par elle-même ne pose pas de difficulté. À titre d’exemple, nombreuses sont les décisions dans lesquelles la Commission a conditionné la compatibilité de l’aide au respect par l’État d’engagements de nature à assurer le remboursement des aides incompatibles préalablement au versement de toute aide nouvelle, le plus souvent en transformant l’engagement de l’État en condition de compatibilité de l’aide notifiée. Ainsi, elle a pu autoriser l’aide française à FagorBrandt alors même que cette dernière demeurait redevable de l’aide née de l’article 44 septies du Code général des impôts (Déc. Comm. CE n° 2004/343, 16 déc. 2003, JOUE 16 avr. 2004, n° L 108, Dr. fisc. 2003, n° 272, concernant le régime d’aides d’État mis à exécution par la France concernant la reprise d’entreprises en difficulté). De manière plus topique encore, dans l’affaire du plan

français de sauvetage et de restructuration des entreprises de

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AIDES D’ÉTAT

(Déc. Comm. CE n° 2008/208, 23 oct. 2007, concernant l’aide d’État n° C 30/2006 (ex N pêche en difficulté (Déc. Comm. CE n° C (2008) 5067 final, 8 oct. 2008, concernant l’aide d’État n° NN 9/2008), la Commission a même pu faire le 367/05 et N 623/05) que l’Italie entend mettre en œuvre en modifiant un régime existant choix de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen, nonde réduction des droits d’accises sur les biocarburants : à l’occasion de l’examen de ce méobstant le fait que les aides en cause concernaient des entrecanisme d’aide, l’Italie a refusé, au stade de l’examen préliminaire, de satisfaire à la deprises qui, pour la plupart, avaient déjà bénéficié du Fonds mande de la Commission de suspendre le versement de cette aide aux entreprises qui n’avaient de prévention des aléas pêche mis en place en 2004 pour compas encore remboursé un certain nombre d’autres aides illégales déclarées incompatibles, penser partiellement les coûts de carburant supportés par les ce qu’elle ne pourra accepter qu’au cours de la procédure formelle d’examen; Déc. Comm. entreprises de pêche, et au sujet duquel la Commission a CE n° 2006/941, 8 nov. 2006, concernant l’aide d’État n° C 11/06 (ex N 127/05) que l’Itarendu, le 20 mai 2008, une décision négative accompagnée lie entend mettre à exécution en faveur de l’AEM Torino : l’Italie n’a pas répondu à la lettre d’un ordre de récupération (Aide d’État n° C9/20066). Pour ce faire qui lui annonçait l’ouverture de la procédure formelle d’examen). Et ce, d’autant et ainsi permettre un versement rapide et surtout légal des plus que ce comportement va à l’encontre de leurs propres aides en cause, elle s’est contentée de prendre acte d’engageintérêts et préjudicie in fine aux entreprises qu’ils entendent ments (immédiats) de la France. Alors même qu’elle constasoutenir. Dans le meilleur des cas, ces derniers doivent patait être dans l’impossibilité d’évaluer l’effet cumulatif des tienter jusqu’à l’issue de la procédure formelle d’examen, sauf aides antérieures et des aides relevant du régime d’aides en à accepter une aide qui sera grevée d’une illégalité suscepcause et leur incidence sur le Marché commun en matière de tible d’être sanctionnée par le juge national, soit par la récudistorsion de la concurrence, dans la mesure où la France pération intégrale de l’aide assortie d’intérêts soit, en cas de n’avait pas communiqué la liste des entreprises bénéficiaires décision de compatibilité passée en force de chose décidée, ni informé de l’état d’avancement des au mieux par le paiement d’intérêts pour procédures de recouvrement, elle prend la période d’illégalité (sur ce point, cf. CJCE, Si le manque de diligence acte des engagements des autorités fran12 févr. 2008, aff. C-199/06, CELF, préc.). ou la mauvaise volonté çaises « lors de la mise en œuvre du préEnfin, il importe de relever que, si le de l’État peuvent retarder sent régime d’aides, à vérifier si les bémanque de diligence ou la mauvaise voconsidérablement néficiaires de ce régime ont perçu des lonté de l’État peuvent retarder considéet inutilement aides déclarées illégales et incompatibles rablement et inutilement les procédures, par une décision de la Commission et, ils n’ont à ce jour jamais justifié à eux les procédures, ils n’ont dans l’affirmative, à procéder au recouseuls une déclaration d’incompatibilité. à ce jour jamais justifié à vrement de ces aides majorées des intéAinsi, ils confortent la Commission dans eux seuls une déclaration rêts correspondants avant le paiement son appréciation de l’incompatibilité d’un d’incompatibilité. des nouvelles aides » et décide que, « a mécanisme de soutien plus qu’ils ne la priori, les aides que la France envisage motivent (Déc. Comm. CE n° 2007/499, 21 févr. 2007, de verser dans le cadre du présent régime d’aides n’auront pas concernant l’aide d’État n° C 16/2006 (ex NN 34/2006) de la Région de Sardaigne en faveur l’effet cumulatif et l’impact sur le marché commun en termes de la Nuova Mineraria Silius SpA; Déc. Comm. CE n° 2002/783, 12 mars 2002, relative à de distorsion de concurrence que l’application de la jurisprul’aide d’État n° C 62/2001 (ex NN 8/2000) accordée par l’Allemagne en faveur de Neue Erba dence Deggendorf permet d’éviter » (ibid., pts. 76 à 79). Lautex GmbH et Erba Lautex GmbH in Gesamtvollstreckung). À titre d’exemple, Si la coopération loyale et poussée de l’État dispensateur est dans l’affaire Euromoteurs (Déc. Comm. CE n° 2006/747, 26 avr. 2006), la à même d’accélérer sensiblement l’adoption d’une décision Commission adopte une approche décentrée en retenant que positive au bénéfice tant de l’État que des entreprises réci« l’aide notifiée et le plan de restructuration l’accompagnant piendaires, la mauvaise volonté de celui-ci peut en revanche ne prennent pas en compte la possibilité du remboursement de générer un allongement bien inutile et préjudiciable des prol’aide illégale et incompatible qu’Euromoteurs a perçue en vertu cédures. Il en va tout particulièrement ainsi lorsque l’ouverde l’article 44 septies (…) [Or] ce remboursement va aggraver ture de la procédure formelle est justifiée uniquement par le les problèmes financiers de l’entreprise et la Commission consimanque de loyauté de l’État dispensateur vis-à-vis de la Comdère que, dans ces conditions, le plan ne peut être considéré mission. En effet, si, le plus souvent, l’absence de recouvrecomme réaliste » (pt. 51). ment d’une aide préalablement déclarée incompatible ou à B. – La responsabilité concurrente des entreprises tout le moins d’engagements de l’État en ce sens constitue récipiendaires une cause parmi d’autres justifiant l’ouverture de la procédure formelle de l’article 88, paragraphe 2, CE (Déc. Comm. CE Traditionnellement considérés comme de simples « sources d’informations » de la Commission (CJCE, 12 juill. 1973, aff. 70/72, Comn° C (2008) 4777 final, 10 sept. 2008, concernant l’aide d’État n° C39/2008 (ex N 148/2008) – mission c/ Allemagne, pt. 19, Rec. CJCE, p. 813; CJCE, 20 mars 1984, aff. 84/82, Allemagne Roumanie/aide à la formation à Ford Craiova), il n’est pas exclu qu’elle puisse en être la justification exclusive. En ce sens, l’affaire de l’aide c/ Commission, pt. 13, Rec. CJCE, p. 1451; TPICE, 10 avr. 2003, aff. T-366/00, Scott c/ Comitalienne à AEM Torino, sous commentaire, est topique. Alors mission, pt. 59, Rec. CJCE, II, p. 1763) et partant réduits à la portion congrue même que la Commission n’avait aucun doute sur la compa(sur une lente amélioration de leur statut, cf. Karpenschif M., De nouveaux droits pour les tibilité du soutien à AEM Torino – puisqu’elle constatait que entreprises bénéficiaires d’aides dans le contentieux communautaire des aides d’État?, RLDA la méthode utilisée pour calculer le montant des coûts échoués 2005/4, n° 203; TPICE, 29 mars 2007, aff. T-366/00, Scott c/ Commission, Rec. CJCE, II, ainsi que le calcul lui-même correspondaient à toutes les inp. 797, Muguet-Poullennec G., Vers une redéfinition de la pratique de la Commission en madications figurant dans la Communication relative à la métière d’aides d’État?, RLC 2007/12, n° 832), les bénéficiaires potentiels d’une thodologie d’analyse des aides d’État liées à des coûts échoués, aide projetée ne doivent pas pour autant en délaisser la proelle ouvrit la procédure formelle pour la seule raison que « l’Itacédure de contrôle des aides d’État. lie n’a pas précisé si elle a déjà récupéré l’aide antérieure que Comme la juridiction communautaire a eu l’occasion de le l’AEM Torino a, selon toute probabilité, reçue ». Dès lors, il est préciser et malgré un statut peu enviable, ils sont néanmoins loisible de s’interroger sur les raisons qui peuvent pousser soumis à une obligation de coopération loyale similaire à celle certains États dispensateurs à s’engager dans la voie de l’afs’imposant aux États membres. Il a en ce sens été jugé que, frontement avec la Commission lors des procédures de contrôle dès lors que la décision d’ouvrir la procédure prévue à l’ar- >

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AIDE NOUVELLE SUR AIDE ILLÉGALE ET INCOMPATIBLE NON REMBOURSÉE NE VAUT – ACTUALITÉ DE LA DOCTRINE DEGGENDORF

ticle 88, paragraphe 2, CE contient une analyse préliminaire suffisante de la Commission exposant les raisons pour lesquelles elle éprouve des doutes quant à la compatibilité des aides en cause avec le marché commun, il revient non seulement à l’État membre mais également au bénéficiaire potentiel d’apporter les éléments de nature à démontrer que ces aides sont compatibles avec le marché commun et, éventuellement, de faire part de circonstances spécifiques relatives au remboursement d’aides déjà versées, dans le cas où la Commission viendrait à exiger celui-ci (TPICE, 4 janv. 2004, aff. T-109/01, Fleu-

contrôle est, au contraire, tout à son avantage. Notamment lorsque sont en cause des régimes d’aides pour lesquels les bénéficiaires ainsi que le montant des soutiens ne sont pas ou difficilement identifiables et que l’État fait preuve de peu ou pas de diligence, l’entreprise récipiendaire de l’aide nouvelle peut, voire doit, apporter tous les éléments permettant à la Commission de s’assurer de l’absence d’aide préalable dans le chef du récipiendaire de l’aide nouvelle (Déc. Comm. CE n° 2007/508, 6 déc. 2006,

ren Compost c/ Commission, pt. 45, Rec. CJCE, II, p. 127; TPICE, 18 nov. 2004, aff. T-176/01, Ferriere Nord c/ Commission, pts. 93 et 94, Rec. CJCE, II, p. 3931).

boursement de celle-ci. Naturellement et même si les textes n’envisagent pas cette hypothèse, il nous paraît évident qu’une telle démarche réalisée au cours de la procédure préliminaire dans une hypothèse telle que celle de l’affaire AEM Torino est à même d’éviter l’ouverture de la procédure formelle de l’article 88, paragraphe 2, CE, soit si les doutes de la Commission tiennent uniquement à un défaut d’information (Déc. Comm. CE n° 2006/598, 16 mars 2005, préc.), soit si cela conduit l’État dispensateur à rapidement s’engager à ne pas procéder au versement de l’aide nouvelle tant que l’aide incompatible préalable n’a pas été récupérée. Toutefois, il paraît bien délicat d’évaluer dans quelle mesure les entreprises récipiendaires sont susceptibles de contrebalancer l’inertie totale de l’État dispensateur dans la récupération d’une aide incompatible préalable. La jurisprudence du Tribunal qui insiste sur le fait que la doctrine Deggendorf s’applique à raison de l’inexécution de l’ordre de récupération par l’État et non de l’absence de remboursement par l’entreprise récipiendaire (pt. 84) tend à placer l’entreprise récipiendaire de bonne volonté dans une impasse. Mais, en sens contraire, la pratique de la Commission semble laisser plus d’espoir dans la mesure où elle paraît réserver l’hypothèse où l’entreprise récipiendaire viendrait, de sa propre initiative, à constituer une réserve sur un compte bloqué (Déc. Comm. CE n° 2006/598, 16 mars 2005, préc., spéc. pt. 80). ◆

Les entreprises récipiendaires sont ainsi amenées à devoir contribuer au bon déroulement de la procédure de contrôle voire éventuellement à palier l’inertie des États dispensateurs, tout particulièrement lorsque la doctrine Deggendorf est actionnée par la Commission. Le Tribunal ayant conclu que l’absence d’effet cumulé des aides illégales antérieures et des aides nouvelles faisant partie intégrante de l’examen général de compatibilité de l’aide proposée (pt. 103), « il en résulte que l’obligation pesant (…) sur l’entreprise potentiellement bénéficiaire d’aides nouvelles d’apporter à la Commission les éléments de nature à démontrer que ces aides sont compatibles avec le marché commun (…) s’étend également à la nécessité d’établir l’absence d’effet cumulé de l’aide nouvelle avec des aides antérieures illégales et incompatibles avec le marché commun et non remboursées ». En pratique, et même si la bonne volonté démontrée du récipiendaire des aides incompatibles de rembourser ces dernières n’est en principe pas de nature à contrebalancer l’inertie de l’État dispensateur en matière de récupération et ainsi de permettre de faire pièce à l’application de la doctrine Deggendorf (Déc. Comm. CE n° 2006/941, 8 nov. 2006, pt. 80, concernant l’aide d’État n° C 11/06 (ex N 127/05) que l’Italie entend mettre à exécution en faveur de l’AEM Torino), la bonne volonté manifestée par celui-ci au cours de la procédure de

spéc. pt. 49, concernant l’aide d’État C 22/06 (ex N 615/05) que l’Italie envisage de mettre à exécution en vue de la réduction du taux de taxation des émulsions d’eau) ou du rem-

RECENSION DES DÉCISIONS DE LA COMMISSION APPLIQUANT LA DOCTRINE DEGGENDORF

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Déc. Comm. CE n° C (2008) 5995 final, 21 oct. 2008, concernant l’aide d’État n° C 44/2007 (ex N 460/2007) que la France envisage de mettre à exécution en faveur de l’entreprise FagorBrandt

Décision de compatibilité à l’issue de la procédure préliminaire sous condition de remboursement préalable

Déc. Comm. CE n° C (2008) 5067 final, 8 oct. 2008, concernant l’aide d’État n° NN 9/2008 – France/Plan de sauvetage et de restructuration des entreprises de pêche en difficulté

Décision de compatibilité à l’issue de la procédure préliminaire, sans condition (mais engagement de l’État français de vérifier si les bénéficiaires de ce régime ont perçu des aides déclarées illégales et incompatibles par une décision de la Commission et, dans l’affirmative, de procéder au recouvrement de ces aides majorées des intérêts correspondants avant le paiement des nouvelles aides)

Déc. Comm. CE n° C (2008) 4777 final, 10 sept. 2008, concernant l’aide d’État n° C39/2008 (ex N 148/2008) – Roumanie/aide à la formation à Ford Craiova

Décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen

Déc. Comm. CE n° 2008/408, 20 nov. 2007, concernant l’aide d’État n° C 36/A/06 (ex NN 38/06) mise à exécution par l’Italie en faveur de ThyssenKrupp, Cementir et Nuova Terni Industrie Chimiche

Décision d’incompatibilité

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ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE

AIDES D’ÉTAT

Déc. Comm. CE n° 2008/208, 23 oct. 2007, concernant l’aide d’État n° C 30/2006 (ex N 367/05 et N 623/05) que l’Italie entend mettre en œuvre en modifiant un régime existant de réduction des droits d’accises sur les biocarburants

Décision de compatibilité à l’issue de la procédure formelle d’examen, sans condition (mais engagements de l’État italien d’insérer dans l’appel d’offres relatif aux biocarburants une clause qui subordonne le droit de participation à l’absence de tout cumul avec de précédentes aides illégales et de suspendre le paiement des nouvelles aides lorsque les bénéficiaires n’ont pas encore remboursé les aides incompatibles réclamées par la Commission dans sa décision d’ouverture de la procédure)

Déc. Comm. CE n° 2007/375, 7 févr. 2007, concernant l’exonération du droit d’accise sur les huiles minérales utilisées comme combustible pour la production d’alumine dans la région de Gardanne, dans la région du Shannon et en Sardaigne, appliquée respectivement par la France, l’Irlande et l’Italie [C 78/2001 (ex NN 22/01), C 79/200 (ex NN 23/01), C 80/2001 (ex NN 26/01)] [notifiée sous le numéro C (2007) 286] : compatibilité (suspension jusqu’à remboursement)

Décision de compatibilité adoptée à l’issue de la procédure formelle d’examen, assortie d’une obligation de suspension de versement jusqu’à remboursement des aides illégales et incompatibles

Déc. Comm. CE n° 2007/508, 6 déc. 2006, concernant l’aide d’État C 22/06 (ex N 615/05) que l’Italie envisage de mettre à exécution en vue de la réduction du taux de taxation des émulsions d’eau

Décision de compatibilité adoptée à l’issue de la procédure formelle d’examen, sans condition (mais engagement des autorités italiennes de suspendre le paiement de l’aide, dans le cas où en bénéficierait une entreprise qui n’aurait pas encore remboursé ni payé sur un compte bloqué une aide illégale et incompatible reçue sur la base des mesures d’aide énoncées par la Commission dans sa décision d’ouverture de la procédure)

Déc. Comm. CE n° 2007/499, 21 févr. 2007, concernant l’aide d’État n° C 16/2006 (ex NN 34/2006) de la Région de Sardaigne en faveur de la Nuova Mineraria Silius SpA

Décision d’incompatibilité

Déc. Comm. CE n° 2006/941, 8 nov. 2006, concernant l’aide d’État n° C 11/06 (ex N 127/05) que l’Italie entend mettre à exécution en faveur de l’AEM Torino

Décision de compatibilité adoptée à l’issue de la procédure formelle d’examen, sous condition pour l’Italie d’apporter la preuve que l’AEM Torino n’est pas bénéficiaire de l’aide antérieure accordée dans le cadre du régime en faveur des « municipalizzate », déclarée illégale et incompatible avec le traité par la décision n° 2003/193/CE, ou la preuve que l’AEM Torino a remboursé avec les intérêts l’aide antérieure obtenue dans le cadre du régime précité TPICE 11 févr. 2009, aff. T-25/07, Iride et Iride Energia c/Commission (rejet)

Déc. Comm. CE n° 2006/747, 26 avril 2006, concernant l’aide d’État que la France envisage de mettre à exécution en faveur d’Euromoteurs

Décision d’incompatibilité

Déc. Comm. CE n° 2006/598, 16 mars 2005, concernant l’aide d’État que l’Italie – région du Latium – entend mettre en œuvre en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre

Décision de compatibilité adoptée à l’issue de la procédure formelle d’examen, sans condition mais l’aide ne peut être concédée avant que l’Italie n’ait fourni la preuve qu’ACEA a restitué l’aide déclarée illégale et incompatible appréciée dans le cadre de la décision n° 2003/193/CE, majorée des intérêts Recours pendant (n° T-303/05), introduit le 3 août 2005

Déc. Comm. CE n° 2005/941, 1er déc. 2004, concernant l’aide d’État que la France envisage de mettre à exécution en faveur de la société Bull

Décision de compatibilité adoptée à l’issue de la procédure formelle d’examen, sous condition que l’aide ne sera pas versée avant le remboursement de l’aide au sauvetage approuvée par la décision n° 2003/599/CE >

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AIDE NOUVELLE SUR AIDE ILLÉGALE ET INCOMPATIBLE NON REMBOURSÉE NE VAUT – ACTUALITÉ DE LA DOCTRINE DEGGENDORF

Déc. Comm. CE n° C (2003) 4069 final, 11 nov. 2003, concernant les aides n° N 614/02 en faveur de la réduction des émissions polluantes – Italie, Piémont

Décision de compatibilité à l’issue de la procédure préliminaire, avec l’engagement de l’État italien de vérifier si certaines entreprises n’avaient pas reçu des aides incompatibles préalables et, dans l’affirmative, à ne pas verser l’aide en cause avant récupération de la précédente

Déc. Comm. CE n° 2004/170, 21 oct. 2003, concernant les aides à la recherche et développement pour le site de Zamudio (Pays basque) que l’Espagne a envisagé de mettre à exécution en faveur de l’entreprise Industria de Turbo Propulsores, SA

Décision de compatibilité adoptée à l’issue de la procédure formelle d’examen. Non-lieu à s’interroger sur l’application de la jurisprudence Deggendorf dans la mesure où la preuve du remboursement des aides antérieures a été apportée

Déc. Comm. CE n° 2003/691, 9 juill. 2003, relative à l’aide d’État que le Royaume d’Espagne envisage d’accorder sous forme d’aides au fonctionnement liées à la livraison de trois navires-citernes transporteurs de GNL construits par IZAR

Non-lieu à s’interroger sur l’application de la jurisprudence Deggendorf en l’absence de cumul d’aides, puisqu’était en cause non pas une aide nouvelle mais la prorogation d’un mécanisme d’aide existant

Déc. Comm. CE n° 2002/783, 12 mars 2002, relative à l’aide d’État n° C 62/2001 (ex NN 8/2000) accordée par l’Allemagne en faveur de Neue Erba Lautex GmbH et Erba Lautex GmbH in Gesamtvollstreckung

Décision d’incompatibilité

Déc. Comm. CE n° 1999/509, 14 oct. 1998 concernant des aides accordées par l’Espagne aux entreprises du groupe Magefesa et à ses successeurs

RLC

AIDES D’ÉTAT 1415

Licence UMTS, suite et fin

La Cour confirme que l’harmonisation du montant des redevances UMTS entre les différents opérateurs par la France ne constituait pas une aide d’État. CJCE, 2 avr. 2009, aff. C-431/07, Bouygues et Bouygues Telecom c/ Commission

Nous avions déjà évoqué dans ces lignes l’affaire des licences UMTS (Gunther J.-P. et Giraud A., Licence UMTS : modification rétroactive (à la baisse) des conditions tarifaires, RLC 2007/13, n° 907 et Giraud A., Licence UMTS, (suite) : l’avocat général propose le rejet du pourvoi de Bouygues par substitution de motifs, RLC 2009/18, n° 1287). Par un arrêt en date du 2 avril 2009, la Cour de jus-

tice des Communautés européennes est venue confirmer en tous points l’analyse du Tribunal de première instance dans son arrêt du 4 juillet 2007. Pour rappel, en 2000, l’État français avait organisé un appel à candidatures afin d’attribuer quatre licences UMTS. Seuls deux opérateurs, Orange et SFR avaient répondu à cet appel d’offres et s’étaient vu attribuer des licences. Dans le but d’accroître la concurrence dans le secteur, les autorités françaises avaient jugé utile d’organiser un nouvel appel à candidatures, à des conditions économiques plus intéressantes. Cela a amené Bouygues Telecom à se porter candidate et à se voir attribuer une licence près d’un an et demi après ses concurrentes. En

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Décision d’incompatibilité

parallèle, l’État français a modifié les conditions économiques applicables à Orange et SFR, pour les aligner sur celles applicables à Bouygues Telecom. Considérant que cet alignement des conditions applicables aux différents opérateurs constituait une aide d’État au bénéfice de ses concurrents, Bouygues Telecom a déposé une plainte auprès de la Commission. Cette dernière a décidé, en application de l’article 88 du Traité CE, de ne pas soulever d’objections à l’encontre de la mesure en cause. Saisi d’un recours en annulation formé par Bouygues Telecom, le Tribunal de première instance a confirmé le contenu de la décision de la Commission et a affirmé que la modification du montant des redevances dues par Orange et SFR pour l’aligner sur celui des redevances dues par Bouygues Telecom ne constituait pas une aide d’État incompatible au sens de l’article 87 du Traité CE. Plus précisément, le Tribunal a considéré que (i) le changement des conditions octroyées à Orange et SFR, se traduisant par la renonciation par la France à ses créances auprès des opérateurs, était justifié par la nature et l’économie du système instauré par la directive n° 97/13 qui imposait aux États membres l’ouverture à la concurrence de ce marché, et (ii) que l’antériorité dont avaient bénéficié Orange et SFR dans l’octroi de leur licence n’avait en réalité pas profité à ces dernières. Malgré les raisonnements alternatifs proposés par l’avocat général Trstenjak (Concl. av. gén. Trstenjak, CJCE, 8 oct. 2008, aff. C-431/07, Bouygues SA c/ Commission, cf., à ce propos, Giraud A., Licence UMTS, (suite) : l’avocat général propose le rejet du pourvoi de Bouygues par substitution de motifs, préc.), la Cour a re-

pris en tous points ceux du Tribunal.

Droit I Économie I Régulation

ACTUALITÉS

AIDES D’ÉTAT

La directive n° 97/13 ainsi que la décision n° 128/1999 prise en son application imposaient aux États membres d’introduire les services UMTS sur leur territoire avant un délai fixé et en attribuant les licences dans le respect des principes de libre concurrence et d’égalité de traitement. La Cour considère dans l’arrêt commenté que les contraintes pesant sur les États membres avaient imposé à l’État français de réagir comme il l’a fait face au nombre réduit de réponses. En effet, selon la Cour, face à l’insuffisance du nombre de candidatures présentées pour garantir une concurrence effective sur le marché, la France n’avait que trois options : (i) reprendre ab initio la procédure d’attribution des licences, (ii) lancer un appel d’offres complémentaire sans modifier le montant des redevances dues par Orange et SFR ou (iii) lancer un appel d’offres complémentaire en modifiant les montants dus par Orange et SFR – ce qu’a fait la France. La Cour considère, comme le Tribunal, que l’abandon des créances en cause par la France était rendu inévitable par la nature et l’économie du système entourant ces licences. En effet, alors que la reprise de la procédure ab initio aurait entraîné des retards dans la mise en œuvre de l’ouverture du marché, le maintien du montant des redevances d’Orange et SFR aurait créé une discrimination entre les opérateurs. Les deux premières options devaient donc, selon la Cour, être exclues dans la mesure où elles auraient placé la France en contravention avec l’encadrement communautaire des services de télécommunications. En rejoignant de la sorte le raisonnement du Tribunal, la Cour a décidé de ne pas suivre celui qui avait été proposé par l’avocat général Trstenjak. Selon ce dernier, l’abandon des créances détenues par l’État français auprès d’Orange et SFR ne lui était pas imputable car il était rendu nécessaire par le respect du droit communautaire. L’imputabilité de la mesure à l’État étant une des conditions d’existence d’une aide d’État, cette solution présentait l’avantage de la simplicité. La Cour a préféré considérer que l’abandon de créances était justifié par la nature et l’économie du système. Ce faisant, elle entérine une interprétation inhabituelle, longuement discutée dans ces lignes, de cette justification. Historiquement, les notions de « nature et économie du système », qui permettent d’écarter la qualification d’aide en présence de mesures a priori sélectives mais dont le champ d’application répond à une logique propre et cohérente, trouvent à s’appliquer en matière fiscale et se réfèrent à un « système » issu d’une réglementation nationale (pour une illustration récente, cf. Ababou D., Condition de sélectivité : le Tribunal rappelé à l’ordre, RLC 2009/19, n° 1347). Ici, la Cour propose une interprétation de la notion qui s’étendrait hors du champ fiscal et prendrait pour référence un corpus de règles communautaires. 2. L’antériorité des licences accordées à Orange et SFR ne les mettait pas dans une situation différente de celle de Bouygues Telecom La seconde question que soulevaient les faits de l’espèce tenait à l’existence ou non d’une discrimination entre Orange et SFR, d’une part, et Bouygues Telecom, d’autre part. La requérante considérait en effet que l’abandon de créances de la France créait une discrimination entre les opérateurs puisque leur étaient appliquées des conditions financières identiques

Droit I Économie I Régulation

alors qu’ils se trouvaient dans des situations différentes. Selon elle, l’antériorité d’allocation des licences UMTS à Orange et SFR leur conférait une valeur économique supérieure. La Cour rejoint Bouygues Telecom sur le fond de son argument en admettant que « l’antériorité des licences UMTS attribuées à Orange et à SFR n’aurait pu justifier, voire exiger, la fixation des redevances y afférentes à un montant supérieur à celui de la redevance due par Bouygues Telecom que si la valeur économique de ces licences pouvait être considérée, du seul fait de cette antériorité, comme supérieure à celle de la licence attribuée à cette dernière société » (pt. 115). Cependant, elle considère qu’en l’espèce toutes les licences UMTS ont la même valeur puisque Orange et SFR n’ont pas pu utiliser ces licences et entrer sur le marché avant leur concurrent, pour des raisons qui leur étaient extérieures (en l’occurrence, des difficultés techniques et un contexte économique peu favorable). Dès lors, l’harmonisation du montant des redevances ne comportait aucune discrimination en faveur d’Orange et de SFR. Nous avions déjà exprimé ici nos réserves quant à ce raisonnement qui revient à exclure la qualification d’aide d’État au regard d’éléments extérieurs à la mesure en cause, tenant à la question de savoir si le bénéficiaire a, dans les faits, profité de l’avantage qui lui était conféré. Une telle approche va à l’encontre du fait que la notion d’aide est une notion objective ; la qualification d’aide dépend non pas des effets que la mesure a produits mais de ceux qu’elle est susceptible de produire. Si l’argumentation sur laquelle repose cet arrêt nous paraît critiquable, la solution dans cette affaire est, elle, justifiée. La décision de Bouygues Telecom de ne pas participer au premier appel d’offres, certainement dans l’espoir de voir les prix des licences baisser, justifie seule la décision de la France de réorganiser une consultation et d’aligner les redevances dues par les opérateurs. Cette circonstance aurait permis une meilleure justification de la mesure en cause, mais n’a, malheureusement, pas été examinée par la Cour. David TAYAR et Adrien GIRAUD Avocats RLC

1. La renonciation de la France aux créances nées des conditions de licence initialement accordées à Orange et SFR était justifiée par la nature et l’économie du système

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Grille d’analyse de la compatibilité des aides d’État La Commission organise une consultation sur un projet de grille d’application de l’article 87, paragraphe 3, du Traité CE. Projet de principes communs d’évaluation économique de la compatibilité des aides d’État en application de l’article 87, paragraphe 3

La Commission est actuellement particulièrement active sur le chantier de la réforme du droit des aides d’État. Dans ce numéro, nous faisons état de plusieurs publications communautaires participant de cette logique (voir infra, RLC 2009/20, n° 1417, obs. D.T. et A.G.). Elle a notamment organisé une consultation, qui s’est clôturée le 11 juin 2009, sur un projet de « Principes communs d’évaluation économique de la compatibilité des aides d’État en application de l’article 87, paragraphe 3 ». L’article 87, paragraphe 3, du Traité CE prévoit que peuvent être considérées comme compatibles avec le Marché commun les mesures constituant des aides d’État mais contribuant à >

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sion de concurrence. L’aide peut limiter les profits des concurrents du bénéficiaire et donc réduire leur propension à investir et à se faire concurrence. L’aide peut aussi, en réduisant les coûts de certains intrants (main-d’œuvre ou coût d’établissement, par exemple), nuire aux fournisseurs d’intrants concurrents. La Commission indique qu’elle sera particulièrement sensible aux distorsions entre les États membres qui peuvent notamment découler d’aides régionales. Aux termes du projet, l’évaluation des effets négatifs des aides consistant en une détermination des potentielles distorsions de concurrence, elle nécessitera l’identification des produits, consommateurs et concurrents affectés. Sans affirmer que l’analyse des aides d’État supposera une délimitation du marché pertinent, exercice aujourd’hui réservé à l’application des articles 81 et 82 du Traité CE, il semble que la Commission suggère qu’une telle analyse pourrait entrer en ligne de compte. Enfin, la Commission tente de proposer une méthodologie de mise en balance des effets positifs et négatifs de l’aide. Elle admet que cet exercice peut s’avérer très délicat, notamment parce qu’il est difficile, voire impossible, d’évaluer l’ampleur des effets d’une aide. La Commission se contente donc de fournir une liste d’« indicateurs opérationnels », de cas dans lesquels la Commission prendra une décision positive ou négative. Par exemple, la Commission indique qu’elle se prononcera certainement contre la compatibilité d’une aide comportant des distorsions de concurrence quasi certaines et ne profitant qu’à son bénéficiaire, lorsqu’il s’agit d’une aide au fonctionnement ou encore lorsque le montant de l’aide est important, alors que ses effets positifs seront restreints. En revanche, la Commission adoptera une position plus favorable si l’aide, par exemple, va nécessairement engendrer des effets positifs très importants, profitant à de nombreux États membres et à l’intérêt commun européen ou si elle ne fausse pas substantiellement le fonctionnement du marché commun en introduisant des disparités significatives entre les entreprises établies dans différentes régions ou dans différents États membres. La Commission prend évidemment la précaution de souligner que la liste fournie n’est pas exhaustive et qu’aucun des indicateurs n’est autosuffisant. Elle propose enfin aux États membres une liste de mesures correctives qui permettraient d’admettre plus facilement la compatibilité d’une aide. Jacques-Philippe GUNTHER Avocat Dounia ABABOU Juriste RLC

des objectifs d’intérêt commun clairement définis sans fausser indûment la concurrence entre les entreprises et les échanges entre États membres. Cette disposition met donc en place un bilan, dont la dimension politique est admise par la Commission elle-même, pour l’évaluation des aides d’État. La Commission est seule compétente pour appliquer ce texte. Les éclaircissements qu’elle envisage d’apporter sur sa méthode d’analyse sont donc plus que bienvenus. Le texte est organisé autour des trois étapes de la mise en balance entre les effets positifs – la contribution à atteindre des objectifs d’intérêt commun – et les effets négatifs de l’aide sur les échanges et la concurrence au sein du Marché commun selon la Commission. Les étapes du raisonnement consistent à s’assurer que (i) l’aide vise à atteindre un objectif d’intérêt commun bien défini, (ii) l’aide est appropriée, suffisamment incitative et proportionnée pour atteindre cet objectif et (iii) les distorsions de concurrence sont limitées. La Commission explique, pour finir, comment les effets positifs et négatifs de l’aide seront mis en balance. La Commission propose dans ce projet une définition et une description des « objectifs d’intérêt commun » qui peuvent justifier qu’une aide, par principe interdite, puisse être compatible avec le marché commun. La Commission s’est principalement fondée sur la théorie économique pour définir cette notion d’« objectif d’intérêt commun ». Reprenant des concepts largement utilisés en « antitrust » mais peu usités en droit des aides, la Commission estime qu’une aide sera considérée comme compatible si elle vient remédier à une défaillance du marché (objectifs d’efficacité) ou à une mauvaise répartition du bien-être (objectifs d’équité). Ainsi, selon la Commission, un objectif d’intérêt commun acceptable pour une aide d’État consisterait en la réduction des externalités négatives (aides environnementales) ou l’augmentation des externalités positives (aides pour la recherchedéveloppement) produites par les acteurs du marché ; une aide compatible pourrait également avoir pour objectif de remédier à l’imperfection et l’asymétrie de l’information ou aux problèmes de coordination présents sur le marché. L’État devra alors prouver que les défaillances du marché affectent la rentabilité du projet qu’il entend financer, à tel point que sans l’aide, ce projet ne serait pas entrepris. Par ailleurs, selon le projet de grille d’analyse, une aide compatible peut poursuivre des objectifs d’équité. Les marchés, qui sélectionnent les gagnants et les perdants, sont intrinsèquement porteurs d’inégalités, que l’État peut chercher à corriger. Répondent à cet objectif les aides régionales, les aides au sauvetage et à la restructuration ou les mesures visant à favoriser l’embauche de travailleurs ayant des difficultés particulières. La seconde étape de l’examen consiste à se demander si l’aide proposée permettra d’atteindre l’objectif d’intérêt commun défini. Cet exercice se décompose en trois phases. Premièrement, l’aide doit être un moyen d’action apte à atteindre l’objectif poursuivi. Deuxièmement, l’aide doit être suffisamment incitative pour que l’objectif soit effectivement atteint ; à cet égard, l’État membre devra comparer la situation sans l’aide et celle avec l’aide pour démontrer son effet incitatif. Troisièmement, l’État devra démontrer que le même résultat n’aurait pu être atteint grâce à une aide d’un montant moindre ou créant des distorsions de concurrence moins importantes. La troisième étape du raisonnement consiste à rechercher les potentiels effets négatifs de l’aide sur la concurrence et sur les échanges au sein du marché commun. La Commission identifie trois manières dont une aide peut causer une distor-

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Communication de la Commission relative à l’application des règles en matière d’aides d’État par les juridictions nationales La Commission a publié, au Journal officiel de l’Union européenne en date du 9 avril 2009, une « Communication relative à l’application des règles en matière d’aides d’État par les juridictions nationales ». Communiqué Comm. CE n° IP/09/316, 25 févr. 2009, JOUE 9 avr., n° C 85

Cette Communication vient remplacer celle de 1995. En presque quinze ans, la législation et la jurisprudence com-

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ACTUALITÉS

AIDES D’ÉTAT

munautaire ont connu des évolutions majeures sur des points ayant une incidence directe sur l’application du droit des aides d’État par les juridictions nationales, comme par exemple l’évolution jurisprudentielle qui a mené aux arrêts SFEI (CJCE, 11 juill. 1996, aff. C-39/94, SFEI e.a. c/ La Poste e.a., Rec. CJCE, I, p. 3547) et CELF (CJCE, 12 févr. 2008, aff. C-199/06, CELF et ministre de la Culture et de la Communication c/ SIDE, Rec. CJCE, I, p. 469) sur le rôle des juridictions nationales en matière de récupération des aides d’État ou encore aux différents règlements d’exemption par catégorie, comme le règlement général d’exemption par catégorie (JOUE 9 août 2008, n° L 214). Cette nouvelle Communication fait également suite à une étude menée en 2006 sur l’application au niveau national du droit des aides d’État et constatant la rareté des actions contre les aides illégales. Bien plus approfondie que l’ancienne version, la Communication de la Commission s’articule autour de deux axes. D’abord, la Commission propose aux juridictions un « mode d’emploi » du droit des aides d’État. Cette partie, qui mérite d’être saluée pour sa clarté et son aspect pédagogique, passe rapidement sur les conditions de l’existence d’une aide d’État, renvoyant à la jurisprudence, pour insister sur le rôle des juridictions nationales lorsqu’elles sont confrontées à des aides illégales (non notifiées à la Commission). En particulier, la Commission consacre de longs développements au rôle des juridictions nationales en matière de récupération des aides et souligne avec insistance la possibilité d’actions en dommages et intérêts à l’encontre de l’État membre. La Commission fait également référence à la possibilité pour les juridictions nationales de prendre des mesures provisoires pour empêcher le versement d’une aide illégale.

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La seconde partie de la Communication porte sur les modalités de coopération entre la Commission et les juridictions nationales. Ces dernières peuvent recourir à la Commission pour, à certaines conditions, obtenir communication de documents en sa possession ou la consulter sur une question relative au droit des aides d’État. On pourra regretter que cette Communication ne prenne en compte que les droits des plaignants devant les juridictions nationales. Le but avoué de cette Communication est de favoriser les actions nationales à l’encontre des aides d’État illégales et elle ne contient que peu d’informations sur les droits des États et des bénéficiaires des aides devant les juridictions nationales. Enfin, l’orientation générale du projet, principalement tourné vers l’objectif d’assurer l’effectivité du droit communautaire des aides d’État, malmène quelque peu le principe d’autonomie procédurale des États. En effet, les actions devant les juridictions nationales sont normalement, du fait du principe de l’autonomie procédurale des États, soumises aux règles de procédure nationales. Or la Communication propose, en point 41, d), une interprétation contestable du principe d’effectivité, une branche du principe de l’autonomie procédurale, au terme de laquelle les règles de procédure nationales plus sévères doivent primer sur les règles de procédure communautaires. Il n’est pas certain que ce principe impose aux juridictions internes d’appliquer les règles nationales les plus strictes s’il existe des règles procédurales communautaires. Par ailleurs, cela revient à traiter différemment des contentieux parfaitement équivalents au seul motif qu’ils relèvent d’autorités distinctes (le juge national et la Commission). D.T. et A.G.

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CONCURRENCE ET DROIT PUBLIC

Sous la responsabilité de Guylain CLAMOUR, Professeur à l’Université Montpellier I, Directeur du Master II Contrats publics et partenariats, Codirecteur du Magistère Droit public des affaires, Stéphane DESTOURS, Maître de conférences à l’Université Montpellier I, Avocat au barreau de Montpellier et Philippe TERNEYRE, Professeur agrégé de droit public, Université de Pau et des Pays de l’Adour, Consultant auprès d’entreprises et de collectivités publiques

n tête de rubrique, le projecteur est placé sur une importante décision du Conseil d’État cantonnant la théorie de « l’état de la législation antérieure » qui permet au pouvoir réglementaire d’apporter des restrictions à l’exercice des professions dès lors que le législateur a précédemment ouvert la voie. Alors qu’un arrêt Benkerrou de 2004 laissait entendre que cette théorie trouvait à s’appliquer à toute hypothèse d’intervention législative quelle qu’en soit la date, l’arrêt rapporté du 21 novembre 2008 vient utilement la ramener dans son contexte en limitant sa portée aux législations adoptées antérieurement à l’entrée en vigueur de la Constitution de la Ve République. Outre cette jurisprudence de poids, l’actualité est marquée, toujours du côté des juridictions administratives, par une application de la liberté du commerce et de l’industrie et des règles de concurrence à une mesure de police administrative réglementant l’activité des bateaux-mouches, par une question de concurrence publique dans les Îles Loyauté, appréciée dans un cadre juridique formellement dépassé ou encore par un problème de dérogation à la règle du repos dominical. Du côté des autorités de concurrence, l’on retiendra, outre la compétence de l’Autorité pour connaître des pratiques d’un Conseil de l’Ordre, les mesures conservatoires adoptées à l’égard d’EDF afin d’imposer une séparation de la communication commerciale entre les activités de service public et celles d’une filiale concurrentielle. Enfin, la Cour de justice a confirmé, à propos d’Eurocontrol, qu’une activité n’est pas économique dès lors qu’elle implique l’exercice de prérogatives typiquement de puissance publique. Guylain CLAMOUR et Stéphane DESTOURS

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Par Guylain CLAMOUR

Profession réglementée : la théorie de « l’état de la législation antérieure » ne vaut que pour les dispositions législatives adoptées avant 1958

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L’étendue du pouvoir réglementaire ne peut être appréciée dans le cadre des limitations de portée générale qui ont été apportées par la loi aux garanties et principes fondamentaux pour l’exercice des libertés publiques, dès lors que le législateur est intervenu pour encadrer la profession en cause non pas avant la Constitution de 1958 mais sous empire. 1418

CE, 21 nov. 2008, n° 293960, Association Faste Sud Aveyron

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ans l’organisation réglementaire de l’exercice des professions, « les garanties et les principes fondamentaux qui sont en cause doivent nécessairement être appréciés dans le cadre des mesures qui ont été prises », dans tel secteur de la vie économique, par la législation antérieure (CE, 28 oct. 1960, n° 48.293, Martial de Laboulaye, Rec. CE 1960, p. 570, AJDA 1961, p. 20, concl. Heumann C., Dr. soc. 1961, p. 141, concl. et note Teitgen P.-H.). À cet égard, l’on sait que la théorie jurispruden-

tielle de « l’état de la législation antérieure » permet au pouvoir réglementaire autonome de prévoir des prescriptions complémentaires de celles posées par la loi, dès lors que le

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législateur est préalablement intervenu pour aménager l’exercice d’une profession. Une telle jurisprudence se comprend, dans le contexte de la répartition des compétences normatives propres à la Ve République, en mettant en perspective l’article 34 de la Constitution qui réserve au pouvoir législatif le soin de fixer les règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » et les possibilités antérieures d’exercice du pouvoir réglementaire (cf. Cons. const., 27 nov. 1959, n° 59-1, Rec. Cons. const., p. 71, D. 1960, p. 55, chron. Hamon L., RFD publ. 1960, p. 1012, comm. Waline M., GDCC, 4e éd., p. 70).

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ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE

CONCURRENCE ET DROIT PUBLIC

Toutefois, un important arrêt Benkerrou de 2004 a pu laisser penser que la théorie de l’état de la législation antérieure n’était pas cantonnée, dans une logique transitoire, aux législations antérieures à 1958, mais s’étendait à toute intervention législative sur une profession donnée, y compris intervenue sous l’empire de la Constitution de la Ve République. Ainsi, dans cette affaire Benkerrou, le Conseil d’État a-t-il pu retenir que si, « au nombre des libertés publiques, dont les garanties fondamentales doivent, en vertu de la Constitution, être déterminées par le législateur, figure le libre accès, par les citoyens, à l’exercice d’une activité professionnelle n’ayant fait l’objet d’aucune limitation légale », la « profession de conducteur de taxi a le caractère d’une activité réglementée » et, qu’en conséquence, « il était loisible à l’autorité investie du pouvoir réglementaire de fixer, en vertu des pouvoirs qu’elle tient de l’article 37 de la Constitution, des prescriptions complémentaires de celles résultant de la loi du 20 janvier 1995 » (CE, ass., 7 juill. 2004, n° 255136, ministre de l’Intérieur, de la Sécurité intérieure et des

rie de « l’état de la législation antérieure » et la protection des droits et libertés, in Renouveau du droit constitutionnel, Mélanges en l’honneur de Louis Favoreu, Dalloz, p. 1453) n’était satisfaisante ni pour la portée des compétences

d’entreprendre dans le cadre du référé-liberté : un cas effectivement à part, Dr. adm. 2004, comm. 179).

conception occidentale de la liberté. Liber amicorum en l’honneur de Jacques Georgel, Paris, Apogée, 1998, p. 221. Adde Cassin R., Le Conseil d’État gardien des principes de la révolution française, Rev. int. d’hist. pol. et constit. 1951, p. 13; Donnedieu de Vabres J., La protection des droits de l’Homme par les juridictions administratives en France, EDCE 1949, p. 30). ◆

du législateur ni pour une protection effective des garanties à apporter à l’exercice des libertés publiques. Telle est bien la conviction du Conseil d’État qui a saisi l’occasion d’une affaire relative à l’organisation des « lieux de vie et d’accueil » pour retoquer cette interprétation et clairement cantonner la théorie en question aux législations antérieures à 1958. Après avoir rappelé « qu’en vertu de l’article 34 de la Constitution, il n’appartient qu’à la loi de fixer tant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, au nombre desquelles figure le libre exercice d’une activité professionnelle », le Conseil d’État retient dans l’arrêt rapporté du 21 novembre 2008 « que relève en conséquence de la compétence législative le principe de l’encadrement du régime financier et de la tarification, notamment par les collectivités territoriales et Libertés locales c/ Benkerrou, Rec. CE 2004, p. 298, RFD l’assurance-maladie, des personnes moadm. 2004, p. 913, concl. Guyomar M., RFD adm. 2004, rales de droit privé gérant des établisp. 1130, note Degoffe M., Dr. adm. 2004, comm. 155, note La théorie de l’état sements et services intervenant dans le Breen E., AJDA 2004, p. 1695, chron. Landais C. et Lenica F., de la législation champ de l’action sociale », avant de CJEG 2004, p. 543, note MV, RFD publ. 2005, p. 200, obs. antérieure ne s’applique préciser que si les dispositions législaGuettier C.). que pour les textes tives pertinentes en l’espèce ( CASF, Des commentateurs avisés avaient alors pu faire état d’une « théorie renouveart. L. 312-1-III) ont soumis à autorisation adoptés avant l’entrée lée » de l’état de la législation antérieure la création des lieux de vie et d’accueil, en vigueur de la en soulignant que « jusqu’alors, l’inter« il ne résulte ni de ces dispositions, ni e V République. vention du législateur relevée comme d’aucune autre disposition législative permettant au pouvoir réglementaire que ces derniers devraient être soumis d’intervenir à son tour était antérieure à une réglementation de leur financeà l’entrée en vigueur de la Constitution de 1958. Or, en l’esment et de la tarification de leurs prestations ». Aussi, le pèce, et même si la profession de conducteur de taxi est réministre ne pouvait « utilement soutenir que l’étendue du glementée par la loi depuis 1937, l’Assemblée du contentieux pouvoir réglementaire devrait être appréciée dans le cadre n’a fait mention dans sa décision que de la loi du 20 jandes limitations de portée générale qui ont été apportées par vier 1995 relative à l’accès à l’activité de conducteur de taxi la loi aux garanties et principes fondamentaux qui sont en et à la profession d’exploitant de taxi. Il est donc raisonnable cause, dès lors qu’en l’espèce le législateur n’était pas interde penser que le Conseil d’État a choisi d’abandonner la venu pour encadrer l’activité des lieux de vie et d’accueil condition d’antériorité à l’actuelle Constitution de l’interavant la Constitution de 1958 ». vention législative. C’est en tout cas la solution que préconiÀ la lecture de ce considérant, le doute n’est plus permis : sait le Commissaire du gouvernement, qui n’y voyait nul la théorie de l’état de la législation antérieure ne s’applique obstacle théorique. Et, de fait, la théorie de l’état de la légisque pour les textes adoptés avant l’entrée en vigueur de la lation antérieure semble reposer sur l’idée qu’il convient que Ve République. Comme l’avançait Anne Courrèges devant le législateur ait “ouvert la voie” afin que l’autorité régleles 1re et 6e sous-sections réunies, « cette jurisprudence doit mentaire puisse appliquer, prolonger, aménager, compléter être appréciée en fonction de sa raison d’être historique et sans, naturellement, en altérer la nature, des restrictions de de son utilité. Elle se justifiait par l’idée que le Constituant libertés déjà légalement consacrées. Dans ces conditions, l’inde 1958 ne pouvait avoir voulu restreindre la compétence du tervention de la Constitution de 1958 paraît sans incidence pouvoir réglementaire, là où elle pouvait déjà s’exercer (…). sur la théorie ; l’important est que le législateur soit interAutrement dit, la jurisprudence en cause est une jurispruvenu, peu importe qu’il l’ait fait avant ou après 1958 » (Landence “contextualisée” dont l’objet est de faciliter la transition entre deux systèmes constitutionnels qui retiennent des dais C. et Lenica F., chron. sous l’arrêt préc., AJDA 2004, p. 1695). logiques différentes dans le partage entre loi et règlement » Ce faisant, l’on pouvait résumer la question en retenant (Courrèges A., concl sur l’arrêt rapporté, RFD adm. 2009, p. 151). Et rien d’autre. généralement que, « dans le cas d’une profession réglementée, ou plutôt initialement légiférée, la liberté ne peut plus Certainement pas un fondement à de molles habilitations être invoquée même là où la loi était restée muette » et qu’il législatives. Une preuve de ce que la juridiction administrasuffit « que le législateur ait ainsi ouvert la voie concernant tive trouve aussi sa légitimité dans la protection des liberune profession pour que le pouvoir réglementaire puisse aptés (sur la question, cf. Le juge administratif et les libertés publiques, Colloque du cinporter d’autres restrictions, y compris d’une autre nature, quantenaire des tribunaux administratifs, 30 sept. 2003, RFD adm. 2003, p. 1045 ; Stirn B., à cette liberté professionnelle » (Lombard M., La protection de la liberté Le Conseil d’État et les libertés, in La liberté dans tous ses états, regards croisés sur la

Mais une telle solution, détachée de ses racines originelles (sur lesquelles cf. de Villiers M., La jurisprudence de « l’état de la législation antérieure », AJDA 1980, p. 387) et critiquée en conséquence (cf. Alcaraz H., La théo-

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Mise en Seine de la concurrence R LC

Par Guylain CLAMOUR

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En modifiant les modalités de calcul du nombre minimal de membres d’équipage obligatoire pour les bateaux-mouches, le ministre n’a pas méconnu les règles de concurrence qui doivent être prises en compte dans l’édiction de toute mesure de police administrative. CE, 15 mai 2009, n° 311082, Société Compagnie des bateaux-mouches

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oule la Seine, transportant avec elle, sous les ponts de Paris, un essaim de bateaux-mouches au bourdonnement réglementé notamment par le ministre de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durable. Ministre qui, par un arrêté du 20 décembre 2006, a modifié l’arrêté du 2 septembre 1970 relatif à la sécurité des bateaux à passagers non soumis à la réglementation maritime, en prévoyant que le nombre minimal de membres d’équipage obligatoire pour ces bateaux ne sera plus fonction du « nombre maximal de passagers admis à bord » mais de « la capacité maximale du bateau ». Or, cette évolution réglementaire a pour effet « d’exiger la présence à bord de quatre membres d’équipage, dont un capitaine, un mécanicien et deux matelots, pour tous les bateaux dont la capacité d’accueil est comprise entre six cents et mille passagers, quel que soit le nombre de passagers effectivement à bord lors d’une traversée, alors qu’un seul matelot est requis pour les embarcations de capacité inférieure ». Estimant cette modification illégale et arguant en conséquence d’un préjudice, la Société Compagnie des bateaux-mouches a demandé l’abrogation de l’arrêté litigieux avant d’attaquer le refus né du silence ministériel à cette demande. Compétent en premier et dernier ressort s’agissant d’un refus portant sur un acte administratif ministériel à caractère règlementaire (CE, ass., 8 juin 1973, n° 84.601, Richard, Rec. CE 1973, p. 405), le Conseil d’État a statué par l’arrêt rapporté en ouvrant son raisonnement par un rappel des termes de la jurisprudence Société L & P Publicité (CE, sect., avis contx., 22 nov. 2000, n° 223645, Société L & P Publicité, Rec. CE 2000, p. 526, RFD adm. 2001, p. 872, concl. Austry S., AJDA 2001, p. 198, note Rouault M.-C., D. 2001, p. 2110, note Albert N., D. 2001, p. 1235, obs. Gonzalez G., RFD publ. 2001, p. 393, note Guettier C.) régissant la prise en compte des règles de concur-

rence en matière de police administrative générale. Ainsi, la Haute Juridiction administrative pose à nouveau « que dès lors que l’exercice de pouvoirs de police administrative est susceptible d’affecter des activités de production, de distribution ou de services, la circonstance que les mesures de police ont pour objectif la protection de l’ordre public n’exonère pas l’autorité investie de ces pouvoirs de police de l’obligation de prendre en compte également la liberté du commerce et de l’industrie et les règles de concurrence » avant d’ajouter tout aussi fidèlement à la décision de principe, « qu’il appartient au juge de l’excès de pouvoir d’apprécier la légalité de ces mesures de police administrative en recherchant si elles ont été prises compte tenu de l’ensemble de ces objectifs et de ces règles et si elles en ont fait, en les combinant, une exacte application ». En appliquant ce cadre, le Conseil d’État retient la légalité de la modification opérée en 2006. Après avoir souligné l’objectif de protection de l’ordre public de la mesure, fondé sur l’amélioration de la sécurité des passagers, il considère que l’obligation de calculer l’effectif minimal de l’équipage en fonction de la capacité maximale du bateau, et les conséquences qui en découlent, constituent « des mesures néces-

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saires et proportionnées ». Cette affirmation est d’abord étayée par la circonstance que « l’objectif de sécurité des passagers suppose de prendre en compte, pour la détermination de la composition de l’équipage exigée, non seulement le nombre de passagers présents à bord ou susceptibles de l’être, mais aussi la taille, le tonnage et la manœuvrabilité du bateau », avant d’être appuyée par le fait que « l’exigence d’un nombre de matelots variable selon le nombre de passagers admis à bord des bateaux ne permettait pas un contrôle effectif de la mise en œuvre, par les compagnies, de la réglementation relative à l’équipage des bateaux de croisière navigant sur la Seine ». Une telle solution montre bien que l’invocation du droit de la concurrence à l’encontre d’une mesure de police administrative suit le même sort que celle des libertés économiques. En imposant à l’administration de combiner, pour en faire une exacte application, les impératifs d’ordre public, la liberté du commerce et de l’industrie et les règles de concurrence, la jurisprudence Société L & P Publicité n’aurait rien fait d’autre, en somme, que d’introduire les règles de concurrence au même rang que les libertés économiques. Et, qu’au final, une réglementation nécessaire et proportionnée, condition que l’on connaît depuis 1993 pour les restrictions portées aux libertés (CE, 19 mai 1933, nos 17.413 et 17.520, Benjamin, Rec. CE 1933, p. 541, GAJA n° 49), suffirait à absoudre tout grief tiré du droit de la concurrence. La suite de l’arrêt confirme sans conteste cette analyse en se préoccupant expressément des règles de concurrence. Le Conseil d’État y considère en effet « que s’il ressort des pièces du dossier, et qu’il n’est pas contesté, que la société requérante est la seule compagnie organisant des croisières sur la Seine à posséder des bateaux ayant une capacité d’accueil supérieure à six cents passagers, cette seule circonstance ne suffit pas pour permettre de considérer que les mesures de police édictées par l’arrêté attaqué porteraient atteinte aux règles de la concurrence ou méconnaîtraient le principe d’égalité, dès lors que la mesure adoptée repose, au regard de sa finalité, sur des critères objectifs au regard desquels elle revêt un caractère proportionné ». Une telle formulation n’est pas satisfaisante au premier abord. Elle apparaît trop « administrativiste » et, peut-être à dessein, trop détachée de la rigueur d’analyse du droit de la concurrence. En effet, derrière les termes de ce considérant, se cache l’idée, on l’espère développée par le moyen, qu’en lien avec la circonstance que la société requérante est la seule à posséder sur le marché pertinent des bateaux ayant des capacités d’accueil concernées par les nouvelles dispositions, tel concurrent, détenant une position dominante, aurait été conduit à en abuser nécessairement du fait de la nouvelle réglementation. Il aurait ainsi mieux valu retenir soit l’absence de position dominante, soit l’absence d’abus automatique de position dominante. À moins que l’intention du moyen n’ait pas été telle mais ait simplement consisté à avancer que la nouvelle

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ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE

CONCURRENCE ET DROIT PUBLIC

réglementation aurait « pour effet de conduire à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment en limitant l’accès à ce marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises », selon les termes de la jurisprudence administrative (CE, 30 avr. 2003, n° 230804, Syndicat professionnel des exploitants indépendants des réseaux d’eau et d’assainissement, Dr. adm. 2003, comm. 123, note Bazex M. et Blazy S., AJDA 2003, p. 1150, chr. Donnat F. et Casas D., CP-ACCP 2003, n° 24, p. 71, note Richer L., Contrats marchés publ. 2003, comm. 125, note Delacour E., Dr. soc. 2003, p. 999, note Antonmattéi P.-H. et Destours S. ; CE, sect., 10 mars 2006, n° 264098, n° 264123 et n° 268524, Commune d’Houlgate, BJCP 2006, n° 46, p. 203, concl. Casas D., p. 209, obs. M. Ch.,

Contrats marchés publ. 2006, comm. 150, obs. Eckert G., Dr. adm. 2006, comm. 94, note Ménéménis A., Contrats, conc., consom. 2006, comm. 136, obs. Brunet P., AJDA 2006, p. 751, note Dreyfus J.-D., RLC 2006/8, n° 578, note Clamour G.). Toutefois, là

encore, le moyen ne pouvait espérer prospérer tant la réglementation n’interfère pas sur les concurrents dans la situation actuelle et ne prive pas la société requérante de la possibilité d’exercer son activité. Ainsi entendue comme défense d’une situation concurrentielle, l’invocation des règles de concurrence justifie parfaitement une approche en termes de mesure nécessaire et proportionnée. ◆

Lumière sur le groupe EDF R LC

Par Stéphane DESTOURS

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L’Autorité de la concurrence enjoint EDF de modifier sa communication commerciale de façon à séparer celle relevant de ses activités de service public et celle de sa filiale intervenant dans le secteur concurrentiel. Aut. conc., déc. n° 09-MC-01, 8 avr. 2009, relative à la saisine au fond et à la demande de mesures conservatoires présentée par la société Solaire Direct

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onfusion entretenue autour du rôle d’EDF SA dans la filière photovoltaïque ; exploitation par EDF ENR, filiale d’EDF SA, de la base de données clients de l’opérateur historique ; avantages matériels et humains consentis par EDF SA à EDF ENR ; verrouillage par EDF SA du marché amont de l’approvisionnement en équipements photovoltaïques. Voilà, condensées, les pratiques que la société Solaire Direct, active sur le marché émergent des services rendus aux particuliers souhaitant produire de l’électricité solaire photovoltaïque, reproche à EDF SA et sa filiale EDF ENR. On y retrouve tous les griefs possiblement liés à la diversification des activités d’un ancien monopoleur. C’est ce que confirme la lecture de la décision n° 99-MC-01, imposante à tous égards. Avant d’entamer son analyse concurrentielle circonstanciée, l’Autorité de la concurrence précise, en guise de préambule, que « le Conseil a été conduit, à l’occasion de l’ouverture à la concurrence des marchés des télécommunications, de l’électricité, du gaz et des transports ferroviaires, à maintes reprises et tout autant dans le cadre de son rôle consultatif, que dans celui de ses attributions contentieuses, à se prononcer sur la question de l’insertion des monopoles publics dans le libre jeu de la concurrence, dès lors que la libéralisation de ces secteurs s’accompagne de la diversification des activités des anciens monopoles. La pratique décisionnelle du Conseil, qui ne méconnaît pas l’intérêt d’une diversification des activités des opérateurs historiques, susceptible, dans certaines circonstances, de stimuler la concurrence sur les marchés, a néanmoins et de manière constante recommandé que soit effectué un suivi vigilant d’un tel processus et appelé à une appréciation concrète de ses conséquences en fonction de la structure des marchés concernés » (pts. 96 et 97). Illustrant ensuite ces considérations générales, l’Autorité rappelle que le Conseil de la concurrence a observé « notamment dans l’avis n° 94-A-15 du 10 mai 1994 relatif à une de-

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mande sur les problèmes soulevés par la diversification des activités d’EDF et de GDF au regard de la concurrence, que “la situation particulière de ces établissements publics leur permet d’obtenir de manière privilégiée des moyens de financement, que l’accès au consommateur final est facilité par l’existence d’un réseau couvrant l’intégralité du territoire national et qu’ils bénéficient de l’image d’intérêt général du service public, toutes caractéristiques qui constituent des avantages incontestables facilitant l’implantation sur des marchés ne relevant pas du monopole légal”. Les conditions énoncées dans cet avis ont depuis lors fait l’objet de nombreux rappels au fil de la pratique décisionnelle du Conseil. Il s’agit essentiellement de la “séparation étanche entre les activités liées au monopole et celles relatives à la diversification”. Plus spécifiquement, cette séparation doit être à la fois juridique, matérielle, comptable, financière et commerciale » (pts. 98 et 99). Le principe et les limites de la diversification rappelés, il ne restait plus à l’Autorité qu’à « dérouler » le raisonnement. Ce qu’elle a fait à grand renfort de citations et références à tout l’acquis consultatif et décisionnel du Conseil de la concurrence en la matière (sur lequel, cf. Clamour G. et Destours S., Droit de la concurrence publique, J.-Cl. Collectivités territoriales, Fasc. 724-10). En substance, l’Autorité estime qu’à ce stade de l’instruction, les moyens de communication utilisés par EDF à destination de l’ensemble de ses abonnés (notamment la Lettre Bleu Ciel et la plate-forme téléphonique 3929 qui orientent les particuliers intéressés par la production d’électricité photovoltaïque vers sa filiale EDF ENR) entretiennent une confusion entre, d’une part, le rôle d’EDF SA en tant que fournisseur d’électricité aux tarifs réglementés et d’autre part, l’activité concurrentielle de sa filiale EDF ENR (cf. pts. 102 à 120). Elle en déduit que, de ce fait, EDF ENR profite de l’image de l’opérateur historique et utilise la base de données détenue par sa société mère sur les clients régulés, avantages dont ne bénéficient pas ses concurrents (cf. pts. 129 à 140). >

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LUMIÈRE SUR LE GROUPE EDF

CONCURRENCE ET DROIT PUBLIC

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Un Ordre anticoncurrentiel L’Autorité de la concurrence est compétente pour connaître du comportement d’un Conseil de l’Ordre qui, parce qu’il invite ses membres à adopter telle ou telle attitude sur le marché sur lequel il opère, constitue une intervention dans une activité de services. Aut. conc., déc. n° 09-D-17, 22 avr. 2009, relative à des pratiques mises en œuvre par le Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de BasseNormandie

Le 22 avril 2009, l’Autorité de la concurrence a rendu une décision par laquelle elle sanctionne le Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Basse-Normandie pour être intervenu auprès d’une maison de retraite afin de l’inciter à s’adresser aux pharmacies les plus proches de son implantation au lieu de faire le choix d’un pharmacien plus éloigné, éventuellement plus compétitif. Avant de parvenir à cette conclusion, elle a dû, au préalable, se prononcer sur sa compétence à connaître des pratiques du Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens mis en cause. Après avoir longuement cité son propre acquis décisionnel en la matière (pts. 30 à 33), l’Autorité rappelle qu’il convient, « pour trancher la question de compétence soulevée par la partie mise en cause, de faire la part entre : – les comportements qui, parce qu’ils invitent les professionnels ou des tiers à adopter telle ou telle attitude sur le marché, constituent une intervention dans une activité de services ; – et ceux qui ne sont pas détachables de l’exercice du pouvoir de contrôle et du pouvoir disciplinaire confié à l’Ordre » (pt. 34). En effet, « ces pouvoirs constituent des prérogatives de puissance publique de l’Ordre. L’engagement, par un Conseil de l’Ordre, d’une action disciplinaire à l’encontre d’un de ses membres ne relève donc pas en principe du champ de compétence du Conseil de la concurrence » (pt. 35. En dernier lieu, pour un rappel en ce sens, cf. Cons. conc., déc. n° 09-D-07, 12 févr. 2009, RLC 2009/19, n° 1351, obs. Destours S.).

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3929, toute référence aux services offerts par EDF ENR ; de mettre fin à toute communication, à EDF ENR, d’informations recueillies par le 3929 (cette injonction vise la prise de rendez-vous mais aussi la transmission de renseignements sur les personnes intéressées par la production d’énergie photovoltaïque) ; de ne plus mettre à la disposition d’EDF ENR d’informations dont EDF SA dispose du fait de ses activités de fournisseur de services d’électricité aux tarifs réglementés. Pour l’heure, EDF SA est sommée de se conformer à ces injonctions dans le délai d’un mois. À venir, une très intéressante décision au fond. ◆

Distinguo classique dont il est fait application aux cinq faits de l’espèce identifiés par le rapporteur pour illustrer la pratique objet du grief : « 1) la demande d’ouverture d’une enquête par la DRASS ; 2) l’envoi d’une circulaire à l’ensemble des pharmacies du ressort pour leur rappeler qu’elles doivent tenir l’Ordre informé des contrats ou accords de fournitures conclus avec certains établissements ; 3) l’accueil de plaintes de confrères à l’encontre de M. X..., le lancement d’enquêtes à son égard et la poursuite de leur instruction alors qu’aucun élément n’était recueilli au soutien de ces plaintes ; 4) la décision de saisir la chambre de discipline alors qu’en définitive, les accusations portées par les confrères se sont avérées sans fondement ; 5) l’envoi de la lettre adressée à une maison de retraite pour l’inciter à s’adresser aux pharmacies dont elle dépendrait “géographiquement” » (pt. 37). L’Autorité estime que quatre de ces cinq comportements ne relèvent pas de sa compétence : ceux mentionnés sous 1), 3) et 4) dès lors qu’ils ne sont pas détachables de l’exercice du pouvoir disciplinaire de l’Ordre ; pas plus que celui mentionné sous 5) car le fait, pour le Conseil régional de l’Ordre de rappeler à ses membres une obligation procédurale pesant sur eux afin que lui-même puisse exercer sa mission de contrôle relève de l’exercice d’une prérogative de puissance publique. En revanche, « l’envoi de la lettre mentionné sous 5) traduit, à l’égard d’un tiers par rapport à l’Ordre, une intervention dans une activité de services et par conséquent le Conseil de la concurrence (sic) est compétent pour examiner sur le fondement de l’article L. 410-1 du Code de commerce la pratique ayant fait l’objet du grief » (pt. 37). Stéphane DESTOURS OBSERVATIONS • Sur cette décision, voir aussi, dans la rubrique « Pratiques anticoncurrentielles » de cette Revue, Sélinsky V. et Cholet S., Les pharmaciens d’officine ne bénéficient pas d’une exclusivité territoriale, RLC 2009/20, n° 1401. RLC

Considérant que sur un marché émergent en forte croissance de telles pratiques peuvent avoir un effet structurant et portent à la concurrence une atteinte grave et immédiate justifiant des mesures d’urgence (cf. pts. 170 à 179), l’Autorité de la concurrence prononce alors des mesures conservatoires dans l’attente de sa décision au fond. Ainsi, enjoint-elle à EDF SA de supprimer dans tous les supports de communication de la marque Bleu Ciel d’EDF (Lettre Bleu Ciel, facture de fourniture d’électricité EDF, publicités…) toute référence à l’activité d’EDF ENR dans la filière solaire photovoltaïque ; de faire cesser, par les agents répondant au

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Obsèques anticoncurrentielles (suite) La Cour d’appel de Paris confirme la décision du Conseil de la concurrence sanctionnant la ville de Lyon pour l’abus de position dominante mis en œuvre par sa régie municipale de pompes funèbres. CA Paris, 1re ch., sect. H, 31 mars 2009, n° 2008/11353

Droit I Économie I Régulation

ACTUALITÉS

CONCURRENCE ET DROIT PUBLIC

œuvre dans le secteur des pompes funèbres à Lyon et dans son agglomération, RLC 2008/16, n° 1148, obs. Destours S.).

Assurant la continuité juridique de la régie, auteur de la pratique en cause, c’est la ville de Lyon qui s’est alors vu infliger une sanction pécuniaire, de 50 000 euros en l’occurrence. C’est cette analyse et cette conclusion que la Cour d’appel a confirmé en tous points.

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Eurocontrol hors contrôle La Cour de justice confirme qu’une activité n’est pas économique dès lors qu’elle implique l’exercice de prérogatives typiquement de puissance publique. CJCE, 26 mars 2009, aff. C-11/07 P, Selex Sistemi Integrati SpA

On connaît l’importance de la notion d’activité économique en droit de la concurrence, tant interne que communautaire. En effet, faute d’être ainsi qualifiée, l’activité exercée par telle entité n’est pas soumise au respect des règles du droit des pratiques anticoncurrentielles. C’est dans ce cadre que la jurisprudence communautaire exclut, notamment, du champ d’application des articles 81 et 82 du Traité CE les organismes qui exercent des prérogatives qui appartiennent par essence aux États et qui participent de leur souveraineté. Bref, une activité n’est pas économique dès lors qu’elle implique l’exercice de prérogatives typiquement de puissance publique. La Cour de justice en a jugé ainsi concernant l’activité de perception des redevances de route consacrées au soutien du contrôle et de la police de l’espace aérien (CJCE, 19 janv. 1994, aff. C364/92, Eurocontrol, Rec. CJCE, I, p. 43, Europe mars 1994, comm. 114, obs. Idot L., D. 1995, jur., p. 33, note Lhuillier G.) et à propos de la perception de redevances

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destinées à financer l’activité de surveillance antipollution dans un port pétrolier (CJCE, 18 mars 1997, aff. C-343/95, Diego Cali, Rec. CJCE, I, p. 1547, Europe mai 1997, comm. 160, obs. Idot L.). Plus récemment, le Tribunal de première instance a considéré qu’il en allait de même s’agissant de certaines des activités de l’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne, Eurocontrol, à savoir ses activités en matière de normalisation technique et de recherche et de développement. Il a en revanche qualifié d’activité économique son activité d’assistance aux administrations centrales (TPICE, 12 déc. 2006, aff. T-155/04, Rec. CJCE, II, p. 4797, Europe févr. 2007, comm. 68, obs. Idot L., RLC 2007/11, n° 745, note Arcelin L.).

Ce dernier arrêt a fait l’objet d’un pourvoi sur lequel la Cour de justice s’est prononcée le 26 mars 2009. En substance, la Cour reproche au Tribunal d’avoir « isolé » l’activité d’assistance aux administrations nationales de la mission d’intérêt général dont est investie Eurocontrol. En effet, cette activité d’assistance « participe directement à la réalisation de l’objectif d’harmonisation et d’intégration techniques dans le domaine de la circulation aérienne » et est « étroitement liée à la mission de normalisation technique confiée par les parties contractantes à Eurocontrol » (CJCE, 26 mars 2009, aff. C-113/07 P, pt. 76, Europe mai 2009, comm. 198, obs. Idot L.; AJDA 2009, p. 988, obs. Broussy E., Donnat F. et Lambert Ch., Contrats marchés publ. 2009, comm. 152, obs. Eckert G.). L’activité en cause n’est donc pas « dis-

sociable de la mission de gestion de l’espace aérien et de développement de la sécurité aérienne » (pt. 77) ; elle « se rattache à l’exercice de prérogatives de puissance publique » d’Eurocontrol (pt. 82). S.D. OBSERVATIONS • Sur cette décision, voir aussi, dans la rubrique « Pratiques anticoncurrentielles » de cette Revue, Arcelin-Lécuyer L., Feu principe de dissociation ?, RLC 2009/20, n° 1408.

DÉCISIONS DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES RLC

Par un arrêt en date du 31 mars 2009, la Cour d’appel de Paris rejette les recours formés contre la décision n° 08-D-09 du Conseil de la concurrence sanctionnant la ville de Lyon pour l’abus de position dominante mis en œuvre par sa régie municipale de pompes funèbres. Dans cette affaire, on se souvient qu’il était notamment fait grief à la régie municipale d’avoir, sur le marché des pompes funèbres à Lyon, abusé de sa position de gestionnaire exclusif de la seule chambre funéraire existant à Lyon : d’une part, en empêchant la nuit et les jours fériés l’accès à cette installation aux opérateurs concurrents d’ellemême ou de son transporteur ; d’autre part, en favorisant le choix des familles pour ses propres services commerciaux en s’abstenant de distinguer, dans l’information donnée au public ou dans l’organisation externe et interne des locaux du centre funéraire municipal, ses activités de gestionnaire du funérarium, ses activités commerciales de prestataire de pompes funèbres et le service public administratif funéraire. Se fondant sur sa pratique décisionnelle constante, le Conseil de la concurrence a considéré que « la régie municipale de la ville de Lyon a abusé de sa position dominante en mettant en place une information et un accueil des familles ainsi qu’une organisation des locaux qui ne permettaient pas de distinguer clairement les activités de la chambre funéraire, les autres activités de pompes funèbres et les services administratifs, s’attribuant ainsi un avantage concurrentiel indu sur les autres opérateurs de pompes funèbres » (Cons. conc., déc. n° 08-D-09, 6 mai 2008, pt. 179, relative à des pratiques mises en

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Centre Pompidou, extérieurs concurrentiels La mise à la charge de la société Costes, installée sur le domaine public de Beaubourg, de sommes correspondant à la rémunération d’un agent supplémentaire de sécurité non prévu au contrat, n’a pu avoir pour effet de placer le Centre Pompidou « en situation de position dominante ». CAA Paris, 16 mars 2009, n° 07PA02471, Centre national d’art et de culture Georges Pompidou

À la fin de la dernière décennie, le Centre national d’art et de culture Georges Pompidou, établissement public administratif, a consenti pour 18 ans à la SNC Costes, par contrat de concession, un droit d’occupation portant sur une partie des locaux dépendant du domaine public gérés par son établissement pour y exploiter une activité de restauration. En contrepartie, cet occupant privatif du domaine public est redevable d’une redevance égale à 5,7 % du montant de son chiffre d’affaires réalisé par l’exploitation des espaces concédés, avec un montant minimum garanti annuel de 1,6 MF HT, soit 243 918,43 euros, et un montant annuel maximum de 4 MF HT, soit 609 796,07 euros. >

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Indépendamment de cette redevance annuelle, la SNC Costes s’est contractuellement engagée à participer « aux dépenses d’exploitation et de fonctionnement du Centre strictement nécessaires à l’exécution du contrat » résultant « de l’application aux budgets d’exploitation du Centre de pourcentages correspondant à la nature des prestations dont le concessionnaire est bénéficiaire et d’un calcul au prorata des surfaces occupées ». Au titre d’une telle participation aux dépenses d’exploitation figurent, notamment, « la sécurité incendie » et la « sécurité/surveillance » pour les heures pendant lesquelles le Centre est fermé mais le restaurant du concessionnaire ouvert. Plus précisément, pour ce dernier poste, il est stipulé que « le concessionnaire prendra en charge la rémunération, directe ou indirecte, de deux agents de sécurité pour la période de fermeture du centre au public ». Aussi, la SNC Costes est tenue non seulement de s’acquitter d’une redevance domaniale, mais aussi d’assumer le coût de deux agents de sécurité aux heures de fermeture de l’établissement public concédant. Or, en 2004, ce ne sont plus deux mais trois agents de sécurité que le Centre Pompidou a affectés à la surveillance en cause. Et le Centre d’imposer alors à son concessionnaire la nouvelle charge financière correspondant au troisième larron. C’est ainsi que la SNC Costes a contesté les titres exécutoires émis à son encontre devant le Tribunal administratif de Paris qui, par un jugement du 2 mai 2007, a annulé les titres en cause au motif qu’ils seraient dépourvus de fondement contractuel, et déchargé en conséquence la société des sommes litigieuses. En appel, l’arrêt rapporté infirme cette solution. Les seconds juges relèvent en ce sens que c’est suite à la demande du préfet de police, elle-même consécutive aux prescriptions de la commission de sécurité, que « le Centre Pompidou a dû renforcer d’un agent l’effectif de nuit de sécurité incendie en raison de l’ouverture du restaurant exploité par la société concessionnaire après la fermeture du Centre au public et que, pour la même raison, dans le cadre de la mise en œuvre du plan dit “Vigipirate”, il a dû renforcer l’effectif affecté à la sécurité et la surveillance du Centre à hauteur d’un agent ». Certes, mais de telles circonstances ne répondent pas encore à l’argument du fondement contractuel développé par les premiers juges. La Cour administrative d’appel de Paris énonce alors « que les stipulations ci-dessus analysées du contrat de concession ne faisaient pas obstacle à ce que le Centre national d’art et de culture Georges Pompidou mette à la charge de la société concessionnaire les dépenses de fonctionnement afférentes à la mise en œuvre de ces prescriptions de police et liées à l’exploitation du restaurant en dehors des heures d’ouverture du Centre au public ». Une telle solution trouve appui dans une clause du contrat de concession prévoyant que « la Société est tenue de se conformer à toute disposition législative ou réglementaire applicable à son activité ainsi qu’à toutes les prescriptions relatives à l’exploitation du Centre et qu’à toutes consignes, générales ou particulières, permanentes ou temporaires qui seraient mises en vigueur par le Centre ». Mais plus généralement, elle s’impose de manière extracontractuelle, la Cour soulignant que, si le contrat implique que le Centre Pompidou « était seulement fondé, en ce qui concerne les dépenses courantes d’exploitation et de fonctionnement liées à la sécurité incendie et à la surveillance, à demander à la SNC Costes de prendre en charge la rémunération de deux agents de sécurité, elles ne sauraient faire obstacle à ce que les dépenses afférentes aux prescriptions de police mises en œuvre par le Centre national d’art et de culture Georges Pompidou soient, dès lors qu’elles sont liées à l’exploitation des espaces de restauration,

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mises à la charge de la concessionnaire et fassent ainsi l’objet d’une facturation spécifique ». Une fois le jugement du Tribunal administratif ainsi annulé, la Cour examine, par l’effet dévolutif de l’appel, l’ensemble des moyens présentés devant les premiers juges. Parmi eux, il en est un qui mérite attention : l’émission des titres exécutoires dont il s’agit méconnaîtrait les « règles de concurrence » en cela que le Centre Pompidou, en procédant d’autorité à la facturation de dépenses non prévues au contrat, aurait abusé de sa position dominante. À ce moyen, la réponse de la Cour est assez succincte : elle considère que, « contrairement à ce que soutient la société Costes, la mise à sa charge des sommes sus analysées correspondant à des dépenses de fonctionnement du Centre, n’a pu avoir pour effet de placer le Centre national d’art et de culture Georges Pompidou en situation de position dominante ; qu’il suit de là que le moyen tiré de ce que les titres exécutoires en litige méconnaîtraient les règles de concurrence, et notamment la prohibition des abus de position dominante résultant des stipulations de l’article 82 du Traité instituant la Communauté européenne et des dispositions de l’article L. 420-2 du Code de commerce doit être écarté ». Cette solution appelle deux séries de remarques. En premier lieu, elle dénote sinon une incompréhension du droit de la concurrence, du moins un grand manque de rigueur de rédaction, peut-être provoqué par la teneur du moyen, nous l’ignorons. En effet, la question n’est pas de savoir si l’émission d’un titre exécutoire peut ou non placer le Centre Pompidou en situation de « position dominante ». La position dominante de cet établissement public est une question préalable, à déterminer par référence à un marché. La question n’était pas celle-là, mais celle de savoir si le Centre Pompidou, en considérant qu’il détient une position dominante du fait de la gestion d’un domaine public sur lequel peuvent s’exercer des activités économiques, a abusé d’une telle position dominante en émettant un titre exécutoire procédant à la facturation de charges non prévues directement au contrat. En second lieu, la solution est intéressante en cela que, malgré ses carences rédactionnelles et le rejet du moyen, elle appréhende l’acte administratif de l’établissement public au regard du droit de la concurrence. Plus précisément, il ne s’agissait pas d’apprécier la légalité du titre exécutoire au regard de ses effets concurrentiels sur une entreprise en considérant que l’acte aurait placé le concurrent en situation de méconnaître automatiquement le droit de la concurrence. Non, il s’agissait d’étudier si l’établissement public n’a pas lui-même méconnu le droit de la concurrence, abusé de sa position dominante en émettant un titre exécutoire. Bref, la question était celle d’une application du droit de la concurrence à un acte administratif, cela expliquant la compétence de la juridiction administrative. De telles hypothèses dans lesquelles le juge administratif est amené non pas simplement à intégrer le droit de la concurrence dans le bloc de légalité, mais à le rendre applicable à un acte administratif correspondant à une « activité économique » d’une personne publique, ne sont pas si fréquentes. Le bal a été ouvert, l’on s’en souvient, avec l’arrêt Société Eda (CE, sect., 26 mars 1999, n° 202257 et n° 202260, Rec CE 1999, p. 96, concl. Stahl J.-H., AJDA 1999, p. 427, concl. et note Bazex M., D. 2000, p. 204, note Markus J.-P., RDP 1999, p. 1545, note Manson S., RFD adm. 1999, p. 977, note Pouyaud D.) et la danse pour-

suivie avec quelques décisions rapportées dans ces colonnes (CAA Paris, 4 déc. 2003, n° 00PA02740, Société d’équipement de Tahiti et des îles, Contrats marchés publ. 2004, comm. 54, obs. Eckert G., AJDA 2005, p. 200, note Nicinski S., RLC 2005/3, n° 216, note Clamour G.; TA Lille, 28 févr. 2006, n° 0405868, SARL Gérald Demeyer

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ACTUALITÉS

CONCURRENCE ET DROIT PUBLIC

Communications, RLC 2007/13, n° 926, obs. Clamour G.; CAA Marseille, 19 fév. 2007, n° 04MA00915, SARL Sata Hanfling, RLC 2008/14, n° 1004, obs. Clamour G.; CAA Douai, 12 avril 2007, n° 06DA00456, SARL Restaurant de l’aérodrome, RLC 2008/14, n° 1005, obs. Clamour G.; CAA Bordeaux, 27 nov. 2007, n° 06BX00462, Carreras, RLC 2008/15, n° 1090, obs. Clamour G.; CAA Bordeaux, 30 déc. 2008, n° 06BX01765, SARL CRAM, RLC 2008/19, n° 1358, obs. Clamour G.). Mais en l’espèce, à la différence des pré-

cédents rapportés, point de grille d’analyse posée par un rappel du considérant de principe et encore moins de développements explicatifs.

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Guylain CLAMOUR 1425

Îles déloyauté Parce que les entreprises ayant un caractère commercial restent, en règle générale, réservées à l’initiative privée, la province des îles Loyauté est reconnue responsable de la mise en œuvre d’une concurrence illégale, déloyale et pratiquant des prix abusivement bas. CAA Paris, 15 déc. 2008, n° 05PA01979, Société Transiles

Une fois advenue la jurisprudence Ordre des avocats au Barreau de Paris (CE, ass., 31 mai 2006, n° 275531, OABP, Rec. CE 2006, p. 272, RFD adm. 2006, p. 1048, concl. Casas D., BJCP 2006, n° 47, p. 295, concl., obs. R.S., AJDA 2006, p. 1595, chron. Landais C. et Lenica F., Contrats marchés publ. 2006, comm. 202, note Eckert G., Dr. adm. 2006, comm. 129, note Bazex M., JCP A 2006, n° 1133, note Linditch F., CP-ACCP 2006, n° 59, p. 78, note Renouard L., Contrats, conc., consom. 2006, comm. 188, obs. Rolin F., RLC 2006/9, n° 641, note Clamour G.) confirmant sa vénérable

devancière issue de l’arrêt Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers (CE, sect., 30 mai 1930, Rec. CE 1930, p. 583, GAJA n° 46) en adoptant des termes plus contemporains, il n’est pas anodin qu’un arrêt reprenne le considérant de principe de 1930 et non celui de 2006. C’est ainsi que la Cour administrative d’appel de Paris retient dans l’arrêt rapporté, lu plus de deux ans après l’arrêt OABP, que « les entreprises ayant un caractère commercial restent, en règle générale, réservées à l’initiative privée » et qu’en conséquence, « les collectivités publiques ne peuvent ériger des entreprises de cette nature en services publics que si, en raison de circonstances particulières de temps et de lieu, un intérêt public justifie leur intervention en la matière ». En l’espèce, la société d’économie mixte de développement et d’investissement, la SODIL, créée en 1991 par l’assemblée de la province des îles Loyauté pour la mise en œuvre d’opérations concourant au développement économique des îles Loyauté, avait confié, par « contrat d’affrètement », à une filiale, la société maritime des îles Loyauté (SMIL), l’exploitation du navire « Président Yeiwéné » dans le cadre du service public d’intérêt général de transport maritime de personnes et de marchandises. Quelques années plus tard, en 1994, ladite assemblée provinciale concédait directement à cette même SMIL l’exploitation du service public d’intérêt général de transport maritime de personnes et de marchandises. À la même époque, l’assemblée modifiait sa délibération de 1991 en limitant l’objet de la concession au seul transport maritime de personnes. Mais du côté de la SODIL et de la SMIL, aucune évolution des prestations ne fut effectuée, la seconde continuant d’assurer une activité de transport de marchandises. Pour ses concurrents, la SMIL effectuait une activité économique illicite en cela qu’elle excédait le champ de la concession. À cet argument avancé par la société Transiles, la Cour répond donc en s’appuyant sur le considérant de principe

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classique précité et retient que « nonobstant la circonstance qu’elle n’était pas partie à ce contrat, la province des îles Loyauté conservait son pouvoir de modification unilatérale des clauses dudit contrat relatives à la consistance et aux modalités d’exploitation du service concédé [et] qu’à tout le moins, l’autorité concédante était tenue, dans le cadre de son obligation de contrôle sur le fonctionnement du service concédé, de s’assurer que l’exploitation par la SMIL du navire “Président Yeiwéné” n’excédait pas les limites de la concession ». Aussi, conclut la Cour, « en ne faisant pas procéder à la mise en conformité de la convention du 15 octobre 1991, modifiée par l’avenant du 4 janvier 1994, avec la délibération du 22 juin 1994 qui limitait l’objet de la concession au transport maritime de personnes, la province des îles Loyauté a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ». Si l’on comprend l’intention du juge, l’on mesure aussi la rigueur peu habituelle avec laquelle se trouvent ici protégées les libertés économiques des concurrents. En effet, avant comme après l’arrêt OABP, la formulation d’un principe de non-concurrence des personnes publiques a toujours coïncidé avec une acception large de l’intérêt public et du complément normal de nature à permettre la prise en charge d’activités économiques (cf. Clamour G., Qui peut le moins peut le plus…! Ou la liberté économique de fait des personnes publiques, JCP A 2007, n° 2286). Aussi, l’on aurait pu se poser la question de savoir si le transport de marchandises, dans des conditions purement concurrentielles et hors les moyens du service public, n’était pas un complément normal de l’activité de transport de personnes. Et étayer la réponse. Cela étant dit, le juge infère de la caractérisation rapide d’une concurrence illégale du concessionnaire l’obligation pour l’autorité publique de mettre fin à cette situation, selon une logique proche de la jurisprudence SARL Somatour (CE, 10 avr. 2002, n° 223100, Somatour, Contrats marchés publ. 2002, comm. 148, note Délélis P., Mon. TP 14 juin 2002, p. 109 et TO, p. 453, JCP G 2002, I, n° 169, obs. Braconnier S.), à

ceci près qu’il s’agit ici de faire respecter une exigence du droit public (la non-concurrence) et non du droit de la concurrence. Par ailleurs, non plus sur le principe de la concurrence mais sur ses modalités d’exercice, la Cour relève que la SMIL bénéficiait de subventions d’exploitation de la province des îles Loyauté et d’une exonération des droits et taxes sur le carburant et lie cette circonstance au développement, en concurrence avec les sociétés privées et notamment la Société Transiles, d’une activité de transport de marchandises « pour laquelle elle a eu recours à des campagnes publicitaires et proposé des prix très inférieurs à ceux pratiqués par ses concurrents ». Sans plus d’explication, sans caractériser la présence de subventions croisées, la Cour conclut alors que « par suite, la Société Transiles est fondée à rechercher la responsabilité de la province des îles Loyauté à raison des pertes de chiffre d’affaires qu’elle a subies (…) du fait de conditions de concurrence déloyale ainsi créées ». Il n’est pas fréquent, là encore, qu’une juridiction administrative, alors que la jurisprudence impose que l’intervention publique ne se réalise pas « suivant des modalités telles qu’en raison de la situation particulière dans laquelle se trouverait cette personne publique par rapport aux autres opérateurs agissant sur le même marché, elle fausserait le libre jeu de la concurrence sur celui-ci » (arrêt OABP préc.), se place sur le terrain de la concurrence déloyale qui ne relève point du droit des pratiques anticoncurrentielles mais qui, on le sait, est une théorie jurisprudentielle judiciaire issue de l’article 1382 du Code civil... Et, le tout, sans véritable démonstration du lien de causalité entre le dommage concurrentiel et les avantages financiers accordés à la SMIL. Encore moins >

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Concurrence sécurisée Un préfet a légalement pu prononcer la suspension de l’autorisation de fonctionnement d’une société de sécurité employant des agents sans agrément voire frappés d’incapacité, sans porter une atteinte illégale au principe de la liberté du commerce et de l’industrie. CAA Versailles, 18 déc. 2008, n° 06VE02076, X. c/ Préfecture de l’Essonne

Gérant de la société US Security exerçant des activités de gardiennage et de surveillance, et soumis à ce titre à la loi du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de surveillance de gardiennage et de transport de fonds, M. X a fait l’objet d’une enquête de police ayant conduit à signaler au procureur de la République des faits d’exercice d’activité de surveillance et gardiennage sans agrément et des faits d’emploi de personnes frappées d’incapacité pour exercer une telle activité de surveillance et de gardiennage (sur les conditions d’agrément, cf. récemment, CAA Nantes, 3 févr. 2009, n° 08NT01733 et n° 09NT01832, Préfet du Loiret, AJDA 2009, p. 758, chron. Degommier S.).

En conséquence, le préfet de l’Essonne a décidé de suspendre l’autorisation d’exercer des activités de gardiennage et de surveillance qui avait été délivrée à la société US Security. M. X forma alors un recours indemnitaire tendant à la condamnation de l’État à lui verser une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de cette décision. Pour trancher cette demande, dont on s’abstiendra d’apprécier l’opportunité, le juge administratif fait logiquement application de la jurisprudence Driancourt (CE, sect., 26 janv. 1973, n° 84.768, Rec. CE 1973, p, 77, AJDA 1973, p. 245, chron. Cabanes P. et Léger D.) consistant à rechercher une illégalité pour caractériser une faute.

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À l’évidence, point d’illégalité et, donc, point de faute en l’espèce : « compte tenu de la gravité de ces faits, le préfet de l’Essonne était fondé à prononcer la suspension de l’autorisation de fonctionnement de la société US Security jusqu’à ce que l’autorité judiciaire se soit prononcée et a pu édicter cette mesure sans porter une atteinte illégale au principe de la liberté du commerce et de l’industrie ». En effet, la loi précitée du 12 juillet 1983 encadre précisément les activités, non exercées par un service public administratif, consistant à fournir des services ayant pour objet la surveillance ou le gardiennage de biens meubles ou immeubles ainsi que la sécurité des personnes se trouvant dans ces immeubles. Plus précisément, elle organise une profession réglementée (cf. Perrin A., Les professions réglementées, Dr. adm. 2008, étude 16; Clamour G., Libertés professionnelles et liberté d’entreprise, J.-Cl. Libertés, Fasc. 1340) en subordonnant l’exercice de l’activité en cause « à une autorisation distincte pour l’établissement principal et pour chaque établissement secondaire », qui peut être retirée ou suspendue lorsque l’un des dirigeants fait l’objet de poursuites pénales (art. 12). Face à une telle réglementation, issue directement de la loi, non seulement une mesure de suspension ou de retrait d’agrément ne porte pas une atteinte illégale au principe de la liberté du commerce et de l’industrie, mais l’invocation d’une telle liberté est même inopérante (Rappr. CE, 12 déc. 1953, n° 18.046, Synd. nat. transporteurs aériens, Rec. CE 1953, p. 547; CE, ass., 21 nov. 1958, n° 30.791, Synd. nat. transporteurs aériens, Rec. CE 1958, p. 578; CE, 29 mai 1970, n° 75.427, Sté Boussegui, Rec. CE tables 1970, p. 549; CE, 16 déc. 1994, n° 99.219, SA monégasque « Le Prêt », Rec. CE 1994, p. 552). G.C. RLC

du fondement de la responsabilité non pas de l’acteur économique, la SMIL, mais de la collectivité publique. À la concurrence déloyale succède l’invocation de prix anormalement bas pratiqués par la SMIL. Pour sa défense, la province des îles Loyauté soutenait, d’une part, que « les pratiques tarifaires de la SMIL ne sont pas fautives en ce que la pratique de prix anormalement bas n’est pas en elle-même critiquable dès lors qu’elle s’inscrit dans une logique de pénétration du marché, n’a eu qu’une durée limitée à un an et demi et n’a correspondu qu’au démarrage de son activité » et, d’autre part, que « la société requérante a elle-même eu recours à une tarification tout aussi agressive et qu’elle ne peut dès lors solliciter la réparation d’un préjudice résultant d’une concurrence commerciale accrue à laquelle elle s’est elle-même exposée ». Pour la Cour, décidément sensible à la situation des concurrents, « si la Société Transiles n’a pas subi une baisse de son activité de fret en 1993 et 1994 alors même que les sociétés Solenav et Hanner, sociétés concurrentes, connaissaient une baisse significative de leur activité de fret au cours de l’année 1994 par rapport à 1993, en revanche les effets conjugués de la mise en service du car-ferry “Président Yeiwéné” et des tarifs pratiqués ont entraîné pour la Société Transiles une chute notable de son activité de fret en 1995 ». Et sans plus d’explication, là encore, « par suite, la responsabilité de la province des îles Loyauté peut être recherchée par la Société Transiles sans qu’il y ait lieu de retenir une quelconque faute de la part de la société requérante ». Une responsabilité entière, couvrant l’ensemble du préjudice subi… Comme quoi, le laconisme n’est pas forcement signe d’une protection de l’administration.

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Le repos dominical n’est pas un luxe Aucune circonstance ne permet de regarder le magasin Louis Vuitton situé avenue des Champs-Élysées comme un établissement mettant à la disposition du public des biens et des services destinés à faciliter son accueil ou ses activités de détente ou de loisirs d’ordre sportif, récréatif ou culturel, de nature à accorder une dérogation au principe du repos dominical. CE, 11 mars 2009, n° 308874, Fédération nationale de l’habillement, nouveauté et accessoires

L’on sait, aux termes du Code du travail, que si « le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche » (art. L. 3132-3), il peut toutefois être « donné par roulement » pour tout ou partie du personnel, « dans les communes touristiques ou thermales et dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente », pendant la ou les « périodes d’activités touristiques, dans les établissements de vente au détail qui mettent à disposition du public des biens et des services destinés à faciliter son accueil ou ses activités de détente ou de loisirs d’ordre sportif, récréatif ou culturel (...) » (art. L. 3132-25. Sur ce thème, cf. Donnette A. Repos dominical vs Grands magasins parisiens : en attendant la réforme..., RLC 2008/18, n° 1296).

À ce titre, le préfet de Paris avait accordé en 2005 à la SA Louis Vuitton Malletier et à la SNC des magasins Louis VuittonFrance l’autorisation de donner le repos hebdomadaire par roulement aux salariés qu’elles emploient dans l’établissement situé avenue des Champs-Élysées à Paris. Décision annulée par le Tribunal de Paris par un jugement du 31 mai 2006,

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ACTUALITÉS

CONCURRENCE ET DROIT PUBLIC

lui-même infirmé le 28 mai 2007 par les seconds juges (CAA Paris, 28 mai 2007, n° 06PA02061, RLC 2008/14, n° 1009, obs. Donnette A.). En effet, la Cour administrative d’appel de Paris a considéré que cet établissement « met en vente des articles de maroquinerie, joaillerie, vêtements et accessoires » qui « peuvent être regardés comme étant, au moins pour une certaine catégorie de clientèle étrangère, au nombre des attraits touristiques de la capitale française ». Elle s’est également fondée sur le fait que cet établissement « commercialise des livres d’art et de voyage ayant un lien avec la marque Louis Vuitton » et sur « la présence, dans ce magasin fréquenté par des touristes, d’œuvres artistiques et d’un espace destiné à accueillir des manifestations culturelles en rapport avec les activités de la société Louis Vuitton ». En cassation, le Conseil d’État annule d’abord l’arrêt des seconds juges en retenant que « les produits de maroquinerie, de joaillerie, vêtements et accessoires qui sont mis à la disposition du public par cet établissement ne revêtent pas, par nature, quelles que soient les qualités architecturales ou artistiques du lieu dans lequel ils sont mis en vente, le caractère de biens et services destinés à faciliter l’accueil du public ou les activités de détente ou de loisirs d’ordre sportif, récréatif ou culturel », au sens des dispositions du Code du travail. Il ajoute en ce sens que « si les livres d’art et de voyage qui y sont également commercialisés peuvent être regardés comme facilitant les activités de loisirs d’ordre culturel, ils ne sont, ainsi que l’a souverainement apprécié la cour administrative d’appel, destinés qu’à accompagner ou promouvoir la vente des autres articles de la marque Louis Vuitton, leur mise à disposition du public revêtant dès lors un caractère accessoire de celle de ces derniers produits ». Du reste, termine-t-il, « les espaces d’exposition et les manifestations culturelles, accessibles gratuitement aux visiteurs du magasin », n’entrent pas dans les prévisions du texte « qui ne portent que sur les biens et services mis à la disposition du public à titre onéreux ». Réglant l’affaire au fond, la Haute juridiction administrative considère en conséquence que, « pour les raisons indiquées cidessus, ni les produits de maroquinerie, de joaillerie, vêtements et autres équipements de la personne mis en vente par l’établissement à l’enseigne Louis Vuitton situé avenue des Champs-Élysées, ni les livres d’art et de voyage qui n’en sont que l’accessoire, ni les espaces d’exposition et les manifestations culturelles proposés gratuitement par cet établissement ne permettent de regarder ce dernier comme un établissement mettant à la disposition du public des biens et des services destinés à faciliter son accueil ou ses activités de détente ou de loisirs d’ordre sportif, récréatif ou culturel » et que, dès lors, il ne pouvait être légalement dérogé au principe du repos hebdomadaire donné le dimanche.

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Police et activités économiques en archéologie préventive Seules les opérations de diagnostics et de fouilles archéologiques, de nature économique, ne relèvent

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pas des missions de police administrative de l’État et peuvent donc être réalisées et financées par des tiers. CE, 11 mai 2009, n° 296919, Ville de Toulouse

La ville de Toulouse avait conclu entre 1993 et 2000 sept conventions avec l’État et l’ancienne Association pour les fouilles archéologiques nationales (AFAN) afin d’autoriser et de financer des opérations de fouilles archéologiques, menées par l’AFAN, sous le contrôle technique et scientifique de l’État, sur des terrains et immeubles lui appartenant et sur lesquels elle avait projeté d’entreprendre des travaux. Dans le cadre des conventions, la ville s’était engagée à verser à l’AFAN la somme de plus de 700 000 euros. Mais une fois cette somme presque totalement versée, la ville de Toulouse a réclamé à l’État des remboursements au motif que le droit en vigueur n’avait pu autoriser l’État à lui faire supporter totalement ou partiellement le coût des fouilles archéologiques. Elle a alors formé un recours en responsabilité quasi délictuelle tendant à la condamnation de l’État au remboursement des sommes versées avec intérêts au taux légal auquel le Tribunal administratif de Toulouse fit partiellement droit avant de voir sa décision infirmée en appel en considération de ce que la ville ne pouvait engager d’autres actions que celles qu’elle tenait de ses contrats. En cassation, après avoir rappelé les dispositions alors en vigueur régissant les conditions dans lesquelles l’État peut précéder d’office à l’exécution de fouilles, le Conseil d’État retient de manière très intéressante qu’en l’espèce « l’État a conduit la commune de Toulouse à participer au financement d’opérations de fouilles archéologiques en lui imposant la signature des conventions de financement litigieuses [et] que la ville a ainsi engagé une action contre l’État sur le seul terrain de sa responsabilité quasi délictuelle, même s’il lui aurait été loisible d’engager une action sur le terrain de la nullité des contrats qu’elle soutenait avoir été contrainte de signer », pour conclure à l’erreur de droit commise par des seconds juges ayant enfermé l’affaire dans les liens de la responsabilité contractuelle. Le terrain quasi délictuel étant consacré, la Haute juridiction administrative retient une seconde erreur de droit de la cour administrative d’appel qui est l’occasion de préciser ce qui ressort, en archéologie préventive, des missions de police administrative de ce qui relève des activités économiques : « si les dispositions précédemment évoquées donnent aux services de l’État la possibilité de procéder d’office à l’exécution de fouilles archéologiques sur des terrains n’appartenant pas à l’État, dans les conditions qu’elles définissent, elles ne leur permettent pas de prescrire au propriétaire d’un terrain la réalisation, à ses frais, de fouilles archéologiques ». En effet, « s’agissant de la détection, de la conservation, de la sauvegarde du patrimoine archéologique ainsi que du contrôle et de l’évaluation d’opérations d’archéologie préventive, qui relèvent d’une mission de police administrative de l’État, celui-ci ne peut pas plus, y compris par voie contractuelle, prévoir leur financement total ou partiel par des personnes publiques ou privées », avant d’ajouter que « seules les opérations de diagnostics et de fouilles, de nature économique, ne relèvent pas de ces missions de police administrative et peuvent donc être réalisées et financées par des tiers ». G.C.

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DROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCE Sous la responsabilité d’Éric BARBIER de la SERRE, Avocat, Latham & Watkins et Cyril NOURISSAT, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur à l’Université Jean Moulin-Lyon 3

Par Éric BARBIER DE LA SERRE

et Clémence MACÉ DE GASTINES R LC

Avocat au Barreau de Paris

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Le conseiller auditeur de l’Autorité : un homonyme plus qu’un homologue du conseiller auditeur communautaire La création de la fonction de conseiller auditeur au sein de l’Autorité de la concurrence est l’une des principales nouveautés de la loi de modernisation de l’économie. D’inspiration communautaire, le rôle du conseiller auditeur est toutefois, à ce stade, bien plus limité que celui du conseiller auditeur de la Commission européenne. L. n° 2008-776, 4 août 2008, JO 5 août ; D. n° 2009-335, 26 mars 2009, JO 28 mars

L

orsque l’on passe d’une langue à une autre, il arrive de rencontrer ce que les traducteurs appellent des faux amis. Il semble en aller de même en passant du droit communautaire au droit français, comme l’illustre l’appellation de conseiller auditeur : la même expression renvoie, dans ces deux ordres, à deux réalités différentes. En France, la fonction de conseiller auditeur est apparue lors de la transformation du Conseil de la concurrence en Autorité de la concurrence par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (dite « LME »). Le décret n° 2009-335 du 26 mars 2009, relatif aux modalités d’intervention du conseiller auditeur auprès de l’Autorité de la concurrence, est ensuite venu préciser les contours de ce nouveau poste, dont le premier titulaire, nommé le 16 juillet 2009, est M. Dominique Voillemot, ancien avocat spécialisé en droit de la concurrence. La création de cette fonction fait partie des principales nouveautés de la LME. Cette innovation est en effet remarquable dans la mesure où la fonction de conseiller auditeur n’existe dans aucune autre autorité de concurrence, hormis la Commission européenne, où elle a été institutionnalisée dès 1982. Toutefois, malgré l’identité d’appellation, une comparaison même sommaire entre le conseiller auditeur « à la française » (Bosco D., Parution du dernier décret « LME » sur le conseiller auditeur « à la française », Contrats, conc., consom. 2009, comm. 138) et celui de la Commission européenne montre que les deux conseillers auditeurs ont peu de points communs, si ce n’est leur mission exprimée en des termes généraux, à savoir veiller au respect des droits des parties. À l’analyse, le conseiller auditeur français apparaît bien plus comme un homonyme qu’un homologue du conseiller auditeur de la Commission européenne. En effet, même si la création d’un conseiller auditeur a été saluée par la communauté juridique comme apportant une garantie supplémen-

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taire aux entreprises, les pouvoirs qui lui ont été attribués sont assez limités, du moins bien davantage que ceux de son homonyme communautaire. Son statut a été âprement discuté et a donné lieu à quelques turbulences législatives (I), mais le vent est retombé sur ce point. C’est désormais le caractère circonscrit de sa mission et de ses pouvoirs qui soulève des questions (II) et amène à s’interroger sur la portée exacte de cette avancée pour les droits de la défense (III).

I. – LES TURBULENCES AUTOUR DU STATUT DU CONSEILLER AUDITEUR La création du statut du conseiller auditeur ne s’est pas faite sans quelques heurts. Selon les dispositions issues de la LME, le conseiller auditeur devait posséder la qualité de magistrat, exigence qui devait permettre de garantir son indépendance. Cependant, à l’occasion de la ratification de l’ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures, le législateur a finalement modifié cette exigence. Désormais, le conseiller auditeur doit soit posséder la qualité de magistrat, soit offrir « des garanties d’indépendance et d’expertise équivalentes » (C. com., art. L. 461-4, al. 4, tel que modifié par L. n° 2009-526, 12 mai 2009, art. 139-VII, 3°). Cet assouplissement du statut du conseiller auditeur a été décidé afin d’ouvrir la fonction aux avocats et professeurs de droit, les compétences pouvant être attendues de lui étant les suivantes : une parfaite connaissance du droit français et communautaire de la concurrence ainsi que des règles de procédure en vigueur devant l’Autorité de la concurrence, de même qu’une culture du contradictoire et des droits de la défense. Cette modification du statut du conseiller auditeur n’est toutefois pas intervenue sans difficultés. En effet le législateur,

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ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE

DROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCE

également l’obligation de communiquer au président de l’Auavant d’assouplir effectivement ce statut dans la loi du 12 mai torité la liste des intérêts qu’il détient, directement ou par per2009, avait d’abord tenté, sans succès, de le modifier dans la sonne interposée, ainsi que la liste des fonctions qu’il exerce loi pour l’accélération des programmes de construction et d’indans une activité économique. Il communique également la vestissement publics et privés, adoptée le 29 janvier 2009. Cet liste des fonctions qu’il a exercées, des mandats dont il a été empressement s’expliquait par l’expiration proche du délai de titulaire au sein d’une personne morale et des intérêts qu’il a trois mois suivant la publication de l’ordonnance au Journal détenus au cours des cinq années précédant son entrée en officiel qui était imposé au gouvernement pour déposer un fonction (ibid., art. 6, al. 1er). Cette obligation de communication se projet de loi de ratification. Un premier rebondissement survient toutefois lors de la disprolonge au cours de l’exécution de son mandat (ibid., art. 6, al. 3). cussion de cette loi devant l’Assemblée nationale : un amendement supprimant toute référence à la qualité de magistrat II. – LA MISSION ET LES POUVOIRS CIRCONSCRITS est en effet adopté au motif que cette exigence introduit une DU CONSEILLER AUDITEUR rigidité injustifiée qui n’existe pas au niveau communautaire. Deuxième rebondissement, cette fois-ci devant le Sénat, qui Le législateur a donné au conseiller auditeur des pouvoirs qui introduit l’alternative aujourd’hui en vigueur selon laquelle correspondent strictement à son appellation : il conseille et il le conseiller auditeur est soit un magistrat, soit une personne écoute, ou plutôt il écoute puis il conseille. offrant des garanties d’indépendance et d’expertise équivaLa mission du conseiller auditeur telle que définie par la LME, lentes. Une fois la loi adoptée, un troisième rebondissement est en effet circonscrite à « recueillir, le cas échéant, les obsersurvient devant le Conseil constitutionvations des parties mises en cause et sainel : celui-ci censure la disposition resissantes sur le déroulement des procéEn matière d’enquête, lative au conseiller auditeur de la loi dures les concernant dès l’envoi de la les pouvoirs du conseiller pour les programmes de construction notification des griefs » (C. com., art. L. 461-4, comme étant dépourvue de tout lien al. 4). En outre, « [il] transmet au présiauditeur sont inexistants, avec le projet de loi initial et constituant, dent de l’Autorité un rapport évaluant alors que l’Autorité dès lors, un « cavalier législatif » (Cons. ces observations et proposant, si nécess’est vu confier par saire, tout acte permettant d’améliorer const., 12 févr. 2009, n° 2009-575 DC). Un quatrième la LME d’importantes l’exercice de leurs droits par les parties » rebondissement vient ensuite du goucompétences dans (C. com., art. L. 461-4, al. 4). En bref, le conseiller vernement qui, le lendemain de la décision de censure du Conseil constituauditeur « recueill[e] » donc les observace domaine. tionnel, dépose un projet de loi de tions des parties sur le déroulement de ratification de l’ordonnance ne faisant la procédure et « transmet » au président plus aucune référence au statut du conseiller auditeur (projet de l’Autorité un rapport avec ses évaluations et ses propositions. Il joue par là même le rôle d’un observateur extérieur de loi n° 1455 du 13 février 2009 ratifiant l’ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre et indépendant de l’exercice des droits des parties au stade de 2008). Enfin, cinquième et dernier rebondissement, la loi du l’instruction. Il constitue en d’autres termes l’interface entre 12 mai 2009 de simplification du droit modifie définitivement les entreprises et l’Autorité sur le bon déroulement de la prole statut du conseiller auditeur, lequel peut donc être – sauf cédure et veille à l’amélioration de l’exercice des droits de la nouveau rebondissement législatif inattendu – soit un madéfense et des droits des parties saisissantes. gistrat soit une personne offrant des garanties d’indépenLes pouvoirs du conseiller auditeur restent donc relativement dance et d’expertise équivalentes. limités, comme le confirme le décret n° 2009-335 du 26 mars Pour leur part, les principales caractéristiques du poste de 2009, codifié à l’article R. 461-9 du Code de commerce, qui conseiller auditeur ont soulevé moins de difficultés. L’article mentionne les « modalités [de son] intervention ». L’étendue L. 461-4, alinéa 4, du Code de commerce précise sur ce point des pouvoirs du conseiller auditeur varie toutefois en foncque le conseiller auditeur est nommé par arrêté du ministre tion des stades de la procédure devant l’Autorité de la concurde l’Économie après avis du collège. La nomination de M. Dorence que sont l’enquête, l’instruction et la séance. minique Voillemot comme premier conseiller auditeur de l’AuPremièrement, en matière d’enquête, les pouvoirs du conseiller torité a enfin eu lieu après quelques mois d’attente et d’incerauditeur sont inexistants, alors que l’Autorité s’est vu confier titude, sur avis favorable du collège de l’Autorité de la par la LME d’importantes compétences dans ce domaine. Le concurrence (Aut. conc., avis n° 09-A-41, 1er juill. 2009, relatif à une proposition de contentieux contre les ordonnances d’autorisation des opéranomination aux fonctions de conseiller auditeur de l’Autorité de la concurrence). tions de visite et saisie du juge des libertés et de la détention Le décret n° 2009-335 du 26 mars 2009, relatif aux modalités et celui contre le déroulement de ces opérations restent en efd’intervention du conseiller auditeur, indique en outre que ce fet exclusivement du ressort du premier président de la cour dernier exerce ses fonctions pour une durée de cinq ans, son d’appel dans le ressort du juge les ayant autorisées (C. com., mandat étant renouvelable une fois (C. com., art. R. 461-9-I), à l’inverse de son homonyme communautaire qui jouit d’un manart. L. 450-4, al. 6 et 12). Du reste, une autre autorité qu’un juge audat non limité dans le temps. rait-elle pu être saisie en premier ressort de questions ayant Enfin, le règlement intérieur et la charte de déontologie de l’Auune telle portée sur la protection des libertés fondamentales ? torité de la concurrence soumettent le conseiller auditeur, en Pour l’essentiel, les pouvoirs du conseiller auditeur se situent tant que membre de l’Autorité, à certaines obligations. Il doit donc, deuxièmement, au stade de l’instruction, où ils restent ainsi signer une déclaration sur l’honneur lors de sa prise de malgré tout étroitement circonscrits. En effet, le conseiller aufonction, dans laquelle il prend l’engagement solennel d’exerditeur n’intervient que « dans les affaires donnant lieu à une cer ses fonctions « en pleine indépendance, en toute impartianotification de griefs » (C. com., art. R. 461-9-II, al. 2). Ses pouvoirs sont lité et en conscience, ainsi que de respecter le secret professiondonc limités aux procédures avec notification des griefs, ce nel, notamment pendant l’instruction » (Règl. int. Aut. conc., art. 5, qui exclut de son champ de compétence un grand nombre d’affaires : les procédures d’engagements, les procédures sur > al. 1er). Lors de son entrée en fonction, le conseiller auditeur a

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LE CONSEILLER AUDITEUR DE L’AUTORITÉ : UN HOMONYME PLUS QU’UN HOMOLOGUE DU CONSEILLER AUDITEUR COMMUNAUTAIRE

Enfin, quatrièmement, le conseiller auditeur remet chaque demande de mesures conservatoires, de même que les proannée au président de l’Autorité un rapport sur son activité, cédures de contrôle des concentrations ne donnant pas lieu rapport qui est joint au rapport public de l’Autorité (C. com., à l’ouverture d’un examen approfondi. Pourtant, à des degrés divers, toutes ces procédures peuvent soulever des problèmes art. R. 461-9-IV). aigus de droits de la défense. Cette limitation paraît donc reAu terme de cette brève énumération, on ne peut qu’être grettable, d’autant que les procédures simplifiées connaissent frappé par la différence des pouvoirs conférés aux conseillers un succès grandissant. auditeurs français et communautaire. En effet, depuis sa créaAu stade de l’instruction, le conseiller auditeur peut néantion en 1982, la fonction de conseiller auditeur communaumoins intervenir non seulement à la demande d’une partaire a été modifiée en 1994 et 2001 pour continuellement rentie, mais également de sa propre initiative, en appelant forcer ses pouvoirs et son indépendance (Déc. Comm. CE n° 2001/462, l’attention du rapporteur général sur le bon déroulement 23 mai 2001, JOCE 19 juin, n° L 162, relative au mandat des conseillers-auditeurs dans cerde la procédure s’il estime qu’une affaire soulève une taines procédures de concurrence; Déc. Comm. n° 94/810/CECA, 12 déc. 1994, JOCE 21 déc., question relative au respect des droits des parties (C. com., n° L 330, relative au mandat des conseillers-auditeurs dans le cadre des procédures de art. R. 461-9-II, al. 1er). concurrence devant la Commission), en particulier pour tirer les leçons Dans l’exercice de ses fonctions, le conseiller auditeur sera des trois défaites subies par la Commission en matière de donc en relation à la fois avec les parties, les rapporteurs, le contrôle des concentrations durant l’année 2002, véritable anrapporteur général et le président de l’Autorité de la concurnus horribilis pour la Commission (TPICE, 6 juin 2002, aff. T-342/99, Airrence. Les parties saisissantes et les parties mises en cause peutours c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 2585; TPICE, 22 oct. 2002, aff. T-310/01, Schneider vent lui soumettre leurs observations sur Electric c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 4071; TPICE, 25 oct. les affaires les concernant, mais seule2002, aff. T-5/02, Tetra Laval c/ Commission, Rec. CJCE, II, Dans l’exercice de ses ment « pour des faits ou des actes interp. 4381). Après l’annulation de ces trois fonctions, le conseiller venus à compter de la réception de la nodécisions d’interdiction par le Tribunal, tification de griefs et jusqu’à la réception la Commission s’était en effet engagée auditeur sera donc en de la convocation à la séance de l’Autoà modifier son processus décisionnel et, relation à la fois avec les rité » (C. com., art. R. 461-9-II, al. 2). Le rappornotamment, à renforcer le rôle du parties, les rapporteurs, conseiller auditeur en lui donnant les teur général peut également lui présenle rapporteur général et ressources suffisantes pour exercer son ter des observations sur le déroulement le président de l’Autorité mandat (Comm. europ., XXXIIe rapport sur la politique de la procédure. Lorsque le conseiller auditeur appelle l’attention du rapporteur de concurrence, 2002, SEC (2003) 467 final, pp. 5 et 94). de la concurrence. général sur le bon déroulement de la proAu terme de ce processus d’élargissecédure dans une affaire, il verse ses obment de ses pouvoirs, le conseiller auservations au dossier, ce qui renforcera les garanties des parditeur de la Commission européenne a comme mission de gaties en consignant pour l’avenir toute difficulté éventuelle (C. com., rantir le respect du droit d’être entendu et de conduire les procédures de manière à ce qu’elles se déroulent de la façon art. R. 461-9-II, al. 6). En outre, le conseiller auditeur bénéficie du la plus objective, transparente et efficace possible, dans la li« concours des services de l’instruction » pour l’exercice de ses mite du respect d’une application efficace du droit de la concurfonctions et est habilité à demander la communication des rence. Il dispose en outre d’un domaine de compétence plus pièces du dossier dont il est saisi auprès du rapporteur généétendu que son homonyme français. Il est en effet compétent ral. Comme cela s’imposait pour le bon exercice de son office, pour intervenir dans d’autres procédures que celles donnant la confidentialité et le secret des affaires ne lui sont pas oppolieu à une notification de griefs, puisque son action peut nosables (C. com., art. R. 461-9-III). Enfin, le conseiller auditeur conclut tamment s’étendre aux procédures d’engagements. En outre, ses interventions en remettant un rapport au président de l’Auil peut intervenir avant l’ouverture d’une procédure formelle torité dans lequel il évalue les observations des parties et prolorsque des questions de confidentialité se présentent à propose, si nécessaire, tout acte permettant d’améliorer l’exercice pos d’informations devant figurer dans une communication des droits des parties. Ce rapport doit être remis au président de griefs, de même qu’il peut statuer au sujet de la version au plus tard dix jours ouvrés avant la séance, une copie étant d’une décision destinée à la publication. adressée au rapporteur général et aux parties concernées (C. com., Surtout, le conseiller auditeur de la Commission européenne art. R. 461-9-II, al. 4). Cette disposition réglementaire a pu être spéne se limite pas à un rôle de simple observateur. Il dispose cialement critiquée dès lors que, d’une part, elle replace le préd’un certain nombre de pouvoirs propres et, en particulier, sident au cœur de la phase d’instruction, alors que la LME l’en d’un pouvoir de décision dont son homonyme français est déavait écarté au profit du rapporteur général et, d’autre part, pourvu. Il organise et préside les auditions orales et veille à c’est la section appelée à trancher l’affaire qui devrait recevoir leur bon déroulement. Il statue en outre sur les demandes ce rapport directement (Idot L. et Lemaire Ch., L’avant-projet d’ordonnance pord’auditions de tiers et assure la protection des secrets d’aftant création de l’Autorité de la concurrence, JCP G 2008, Actualités, n° 441). Le rapfaires des entreprises. Il garantit par ailleurs l’accès au dosport du conseiller auditeur ne semble en outre pas avoir vosier, prend parti sur les prorogations de délais et conseille le cation à devenir public, contrairement à celui de son homonyme commissaire chargé de la politique de concurrence. Pour accommunautaire, ce qui diminuera la pression qu’il pourrait complir sa mission, il est obligatoirement tenu informé par le exercer sur le collège mais sera partiellement compensé par la directeur chargé de l’instruction de l’état d’avancement de la possibilité qu’auront les parties de s’en prévaloir, le cas échéant, procédure jusqu’au stade du projet de décision, ce que les devant la Cour d’appel de Paris. textes français ne prévoient pas. En contrepartie de son pouTroisièmement, au stade de la séance de l’Autorité, les voir décisionnel propre, certaines de ses décisions sont suspouvoirs du conseiller auditeur sont résiduels. En effet, ceptibles de recours (TPICE, 30 mai 2006, aff. T-198/03, Bank Austria Creditansle président « peut inviter » le conseiller auditeur « à assister à la séance et à y présenter son rapport » (C. com., talt c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 1429; TPICE, 7 juin 2006, aff. jtes. T-213/01 et T-214/01, art. R. 461-9-II, al. 5). Österreiche Postparkasse e.a. c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 1601).

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ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE

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De surcroît, le conseiller auditeur de la Commission européenne a pour mission, comme son homonyme français, de rédiger des rapports dans lesquels il présente toutes ses observations liées à des questions de procédure. Toutefois, en plus de cette mission, le conseiller auditeur de la Commission peut présenter toutes ses observations liées à des questions de fond, en particulier sur la nécessité d’un complément d’information, sur l’abandon de certains griefs ou sur la communication de griefs supplémentaires. Ce rapport destiné au Commissaire n’est pas publié, à l’instar du rapport de son homonyme français. En revanche, c’est son rapport final qui sera publié au Journal officiel des Communautés européennes, rapport dans lequel il donne son avis sur le respect du droit qu’ont les parties d’être entendues. Enfin, le conseiller auditeur dispose de plus de moyens que son homonyme français. En effet, si la Commission ne compte actuellement que deux conseillers auditeurs (la décision de la Commission du 23 mai 2001 utilise l’expression « un ou plusieurs » et ne limite donc pas leur nombre), ces Hauts fonctionnaires disposent toutefois, pour les aider dans leur mission, d’une équipe composée de dix personnes.

III. – QUELLE AVANCÉE POUR LES DROITS DE LA DÉFENSE ? Qualifié d’« aiguillon de qualité pour les services d’instruction et le rapporteur général » par la rapporteure générale (Virginie Beaumeunier : une rapporteure générale pour l’Autorité de la concurrence, Interview, Concurrences, 2-2009, p. 6), d’« expert procédural » par le président de l’Autorité de la concurrence (Lasserre B., La transformation du Conseil de la concurrence en Autorité de la concurrence, clé de voûte d’une régulation de la concurrence, moderne, juste et efficace, site de l’Autorité, p. 11) ou encore d’« ombudsman des droits de la défense » (Bosco D., préc.), le conseiller auditeur se

présente pour l’essentiel comme une personnalité disponible pour remédier à d’éventuelles difficultés en amont de la procédure, et ce sans avoir à attendre la séance du collège. Ses observations ainsi que la publication de son rapport d’activité permettront sans aucun doute de nourrir le débat sur des points de procédure. Pourtant, la création de cette fonction avait été critiquée dans son principe même par le Conseil de la concurrence dans son avis du 18 avril 2008. Le Conseil avait ainsi jugé que cette création était surprenante au regard du principe de séparation entre la phase d’instruction et de décision. Le Conseil de la concurrence avait considéré que « cette fonction est nécessaire dans une autorité ne connaissant pas la séparation des fonctions d’instruction et de décision, telle que la Commission européenne. En revanche, son utilité n’apparaît pas dans une autorité telle que le Conseil, qui garantit cette séparation et permet aux parties de contester le déroulement de l’instruction devant un collège indépendant. Dans ces conditions on ne voit pas en quoi le conseiller auditeur pourrait aider le collège à jouer son rôle naturel de gardien de la régularité de la procédure » (Cons. conc., avis n° 08-A-05, 18 avr. 2008, pt. 55, relatif au projet de réforme du système français de régulation de la concurrence; cf. également Idot L., La nouvelle Autorité de la concurrence en France : entre deux modèles européens ?, Europe févr. 2009, alerte 7).

Le président de l’Autorité de la concurrence s’est ultérieurement prononcé dans le même sens : « sur le fond, en dépit d’un intitulé identique à celui retenu par le droit communautaire, la fonction assurée par le conseiller auditeur de l’Autorité est appelée à être sensiblement différente de celle du conseiller auditeur de la Commission européenne. En effet, la séparation des fonctions d’instruction et de décision fait du collège de l’Autorité le juge naturel de la régularité du

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déroulement de la procédure d’instruction. Dans ces conditions, le conseiller auditeur ne pouvait pas être doté d’un pouvoir de décision individuel indépendant, car celui-ci aurait constitué une régression pour les entreprises, auxquelles est actuellement garanti le contrôle collégial de la section chargée de traiter l’affaire » (Lasserre B., préc.). Autrement dit, « il aurait été paradoxal et peu efficace de soustraire certaines questions au contrôle du collège pour les faire trancher individuellement par le conseiller auditeur, dont les décisions auraient pu faire l’objet de recours autonomes, ce qui aurait encore accru la complexité et la durée des procédures » (Lasserre B., La nouvelle Autorité de la concurrence, Interview, Concurrences, 1-2009, p. 4). On peut encore noter à cet égard que, dans son avis n° 09-A41 relatif à la proposition de nomination du conseiller auditeur, le collège de l’Autorité de la concurrence n’examine pas seulement les qualités d’expertise et d’indépendance de M. Dominique Voillemot; il propose aussi une analyse du rôle que doit jouer le conseiller auditeur, rôle qui doit être, selon lui, toujours aussi étroitement circonscrit. En effet, il y est énoncé qu’il « ressort des travaux et des débats parlementaires que le rôle confié au conseiller auditeur de l’Autorité, dont l’organisation est marquée par la séparation des fonctions d’instruction exercées par les services d’instruction sous la direction du rapporteur général, d’une part, et des fonctions de décision assurées en toute indépendance par le collège, d’autre part, est celui d’“un expert procédural, disponible pour aider à régler d’éventuelles difficultés avant de présenter un point de vue autonome au collège appelé à se prononcer sur la régularité de la procédure d’instruction”. Le conseiller auditeur est donc appelé à faire part d’une opinion autonome au collège, seul en mesure de prendre une décision à cet égard » (Aut. conc, avis n° 09-A-41, préc., pt. 4). Il ne nous semble effectivement pas contestable que la séparation des fonctions d’instruction et de décision est bien plus nette dans le contentieux de la concurrence français qu’au niveau communautaire. Comme on le lui reproche si souvent, la Commission européenne est une institution intégrée qui cumule les différentes fonctions d’enquête, d’instruction et de décision. La séparation fonctionnelle en droit français a de plus été profondément renforcée par la LME, qui a transféré au rapporteur général un certain nombre de pouvoirs autrefois détenus par le président (notamment : classement d’informations en secret des affaires, choix d’une procédure simplifiée sans établissement préalable d’un rapport et octroi de délais supplémentaires). Le poste de conseiller auditeur

s’impose donc incontestablement plus au sein de la Commission, car il constitue une sorte de contre-pouvoir interne salutaire dont l’utilité a été démontrée par les changements d’orientation de la procédure causés par certaines auditions tenues devant lui (cf., également, Idot L., Le nouveau mandat du conseiller-auditeur. Quelques progrès dans les « procédures concurrence », Europe févr. 1995, chron. 2 ; Charbit N., Le nouveau mandat du conseiller-auditeur, un pas vers la séparation des fonctions?, Gaz. Pal. 21 déc. 1995, p. 3; Idot L., Le mandat des conseillers-auditeurs est modifié de manière à accroître leur indépendance, Europe, août-sept. 2001, comm. 277).

Il aurait toutefois pu être envisagé de confier au conseiller auditeur français un authentique pouvoir de décision. Si transférer le pouvoir de classement de secret des affaires et d’octroi des délais au rapporteur général constitue une avancée, cela n’aurait pas nui aux droits des parties que de voir ces questions traitées par le conseiller auditeur. De même, comme nous l’avons déjà souligné, aurait été particulièrement bienvenue la possibilité pour le conseiller auditeur d’intervenir lors de procédures ne donnant pas lieu à une notification des griefs mais pouvant néanmoins soulever de graves questions au regard des droits de la défense, en particulier les procédures d’engagements et de mesures conservatoires. >

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Mais peut-être la ruse de l’histoire est-elle ici à l’œuvre : à l’instar de l’évolution du statut et des fonctions du conseiller auditeur communautaire, peut-être le rôle du conseiller auditeur « à la française » se verra-t-il renforcé ultérieurement. Après tout, la fonction de conseiller auditeur de la Commission a mis plusieurs années avant d’évoluer dans le sens d’une plus grande indépendance et d’un renforcement de ses pouvoirs, pour finalement lui per-

RLC

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De nombreux enseignements sur la prescription en droit communautaire Le Tribunal confirme la large portée des actes interruptifs de prescription mais affirme par ailleurs l’effet relatif de la suspension de la prescription. TPICE, 31 mars 2009, aff. T-405/06, ArcelorMittal Luxembourg e.a. c/ Commission

Le plus souvent, d’intéressantes questions de prescription se posent dans les affaires de concurrence à l’occasion desquelles une décision de la Commission est annulée par les juridictions communautaires puis remplacée, au terme d’une nouvelle procédure administrative, par une seconde décision (cf., par exemple, CJCE, 15 oct. 2002, aff. jtes. C-238/99 P, C-244/99 P, C-245/99 P, C-247/99 P, C-250/99 P à C-252/99 P et C-254/99 P, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a. c/ Commission, dit « PVC II », Rec. CJCE, I, p. 8375; TPICE, 1er juill. 2008, aff. T-276/04, Compagnie maritime belge c/ Commission, non encore publié, RLC 2008/17, n° 1237). L’arrêt com-

menté, rendu à propos de l’une des dernières applications des règles de concurrence du Traité CECA, confirme pleinement cette règle. Bien qu’il ne s’agisse pas du principal apport qui nous occupera ici, on remarquera tout d’abord en passant que cette affaire confirme le droit pour la Commission de sanctionner, sous l’empire des règles procédurales relevant du Traité CE et malgré l’expiration du Traité CECA, des infractions qui relevaient de ce second Traité et étaient constituées avant son expiration. L’arrêt s’inscrit ainsi dans la lignée tracée par l’arrêt González y Díez rendu en matière d’aides (TPICE, 12 sept. 2007, aff. T-25/04, González y Díez c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 3121, RLC 2008/14, n° 993, obs. Cheynel B.) et non dans celle de l’affaire dite « Ronds à bé-

ton », qui pourtant concernait la prohibition des pratiques anticoncurrentielles (TPICE, 25 oct. 2007, aff. jtes. T-27/03, T-46/03, T-58/03, T-79/03, T-80/03, T-97/03 et T-98/03, SP c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 4331). Mais il est vrai que, dans la décision attaquée dans l’affaire « Ronds à béton », la Commission n’avait mobilisé comme base juridique que le seul Traité CECA, alors que, dans la décision attaquée dans l’arrêt commenté, elle avait pris soin de s’appuyer également sur le Traité CE et le règlement n° 1/2003. Si cette question de succession de normes à statut constitutionnel est d’un grand intérêt pour le droit institutionnel, en raison précisément de l’expiration des règles du Traité CECA

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mettre d’exercer une pression bienvenue sur le processus décisionnel communautaire, ainsi que M. Voillemot le relevait en 2006 (Interview, 40 ans de barreau de droit de la concurrence, Concurrences, 2-2006, p. 6). Surtout, l’importance de son rôle dépend en grande partie du tempérament et de la personnalité nommée : à défaut de décider, le conseiller auditeur sera peut-être finalement en position d’exercer une audacieuse magistrature d’influence. ◆

le présent commentaire se concentrera plutôt sur les enseignements qui peuvent être tirés de l’arrêt commenté à propos de la prescription. Pour mémoire, la prescription applicable au pouvoir de la Commission de prononcer des amendes est de cinq ans (Règl. Cons. CE n° 1/2003, 16 déc. 2002, art. 25, § 1). Elle court à compter du jour où l’infraction a été commise, sauf pour les infractions continues ou répétées, pour lesquelles elle ne court qu’à compter du jour où l’infraction a pris fin (ibid., art. 25, § 2). Elle est interrompue « par tout acte de la Commission visant à l’instruction ou à la poursuite de l’infraction », notamment par les demandes de renseignements de la Commission, les décisions de la Commission ordonnant des vérifications ou l’envoi d’une communication des griefs (ibid., art. 25, § 3). Cette interruption vaut à l’égard de toutes les entreprises ayant participé à l’infraction (ibid., art. 25, § 4) et peut donc faire repartir à de multiples reprises le cours de la prescription. Pas indéfiniment toutefois, puisque la prescription est acquise « au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription » – c’est-à-dire dix ans – « arrive à expiration, sans que la Commission ait prononcé une amende ou une sanction » (ibid., art. 25, § 5). Il s’agit d’une date butoir reposant en substance sur le même mécanisme que celui récemment consacré par le législateur français en matière de prescription civile (C. civ., art. 2232, qui impose un tel délai de 20 ans), si ce n’est qu’en droit des pratiques anticoncurrentielles le délai butoir de dix ans est prorogé de la période durant laquelle la prescription est suspendue, c’est-à-dire « aussi longtemps que la décision de la Commission fait l’objet d’une procédure pendante devant le juge communautaire » (Règl. Cons. CE n° 1/2003, préc., art. 25, § 6). Contrairement à ce qui est prévu pour les actes interruptifs de prescription, il n’est pas précisé si cette suspension vaut à l’égard de toutes les parties ou des seules entreprises qui ont formé un recours. De façon inédite, l’arrêt commenté opte pour la seconde solution. Pour en comprendre toute la portée, un bref retour en arrière s’impose. Dans une première décision concernant l’affaire dite « des poutrelles », la Commission avait sanctionné la société ARBED, à laquelle elle avait imputé l’infraction commise par sa filiale TradeARBED, sans pour autant adresser la décision à TradeARBED (Déc. Comm. CECA n° 94/215, 16 févr. 1994, JOCE 6 mai, n° L 116, relative à une procédure d’application de l’article 65 CA concernant des accords et pratiques concertés impliquant des producteurs européens de poutrelles). ARBED seule avait

donc formé un recours en annulation devant le Tribunal. Ce recours avait été rejeté en grande partie du fait d’un arrêt ensuite cassé par la Cour, laquelle avait en outre décidé de statuer elle-même sur le litige et, en raison de la violation des droits de la défense d’ARBED, d’annuler la décision de la Commission pour autant qu’elle concernait cette société (TPICE, 11 mars 1999, aff. T-137/94, ARBED c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 303 ; CJCE, 2 oct. 2003, aff. C-176/99 P, ARBED c/ Commission, Rec. CJCE, I, p. 10687).

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ACTUALITÉS

DROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCE

À la suite de cette annulation, la Commission avait engagé une nouvelle procédure visant les comportements anticoncurrentiels qui avaient fait l’objet de la décision initiale, puis adressé une communication des griefs à ARBED mais aussi à TradeARBED, sa filiale ayant directement participé à l’infraction, ainsi qu’à ProfilARBED, une société constituée en 1992 pour poursuivre les activités économiques et industrielles d’ARBED dans le secteur des poutrelles. Finalement, la Commission leur avait infligé à titre solidaire une amende de 10 millions d’euros (Déc. Comm. CE n° C (2006) 5342 final, 8 nov. 2006, aff. COMP/F/38.907, Poutrelles en acier, JOUE 13 sept. 2008, n° C 235, relative à une procédure d’application de l’article 65 CA concernant des accords et pratiques concertés impliquant des producteurs européens de poutrelles).

Les heurts de cette procédure amènent le Tribunal à vérifier pour chacune de ces trois sociétés que n’ont été violés ni la prescription quinquennale, interrompue par plusieurs actes, ni le délai butoir de dix ans, suspendu du fait de l’exercice des voies de recours. À cet égard, ARBED soutenait tout d’abord que la prescription n’avait pu être interrompue à son égard, car les divers actes interruptifs retenus par la Commission ne l’identifiaient pas comme ayant participé à l’infraction : ils identifiaient uniquement TradeARBED, sa filiale. Peu importe toutefois pour le Tribunal : selon l’article 25, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003, la prescription vaut à l’égard de « toutes les entreprises ayant participé à l’infraction ». Dès lors, « la circonstance qu’une entreprise n’a pas été identifiée comme “ayant participé à l’infraction” (…) au cours de la procédure administrative dans le cadre de laquelle l’acte interruptif de la prescription s’est inscrit, n’est pas pertinente si cette entreprise est ultérieurement identifiée comme telle » (pt. 143, citant en ce sens, TPICE, 1er juill. 2008, aff. T-276/04, Compagnie maritime belge c/ Commission, préc., pt. 31). Ainsi, « la prescription est interrompue non seulement à l’égard des entreprises qui ont fait l’objet d’un acte d’instruction ou de poursuite, mais aussi à l’égard de celles qui, ayant participé à l’infraction, sont encore inconnues de la Commission et, partant, n’ont fait l’objet d’aucune mesure d’instruction ou ne sont destinataires d’aucun acte de procédure » (pt. 145). De fait, « l’expression “ayant participé à l’infraction” implique un fait objectif, à savoir la participation à l’infraction, qui se distingue d’un élément subjectif et contingent tel que l’identification d’une telle entreprise au cours de la procédure administrative » (pt. 145). Ainsi, « une entreprise pourrait avoir participé à l’infraction sans que la Commission le sache au moment où elle pose un acte interruptif de la prescription » (pt. 145). Appliquant ces principes, le Tribunal constate que la prescription a été interrompue plusieurs fois à l’égard d’ARBED et que, compte tenu de sa suspension pendant le cours de la procédure devant le juge communautaire, la décision a été légalement adoptée dans le délai de prescription quinquennale (pt. 148), de même que dans le délai butoir de dix ans, tel que suspendu à l’égard d’ARBED durant les procédures devant le Tribunal et la Cour (pt. 149). À cette occasion, le Tribunal soulève deux questions intéressantes qu’il ne résout pas. En premier lieu, il réserve la possibilité que la prescription n’ait pas été suspendue durant la période de deux mois courant entre l’arrêt du Tribunal et le dépôt du pourvoi devant la Cour (pts. 148 et 149). En second lieu, le Tribunal semble s’interroger implicitement sur l’interruption de la prescription du fait de l’adoption d’une décision ultérieurement annulée. Le Tribunal constate en effet dans un premier temps qu’une telle décision interrompt la prescription (pt. 141). Dans un second temps, il est toutefois beaucoup plus prudent sur cette conséquence, puisque, évoquant les

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divers actes interruptifs de prescription observables en l’espèce, il n’en évoque aucun entre la dernière demande de renseignements envoyée avant l’adoption de la décision et le dépôt du recours contre cette décision (pt. 148). Cette prudence est peut-être due au fait que l’article 25, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 n’évoque pas explicitement l’adoption d’une décision parmi les exemples d’actes interrompant la prescription, même s’il semble acquis qu’il s’agit bien d’un acte « visant (…) à la poursuite de l’infraction ». TradeARBED et ProfilARBED vont pour leur part avoir plus de succès qu’ARBED. À leur égard, comme le résume le Tribunal, la principale question consistait à « savoir si l’introduction d’un recours devant le juge communautaire a un effet relatif, auquel cas la suspension de la prescription pendant toute la durée de la procédure ne vaut qu’à l’égard de l’entreprise requérante, ou erga omnes, auquel cas la suspension de la prescription pendant la procédure vaut à l’égard de toutes les entreprises ayant participé à l’infraction, qu’elles aient ou non formé un recours » (pt. 151). Selon les vues, la question n’était pas simple ou au contraire l’était particulièrement, car, contrairement à ce que prévoit l’article 25, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 s’agissant des actes interruptifs de prescription, rien n’indique à l’article 25, paragraphe 6, du même règlement que la suspension vaut à l’encontre de toutes les entreprises ayant participé à l’infraction. Cette différence va se révéler décisive, car, pour le Tribunal, les exceptions au principe de la prescription quinquennale, dont fait partie la suspension, doivent être interprétées strictement (pt. 154). Cela s’oppose donc à ce que le silence du législateur soit interprété dans le sens d’une suspension erga omnes, d’autant que la suspension de la prescription durant le cours des procédures judiciaires suppose par nature qu’une décision a déjà été adoptée. Il n’est donc plus nécessaire alors d’attacher un effet erga omnes à la prescription, et ce d’autant que « l’effet inter partes des procédures judiciaires et les conséquences attachées à cet effet par la Cour (…) s’opposent en principe à ce que le recours introduit par une entreprise destinataire de la décision attaquée ait une quelconque incidence sur la situation des autres destinataires » (pts. 155 et 156; CJCE, 14 sept. 1999, aff. C-310/97 P, Commission c/ AssiDomän Kraft Products e.a., pts. 49 et s., Rec. CJCE, I, p. 5363). On ne peut opposer à cette interprétation la notion d’entreprise entendue comme unité économique : ce qui compte dans cette hypothèse est que l’entité juridique reçoit la communication des griefs, se voit adresser la décision et, de ce fait, « est seule à même d’introduire un recours (…) et (…) susceptible de se voir opposer la suspension de la prescription » (pt. 158). La solution est parfaitement justifiée et elle démontre une nouvelle fois l’importance procédurale d’une identification correcte par la Commission des entités juridiques pouvant se voir imputer l’infraction au sein d’une même entreprise. Comme le démontre en effet cette affaire, si, au sein d’une même entreprise, la Commission oublie une entité ou commet une erreur en identifiant celle(s) ayant participé à l’infraction, le recours exercé par les entités auxquelles la décision aura été adressée ne suspendra pas la prescription à l’égard des entités laissées de côté, de sorte qu’il deviendra très difficile pour elle de corriger son erreur, sauf si, préventivement, elle a réalisé des actes d’instruction interruptifs de prescription à leur égard. Comme le relevait en substance la Commission dans sa décision partiellement annulée, elle pourrait toutefois être malvenue de réaliser de tels actes alors qu’elle a préalablement adopté une décision laissant de côté les entités en cause (Déc. Comm. CE n° C (2006) 5342 final, 8 nov. 2006, aff. COMP/F/38.907, Poutrelles en acier, préc., consid. 451). Eu égard à l’arrêt rendu par le Tribunal, il ne peut cependant être exclu >

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que, découvrant ultérieurement son erreur, elle décide d’accomplir de tels actes à titre conservatoire, par exemple en leur envoyant une demande de renseignements. Éric BARBIER de la SERRE

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• OBSERVATIONS • Sur cette décision, voir aussi, dans la rubrique « Pratiques concurrentielles », Arcelin-Lécuyer L., Imputation de l’infraction et prescription : les enjeux de la notion d’entreprise en droit de la concurrence, RLC 2009/20, n° 1395.

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Accès au dossier de la Commission en vue de poursuites civiles Le Tribunal confirme l’appréciation stricte des exceptions au droit d’accès sous l’empire du règlement n° 1049/2001. TPICE, 11 mars 2009, aff. T-166/05, Borax Europe c/ Commission ; TPICE, 11 mars 2009, aff. T-121/05, Borax Europe c/ Commission

Le règlement n° 1049/2001, qui constitue la réglementation générale sur l’accès aux documents de la Commission, du Conseil et du Parlement, fait actuellement l’objet d’un processus de révision approfondie par le législateur communautaire (Règl. Parl. et Cons. CE n° 1049/2001, 30 mai 2001, JOUE 31 mai, n° L 145, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission). Le débat est intense entre la Commission, qui prône une

restriction du droit d’accès notamment dans les affaires de concurrence, et le Parlement, très réservé sur un tel retour en arrière. Loin de ce débat ou peut-être au contraire pour s’y insérer, le Tribunal de première instance continue pour sa part de faire progresser les droits prévus par le règlement n° 1049/2001 dans sa version actuellement en vigueur. Les deux arrêts commentés confirment en effet la sévérité dont fait normalement preuve le Tribunal lorsqu’il examine si l’une des exceptions au droit d’accès s’applique. Le règlement n° 1049/2001 n’est plus vraiment à présenter, car de nombreux arrêts le concernant ont déjà été commentés dans cette chronique (cf., par exemple, TPICE, 13 avr. 2005, aff. T-2/03, VKI c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 1121, RLC 2005/4, n° 312, obs. GMP, et TPICE, 9 sept. 2008, aff. T-403/05, MyTravel c/ Commission, pt. 97, non encore publié, RLC 2009/18, n° 1307).

On peut toutefois rappeler qu’il est d’application extrêmement large, puisqu’il donne à « [t]out citoyen de l’Union et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre » un droit d’accès à tous les documents en possession de la Commission, du Conseil et du Parlement, quelle que soit leur forme et quel que soit le domaine d’activité de l’Union concerné, c’est-à-dire également aux documents concernant les procédures en droit de la concurrence. Le règlement prévoit bien sûr des exceptions, dont les deux plus pertinentes pour le droit de la concurrence sont, d’une part, la protection des activités d’inspection et d’enquête de la Commission (Règl. Parl. et Cons. CE n° 1049/2001, préc., art. 4, § 2) et, d’autre part, la protection du processus décisionnel de la Commission (ibid., art. 4, § 3). La jurisprudence s’est toutefois montrée très sévère avec la Commission lorsque cette dernière prétend démontrer que l’une de ces exceptions est présente. La jurisprudence exige notamment que l’atteinte aux intérêts protégés ne soit pas simplement hypothétique mais précisément démontrée au regard des faits concrets de l’espèce (cf., par exemple, TPICE, 13 avr. 2005, aff. T-2/03, VKI c/ Commission, préc., pt. 69). En outre, même lorsqu’une atteinte à ces intérêts est présente et démontrée à suffisance de droit, encore faut-il qu’un « intérêt public supé-

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rieur » ne justifie pas la divulgation du document visé (Règl. Parl. et Cons. CE n° 1049/2001, préc., art. 4, §§ 2 et 3). S’appuyant sur le règlement n° 1049/2001, Borax, une société produisant et distribuant du borate et de l’acide borique, a demandé à avoir accès aux documents d’un groupe d’experts consultés en vue de l’adoption d’une directive classant éventuellement ces substances comme dangereuses. La Commission s’y est opposée en invoquant la protection de la vie privée (ibid., art. 4, § 1, sous b)), en l’occurrence celle des experts, ainsi qu’un risque d’atteinte grave portée au processus décisionnel (ibid., art. 4, § 3). Le Tribunal va toutefois lui donner tort sur les deux tableaux. S’agissant de la protection de la vie privée, il juge que les assurances données par la Commission à certaines personnes quant à la confidentialité de leurs conversations ne peuvent être opposées au règlement n° 1049/2001 (TPICE, 11 mars 2009, aff. T-121/05, pt. 34). Lorsque la Commission a pris un tel engagement, il semble donc qu’elle doive permettre l’accès aux documents en cause, sauf bien sûr si une autre exception s’applique, quitte à devoir en supporter les conséquences par le biais d’un recours en indemnité. De façon plus importante, le Tribunal confirme que la Commission ne saurait qualifier un risque d’atteinte à l’un des intérêts protégés par les exceptions au droit d’accès en s’appuyant sur des motifs généraux et, donc, sans avancer de circonstances propres à l’espèce (ibid., pts. 39, 44, 45 et 50). C’est cette même approche que le Tribunal suit pour écarter le risque d’atteinte au processus décisionnel invoqué par la Commission. Il rejette en effet les justifications appuyées sur des risques inhérents au processus décisionnel, en l’espèce le risque qu’une confusion soit créée, du fait de l’accès à des documents imparfaits, sur ce qui s’est réellement déroulé lors de ce processus (TPICE, 11 mars 2009, aff. T-166/05, pts. 90 à 99). Cette justification était, il faut le dire, particulièrement audacieuse, puisque l’accès aux documents ne peut précisément que contribuer à jeter un peu plus de lumière, même si elle est tamisée, sur le déroulement réel de la procédure administrative. Le Tribunal rejette en outre l’argument de la Commission selon lequel il est nécessaire « de protéger les experts contre toute pression extérieure afin de préserver un climat de confiance propice à des discussions franches et de ne pas les dissuader d’exprimer librement leur opinion à l’avenir ». Ici aussi la solution s’imposait, car la Cour est allée jusqu’à juger qu’il n’existe pas de besoin général de confidentialité en ce qui concerne les avis du service juridique relatifs à des questions législatives (TPICE, 11 mars 2009, aff. T-121/05, préc., pts. 67 à 72; TPICE, 11 mars 2009, aff. T-166/05, préc., pts. 100 à 106), avis dont on pourrait à première vue penser que la candeur serait mise en danger si elle était offerte aux regards extérieurs (CJCE, 1er juill. 2008, aff. C-39/05 P et C-52/05 P, Suède et Turco c/ Conseil, non encore publié, RLC 2008/17, n° 1241, obs. G. M.-P.). Il nous semble toutefois que, par cette dernière prise de position, le Tribunal prend une nouvelle fois parti dans un débat très important sur la portée des exceptions au droit d’accès. Ce débat oppose deux conceptions. La première peut être appelée « conception systémique » : selon cette conception, une exception s’applique si donner accès à des documents dans un cas donné aurait pour effet de mettre en danger les intérêts protégés non pas dans le cas en question mais dans d’autres affaires du même type, notamment parce qu’elle modifierait le comportement futur des institutions ou des justiciables dans un sens qui affecterait l’action administrative. L’exemple le plus typique de la conception systémique réside dans la communication de la Commission sur la clémence, selon laquelle « la divulgation publique de

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documents et de déclarations écrites ou enregistrées reçus conformément à la présente communication porterait atteinte à certains intérêts publics ou privés, par exemple la protection des objectifs des activités d’inspection et d’enquête, au sens de l’article 4 du règlement (CE) n° 1049/2001 (…), même après l’adoption de la décision » (Communication Comm. CE sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, JOUE 8 déc. 2006, n° C 298). Cette conception est également présente dans le ré-

cent arrêt MyTravel, dans lequel, aux fins de protéger le processus décisionnel, le Tribunal a admis que la Commission ne donne pas accès à certains rapports internes de la Direction générale « Concurrence ». Le Tribunal a ainsi jugé que la divulgation de ces rapports « signifierait que leurs auteurs prendraient en compte à l’avenir ce risque de divulgation à un point tel qu’ils pourraient être amenés à s’autocensurer et à ne plus présenter d’opinion susceptible de faire courir un risque au destinataire du document en cause. Ce faisant, la communication interservices au sein de la Commission ne serait plus aussi libre et complète qu’elle devrait l’être afin de permettre l’élaboration des décisions et de la communication des griefs requises au titre d’une procédure de contrôle des concentrations » (TPICE, 9 sept. 2008, aff. T-403/05, MyTravel c/ Commission, préc., pt. 97). On peut toutefois opposer à cette approche systémique une « conception in concreto », selon laquelle c’est à la lumière des seules circonstances du cas d’espèce – et non par rapport au risque que l’accès aux documents ferait courir dans d’autres affaires – que l’atteinte doit être caractérisée. Une telle conception, qui nous semble plutôt dominante à ce stade dans la jurisprudence, peut être décelée par exemple dans l’affaire VKI (TPICE, 13 avr. 2005, aff. T-2/03, VKI c/ Commission, préc., pts. 81 à 88), surtout dans l’affaire Franchet & Byk (TPICE, 6 juill. 2006, aff. T-391/03, Franchet & Byk c/ Commission, pt. 113, Rec. CJCE, II, p. 2023, RLC 2006/9, n° 616) et, aujourd’hui, dans les arrêts commentés.

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Les poursuites civiles comme « intérêt public supérieur » justifiant un accès aux documents de la Commission Pour le Médiateur européen, la promotion des actions civiles en réparation peut caractériser l’« intérêt public supérieur » qui, selon le règlement n° 1049/2001, justifie l’inapplication des principales exceptions prévues par ce texte. Projet de recommandation du Médiateur européen dans son enquête relative à la plainte 3699/2006/ELB contre la Commission européenne

C’est la première fois que cette chronique commente une recommandation du Médiateur européen. Une fois n’est certes pas coutume, mais le projet de recommandation commenté mérite assurément que l’on s’y arrête, car il prend directement position sur une question brûlante : dans quelle mesure la Commission est-elle supposée, en ouvrant l’accès à ses dossiers, prêter assistance aux plaignants qui intentent des actions civiles contre les entreprises s’étant rendues coupables d’un cartel ? Le Médiateur statuait en l’espèce sur le refus de la Commission de faire droit à une demande présentée par deux avocats

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à la Commission sur le fondement du règlement n° 1049/2001 (pour une brève présentation de ce règlement, voir RLC 2009/20, n° 1431). Ces avocats souhaitaient que leur client puisse prendre connaissance des documents mentionnés dans une décision de la Commission adoptée à l’encontre d’une société sanctionnée pour infraction aux règles de concurrence. Cette demande visait in fine à leur permettre de produire ces documents devant les tribunaux nationaux aux fins d’une action en réparation du préjudice subi en raison de cette infraction. Ayant essuyé un refus sur le fondement de l’exception relative à la protection des activités d’enquête et des intérêts commerciaux, les demandeurs s’adressent au Médiateur. S’agissant de la protection des activités d’enquête, le Médiateur rappelle qu’il appartient à l’institution d’avancer des « arguments circonstanciés tenant au contenu précis de chacun des documents pour démontrer que la divulgation de ceux-ci, à la demande des plaignants, porterait atteinte à l’intérêt d’une enquête à venir » (pt. 31), ce que la Commission n’a pas fait en l’espèce. Quant à la protection des informations commerciales, le Médiateur constate que les documents en cause contiennent encore des informations sensibles (pt. 38). Toutefois – et c’est le point qui nous intéressera le plus – même s’il est démontré que l’accès à des documents affecterait l’un des intérêts protégés par l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001, encore faut-il, pour que l’accès puisse être refusé, que n’existe pas un « intérêt public supérieur » imposant l’accès (pt. 39). S’appuyant largement sur le document de travail accompagnant le Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, le Médiateur constate que, selon la Commission elle-même, les poursuites civiles auront un effet dissuasif fort à l’égard des contrevenants potentiels et que les intérêts de ces victimes « coïncident normalement avec l’intérêt public » (pt. 41). Le médiateur cite également en ce sens les arguments avancés par la Commission dans l’affaire Sumitomo à propos de la nature « vitale » des poursuites civiles « pour assurer l’application complète des articles 81 CE et 82 CE » (pt. 57; TPICE, 6 oct. 2005, aff. T-22/02, Sumitomo Chemical c/ Commission, pt. 128, Rec. CJCE, II, p. 4065, RLC 2005/5, n° 385), retournement quelque peu ironique que vient encore couronner une référence à l’arrêt Courage (CJCE, 20 sept. 2001, aff. C-453/99, Courage c/ Crehan, pts. 26 et 27, Rec. CJCE, I, p. 629). L’intérêt public des poursuites civiles semble donc normalement acquis pour le Médiateur. Reste toutefois encore à déterminer si l’encouragement des poursuites civiles constitue un intérêt public « supérieur ». Pour le déterminer, il convient, selon le Médiateur, que la Commission établisse « si les documents qui font l’objet de la demande d’accès contiennent réellement des informations pouvant servir dans une action en dommages et intérêts devant une juridiction nationale, à savoir, par exemple, des informations relatives à un préjudice causé à des tiers (…), ainsi que des informations relatives à un lien causal entre la violation de la législation communautaire en matière de concurrence et le préjudice causé à ces tiers » (pt. 45). Ainsi, si les documents contiennent réellement des informations pouvant être utiles, « il sera d’autant plus probable » qu’il existe effectivement un intérêt public supérieur justifiant la divulgation de ces documents (ibid.). Le Médiateur considère également que, parmi les facteurs devant être pris en considération au moment de déterminer s’il existe un intérêt public supérieur justifiant la divulgation, il y a lieu d’établir si la juridiction nationale peut effectivement demander à avoir accès aux documents en question, confor- >

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clémence intégrale est accordée à la partie tierce dont émanent lesdits renseignements » (pt. 70). Il « n’exclut pas » non plus que « l’efficacité du programme de clémence puisse dépendre de la confiance qu’ont les entreprises sollicitant la clémence dans le fait que la Commission ne divulguera pas les documents à des tiers » (pt. 71). Le Médiateur s’exprime avec une grande prudence, mais l’on perçoit bien son adhésion au programme de clémence et la difficulté qu’auront les demandeurs à obtenir des documents présentés aux fins de son application. S’agissant deuxièmement des documents obtenus en réponse à une demande de renseignements, le Médiateur constate qu’en dépit de l’obligation d’accéder à une telle demande « les entreprises conservent une certaine marge d’appréciation quant aux informations qu’elles choisissent de transmettre à la Commission, en particulier dans les cas où les demandes de renseignements sont formulées dans des termes vagues » (pt. 72). Il n’est donc pas exclu qu’ils doivent être eux aussi écartés du droit d’accès. S’agissant troisièmement des documents saisis lors d’une inspection menée par la Commission en vertu de l’article 20 du règlement n° 1/2003, dès lors que ceux-ci « sont obtenus sans le consentement ni la coopération de la partie incriminée », la capacité de la Commission à obtenir de tels documents ne devrait pas être mise à mal par la possibilité d’une éventuelle divulgation de ces documents (pt. 73). Trois observations peuvent être faites sur cette division tripartite. Tout d’abord, si elle était retenue, ce serait pour les entreprises une raison supplémentaire de coopérer avec la Commission, car l’accès aux documents accompagnant une demande de clémence serait beaucoup plus difficile que l’accès aux documents des entreprises qui n’auraient pas coopéré. Ensuite, le projet de recommandation réalise une sorte de grand écart entre les approches systémiques et in concreto décrites dans l’actualité précédente : d’une part, elle insiste sur la nécessité d’une caractérisation concrète et circonstanciée, mais tout en acceptant, d’autre part, de prendre en compte la création de risques systémiques dans d’autres cas que celui en cause. Enfin, troisièmement, à l’occasion de la révision en cours du règlement n° 1049/2001, le législateur communautaire clarifiera peut-être cette tentative de systématisation, puisque, comme nous l’avons déjà souligné, la proposition de la Commission prévoyait l’exclusion du droit d’accès à une grande partie de ses dossiers, ce à quoi s’oppose le Parlement, traditionnellement féru de transparence et électeur du Médiateur. Le débat entre Commission, Conseil, Parlement, Médiateur et Cour ne fait donc que commencer. É.B.S. RLC

mément à l’article 15 du règlement n° 1/2003 (pt. 46). L’accès à des documents sur le fondement du règlement n° 1049/2001 et l’accès judiciaire aux preuves jouent donc comme des vases communicants. En effet, d’une part, comme on vient de le voir, la fermeture de l’accès judiciaire aux preuves accroît le champ d’application du règlement n° 1049/2001. Inversement, l’ouverture de l’accès par le biais du règlement n° 1049/2001 diminue le besoin de recourir aux mesures d’accès aux preuves dont la Commission envisage de proposer l’adoption dans le cadre de sa future directive sur la réparation des dommages civils. En effet, le prononcé de ces mesures devrait être soumis notamment à une condition de subsidiarité, c’est-à-dire à la preuve de l’impossibilité d’obtenir autrement les preuves et au moyen d’efforts raisonnables. Or, la Commission a beau indiquer dans son document de travail accompagnant le Livre blanc que le règlement n° 1049/2001 n’est pas pertinent à cet égard (Commission Staff Working Paper, pt. 104), rien ne le prévoit expressément à ce stade. Si l’accès judiciaire aux preuves est supposé se développer, cela suppose donc que soient refermées les voies d’accès alternatives telles que le règlement n° 1049/2001. C’est du reste précisément une telle fermeture que la Commission cherche à réaliser, puisque sa proposition de modification du règlement n° 1049/2001 prévoit l’exclusion du droit d’accès d’une très grosse partie des dossiers de la Commission. La messe n’est toutefois pas encore dite, puisque le Parlement, de son côté, s’est opposé à ce changement. Mais l’intérêt de la recommandation commentée ne s’arrête pas là, puisque le Médiateur apporte d’autres précisions sur l’enchevêtrement du règlement n° 1049/2001 et des poursuites civiles. Premièrement, il balaie l’argument avancé par la Commission selon lequel le règlement n° 1049/2001 ne doit pas être utilisé pour réunir des preuves dans le cadre d’actions privées en dommages et intérêts, notant à cet égard que le règlement est applicable dans tous les domaines d’activité de l’Union (pt. 52). Cette conception s’oppose directement à celle retenue par la Commission dans son document de travail accompagnant le Livre blanc, selon laquelle le règlement n° 1049/2001 n’est pas pertinent à cet égard (Commission Staff Working Paper, préc., pt. 104). Deuxièmement, même si l’existence d’un intérêt public supérieur lié à la facilitation des poursuites civiles doit faire l’objet d’un examen au cas par cas, le Médiateur suggère que ce n’est que dans « dans certains cas exceptionnels » que la divulgation pourrait être refusée (pt. 54). Troisièmement, il procède à une division tripartite intéressante s’agissant de la mise en balance devant être effectuée entre la protection des activités d’enquête et un éventuel intérêt public supérieur. Il juge ainsi nécessaire, lors de cette opération, d’établir une distinction entre, premièrement, les documents remis volontairement à la Commission sous le couvert d’un programme de clémence; deuxièmement, les documents obtenus à la suite d’une demande de renseignements formulée par la Commission en application de l’article 18 du règlement n° 1/2003 ; et troisièmement, les documents saisis lors d’une inspection conduite par la Commission en application de l’article 20 du règlement n° 1/2003. S’agissant premièrement des documents obtenus dans le cadre d’une demande de clémence, le Médiateur « n’exclut pas que, dans certaines circonstances, il puisse s’avérer nécessaire, afin de protéger l’intérêt public, de garantir la protection des renseignements livrés volontairement à la Commission dans le cadre d’un programme de clémence, en particulier lorsqu’une

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Quand le ministre tire le premier mais à titre incident Un recours incident du ministre devant la Cour d’appel de Paris peut viser à l’augmentation de l’amende imposée à des entreprises n’ayant pas formé de recours principal. CA Paris, 8 avr. 2009, n° 2008/01092, ELA Medical e.a.

La latitude dont dispose la Cour d’appel de Paris pour augmenter une amende infligée par l’Autorité de la concurrence est bien plus réduite que celle dont dispose le Tribunal à

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aff. C-3/06 P, Groupe Danone c/ Commission, pt. 62, Rec. CJCE, I, p. 1331, RLC 2007/11, n° 793), la Cour d’appel de Paris ne peut le faire qu’à la condi-

tion que le ministre forme un recours contre la décision, eu égard au « respect du principe général de non-aggravation du sort du requérant en l’absence de recours du ministre chargé de l’Économie, qui s’oppose à ce que la sanction soit aggravée » (CA Paris, 1re ch., sect. H, 15 janv. 2008, n° 2007/02775, Devin Lemarchand Environnement, RLC 2008/15, n° 1104 ; cf., également, Ménuret J.-J., Le contentieux du Conseil de la concurrence, LGDJ, 2003, n° 839 ; Pénichon C., Le contrôle de la proportionnalité de la sanction par la Cour d’appel de Paris en droit de la concurrence, in Canivet G. (dir.), La modernisation du droit de la concurrence, LGDJ, p. 363). De

surcroît, le ministre n’exerce, semble-t-il, que très rarement cette prérogative. L’arrêt commenté marque donc peut-être une nouvelle étape, puisque, par le biais d’un recours incident, le ministre y invitait la Cour d’appel à augmenter l’amende imposée par le Conseil à cinq entreprises coupables d’une entente concernant l’approvisionnement des hôpitaux en défibrillateurs cardiaques (Cons. conc., déc. n° 07-D-49, 19 déc. 2007, RLC 2008/15, n° 1056, obs. Sélinsky V. et n° 1108, obs. Cheynel B.). Le ministre ne s’est pas laissé impressionner par le fait que seules deux entreprises sur cinq avaient formé un recours principal : son recours incident visait à l’augmentation de l’amende non pas des deux seules entreprises ayant formé un recours principal mais bien des cinq entreprises condamnées, y compris les trois entreprises qui s’étaient abstenues de former un recours principal. La Cour d’appel s’est interrogée sur la recevabilité de ce recours incident à l’égard de ces trois entreprises et résout son incertitude par une réponse positive : si, selon l’article R. 464-16 du Code de commerce, un recours incident est « dénoncé (…) aux demandeurs au recours à titre principal », il n’existe pas pour autant de « lien nécessaire entre les modalités de la notification du recours incident et de sa portée ». En d’autres termes, « rien n’interdit spécialement au ministre chargé de l’Économie de réclamer par cette voie l’aggravation des sanctions prononcées contre toutes les entreprises, même celles n’ayant pas formé de recours à titre principal ». Une partie condamnée par l’Autorité ne peut donc se tranquilliser complètement du simple fait que, d’une part, elle s’est abstenue de former un recours principal et, d’autre part, le ministre ou une autre partie n’a pas formé de recours principal contre la décision : encore faut-il que le ministre ne forme pas de recours incident dont la portée dépasserait celle des recours principaux. En l’espèce, deux des trois entreprises mises en cause par le ministre avaient elles-mêmes formé un recours incident. En revanche, la troisième s’en était abstenue. Eu égard aux risques pesant sur elle, on peut être surpris de constater qu’elle n’était pas présente aux débats, bien que, selon l’arrêt, le recours incident du ministre lui ait bien été notifié. Lue conjointement avec l’arrêt rendu sur le litige concernant l’iPhone, cette solution confirme l’élargissement récent des possibilités contentieuses devant la Cour d’appel. On rappellera en effet que, dans cet arrêt sur l’iPhone, la Cour d’appel a jugé que, par la voie de l’intervention, une entreprise pouvait devenir partie devant la Cour d’appel même si elle n’avait pas été partie principale (CA Paris, 1re ch., sect. H, 4 févr. 2009, n° RG : 2008/23828 et n° RG : 2009/00003, Apple et Orange c/ Bouygues Telecom, RLC 2009/19, n° 1337, Sélinsky V. et RLC 2009/19, n° 1362, Muguet-Poullennec G.).

Droit I Économie I Régulation

Si la solution retenue dans l’arrêt commenté s’inscrit donc dans un mouvement plus large, on peut se demander s’il ne crée pas une nouvelle dynamique qui pourrait inciter les entreprises condamnées à former un recours principal par précaution, de crainte d’être ensuite mises en cause par le ministre sans pouvoir elles-mêmes former un recours contre la décision, puisque le Code de commerce ne prévoit pas la possibilité de former un nouveau recours incident. Ce serait alors aller contre l’une des vertus de ce dernier, qui est de limiter le volume de contentieux en permettant aux parties qui se contentent à première vue de la décision de ne déposer un recours que dans l’hypothèse où leurs adversaires le feraient. Sauf bien sûr à penser que c’est le dépôt du recours principal lui-même qui pourrait inciter le ministre à former un recours incident. É.B.S. RLC

l’égard de la Commission : alors que le juge communautaire est habilité à exercer sa compétence de pleine juridiction à la hausse « lorsque la question du montant de l’amende est soumise à son appréciation », c’est-à-dire y compris sans conclusions de la Commission en ce sens (CJCE, 8 févr. 2007,

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Aides d’État : une jurisprudence sinueuse sur le droit de contester devant le Tribunal des éléments factuels non remis en cause devant la Commission La prudence s’impose pour les bénéficiaires potentiels d’une aide d’État, y compris s’ils n’ont pas participé à la procédure administrative. TPICE, 4 mars 2009, aff. T-445/05, Associazone italiana del risparmio gestito e.a. c/ Commission ; TPICE, 1er juill. 2009, aff. T-81/07, T-82/07 et T-83/07, KG Holding c/ Commission

En matière d’aides d’État, il est désormais quasiment acquis qu’une partie intéressée qui a participé à la procédure administrative n’est pas en droit de contester pour la première fois devant le Tribunal des faits qu’elle s’est abstenue de remettre en cause devant la Commission (cf., par exemple, TPICE, 11 mai 2005, aff. jtes. T-111/01 et T-133/01, Saxonia Edelmetalle et ZEMAG c/ Commission, pt. 68, Rec. CJCE, II, p. 1579). La même solution sévère s’applique-t-elle tou-

tefois si le requérant n’a pas participé à la procédure administrative (et, par définition, n’a donc pas contesté les faits en cause), que ce soit délibérément, parce qu’il n’était pas au courant de la procédure ou parce qu’il n’était pas conscient de son importance, comme c’est souvent le cas lorsqu’est en cause un régime d’aides ? En d’autres termes, est-ce seulement la participation à la procédure qui déclenche un risque de forclusion ou est-ce la seule publication de la décision d’ouverture de la procédure au Journal officiel de l’Union européenne ? L’histoire de cette incertitude est relativement sinueuse. Ses étapes les plus récentes peuvent être résumées ainsi. En 2005, dans l’arrêt Saxonia, le Tribunal a jugé sans surprise qu’un requérant, « lorsqu’il a participé à la procédure d’examen prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE », ne saurait être recevable à se prévaloir d’arguments factuels inconnus de la Commission et qu’il n’aurait pas signalés à celle-ci au cours de la procédure d’examen (TPICE, 11 mai 2005, aff. jtes. T-111/01 et T-133/01, Saxonia Edelmetalle et ZEMAG c/ Commission, préc., pt. 68, RLC 2005/4, n° 319, obs. >

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aff. T-17/03, Schmitz-Gotha Fahrzeugwerke c/ Commission, pt. 54, Rec. CJCE, II, p. 1139; s’appuyant sur l’arrêt Saxonia, préc. et TPICE, 14 janv. 2004, aff. T-109/01, Fleuren Compost c/ Commission, pts. 48 et 49, Rec. CJCE, II, p. 127).

Dans l’arrêt Ter Lembeek, le Tribunal confirmait semble-t-il un retour à la prudence en s’inscrivant dans la lignée de l’arrêt Saxonia, c’est-à-dire en réservant les « cas tout à fait exceptionnels » (TPICE, 23 nov. 2006, aff. T-217/02, Ter Lembeek c/ Commission, pt. 85, Rec. CJCE, II, p. 4483). Nonobstant la parfaite connaissance par la requérante de l’ouverture d’une procédure formelle d’examen ainsi que de la nécessité et de l’importance pour elle de fournir certaines informations, elle avait décidé de ne pas participer à cette procédure, « sans d’ailleurs avoir allégué que la décision d’ouverture était insuffisamment motivée pour lui permettre d’exercer utilement ses droits » (pts. 86, 91 et 92). Nouveau retour en arrière toutefois dans l’arrêt Scott, arrêt dans lequel le Tribunal ne réservait pas l’hypothèse de cas exceptionnels (TPICE, 29 mars 2007, aff. T-366/00, Scott c/ Commission, pt. 145, Rec. CJCE, II, p. 1763). Cette volte-face est encore confirmée par un récent arrêt sur cette question, dans lequel le Tribunal prend soin de noter qu’un requérant, « lorsqu’il a participé à la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, ne saurait être recevable à se prévaloir d’arguments factuels inconnus de la Commission et qu’il n’aurait pas signalés à celle-ci au cours de la procédure formelle d’examen » (TPICE, 4 mars 2009, aff. T-445/05, Associazone italiana del risparmio gestito e.a. c/ Commission, pt. 177, non encore publié).

L’incertitude demeure donc sur l’existence et la portée des hypothèses dans lesquelles une partie intéressée qui n’a pas par-

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ticipé à la procédure administrative peut contester pour la première fois des faits devant le Tribunal. Il nous semble clair qu’à tout le moins certains cas exceptionnels doivent être réservés. En effet, même si une fiction traditionnelle et nécessaire veut que le Journal officiel de l’Union européenne soit lu quotidiennement dans tous les foyers et par tous les opérateurs économiques, l’expérience pousse à un peu plus de réalisme. En matière de régimes d’aides, ce réalisme s’impose particulièrement, puisque l’identité des bénéficiaires peut souvent être moins apparente que dans le cas des aides individuelles. De surcroît, il nous semble qu’il faut en outre réserver le cas où la décision d’ouverture est trop imprécise sur certains points pour que des observations utiles soient présentées à leur égard, réserve qui s’inscrit du reste dans la lignée des exigences renforcées que le Tribunal a récemment posées à l’égard des décisions d’ouverture (TPICE, 22 févr. 2006, aff. T-34/02, Le Levant 001 e.a. c/ Commission, pts. 78 à 83, Rec. CJCE, II, p. 267, RLC 2006/7, n° 523). Enfin, le Tribunal vient lui-même de jeter un doute

sur la rigueur de sa jurisprudence en retenant, à propos d’une aide individuelle, que « [l]e droit d’agir d’une personne ne saurait être restreint pour la simple raison que, alors qu’elle aurait pu, au cours de la procédure administrative, présenter des observations sur une appréciation communiquée lors de l’ouverture de la procédure de l’article 88, paragraphe 2, CE et reprise dans la décision litigieuse, elle s’est abstenue de le faire » (TPICE, 1er juill. 2009, aff. T-81/07, T-82/07 et T-83/07, KG Holding c/ Commission, pt. 195). Quoi qu’il en soit, la prudence et la lecture du Journal officiel de l’Union européenne continuent de s’imposer : un bénéficiaire potentiel qui souhaiterait contester judiciairement une éventuelle décision négative doit, à titre de précaution, faire valoir les éléments de fait qu’il juge pertinents dès la phase administrative. É.B.S. RLC

Cheynel B.). Faisant preuve d’une certaine prudence, le Tribunal a ajouté que « [c]ette jurisprudence ne saurait nécessairement être étendue à tous les cas dans lesquels une entreprise n’a pas participé à la procédure d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE » (pt. 69). Toutefois, cette inapplication ne se justifiait pour le Tribunal que dans « certains cas tout à fait exceptionnels », dont il n’était pas dit davantage si ce n’est que le cas d’espèce n’en relevait pas (pt. 69). En effet, jugeait le Tribunal, la requérante n’avait pas fait usage de son droit de participer à la procédure d’examen, alors même qu’elle était spécifiquement visée à plusieurs reprises par la décision d’ouverture de la procédure d’examen et que cette décision soulevait des doutes quant à l’utilisation correcte de l’ensemble des aides en cause (pt. 70). Cinq mois plus tard, le Tribunal utilisait dans l’arrêt Freistaat Thüringen des termes plus larges encore en jugeant que, si les parties intéressées considèrent que certains faits qui sont repris dans la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen sont erronés, ils doivent le faire savoir à la Commission durant la procédure administrative sous peine de ne plus pouvoir les contester dans le cadre de la procédure contentieuse (TPICE, 19 oct. 2005, aff. T-318/00, Freistaat Thüringen c/ Commission, pt. 88, Rec. CJCE, II, p. 4179). Le Tribunal semblait donc définir une règle d’application très large dépourvue d’exceptions. Toutefois, six mois plus tard, le Tribunal revenait à plus de prudence dans l’arrêt Schmitz-Gotha Fahrzeugwerke (TPICE, 6 avr. 2006, aff. T-17/03, Schmitz-Gotha Fahrzeugwerke c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 1139). Il y jugeait certes qu’un requérant n’ayant pas participé à la procédure administrative ne saurait se prévaloir d’éléments dont la Commission n’a pas eu connaissance pendant cette phase, mais en prenant toutefois la précaution de constater que, d’une part, le requérant en l’espèce était nommément désigné comme étant le bénéficiaire de l’aide en cause et, d’autre part, la Commission avait invité les autorités allemandes ainsi que les éventuelles parties intéressées à rapporter la preuve de certains éléments pertinents (TPICE, 6 avr. 2006,

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L’autre façon de prendre en compte la coopération Le Tribunal de première instance corrige une inégalité de traitement commise par la Commission lors de la prise en compte de la coopération d’entreprises au titre des circonstances atténuantes plutôt qu’au titre de la clémence. Une même réduction s’impose si les coopérations sont « comparables ». TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo e.a. c/ Commission

Dans sa décision relative à l’affaire dite des « jeux video » (Déc. Comm. CE n° 2003/675, 30 oct. 2002, aff. COMP/35.587, PO Video Games, COMP/35.706, PO Nintendo Distribution et COMP/36.321, Omega c/Nintendo, JOUE, 8 oct. 2003, n° L 255, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE),

la Commission a refusé de tenir compte de la coopération de plusieurs entreprises mises en cause en appliquant la Communication sur la clémence. Dès lors en effet qu’étaient en cause des restrictions verticales et non l’une des ententes horizontales secrètes visées par la Communication sur la coopération, cette dernière ne trouvait pas à s’appliquer, sauf éventuellement à essayer d’invoquer une rupture de l’égalité de traitement en faveur des cartellistes, argument que n’ont toutefois pas soulevé les requérantes dans leurs recours devant le Tribunal de première instance. Les requérantes invoquaient en revanche une violation du principe d’égalité de traitement entre les parties à l’entente lors de la prise en compte de leur coopération au titre des cir-

Droit I Économie I Régulation

ACTUALITÉS

DROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCE

pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, CA, JOCE 14 janv. 1998, n° C 9, B.3, 6e tiret; Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003, JOUE 1er sept. 2006, n° C 210, pt. 29, 4e tiret). Nintendo ne s’en était toutefois pas contentée en criti-

quant le taux de réduction de 25 % qui avait été appliqué à son amende, alors qu’une autre entreprise, John Menzies, avait bénéficié d’une réduction de 40 %. On comprend d’ailleurs aisément que Nintendo se soit engagée dans cette voie, car, à la lecture des arrêts du Tribunal, sa coopération apparaît comme réellement prononcée pour une affaire de restrictions verticales. Et de fait, le Tribunal va lui donner raison, tout en précisant très utilement la façon dont l’égalité de traitement se déploie en matière de coopération. Le Tribunal reprend le principe déjà suivi dans l’arrêt Danone, selon lequel « [l]’appréciation du degré de la coopération fournie par des entreprises ne saurait dépendre de facteurs purement hasardeux » (pt. 171; TPICE, 25 oct. 2005, aff. T-38/02, Groupe Danone c/ Commission, Rec. CJCE, II, p. 4407). Il précise toutefois qu’une différence de traitement ne peut de ce fait être légale qu’en cas de degrés de coopération « non comparables », « notamment dans la mesure où ils ont consisté en la fourniture d’informations différentes ou en la fourniture de ces informations à des stades différents de la procédure administrative, ou dans des circonstances non analogues » (ibid.). S’agissant donc de la nature des informations transmises, une simple « différence » semble suffisante pour justifier une divergence de traitement. S’agissant en revanche de la date ou des circonstances de leur fourniture, le Tribunal laisse apparemment moins de marge de manœuvre à la Commission : la différence doit être telle que les informations ne sont pas fournies au même « stade » ou dans des circonstances « analogues ». La nature des informations produites par l’entreprise qui coopère semble donc compter un peu plus que la date ou les circonstances de leur fourniture. Quoi qu’il en soit, on ne peut qu’approuver la souplesse dont fait ici preuve le Tribunal, puisqu’elle découle directement de l’énoncé même du principe d’égalité de traitement, lequel est violé « lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié » (TPICE, 13 déc. 2001, aff. jtes. T-45/98 et T-47/98, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni c/ Commission, pt. 237, Rec. CJCE, II, p. 3757). Faisant donc preuve d’une même souplesse, le Tribunal compare ensuite la coopération des entreprises mises en cause « tant du point de vue chronologique, ce qui implique dans un premier temps un examen du stade auquel la coopération a été fournie, que qualitatif, ce qui conduit dans un second temps à comparer les conditions dans lesquelles les entreprises ont coopéré et la valeur intrinsèque des informations communiquées par chacune d’elles au titre de cette coopération » (pt. 176). D’un point de vue chronologique, le Tribunal juge que le fait pour Nintendo d’avoir commencé à coopérer avec la Commission huit jours après John Menzies n’est pas suffisant pour justifier une différence de réduction d’amende (pt. 177). En effet, « pour être considérées comme comparables, les coopérations des entreprises ne doivent pas nécessairement intervenir

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le même jour, mais au même stade de la procédure » (pt. 178). En outre, d’un point de vue qualitatif, John Menzies et Nintendo ont tous deux, d’une part, collaboré de façon spontanée (pt. 181) et, d’autre part, produit certaines informations qui avaient largement contribué à la preuve de l’infraction (pt. 182). Les coopérations respectives de chacune des entreprises étaient donc « comparable[s] » et justifiaient donc toutes deux un même taux de réduction de 40 %. É.B.S. RLC

constances atténuantes. À défaut en effet d’appliquer la communication sur la coopération, la Commission avait pris en compte la collaboration de ces parties au titre d’une circonstance atténuante expressément prévue par les lignes directrices, dans leur version de 1998 comme de 2006, à savoir la « collabor[ation] à la procédure en dehors du champ d’application de la Communication sur la coopération » (Lignes directrices

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Absence d’exercice de la pleine juridiction d’office à la hausse Contrairement à ce qu’il avait fait dans les affaires Lysine et Danone, le Tribunal s’abstient de corriger d’office une erreur de calcul commise par la Commission au bénéfice de la requérante. TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-13/03, Nintendo e.a. c/ Commission, non encore publié

S’agit-il d’un changement de pratique ? Le célèbre fabricant de jeux vidéo Nintendo pourrait en tout cas avoir eu de la chance. Dans l’arrêt rendu à propos d’une décision sanctionnant Nintendo pour restriction du commerce parallèle, le Tribunal s’est en effet abstenu de corriger une apparente erreur de calcul commise par la Commission en faveur de la requérante, contrairement à la pratique qu’il avait posée dans les affaires Lysine et Danone (cf. TPICE, 9 juill. 2003, aff. T-220/00, Cheil Jedang c/ Commission, pt. 229, Rec. CJCE, II, p. 2473; TPICE, 25 oct. 2005, aff. T-38/02, Groupe Danone c/ Commission, pts. 519 à 525, Rec. CJCE, II, p. 4407).

Dans les affaires Lysine et Danone, le Tribunal avait ainsi constaté que la Commission n’avait pas appliqué correctement les lignes directrices de 1998 (Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du Traité CECA, JOCE 14 janv. 1998, n° C 9). Chose plus in-

habituelle, cette erreur avait été commise au bénéfice des requérantes. En effet, la Commission avait appliqué le taux de réduction reflétant l’existence de circonstances atténuantes au montant de base majoré en raison des circonstances aggravantes (aboutissant à un montant égal à : montant de base x (1 + taux aggravation) x (1 – taux réduction)), alors que les lignes directrices lui imposaient d’appliquer le taux de réduction des circonstances atténuantes sur le montant de base non majoré (soit une amende égale à : montant de base x (1 + taux aggravation – taux réduction)). Or la première approche (erronée) est plus favorable que la seconde (correcte), puisqu’elle aboutit à une amende inférieure d’un montant équivalent au montant de base multiplié par le produit du taux d’aggravation et du taux de réduction (soit un gain égal à : montant de base x taux d’aggravation x taux de réduction). Dans la décision Video Games, la Commission avait, nous semble-t-il, commis la même erreur au bénéfice de Nintendo (Déc. Comm. CE n° 2003/675, 30 oct. 2002, aff. COMP/35.587, PO Video Games, COMP/35.706, PO Nintendo Distribution et COMP/36.321, Omega c/ Nintendo, JOUE 8 oct. 2003, n° L 255, consid. 406 à 475, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE). Or, non seulement le Tribu-

nal ne corrige pas ce calcul pour le rendre conforme aux lignes directrices, mais en outre, en recalculant l’amende de Nintendo pour tenir compte de la majoration du taux de >

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réduction de son amende pour coopération, il applique, nous semble-t-il, la méthode suivie par la Commission dans la décision attaquée (pts. 213 à 215). Peut-être faut-il voir dans cette variation jurisprudentielle un effet lié à la nature de la circonstance atténuante en cause. Nintendo ayant en effet été condamnée pour des pratiques de restrictions verticales, elle ne pouvait bénéficier de la coopération sur la clémence, réservée aux cartels comme le rappelle l’arrêt commenté (pts. 157 à 159). Elle pouvait bénéficier en revanche de la circonstance atténuante prévue en cas de coopération des entreprises en dehors du cadre de la Communication sur la clémence, prévue par les lignes directrices de 1998 (préc., B.3, 6e tiret) comme par celles de 2006 (Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003, JOUE 1er sept. 2006, n° C 210, pt. 29, 4e tiret). Ce passage par les

circonstances atténuantes ne répare toutefois pas tout, puisque précisément le taux de réduction lié aux circonstances atténuantes, contrairement à celui qui récompense la coopération en matière de cartels, ne s’applique pas à l’amende après prise en compte des circonstances aggravantes et atténuantes mais uniquement au montant de base. Or, en appliquant le taux de réduction lié à la coopération de Nintendo au montant de son amende majoré du fait des circonstances aggravantes, la Commission comme le Tribunal ont procédé en pratique comme si la coopération de Nintendo avait été récompensée sur le fondement de la clémence. S’abstenir de tirer toutes les conséquences de la différence entre, d’une part, coopération au titre de la clémence et, d’autre part, coopération au titre des circonstances atténuantes est donc peutêtre une façon silencieuse, pour la Commission et le Tribunal, d’en gommer la dureté au bénéfice d’une entreprise dont la coopération semblait effectivement très poussée.

RLC

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Le contrôle de légalité, une peau de chagrin ? Dans plusieurs arrêts récents, le Tribunal de première instance utilise des formules exagérément restrictives pour qualifier la portée de son office. TPICE, 7 mai 2009, aff. T-151/05, NVV e.a. c/ Commission ; TPICE, 6 mai 2009, aff. T-116/04, Wieland Werke c/ Commission ; TPICE, 6 mai 2009, aff. T-122/04, Outokumpu e.a. c/ Commission ; TPICE, 6 mai 2009, aff. T-137/04, KME Germany e.a. c/ Commission

Il est depuis longtemps acquis que le contrôle de légalité exercé par les juridictions communautaires sur les appréciations économiques complexes de la Commission est restreint (cf., par exemple, CJCE, 31 mars 1998, aff. jtes. C-68/94 et C-30/95, France e.a. c/ Commission, pts. 223 et 224, Rec. CJCE, I, p. 1375). Cette limitation est toutefois bien

plus étroite qu’on ne le croit parfois. Ainsi, d’une part, elle ne s’applique qu’en présence d’appréciations complexes. D’autre part, elle n’implique pas que le juge communautaire doit s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge communautaire doit notamment vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (CJCE, 15 févr. 2005, aff. C-12/03 P, Commission c/ Tetra Laval, pt. 39, Rec. CJCE, I, p. 987; sur le large

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contrôle autorisé par cette règle ; cf. Sibony A.-L. et Barbier de La Serre É., Charge de la preuve et théorie du contrôle en droit communautaire de la concurrence : pour un changement de perspective, RTD eur. 2007, p. 205).

On peut donc être surpris de voir dans certains arrêts récents du Tribunal des formules qui définissent de façon très restrictive l’office du juge communautaire. Première occurrence : dans un arrêt rendu en matière de contrôle des concentrations, le Tribunal juge que, « selon une jurisprudence constante, le contrôle juridictionnel des appréciations de la Commission en matière de définition des marchés de référence est celui de l’erreur manifeste » (TPICE, 7 mai 2009, aff. T-151/05, NVV e.a. c/ Commission, pt. 80). Pourtant, comme le rappelle ce même arrêt, c’est uniquement « dans la mesure où elle implique des appréciations économiques complexes de la part de la Commission » (ibid., pt. 53) que la définition du marché fait l’objet d’un tel contrôle restreint. L’arrêt nous semble donc réitérer par cette formule une approximation regrettable de l’arrêt Cableuropa, qu’il cite d’ailleurs à son soutien (TPICE, 30 sept. 2003, aff. T-346/02 et T-347/02, Cableuropa e.a. c/ Commission, pt. 119, Rec. CJCE, II, p. 4251).

Deuxième occurrence, qui concerne les amendes fixées par la Commission : pour le Tribunal dans deux des trois arrêts rendus s’agissant du cartel des tubes industriels en cuivre, « dans les domaines tels que la détermination du montant d’une amende infligée en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, où la Commission dispose d’une marge d’appréciation, par exemple en ce qui concerne le taux de majoration aux fins de dissuasion, le contrôle de légalité opéré sur ces appréciations se limite à celui de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation » (TPICE, 6 mai 2009, aff. T-116/04, Wieland Werke c/ Commission, pt. 32; TPICE, 6 mai 2009, aff. T-122/04, Outokumpu e.a. c/ Commission, pt. 35). La formule nous paraît exagérément restrictive à deux égards. Premièrement, le Tribunal ne limite pas le contrôle restreint aux seules étapes du calcul de l’amende pour lesquelles la Commission dispose d’une certaine marge d’appréciation. C’est ce qu’il a pourtant fait dans le troisième arrêt rendu à propos de la même affaire, où il juge dans un premier temps que, malgré les lignes directrices sur la fixation des amendes, la Commission a conservé une certaine marge d’appréciation (TPICE, 6 mai 2009, aff. T-137/04, KME Germany e.a. c/ Commission, pt. 35), pour ensuite juger que « dans les domaines où la Commission a conservé une marge d’appréciation, par exemple en ce qui concerne le taux de majoration au titre de la durée, le contrôle de légalité opéré sur ces appréciations se limite à celui de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation » (ibid., pt. 36). Cette règle plus restrictive n’est du reste pas contredite par l’arrêt Scandinavian Airlines System, cité par le Tribunal à son soutien. En effet, dans cet arrêt, le Tribunal avait limité son contrôle à celui de l’absence d’erreur manifeste lorsqu’il lui était revenu d’apprécier la pondération sans aucun doute complexe des trois éléments qui à l’époque étaient pertinents pour qualifier la gravité d’une infraction (TPICE, 18 juill. 2005, aff. T-241/01, Scandinavian Airlines System c/ Commission, pt. 79, Rec. CJCE, I, 2917). Deuxièmement, même à supposer que la marge d’appréciation de la Commission s’applique à tous les stades de la fixation de l’amende, notamment parce que c’est aussi par la fixation de ce montant qu’elle exerce sa politique de concurrence (CJCE, 7 juin 1983, aff. 100/80, Musique Diffusion française c/ Commission, pt. 15, Rec. CJCE, p. 1825), limiter « le contrôle de légalité opéré sur ces appréciations (…) à celui de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation » fait fi de l’application de l’obligation de motivation et de tous les principes généraux du droit, tels que le principe de proportionnalité et d’égalité de traitement, qui restent applicables indépendamment

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ACTUALITÉS

DROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCE

de la marge d’appréciation dont dispose la Commission. C’est du reste leur présence qui distingue la marge d’appréciation de l’arbitraire. Espérons donc qu’il faut voir dans ces diverses formules un glissement de plume plutôt qu’une évolution profonde, car, même si le Tribunal rappelle que les limites du contrôle de légalité ne préjugent pas l’exercice de sa compétence de pleine juridiction (TPICE, 6 mai 2009, aff. T-116/04, Wieland Werke c/ Commission, pt. 33; TPICE, 6 mai 2009, aff. T-122/04, Outokumpu e.a. c/ Commission, pt. 36; TPICE, 6 mai 2009, aff. T-137/04, KME Germany e.a. c/ Commission, pt. 37), le contrôle de lé-

galité sur les amendes infligées par la Commission est particulièrement important en raison de leur nature quasi pénale et de leur incessante augmentation.

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É.B.S. 1438

Recours contre les opérations de visites et saisies : nouveaux délais, nouvelles procédures La loi de simplification et de clarification du droit procède à des retouches substantielles de l’article L. 450-4 du Code de commerce quant aux délais et modes de recours contre les autorisations des opérations de visites et le déroulement de ces opérations. L. n° 2009-526, 12 mai 2009, art. 139 VII (1°), JO 13 mai, de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures

Faisant suite à l’arrêt Ravon de la Cour européenne des droits de l’Homme qui avait indirectement mais sûrement mis à mal les procédures d’enquête en matière de concurrence (CEDH, 21 févr. 2008, n° 18497/03, Ravon e. a. c/ France, Wilhelm P. et Vever F., Enquêtes de concurrences : les perquisitions « surprises » remises en cause par la Cour européenne des droits de l’Homme, in Contrats, conc., consom. 2008, focus 27; Roda J.-Ch., Les procédures administratives de visites et de saisies à l’épreuve de la Cour européenne des droits de l’Homme, RLC 2008/16, n° 1180; pour des arrêts confirmatifs, CEDH, 24 juill. 2008, n° 18603/03, André c/ France, D. 2008, AJ, p. 2353; CEDH, 18 sept. 2008, n° 18659/05, Kandler c/ France; CEDH, 16 oct. 2008, n° 10447/03, Maschino c/ France; CEDH, 20 nov. 2008, n° 2058/04, Société IFB c/ France; pour une confirmation par une juridiction française : TGI Avranches, ord., 21 nov. 2008, n° 08/00005, contra, et de manière « décevante mais encore navrante » pour le Professeur B. Bouloc, TGI Paris, ord., 2 sept. 2008, n° 2007-6, GTM-GCS c/ DGCCRF; TGI Paris, 9 sept. 2008, n° 2007/06, Bouygues Construction e.a. c/ DGCCRF; TGI Toulouse, ord., 1er déc. 2008, n° 2008/1, Société Veolia c/ DGCCRF), l’ordonnance

n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 avait procédé à une réécriture substantielle de l’article L. 450-4 du Code de commerce (Cheynel B., L’arrêt Ravon et l’avant-projet d’ordonnance portant création de l’Autorité de la concurrence, RLC 2008/16, n° 1167; Bouloc B., Les visites et saisies en droit de la concurrence – Après l’arrêt Ravon et l’ordonnance du 13 novembre 2008, Gaz. Pal. 2009, doct., p. 10). Elle avait ainsi introduit la faculté pour les entre-

prises d’interjeter appel d’une ordonnance d’autorisation de visites et de saisies, alors qu’auparavant cette dernière n’était « susceptible que d’un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le Code de procédure pénale ». À cet effet, il leur appartenait, suivant les règles prévues par le Code de procédure pénale, de former leur appel par déclaration au greffe de la Cour d’appel dans un délai de quinze jours suivant la notification de l’ordonnance. Or, pour conférer force législative aux dispositions de l’ordonnance du 4 novembre 2008, il appartenait au législateur de procéder à la ratification de l’ordonnance (sur les préoccupations

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suscitées par le retard dans la ratification de l’ordonnance du 4 novembre 2004, Cheynel B. et Nourissat C., RLC 2005/2, n° 149, spéc. pt. 13; plus largement, sur les déboires de l’exécutif concernant déjà le Code de commerce, Castaing C., La ratification implicite des ordonnances de codification, Haro sur « La grande illusion », RFD const. 2004, pp. 284 et s.).

Une première tentative en ce sens s’est conclue par un échec avec la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 31 du projet de loi pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés, servant de support à cette ratification (Cons. const., 12 févr. 2009, n° 2009-575 DC). C’est donc par le biais de la loi de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures que le Parlement a procédé à la ratification de l’ordonnance (L. n° 2009-526, 12 mai 2009, art. 139-I-12°, qui d’ailleurs vient en concurrence avec un projet de loi autonome destiné à ratifier ladite ordonnance, adopté en Conseil des ministres et déposé le 13 février 2009 à l’Assemblée nationale). Mais, à cette occasion, il est venu re-

voir la copie de l’exécutif et procéder à des retouches substantielles de l’article L. 450-4 du Code de commerce quant aux délais et modes de recours contre les autorisations des opérations de visites et le déroulement de ces opérations, allant au-delà de celles déjà envisagées dans l’article invalidé du projet de loi pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés. Concernant tout d’abord les titulaires du droit de recours contre les ordonnances relatives aux visites et saisies, l’article L. 450-4 nouveau précise désormais les personnes en droit d’interjeter appel de ces ordonnances du juge des libertés et de la détention (JLD) en les distinguant suivant l’objet du recours. Lorsque la contestation porte sur l’autorisation des opérations de visite et saisies litigieuses, seuls le ministère public et la personne à l’encontre de laquelle a été ordonnée cette mesure peuvent contester les ordonnances autorisant les opérations. À l’inverse, lorsque la contestation porte non plus sur l’autorisation mais sur le déroulement des opérations, disposent toujours de la faculté de contester non seulement le ministère public et la personne à l’encontre de laquelle a été effectuée la visite mais également les personnes mises en cause au moyen de pièces saisies au cours de ces opérations. Concernant ensuite les modalités des recours, les modifications apportées par la loi de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures sont substantielles et marquent un recul regrettable des droits des entreprises visitées. Désormais, ces dernières ne disposent plus de 15 mais uniquement de 10 jours pour ce faire. En ce qui concerne les appels contre les ordonnances d’autorisation de visite, ce nouveau délai de 10 jours pour saisir d’un appel le premier président de la cour d’appel, dans le ressort de laquelle le juge a autorisé la mesure, court à compter de la notification de l’ordonnance qui est, en principe, effectuée au début de la visite. Toutefois, lorsque l’ordonnance est notifiée après celles-ci par lettre recommandée avec avis de réception (hypothèses où les opérations s’effectuent en l’absence de l’occupant des lieux ou dans un lieu non visé par l’ordonnance), le délai ne court qu’à compter de la date de réception figurant sur l’avis. S’agissant des recours contre le déroulement des opérations de visite, la computation du délai varie suivant l’auteur du recours. Pour le ministère public et la personne à l’encontre de laquelle a été effectuée l’opération, le délai court à compter de la remise ou de la réception du procès-verbal et de l’inventaire, sachant que désormais les textes imposent explicitement l’obligation faite aux enquêteurs de remettre une copie du procès-verbal et de l’inventaire à l’occupant des lieux ou à son représentant (ne faisant en cela que consacrer la pratique de la DGCCRF, cf. Marie A., Les enquêtes de la DGCCRF en matière de pratiques anticoncurrentielles, >

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RLC 2008/14, n° 1029). Ainsi, le point de départ du délai n’est plus la notification à l’occupant de l’ordonnance d’autorisation de visite et saisies domiciliaires. Concernant les personnes n’ayant pas fait l’objet de visite et de saisie mais néanmoins mises en cause au moyen de pièces saisies au cours d’opérations effectuées dans d’autres entreprises, le délai court à compter de la date à laquelle elles ont reçu notification du procès-verbal et de l’inventaire et, au plus tard à compter de la notification de griefs prévue à l’article L. 463-2. Dans la mesure où désormais l’article L. 450-4, alinéa 10, fait obligation d’adresser une copie du procès-verbal et de l’inventaire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception aux personnes mises en cause ultérieurement par les pièces saisies au cours de l’opération, il n’y avait plus lieu de prendre en compte la date à laquelle elles ont eu connaissance de l’existence de ces opérations. Et l’on ne peut que s’en réjouir puisqu’on pouvait légitimement se demander comment ces entreprises pouvaient être en mesure de contester le déroulement d’une opération sur le seul fondement de la connaissance de leur existence. Outre ces aménagements matériels substantiels, une modification pratique essentielle ne doit pas manquer d’être relevée. Alors que sous le court empire de l’ordonnance du 13 novembre 2008, l’appel de l’ordonnance d’autorisation de visite ainsi que le recours contre le déroulement des opérations de visite devaient être formés par déclaration au greffe de la cour d’appel, il doit désormais être formé par déclaration au greffe du tribunal de grande instance (de toute évidence dont dépend le JLD ayant rendu l’ordonnance contestée). Enfin, la loi apporte des précisions tout à fait bienvenues concernant le régime procédural des pourvois dirigés contre les or-

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donnances des premiers présidents de cours d’appel rendues dans le cadre d’une contestation de l’autorisation de visite et saisies. Dans la mesure où la version issue de l’ordonnance était silencieuse sur ce point, que l’appel contre les ordonnances d’autorisation de visite et le recours contre leur déroulement s’effectuent selon les règles prévues par le Code de procédure pénale, que le pourvoi contre les ordonnances du premier président de la cour d’appel concernant le déroulement des opérations est soumis aux règles du Code de procédure pénale en vertu de l’article L. 450-4, alinéa 13 et enfin que les pourvois dirigés contre les ordonnances des premiers présidents de cours d’appel rendues en matière fiscale, douanière ou encore financière sont soumis aux règles du Code de procédure civile (LPF, art. L. 16 B et 38 et C. douanes, art. L. 64, tels qu’issus de L. n° 2008-776, 4 août 2008, de modernisation de l’économie, art. 164; art. L. 621-12 du Code des marchés financiers tel qu’issu de Ord. n° 2009-233, 26 févr. 2009, art. 1-I, réformant les voies de recours contre les visites domiciliaires et les saisies de l’Autorité des marchés financiers), il était loisible

de s’interroger sur le corps de règles applicables en matière de concurrence, ce que la doctrine n’avait pas manqué de relever (cf. Bouloc B., préc., spéc. pt. 5, in fine). Désormais, il n’y a plus lieu à interrogation; les pourvois contre les ordonnances des premiers présidents de cours d’appel rendues dans le cadre d’une contestation de l’autorisation de visite et saisies sont gouvernés par les règles du Code de procédure pénale. Si une telle précision ne conduit malheureusement ni à une unification matérielle, ni à une unification procédurale, ni à une concentration du contentieux entre les mains d’une seule chambre, elle a au moins le mérite de la clarté… Benjamin CHEYNEL Doctorant à l’Université Jean Moulin Lyon 3 Of Counsel (WTT Law Firm, Bruxelles)

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DÉCISIONS DES AUTORITÉS NATIONALES DE CONCURRENCE ÉTRANGÈRES Sous la responsabilité de Loraine DONNEDIEU de VABRES-TRANIÉ, Avocat à la Cour d’appel de Paris, JEANTET ASSOCIÉS

Par Loraine DONNEDIEU de VABRESTRANIÉ

Canada : premières modifications significatives de la loi sur la concurrence depuis 1985

R LC

Soucieux depuis longtemps de moderniser son droit de la concurrence, le gouvernement canadien a saisi l’occasion de l’adoption de la loi d’exécution du budget pour entreprendre une réforme sans précédent. Au-delà du mouvement global de relance de l’économie, l’objectif affiché est de donner une portée réelle à la loi sur la concurrence en réformant en profondeur le droit des pratiques anticoncurrentielles et le droit des concentrations. 1439

A

L.R., 1985, ch. C-34, Loi sur la concurrence, disponible sur le site

doptée au Canada le 12 mars 2009, la loi d’exécution du budget contient un grand nombre de mesures visant à stimuler l’économie du pays. Loin de se restreindre à son objet, cette loi, qualifiée par certains de loi

L’objectif affiché par le gouvernement canadien est clair : il s’agit de « veiller à ce que les consommateurs et les entreprises légitimes ne soient pas exposés à des activités illégales et qu’ils sachent que, s’ils devaient en être victimes, la loi sur la concurrence sera réellement appliquée » (cf. Guide sur les modifications à la loi

« omnibus » (Changements fondamentaux à la loi sur la concurrence et la loi sur l’investissement au Canada, McCarthy Tétrault, 13 mars 2009, p. 1, disponible sur ), a permis à cer-

sur la concurrence, disponible sur le site du Bureau de la concurrence : ). Autre-

taines réformes d’échapper à un long processus législatif incluant les débats parlementaires. C’est notamment le cas des dispositions ayant contribué à moderniser la loi sur la concurrence afin de mieux lutter contre les comportements anticoncurrentiels. De manière générale, cette réforme du droit de la concurrence s’inscrit dans un mouvement global de relance de l’économie qui dépasse les frontières du pays : à la suite de la crise économique, de nombreux pays ont en effet repensé leur droit de la concurrence. C’est le cas de pays européens (cf. notamment en

ment dit, il s’agit avant tout d’accroître la prévisibilité, l’efficacité et la portée réelle de l’application de la loi sur la concurrence tant pour les entreprises que pour le Bureau de la concurrence, mais également de protéger l’ensemble des acteurs économiques (consommateurs et entreprises) de tout préjudice découlant des pratiques anticoncurrentielles. L’augmentation des sanctions prévues en cas d’infraction à la loi sur la concurrence s’inscrit très clairement dans cet objectif. Parmi les réformes introduites par la loi d’exécution du budget, on insistera tout d’abord sur la refonte en profondeur du droit des pratiques anticoncurrentielles (I). Le gouvernement a, en effet, fait le choix de rationaliser le droit des ententes en se concentrant sur les plus nuisibles, au moyen de l’instauration d’une « dual track approach », qui soumet à un régime pénal les ententes les plus nocives tandis que les autres ententes, désormais soumises à un régime civil, font l’objet de dispositions plus souples. La dépénalisation des pratiques restrictives de concurrence relatives au prix, en vue d’un alignement sur le nouveau régime de l’abus de position dominante, mérite également de s’y attarder. Ensuite, le droit des concentrations, fortement influencé par le droit américain, est également intégralement refondu (II). À cet égard, les modifications apportées à la loi sur l’investissement par la loi d’exécution du budget devront être évoquées afin d’appréhender leur articulation avec le droit des concentrations (les modifications ayant trait aux droits des pratiques >

France, L. n° 2008/776, 4 août 2008, « de modernisation de l’économie », JO 5 août; en Allemagne, loi du 25 mars 2009 portant réforme notamment de la « loi relative aux restrictions de concurrence »; en Bulgarie, loi du 2 décembre 2008 « de protection de la concurrence »), mais également de certains pays d’Asie (cf., notamment, le projet de réforme de la « loi sur la concurrence » de 2005 au Japon; en Chine, l’entrée en vigueur le 1er août 2008 de « la loi anti-monopole »). Les États-Unis n’ont, quant à eux,

pas pour l’heure concrétisé les recommandations développées par l’Antitrust modernization commission (de nombreux États fédérés ont cependant entrepris de réformer leurs législations sur la concurrence. Cf., notamment, la loi du 1er octobre 2009 portant réforme du « Maryland Commercial Law » au Maryland).

Si toutes les modifications apportées à la loi sur la concurrence ne sont pas encore en vigueur (toutes les modifications de la loi sur la concurrence sont entrées en vigueur le 12 mars 2009, à l’exception des dispositions relatives aux ententes, dont l’entrée en vigueur a été repoussée au 12 mars 2010), il faut souligner

que depuis 1985, date de son adoption, le droit canadien de la concurrence connaît sa réforme la plus significative.

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CANADA : PREMIÈRES MODIFICATIONS SIGNIFICATIVES DE LA LOI SUR LA CONCURRENCE DEPUIS 1985

commerciales trompeuses, intégrées à la loi sur la concurrence, ne sont pas traitées par le présent article).

I. – UNE REFONTE SANS PRÉCÉDENT DES PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES EN VUE D’UNE APPLICATION PLUS EFFICACE DE LA LOI SUR LA CONCURRENCE Dans un contexte de ralentissement économique mondial, le Canada fait le choix de rationaliser le contrôle applicable aux ententes anticoncurrentielles (A), mais également de réformer le régime de l’abus de position dominante et des pratiques restrictives de concurrence, en dépénalisant notamment ces dernières (B), tout en procédant à une augmentation conséquente du montant des sanctions pécuniaires susceptibles d’être imposées. A. – L’instauration d’une « dual track approach » en matière d’ententes La nouvelle procédure met fin à un régime qui était critiqué depuis des années en raison de la portée de ses dispositions à la fois « trop large et trop étroite » (notes pour une allocution prononcée par Melanie L. Aitken, Commissaire de la concurrence intérimaire, Audience sur les modifications à la loi sur la concurrence du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, Ottawa, Ontario, 13 mai 2009, ). Avant l’adoption le 12 mars 2009 de la loi

d’exécution du budget, toutes les ententes relevaient du même article de loi. Il était alors nécessaire pour obtenir la condamnation d’une entreprise qui avait participé à une entente en vertu de l’article 45 de la loi sur la concurrence, de prouver non seulement l’existence d’un « complot » mais également que l’entente réduisait « indûment » la concurrence. Au final, et malgré l’importance des moyens mis en œuvre, peu de poursuites ont été couronnées de succès. Les anciennes dispositions recevaient en effet une application beaucoup trop large, toute entente anticoncurrentielle étant susceptible de faire l’objet d’une poursuite « pénale » (la loi sur la concurrence fait référence à la terminologie de « régime criminel ») indépendamment de ses effets sur la concurrence. De nombreuses entreprises étaient ainsi dissuadées de former des alliances bénéfiques et de conclure des « ententes de collaboration » alors même que leur objectif pouvait s’avérer « légitime ». Les modifications de la loi en matière d’ententes anticoncurrentielles, qui entreront en vigueur le 12 mars 2010, affichent clairement la volonté du gouvernement de limiter la portée des dispositions pénales aux activités de cartel les plus nuisibles et de dépénaliser les autres formes d’accords entre concurrents. Le projet de lignes directrices relatives à la collaboration entre concurrents (le Bureau de la concurrence a publié aux fins de consultation (jusqu’au

p. 3; Katz M. et Dinning J., Canada – Cartel Enforcement, p. 25; Changements fondamentaux à la loi sur la concurrence et à la loi Investissement Canada, McCarthy Tétrault, p. 1),

qui tend à sanctionner l’entente par son objet même, indépendamment des effets produits sur la concurrence. Seules ces formes les plus abusives d’accords sont désormais soumises à un régime « pénal » que l’article 45 (2) de la loi sur la concurrence sanctionne par une amende portée de 10 millions (soit environ 6 millions d’euros) à 25 millions de dollars canadiens (soit environ 16 millions d’euros) et à une peine d’emprisonnement maximale portée de 5 à 14 ans. La loi sur la concurrence prévoit toutefois plusieurs exceptions permettant d’échapper à l’application de l’article 45 (1) de la loi sur la concurrence. C’est notamment le cas lorsque l’accord, en conformité avec l’article 45 (4) de la loi sur la concurrence présente toutes les caractéristiques d’un accord accessoire (conformément à l’article 45 (1) de la loi sur la concurrence : « nul ne peut être déclaré coupable d’une infraction prévue au paragraphe (1) (…) si, à la fois : a) il établit (…) : (i) que le complot, l’accord ou l’arrangement, selon le cas, est accessoire à un accord ou à un arrangement plus large ou distinct qui inclut les mêmes parties, (ii) qu’il est directement lié à l’objectif de l’accord ou de l’arrangement plus large ou distinct et est raisonnablement nécessaire à la réalisation de cet objectif; b) l’accord ou l’arrangement plus large ou distinct, considéré individuellement, ne contrevient pas au même paragraphe »). Sont également

écartés de l’application de l’article 45 (1) de la loi sur la concurrence certains accords se rattachant exclusivement à l’exportation de produits du Canada (cf. L. conc., art. 45 (5)), conclus entre des institutions financières fédérales (ibid., art. 45 (6) et 49 (1)), des filiales d’une même entreprise (ibid., art. 45 (6)) ou encore autorisés par une loi ou un règlement (ibid., art. 45 (7)). Ces tempéraments, combinés à une aggravation sans précédent des sanctions pénales, annoncent une volonté très nette de recentrer l’activité du Bureau de la concurrence sur les cartels les plus préjudiciables à l’économie. Les autres formes d’ententes ne sont pour autant pas ignorées de la loi sur la concurrence puisqu’elles sont désormais soumises au régime de droit civil lorsqu’elles sont susceptibles de produire des effets anticoncurrentiels sur le marché. Le nouvel article 90 (1) de la loi sur la concurrence, s’il ne précise pas les conditions dans lesquelles le Bureau de la concurrence exerce ses compétences, prévoit que le Tribunal de la concurrence, à la demande du Commissaire de la concurrence, et après avoir pris en compte un certain nombre de facteurs (conformément à l’article 90.1 (2) de la loi sur la concurrence, le Tribunal peut tenir compte

sonnes physiques que les personnes morales et leurs représentants, cf. article 45 (1) et a contrario article 45 (6) de la loi sur la concurrence), avec une personne qui est

des facteurs suivants : « a) la mesure dans laquelle des produits ou des concurrents étrangers assurent ou assureront vraisemblablement une concurrence réelle aux entreprises des parties à l’accord ou à l’arrangement; b) la mesure dans laquelle sont ou seront vraisemblablement disponibles des produits pouvant servir de substituts acceptables à ceux fournis par les parties à l’accord ou à l’arrangement; c) les entraves à l’accès à ce marché, notamment : (i) les barrières tarifaires et non tarifaires au commerce international, (ii) les barrières interprovinciales au commerce, (iii) la réglementation de cet accès; d) les effets de l’accord ou de l’arrangement sur les entraves visées à l’alinéa c); e) la mesure dans laquelle il y a ou il y aurait encore de la concurrence réelle dans ce marché; f) le fait que l’accord ou l’arrangement a entraîné la disparition d’un concurrent dynamique et efficace ou qu’il entraînera ou pourrait entraîner une telle disparition; g) la nature et la portée des changements et des innovations dans tout marché pertinent; h) tout autre facteur pertinent à l’égard de la concurrence dans le marché qui est ou serait touché par l’accord ou l’arrangement ».), peut interdire à toute per-

son concurrent à l’égard d’un produit, complote ou conclut un accord ou un arrangement : a) soit pour fixer, maintenir, augmenter ou contrôler le prix de la fourniture du produit ; b) soit pour attribuer des ventes, des territoires, des clients ou des marchés pour la production ou la fourniture du produit ; c) soit pour fixer, maintenir, contrôler, empêcher, réduire ou éliminer la production ou la fourniture du produit ».

sonne l’accomplissement d’actes relatifs à l’accord ou enjoindre toute personne de prendre toute autre mesure nécessaire (ibid., art. 90.1 (1)). Ainsi que mentionné supra, aucune sanction, qu’elle consiste en une amende ou en un risque d’accusation « pénale », n’est en outre encourue. De manière générale, le contrôle effectué par le Tribunal lorsqu’il examine les motifs économiques avancés par le Com-

8 août 2009) son projet de lignes directrices sur la collaboration entre concurrents, cf. ) permet d’expliquer en

détail cette « dual track approach » qui affiche clairement un objectif de rationalisation des poursuites en matière d’ententes. Le nouvel article 45 (1) de la loi sur la concurrence énonce désormais que « commet une infraction quiconque (tant les per-

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Ce nouveau régime rappelle celui des ententes dites « per se » (Bureau de la Concurrence, foire aux questions, Modifications à la loi sur la concurrence,

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compte la durée, la fréquence de la pratique, ou encore la vulnérabilité des personnes visées par les agissements anticoncurrentiels (ibid., ancien art. 79 (3.2)). Le renforcement du régime civil de l’abus de position domiStates, 221 U.S. 1 (1911) ou encore United States v. Arnold, Schwinn et Al, 18 L.Ed.2d 1249; nante s’accompagne d’autres réformes majeures sur lesquelles 87 S.Ct. 1856; 388 U.S. 365 (1967)), et qui sert de méthode d’interprétail convient de revenir succinctement. tion au « Sherman Act ». Il s’agit de ne pas interdire per se des Afin d’alléger les sanctions applicables à l’ensemble des praaccords qui comportent une restriction de concurrence, mais tiques sur les prix, le gouvernement a en effet procédé à un de procéder auparavant à un bilan des effets anti et proconlarge mouvement de « dépénalisation » des pratiques restriccurrentiels de l’accord. Si le bilan est positif, l’entente ne fera tives, consistant en réalité à aligner le pas l’objet d’une décision d’interdiction, régime des infractions autres que le malgré la présence d’éléments réputés La généralisation du « maintien des prix » sur celui de l’abus anticoncurrentiels. pouvoir de sanction de position dominante. Au-delà de ces éléments, l’ancien arpécuniaire en matière Alors que les infractions pénales prévues ticle 45 (1) de la loi sur la concurrence d’abus de position à l’ancien article 50 de la loi sur la concurrelatif à l’infraction de « complot », s’aprence relatif au maintien, à la discrimipliquait indistinctement aux ententes hodominante s’accompagne nation par les prix, à l’établissement de rizontales et verticales. En faisant expliégalement d’une prix d’éviction ainsi qu’à la discriminacitement référence à une pratique « entre nouvelle méthode tion géographique par les prix sont abroconcurrents », le gouvernement a entendu d’appréciation du calcul gées, les dispositions relatives au « mainexclure du champ d’application de l’arde la sanction pécuniaire. tien des prix » relèvent désormais d’un ticle 45 de la loi sur la concurrence les régime civil spécifique (l’article 76 de la loi sur ententes verticales. Désormais, ces pratiques ne peuvent plus a priori être sanctionnées, sauf à relela concurrence énonce qu’est considéré comme des pratiques de maintien des prix, le fait ver des dispositions relatives aux pratiques restrictives ou à pour une entreprise « i) soit, par entente, menace, promesse ou quelque autre moyen seml’abus de position dominante. blable », de faire monter ou d’empêcher « qu’on ne réduise le prix auquel son client ou toute

missaire de la concurrence, n’est pas sans rappeler la « règle de raison », développée par la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis (cf., notamment, Standard Oil Co. of New Jersey v. United

B. – Vers une refonte du régime de l’abus de position dominante et des autres pratiques restrictives de concurrence Si l’abus de position dominante continue à être soumis à un régime de droit civil, les « sanctions administratives pécuniaires » qui n’étaient auparavant applicables qu’aux entreprises du secteur aérien (cf. L. conc., art. 79 (3.1) dans sa version antérieure à la loi du 12 mars 2009), sont désormais généralisées à tous les secteurs de l’économie (la seule modification de l’article 78 (1) de la loi sur la concurrence porte ainsi sur la suppression des dispositions spéciales relatives au secteur des transports intérieurs (§§ j) et k) qui énonçaient deux cas d’agissements anticoncurrentiels propres au secteur aérien en vertu de l’article 55 (1) de la loi sur les transports)).

À côté du pouvoir d’injonction dont il dispose toujours à l’encontre des entreprises en position dominante (les ordonnances d’injonctions de l’article 79 (1) de la loi sur la concurrence peuvent consister en une interdiction de se livrer à une pratique tandis que celles de l’article 79 (2) permettent, dans le cas où l’ordonnance prise en vertu du paragraphe (1) sont insuffisantes, d’ordonner à la personne visée des mesures raisonnables et nécessaires pour « enrayer les effets de la pratique » sur le marché, notamment en lui imposant de « se départir d’éléments d’actif ou d’actions »),

le Tribunal a dorénavant la faculté de condamner l’entreprise concernée au paiement d’une « sanction administrative pécuniaire » pouvant s’élever jusqu’à 10 millions de dollars canadiens (soit environ 6,5 millions d’euros) pour la première infraction et 15 millions de dollars canadiens (soit environ 9,7 millions d’euros) en cas de réitération (qualifiée d’« infraction subséquente » aux termes de la loi sur la concurrence). La généralisation du pouvoir de sanction pécuniaire en matière d’abus de position dominante s’accompagne également d’une nouvelle méthode d’appréciation du calcul de la sanction pécuniaire (L. conc., art. 79 (3.2)) : si le Tribunal continue à évaluer les effets néfastes d’une pratique tout en appréciant ses effets bénéfiques sur le marché pertinent (ibid., art. 79 (4)), il peut désormais à défaut d’un bilan proconcurrentiel positif, prononcer une sanction qui sera alors évaluée en prenant en compte les effets de la pratique sur la concurrence, mais également les bénéfices, la situation financière et le revenu brut de l’entité concernée. Une telle méthode tranche très clairement avec l’ancienne évaluation qui consistait à prendre en

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personne qui le reçoit pour le revendre fournit ou offre de fournir un produit ou fait de la publicité au sujet d’un produit au Canada », ii) soit de refuser « de fournir un produit à une personne ou catégorie de personnes exploitant une entreprise au Canada, ou » de prendre « quelque autre mesure discriminatoire à son endroit, en raison de son régime de bas prix »).

La dépénalisation du régime des pratiques sur les prix donne alors lieu à la cohabitation de deux régimes civils distincts. Les pratiques de « maintien des prix » ne sont dorénavant sanctionnées que si elles ont « vraisemblablement pour effet de nuire à la concurrence » (L. conc., art. 76 (1) b)). Le Tribunal peut alors, au moyen d’une ordonnance, enjoindre au contrevenant « l’approvisionnement d’un client » ou « la fin de la pratique susceptible de fausser la concurrence » (ibid., art. 76 (2) : « Le Tribunal peut, par ordonnance, interdire à la personne visée au paragraphe (3) de continuer de se livrer au comportement visé à l’alinéa (1) a) ou exiger qu’elle accepte une autre personne comme client dans un délai déterminé aux conditions de commerce normales »). Il

faut noter, par ailleurs, que l’ordonnance peut désormais être rendue à la demande d’un particulier sur la base de l’article 103.1 de la loi sur la concurrence. Les autres pratiques d’élimination d’un concurrent par les prix ou de discrimination par les prix sont quant à elles susceptibles de relever des articles 78 et 79 de la loi sur la concurrence relatifs à l’abus de position dominante. Il est alors désormais nécessaire de prouver que l’entreprise qui occupe une position dominante se livre, conformément à l’article 79 de la loi sur la concurrence i) à un « agissement anticoncurrentiel », ii) ayant « vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence » dans le marché pertinent. A contrario, toute entreprise qui ne détient pas une position dominante peut librement avoir recours à de telles pratiques. Certaines critiques ou interrogations peuvent toutefois être soulevées. On pense tout d’abord à la différence ténue faite entre une concurrence agressive et un comportement illégal, renforcée par le manque de prévisibilité d’une méthode qui repose sur une appréciation au cas par cas par le Tribunal. Une autre critique a trait, ensuite, à l’ampleur des sanctions civiles susceptibles d’être imposées. La dépénalisation des infractions relatives aux prix s’est en effet accompagnée, ainsi qu’il a été mentionné supra, et à l’exception des dispositions relatives au « maintien des prix », de la généralisation de « sanc- >

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tions administratives pécuniaires » relativement lourdes en matière d’abus de position dominante. Les protections procédurales applicables à la matière pénale ne sont cependant plus applicables alors même que le montant susceptible d’être imposé peut laisser penser que les sanctions pécuniaires ont un caractère « quasi pénal ». S’agissant de la portée de ces réformes, on notera que la généralisation de l’application des « sanctions administratives pécuniaires » relève selon le gouvernement et la loi elle-même (L. conc., art. 79 (3.3) : « la sanction (…) vise à encourager la personne visée par l’ordonnance à adopter des pratiques compatibles avec les objectifs du présent article (…) ») d’une démarche pédagogique à la différence de la sanction pénale. L’idée est par ailleurs probablement d’inciter les entreprises à se doter de programmes de conformité à la concurrence (« compliance program ») en faisant planer la menace d’une sanction pécuniaire conséquente. Les réformes du gouvernement canadien en matière d’ententes et de pratiques restrictives participent d’un mouvement de rationalisation du droit qui se retrouve également en matière de droit des concentrations où la loi sur la concurrence a procédé à une réforme sans précédent.

II. – UNE RÉFORME EN PROFONDEUR DU DROIT DES CONCENTRATIONS AUX EFFETS TOUTEFOIS ENCORE INCERTAINS La mise en place d’une procédure en deux étapes, clairement inspirée du modèle américain (A) procède avant tout de la volonté du gouvernement de le rendre plus compréhensible par les opérateurs économiques. On peut toutefois regretter que l’adoption de nouvelles dispositions sur la loi sur les investissements soit susceptible de remettre pour partie en cause le didactisme prôné par la loi sur la concurrence (B). A. – Un nouveau droit des concentrations largement influencé par le droit américain La réforme de la loi sur la concurrence conserve la distinction antérieure entre les concentrations dont la notification est obligatoire et celles qui peuvent être réalisées librement. Seules les dispositions applicables aux concentrations dont la notification est obligatoire ont été en substance modifiées. Si la loi sur la concurrence maintient l’existence de seuils cumulatifs au-dessus desquels la notification est obligatoire, elle modifie certains seuils. Ainsi l’article 109 de la loi sur la concurrence conserve l’existence d’un premier « seuil général » de notification obligatoire des « transactions » (c’est-à-dire des opérations d’« acquisition d’éléments d’actifs », d’« acquisition d’actions », de « fusion », et d’« association d’intérêts ») d’un montant de 400 millions de dollars canadiens (soit approximativement 258 millions d’euros; Article 109 de la Loi sur la concurrence : « La présente partie ne s’applique pas à l’égard d’une transaction proposée sauf si les parties à cette transaction, avec leurs affiliées : a) ont au Canada des éléments d’actif dont la valeur totale dépasse quatre cents millions de dollars, calculé selon ce que les dispositions réglementaires prévoient à cette fin quant au moment à l’égard duquel ces éléments d’actif sont évalués et au mode de leur évaluation, ou telle autre valeur réglementaire plus élevée; b) ont réalisé des revenus bruts provenant de ventes au Canada, en direction du Canada ou en provenance du Canada, dont la valeur totale, calculée selon ce que les dispositions réglementaires prévoient à cette fin quant au mode d’évaluation de ce revenu et à la période annuelle pour laquelle il est évalué, dépasse quatre cents millions de dollars ou telle autre valeur réglementaire plus élevée »). L’article 110 de la loi sur la concurrence re-

hausse toutefois quant à lui le seuil relatif à la taille de la « transaction » en portant le montant initial de 50 millions de dollars canadiens (soit 32,3 millions d’euros) à un montant de 70 millions de dollars canadiens (soit environ 45,4 millions d’euros).

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Toute opération franchissant ces seuils continue de faire l’objet d’une notification obligatoire qui se déroulera désormais selon une procédure unique divisée en deux étapes fortement inspirées du droit américain (L. conc., art. 114). La loi prévoit que les parties à une « transaction » doivent le cas échéant notifier auprès du Commissaire à la concurrence, avant sa clôture (« closing »), leur projet accompagné de tous les documents dits « réglementaires » (les documents qui doivent être communiqués sont contenus dans les Notifiable Transactions Regulations, non publiés à ce jour). Les parties ne disposent désormais plus du choix qui leur était offert de procéder à une « notification abrégée » (qui imposait un délai d’attente de 14 jours, susceptible d’être prorogé par une demande du Commissaire à la concurrence de produire la déclaration « détaillée ») ou une « notification détaillée » plus exigeante en matière de renseignements (celle-ci imposait un délai d’attente de 42 jours à compter de la communication des documents; cf. L. conc., art. 114 (2), dans sa version antérieure à la loi du 12 mars 2009 ainsi que les articles 16 et 17 du règlement sur les transactions devant faire l’objet d’un avis). Il faut noter par ailleurs

que tout projet de fusion déposé avant le 12 mars 2009 demeure soumis au régime antérieur. Ces deux procédures alternatives de notification (« abrégée » et « détaillée ») sont désormais remplacées par une procédure unique. Les parties sont cependant toujours tenues de communiquer l’ensemble des documents « réglementaires » dès la première phase et leur réception par le Commissaire à la concurrence fait courir un délai de 30 jours pendant lequel les parties ne peuvent pas réaliser l’opération. Durant ce délai, le Commissaire à la concurrence peut exiger par l’envoi d’un « avis » (L. conc., art. 114 (2.1)) que les parties lui communiquent des renseignements complémentaires (l’article 114 (2) de la loi sur la concurrence dans sa version antérieure à la loi du 12 mars 2009 réservait cette possibilité à la seule procédure de notification allégée). Ceux-ci sont alors directe-

ment énumérés dans l’« avis ». Cette seconde requête en information peut être diligentée directement par le Commissaire à la concurrence sans avoir à solliciter de décision judiciaire (avant l’adoption de la loi du 12 mars 2009, le Commissaire à la concurrence devait demander au Tribunal de rendre une ordonnance afin d’obtenir la communication de renseignements complémentaires. Cette ordonnance ne prorogeait pas le délai d’attente, dès lors, le délai écoulé, les parties pouvaient à leurs risques et périls prendre la décision de conclure la « transaction »). La réception des documents par le Commissaire

à la concurrence déclenche alors la seconde période d’attente de 30 jours pendant laquelle la réalisation de la « transaction » reste suspendue à moins que le Commissaire à la concurrence n’émette un avis favorable anticipé (L. conc., art. 123 et s.). Lorsque le Commissaire fait face à une opération particulièrement complexe, il dispose en outre toujours de la faculté de demander au Tribunal de la concurrence de proroger à nouveau de 30 jours la période de suspension de l’opération (ibid., art. 100). Notons que si le Commissaire à la concurrence accorde expressément l’autorisation de conclure l’opération ou qu’il garde le silence à l’expiration du délai d’attente, la transaction peut alors être réalisée. Ainsi, la transaction ne peut être réalisée préalablement à l’expiration des délais que par un accord anticipé du Commissaire à la concurrence ou encore en sollicitant auprès de lui un « certificat de décision préalable » (« advance ruling certificates »; l’article 124.1 (1) de la loi sur la concurrence dispose de façon constante que toute personne est recevable à demander à la Commissaire à la concurrence son avis sur la conformité de tout agissement ou projet avec les prescriptions de la loi sur la concurrence) qui per-

mettra d’exempter la « transaction » de toute obligation de notification et garantir à celle-ci l’absence de toute remise en cause ultérieure. En l’absence d’« advance ruling certificates » il est donc toujours loisible au Commissaire à la concurrence de remettre en

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OMC ») et les investissements tiers. Seuls les investissements dicause la validité d’une opération de concentration en vertu rects (les investissements indirects étant exemptés à moins de de l’article 97 de la loi sur la concurrence. Cependant en direlever d’un « secteur sensible ») au Canada d’« investisseurs minuant sensiblement le délai de prescription applicable en OMC » sont soumis à un examen du ministre des Acquisitions le portant de trois à seulement une année, la réforme contriDirectes du contrôle d’entreprises canadiennes lorsque les opébue de nouveau à garantir aux parties à l’opération d’avanrations envisagées franchissent un seuil, réévalué tous les deux tage de sécurité juridique dans la gestion de leurs affaires. ans, et aujourd’hui porté à 600 millions de dollars canadiens (soit Aux objectifs de prévisibilité et de simplification juridique qui caractérisent la réforme du droit des concentrations, s’oppo383,6 millions d’euros; l’OCDE définit l’investissement direct à l’étranger (IDE) comme étant sent certaines interrogations d’ordre pratique. On pense tout « une activité par laquelle un investisseur résidant dans un pays obtient un intérêt durable et d’abord aux difficultés soulevées par la durée de la seconde une influence significative dans la gestion d’une entité résidant dans un autre pays. Cette opéphase qui ne commence à courir qu’à la réception des docuration peut consister à créer une entreprise entièrement nouvelle (investissement de création) ments requis par le Commissaire à la concurrence. Le point ou, plus généralement, à modifier le statut de propriété des entreprises existantes (par le biais de départ du délai sera ainsi intrinsèquement lié à la capacité de fusions et d’acquisitions). Sont également définis comme des investissements directs étrandes parties à réunir plus ou moins rapidement l’ensemble des gers d’autres types de transactions financières entre des entreprises apparentées, notamment le documents demandés et par conséquent à la complexité du réinvestissement des bénéfices de l’entreprise ayant obtenu l’IDE, ou d’autres transferts en capidossier. Ainsi, il serait souhaitable que seules les opérations tal » les investissements indirects sont quant à eux exemptés). de concentration les plus complexes (c’est-à-dire celles qui, Les investissements directs et indirects des ressortissants de dans la pratique antérieure, relevaient pays tiers et dans les « secteurs sensibles » de la procédure de « notification appro(tels que les entreprises culturelles, de Le déroulement fondie ») fassent l’objet d’une demande transport, de services financiers, et ende la nouvelle procédure d’informations complémentaires, de fafin d’enrichissement d’uranium), qui gagnera à être précisé çon à limiter au minimum la prolongaétaient jusqu’à présent soumis à examen tion excessive des délais de procédure lorsqu’ils franchissaient en cas d’invespar les futures lignes s’agissant des opérations de taille tissement direct un seuil de 5 millions directrices qui moyenne. Une des solutions pourrait de dollars canadiens (soit environ 3,2 millions permettront aux consister à inciter les parties réalisant d’euros; le montant du seuil demeure calculé au regard de entreprises d’anticiper les des « transactions » de taille moyenne à la « valeur comptable des actifs » (« book value of assets »)) demandes du Bureau communiquer dès la première phase une et en cas d’investissement indirect 50 milétude des effets proconcurrentiels attenlions de dollars canadiens, ne sont déde la concurrence, dans dus (comme cela était habituellement le sormais plus sujets à aucun seuil, à l’exun souci, là encore, de cas dans la procédure antérieure). ception toutefois des investissements simplification du droit. De manière générale, le déroulement de dans les entreprises culturelles pour lesla nouvelle procédure gagnera à être préquels ces seuils restent maintenus. cisé par les futures lignes directrices (les lignes directrices provisoires relaSi la réforme soustrait, de fait, un grand nombre d’investissements étrangers de la procédure générale d’examen, la loi intives au droit des concentrations ont été publiées sur , aux fins de consultation le 24 mars 2009) qui permettront contrôle par le ministre de l’Industrie au titre de l’« atteinte à aux entreprises d’anticiper les demandes du Bureau de la concurla sécurité nationale ». Ainsi, lorsque le ministre « a de bonnes rence, dans un souci, là encore, de simplification du droit. raisons de croire » qu’un investissement (direct ou indirect, Ce mouvement est souhaitable dans le cadre d’une économie majoritaire ou minoritaire) peut « porter atteinte à la sécurité mondialisée car il favoriserait la connaissance et la comprénationale », il peut après consultation du ministre de la Sécuhension du droit par les investisseurs étrangers, encourageant rité publique et de la Protection civile et de l’investisseur ainsi les opérations transfrontalières. Alors que la réforme isconcerné, saisir le cabinet fédéral afin qu’il prenne toutes les sue de la loi sur l’exécution du budget rehausse les seuils apmesures qu’il estime appropriées pour préserver la « sécurité plicables au droit des concentrations, réduisant ainsi l’étennationale » (cf. L. investissement Canada, art. 25.4 (1)). due du contrôle effectué par le Bureau de la concurrence, de nouvelles dispositions viennent quant à elles remanier le droit La portée de cette nouvelle disposition semble a priori sans applicable à l’investissement étranger. Les implications en malimite, d’autant que le ministre compétent peut examiner rétière de concentrations méritent qu’on s’y intéresse. troactivement tout investissement étranger réalisé entre le 6 février et le 12 mars 2009 (tout examen de ces investissements ne pourra cepenB. – Une simplification du droit pour partie remise dant avoir lieu que dans un délai de 60 jours à compter du 12 mars 2009). Rien ne en cause en raison de l’adoption de nouvelles permet, en outre, de conclure que la notion de « sécurité nadispositions à la Loi sur l’investissement tionale », telle qu’elle existe déjà au Canada en matière de De la même manière que pour le droit des concentrations, la marchés publics (cf., par exemple, Lignes directrices pour aider les ministères à reloi Investissement Canada, entrée en vigueur le 12 mars 2009 courir à l’exception au titre de la sécurité nationale dans le cadre des accords commerciaux (à l’exception des dispositions relatives aux seuils de contrôle; l’entrée en vigueur de ces sur les marchés publics, en vertu desquelles « la sécurité nationale dépasse la question midispositions doit être définie par le gouverneur en conseil du Canada), a relevé les litaire de l’intégrité du territoire et les notions traditionnelles de la souveraineté nationale. seuils de contrôlabilité applicables aux investissements étranElle comprend aussi le besoin de protéger la sécurité économique, environnementale et hugers. Dans le même temps, elle a toutefois mis en place un maine lorsqu’une société et ses institutions démocratiques deviennent les cibles de menaces nouveau contrôle de l’« atteinte à la sécurité nationale » apterroristes et qu’elles ont besoin d’être protégées et défendues », disponibles sur le site du Seplicable en l’absence de tout seuil. crétariat du Conseil du Trésor du Canada < http.tbs-sct.gc.ca/cmp/doc/nse-esn-fra.aspx>), La réforme du droit de l’investissement étranger au Canada réponde à la même acception que pour l’investissement : une conserve, au sein de la procédure générale d’examen, la distincincertitude par ailleurs renforcée par l’absence de règlements tion entre les investissements des ressortissants des États pard’application définissant la notion d’« atteinte à la sécurité naties à l’Organisation mondiale du commerce (dits « investisseurs tionale » et précisant ses critères d’appréciation. >

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font défaut. L’absence de règlements d’application et de lignes directrices en matière de « sécurité nationale » est également susceptible de générer une période d’incertitude défavorable à l’investissement étranger au Canada. Il faut donc souhaiter que cette période d’incertitude soit principalement due à l’entrée en vigueur très récente de la réforme et n’aie ainsi vocation à être que temporaire, de manière à ne pas priver d’effets les modifications significatives apportées par les dispositions nouvelles de la loi sur la concurrence. ◆

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Sept de ces défendeurs étrangers ont reconnu leur participation au cartel et admis leur responsabilité (pts. 12 à 14). Trois dirigeants étrangers ont toutefois préféré contester l’application du Commerce Act et la compétence de la Commerce Commission devant la High Court qui a rejeté l’argument tiré de l’exception d’incompétence et a admis l’applicabilité du Commerce Act et la compétence des tribunaux néo-zélandais (Arrêt du 16 mars 2007, HC AK CIV 2005-404-2080, disponible en ligne sur le site ). Les trois dirigeants ont ensuite interjeté appel de cette décision, et c’est dans ce contexte que la Court of Appeal of New Zealand, dans un arrêt très didactique, a reconnu la compétence de la Commerce Commission pour appliquer le Commerce Act à ces trois personnes physiques étrangères. Avant de parvenir à cette solution, la Cour of Appeal s’est longuement interrogée sur le champ d’application territorial du Commerce Act et plus précisément sur l’applicabilité de la Section 4 du Commerce Act (la Section 4 du Commerce Act prévoit que l’Act s’ap-

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Ces nouvelles dispositions laissent, en tout état de cause, apparaître un durcissement général de la faculté pour un étranger d’investir au Canada, sans compter que le droit des concentrations sera également susceptible de trouver à s’appliquer. De nombreux points restent, par ailleurs, à définir afin de juger la portée et l’efficacité de ces deux contrôles. Ainsi, en ce qui concerne le contrôle général de l’investissement étranger, la définition et le calcul de ces seuils (dits en « valeur d’affaire ») ou encore la période durant laquelle un investissement étranger pourra être remis en cause,

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Nouvelle-Zélande : les entreprises étrangères et les personnes physiques n’échapperont pas à l’application du droit de la concurrence La Court of Appeal of New Zealand confirme la décision de la High Court dans l’affaire dite « The Koppers Arch Litigation », entérinant ainsi une interprétation extensive du champ d’application extraterritoriale du Commerce Act. Neil Harris v. The Commerce Commission, CA CA255/2007, 18 mars 2009, connu sous le nom de The Koppers Arch Litigation, décision disponible sur le site du ministère de la justice de Nouvelle-Zélande

Le 18 mars 2009, la Court of Appeal of New Zealand a rendu une décision attendue dans une affaire de cartel dans le secteur des produits chimiques de conservation du bois. Étaient concernées des pratiques de fixation de prix et de répartition des marchés prohibées par les sections 27 et 30 du Commerce Act (le Commerce Act adopté en 1986, constitue l’instrument juridique relatif à la défense de la concurrence en Nouvelle-Zélande. Il prohibe les pratiques restrictives de concurrence notamment les contrats, arrangements ou accords qui restreignent substantiellement la concurrence (Section 27 : contracts, arrangements, or undertakings substantially lessening competition prohibited) et certaines clauses contractuelles considérées comme portant atteinte à la concurrence (Section 30 : Certain provisions of contracts, etc., with respect to prices deemed to substantially lessen competition). Le Commerce Act est disponible en ligne sur le site . La Commerce Commission est l’autorité nationale de concurrence en Nouvelle-Zélande en charge de l’application du Commerce Act), intervenues sur le marché néo-zélandais entre 1998

et 2002. Sur les quinze personnes physiques et morales poursuivies, onze étaient des entreprises ou dirigeants d’entreprises étrangères n’ayant ni résidence ni activité en Nouvelle-Zélande.

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plique aux pratiques ayant été diligentées à l’étranger par des personnes résidentes ou ayant une activité en Nouvelle-Zélande si ces pratiques ont eu un effet sur le marché néo-zélandais : Section 4 : Application of Act to conduct outside New Zealand : (1) the Act extends to the engaging in conduct outside New Zealand by any person resident or carrying on business in New Zealand to the extend that such conduct affects a market in New Zealand) à des

responsables d’entreprises étrangères n’ayant eu ni activité, ni résidence, ni même une quelconque présence physique en Nouvelle-Zélande pendant la période des faits (ils résidaient en Australie et aux États-Unis à ce moment-là). Par une interprétation téléologique du Commerce Act, la Court of Appeal, a considéré que (pt. 52) : (a) la Section 4 du Commerce Act étend le champ d’application de la loi sur la concurrence aux pratiques commises à l’étranger par des personnes physiques ou morales résidant ou ayant une activité en Nouvelle-Zélande dès lors qu’elles affectent le marché néo-zélandais, sans exiger que la pratique soit commise en Nouvelle-Zélande ; (b) la Section 4 ne concerne pas les cas dans lesquels des résidents étrangers (qui n’ont pas agi personnellement en Nouvelle-Zélande) ont diligenté à l’étranger une entente anticoncurrentielle relative au marché néo-zélandais, entente ayant été mise en œuvre en Nouvelle-Zélande par des résidents néo-zélandais eux-mêmes parties à l’entente ou agissant sous la direction ou avec l’autorisation de personnes physiques ou morales étrangères, ce cas devant être tranché selon une méthode interprétative par référence à la politique de concurrence, aux objectifs du texte et aux principes de droit pertinents; (c) la High Court a eu raison de juger que le dossier de la Commerce Commission entrait dans le champ d’application du Commerce Act.

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La Court of Appeal a pourtant rappelé qu’il existait un certain nombre d’obstacles juridiques à l’extension du champ d’application territorial du Commerce Act. On retiendra notamment : Un premier obstacle d’ordre textuel.– La Section 4 du Commerce Act qui prévoit les cas d’application du texte aux pratiques mises en œuvre en dehors de la Nouvelle-Zélande, ne couvre pas les comportements de personnes physiques ou morales étrangères n’ayant aucun rattachement physique (résidence ou activité) avec la Nouvelle-Zélande. La Cour a donc eu à trancher la question de savoir (pt. 27) : – si la section 4 (1) du Commerce Act identifie les seuls cas dans lesquels les dispositions de la loi s’appliquent à une personne physique ou morale dont les agissements se sont déroulés entièrement ou substantiellement hors de la NouvelleZélande ((4)Application of Act to conduct outside New Zealand (1) « This Act extends to the engaging in conduct outside New Zealand by any person resident or carrying on business in New Zealand to the extent that such conduct affects a market in New Zealand ») ;

et – dans le cas contraire, dans quelles circonstances les dispositions du Commerce Act s’appliquent à une personne physique ou morale hors de la Nouvelle-Zélande en raison de pratiques mises en œuvre par une personne physique ou morale sur le territoire néo-zélandais. Plusieurs obstacles d’ordre pratique. – La Cour rappelle ensuite l’existence de plusieurs éléments en faveur d’une conception restrictive de l’application extraterritoriale des lois internes. Tout d’abord, ainsi qu’il a été précédemment jugé en Nouvelle-Zélande, les personnes qui résident à l’étranger et n’ont pas de présence en Nouvelle-Zélande, ne peuvent pas être soumises à la compétence des tribunaux néo-zélandais (Arrêt de la Court of Appeal of New Zealand Kuwait Asia Bank EC v. National Mutual Life Nominees Limited (No 2) [1989] 2 NZLR 50 (CA) : « persons who reside overseas and are not present in New Zealand will not lightly be subjected to the jurisdiction of the New Zealand courts »).

La Court of Appeal admet toutefois que le développement considérable des moyens de communication et de transport ont réduit la portée pratique de ce principe. Dans sa décision, la Cour explique ensuite que le pouvoir législatif néo-zélandais est peu enclin à affirmer la compétence des tribunaux néo-zélandais sur des pratiques se déroulant entièrement hors de la Nouvelle-Zélande. L’existence d’une présomption selon laquelle les lois n’ont pas d’effet extraterritorial sauf dans les cas expressément prévus par la loi reflète cette réalité. Cette présomption procède des principes de droit international et du respect de la souveraineté des États dans la poursuite des pratiques ayant lieu sur leur territoire. Toutefois, la Cour reconnaît que s’agissant du droit de la concurrence, ce principe a fait l’objet d’ajustements considérables, particulièrement aux États-Unis avec l’adoption de la théorie dites « des effets » (United States v. Aluminium Co of America (1945) 148 F 2d 416 (2nd Cir) and Hardford Fire Insurance Co v California (1993) 509 US 764). Malgré les obstacles identifiés ci-dessus, la Court of Appeal considère que les personnes étrangères qui mettent en œuvre des pratiques anticoncurrentielles sur le marché néozélandais par le biais d’intermédiaires, peuvent être considérées comme ayant agi en Nouvelle-Zélande notamment dans les cas où elles ont une autorité de fait ou de droit sur leurs intermédiaires. La Cour cite à titre d’exemple l’affaire du cartel des vitamines (Arrêt Bray v. Hoffman-La Roche Ltd (2002) 190 ALR 1 (FCA)) dans laquelle

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plusieurs entreprises multinationales ont mis en œuvre des pratiques de fixation de prix en Australie par le biais de leurs agents à qui elles avaient préalablement envoyé leurs instructions et avec lesquels elles étaient en contact. Les pratiques mises en œuvre sur le territoire australien ont été considérées comme directement imputables aux entreprises étrangères. Dans sa décision, la Court of Appeal considère que des contacts avec des acteurs néo-zélandais ou des instructions relatives aux pratiques anticoncurrentielles données à des acteurs néo-zélandais, quand bien même ces derniers se trouveraient à l’étranger, suffisent à établir l’applicabilité du Commerce Act. Selon elle, si ces acteurs néo-zélandais ont, par la suite, agi en Nouvelle-Zélande pour donner effet à ces concertations anticoncurrentielles, ils peuvent parfaitement être considérés comme ayant agi sur ordre, ou au nom de ces résidents étrangers. Selon la Court of Appeal, cette approche est cohérente avec les réalités de la mondialisation, particulièrement tangible concernant les pratiques anticoncurrentielles. Adopter une solution contraire risquerait de créer un vide dans l’ordre concurrentiel mondial. Cela aurait également constitué un écueil pour un « petit » pays comme la Nouvelle-Zélande notamment en raison de sa forte dépendance vis-à-vis d’importants produits et technologies importés (« That would create a significant loophole in the Act, particularly as New Zeland is a relatively small country with a heavy dependence on imported products and technology »). Les entreprises étrangères ne doi-

vent pas pouvoir se considérer à l’abri de poursuites si elles ne communiquent pas avec des personnes ou n’assistent pas à des réunions sur le territoire néo-zélandais. Comme la Court of Appeal le reconnaît elle-même, la Commerce Commission pourrait ainsi faire face à certaines difficultés pratiques pour démontrer la responsabilité de ces entreprises, ce qui ne l’empêche pas d’entériner la compétence de la Commerce Commission pour appliquer les dispositions du Commerce Act (« The commission may face practical problems in seeking to hold such entites to account, but there is, in our view, jurisdiction under the Act »). Pour anticiper et résoudre ces difficultés, une coopération entre les différentes autorités nationales de concurrence sera nécessaire. La Nouvelle-Zélande a d’ailleurs conclu de nombreuses conventions de coopération multinationale et bilatérale. C’est notamment le cas avec l’Australie avec laquelle elle entretient des liens économiques privilégiés (pour un aperçu exhaustif des accords liant la Nouvelle-Zélande et l’Australie, cf. le site de l’Australian Competition and Consumer Commission ). Ainsi, plusieurs accords bilatéraux de coopération

entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande prévoient notamment l’échange d’informations collectées par la New Zealand Commerce Commission et l’Australian Competition and Consumer Commission (« ACCC ») dans le cadre de leurs enquêtes. De plus, en 2007, a été conclu un accord ouvrant la possibilité pour ces Autorités de collecter sur une base volontaire des éléments de preuve sur leur territoire réciproque (Cooperation Agreement between the Australian Competition and Consumer Commission and the New Zealand Commerce Commission, 31 juill. 2007, pt. 2.4 : « Nothing in this Agreement affects the right of a Party to seek evidence on a voluntary basis from a person located in the territory of the other Party, nor does anything in this Agreement preclude any such person from voluntarily providing evidence to a Party », disponible sur ).

À cet égard, un nouveau projet relatif aux pratiques anticoncurrentielles prévoyant le renforcement de la coopération entre la Commerce Commission et les autorités de concurrence étrangères et plus particulièrement l’ACCC est actuellement en discussion devant le Parlement néo-zélandais (ce projet de texte prévoit la >

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simplification des procédures de partage d’informations, même confidentielles, recueillies dans le cadre des investigations menées par la Commerce Commission et les autres autorités de concurrence ainsi que le renforcement des pouvoirs de la Commerce Commission lorsqu’elle assiste les autorités de concurrence étrangères dans leurs investigations (« Explanatory note » du projet de loi disponible sur )). Loraine DONNEDIEU de VABRES-TRANIÉ et Thomas PICOT Avocats, Jeantet Associés 1441

Chine : l’interdiction de l’acquisition du groupe Huiyuan Juice par la société Coca-Cola, une décision insatisfaisante pour les entreprises étrangères Dans une décision remarquée et particulièrement succincte (une page et demie), le ministre du Commerce de la République Populaire de Chine décide de rejeter ce qui aurait pu être le premier rachat d’une entreprise chinoise par une entreprise étrangère. Aucune traduction française ou anglaise de la décision n’est disponible. L’article a été rédigé à partir d’une traduction non officielle disponible sur le site

Le 18 mars 2009, le ministre du Commerce de la République populaire de Chine (ci-après « MOFCOM »), a sonné le glas de la plus importante prise de contrôle d’une société chinoise par une compagnie étrangère, en interdisant l’offre amicale de Coca-Cola de 2,4 milliards de dollars lancée sur le Groupe Huiyuan Juice, leader chinois sur le marché des jus de fruits. En dépit des rumeurs de prise de participation minoritaire dans Huiyuan Juice, Coca-Cola s’est finalement définitivement retiré des négociations mardi 12 mai 2009, scellant ainsi le sort de ce projet de mariage (Coca-cola se retire définitivement de Huiyuan, La Tribune, 12 mai 2009). Dans une décision « d’une page et demie » décevante et créatrice d’insécurité juridique pour les entreprises étrangères actives sur le marché chinois, le MOFCOM a interdit cette opération d’envergure considérant qu’elle aurait des effets anticoncurrentiels irréversibles, sans davantage de motivation. Comme l’expliquent certains journalistes et avocats, les rumeurs et les spéculations n’ont pas cessé de perturber cette opération depuis son commencement (Evans R., Transparency is in MOFCOM’s interest, IFLR, 1er mai 2009, Asia editori) de sorte que ce projet de concentration prenait des allures de « soap opera ». Cette décision est d’une importance majeure pour les entreprises actives en Chine, en ce qu’elle pourrait constituer un indicateur de l’attitude du MOFCOM en matière de contrôle des opérations d’acquisition d’entreprises chinoises par des entreprises étrangères. Cette décision de rejet donne lieu à un vif débat. En effet, si certains considèrent que cette décision est largement politique et protectionniste, d’autres en revanche estiment qu’il existait de réels problèmes de concurrence. Rappel du contexte et de la procédure.– Le 3 septembre 2008, The Coca-Cola Company (ci-après « Coca-Cola ») lan-

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çait une offre publique d’achat amicale sur China Huiyuan Juice Group, le plus grand producteur chinois de jus de fruits, pour l’équivalent de 2,4 milliards de dollars, faisant de cette opération la deuxième plus grande acquisition de l’histoire du géant américain (la prise de contrôle de Huiyuan par Coca-Cola face à des difficultés, Xinhua – Agence de presse, 3 sept. 2008) et la plus importante prise de contrôle d’une société chinoise par une société étrangère (les projets de Coca-Cola en Chine soumis au couperet de la loi anti-monopole, AFP infos économiques, économie et finance, 4 sept. 2008).

En application de la récente loi anti-monopoles (LAM) et du paragraphe 3 du règlement du Conseil des affaires de l’État relatif aux seuils de notification des concentrations entre entreprises, en date du 3 août 2008, Coca-Cola notifiait officiellement l’opération le 18 septembre 2008 auprès du MOFCOM. Pour mémoire, l’obligation de notifier une opération de concentration auprès du MOFCOM s’applique lorsque l’un ou l’autre des seuils suivants est atteint : « (1) le chiffre d’affaires total réalisé sur le plan mondial lors du dernier exercice par l’ensemble des entreprises concernées est supérieur à 10 milliards RMB (soit environ 1 milliard d’euros), et le chiffre d’affaires total réalisé individuellement en Chine, par au moins deux des entreprises concernées, est supérieur à 400 millions RMB (soit environ 41 millions d’euros) ; (ou) (2) le chiffre d’affaires total réalisé en Chine lors du dernier exercice par l’ensemble des entreprises concernées est supérieur à 2 milliards RMB (soit environ 208,8 millions d’euros), et le chiffre d’affaires total réalisé individuellement en Chine, par au moins deux des entreprises concernées est supérieur à 400 millions RMB (soit environ 41 millions d’euros) ». En l’espèce, le chiffre d’affaires combiné de Coca-Cola et de Huiyuan Juice dépassait les 10 milliards de yuans en 2007 et chacune réalisait individuellement un chiffre d’affaires supérieur à 400 millions de yuans en Chine. À la suite de cette notification et à la demande du MOFCOM, Coca-Cola a fourni des informations et documents complémentaires à plusieurs reprises (25 sept. 2008, 9 oct. 2008, 16 oct. 2008 et 9 nov. 2008, China Antitrust uptade, 19 mars 2009, Hogan & Hartson). Le 20 novembre 2008, après deux mois d’échanges consécutifs aux demandes d’informations et documents complémentaires, le MOFCOM a officiellement accepté la notification et ouvert la première phase d’examen du dossier. Compte tenu de l’envergure de cette opération et de ses implications, le MOFCOM a déclenché la deuxième phase d’examen en ouvrant une enquête approfondie le 20 décembre 2008, en application de l’article 26 de la LAM, date à compter de laquelle il disposait alors de 90 jours pour rendre sa décision définitive. Ce fut chose faite le 18 mars 2008, date à laquelle le MOFCOM a annoncé, dans une décision d’une page et demie, l’interdiction de l’opération, au motif qu’elle affecterait irrémédiablement la concurrence « sur le marché chinois des jus de fruits » (« Chinese fruit juice beverage market » et « sound developpement of the Chinese fruit juice industry » selon une traduction non officielle de la décision) et altérerait « le bon développement de l’industrie chinoise du jus de fruits ». Selon le MOFCOM, l’entité issue de la concentration aurait détenu une position dominante sur le marché des jus de fruits, avec pour effet d’éliminer ou de réduire effectivement la concurrence sur ce marché (Communiqué de presse du MOFCOM, 20 mars 2009). Le MOFCOM a également affirmé que Coca-Cola pourrait tirer profit de sa position dominante sur le marché des boissons gazeuses et sur celui des jus de fruits, sans pour autant expliquer comment le géant américain aurait été en mesure de le faire.

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ACTUALITÉS

DÉCISIONS DES AUTORITÉS NATIONALES DE CONCURRENCE ÉTRANGÈRES

Une décision d’interdiction décevante pour les entreprises.– C’est donc dans une décision d’une page et demie, dépourvue de tout examen approfondi des délimitations de marchés et de toute analyse concurrentielle, que le MOFCOM a décidé d’interdire cette opération d’envergure internationale. Il est véritablement regrettable pour les entreprises étrangères que le MOFCOM ne se soit pas inspiré de la pratique décisionnelle d’autorités de concurrence plus « matures » telles que la Commission européenne, la Federal Trade Commission, ou les autorités européennes nationales de la concurrence (OFT, Bundeskartellamt, Autorité française de la concurrence…). Dans sa décision, le MOFCOM s’est en effet affranchi de développements essentiels tels que l’analyse approfondie de la délimitation des marchés pertinents dans le secteur des boissons (pourtant déjà délimité à plusieurs reprises par la Commission européenne, Déc.

Jacques). Par ailleurs, d’après leurs sources locales, « il existait une très forte pression des concurrents pour bloquer l’opération » ainsi qu’une « volonté de maintenir les marques chinoises réputées sous contrôle chinois » (Scott P., China blocks Coca-Cola deal, Global Competition Review, 18 mars 2009). Preuve de l’importance de cette polémique, le ministre du Commerce chinois a même pris la peine de démentir dans la presse tout protectionnisme indiquant que « la décision était fondée sur des recherches et des investigations suffisantes » et « strictement alignée avec la loi antimonopole du pays ». Se voulant rassurant pour les entreprises étrangères, il a clairement indiqué que « la finalité du contrôle était le maintien de la concurrence, la protection des consommateurs et la sauvegarde de l’intérêt public » (China denies CocaCola decision equals trade protectionism, People’s Daily online, 20 mars 2008).

Comm. CE, 7 févr. 2000, aff. COMP/M.1683, The Coca-Cola company/Kar-Tess Group (Hellenic Bottling) ; Déc. Comm. CE, 27 sept. 2001, aff. COMP/M.2276, The Coca-Cola company/Nestlé/JV ; Déc. Comm. CE, 11 sept. 1999, aff. IV/M.833, The Coca-Cola company/Calsberg A/S. Dans ces décisions, la Commission avait notamment identifié un marché des boissons gazeuses distinct du marché autres que les boissons non alcoolisées telles que le café, le thé, le lait, les jus. Selon cette délimitation, les jus de fruits appartenaient donc au marché des boissons non alcoolisées, à l’exclusion des boissons gazeuses).

Les implications de la décision pour les entreprises étrangères.– Il n’en reste pas moins que cette décision constitue un message fort du MOFCOM lancé aux entreprises et investisseurs étrangers. En effet, il est désormais évident que l’autorité de concurrence chinoise n’hésitera pas à faire application des pouvoirs que lui confère la LAM pour interdire certaines opérations de concentration. En pratique, l’intérêt de cette décision très attendue par les entreprises actives sur le marché chinois est toutefois très limité. Elle crée en effet plus d’incertitudes sur la procédure et l’examen au fond des opérations de concentrations soumises au MOFCOM, qu’elle n’apporte de réponses. Le MOFCOM avait pourtant commencé l’année 2009 par la publication de neuf lignes directrices et projets de lignes directrices, notamment sur le contrôle des concentrations, affichant ainsi une réelle volonté de transparence. Toutefois, comme le rappellent certains praticiens « seule la pratique décisionnelle est susceptible de clarifier la procédure d’autorisation des concentrations » (Only cases can clarify merger clearance, IFLR, févr. 2009, RE). Les seules clarifications apportées par la décision sont ainsi relatives au calendrier de la procédure de contrôle des concentrations, dont on apprend qu’il se calcule en « jours civils », tandis que, jusqu’à présent, le MOFCOM faisait référence aux jours sans préciser leur nature. Elle vient également préciser que les périodes d’auditions sont incluses dans la phase d’examen de l’opération et n’impliquent pas de délais supplémentaires (China Antitrust uptade, 19 mars 2009, H & H). Cette décision fournit par conséquent un aperçu extrêmement limité de la manière dont le MOFCOM examine les opérations de concentrations soumises à son approbation. Dès lors, il est possible de redouter que les entreprises, confrontées à un fort aléa, soient tentées d’élaborer des stratégies visant à échapper au contrôle du MOFCOM (China bans Coke Merger, IFLR, avr. 2009, p. 8) en privilégiant des montages leur permettant de ne pas franchir les seuils tels que des prises de participations minoritaires, ou des entreprises communes soigneusement structurées (en effet, ni la LAM, ni les

Il se contente à cet égard de faire référence aux boissons gazeuses et aux jus de fruits sans donner de définition précise du marché pertinent. De même, s’est-il abstenu d’une analyse concurrentielle expliquant en détail les distorsions de concurrence susceptibles d’être créées par l’opération ou encore une analyse précise des remèdes proposés par Coca-Cola. De telles explications auraient permis aux entreprises d’anticiper le type de solutions envisageables dans le cadre d’opérations soumises à l’approbation du MOFCOM, susceptibles de poser des problèmes de concurrence. Des soupçons de protectionnisme ?– Comme l’indiquent certains praticiens dans leurs commentaires, « cette décision n’est pas expressément protectionniste mais il existe certaines suspicions que des facteurs sans lien avec la concurrence aient joué un rôle notamment en raison de la spéculation des médias et du lobbying qui ont entouré cette affaire depuis son commencement » (China bans Coke Merger, IFLR, avr. 2009, p. 8). Selon une traduction non officielle de la décision (China Antitrust uptade, 19 mars 2009, Hogan & Hartson), il est explicitement indiqué que le MOFCOM a « sollicité l’opinion de plusieurs services gouvernementaux, associations industrielles, entreprises de jus de fruits, etc. », ce qui renforce le sentiment que l’autorité de concurrence chinoise a accordé une importance particulière à l’opinion d’hommes politiques et d’acteurs du marché nécessairement plus disposés à défendre les intérêts des entreprises locales, que ceux du géant américain (Evans R., China special : the Coke case « Transparency is in MOFCOM’s interests », IFLR, 1er mai 2009, Asia editor). Certains praticiens ont d’ailleurs clairement pris position en ce sens à la suite de cette décision, en expliquant notamment que « dans le climat actuel, [ils] suspect[ent] que le MOFCOM ait accordé un poids plus important aux plaintes de petites entreprises ». Selon eux, « le MOFCOM ne pourrait pas autoriser une opération susceptible de créer du chômage ou des troubles sociaux » (Martyn Huckerby, associés du bureau de Shanghai, Mallesons Stephen

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lignes directrices n’abordent la question des joint-ventures, alors que cette pratique est largement répandue en Chine : Picot Th. et Zheng C.-H., Après treize années d’attente, la loi chinoise sur la concurrence est enfin votée, RLC 2007/13, n° 945). Th. P.

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Ancienne ministre déléguée aux Affaires européennes, Noëlle Lenoir vient de rejoindre le cabinet Jeantet. Elle livre ici, à l’issue des récentes élections du Parlement européen, son point de vue sur le rôle du droit de la concurrence en Europe en cette période de crise économique.

« Le droit de la concurrence, garant du Marché commun, est au fondement de la construction économique et politique de l’Europe »

Revue Lamy de la concurrence : Les élections européennes viennent d’avoir lieu. Comment expliquez-vous le taux d’abstention à ces élections alors même que l’influence du Parlement monte, elle, en puissance ? Noëlle Lenoir : C’est un paradoxe. Jamais le Parlement européen n’a eu autant de pouvoir, jamais l’Europe n’a été aussi présente dans les medias, et pourtant depuis 1979, d’élections en élections, le taux d’abstention grimpe inexorablement. Les raisons de cette situation sont multiples. Pas plus en France qu’ailleurs, elle ne traduit à mon sens un rejet du Parlement européen ou une remise en cause de ses compétences en tant qu’assemblée législative européenne. Cette abstention devenue chronique reflète bien davantage une méconnaissance et donc une incompréhension des rouages de cette assemblée. C’est pour moi la raison essentielle de la défection des électeurs. Les responsables politiques nationaux eux-mêmes ignorent bien souvent comment travaille le Parlement européen. Ils ne sont dès lors pas en mesure de sensibiliser les citoyens de leur pays à l’apport de cette institution à la vie démocratique. Je rappelle que le Parlement de Strasbourg est la seule assemblée législative issue du suffrage universel direct qui soit véritablement transnationale. Les enjeux des élections européennes sont d’autant plus mal compris que le

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Entretien avec Noëlle LENOIR Avocate à la Cour Associée du cabinet Jeantet Ancienne ministre

Parlement européen ne répond pas au mode habituel de fonctionnement de nos parlements nationaux. Il n’y a pas d’un côté une opposition qui est systématiquement contre la majorité, et une majorité qui entend contrer les propositions de l’opposition. Au Parlement européen, les votes sur les règlements et directives sont l’expression de majorités d’idées qui se dégagent en fonction des sujets et du contexte politique. La procédure vise à faire émerger l’intérêt communautaire, qui est toujours le fruit d’un compromis entre les intérêts divergents des États et des groupes de pression économiques et sociaux. Le Parlement européen est à cet égard plus proche du Congrès américain – bien qu’il soit privé du droit d’initiative des lois – que du Parlement français. En votant, les électeurs européens n’ont pas le sentiment qu’ils peuvent réelle-

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ment changer la gouvernance politique de l’Union européenne. Ce qui est exact dès lors que l’exécutif européen est partagé entre une Commission apolitique et un Conseil européen formé des dirigeants des États membres qui, eux aussi, délibèrent sur la base de compromis entre sensibilités nationales et idéologiques. L’Europe n’aime pas les positions extrêmes, qu’elles soient de gauche ou de droite. J’ajoute que le fait que les élections européennes se déroulent à la représentation proportionnelle intégrale et autorisent ainsi un morcellement des groupes politiques, renforce chez les électeurs la conviction que leur vote n’influencera pas les politiques communautaires. Le Parlement européen n’est pas un lieu de confrontation. C’est un espace de négociation conduisant à des textes de compromis. Ceci est illustré par la pratique du partage des présidences instaurée depuis quelques années. En effet, la présidence du Parlement européen est partagée pendant le mandat entre les groupes les plus importants. Pour cette législature (2005-2014), c’est le Polonais Janez Buzek – membre du PPE (centre droit) – qui assurera la présidence pour les deux premières années et demies et ensuite l’Allemand Martin Shultz – PSE (socialdémocrate) – prendra le relais pour les deux ans et demi restants. Comme vous le savez, le Parlement européen est le grand gagnant des avancées du Traité de Lisbonne, dont j’espère

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RLC : Quelle est à votre avis l’influence du droit de la concurrence dans la construction européenne ? N.L. : Le droit de la concurrence, condition de l’existence du Marché commun, est au fondement de la construction économique et politique de l’Europe. Permettez-moi un bref rappel historique pour l’expliciter. Le fondement de la construction d’une Europe – à l’époque confédérale – aurait pu être la défense. C’était le projet de la France lorsqu’elle a promu l’idée en 1952 de la ratification par les six pays fondateurs de l’Europe d’un Traité sur la Communauté européenne de défense (CED), adossée à une Communauté politique avec des institutions intégrées. Finalement, après que les cinq partenaires de la France ont ratifié ce Traité ambitieux, c’est l’Assemblée nationale française qui l’a repoussé en 1954 après un débat serré à la tonalité dramatique. Schématiquement, les tenants du non, opposés à tout abandon de souveraineté, se plaisaient à alerter l’opinion sur le danger

Droit I Économie I Régulation

d’une remilitarisation de l’Allemagne, laquelle devait bien sûr participer à l’armée européenne mise en place par le Traité de la CED. Le plan B a été la Communauté économique européenne (CEE) créée par le Traité de Rome de 1957, avec à sa clé le Marché commun. Pour établir ce Marché, le Traité a prévu un double dispositif : d’une part, le Traité a posé en principe la libre circulation des hommes, des biens, des services et (un peu plus tard) des capitaux, les fameuses quatre libertés. D’autre part, le Traité a imposé le respect de la libre concurrence sous le contrôle de la Commission européenne. L’instauration de règles de concurrence avait une portée presque révolutionnaire à l’époque. En effet, la plupart des États membres ne connaissaient pas d’encadrement aussi rigoureux des pratiques commerciales. Les règles de la concurrence avaient fait leurs preuves aux ÉtatsUnis où étaient sanctionnées de longue

L’urgence est de faire connaître le Parlement européen aux citoyens, car les entreprises, elles, ont pris l’habitude de suivre attentivement les législations en discussion (...). date les pratiques concertées « susceptibles d’affecter le commerce entre États » (« interstate commerce clause »). Mais en Europe, la problématique était nouvelle. Il est intéressant de relever que la Haute autorité de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), ancêtre de la Commission, avait des pouvoirs étendus de contrôle des ententes, des concentrations et de ce que l’on appelait alors les « abus de puissance économique ». Le Traité de Rome, lui, n’évoque pas la question des concentrations, ce qui n’a pas empêché la Commission de s’en saisir et de pallier les manques du Traité à cet égard. Le paysage juridique du droit de la concurrence s’est transformé. La Commission multiplie les règlements et lignes directrices fixant le cadre lui permettant de veiller à prévenir (voire à réprimer) les pratiques entraînant des distorsions de concurrence qui mettent à mal le marché intérieur. Les États se sont dotés d’autorités nationales de concurrence formant le Réseau européen de concurrence (REC) qui se coordonne avec la Commission. Que de chemin parcouru

PERSPECTIVES ENTRETIEN

au passage qu’il pourra être mis en vigueur l’année prochaine, après ratification par référendum en Irlande (en principe la première semaine d’octobre). Son pouvoir législatif – à travers la procédure dite de codécision – sera généralisé notamment en matière budgétaire, agricole et dans les domaines de la justice et de l’immigration. Les textes adoptés par le Parlement de Strasbourg concerneront de plus en plus aussi bien les entreprises que les citoyens. Il serait donc temps que les dirigeants européens se préoccupent de le faire mieux connaître. Il est impératif d’établir un lien entre les parlements nationaux et le Parlement européen. Le Traité de Lisbonne confère indirectement un certain pouvoir d’initiative législative aux parlements nationaux en leur permettant, à des majorités renforcées, d’obliger en quelque sorte la Commission européenne à traiter d’un sujet particulier, dont ensuite le Parlement européen pourrait avoir à discuter. La formule est intéressante. Il faudra toutefois vérifier qu’elle contribue à rapprocher effectivement les institutions communautaires des institutions politiques nationales. En tous les cas, l’urgence est de faire connaître le Parlement européen aux citoyens, car les entreprises, elles, ont pris l’habitude de suivre attentivement les législations en discussion, et sont donc familiarisées avec son fonctionnement.

dans notre pays en particulier depuis la création de la Commission de la concurrence présidée par Jean Donnedieu de Vabres, remplacée en 1986 par le Conseil de la concurrence, auquel a succédé cette année l’Autorité de la concurrence présidée par Bruno Lasserre ! L’Europe a acquis une véritable culture de la concurrence à tous les niveaux, représentant un élément de dynamisme et d’équité à la fois. Il faut la préserver en dépit de la crise économique et sociale que nous vivons. RLC : Quel est selon vous le rôle de la politique de concurrence communautaire en cette période de crise économique? N.L. : Le droit de la concurrence aurait pu être purement et simplement mis de côté du fait des circonstances exceptionnelles de la crise systémique bancaire qui a failli entraîner l’écroulement du système financier mondial. Le respect des exigences découlant des critères de Maastricht sur la maîtrise des déficits publics et de la dette publique n’a-t-il pas été repoussé à une date ultérieure, et d’ailleurs non précisée à ce jour ? Je voudrais saluer le choix fait par les instances communautaires, sous l’impulsion de Neelie Kroes, Commissaire à la Concurrence, de maintenir l’application du régime des aides d’État et de permettre à la Commission européenne de mettre un peu d’ordre dans les interventions étatiques en faveur des banques et des secteurs industriels les plus touchés. La base juridique retenue – l’article 87-3, b) – prévoyant la possibilité de telles aides « pour remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre » a légitimé des plans d’aide d’une ampleur sans précédent, certes, mais pas sans condition ni contrôle. On a beau jeu de dire que la Commission n’a pas été très regardante du fait de l’urgence d’empêcher les faillites bancaires. Le traumatisme de la déconfiture de Lehmann Brothers le 15 septembre 2008, le rend compréhensible. Je trouve néanmoins que la Commission a su se réorganiser pour statuer très rapidement sur les plans d’aides d’État tout en posant des exigences que les États ont dans l’ensemble acceptées, notamment en ce qui concerne les compensations à verser par les établissements aidés. Le gouvernement américain, n’ayant pas à sa disposition de législation en matière d’aides d’État, n’a pas eu ce point d’appui pour négocier avec les banques et les industries auxquelles pourtant il a versé des sommes colossales.

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« LE DROIT DE LA CONCURRENCE, GARANT DU MARCHÉ COMMUN, EST AU FONDEMENT DE LA CONSTRUCTION ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE DE L’EUROPE »

RLC : Pensez-vous que les interventions communautaires ont été jusqu’ici appropriées en matière d’aides d’État, notamment ? N.L. : Oui. En particulier, les quatre Communications de la Commission sur l’aide au secteur bancaire (oct. et déc. 2008, févr. et juill. 2009) ont bien campé le décor. Elles ont fermement réaffirmé les principes présidant au régime des aides d’État qui, pour être compatibles avec le Marché commun, doivent répondre à certaines caractéristiques (proportionnalité, adéquation, conditionnalité, contribution financière significative des bénéficiaires). Ces conditions ont été adaptées à la situation. La Commission a cherché à ne pas entraver l’action des États venus au secours de leur système bancaire. Mais elle a été claire sur les principes économiques et éthiques à respecter. Elle a regardé de près les engagements des banques de maintenir un certain encours de crédit pour financer l’économie, à rétribuer les États prêteurs ou apporteurs de fonds propres, à contribuer financièrement à leur restructuration. Elle a rappelé que les aides d’État, et en particulier les apports en capitaux de l’État, ne doivent pas occasionner un transfert des contribuables en faveur des actionnaires ou des dirigeants. D’où les recommandations de modération de la politique de distribution des dividendes et de la politique de rémunérations des bénéficiaires. Dans le même esprit, ces derniers ont été appelés à ne pas utiliser les aides pour des opérations de croissance externe agres-

sives qui n’auraient pas pu être menées sans le concours des contribuables. Reste aux États membres et à la Commission de faire respecter ces conditions élémentaires et de bon sens. Le droit européen des aides d’État sera jugé à son efficacité pour avoir facilité la sortie de crise et sauvé des pans entiers de l’économie, dont le secteur bancaire, mais aussi pour avoir intégré davantage d’éthique dans les affaires, y compris concernant les rémunérations des dirigeants, des traders et des actionnaires. RLC : Quels sont selon vous les défis majeurs pour l’Europe de demain en droit de la concurrence ? N.L. : Les défis principaux auxquels l’Europe est confrontée en droit de la concurrence sont liés à la mondialisation. D’une part, le droit de la concurrence se doit de concilier la nécessité de créer ou renforcer des champions européens mondiaux et la non moins grande nécessité de lutter contre les abus de position dominante qui privent le marché de ses avantages intrinsèques. Je songe à l’énergie. Le droit de la concurrence a un rôle capital à jouer dans la mise en place d’une politique européenne de l’énergie qui nous assure une indépendance économique et politique sur le long terme. Or ce n’est pas gagné. D’autre part, l’Europe devrait être le promoteur d’un droit international de la concurrence. J’ai assisté à plusieurs réunions à l’OCDE qui réunissaient des autorités de concurrence du monde entier.

Tous les pays adoptent le même dogme. Mais il y a parfois loin de la théorie à la pratique, et les atteintes à la concurrence sont légions sur le plan mondial, sans parler même du dumping fiscal, environnemental et social qui est le droit commun dans beaucoup de pays émergents. Sur les plans européen et national, il me semble que le droit des aides d’État a un bel avenir. Il ne doit pas être conçu uniquement comme un droit de crise, permettant la mobilisation d’aides publiques pour éviter la faillite d’entreprises en difficulté ou de l’économie elle-même. Les aides d’État doivent être également considérées comme des outils d’une gouvernance économique européenne destinée à promouvoir l’innovation et favoriser un développement régional équilibré assurant la cohérence économique et territoriale de l’espace européen. En dehors de ces nouveaux enjeux, reste bien entendu au premier plan de l’actualité juridique, le problème de la régulation du marché par la Commission européenne et les autorités nationales de concurrence. Comme la crise bancaire l’a révélé, la régulation dans le domaine de la concurrence est bien plus cohérente qu’en matière financière. Les contentieux auxquels cette régulation donne lieu, et que le Pôle concurrence du cabinet Jeantet appréhende de longue date, contribuent en effet à la définition d’un code de bonne conduite que les entreprises ont intégré dans leurs stratégies commerciales. Propos recueillis par Julie VASA

BIOGRAPHIE EXPRESSE Née le 27 avril 1948 à Neuilly-sur-Seine 1972-1982 : Administrateur du Sénat 1982-1984 : Directeur de la réglementation de la CNIL 1984-2001 : Maître des requêtes au Conseil d’État, et Commissaire du gouvernement à la section du Contentieux 1988-1990 : Directeur de cabinet du ministre de la Justice 1990-1991 : Chargée de mission pour la bioéthique auprès du Premier ministre 1992-1998 : Présidente du Comité international de bioéthique de l’UNESCO 1992 : Membre et présidente du Groupe européen d’éthique pour la recherche et les technologiques nouvelles de l’Union européenne 1992-2001 : Membre du Conseil constitutionnel Depuis 2001 : Conseiller d’État 2001 : Visiting professor à Columbia University Law School 2002-2004 : Ministre déléguée aux Affaires européennes 2003 -2004 : Secrétaire générale pour la Coopération franco-allemande 2004-2009 : Avocate au sein du cabinet Debevoise & Plimpton Depuis 2004 : Présidente fondatrice du Cercle des Européens Depuis 2004 : Présidente de l’Institut de l’Europe d’HEC et professeur affilié à HEC 2006-2007 : Chargée d’une mission sur le statut de la société européenne par le garde des Sceaux Depuis 2009 : Avocate au sein du cabinet Jeantet

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L’année 2008 a été jalonnée de réformes dans le secteur de la publicité, dont notamment la transformation du BVP en Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Après s’être attachée à observer les implications de ces modifications sur l’objet et les formes de la publicité (cf. RLC 2009/19, n° 1382), Linda Arcelin-Lécuyer aborde à présent le contenu même du message publicitaire, se concentrant sur les diverses pratiques illicites rencontrées en la matière.

Droit de la publicité : bilan de l’année 2008 (2de partie) Par Linda ARCELIN-LÉCUYER Maître de conférences en droit privé à la Faculté de droit de La Rochelle Membre du CEJLR

(...)

III. – CONTENU DU MESSAGE PUBLICITAIRE 22. Loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs. – La loi Chatel, complétée par la loi LME du 4 août 2008, transpose enfin la directive n° 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales. La transposition se fait a minima, le législateur attendant que la Commission européenne publie un nouveau règlement tendant à libéraliser les promotions de ventes et à renforcer, réciproquement, l’information des consommateurs (cf. Raymond G., Les modifications au droit de la consommation apportées par la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, Contrats, conc., consom. 2008, étude 3). L’article

L. 120-1 du Code de la consommation pose le principe d’interdiction des pratiques commerciales déloyales. La transposition n’a pas repris la définition des pratiques commerciales. Au sens de la directive, il faut entendre ce terme comme « toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs » (art. 2, d)). On comprend donc que la pratique commerciale ne se résume pas uniquement à la publicité, mais peut englober d’autres formes (cf. Fournier S., De la

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publicité fausse aux pratiques commerciales trompeuses, Dr. pén. 2008, étude 4; Lasserre Capdeville J., La substitution du délit de pratiques commerciales trompeuses au délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur, LPA 2008, n° 234, p. 8; Arcelin-Lécuyer L., Campagne de Leclerc pour les médicaments non remboursés : ceci n’est pas une publicité…, JCP E 2008, n° 2499). Selon l’article L. 120-1, la

déloyauté est, elle, définie par deux critères cumulatifs : une contrariété « aux exigences de la diligence professionnelle » et le fait d’« altérer ou [d’être] susceptible d’altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service ». La première condition s’entend des règles professionnelles type codes de déontologie ou encore règles émises par l’ancien BVP. Par extension, on pourrait considérer que toute pratique illicite enfreint des règles de déontologie professionnelle. La seconde condition renvoie à une interprétation objective de l’altération du comportement du consommateur. Elle fait appel à la notion de consommateur normalement informé et raisonnablement avisé chère au droit communautaire (cf. Arcelin L., La publicité comparative, à la croisée des intérêts des consommateurs et des concurrents, RLC 2007/13, n° 949, pts. 22 et s.) et qui n’est pas loin du

concept de bon père de famille du droit français. La loi distingue ensuite les pratiques trompeuses et les pratiques agressives. Les premières regroupent les pratiques commerciales par action visant consommateurs et professionnels (art. L. 121III) et celles par omission visant uniquement les consommateurs. L’article L. 1211-I dispose ainsi qu’« une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l’une des circonstances suivantes : 1° Lorsqu’elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un

nom commercial, ou un autre signe distinctif d’un concurrent ; 2° Lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants : a) L’existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ; b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l’usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ; c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ; d) Le service après-vente, la nécessité d’un service, d’une pièce détachée, d’un remplacement ou d’une réparation ; e) La portée des engagements de l’annonceur, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services ; f) L’identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel ; g) Le traitement des réclamations et les droits du consommateur ; 3° Lorsque la personne pour le compte de laquelle elle est mise en œuvre n’est pas clairement identifiable ». Certains éléments sont nouveaux, comme la disponibilité des biens, les résultats attendus de son utilisation ou bien encore les données visées aux points c), d) et g). Est également une nouvelle tromperie le fait de ne pas identifier clairement la personne pour le compte de

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laquelle est mise en œuvre la pratique commerciale. Néanmoins, la jurisprudence avait déjà tendance à entendre de façon compréhensive la liste limitative de l’ancien article L. 121-1 et donc à inclure ces éléments. On note également que la confusion créée avec un autre bien, marque, nom commercial ou autre signe distinctif d’un concurrent ne sera plus sanctionnée uniquement sur la base de la contrefaçon mais entre dorénavant dans l’incrimination de pratique commerciale trompeuse (art. L. 121-1-I-1°). Ensuite, l’article L. 121-1-II appréhende les omissions trompeuses tournées uniquement vers le consommateur (art. L. 121-1III) : « une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l’entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte. Dans toute communication commerciale constituant une invitation à l’achat et destinée au consommateur mentionnant le prix et les caractéristiques du bien ou du service proposé, sont considérées comme substantielles les informations suivantes : 1° Les caractéristiques principales du bien ou du service ; 2° L’adresse et l’identité du professionnel ; 3° Le prix toutes taxes comprises et les frais de livraison à la charge du consommateur, ou leur mode de calcul, s’ils ne peuvent être établis à l’avance ; 4° Les modalités de paiement, de livraison, d’exécution et de traitement des réclamations des consommateurs, dès lors qu’elles sont différentes de celles habituellement pratiquées dans le domaine d’activité professionnelle concerné ; 5° L’existence d’un droit de rétractation, si ce dernier est prévu par la loi ». Les sanctions sont prévues à l’article L. 213-1 : deux ans d’emprisonnement et une amende de 37 500 euros, sachant que l’amende peut être portée à 50 % des dépenses de la publicité ou de la pratique constituant le délit (art. L. 121-6). Les pratiques commerciales agressives sont énumérées aux articles L. 122-11 à L. 122-15. Deux conditions sont requises : la pratique commerciale agressive résulte de sollicitations répétées et insistantes ou de l’usage d’une contrainte physique ou morale, et conduit à une altération du consentement du consommateur ou à une entrave de ses droits contractuels. L’article L. 122-11-1 énumère, limitative-

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ment, huit pratiques réputées agressives au rang desquelles figure le fait, « dans une publicité, d’inciter directement les enfants à acheter ou à persuader leurs parents ou d’autres adultes de leur acheter le produit faisant objet de la publicité ». Une sanction pénale est prévue aux articles L. 122-12 (2 ans d’emprisonnement et une amende de 150000 euros) et L. 122-13 (interdiction d’exploiter une activité commerciale pendant 5 ans au plus), ainsi qu’une sanction civile consistant en la nullité du contrat siège de la pratique commerciale agressive (art. L. 122-15). 23. Feu BVP! Vive l’ARPP.– Le 25 juin 2008, le BVP a laissé place à l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Son conseil d’administration est composé des trois professions impliquées dans la production et la diffusion des campagnes publicitaires, à savoir les annonceurs, les agences et les médias. Elle est assistée de trois instances : une instance morale, le Conseil de l’éthique publicitaire (CEP) chargée d’anticiper les problèmes fondamentaux que posent le contenu de la publicité, sa diffusion, son évolution et son acceptabilité par la société ; une instance de concertation, le Conseil paritaire de la publicité (CPP), ayant pour mission de faire évoluer les règles professionnelles de la publicité en concertation avec les diverses associations et organisations; une instance de sanction, le Jury de déontologie publicitaire (JDP) présidé par Marie-Dominique Hagelsteen, ancienne présidente du Conseil de la concurrence, et chargé de statuer sur les plaintes du public. Le JDP est opérationnel depuis le 7 novembre 2008 et peut procéder à une publication de ses décisions et, en cas d’entrave, prononcer des sanctions allant jusqu’à la demande de cessation immédiate de diffusion du message publicitaire. Cette réforme consacre le passage d’un système d’autorégulation à un système de corégulation, les membres du CPP étant issus notamment des associations de consommateurs ou environnementales. Comme son prédécesseur, l’ARPP réalise chaque année diverses études ou bilans. Est ainsi paru le Bilan 2007 « Publicité et image de la personne humaine » faisant le point sur les 96 manquements à la recommandation de 1998 « Image de la personne humaine ». L’ARPP observe ainsi une résurgence du porno-chic essentiellement dans le secteur de l’habillement de luxe. L’environnement est encore au centre des préoccupations de l’autorité de régulation. Le 11 avril 2008, une Charte d’engagement et d’objectifs pour une publicité coresponsable a été signée entre le ministre de l’Écologie, de l’Énergie, du Développe-

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ment durable et de l’Aménagement du territoire, le secrétaire d’État chargé de l’Industrie et de la Consommation et le BVP à l’époque. Il s’agit de lutter contre le recours abusif à des arguments environnementaux dans les publicités ou les publicités mettant en scène des comportements contraires à l’exigence de protection de l’environnement. A. – Publicité comparative 24. Notion de publicité comparative. Exigence d’un lien de concurrence.– Selon une jurisprudence communautaire constante, la publicité comparative s’entend de façon « large », « de sorte qu’il suffit qu’il existe une communication faisant, même implicitement, référence à un concurrent ou aux biens ou aux services qu’il offre pour qu’il y ait publicité comparative » (CJCE, 9 avr. 2007, aff. C-381/05, De Landtsheer c/ Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, Veuve Clicquot Ponsardin SA, Contrats, conc., consom. 2007, comm. 161, obs. Raymond G., RLC 2007/13, n° 949. En dernier lieu, CJCE, 12 juin 2008, aff. C-533/06, O2 Holdings Limited, O2 (UK) Limited; CA Paris, 5e ch., sect. A, 18 juin 2008, n° 07/11100, Carrefour c/ Galec). Ce qui

importe est l’identification d’un concurrent ou de ses biens ou services. Partant, « lorsque l’utilisation dans une publicité d’un signe similaire à la marque d’un concurrent de l’annonceur est perçue par le consommateur moyen comme une référence à ce concurrent ou aux biens et aux services qu’il offre (…) il y a publicité comparative ». L’existence d’une concurrence entre l’annonceur et l’entreprise mentionnée est donc une prémisse : à défaut, il ne peut y avoir de publicité comparative. C’est ce qu’a jugé la Cour d’appel de Paris le 19 mars 2008. Une société vendant sur Internet des compléments alimentaires présentait sur son site un tableau comparant 58 marques concurrentes, chacune faisant l’objet d’une notation en fonction d’un certain nombre de paramètres. L’un des titulaires d’une marque lui reprocha de se livrer à une publicité comparative illicite pour manque d’objectivité et de pertinence. La Cour ne procède pas à la vérification des conditions de licéité, tout simplement parce qu’il n’existait aucun lien de concurrence entre les deux entreprises, ce qui exclut toute publicité comparative. De façon assez pédagogique, les juges rappellent que, « en droit, la publicité comparative est définie par l’article L. 121-8 du Code de la consommation comme celle qui met en comparaison des biens ou des services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens et des services offerts par un concurrent. Or (…) en l’espèce, la société DDI n’est (…) qu’un simple dé-

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16.030, Bull. civ. I, n° 274, concernant les tests comparatifs réalisés par UFC-Que choisir?) puisque l’action en

concurrence déloyale n’exige pas une situation de concurrence directe ou effective entre les parties en cause mais seulement l’existence de faits fautifs générateurs d’un préjudice (Cass. com., 12 févr. 2008, n° 06-17.501, Bull. civ. IV, n° 32, D. 2008, p. 2573, note Picod Y., D. 2008, obs. Chevrier É., Contrats, conc., consom. 2008, comm. 103, note Malaurie-Vignal M.).

25. Usage de la marque d’autrui.– L’arrêt du 12 juin 2008 est aussi l’occasion pour la CJCE de préciser les liens entre les directives n° 89/104 sur les marques et, à l’époque des faits, n° 84/450 en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative. Dans cette affaire relative au secteur de la téléphonie mobile en Grande-Bretagne, il était reproché à la société H3G d’avoir engagé une campagne publicitaire se servant des images de bulles de ses concurrents O2 et O2 (UK), images déposées à titre de marque par ces dernières. La juridiction anglaise posa une série de questions préjudicielles à la CJCE visant notamment à savoir si l’usage de la marque d’autrui dans une publicité comparative doit être « indispensable » et dans l’affirmative, si l’on peut se référer à un signe non pas identique mais étroitement similaire à la marque déposée. La Cour fait observer dans un premier temps que l’utilisation dans une publicité comparative d’un signe identique ou similaire à la marque d’un concurrent peut constituer un usage au sens de l’article 5 de la directive n° 89/104, puisque l’annonceur en vient à identifier les produits et services du concurrent. Ce dernier pourrait donc s’op-

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poser à cette référence. Mais dans un second temps, la CJCE souligne que le droit conféré à la marque peut être limité, en particulier dans le domaine de la publicité comparative si celle-ci répond aux conditions de licéité. À ce titre, la Cour précise les relations entre les deux directives : « lorsque les conditions requises à l’article 5, § 1, b) de la directive n° 89/104 pour interdire l’usage d’un signe identique ou similaire à une marque enregistrée sont réunies, il est exclu que la publicité comparative dans laquelle ce signe est utilisé satisfasse à la condition de licéité énoncée à l’article 3 bis, § 1, d) de la directive n° 84/450 ». Les juges visent ici le risque de confusion qui pourrait justifier l’interdiction de l’usage de la marque et qui s’interprète de la même

Le droit conféré à la marque peut être limité, en particulier dans le domaine de la publicité comparative si celle-ci répond aux conditions de licéité. façon selon les directives : « ainsi, dans l’hypothèse de l’utilisation par un annonceur, dans une publicité comparative, d’un signe identique ou similaire à la marque d’un concurrent, soit le concurrent n’établit pas l’existence d’un risque de confusion et, partant, n’est pas habilité à faire interdire l’utilisation de ce signe sur le fondement de l’article 5, § 1, b) de la directive n° 89/104, soit il établit l’existence d’un risque de confusion et, partant, l’annonceur ne peut s’opposer à une telle interdiction en application de l’article 3 bis, § 1, de la directive n° 84/450, faute pour la publicité en cause de satisfaire à toutes les conditions énoncées à cette disposition ». En l’espèce, la Cour constate que la publicité litigieuse n’a pas créé de risque de confusion, entendu comme « le risque que le public puisse croire que les produits ou les services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d’entreprises liées économiquement » et apprécié dans le contexte dans lequel le signe similaire aux marques a été utilisé. 26. Comparateurs en ligne. Charte de bonne conduite.– Signalons que le 11 juin 2008 a été signée une Charte des comparateurs en ligne à l’occasion de l’assemblée générale de la Fédération e-commerce et vente à distance (FEVAD) prévoyant d’une part, des règles en matière de trans-

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taillant de compléments alimentaires dont le site internet se présente exclusivement sous la forme d’un site de revendeur multimarques de compléments alimentaires, de sorte que le tableau litigieux ne fait que comparer l’ensemble des produits qu’elle offre à la clientèle ; ainsi l’exigence de concurrence qui préside à la reconnaissance de la publicité comparative n’étant pas remplie, la publication du tableau litigieux n’est donc pas constitutive d’une publicité comparative en ce que les sociétés DDI et L1S ne sont pas en situation de concurrence ». Reste que le lien de concurrence peut être plus ou moins lâche, ce qui peut conduire à considérer comme étant en concurrence un producteur de champagne et un producteur de bière (cf. CJCE, 9 avr. 2007, aff. C-381/05, préc.). Si l’action fondée sur le Code de la consommation est irrecevable, en revanche, une action fondée sur l’article 1382 du Code civil est envisageable (cf. Cass. 1re civ., 30 mai 2006, n° 04-

parence vis-à-vis des utilisateurs et d’autre part, des règles sur les relations des sites comparateurs avec les sites marchands (). Sept comparateurs en ligne ont signé la Charte, mais pas (encore?) Leclerc, dont les méthodes ont pourtant été un temps décriées. 27. Comparateurs en ligne. Méthode.– L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 18 juin 2008 Carrefour c/ Le Galec (CA Paris, 18 juin 2008, n° 07/11100, préc., Comm. com. électr. 2008, comm. 104, obs. Debet A.) est le dernier épisode dans la saga

jurisprudentielle du comparateur en ligne de Leclerc. Rappelons que Carrefour avait contesté les comparaisons faites sur le site du Groupement d’achats des Centres Leclerc (Galec). Le 7 juin 2006, le président du Tribunal de commerce de Paris avait condamné le Galec pour publicité comparative illicite car les données de comparaison n’étaient pas vérifiables. Tirant la leçon de cette condamnation, le Galec avait rectifié sa méthode, jugée satisfaisante par le Tribunal de commerce de Paris qui avait été saisi à nouveau par Carrefour (T. com. Paris, 15e ch., 29 mars 2007, RLDI 2007/29, n° 952, obs. Grynbaum L.). Ce dernier a interjeté appel de ce jugement, rejeté par la Cour d’appel de Paris. Celle-ci, se référant à la jurisprudence communautaire, va effectivement appliquer la définition « large » de la publicité comparative (cf. la 1re partie de notre article, RLC 2009/19, n° 1382, pt. 17). Elle retient ainsi qu’il est « tout à fait loisible à l’auteur d’une publicité comparative (…) de choisir les paramètres qui lui sont favorables dès lors que ceux-ci sont matériellement exacts et vérifiables et ne présentent pas de caractère trompeur en occultant une circonstance précise dont la connaissance aurait été de nature à faire renoncer un nombre significatif de consommateurs à leur décision d’achat ». La position inverse aurait fait perdre à la publicité comparative tout intérêt. Ce libre choix des paramètres relève, dit la Cour, « de la seule liberté économique de l’annonceur » et à partir du moment où les données sont fondées sur des réalités appréhendables et vérifiables, le concurrent ne peut s’y opposer et n’a plus que l’alternative de « lui répliquer par sa propre publicité comparative sur la base de paramètres autres qu’il estimerait lui être plus favorables ». Sur la méthode employée, la Cour d’appel se montre tout aussi favorable au Galec. En effet, Carrefour avançait que le comparatif contenait environ 15 % de prix erronés. La société apportait pour preuve les tickets de caisse mentionnant les prix corrects des produits comparés. Les juges réfutent l’argument

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en retenant que seul compte le prix mentionné en rayon constituant « la seule offre légale du commerçant » et que « les tickets de caisse comme le logiciel de caisse n’établissent aucunement la réalité de l’offre ». Il aurait fallu alors que Carrefour apporte la preuve de la réalité de son offre en rayon, unique moyen susceptible de démontrer l’effectivité des erreurs alléguées, ce qu’elle ne fait pas. 28. Caddies de la ménagère.– Une fois encore, la Cour de cassation s’est montrée stricte dans son appréciation de la pratique des caddies de la ménagère. Les faits sont assez similaires à ceux ayant donné lieu à l’arrêt du 9 mai 2007 (Cass. crim., 9 mai 2007, n° 06-86.373, Bull. crim., n° 119, D. 2007, p. 2144, note Arcelin L., D. 2007, p. 1658, obs. Rondey C., Contrats, conc., consom. 2007, comm. 314, obs. Raymond G., Gaz. Pal. 2007, p. 2759, obs. M. B., RLDA 2007/18, n° 1108, obs. Anadon C. Sur renvoi, CA Bordeaux, 5 mars 2008, n° 07/01350). Un centre Leclerc avait exposé

à l’entrée du magasin deux caddies remplis pour l’un de ses produits et pour l’autre de ceux de son concurrent local Leader Price. Bien évidemment, la comparaison en termes de prix tournait à son avantage. Les sociétés Distribution Leader Price et Leader Price Région Sud saisirent le Tribunal correctionnel pour publicité comparative illicite. Déboutées en première instance, elles firent appel devant la Cour d’appel d’Amiens qui, le 11 avril 2007, leur donna gain de cause. Le président du conseil d’administration de la société exploitant le magasin E. Leclerc en cause et le directeur de celui-ci furent déclarés responsables d’une publicité comparative illicite et condamnés à réparer le préjudice subi par l’enseigne locale Leader Price. La chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta leur pourvoi le 4 mars 2008 (Cass. crim., 4 mars 2008, n° 07-83.628, Bull. crim., n° 57, D. 2008, p. 1051, obs. Rondey C.). Elle jugea que « la re-

production des seuls tickets de caisse ne permettait pas au consommateur de s’assurer que les produits comparés, qui, pour certains, présentaient des différences de qualité, de poids, de contenance et de composition, et qui étaient placés dans des chariots recouverts d’un film plastifié, présentaient les mêmes caractéristiques essentielles, de sorte que leur comparaison ne pouvait être opérée de façon objective ». Or, poursuit-elle, « lorsque les éléments de comparaison sur lesquels repose la caractéristique mentionnée dans la publicité comparative ne sont pas énumérés, le destinataire du message publicitaire doit être mis en mesure, par l’annonceur, d’en vérifier l’exactitude ainsi que celle de la caractéristique en cause ». La Cour ne revient pas sur le défaut d’ob-

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jectivité de la publicité mais s’attarde uniquement sur la question de l’accessibilité des consommateurs aux éléments de comparaison. Cependant, la Cour n’est guère plus précise en 2008 qu’en 2007 sur les conditions de cette accessibilité. Comme nous l’avions indiqué à propos de l’arrêt de 2007 (note préc.), « en pratique, la confrontation des tickets ne suffisant pas, l’annonceur devra établir lui-même la liste des produits comparés et leurs caractéristiques essentielles. Mais de quelle façon ? Doit-il apposer cette liste sur les caddies ou bien peut-il se contenter de renvoyer par exemple à son site Internet ou à un catalogue publicitaire? ». La position de la chambre commerciale semble au demeurant assez stricte, notamment par rapport à l’approche plus libérale de la CJCE (CJCE, 19 sept. 2006, aff. C-

Si la CJCE tient compte de cette évolution, la Cour de cassation a encore du mal à sortir d’une approche protectrice voire surprotectrice du consommateur. 256/04, Lidl Belgium GmbH & Co KG, pt. 256 : Contrats, conc., consom. 2006, comm. 240; Gaz. Pal. 2007, doct., p. 3, note Bille J.; Boulet L., Publicité comparative d’assortiments de produits : comparons les interprétations européenne et française, Comm. com. électr. 2007, chron. 24) qui juge

que « la possibilité pour le consommateur d’obtenir de l’annonceur, dans le cadre d’une procédure administrative ou judiciaire, des preuves de l’exactitude matérielle des données contenues dans la publicité n’est pas de nature à dispenser cet annonceur, lorsque les produits et les prix comparés ne sont pas énumérés dans le message publicitaire, de l’obligation d’indiquer, notamment à l’attention des destinataires de ce message, où et comment ceux-ci peuvent prendre aisément connaissance des éléments de la comparaison aux fins d’en vérifier ou d’en faire vérifier l’exactitude ». Pour la CJCE, l’important est que l’information soit accessible au consommateur qui peut alors se renseigner par lui-même. Ce dernier ne doit pas rester passif, ce qui est confirmé par des études récentes. À titre d’exemple, le Rapport Beigbederg sur le Low Cost relève ainsi que « le consommateur jusqu’ici passif se transforme de plus en plus en client arbitre, prêt à faire des concessions sur certaines caractéristiques des produits et services, en contrepartie d’un prix plus faible »

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(p. 95). Si la CJCE tient compte de cette évolution, la Cour de cassation a encore du mal à sortir d’une approche protectrice voire surprotectrice du consommateur. 29. Personnes responsables.– L’arrêt du 4 mars 2008 est d’autant plus sévère qu’il rejette l’argument selon lequel le dirigeant du magasin avait délégué ses pouvoirs dans le domaine à un directeur salarié ce qui lui aurait permis d’échapper à sa responsabilité. La chambre criminelle s’en remet à l’appréciation souveraine des juges du fond et consacre l’idée que, du fait de l’importance stratégique de l’opération quant à l’activité du magasin, le dirigeant avait conservé, concurremment à la délégation de pouvoirs, « la faculté et l’initiative de mettre en œuvre une telle action commerciale et de la faire cesser, aux côtés de son directeur salarié ». Sauf à ce qu’il y ait une mention explicite dans la délégation, seule exception visée par la Cour, le dirigeant est censé avoir conservé ses pouvoirs et reste donc responsable. Dans le cas contraire, le dirigeant peut s’exonérer de sa responsabilité. Ainsi, dans un arrêt du 27 mai 2008, la chambre criminelle, après avoir rappelé que « sauf si la loi en dispose autrement, le chef d’entreprise, qui n’a pas personnellement pris part à la réalisation de l’infraction, peut s’exonérer de sa responsabilité pénale s’il rapporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires », censure les juges du fond pour avoir déclaré la dirigeante responsable alors qu’ils auraient dû « tirer les conséquences de la valeur et de l’étendue de la délégation de pouvoirs établie par la prévenue et portant sur la promotion publicitaire, dont [les juges ont] constaté l’existence » (Cass. crim., 27 mai 2008, n° 07-87.122). 30. Publicité comparative de nature à induire en erreur.– L’article L. 121-8-1° du Code de la consommation exige que la publicité comparative ne soit pas trompeuse ou de nature à induire en erreur. La société Ucar est condamnée pour ne pas avoir respecté cette condition (Cass. com., 1er juill. 2008, n° 07-15.839, Contrats, conc., consom. 2008, comm. 263, obs. Raymond G.). Elle avait axé

sa campagne de publicité autour des tarifs pratiqués par elle et son concurrent Ada pour la location d’un même modèle de voiture, pour un même nombre de kilomètres. La campagne avait été diffusée à Paris, alors qu’Ucar n’y disposait que de quatre agences, fermées le samedi, ce qui obligeait les clients à se déplacer extra-muros. Cette omission est

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31. Publicité comparative et dénigrement.– Se comparer à son concurrent peut consister à montrer que l’on est meilleur que lui, ou bien qu’il est moins bon que soi. Ce second cas de figure peut s’apparenter à du dénigrement. C’est ce qu’avait par exemple jugé le Tribunal de commerce de Paris le 28 avril 2006, à propos d’une publicité d’Anacours débutant par la phrase suivante « Mon tailor is rich ». Cette citation rappelle la méthode d’apprentissage de l’anglais développée par Assimil dont la première leçon commence justement par « my tailor is rich ». Le Tribunal a considéré qu’il y avait dénigrement de la société Assimil au motif que « la reprise dans le spot publicitaire litigieux de la phrase “mon tailor is rich”, si elle est susceptible de provoquer une réaction amusée de la part de l’auditeur est bien susceptible de porter un discrédit sur la méthode d’enseignement de Assimil à laquelle il est invité à substituer la méthode d’Anacours ; ce discrédit est augmenté en remplaçant “my” par “mon” sans qu’Anacours n’explique la raison de ce remplacement ». Saisie d’un recours, la Cour d’appel de Paris a confirmé l’existence d’un dénigrement et la condamnation d’Anacours (CA Paris, 18 janv. 2008). La caractérisation d’un acte de dénigrement peut parfois être plus délicate. Par exemple, communiquer la « mauvaise volonté » du concurrent comparé peut-il être constitutif d’un dénigrement de la part de l’annonceur ? Carrefour l’affirmait dans l’affaire du comparateur de prix l’opposant au Galec. En effet, le site de Leclerc mentionnait que certains magasins Carrefour avaient refusé l’accès à leurs locaux aux émissaires du Galec. Faute de démontrer la réalité des faits portant publiquement atteinte à sa notoriété ainsi qu’à sa valeur professionnelle d’une part, et son préjudice entendu comme un risque de détournement de clientèle d’autre part, les prétentions de Carrefour sont rejetées (CA Paris, 18 juin 2008, préc.). Là encore, la Cour motive sa décision par la liberté économique de l’annonceur dans ses choix de stratégie commerciale et par le fait qu’il s’est contenté de mentionner un « fait objectif » qui ne peut être considéré, en tant que tel, comme un acte de dénigrement. Les juges font ici preuve d’une certaine bienveillance, car, comme la sagesse populaire enseigne que toute

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vérité n’est pas bonne à dire, tout fait objectif n’est pas bon à révéler. Certes, la Cour pose une limite en précisant que c’est « en tant que tel » que le fait objectif n’est pas acte de dénigrement. Faudrat-il alors démontrer l’intention malveillante ? Sans doute faudrait-il rechercher si la mention de ce fait apporte une valeur supplémentaire à la comparaison. En l’espèce, il n’est pas certain que cette indication par Le Galec remplisse cette condition. C’est une information supplémentaire qui témoigne de la mauvaise grâce de Carrefour, mais qui n’ajoute rien à la comparaison. 32. Sens de l’expression « tirer indûment profit de ».– On attendra avec impatience l’arrêt de la CJCE dans l’affaire L’Oréal (CJCE, 5 nov. 2007, aff. C-487/07, L’Oréal, JOUE 12 janv. 2008, n° C 8). Saisie par une juridiction anglaise, la Cour devra répondre à une série de questions préjudicielles tendant notamment à savoir, aux fins de l’article 3 bis, g) de la directive n° 84/450, quel est le sens de l’expression « tire (…) indûment profit de » et en particulier, si un commerçant comparant, dans une liste comparative, son produit avec un produit commercialisé sous une marque notoirement connue, tire en cela indûment profit de la notoriété attachée à cette marque. L’expression s’applique-telle aussi lorsque le commerçant fait usage d’un signe similaire à une marque enregistrée qui jouit d’une renommée et qu’il n’y a pas de risque de confusion ? B. – Publicité trompeuse ou de nature à induire en erreur 33. Remise exceptionnelle et cadeaux à gogo...– La pratique est bien connue : pour l’achat d’un magnifique canapé ou autre bien, le client, parfois sans négocier, mais parce qu’il est sympathique au vendeur, se voit offrir une remise exceptionnelle de 50 % sur le produit, assorti d’un cadeau tout aussi extraordinaire, à savoir un coffret de six couteaux à viande au manche imitation ivoire ou un réveilradio-CD-grille-pain… Cela prête à sourire mais ce genre de pratique touche bien souvent des personnes vulnérables qui cèdent aux sirènes d’un vendeur bien habile et repartent du magasin croyant avoir fait une bonne affaire, qui in fine ne sera bonne que pour le professionnel. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de sanctionner ces comportements en se fondant sur la publicité mensongère ou de nature à induire en erreur (Cass. crim., 29 juin 2004, n° 04-80.535; Cass. crim., 30 nov. 2004, n° 04-83.749; Cass. crim., 7 févr. 2006, n° 05-82.580). L’ar-

rêt rendu par la chambre criminelle le 18 mars 2008 s’inscrit dans cette juris-

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de nature à induire le consommateur en erreur, en ce que le service n’était pas disponible à Paris le samedi. Dès lors, le client n’était pas en mesure de procéder à un constat objectif des différences entre les offres respectives.

prudence constante (Cass. crim., 18 mars 2008, n° 07-82.792). La Cour s’en remet à l’analyse souveraine des juges du fond qui ont retenu que « la pratique de ristournes, proposées par les vendeurs à des clients hésitants et non informés du prix réel des éléments d’équipement, de surcroît non exposés dans le magasin, est confirmée par Mme V... à laquelle Samuel A... avait fait une ristourne de 3 399 euros, de Mme M... à laquelle le directeur du magasin appelé par Osman Z... avait proposé une ristourne de 40 % sur les meubles, de M. P..., auquel, après intervention du directeur du magasin, Osman Z... avait proposé une remise de 38 %, et de M. Q... qui avait bénéficié d’une remise exceptionnelle de 53 % accordée par Léonardo D... ; que le montant même de ces ristournes, dites exceptionnelles, dont certaines avoisinent plus de 50 % apparaît comme une incitation des consommateurs, non avertis sur les prix réels, à signer des bons de commande et dès lors une publicité trompeuse au sens de l’article L. 121-1 du Code de la consommation ». 34. Tromperies.– Ont été jugées comme publicités trompeuses : la remise à chaque client d’un document contractuel mentionnant « l’aménagement sur mesure » de la cuisine ou de la salle de bains proposée alors que, dans les faits, aucune prise de mesure n’était effectuée avant la prise de commande, la validation d’une commande, après le passage du métreur alors que la commande était définitive dès sa signature (Cass. crim., 18 mars 2008, n° 0782.792) ; l’offre d’inscription diffusée par la SARL Annuaire Pro en raison de sa présentation (le document ainsi envoyé, intitulé « Demande d’inscriptionÉpreuve », comportait au recto quatre cases à cocher par le client en fonction de la prestation choisie, dont trois mentionnaient un prix alors que la première d’entre elles, correspondant à l’offre de base, ne faisait état d’aucune tarification et renvoyait à un paragraphe de onze lignes écrites en lettres d’un millimètre, placé en bas de page et consacré notamment au coût de cette prestation, fixé à 845 euros hors taxes par an, et à sa durée de souscription de deux années), de son intitulé, de son absence de précision quant à la spécificité de l’offre elle-même et quant aux prestations offertes, et de la période de diffusion choisie pour coïncider avec les diffusions de Pages Pro et de Pages jaunes notamment. De surcroît, les prospects devaient répondre dans de brefs délais et étaient dès lors incités pour toutes ces raisons à une lecture très superficielle du document litigieux, en-

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DROIT DE LA PUBLICITÉ : BILAN DE L’ANNÉE 2008 (2 DE PARTIE)

tretenant dans leur esprit la confusion avec les autres annuaires professionnels, dont l’inscription de base est gratuite (Cass. crim., 19 févr. 2008, n° 07-83.858) ; le fait d’annoncer des marchandises gratuites alors qu’elles sont livrées en quantités insuffisantes et ont été indisponibles pour des clients à certaines périodes (Cass. crim., 21 oct. 2008, n° 08-82.594) ; le fait d’organiser un jeu de hasard sans aléa, tendant à offrir une semaine d’hébergement gratuite à chaque participant, qui devaient toutefois payer leurs frais de transport à l’agence, dès lors que le but du jeu gagnant est « de faire arriver tous les participants dans un site de vente de “time share” pour faire contracter une vente après avoir fait contracter l’achat des billets d’avion » par l’agence et qu’elle était « incapable de disposer des destinations et résidences annoncées » (Cass. crim., 10 sept. 2008, n° 0880.076). En revanche, il n’y a pas tromperie à annoncer sur le site de la Fédération française des jeux que celui-ci n’est accessible qu’aux personnes majeures, dès lors que le public ne pouvait se méprendre sur le sens du communiqué incriminé qui signifiait qu’en réalité seule la mise d’argent en ligne était interdite aux mineurs, puisque l’internaute doit être, pour lire ledit communiqué, déjà sur le site (Cass. crim., 3 juin 2008, n° 07-13.916). C. – Publicité dénigrante 35.– Voir pt. 31, supra. D. – Publicité et parasitisme 36. Citation de la marque d’autrui dans la publicité.– Dans un arrêt du 4 juillet 2008 (CA Paris, 4 juill. 2008, n° RG : 07/05473), la Cour d’appel de Paris a condamné L’Oréal pour acte de parasitisme pour avoir utilisé la marque MC Peel n° 96 6499233 de la société Sunlab pour la promotion de sa crème ReFinish. Le document publicitaire du produit mentionnait qu’il s’agissait de réaliser une « micro-dermabrasion à domicile, qui serait une technique réalisée par les dermatologues pour rajeunir la peau au moyen d’une exfoliation superficielle de la couche cornée ». Il était précisé que ReFinish permettait d’appliquer plus aisément chez soi cette technique, sans avoir recours à un appareillage lourd tel que, sous entendu, celui commercialisé par la société Sunlab et dont une photographie, figurant en dernière page, montrait la marque MC Peel. Les juges ont estimé que cette reproduc-

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tion est « intervenue dans la vie des affaires et plus spécialement pour la promotion commerciale d’un produit cosmétique supposé avoir la même fonction que l’appareil représenté, mais avec l’avantage sous-entendu de s’y substituer aisément puisqu’il peut être appliqué manuellement à domicile et permet ainsi de faire l’économie du recours au type d’appareil commercialisé par l’appelante ». Le procédé aurait pu être admis s’il avait respecté les conditions de licéité de la publicité comparative, ce qui n’est pas le cas. La Cour relève en effet que « la reprise ainsi faite de la marque, porte atteinte aux droits de son titulaire d’en prohiber l’usage par un tiers, dans la vie des affaires – mais en dehors du cadre de la publicité comparative – pour la promo-

Le ton décalé et l’humour peuvent-ils tout racheter? La réponse pourrait bien être positive à la lecture d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris.

tion de produits destinés à remplacer ceux pour la désignation desquels la marque est exploitée (…). Que par ailleurs, en l’absence de toute comparaison entre les appareils MC Peel et la crème ReFinish – comparaison qui en ferait ressortir objectivement les caractéristiques et les différences – la société L’Oréal ne peut soutenir que cet usage s’inscrirait dans le cadre d’une publicité comparative ». L’Oréal est donc condamnée pour contrefaçon, mais pas au titre de concurrence déloyale, les faits n’étant pas distincts. 37. Ambush marketing et humour.– Le ton décalé et l’humour peuvent-ils tout racheter ? La réponse pourrait bien être positive à la lecture d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 7 mars 2008. En l’espèce, le magazine TÊTU avait présenté son numéro de l’été 2004 comme « Spécial JO d’Athènes » en reprenant les couleurs de l’emblème olympique et en faisant certains jeux de mots alliant les termes d’Olympiades, de Jeux olympiques à celui de sexe… Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) s’est ému de cette utilisation et a tenté de la faire sanctionner pour at-

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teinte aux marques et parasitisme, l’une des voies d’appréhension de l’ambush marketing (cf. Arcelin-Lécuyer L., De la difficulté d’appréhender l’opportunisme commercial : l’exemple de l’ambush marketing, D. 2008, p. 1501). La Cour d’appel

rejette la demande. Tout d’abord, elle précise que si l’article L. 141-5 du Code du sport dispose que « le Comité national olympique et sportif français est propriétaire des emblèmes olympiques nationaux et dépositaire de la devise, de l’hymne, du symbole olympique et des termes Jeux Olympiques et Olympiades », il demeure que l’article n’assure pas une protection absolue de ces signes. Concernant ensuite l’emploi des termes, les juges relèvent que la société éditrice n’a nullement cherché à s’associer à l’événement sportif mais que les références aux « Olympiades » s’inscrivent dans un propos à l’évidence ludique et humoristique, non dénigrant, et ne sauraient dès lors caractériser une exploitation injustifiée du signe « Olympiades ». Dans le même sens, le ton humoristique, non dénigrant et distancé, de l’emploi de la marque « Jeux Olympiques » n’est pas de nature à causer un préjudice au titulaire de droits et pas davantage à caractériser une exploitation injustifiée de cette dernière. Quant à la reproduction des couleurs, elles « font référence à celles associées habituellement à la communauté homosexuelle ; il s’est en l’espèce simplement agi d’une forme de clin d’œil à partir d’une référence au “rainbow flag”, drapeau de cette communauté, qui se présente sous la forme d’une bannière tandis que les couleurs olympiques sont celles des anneaux symbolisant les jeux qu’elle n’a nullement reproduits ». Il ne saurait y avoir parasitisme ni d’ailleurs pour la reprise de chacun des signes pris isolément ou l’emploi de l’ensemble de ceuxci dans la mesure où « le contexte de la reprise de ces références sportives, le ton décalé et l’humour qui la sous-tend préviennent la réalisation d’un préjudice que le CNOSF se borne d’ailleurs à alléguer sans en justifier ». Décidément, avec le sourire tout passe mieux… Mais c’est aussi, comme le souligne la Cour d’appel, et peut-être surtout le contexte de la reprise qui légitime celle-ci. L’ambush marketing consiste à s’associer à l’événement sans bourse délier. Or, c’est cette volonté d’association à la manifestation qui fait défaut en l’espèce. Nul doute que personne n’aura cru que TÊTU était par là sponsor officiel des JO… ◆

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Face à la crise mondiale, certaines voix plaident en faveur d’un aménagement de la politique de la concurrence : répressive à l’égard des entreprises, la politique de la concurrence devrait tenir compte des difficultés économiques rencontrées par ces dernières et adopter en temps de crise une attitude plus clémente. Cet article passe en revue les arguments venant au soutien de cette thèse et envisage les conséquences d’un changement d’attitude de la part des autorités de concurrence. Un éclairage particulier est donné au cas du secteur bancaire.

Politique de la concurrence et faillites bancaires Les éclairages de la théorie économique Par Anne PERROT Vice-présidente de l’Autorité de la concurrence

Les étapes successives de la crise mondiale actuelle conduisent tour à tour acteurs économiques et décideurs de politique publique à s’interroger sur le rôle que devraient jouer les instruments qu’ils ont entre les mains dans l’arsenal des remèdes aux désordres de l’économie réelle et financière. D’abord convoqués à cette remise en cause, les banques, les établissements de crédit et les agences de notation, mais aussi leurs régulateurs, pris en défaut d’avoir pu empêcher les prises de risque inconsidérées et la mise en marché d’instruments financiers vecteurs de transmission des actifs « pourris ». Les instances de gouvernance des entreprises, ensuite, accusées d’avoir distribué salaires et bonus en donnant à leurs salariés et à leurs responsables des incitations perverses, menant à des décisions inadéquates. Les États eux-mêmes, mis en cause pour leur intervention, jugée trop timide et trop tardive par ceux qui préconisent des politiques de relance plus massives, ou au contraire trop intrusive aux yeux de ceux qui font encore confiance aux seuls mécanismes de marché pour trouver l’issue de la débâcle (1). À son tour, la politique de la concurrence est interrogée sur la pertinence de ses actions dans une conjoncture aussi particulière, et sur la question de savoir s’il convient d’en amender la mise en

œuvre. Les principes qui guident les autorités de concurrence peuvent grossièrement être résumés comme suit : pour la plupart des secteurs économiques, les mécanismes de marché donnent aux entreprises des incitations à accroître leur efficacité productive et à en redistribuer les fruits aux autres agents. Ils aident à sélectionner les bons projets d’investissement, attirent les entreprises efficaces et chassent les autres ou les poussent à améliorer coût et qualité. Pour permettre le jeu de ces mécanismes vertueux, la loi interdit et les autorités de concurrence corrigent et sanctionnent les entraves à la concurrence. La répression des ententes ou des abus de position dominante, le contrôle ex ante des opérations de concentration, et au niveau communautaire celui des aides accordées par les États, poursuivent tous ce même objectif : empêcher que le pouvoir de marché que détiennent soit les entreprises dominantes, soit des groupes d’entreprises agissant de façon collusive soit utilisé pour fausser le jeu de la concurrence et priver les consommateurs de ses bénéfices. En temps de crise économique, les entreprises souffrent de multiples manières et sur tous les fronts : chute de la demande, incertitude sur le futur, difficultés à trouver des financements auprès des marchés financiers ou du système bancaire, licenciements. Ces difficultés aux nombreuses facettes ont conduit récemment certaines voix, venant principalement des milieux politiques, mais aussi, et c’est plus compréhensible, des entreprises elles-mêmes, à réclamer non l’abandon mais au moins une applica-

tion plus lâche des règles de concurrence, celles-ci étant dans ce raisonnement supposées faire obstacle à la guérison des économies malades. Évidemment, les autorités de la concurrence s’en sont défendues, arguant de ce que la concurrence serait « une partie de la solution et non une partie du problème », comme l’a répété à plusieurs reprises Neelie Kroes, Commissaire européenne à la concurrence, depuis le mois d’octobre 2008. Pourtant, la tentation est grande de recourir à des solutions apparemment simples comme la restriction des échanges internationaux pour protéger les entreprises domestiques ou le recours aux contribuables pour pallier la désertion des consommateurs ou les défaillances des banquiers. Ces derniers sont depuis l’automne 2008 l’objet de toutes les attentions : d’un côté accusées d’avoir provoqué la crise financière par leurs comportements spéculatifs, puis de l’avoir propagée au monde réel par la restriction du crédit, les banques sont d’un autre côté sous l’œil inquiet des dirigeants des grands pays, qui ne cessent de mettre sur pied plans de redressement ou rachat des actifs toxiques, et d’encourager des concentrations entre établissements bancaires supposées rétablir la situation des plus fragiles. La transmission rapide de la crise financière aux autres secteurs de l’économie semble justifier cette attention portée au secteur bancaire et la volonté de trouver des remèdes à un pan de l’économie qui ne s’est pourtant pas illustré par des décisions particulièrement avisées : de l’octroi massif de crédits à des

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Cet article reprend une intervention présentée au Colloque organisé le 20 mars 2009 par la Chambre de commerce internationale sur le thème « Le droit de la concurrence face à la crise mondiale ».

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POLITIQUE DE LA CONCURRENCE ET FAILLITES BANCAIRES – LES ÉCLAIRAGES DE LA THÉORIE ÉCONOMIQUE

ménages non solvables au processus de titrisation, ce sont bien les établissements de crédit qui ont transmis le retournement du marché de l’immobilier américain et la réalisation corrélative des risques de défaut des américains surendettés à l’économie mondiale. Au-delà du débat qui oppose les vieux poncifs de l’interventionnisme et du laisser-faire, les enseignements de la théorie économique peuvent-ils contribuer à éclairer les questions que pose l’application de la politique de la concurrence en temps de crise, et au secteur bancaire en particulier ? C’est ce que nous examinerons en deux temps. Le premier répondra aux arguments qui invitent à une altération générale de la politique de la concurrence en temps de crise, en examinant d’une part les bénéfices et pertes collectifs associés à un fonctionnement concurrentiel des marchés et à l’action des autorités de concurrence, notamment durant les récessions, et en envisageant d’autre part les différents angles sous lesquels la politique de la concurrence pourrait voir son application relâchée. Le second temps s’attachera à la situation particulière des banques et à la question de savoir si ce secteur possède des caractéristiques de nature à justifier un traitement différencié du secteur bancaire par temps de crise.

A. – Infléchir les objectifs de la politique de la concurrence ? La réponse à cette question mérite d’être abordée sous l’angle de la perspective temporelle de la politique de la concurrence et de sa place au sein du spectre des autres instruments de politique économique. L’horizon de la politique de la concurrence est le moyen terme. Si, bien sûr, certains de ses effets se manifestent rapidement (le retour à la concurrence par les prix après le démantèlement d’un cartel par exemple), bien des bénéfices tirés d’un fonctionnement concurrentiel des marchés ne se manifestent qu’après un certain temps. Tel est le cas des mécanismes de sélection des entreprises, qui font progressivement sortir du marché les produits de mauvaise qualité et les entreprises aux coûts trop élevés, et attirent au contraire les plus performantes. Ce mouvement « démographique », qui se traduit in fine par une baisse tendancielle des prix, liée à la transmission des réductions de coûts aux consommateurs, par l’augmentation de la qualité et de la diversité des produits, par des innovations, prend du temps. Il découle d’une situation où les entreprises les moins performantes ne sont pas soutenues à rebours des mécanismes concurrentiels spontanés tendant à les éliminer et où les plus productives ne se voient pas restreindre l’accès au marché (cf., pour une quan-

I. – DOIT-ON MODIFIER L’APPLICATION DE LA POLITIQUE DE LA CONCURRENCE EN TEMPS DE CRISE ?

tification de ces effets le Livre blanc britannique de 2001, « Productivity and Enterprise : a World Class Competition Regime », dont les conclusions ont été confirmées par de nombreuses autres études). Ce processus long

Rares sont, en temps de crise, les avocats de la politique de la concurrence. En effet les victimes les plus apparentes des crises sont les entreprises. La politique de la concurrence, répressive à leur égard, est dès lors vécue comme une contrainte de plus dont les entreprises devraient pouvoir s’affranchir en période de récession. Les sorties du marché des entreprises défaillantes, nombreuses pendant les crises, sont perçues à juste titre comme coûteuses sur le plan collectif. Il faudrait donc protéger les profits des entreprises (et partant les salariés), les consommateurs quant à eux, n’ayant plus qu’à s’accommoder de cet environnement défavorable à leurs intérêts. Ces arguments portent, on le voit, sur deux aspects différents de la politique de la concurrence : la question de l’infléchissement de ses objectifs (A), et celle d’une mise en œuvre différente de ses outils en temps de crise (B), questions qui seront successivement examinées.

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n’est pas, bien sûr, celui qui est observé dans les phases de contraction de l’activité, qui entraînent des défaillances brutales d’entreprises confrontées à la chute de leur demande. Les périodes de reprise quant à elles peuvent être marquées par de fortes hausses de productivité parce que la récession a accéléré la sortie des entreprises les moins performantes. Dans un souci de préserver la reprise et la productivité à plus long terme, il peut être paradoxalement inutile de s’opposer à la rapidité de ce mécanisme de sélection. Les pertes de bien-être, elles, sont ressenties à court terme : les fermetures ou les délocalisations d’entreprises, les pertes d’emploi, la désertification et l’appauvrissement des régions les plus touchées par ces processus sont évidemment bien réels et coûtent à ceux qui les subissent, un prix qui paraît sans commune mesure avec les lointains – donc hypothétiques – bénéfices du retour à la productivité future. La question principale en réalité est celle de savoir quel est l’outil le plus adapté

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à la correction de ces effets négatifs, voire dramatiques, qui n’apparaissent pas exclusivement lors des crises généralisées. En période de conjoncture normale, on entend parfois soutenir l’idée que la politique de la concurrence devrait « tenir compte de l’emploi », ce qui est évidemment dérogatoire vis-à-vis de l’objectif qui lui est assigné (défendre les intérêts des consommateurs et non ceux des salariés). Intégrer un tel objectif à l’analyse concurrentielle est dangereux, y compris vis-à-vis du but recherché : la politique de la concurrence ne peut avoir qu’une vision locale et au cas par cas des créations et destructions d’emploi : ainsi, à l’occasion d’une concentration par exemple, on observe que certaines restructurations industrielles sont souvent « localement » défavorables à l’emploi – la concentration détruit des emplois –, alors qu’elles sont « globalement » bénéfiques au niveau sectoriel, y compris pour l’emploi, si elles s’accompagnent de rationalisations de la production, de gains de productivité qui permettent d’abaisser les prix et d’accroître la demande. D’une façon plus générale, une concentration peut n’être que la partie visible d’un processus plus vaste de redéploiement des ressources intra et intersectorielles potentiellement créateur d’emploi (pour une analyse des processus de création et destruction d’emploi, cf. Cahuc P. et Zylberberg A., Le chômage, fatalité ou nécessité, Flammarion, 2004). Demander à la politique de la

concurrence, par exemple lors du contrôle d’une concentration, de prendre en compte des objectifs éloignés des siens est au mieux inefficace, au pire contre-productif : pourquoi privilégier les salariés des entreprises concernées par la fusion au détriment potentiel des autres salariés du secteur ou de ceux des autres secteurs ? Les autorités n’ont ni les moyens, ni la compétence pour appréhender les effets sur l’emploi global d’une concentration donnée. Mieux vaut dès lors utiliser des outils appropriés (politique générale de l’emploi, mise en œuvre de mesures de protection sociale ou de reclassement et accompagnement des chômeurs éventuels) plutôt que de distordre les objectifs d’une politique qui n’est pas conçue pour cela. Par ailleurs, l’infléchissement des décisions en faveur de l’emploi localement concerné aboutirait simplement à transférer des rentes des consommateurs vers les salariés. De tels mécanismes redistributifs relèvent clairement de choix politiques et n’ont pas à être entre les mains des autorités de concurrence. Cet argument prévaut aussi lors des périodes de crise : amender la politique de

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B. – Infléchir la mise en œuvre de la politique de la concurrence : par quelles voies ? Les pouvoirs publics et les autorités de concurrence chargées de les contrôler en la matière peuvent décider de distribuer plus généreusement des aides d’État. En théorie, ce type d’intervention peut permettre de pallier la « myopie » des marchés financiers et les restrictions de crédit bancaire, en aidant temporairement les entreprises en difficulté à surmonter une période de crise. Le problème habituel que soulève ce type d’aide est bien connu depuis les travaux de Laffont et Tirole (cf., par exemple, Laffont J.-J. et Tirole J., A Theory of Incentives in Procurement and Regulation, MIT Press, Cambridge, 1993) : la puissance publique

souffre d’un déficit d’information sur les performances des entreprises, ne sait pas distinguer les entreprises efficaces des autres et est ainsi très mal placée pour distribuer efficacement ses aides. Le risque est donc grand d’aider des entreprises qui ne devraient pas l’être, soit parce qu’elles profitent de façon opportuniste des aides, soit parce qu’indépendamment de toute récession ces entreprises seront amenées à disparaître du fait de leur inefficacité. Dans ce cas, ce sont donc les contribuables qui in fine paieront les erreurs. Malgré tout, certains facteurs rendent les aides d’État sans doute moins dangereuses que d’autres types d’interventions publiques, car elles sont susceptibles d’être octroyées conditionnellement à certaines actions des entreprises et d’être remboursables une fois la crise surmontée. Autre possibilité : accepter des concentrations anticoncurrentielles. Le paysage est ici moins riant : une concentration est un processus qui engage l’avenir pour longtemps. Laisser les structures de marché évoluer, à la faveur d’une crise né-

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cessairement temporaire quelle que soit son ampleur, vers des structures pérennes et qui permettront sur une longue période l’exploitation du pouvoir de marché ainsi acquis, c’est laisser cette fois-ci les consommateurs payer les difficultés des entreprises et leur imposer des transferts en faveur d’entreprises qui auront acquis leur position par d’autres moyens que par leurs mérites. Les structures de marché ainsi constituées seront à long terme inefficaces, collectivement coûteuses et sources de distorsions importantes, permanentes et difficiles à corriger. Faut-il alors être moins sévère avec les pratiques anticoncurrentielles que sont les cartels de crise ou les abus de position dominante ?

Le cartel de crise est certes profitable aux entreprises « insiders » qui en sont membres mais préjudiciable à la collectivité.

Les cartels de crise ont typiquement pour objectif de répartir entre les participants les baisses de demande caractéristiques des récessions. Les secteurs touchés par de telles récessions se trouvent en situation de surcapacités de production et l’ajustement aux nouvelles conditions de demande appelle souvent la destruction de certains actifs. Si on laisse le marché faire disparaître les surcapacités, ce sont d’abord les sites de production les plus inefficaces ou les lignes de production les moins demandées qui disparaîtront : en d’autres termes, le marché élimine d’abord les actifs les moins valorisés collectivement. Ce mécanisme spontané, une fois encore, n’exclut aucunement l’appui de plans d’accompagnement publics aidant les salariés laissés-pourcompte. Les cartels de crise, quant à eux, poursuivent un objectif de la maximisation du profit de leurs membres. Si le cartel se charge de décider du rythme et de l’identité des actifs qui doivent être sacrifiés, il le fera dans un objectif de maintien des profits de ses membres, en ajoutant souvent à cette action d’autres mesures défensives comme la fermeture du marché aux concurrents. Les solutions résultant du jeu concurrentiel de la gestion de la crise et de celles mises en place par un cartel diffèrent : le cartel de crise est certes profitable aux entreprises « insiders » qui en sont membres mais

préjudiciable à la collectivité (entreprises outsiders, consommateurs…). Il distord les signaux de prix, retarde les restructurations sans jamais les éviter à long terme, s’octroie des rentes prélevées sur les acheteurs, retarde l’allocation des ressources vers des secteurs plus productifs. Encore une fois, il vaudrait mieux faire payer non par les acheteurs mais par des transferts sociaux « conscients » les pertes de bien-être des acteurs touchés. Les abus de position dominante, notamment lorsqu’ils sont destinés à empêcher l’entrée de nouveaux concurrents, peuvent faire l’objet de la même analyse. Dernier recul possible de la politique de la concurrence en temps de crise : moduler les sanctions pour tenir compte de la situation défavorable du marché. Si une telle modulation est moins aisée au niveau communautaire, où les sanctions ont un caractère généralement forfaitaire, elle peut être envisagée par les autorités françaises, pour deux raisons. D’abord, le droit français de la concurrence prévoit que la sanction doit être proportionnée au dommage à l’économie que la pratique a engendré. En cas de crise dans un secteur, ce dommage peut être réduit en valeur absolue du fait de la baisse de l’activité : le nombre et la valeur des transactions baissant, la pratique anticoncurrentielle affecte un volume d’affaires moins important et le dommage s’en trouve évidemment amoindri. Pour autant, il peut demeurer inchangé en termes relatifs lorsqu’on le rapporte au marché affecté. Par ailleurs, le dommage à l’économie évoqué par le Code de commerce est une notion d’ordre qualitatif et non quantitatif. Pour toutes ces raisons, il serait imprudent de tirer des conséquences mécaniques de la simple existence d’une crise sectorielle et, à plus forte raison, d’une crise générale. Ensuite, les dispositions légales prévoient aussi que les sanctions tiennent compte de la situation particulière de l’entreprise. Ces deux éléments expliquent que les sanctions reflètent notamment le contexte particulier dans lequel se trouve l’entreprise sanctionnée, qui peut être celui d’une récession. Mais la jurisprudence montre qu’il ne suffit pas d’alléguer l’existence d’une crise : celle-ci doit présenter certaines caractéristiques dont l’impact sur l’entreprise doit être démontré concrètement. Enfin, il est possible à l’entreprise en difficulté financière d’obtenir, dans certaines conditions, des délais permettant d’échelonner le paiement d’une sanction. Une conclusion générale peut être tirée de ces considérations : préconiser une moindre rigueur des politiques de concurrence en temps de crise revient,

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PERSPECTIVES ÉTUDE

la concurrence pour protéger les entreprises, l’emploi et les salariés menacés n’est pas efficace pour plusieurs raisons. Comme dans l’exemple précédent, d’autres outils élaborés précisément pour répondre à ces problèmes économiques existent et sont mieux ciblés. S’il s’agit d’aider les entreprises à préserver leurs actifs durant la crise, d’autres mesures (aides ciblées et ponctuelles) sont sans doute plus adaptées. Ensuite, entraver les restructurations liées à une crise économique peut retarder l’adoption de certaines technologies plus économes (en énergie, en travail). Examinons maintenant plus en détail quels seraient les moyens d’aboutir à un tel « adoucissement » des politiques de concurrence.

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POLITIQUE DE LA CONCURRENCE ET FAILLITES BANCAIRES – LES ÉCLAIRAGES DE LA THÉORIE ÉCONOMIQUE

à court terme, à faire payer les consommateurs et, à long terme, à retarder les ajustements sectoriels qui pourraient aider à une reprise plus rapide de la productivité en sortie de crise. Or les consommateurs disposent de peu de moyens de se faire entendre du fait de leur atomisation et souffrent eux aussi des chutes de revenus en cas de récession. Par ailleurs, le prix à payer à plus long terme en matière de productivité peut être élevé. Tous ces arguments plaident donc en faveur d’un maintien des objectifs poursuivis par les autorités de concurrence et d’une application de la loi en matière de sanction.

II. – FAILLITES BANCAIRES ET POLITIQUE DE LA CONCURRENCE Venons-en maintenant à l’analyse plus particulière du secteur bancaire. Deux questions doivent être examinées : celle des caractéristiques du secteur bancaire qui lui feraient jouer un rôle spécifique (A), et celle de l’attitude que devraient avoir à son égard les acteurs des politiques publiques et notamment de la concurrence (B). A. – Les banques : un secteur particulier ? Les banques peuvent être vues comme de simples offreurs de services financiers : cette délimitation étroite de leur rôle n’invite pas à les envisager sous un angle différent des autres secteurs de services. C’est méconnaître une série de caractéristiques qui leur sont propres (cf. Vickers J., The Financial Crisis and Competition Policy : Some Economics, Global Competition Policy, déc. 2008). Tout d’abord, les banques entretiennent entre elles des liens très étroits : on parle d’ailleurs du « système bancaire », mais non du « système pharmaceutique » ou automobile et la sémantique traduit bien l’idée que les banques forment un ensemble d’agents économiques liés entre eux. Ces liens proviennent des mécanismes de refinancement interbancaire, des commissions d’interchange liées à la mise en place de systèmes de paiement interconnectés (comme les cartes bancaires), de la participation à des marchés financiers communs où les phénomènes spéculatifs et la propagation des risques touchent tous les établissements financiers et de crédit. Ce secteur est ainsi le lieu « d’externalités horizontales » : la faillite d’une banque peut de proche en proche entraîner celle de toutes les autres et c’est ce risque « systémique » que les États et la régulation cherchent en premier lieu à éviter.

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Ensuite, du fait de leur rôle dans le financement de l’économie, les banques exercent des externalités en direction de tous les secteurs d’activité : le « credit crunch » ou resserrement du crédit, selon qu’il contraint les particuliers ou les entreprises, interdit les achats immobiliers et le crédit à la consommation, entrave le développement des entreprises, empêche les investissements de se concrétiser, limite les possibilités de fusions entre entreprises, accélérant ainsi les chutes de production, la baisse de la consommation et des investissements et propageant à l’économie toute entière les difficultés du secteur bancaire et financier. Ces « externalités verticales », qui s’ajoutent aux facteurs systémiques horizontaux évoqués précédemment, placent le secteur bancaire dans une position particulièrement sensible.

La faillite d’une banque peut de proche en proche entraîner celle de toutes les autres et c’est ce risque « systémique » que les États et la régulation cherchent en premier lieu à éviter. L’État peut-il se substituer à un système bancaire défaillant et financer l’économie à sa place ? Cette question mériterait une réponse plus détaillée que ne le permet cet article. Certains arguments plaident en faveur d’une renationalisation du système bancaire. Il faut constater que peu ou prou ce processus est déjà en cours sous diverses formes. D’autres, au contraire, soulignent que si l’on attribue à la « finance folle » la responsabilité de la crise actuelle, c’est aussi, a contrario, la libéralisation des marchés de capitaux et l’ouverture à la concurrence du secteur financier qui ont permis le développement des investissements et la croissance depuis vingt ans. Certains problèmes, de nature informationnelle, déjà évoqués, interviennent aussi dans ce débat. Les banques sont, comme la puissance publique, dans une position de déficit informationnel par rapport aux entreprises mais contrairement à elle, disposent de plus de moyens pour y faire face. Elles mettent au point des méthodes de filtre destinées à départager les bons et les mauvais projets (même si la crise actuelle témoigne du caractère imparfait de cette discrimination), donnent des incitations aux entreprises à révéler des informations sur leurs

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coûts et la qualité de leurs projets d’investissement. La nécessité de faire du profit avec les crédits distribués incite les banques à mettre en place toute une série de mécanismes incitatifs à la révélation d’informations et d’apprentissage sur les caractéristiques des entreprises. Le fait que les banques soient en concurrence pour attirer les différents types de clientèle (particuliers, divers segments d’entreprises) joue évidemment un rôle dans l’efficacité avec laquelle elles mettent en place ces mécanismes de collecte des informations. Dès lors, laisser le système bancaire aller à la faillite, c’est non seulement perdre le bénéfice de son activité économique directe mais aussi sa capacité à extraire de l’information mieux que l’État ne saurait le faire. De cet effondrement du système bancaire découlerait donc un arrêt du financement de l’économie et l’incapacité de la puissance publique à prendre le relais. Ces caractéristiques font bien du secteur bancaire un secteur à part : laisser le textile ou l’élevage péricliter a des conséquences négatives évidemment tangibles, mais à peu de choses près limitées aux seules activités concernées. Tel n’est pas le cas du système bancaire et la crise actuelle démontre à suffisance que concentrer les efforts sur l’assainissement de ce secteur est justifié. B. – Régulation ou politique de la concurrence ? Les éléments qui précèdent et qui soulignent le rôle pivot joué par les banques expliquent le problème crucial de crédibilité auquel se heurte un État qui voudrait mettre en place une politique de discipline ou de sanction à l’égard des banques : ex ante, la puissance publique a intérêt à annoncer qu’elle ne sauvera pas les banques en perdition, pour les inciter à se comporter de façon prudente et rationnelle. Ex post en revanche, une fois qu’une banque est en difficulté, le risque de voir se propager la défaillance de l’une à tout le système bancaire peut être élevé – et ses conséquences en être alors tellement désastreuses – que l’État a intérêt à ne pas respecter cet engagement : son application serait trop coûteuse en raison des externalités négatives entraînées sur toute l’économie par une faillite du système bancaire. En d’autres termes, cette annonce ex ante n’est pas crédible, ce que les économistes qualifient de problème d’engagement (commitment). Comme ce défaut de crédibilité est parfaitement anticipé et compris par les banques, il constitue en fait une incitation pour elles à se comporter imprudemment. C’est donc

Droit I Économie I Régulation

Droit I Économie I Régulation

notent. Les autorités de concurrence ont l’habitude de traiter ce type de situation et peuvent enjoindre à des entreprises de séparer certaines de leurs activités, dont la corrélation empêche le bon fonctionnement concurrentiel, ou de résoudre les problèmes de barrières à l’entrée qui interdisent l’entrée de concurrents. Si les accords de Bâle I poursuivaient le double objectif clairement affiché d’empêcher les comportements anticoncurrentiels de certaines banques sur les marchés internationaux (les banques japonaises notamment) et de définir une politique prudentielle commune, certains spécialistes du système bancaire affirment aujourd’hui que ces objectifs ont été quelque peu oubliés lors de la mise en œuvre des accords de Bâle II (cf., par exemple, pour la défense d’une telle position, Rochet J.-C., Le futur de la réglementation bancaire, Working paper, Toulouse School of Economics, 2008), aux objectifs plus flous et aux

contraintes plus vagues, régulation qui de proche en proche aurait permis les dérives en matière de prise de risque. Dans ce cadre, la politique de la concurrence est bien mal armée pour résoudre le moindre des problèmes de la crise actuelle dans ses aspects bancaires : le traitement des concentrations permet déjà de prendre en compte la défense de l’entreprise défaillante, seul biais par lequel le contrôle des concentrations permet de tenir compte des risques de faillites ; l’analyse des effets unilatéraux ou coordonnés, des banques comme des autres entreprises, reste inchangée en période de crise. On a mentionné les effets de long terme d’une politique laxiste qui accepterait des concentrations anticoncurrentielles. Les ententes ou les abus de position dominante auraient des effets encore plus négatifs sur l’économie qu’en période de conjoncture plus classique, et se montrer plus tolérants à leur égard serait certainement pénalisant pour le

PERSPECTIVES ÉTUDE

l’incapacité pour l’État à se lier les mains par l’annonce d’une politique crédible et coercitive à l’égard des comportements trop risqués qui est finalement à l’origine de la garantie d’impunité dont jouissent les acteurs du système financier. Ex ante, la puissance publique aimerait pouvoir annoncer des politiques sévères (laisser les banques faire faillite), ex post s’y contraindre est trop coûteux et il faut y renoncer. Comment dans ce contexte la politique de la concurrence devrait-elle agir à l’égard du système bancaire ? L’exposé qui précède aura tenté de convaincre que la seule issue au problème d’engagement exposé plus haut est de nature régulatoire et non concurrentielle. Si les gouvernements ne peuvent pas se tenir à une surveillance et à une riposte crédibles aux comportements illégaux ou seulement trop risqués, des autorités de régulation bancaire fortes, dotées d’outils coercitifs, capables d’intervenir au cours du développement des pratiques qui mettent en danger le fonctionnement du secteur bancaire et du reste de l’économie le peuvent. C’est clairement de régulation ex ante qu’il s’agit là, nécessitant un suivi continu du secteur et une capacité d’intervention puissante et très précoce. La politique de la concurrence ne maîtrise aucun de ces outils, intervenant ex post et dans un objectif de discipline des comportements concurrentiels (et non prudentiels) selon les principes qui guident cette « light hand regulation ». La seule contribution que la politique de la concurrence peut avoir l’ambition d’apporter à une telle régulation ex ante concerne l’activité des agences de notation : on n’ose parler de « marché », tant ces agences, dont trois contrôlent 90 % de la notation mondiale, ont des intérêts étroitement reliés avec ceux qu’elles conseillent et

reste de l’économie. Ces comportements anticoncurrentiels nuisent aux acheteurs, c’est-à-dire en l’occurrence les entreprises et les ménages ayant recours aux services des banques. En matière de crédit, on voit ainsi que les restrictions à la concurrence, qui limitent le volume des services échangés, sont particulièrement nuisibles dans une période de crise comme celle que nos économies connaissent, marquée par un resserrement du crédit qui empêche l’alimentation de l’activité économique réelle. En conclusion, on voit que les remèdes à la crise ne sont sans doute pas à rechercher du côté d’une distorsion des objectifs ou d’une application plus laxiste des outils de la politique de la concurrence. Telle qu’elle est mise en œuvre, la politique de la concurrence française tient compte de la conjoncture et des risques de faillite des entreprises pour établir le niveau des sanctions. Elle s’y rapporte encore lorsqu’elle considère les arguments de l’entreprise défaillante en matière de concentrations. Elle examine toujours les gains d’efficacité associés à la mise en œuvre d’une pratique, d’un accord, d’une fusion. Ces instruments permettent d’appliquer pleinement la politique de la concurrence en période de crise. Les banques, quant à elles, jouent un rôle particulier dans le fonctionnement de l’économie, qui justifie certainement un traitement particulier, mais on ne voit pas que la politique de la concurrence soit particulièrement bien dotée pour participer à la régulation ex ante de ce marché, régulation réclamée par la crise actuelle. L’un des enseignements de la théorie économique est que pour mener de bonnes politiques, la puissance publique doit disposer d’autant d’instruments que d’objectifs. Vouloir faire jouer à la politique de la concurrence un rôle pour lequel elle n’est pas taillée dérogerait à ce principe de base, sans doute pour le pire. ◆

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R LC

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La crise économique et financière que le monde traverse actuellement est d’une inédite intensité. De par son acuité, cette crise à la fois mondiale et systémique pousse au questionnement, à l’autocritique et à la remise en cause.

Le droit de la concurrence face aux défis de la crise mondiale (1)

Par François BRUNET Avocat (Cleary, Gottlieb, Steen & Hamilton) Président de la Commission de la concurrence de la Chambre de commerce internationale (Comité français) (2).

INTRODUCTION De manière quasi unanime, les pouvoirs publics au sens large (gouvernements, ministres en charge des Affaires économiques, banques centrales, régulateurs bancaires) se sont exprimés en faveur de réformes significatives de notre système global de régulation financière. De même, certains économistes ont publié de longues chroniques expliquant les raisons pour lesquelles ils s’étaient si lourdement trompés, au point de n’anticiper d’aucune manière une crise, qui paraît bien plus sérieuse encore que la crise de 1929, mais dont chacun espère qu’elle n’aura pas des effets aussi funestes. Dans ce contexte de remise en question, les représentants des principales autorités de la concurrence font entendre une voix différente, en affirmant avant tout la nécessité de rester fermes dans l’application des principes et des règles de droit en vigueur. Ainsi, Mme le Commissaire Neelie Kroes a assuré que les équipes de la DG Concurrence (Commission européenne) n’avaient « aucune intention de faire quoi que ce soit si ce n’est de continuer d’appliquer [le droit de la concurrence] » (Kroes N., Many achievements, more to do, Communiqué Comm. CE n° SPEECH/09/106, 12 mars 2009, p. 5 : « (…) we have no intention of doing anything except maintaining our enforcement and finding ways to speed our economic recovery »). De même,

Mme Christine Varney, secrétaire (1) (2)

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d’État en charge des questions antitrust au Department of Justice (États-Unis), s’est récemment prononcée pour une application vigoureuse des règles antitrust en cette période de crise (Varney Ch., Vigourous Antitrust Enforcement in This Challenging Era – Remarks as Prepared for the United States Chamber of Commerce by Assistant Attorney General Christine A. Varney, discours prononcé devant la chambre de commerce des États-Unis le 12 mai 2009). De manière simi-

laire, M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, a évoqué la nécessité de maintenir le cap dans ce contexte difficile, au motif que le droit de la concurrence « constitue une solution et non un problème » (Lasserre B., L’Autorité de la concurrence, née sous le signe du pouvoir d’achat, maintient le cap en temps de crise », RLC 2009/19, édito).

Enfin, Mme Anne Perrot, vice-présidente de l’Autorité de la concurrence, plaide dans la présente revue « en faveur d’un maintien des objectifs poursuivis par les autorités de la concurrence et d’une application de la loi en matière de sanction » (Perrot A., Politique de la concurrence et faillites bancaires – Les éclairages de la théorie économique, RLC 2009/20, n° 1444).

Ces positions n’ont pas lieu de nous étonner. Il est normal et légitime que les autorités de concurrence rappellent avec fermeté leur intention de maintenir les orientations de leurs politiques de concurrence dans les circonstances présentes. En effet, dans la période de crise actuelle, nul ne paraît considérer qu’il y a lieu de critiquer ou de mettre en cause un excès ou une insuffisance des politiques de concurrence européennes. Bien au contraire, de nombreux observateurs regrettent aujourd’hui que les régulateurs bancaires, financiers et comptables européens n’aient pas ac-

compli aussi consciencieusement leur mission que ne l’ont fait la DG Concurrence, le Bundeskartellamt, l’Office of Fair Trading ou le Conseil de la concurrence (désormais, Autorité de la concurrence). Cela étant, même si les autorités européennes de la concurrence peuvent être fières des résultats qu’elles ont obtenus en matière de régulation économique au cours des dix dernières années, il n’empêche que le système européen de régulation de la concurrence n’est pas parfait et que la crise actuelle, par son acuité et sa brutalité, devrait conduire l’ensemble des parties prenantes (régulateurs, entreprises, conseils) à s’interroger sur les limites du système et les améliorations qu’il serait opportun de lui apporter. Et ce, d’autant plus qu’en dépit de leurs déclarations générales, certaines autorités de concurrence ont déjà amorcé des inflexions significatives. Il en va notamment ainsi pour la Commission européenne dans le domaine des aides d’État. À cet égard, plusieurs questions nous semblent mériter une attention particulière : – la création par la Commission européenne d’un nouveau corpus de règles relatives aux aides d’État applicables uniquement en cas de crise financière mondiale ; – le besoin d’introduire une plus grande « proportionnalité » dans les amendes anticartel ; – la clarification de l’exception dite de « l’entreprise défaillante » en matière de contrôle des concentrations ; et – la nécessité d’un débat sur les accords « multilatéraux » de réduction de capacité.

Cet article fait suite à un colloque organisé le 20 mars 2009 par la Chambre de commerce internationale sur « Le droit de la concurrence face à la crise mondiale ». François Brunet tient à remercier Caroline Medina et Thibaud Delaunois pour leur aide précieuse dans la préparation de cet article.

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Droit I Économie I Régulation

Dans le cadre du plan d’action quinquennal lancé en 2005, la Commission européenne a profondément réformé et modernisé le droit des aides d’État, en visant trois principaux objectifs : des aides d’État moins nombreuses et mieux ciblées, une approche économique plus fine et une procédure plus efficace et plus transparente. Prise à contre-pied par la crise mondiale, la Commission a été obligée de modifier profondément son approche. Confrontée à la multiplication des plans de sauvetage des institutions financières, la Commission a cherché à concilier deux objectifs : (i) l’objectif politique de sauvetage du secteur bancaire et financier et (ii) l’objectif « constitutionnel » du droit européen des aides d’État, à savoir le maintien de règles de jeu équitables pour l’ensemble des entreprises exerçant des activités dans le marché unique européen. Autrement dit, la Commission s’est efforcée de contribuer à la restauration des marchés financiers (en particulier, les marchés interbancaires), tout en veillant à éviter des dommages à plus long terme pour le secteur bancaire (dommages qui résulteraient d’une course aux subventions entre les États membres et d’une dérive vers un protectionnisme financier). Pour concilier ces deux objectifs pour partie contradictoires, la Commission a exhumé l’article 87, paragraphe 3, b) du Traité CE, qui lui permet d’autoriser les aides d’État destinées « à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre » et a mis en place, au fur et à mesure de son expérience en la matière, de nouvelles lignes directrices relatives aux conditions d’autorisation des aides d’État octroyées pour faire face aux conséquences de la crise. Alors que l’article 87, paragraphe 3, b) fait partie du Traité CE depuis sa première rédaction, la Commission n’a presque jamais accepté d’autoriser des aides d’État sur le fondement de cette disposition. La dernière affaire où cet article a été appliqué concernait l’autorisation, en 1987, d’une loi relative au redressement financier des entreprises en Grèce. À cette époque, une vingtaine d’entreprises grecques, représentant environ 20 % de l’emploi industriel de la Grèce, risquaient d’être mises en liquidation à défaut d’application de cette loi (Déc. Comm. n° 88/167/CEE, 7 oct. 1987, JOCE 22 mars

Droit I Économie I Régulation

1988, n° L 76, concernant la loi n° 1386/1983 par laquelle le gouvernement grec accorde une aide à l’industrie grecque).

On comprend ainsi aisément que la Commission ait considéré que les subventions en cause avaient pour objet de « remédier à une perturbation grave de l’économie de l’État membre concerné ». À l’inverse, la Commission a refusé, en 1995, d’autoriser une aide d’État accordée au Crédit Lyonnais sur la base de cette disposition, dès lors que cette aide visait à remédier aux difficultés du seul Crédit Lyonnais, et non pas aux difficultés d’un secteur et que les problèmes du Crédit Lyonnais ne trouvaient pas leur origine dans une crise bancaire systémique, mais dans la politique agressive de crédit et d’investissement de la banque

Des mesures structurelles ne peuvent en principe être autorisées au titre des aides au sauvetage, dans la mesure où le régime des aides aux sauvetages est réservé aux aides à caractère temporaire et réversible. (Déc. Comm. CE n° 95/547, 26 juill. 1995, JOCE 2 déc., n° L 308, portant approbation conditionnée de l’aide accordée par la France à la banque Crédit Lyonnais). De même, les aides d’État octroyées à des banques en difficulté avant octobre 2008 ont été autorisées par la Commission sur le fondement des lignes directrices relatives aux aides au sauvetage et non pas sur le fondement de l’article 87, paragraphe 3, b) du Traité CE (Northern Rock, IKB, Sachsen LB, Bradford & Bingley, Roskilde Bank). Peu après la faillite de Lehman Brothers, la Commission a considéré, ainsi qu’il ressort de la première Communication de la Commission relative aux aides d’État aux institutions financières dans le contexte de la crise, en date du 13 octobre 2008, que les aides d’État aux institutions financières pouvaient être autorisées sur la base de l’article 87, paragraphe 3, b) du Traité CE, « eu égard au degré de gravité atteint par la crise qui touche aujourd’hui les marchés financiers et à l’incidence possible de celle-ci sur l’économie globale des États membres » (Communication Comm. CE, JOUE 25 oct. 2008, n° C 270, Application des règles en matière d’aides d’État aux mesures prises en rapport avec les institutions financières dans le contexte de la crise financière mondiale).

Alors que la Commission avait d’abord estimé, dans cette Communication, que le recours à l’article 87, paragraphe 3, b) ne pouvait pas être envisagé, par principe, dans des situations de crise touchant

PERSPECTIVES ÉTUDE

I. – LE DROIT DES AIDES D’ÉTAT : LA CRÉATION PRAGMATIQUE D’UN NOUVEAU CORPUS DE RÈGLES APPLICABLES EN CAS DE CRISE FINANCIÈRE MONDIALE

des secteurs autres que le secteur financier (pour lesquels il n’existe pas de risque de répercussions sur l’économie globale), la Commission a finalement décidé, dans une autre Communication, en date du 17 décembre 2008, relative au cadre communautaire temporaire pour les aides d’État destinées à favoriser l’accès au financement dans le contexte de la crise économique et financière, que, eu égard à la gravité de la crise financière, certaines catégories d’aides aux autres secteurs de l’économie pouvaient être autorisées sur la base de l’article 87, paragraphe 3, b) (Communication Comm. CE, JOUE 7 avr. 2009, n° C 83, Cadre communautaire temporaire pour les aides d’État destinées à favoriser l’accès au financement dans le contexte de la crise économique et financière actuelle).

L’invocation de cette disposition a permis à la Commission d’éviter l’application des conditions strictes d’autorisation des aides au sauvetage. Selon les lignes directrices communautaires concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté (JOUE 1er oct. 2004, n° C 244), les aides au sauvetage ne peuvent être octroyées qu’à des entreprises en difficulté (elles sont définies par les lignes directrices comme les entreprises qui sont incapables, avec leurs ressources propres ou avec les fonds que sont prêts à leur apporter leurs propriétaires/actionnaires ou créanciers, d’enrayer les pertes, qui les conduiraient, en l’absence d’une intervention extérieure des pouvoirs publics, vers une mort économique quasi certaine à court ou moyen terme). Par ailleurs, des mesures structu-

relles ne peuvent en principe être autorisées au titre des aides au sauvetage, dans la mesure où le régime des aides aux sauvetages est réservé aux aides à caractère temporaire et réversible. Des mesures structurelles ne peuvent être autorisées qu’au titre des aides à la restructuration, lesquelles sont subordonnées à la mise en œuvre d’un plan de restructuration préalablement homologué par la Commission européenne. Les Communications successives prises par la Commission pour adapter le droit des aides d’État aux différentes étapes de la crise, se décomposent de la manière suivante : – la première Communication relative aux aides d’État aux institutions financières dans le contexte de la crise, en date du 13 octobre 2008, fournit des indications sur les critères de compatibilité des différentes mesures d’aide prises par les États en faveur des institutions financières et développe tout particulièrement les conditions d’autorisation des régimes de garantie de dettes : ainsi, les régimes de garanties doivent bénéficier à toutes les institutions de l’État concerné, y compris les filiales d’entreprises établies dans un autre État ; les garanties ne doivent

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LE DROIT DE LA CONCURRENCE FACE AUX DÉFIS DE LA CRISE MONDIALE

couvrir que les dettes dont la couverture est nécessaire pour faire face à la crise (dépôts des particuliers et certains types de dépôts interbancaires), et doivent être limitées dans le temps au minimum nécessaire; les bénéficiaires doivent apporter « une contribution significative » au coût de la garantie et, s’il était fait appel à la garantie, au coût de l’intervention de l’État (les frais liés à l’octroi de la garantie doivent se rapprocher d’un niveau pouvant être considéré comme un prix de marché, même si la détermination d’un tel prix est un exercice difficile) ; enfin, les régimes de

garantie doivent prévoir des garde-fous pour éviter les retombées négatives sur les banques n’en bénéficiant pas (restrictions comportementales qui peuvent concerner, par exemple, les prix pratiqués ou le développement des activités, limitation de la taille du bilan, limitation de la croissance externe).

À cet égard, la conciliation entre les objectifs de politique publique et de droit de la concurrence semble parfois difficile ; ainsi, la limitation de la croissance du bilan risque d’aboutir à limiter le montant de crédit à l’économie réelle, alors que c’est l’objectif principal des aides aux institutions financières. – Confrontée à la multiplication des plans de recapitalisation par les États membres, la Commission a précisé les conditions relatives à l’autorisation des aides d’État sous forme de recapitalisation dans une Communication en date du 5 décembre 2008 (Communication Comm. CE, JOUE 15 janv. 2009, n° C 010, Recapitalisation des établissements financiers dans le contexte de la crise financière actuelle : limitation de l’aide au minimum nécessaire et garde-fous contre les distorsions indues de concurrence) : ainsi, quel que soit l’ins-

trument financier choisi pour procéder à la recapitalisation, le prix d’émission doit être proche des prix du marché pour limiter les distorsions de concurrence (en tenant compte de la situation de chaque établissement – profil de risque, niveau de solvabilité, distinction entre les banques fondamentalement saines et les autres); le niveau de rémunération de la recapitalisation par la banque doit être raisonnablement élevé pour inciter la banque à remplacer le capital public par du capital privé dès la fin de la crise; la mesure d’aide doit prévoir des garde-fous (par exemple, politique restrictive en matière de dividendes, plafonnement de la rémunération des dirigeants, obligation de maintenir un ratio de solvabilité élevé); un réexamen des effets de la recapitalisation doit être effectué six mois après la recapitalisation ; – après l’annonce par les États membres de leur intention de compléter leurs mesures d’aides existantes en adoptant des plans de sauvetage des actifs bancaires dépréciés, la Commission a, dans une nouvelle Communication en date du

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25 février 2009 (Communication Comm. CE, 25 févr. 2009, JOUE 26 mars 2009, n° C 072, concernant le traitement des actifs dépréciés dans le secteur bancaire de la Communauté), indiqué aux États membres les

conditions d’autorisation d’aides sous forme de garanties ou de rachats des actifs dits « toxiques » : les banques doivent évaluer ex ante la valeur économique réelle des actifs (experts indépendants, certification par les autorités de supervision bancaire); la valorisation des actifs doit être validée par la Commission sur la base de critères d’appréciation uniformes ; les coûts liés aux actifs dépréciés doivent être partagés entre les actionnaires, les créanciers et l’État ; la mesure doit prévoir une rémunération adéquate de l’État; la banque doit prendre

Quel que soit l’instrument financier choisi pour procéder à la recapitalisation, le prix d’émission doit être proche des prix du marché pour limiter les distorsions de concurrence. en charge les pertes découlant de l’évaluation des actifs sur la base de leur valeur économique réelle ; – par ailleurs, lorsque les effets de la crise financière sur l’économie réelle se sont fait sentir, la Commission a adopté un cadre temporaire, en date du 17 décembre 2008, dotant les États membres de possibilités supplémentaires à titre temporaire, afin d’aider les entreprises des autres secteurs que le secteur bancaire et financier, et notamment les PME, à faire face à la crise (Communication Comm. CE, JOUE 7 avr. 2009, n° C 83, Cadre communautaire temporaire pour les aides d’État destinées à favoriser l’accès au financement dans le contexte de la crise économique et financière actuelle). Il s’agit essentiellement

d’une adaptation des instruments existants : aides « de minimis » à hauteur de 500 000 euros par entreprise, au lieu de 200 000 euros, ainsi que le règlement « de minimis » le prévoit, aides sous forme de garantie avec une réduction de la prime annuelle, aides sous forme de taux d’intérêt bonifié dont la formule tient compte des circonstances exceptionnelles, aides aux investissements dans la production de « produits verts », apports de l’État en capital-investissement dans les PME dont le montant est limité à 2,5 millions d’euros par PME et par période de 12 mois (au lieu de 1,5 million ainsi que les lignes directrices relatives au capital-investissement le prévoient) ;

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– enfin, alors que de nombreuses aides aux institutions financières ont été autorisées de manière temporaire sous réserve de l’homologation par la Commission d’un plan de restructuration dans les six mois suivant l’octroi de l’aide, la Commission vient d’adopter une nouvelle Communication dans laquelle elle présente les critères de son appréciation des aides à la restructuration des banques dans le contexte de la crise (Communication Comm. CE, 23 juill. 2009, non encore publiée au JOUE, concernant le retour à la viabilité et l’évaluation des mesures de restructuration dans le secteur financier dans le contexte de la crise actuelle au regard du droit des aides d’État). Il s’agit d’une adaptation

au contexte de crise, valable jusqu’à la fin de l’année 2010, des conditions habituelles d’octroi des aides à la restructuration (telles qu’elles résultent des lignes directrices communautaires concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté, qui seront à nouveau applicables au secteur financier après cette date). En premier lieu, les plans de restructuration devront démontrer la viabilité à long terme des banques aidées : à cet égard, la Communication prévoit que les banques devront procéder à des tests de résistance (« stress testing »). Autrement dit, les résultats attendus du plan de restructuration devront être démontrés tant dans le cas d’un scénario de base que dans celui d’un « stress scenario » et ce, en prenant en compte le contexte de crise. Ainsi, les mesures de restructuration (réexamen du modèle commercial, traitement des actifs dépréciés, désengagement des activités déficitaires, absorption par un concurrent, voire liquidation), pourront être mises en œuvre sur une période de cinq ans au lieu de la période de trois ans habituellement acceptée. En second lieu, les banques devront apporter « une contribution substantielle » à la restructuration (ce qui passe notamment par une rémunération appropriée des soutiens financiers apportés par l’État et peut rendre nécessaire la vente d’actifs significatifs). Afin de disposer d’une marge de manœuvre et de pouvoir calibrer sa politique de concurrence à l’acuité de la crise, la Commission n’a toutefois pas fixé ex ante le niveau minimum de la contribution qui devra être apportée par les banques (alors que les lignes directrices relatives aux aides à la restructuration prévoient une contribution à hauteur de 50 % des coûts de la restructuration pour les grandes entreprises). En troisième et dernier lieu, les banques devront prendre des mesures de nature à limiter les distorsions de concurrence induites par les aides octroyées, dont la nature (cessions d’activité, limitation de la croissance interne) dépendra de deux critères : les caractéristiques des aides (montant des aides dans

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2009, COM (2009) 164 : il s’agit du montant maximum global des systèmes de garantie et des autres mesures instaurées par les États, et non pas de l’élément aide d’État contenu dans les mesures en question).

Cependant, il ne sera possible de tirer de conclusions définitives sur l’efficacité de ce nouveau corpus de règles relatives aux aides d’État octroyées dans un contexte de crise mondiale qu’à la lumière de l’application par la Commission de ces nouveaux critères d’appréciation des aides à la restructuration des banques (par exemple, la Commission a récemment ouvert plusieurs procédures formelles d’examen, en ce qui concerne les aides publiques octroyées à Northern Rock, ING, Hypo Real Estate, WestLB et BayernLB) : tant l’im-

position de conditions strictes à la validité des aides (cessions d’activité, restrictions limitant l’agressivité de la politique commerciale) que l’absence de tels garde-fous pourrait susciter d’impor-

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tantes déconvenues et un abondant contentieux de la part des bénéficiaires ou de leurs concurrents. Il est clair en revanche que la gravité inédite de la crise financière a transformé la Commission en régulateur de facto du secteur bancaire européen. Si la crise perdure au-delà de deux ou trois ans, il est probable que de nombreuses voix s’élèveront pour exiger que cette mission de contrôle des aides d’État octroyées au secteur bancaire soit confiée – pour des raisons de cohérence institutionnelle et d’efficacité administrative – à un régulateur bancaire européen spécifique aux compétences éventuellement élargies à d’autres domaines : normes comptables, ratios prudentiels, voire contrôle des concentrations.

II. – LE BESOIN D’INTRODUIRE UNE PLUS GRANDE « PROPORTIONNALITÉ » DANS LES AMENDES ANTICARTEL Le niveau des amendes infligées par la Commission européenne est un problème ancien, qui pourrait avoir des effets dévastateurs si la crise venait à perdurer. En effet, à supposer que la Commission continue d’infliger des amendes très élevées, il y aurait alors un risque que certaines entreprises, déjà fortement affectées par la crise économique, se retrouvent confrontées à des difficultés financières inextricables si jamais elles venaient à être condamnées par la Commission à une amende de plusieurs centaines de millions d’euros (voire dépassant le milliard d’euros). Pour simplifier notre propos, nous nous sommes volontairement limités à la question des amendes pour les infractions horizontales les plus graves (cartels et ententes de prix). Il va de soi cependant que les remarques ci-après sont en partie transposables, mutatis mutandis, aux amendes en matière d’abus de position dominante. A. – Une méthode de calcul et des montants d’amende inadaptés au contexte de « crise systémique » La crise économique et financière actuelle intervient dans un contexte de hausse très importante des amendes infligées par les autorités de concurrence en matière de cartels et d’ententes de prix. Depuis le milieu des années 1990, les amendes imposées par la Commission européenne aux entreprises impliquées dans ce type de pratiques ont en effet augmenté de manière quasi exponentielle. Ainsi, le montant total des amendes infligées par la Commission en

PERSPECTIVES ÉTUDE

l’absolu et par rapport aux actifs pondérés en fonction des risques, niveau de la contribution du bénéficiaire) et les caractéristiques des marchés (importance de la banque). La mise en œuvre de ces mesures sera également adaptée au contexte de crise : par exemple, la période de cession d’actifs (limitée généralement à 18 mois) pourra être prolongée en raison des difficultés pour trouver un acquéreur jusqu’à 5 ans. Par ailleurs, la Communication prévoit que les banques ne pourront pas utiliser les aides pour acquérir de nouvelles activités pendant une période minimale de trois ans. Elle ne pourront pas non plus mener de stratégies agressives de fixation des prix qui seraient financées par les aides ou invoquer l’octroi d’aides en tant qu’avantage compétitif dans leurs stratégies de marketing. De plus, contrairement à la règle de non récurrence (« one time last time ») qui s’applique habituellement aux aides à la restructuration, la Communication prévoit la possibilité d’octroyer des aides complémentaires pendant la période de restructuration. Il ressort de ces développements que la Commission a fait preuve d’un niveau élevé de pragmatisme et de réactivité, en créant un nouveau corpus de règles applicables uniquement en cas de crise financière majeure. La Commission a ainsi permis l’adoption, dans l’urgence, de mesures de sauvetage du secteur bancaire qui ont empêché l’effondrement du système financier européen. Au total, la Commission a ainsi adopté, depuis le début de la crise et dans des délais extrêmement brefs, une cinquantaine de décisions d’autorisations d’aides individuelles ou de régimes d’aides, dont le montant maximum global s’élève à environ 3000 milliards d’euros, soit 24 % du PIB de l’UE (tableau de bord de la Commission du 8 avril

matière de cartels est passé de 567 millions d’euros pour la période 1990-1994 à plus de 8 milliards d’euros pour la période 2005-2009, soit une multiplication des montants par un peu moins de 15, alors qu’en même temps, le nombre d’affaires n’a été multiplié que par 2,5. Cette tendance de fond a été confirmée récemment par l’imposition d’amendes record par les autorités de concurrence européennes. En novembre 2008, la Commission a ainsi infligé à des producteurs de verre automobile des amendes d’un montant total record de plus de 1,3 milliard d’euros (dont une amende individuelle de 896 millions d’euros à l’entreprise Saint-Gobain) pour avoir conclu des accords de partage de marchés (Communiqué Comm. CE n° IP/08/1685, 12 nov. 2008). La Commission a confirmé de nouveau sa fermeté dans une affaire récente concernant les entreprises Gaz de France et E.ON AG où elle a infligé une amende de 553 millions d’euros à chacune des deux entreprises incriminées (cf. Communiqué Comm. CE n° IP/09/1099, 8 juill. 2009). En France, la tendance est similaire, le Conseil de la concurrence n’ayant pas hésité, juste avant d’être remplacé par la « nouvelle » Autorité de la concurrence, à condamner les membres d’un cartel dans le secteur de la sidérurgie à des amendes d’un montant total record de 575,4 millions d’euros (dont une amende de 301,7 millions d’euros pour le groupe ArcelorMittal, Cons. conc., déc. n° 08-D-32, 16 déc. 2008, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du négoce des produits sidérurgiques).

Cette hausse très significative du niveau des amendes communautaires en matière d’ententes horizontales s’explique notamment par l’adoption en 2006 de nouvelles lignes directrices pour le calcul des amendes (Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n°1/2003, JOUE 1er sept. 2006, n° C 210, ci-après, « lignes directrices de 2006 »).

Les lignes directrices de 2006 ont, en effet, introduit trois innovations qui ont entraîné une augmentation du niveau moyen des amendes. Premièrement, le montant de base de l’amende est désormais calculé à partir d’un certain pourcentage de la valeur des ventes des biens et services en relation avec l’infraction, qui est multiplié par le nombre d’années d’infraction. Deuxièmement, un mécanisme de droit d’entrée, correspondant à une valeur située entre 15 et 25 % de la valeur des ventes de l’entreprise en relation avec l’infraction, est appliqué indépendamment de la durée de l’infraction. Troisièmement, les récidivistes peuvent désormais voir le montant de base de leurs amendes augmenter de 100 % pour chaque infraction aux règles de

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concurrence européennes, antérieure aux pratiques en cause et dûment sanctionnée par la Commission ou toute autorité nationale de concurrence. La présence de ces nombreux éléments « forfaitaires » dans la détermination de la sanction pécuniaire explique en partie le caractère disproportionné des amendes infligées par la Commission dans les affaires de cartels. Ce problème de proportionnalité trouve également sa source dans l’absence de prise en compte, par la Commission, de l’effet concret du cartel sur le niveau des prix. Ni les lignes directrices pour le calcul des amendes, ni la jurisprudence du Tribunal de première instance des Communautés européennes n’obligent en effet la Commission à porter une appréciation sur l’effet concret des pratiques sanctionnées au moment de fixer le montant de ses amendes. À cet égard et à titre de comparaison, il est intéressant d’observer qu’en France, l’Autorité de la concurrence est tenue de prendre en compte le dommage causé à l’économie par les pratiques qu’elle sanctionne et module en conséquence le montant des amendes qu’elle inflige aux entreprises délinquantes. L’article L. 464-2-I, alinéa 3 du Code de commerce prévoit en effet notamment que les sanctions pécuniaires sont notamment « proportionnées (…) à l’importance du dommage causé à l’économie », qui constitue un critère distinct de la gravité des faits reprochés. Certes, de nombreux facteurs – tels que la durée et l’ampleur de la pratique, la structure du marché concerné, la nature des produits en cause ou encore les caractéristiques des pratiques incriminées – concourent à la détermination du dommage causé à l’économie, mais il ressort également de la pratique décisionnelle française que « le point de savoir si [une] pratique a eu des effets, notamment en ce qui concerne le niveau des prix (…) est (…) utile pour apprécier le dommage à l’économie et donc le montant de la sanction » (Cons. conc., déc. n° 07-D-15, 9 mai 2007, pt. 440, relative à des pratiques mises en œuvre dans les marchés publics relatifs aux lycées d’Île-de-France).

En cette période de crise économique extrêmement sévère, il paraît essentiel que la Commission accepte une discussion sur la prise en compte de l’effet concret de l’entente dans la détermination de la sanction qu’il convient d’infliger aux entreprises ayant participé à un cartel ou à une entente de prix. Il est, en effet, singulier qu’un cartel soit condamné de la même manière, qu’il ait été mis en œuvre dans un contexte de crise et dans un contexte de marché mature ou en forte croissance. En effet, dans le premier cas,

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les profits illicites sont quasi nuls, dans la mesure où la faiblesse de la demande rend généralement impossible l’imposition de prix de monopole ou le relèvement durable du niveau des prix sur le marché. À l’inverse, en cas de marché mature ou en forte croissance, il est probable que, pour peu que l’élasticité-prix de la demande soit faible, les membres du cartel parviendront aisément à augmenter leurs prix et à se partager une rente de monopole. B. – Une prise en compte exceptionnelle et aléatoire des difficultés économiques du secteur ou des entreprises concernés La sévérité affichée par la Commission européenne vis-à-vis des cartels et ententes de prix peut être tempérée dans certains cas par la prise en compte, au moment de la fixation des amendes, des difficultés économiques éventuellement rencontrées par l’ensemble du secteur économique concerné ou par les seules entreprises délinquantes. Les modalités de cette prise en compte par la Commission apparaissent toutefois excessivement restrictives, imprécises et arbitraires. 1) La prise en compte de la situation du secteur économique concerné Il ressort de la pratique décisionnelle de la Commission européenne que les difficultés économiques du secteur concerné par l’infraction peuvent être exceptionnellement considérées comme une circonstance atténuante de nature à réduire le montant de base de l’amende encourue. Ainsi, dans une décision Extra d’alliage de 1998, la Commission a notamment pris en compte le fait que « la situation économique du secteur (…) était particulièrement critique » pour accorder des minorations de 10 à 30 % du montant de base des amendes au titre des circonstances atténuantes (Déc. Comm. CE n° 98/247/CECA, 21 janv. 1998, aff. IV/35.814, Extra d’alliage, pts. 81 à 84, JOCE 1er avr. 1998, n° L 100). En l’es-

pèce, le caractère critique de la situation économique du secteur de l’acier inoxydable résultait de l’augmentation rapide du cours du nickel, qui est l’un des éléments d’alliage utilisés par les producteurs d’acier inoxydable et dont le coût représente une proportion très importante des coûts totaux de production, tandis que le prix de vente de l’acier inoxydable demeurait très bas. De la même manière, la Commission a retenu, dans une décision Tubes d’acier sans soudure de 1999, le fait que « le secteur des tubes d’acier a connu une situation de crise de longue durée » pour ac-

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corder une minoration de 10 % des montants de base des amendes au titre des circonstances atténuantes (Déc. Comm. CE n° 2003/382, 8 déc. 1999, aff. IV/35.860, Tubes d’acier sans soudure, pts. 168 à 169, JOUE 6 juin 2003, n° L 140). En

l’espèce, la Commission a relevé que l’ensemble de l’industrie sidérurgique était, depuis les années 1970, dans une situation de crise, caractérisée par une chute persistante de la demande et par l’effondrement des prix, ce qui a rendu inévitable un processus de restructuration sévère. En particulier, la Commission a pris en compte le fait que les capacités de production dans le secteur européen des tubes en acier avaient été réduites d’environ 20 % entre 1980 et 1990, tandis que plus de 20 000 emplois avaient été supprimés entre 1988 et 1991 dans ce même secteur et que cette situation s’était encore dégradée après 1991. On peut également noter la réduction du montant de l’amende de 70 %, qui a été accordée dans les circonstances très particulières de l’affaire Viandes Bovines françaises au moment de la crise dite de la « vache folle » (TPICE, 13 déc. 2006, aff. jtes. T-217/03 et T-245/03, FNCBV e.a. c/Commission (Viande Bovine)). Conformément au para-

graphe 5 (b) des lignes directrices de 1998 pour le calcul des amendes, la Commission avait pris en considération le « contexte économique spécifique » de l’affaire pour accorder une réduction de 60 % du montant de l’amende, que le Tribunal de première instance avait ensuite porté à 70 %. En l’espèce, la spécificité du contexte économique reposait sur la combinaison des facteurs suivants : (i) la « crise de la vache folle » et les craintes relatives à la maladie de Creutzfeld-Jacob, affectant l’homme, avaient entraîné une perte de confiance durable des consommateurs et avaient fortement accentué la baisse, constatée depuis le début des années 1990, de la consommation et des prix de la viande de bœuf ; (ii) la Commission avait autorisé les autorités françaises à octroyer des aides exceptionnelles aux agriculteurs les plus durement touchés par la crise. La portée de cette « jurisprudence » – chaque affaire est un cas particulier – demeure toutefois limitée. La Commission considère en effet que les conditions économiques sectorielles invoquées par les entreprises en cause doivent être exceptionnellement graves et soudaines pour justifier une diminution de l’amende et que le simple fait pour une entreprise de se trouver en difficulté financière ne saurait à elle seule constituer une circonstance atténuante (cf. Déc. Comm. CE n° 2004/337, 20 déc. 2001, aff. COMP/36.212,

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ligne à cet égard que la majorité des ententes horizontales est la conséquence directe ou indirecte de conditions économiques difficiles. Le Tribunal de première instance a validé cette approche dans l’affaire des Électrodes de graphite en observant que « si l’on suivait le raisonnement des requérantes [selon lequel les circonstances économiques difficiles devraient justifier le bénéfice d’une circonstance atténuante], l’amende devrait régulièrement être réduite dans la quasitotalité des cas » (cf. TPICE, 29 avr. 2004, aff. jtes. T-236/01, T-239/01, T-244/01 à T-246/01, T-251/01 et T-252/01, Tokai Carbon Co. Ltd e.a. c/Commission (Électrodes de graphites), pt. 345). Or, le Tribunal de première

instance a refusé de procéder dans cette affaire à une appréciation des circonstances de fait et a considéré d’une part, que « la Commission n’est pas tenue de considérer comme circonstance atténuante la mauvaise santé financière du secteur en cause », et d’autre part, que « ce n’est pas parce que la Commission a tenu compte, dans de précédentes affaires, de la situation économique du secteur comme circonstance atténuante qu’elle doit nécessairement continuer à observer cette pratique ». Autrement dit, le Tribunal de première instance a reconnu à la Commission un pouvoir totalement discrétionnaire en matière de difficultés économiques : selon les affaires, la Commission peut prendre en considération ces difficultés au titre des circonstances atténuantes, tout comme elle est libre de ne pas le faire, et ce, sans avoir à justifier les variations de sa pratique décisionnelle. La reconnaissance à la Commission par le juge communautaire d’une telle discrétion paraît contraire aux principes fondamentaux de non-discrimination, de proportionnalité et d’équité. Espérons que, dans le contexte de crise mondiale actuelle, la Commission renoncera à user d’une telle discrétion et tiendra systématiquement compte des difficultés économiques pour réduire les amendes imposées à des entreprises impliquées dans des accords horizontaux illicites. Une telle approche, qui reviendrait à infliger des amendes inférieures de 30 à 40 % (voire davantage) pour les cartels mis en œuvre en temps de crise, n’inciterait pas les entreprises à participer à des accords délictueux, compte tenu du niveau actuel très élevé des amendes « anticartel » en vigueur tant au niveau français qu’au niveau communautaire. En effet, des amendes

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mêmes réduites de 30 à 40 % demeureront extrêmement dissuasives en temps de crise (ou de sortie de crise), compte tenu des pertes que ne manqueront pas d’accumuler de nombreux groupes pendant la crise. Une telle approche permettrait également de mieux prendre en compte l’effet réel des ententes de prix et des cartels, qui est généralement très faible en période de crise sérieuse. 2) La prise en compte des difficultés individuelles des entreprises délinquantes En dehors de l’hypothèse d’une crise sectorielle, la Commission s’est montrée peu encline à prendre en compte les difficultés particulières éventuellement rencontrées par les entreprises délinquantes pour réduire le montant de

La prise en compte par la Commission des difficultés rencontrées par le secteur concerné ou par les seules entreprises délinquantes, n’intervient que rarement et de manière tout à fait aléatoire. leurs amendes. Elle estime en effet que « tenir compte du simple fait qu’une entreprise se trouve dans une situation financière difficile en raison des conditions générales du marché équivaudrait à lui conférer un avantage concurrentiel indu » (cf. Déc. Comm. CE, Papier autocopiant, préc., pt. 461). Cela étant, il existe une jurisprudence du Tribunal de première instance et de la Cour de justice selon laquelle une amende ne saurait, en vertu du principe de proportionnalité, entraîner le dépôt de bilan d’une entreprise (TPICE, 15 mars 2000, aff. T-25/95, Cimenteries CBR e.a. c/Commission, pt. 4705, Rec. CJCE, II, p. 491). Cette idée a été retrans-

crite dans les lignes directrices de 2006, qui prévoient que la Commission peut « dans des circonstances exceptionnelles, (…) tenir compte de l’absence de capacité contributive d’une entreprise dans un contexte social et économique particulier » (Lignes directrices de 2006, pt. 35). Il est toutefois précisé qu’« aucune réduction d’amende ne sera accordée à ce titre par la Commission sur la seule constatation d’une situation financière défavorable ou déficitaire ». Une analyse de la pratique décisionnelle de la Commission en la matière indique que l’argument relatif à l’absence de capacité contributive a été pour l’instant le

PERSPECTIVES ÉTUDE

Papier autocopiant, pts. 431 et 461, JOUE 21 avr. 2004, n° L 115 ; cf., également, Déc. Comm. CE n° 2004/104, 27 nov. 2002, aff. COMP/37.978/, Méthylglucamine, pt. 253, JOUE 10 févr. 2004, n° L 38). La Commission sou-

plus souvent rejeté au motif que n’était pas démontrée l’existence d’un « contexte économique et social particulier ». Cette expression pour le moins vague mériterait par conséquent d’être précisée afin que les entreprises, auxquelles incombe la charge de la preuve, soient en mesure de développer les arguments appropriés (cf. Déc. Comm. CE n° 2004/420, 3 déc. 2003, aff. C.38.359, Produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques, pts. 350 et 357, JOUE 28 avr. 2004, n° L 125; Déc. Comm. CE n° C (2008) 926 final, 11 mars 2008, aff. COMP/38.543, Services de déménagements internationaux, pts. 617 à 655).

La Commission a toutefois déjà eu l’occasion de réduire le montant de certaines amendes en tenant compte du fait que les entreprises concernées non seulement connaissaient de sérieuses difficultés financières, mais avaient été en outre condamnées récemment au paiement d’amendes pour des infractions connexes. En 2002 et 2003, dans les affaires Graphites spéciaux et Produits à base de carbone et de graphite, les amendes infligées à la société SGL, déjà condamnée en 2001 par la Commission à payer une amende de 80,2 millions d’euros, ont ainsi été réduites de 33 % (Déc. Comm. CE n° 2004/420, 3 déc. 2003, aff. C.38.359, préc., pt. 360). Il est toutefois intéressant de relever que, dans sa décision de 2003, la Commission a refusé de réduire l’amende infligée à une autre entreprise, alors que celle-ci faisait également état de difficultés financières. La Commission a en effet considéré que les deux situations étaient différentes dans la mesure où l’amende déjà infligée à cette entreprise pour une infraction connexe était, en pourcentage du chiffre d’affaires mondial, nettement inférieure à l’amende infligée en 2001 à la société SGL. Il ressort de ces développements que la prise en compte par la Commission des difficultés rencontrées par le secteur concerné ou par les seules entreprises délinquantes, n’intervient que rarement et de manière tout à fait aléatoire. Il n’existe pas en effet, dans la version actuelle des lignes directrices relatives au calcul des amendes, de règles claires permettant aux entreprises faisant état de difficultés économiques ou financières de bénéficier systématiquement d’une réduction d’amende. Cette absence de sécurité juridique est particulièrement regrettable dans un contexte de crise mondiale majeure, où les repères des entreprises sont déjà considérablement bouleversés. Il semblerait néanmoins qu’une réflexion ait été engagée au sein de la Commission afin de faciliter la prise en compte de l’absence de capacité contributive des

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entreprises délinquantes (lors de la table ronde organisée en 2009 par l’OCDE sur la sphère réelle de l’économie et les défis de la politique de la concurrence en période de repli de l’activité, la Commission européenne a reconnu la nécessité pour les autorités de concurrence de « faire preuve de réalisme quant à l’impact sur le marché des amendes ou des rectifications de périmètre qu’elles imposent et [de] prendre pleinement en compte la capacité d’une entreprise de payer une amende, en particulier si cela a pour effet d’affaiblir la concurrence »). Si l’on ne peut que se réjouir d’une telle initiative, on peut toutefois souhaiter qu’elle soit élargie afin de permettre notamment à la Commission de mieux prendre en compte les effets concrets des cartels sur le niveau des prix dans le calcul des amendes antitrust.

III. – LA CLARIFICATION DE L’EXCEPTION DITE DE « L’ENTREPRISE DÉFAILLANTE » EN MATIÈRE DE CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS En raison du nombre peu élevé d’opérations de concentration affectant le commerce entre États membres depuis le début de la crise, l’activité de la Commission européenne demeure, en la matière, pour l’instant inférieure à son niveau habituel. Il est toutefois permis de penser que, du point de vue du droit de la concurrence, les opérations à venir, à défaut d’être nombreuses, présenteront un degré inédit de complexité. On peut, en effet, aisément imaginer que, compte tenu de la crise actuelle, on assistera prochainement à des opérations de rapprochement à forts niveaux de synergies industrielles, qui soulèveront, dans le cas des marchés oligopolistiques, de délicats problèmes de concurrence. En matière de contrôle des concentrations, la Commission a déjà montré qu’elle pouvait adopter, en temps de crise systémique, une approche pragmatique, comme en témoignent les délais raccourcis de procédure, la possibilité pour les entreprises d’obtenir plus facilement des dérogations à l’obligation de suspension de l’article 7 du règlement n° 139/2004, ainsi que la forte disponibilité et la grande réactivité dont les équipes de la Commission ont fait preuve sur de nombreux dossiers récents (ces mêmes remarques générales valant également pour l’Autorité de la concurrence). Au-delà de cette flexibilité dans la mise en œuvre du contrôle, se pose la question de l’argument de « l’entreprise défaillante » ou failing firm defense, que la Commission s’est dite prête à prendre en compte chaque fois que les conditions en seraient réunies (Kroes N., Dealing with the current financial crisis, Communiqué Comm. CE n° SEECH/08/498, 6 oct. 2008, p. 3 : « (…) the Commission

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can and will take into account the evolving market conditions and, where applicable, the failing firm defense »).

L’« exception » d’entreprise défaillante, qui est apparue aux États-Unis dans le contexte de la crise économique et financière de 1929, permet d’autoriser une opération de concentration ayant potentiellement des effets anticoncurrentiels, lorsque la création ou le renforcement de la position dominante affectant sensiblement la concurrence se produirait de toute façon, du fait de la disparition inévitable de l’entreprise cible (l’arrêt fondateur de la théorie de l’entreprise défaillante a été rendu par la Cour suprême des États-Unis le 6 janvier 1930 dans l’affaire International Shoe v. FTC. La Cour a considéré en l’espèce que l’opération prévue n’était pas contraire à la sec-

L’« exception » d’entreprise défaillante permet d’autoriser une opération de concentration ayant potentiellement des effets anticoncurrentiels. tion 7 du Clayton Act, dans la mesure où les graves difficultés rencontrées par la société cible étaient irrémédiables et où la faillite à moyen terme était certaine, même si son activité à court terme pouvait être sauvée grâce au soutien des banques). Si le règlement « concentrations »,

qu’on le considère dans sa rédaction d’origine (Règl. Comm. n° 4064/89/CEE, 21 déc. 1989) ou dans sa rédaction actuelle (Règl. Cons. CE n° 139/2004, 20 janv. 2004), ne fait pas référence à cet argument, la Commission européenne a toutefois accepté d’en examiner la substance dans un certain nombre d’affaires (Déc. Comm. CE n° 94/449, 14 déc. 1993, aff. IV/M.308, Kali und Salz/MdK/Treuhand, JOCE 21 juill. 1994, n° L 186; Déc. Comm. CE n° 98/663, 26 juin 1997, aff. IV/M.890, Blokker/Toys ‘R’Us, JOCE 25 nov. 1998, n° L 316 ; Déc. Comm. CE n° 1999/674, 3 févr. 1999, aff. IV/M.1221, Rewe/Meinl, JOCE 23 oct., n° L 274; Déc. Comm. CE n° 97/610, 4 déc. 1996, aff. IV/M.774, SaintGobain/Wacker-Chemie/NOM, JOCE 10 sept. 1997, n° L 247; Déc. Comm. CE n° 2002/365, 11 juill. 2001, aff. COMP/M.2314, BASF/Eurodiol/Pantochim, JOCE 17 mai 2002, n° L 132; Déc. Comm. CE, 1er juill. 2002, aff. COMP/M.2810, Deloitte & Touche/Andersen (UK), JOUE 23 août, n° C 200; Déc. Comm. CE, 5 sept. 2002, aff. COMP/M.2816, Ernst & Young France/Andersen France, JOUE 28 sept., n° C 232 ; Déc. Comm. CE n° 2004/311, 2 avr. 2003, aff. COMP/M.2876, Newscorp/Telepiù, JOUE 16 avr. 2004, n° L 110; Déc. Comm. CE, 10 mai 2007, aff. COMP/M.4381, JCI/VB/Fiamm, pts. 238 à 241 et 689 à 816), dont on présentera ici briè-

vement les plus importantes. A. – L’affaire Kali und Salz D’un point de vue historique, la décision Kali und Salz rendue le 14 décembre 1993 par la Commission européenne, consti-

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tue le premier cas d’application en Europe de l’argument de « l’entreprise défaillante » (Déc. Comm. CE n° 94/449, 14 déc. 1993, préc.). En l’espèce, l’opération de concentration consistait à regrouper les activités « potasse » et « sel gemme » d’une filiale du groupe chimique BASF (Kali und Salz AG) et de la société Mitteldeutsche Kali AG (MdK) dans une entreprise commune créée par Kali und Salz et l’actionnaire unique de MdK. La réalisation de cette opération devait notamment aboutir à la création d’un monopole de fait sur le marché allemand de la potasse agricole. La Commission a néanmoins autorisé l’opération en considérant que le renforcement de la position dominante de Kali und Salz AG aurait de toute façon eu lieu, indépendamment de la réalisation de l’opération. La Commission a en effet accepté l’argument de « l’entreprise défaillante » avancé par les parties, selon lesquelles la société MdK était vouée à disparaître, indépendamment de la réalisation de l’opération, en raison de difficultés économiques graves et durables. Plus précisément, la Commission a considéré que cet argument pouvait être pris en compte dans le cadre de l’article 2, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004, selon lequel une concentration doit être déclarée compatible avec le droit communautaire en l’absence de lien de causalité entre l’opération elle-même et l’existence d’une entrave significative à la concurrence dans le marché commun. L’affaire Kali und Salz a été ainsi l’occasion pour la Commission de poser les conditions dans lesquelles une « concentration d’assainissement » est susceptible d’être autorisée. En l’espèce, la Commission a considéré qu’« en général, une concentration n’est pas la cause de la détérioration de la structure concurrentielle s’il est certain que : (i) l’entreprise acquise disparaîtrait rapidement du marché si elle n’était pas reprise par une autre entreprise » ; (ii) « l’entreprise acquérante reprendrait la part du marché de l’entreprise acquise si celle-ci venait à disparaître du marché » ; et (iii) « il n’y a pas d’autre alternative d’achat moins dommageable pour la concurrence ». Cette approche, bien que différente de celle adoptée aux États-Unis, a été validée par la Cour de justice, qui avait été saisie en appel de la décision de la Commission (CJCE, 31 mars 1998, aff. jtes. C-68/94 et C-30/95, République française et Société commerciale des potasses et de l’azote (SCPA) et Entreprise minière et chimique (EMC) c/ Commission, Rec. CJCE, I, p. 1375). Le juge com-

munautaire a en effet considéré à cette occasion que « le fait que les conditions posées par la Commission pour conclure

Droit I Économie I Régulation

lignes directrices du Department of Justice et de la Federal Trade Commission relatives aux opérations de concentration horizontale dispose que : « A merger is not likely to create or enhance market power or facilitate its exercise if the following circumstances are met : 1) the allegedly failing firm would be unable to meet its financial obligations in the near future; 2) it would not be able to reorganize successfully under Chapter 11 of the Bankruptcy Act; 3) it has made unsuccessful good-faith efforts to elicit reasonable alternative offers of acquisition of the assets of the failing firm that would both keep its tangible and intangible assets in the relevant market and pose a less severe danger to competition than does the proposed merger; and 4) absent the acquisition, the assets of the failing firm would exit the relevant market »),

avait été contestée par le gouvernement français. La Cour de justice a toutefois estimé que ce critère, bien que n’étant pas « suffisant à lui seul pour exclure le caractère préjudiciable de l’opération de concentration pour le jeu de la concurrence, concourt à assurer la neutralité de cette opération par rapport à la dégradation de la structure concurrentielle du marché, ce qui est conforme à la notion de causalité figurant à l’article 2, paragraphe 2, du règlement » (pts. 115-116 de l’arrêt). D’un certain point de vue, l’approche de la Cour dans l’affaire Kali und Salz apparaît donc un peu plus large que celle de la Commission, dans la mesure où, au-delà du critère formel mis en place par cette dernière, le juge communautaire s’est attaché à la question de savoir si la dégradation de la structure concurrentielle du marché serait intervenue de la même manière en l’absence de l’opération de concentration. B. – L’affaire BASF/Eurodiol/Pantochim La décision BASF/Eurodiol/Pantochim rendue par la Commission le 11 juillet 2001, constitue une étape importante dans le développement de la pratique décisionnelle communautaire relative à l’argument de « l’entreprise défaillante » (Déc. Comm. CE n° 2002/365, 11 juill. 2001, aff. COMP/M.2314, BASF/Eurodiol/Pantochim, JOCE 17 mai 2002, n° L 132).

En l’espèce, l’opération envisagée consistait en l’acquisition par l’entreprise allemande BASF du contrôle à 100 % des entreprises belges Pantochim et Euro-

Droit I Économie I Régulation

diol. La réalisation de cette opération devait notamment aboutir à la création d’une position dominante à l’échelle européenne sur plusieurs marchés de produits chimiques. Dans ce contexte, l’entreprise BASF a invoqué l’argument de « l’entreprise défaillante » en soutenant que les entreprises Eurodiol et Pantochim auraient disparu du marché si elle ne les avait pas rachetées. Après avoir rappelé sa propre décision dans l’affaire Kali und Salz, ainsi que l’arrêt rendu par la Cour de justice dans cette même affaire, la Commission a tout d’abord redéfini les conditions dans lesquelles une « concentration d’assainissement » peut avoir lieu. Ainsi, les trois conditions posées dans l’affaire BASF/Eurodiol/Pantochim sont les suivantes : (i) « l’entreprise acquise disparaîtrait rapidement du marché si elle n’était pas reprise par une autre entreprise » ; (ii) « il n’y a pas d’autre alternative d’achat moins dommageable pour la concurrence » ; et (iii) « les actifs à racheter disparaîtraient inévitablement du marché s’ils n’étaient pas repris par une autre entreprise ». Le critère relatif à la disparition des actifs constitue l’innovation essentielle apportée par la Commission dans cette affaire. Contrairement à ce qu’elle avait estimé dans sa décision Kali und Salz, la Commission a considéré en l’espèce qu’il n’était pas pertinent de prouver que l’entreprise acquérante reprendrait toutes les parts de marché de l’entreprise cible si celle-ci venait à disparaître du marché. En l’espèce, une application stricte du critère de l’absorption des parts de marché aurait en effet conduit la Commission à rejeter l’argument de « l’entreprise défaillante » dans la mesure où, en raison de la structure oligopolistique du marché en cause, l’entreprise acquérante n’aurait pas pu récupérer toutes les parts de marché des entreprises cibles. En revanche, la Commission a considéré qu’il était pertinent d’examiner la probabilité selon laquelle les actifs et les capacités de production des entreprises cibles disparaîtraient définitivement du marché en l’absence de concentration. En l’espèce, la Commission a estimé qu’une telle disparition était très probable et qu’elle aurait été à l’origine d’une pénurie de capacité non négligeable pour des produits déjà offerts sur le marché sous des contraintes de capacité très strictes. Étant donné l’inélasticité de la demande en l’espèce, la Commission a considéré que la disparition des actifs et des capacités de production des entreprises cibles aurait engendré une hausse des prix considérable.

PERSPECTIVES ÉTUDE

à l’inexistence d’un lien de causalité entre la concentration et la détérioration de la structure concurrentielle ne recoupent pas intégralement les conditions retenues dans le cadre de la théorie américaine de la “failing company defense” n’est pas en soi un motif d’invalidité de la décision litigieuse ». En particulier, l’utilisation du critère de l’absorption des parts de marché, qui ne figure pas dans les lignes directrices américaines relatives aux opérations de concentration horizontale (l’article 5 (1) des

Par contraste, la Commission a estimé que les conditions du marché seraient plus favorables pour les clients dans l’hypothèse où la concentration serait autorisée. Les usines rachetées devant être exploitées presque à pleine capacité pour être rentables et profiter pleinement du potentiel de réduction des prix offert par la technologie, la Commission a considéré que BASF chercherait à diminuer les coûts après la concentration en développant l’effort de vente de certains produits. Dans ces conditions, le client pouvait attendre, selon la Commission, de meilleures conditions d’approvisionnement et des prix plus favorables sur le marché après la concentration que dans un scénario de faillite. Sur la base de ces considérations, la Commission a autorisé l’opération envisagée. La position adoptée par la Commission dans l’affaire BASF/Eurodiol/Pantochim a été « codifiée » dans les lignes directrices de 2004 sur l’appréciation des concentrations horizontales. Dans les trois derniers paragraphes consacrés à l’argument de « l’entreprise défaillante », la Commission rappelle ainsi les conditions « particulièrement pertinentes » pour que l’argument de « l’entreprise défaillante » soit retenu : « En premier lieu, l’entreprise prétendument défaillante serait, dans un proche avenir, contrainte de quitter le marché en raison de ses difficultés financières si elle n’était pas reprise par une autre entreprise. Deuxièmement, il n’existe pas d’autre alternative de rachat moins dommageable pour la concurrence que la concentration notifiée. Troisièmement, si la concentration n’était pas réalisée, les actifs de l’entreprise défaillante disparaîtraient inévitablement du marché » (Lignes directrices sur l’appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, JOUE 5 févr. 2004, n° C 031, §§ 89 à 91).

C. – La notion de « concentration d’assainissement » dans le contexte actuel : un besoin urgent de clarification Le rappel des deux principales décisions de la Commission dans lesquelles l’argument de « l’entreprise défaillante » a été invoquée avec succès, a permis de montrer l’importante évolution de la pratique décisionnelle en la matière. Il ressort notamment de ces développements que les conditions dans lesquelles l’argument de « l’entreprise défaillante » peut être accepté par la Commission ont d’ores et déjà été largement assouplies. Ainsi, le critère de « l’absorption des parts de marché », appliqué dans l’affaire Kali und Salz, a été remplacé à l’occasion de l’af-

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faire BASF/Eurodiol/Pantochim par celui de « la disparition inévitable des actifs à racheter ». Si l’on en croit la version en vigueur des lignes directrices sur l’appréciation des concentrations horizontales, ce critère est toujours d’actualité. Or, la décision rendue par la Commission le 10 mai 2007 dans l’affaire JCI/VB/Fiamm semble indiquer que la disparition inéluctable de tous les actifs de l’entreprise défaillante ne serait plus un critère décisif dans l’appréciation de l’argument de l’entreprise défaillante ( Déc. Comm. CE, 10 mai 2007, aff. COMP/M.4381, JCI/VB/Fiamm). En l’espèce, l’opération envisagée consistait en l’acquisition par l’entreprise allemande VB Autobatterie, qui est active sur le marché des batteries automobiles de démarrage, des activités du groupe italien Fiamm sur le même marché (branche Fiamm SBB). La réalisation de l’opération, telle qu’initialement notifiée, aurait eu pour effet de conférer à VB Autobatterie une position dominante (entre 45 et 75 % de parts de marché) sur les marchés de première monte et de seconde monte en Italie, en Autriche, en République Tchèque et en Slovaquie, du fait de la forte position de marché occupée par le groupe Fiamm dans ces pays. Dans ce contexte, les parties ont invoqué l’argument de « l’entreprise défaillante ». En effet, le groupe Fiamm connaissait au moment de la notification de l’opération de graves difficultés, en raison des lourdes pertes enregistrées par sa branche Fiamm SBB, qui représentait alors entre 40 et 50 % des ventes du groupe. Si la Commission a estimé en l’espèce que les deux premiers critères posés dans sa décision BASF/Eurodiol/Pantochim étaient remplis, elle a en revanche considéré que le troisième critère faisait défaut, dans la mesure où il était probable, selon elle, que certains actifs de la branche Fiamm SBB soient rachetés par des concurrents en cas de liquidation de cette dernière. Au lieu de s’en tenir à ce constat et de rejeter l’argument de « l’entreprise défaillante » dans la mesure où ce troisième critère faisait défaut, la Commission s’est livrée à une comparaison détaillée entre les scénarios « concentration » et « liquidation de la branche défaillante », afin de déterminer dans quel cas l’effet sur la concurrence serait le plus dommageable. Au final, la Commission a rejeté l’argument de « l’entreprise défaillante » en considérant que les effets anticoncurrentiels engendrés par la liquidation de Fiamm SBB (pour l’essentiel, une diminution de l’offre à court terme) seraient moins néfastes que les effets induits par l’opération de concentration (pour l’es-

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sentiel, une hausse du niveau des prix et une altération à long terme de la structure concurrentielle). La Commission semble ainsi désormais privilégier la réalisation d’un « test de neutralité concurrentielle », consistant à envisager des scénarios alternatifs, afin de déterminer si la dégradation de la concurrence qui résulterait de la réalisation de l’opération serait plus ou moins forte qu’en cas de faillite de l’entreprise cible. En tout état de cause, force est de constater qu’aujourd’hui, il existe un doute sur les conditions précises à remplir pour invoquer avec succès devant la Commission l’argument de « l’entreprise défaillante ». Et ce d’autant plus qu’on peut aisément imaginer qu’une opération puisse respecter le critère de « la disparition inévitable des actifs à racheter », tout en ne passant pas le « test de neutralité concurrentielle ». Or, nul ne sait s’il existe une hiérarchie entre ces deux critères. Ce n’est pas la seule incertitude juridique. On doit ajouter qu’un doute existe également, en ce qui concerne l’argument de la « branche défaillante ». Cet argument, qui ne figure pas dans les lignes directrices de la Commission sur l’appréciation des concentrations horizontales, est expressément prévu par l’article 5 (2) des lignes directrices du Department of Justice et de la Federal Trade Commission relatives aux opérations de concentration horizontales (après l’article 5 (1), qui concerne la « failing firm defense », l’article 5 (2) des lignes directrices du Department of Justice et de la Federal Trade Commission relatives aux opérations de concentration horizontale évoque la « division firme defence » en ces termes : « A similar argument can be made for “failing” divisions as for failing firms. First, upon applying appropriate cost allocation rules, the division must have a negative cash flow on an operating basis. Second, absent the acquisition, it must be that the assets of the division would exit the relevant market in the near future if not sold. Due to the ability of the parent firm to allocate costs, revenues, and intracompany transactions among itself and its subsidiaries and divisions, the Agency will require evidence, not based solely on management plans that could be prepared solely for the purpose of demonstrating negative cash flow or the prospect of exit from the relevant market. Third, the owner of the failing division also must have complied with the competitively-preferable purchaser requirement of Section 5.1 »). Cet argument a déjà été

invoqué par le passé devant la Commission (cf. Déc. Comm. CE n° 1999/674, 3 févr. 1999, aff. IV/M.1221, Rewe/Meinl, JOCE 23 oct., n° L 274), mais il n’a jamais été retenu à ce jour favorablement. À cet égard, on peut regretter que la Commission n’ait pas profité de l’affaire JCI/VB/Fiamm pour clarifier sa pratique décisionnelle en la matière, alors qu’elle avait laissé entendre qu’une analyse sous l’angle de l’argument de la « branche défaillante » aurait été possible en l’espèce (pts. 710 et 711 de la décision).

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Au-delà de ces incertitudes, les conditions fixées par la Commission pour pouvoir bénéficier de l’« exception » de l’entreprise défaillante apparaissent extrêmement restrictives. À ce jour en effet, seules deux opérations de concentration – il s’agit des opérations envisagées dans les affaires Kali und Salz et BASF/Eurodiol/Pantochim – ont été autorisées sur la base de cet argument (on exclut ici les affaires Deloitte & Touche/Andersen (UK) et Ernst & Young France/Andersen, dans lesquelles la Commission a semblé faire application d’une version « tronquée » de la théorie de l’entreprise défaillante, sans toutefois y faire référence de manière explicite). Ceci peut être notamment expliqué par le caractère très contraignant du critère de « la disparition inévitable des actifs à racheter ». En effet, une application stricte de ce critère peut conduire la Commission à refuser d’autoriser une opération de concentration, alors même qu’il serait démontré qu’en l’absence de rachat de l’entreprise défaillante, la majorité (mais non l’ensemble) des actifs de cette dernière disparaîtrait du marché. En outre, le test alternatif dit de « neutralité concurrentielle » est, en pratique, excessivement lourd et coûteux à réaliser, dans la mesure où il requiert la réalisation d’études économétriques extrêmement sophistiquées : il s’agit, en effet, de simuler le niveau des prix dans les deux hypothèses considérées (rachat ou faillite), ce qui implique de construire un modèle microéconomique et de rassembler des données très importantes pour faire « tourner » ce modèle dans les deux scénarii considérés. Ainsi, en dépit de son intérêt théorique et de sa « consécration » dans les lignes directrices sur l’appréciation des concentrations horizontales, l’argument de « l’entreprise défaillante » présente aujourd’hui une utilité pratique fortement réduite. Or, compte tenu de la situation économique actuelle, un grand nombre d’entreprises en difficulté pourraient être tentées de recourir à ce type d’argument. Il nous semble par conséquent nécessaire qu’un débat soit ouvert sur la possibilité de clarifier et d’assouplir les conditions dans lesquelles l’argument de « l’entreprise défaillante » peut être aujourd’hui soutenu. À cet égard, le critère de « la disparition inéluctable de tous les actifs de l’entreprise défaillante » nous semble pouvoir être remplacé par celui de « risque sérieux de disparition des actifs de l’entreprise défaillante sur le marché problématique ». De même, le test de « neutralité concurrentielle » pourrait également

Droit I Économie I Régulation

IV. – LA NÉCESSITÉ D’UN DÉBAT SUR LES ACCORDS MULTILATÉRAUX DE RÉDUCTION DE CAPACITÉS À la suite des grandes crises des années 1970, la Commission a envisagé l’idée « d’accepter, pour lutter contre les problèmes structurels d’un secteur, des accords restrictifs de concurrence qui concernent ce secteur dans son ensemble, à condition qu’ils ne prévoient qu’une réduction coordonnée des surcapacités et qu’ils ne limitent pas autrement la liberté de décision individuelle » (XIIe rapport sur la politique de la concurrence, publié en relation avec le XVIe Rapport général sur l’activité des Communautés européennes, 1982, Office des publications officielles des Communautés européennes, Luxembourg, 1983, § 39). Ainsi, des ac-

cords conclus entre l’ensemble ou la majorité des entreprises d’un même secteur et portant sur une réduction coordonnée des capacités en réponse à une crise sectorielle, ont pu être exceptionnellement exemptés d’interdiction en application de l’article 81, paragraphe 3, du Traité CE. Étant donné la situation économique actuelle, on pourrait penser que la possibilité de conclure de tels accords, qui sont parfois présentés sous le terme trompeur de « cartels de crise », retrouve un second souffle. Or, cela ne serait pas d’actualité si l’on en croit la Commission européenne, qui aurait fait clairement comprendre, de manière informelle, que ce type d’argument n’avait aujourd’hui aucune chance de prospérer (le Directeur général de la DG Concurrence, Philip Lowe, a confirmé cette hostilité de principe à l’occasion d’une intervention lors de la table ronde organisée en 2009 par l’OCDE sur la sphère réelle de l’économie et les défis de la politique de la concurrence en période de repli de l’activité : « S’agissant des ententes,

Droit I Économie I Régulation

plus les producteurs ont de latitude pour coordonner leur production ou leurs prix, plus il est probable que les mesures prises pour répondre à la crise en réduisant les capacités s’accompagneront d’une collusion nuisant à la concurrence, aux consommateurs et aux contribuables. Il faut donc que les mesures destinées à régler les problèmes systémiques d’un secteur ne soient pas décidées uniquement par ceux auxquels elles s’appliqueront »). La tendance dominante

au sein de la DG Concurrence consisterait en effet à penser que les problèmes de surcapacités sont inhérents à notre système économique et doivent pouvoir normalement être résolus par le simple fonctionnement du marché. Il n’en demeure pas moins que la possibilité de conclure des accords de réduction concertée de capacités en période de crise est fondée sur une pratique décisionnelle de la Commission qui n’a été

Il incombe désormais aux entreprises et à leurs conseils de déterminer si une entente horizontale remplit ou non les conditions d’exemption de l’article 81, paragraphe 3, du Traité CE. ni confirmée, ni officiellement remise en cause depuis le milieu des années 1990. Avec la suppression de la procédure d’autorisation préalable par le règlement de procédure n° 1/2003, les entreprises ne bénéficient plus de la sécurité juridique qui résultait de la validation de leurs accords par une décision officielle de la Commission ou, à défaut, par une lettre de confort. Il incombe donc désormais aux entreprises et à leurs conseils de déterminer si une entente horizontale remplit ou non les conditions d’exemption de l’article 81, paragraphe 3, du Traité CE. Or, la pratique décisionnelle relative aux accords de réduction de capacités en période de crise est ancienne et cette question n’est pas abordée dans la version actuelle des lignes directrices relatives aux accords de coopération horizontale (Communication Comm. CE, JOUE 6 janv. 2001, n° C 003, Lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 81 du Traité CE aux accords de coopération horizontale).

Dans ces conditions, il apparaît donc urgent que la Commission clarifie et, le cas échéant, actualise sa position concernant ces accords. Si la Commission a décidé d’abandonner définitivement cette jurisprudence, il est souhaitable qu’elle le dise clairement et qu’elle donne ses raisons. Si, au contraire, il est toujours possible aujourd’hui de conclure des accords

PERSPECTIVES ÉTUDE

être assoupli. Cet assouplissement pourrait consister en l’établissement d’une présomption simple de neutralité chaque fois que serait démontré un risque sérieux de disparition des actifs de l’entreprise défaillante sur le marché problématique : en effet, d’un point de vue microéconomique, on peut généralement estimer que la disparition d’un acteur ou son rachat ont généralement un effet similaire sur le niveau des prix. Cette présomption pourrait être renversée par la Commission, chaque fois qu’elle serait en mesure de démontrer que l’opération envisagée présente plus de risques en termes d’impact sur l’offre et le niveau des prix que le scénario de disparition de l’entreprise défaillante. Espérons que ces réflexions préliminaires ouvriront un débat sur une notion essentielle, qui risque de jouer un rôle important dans de nombreux dossiers de concentrations à venir.

multilatéraux de réduction de capacités, la Commission serait bien avisée d’actualiser sa position en adaptant les conditions d’exemption de ces accords à la crise économique et financière que nous traversons actuellement. À cet égard, il serait utile que certaines entreprises invoquent dès à présent les deux précédents communautaires en la matière afin d’encourager la Commission à prendre rapidement position sur cette question. A. – L’affaire des Fibres synthétiques En 1984, dans l’affaire des Fibres synthétiques, la Commission a exempté un accord conclu pour une période de trois ans par les principaux producteurs européens de fibres synthétiques, qui visait à réduire leurs capacités à l’échelon européen (Déc. Comm. n° 84/380/CEE, 4 juill. 1984, aff. IV/30.810, Fibres synthétiques, JOCE 2 août, n° L 207). En l’espèce, l’existence de surcapacités importantes provenait essentiellement de la combinaison entre un développement rapide de la technologie et une stagnation de la demande. L’objectif fixé par les signataires de l’accord était de faire passer le taux d’utilisation des capacités de 70 à 85 %. Si la Commission a considéré que cet accord constituait une entente prohibée par l’article 81, paragraphe 1, du Traité CE, elle a néanmoins estimé qu’il pouvait faire l’objet d’une exemption au titre du paragraphe 3 de ce même article. Dans un premier temps, la Commission a considéré que cet accord pouvait contribuer à améliorer la production et à promouvoir le progrès technique et économique dans la mesure où : (i) il permettait aux entreprises de se libérer des charges financières dues au maintien des capacités excédentaires inutilisées tout en permettant d’augmenter les taux d’utilisation des capacités maintenues ; (ii) il renforçait les structures les plus fortes en incitant les entreprises à fermer les capacités les moins rentables et les moins performantes; (iii) le recentrage des entreprises signataires sur la production de certains produits entraînait des effets de spécialisation permettant d’optimaliser les dimensions des unités de production et d’offrir des produits plus perfectionnés et de meilleure qualité; et où (iv) la coordination des fermetures permettait de faciliter le reclassement du personnel. Dans un deuxième temps, la Commission a estimé que l’accord réservait aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résultait. En particulier, elle a considéré qu’à long terme, les consommateurs bénéficieraient de l’assainissement du secteur, d’une offre compétitive

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LE DROIT DE LA CONCURRENCE FACE AUX DÉFIS DE LA CRISE MONDIALE

et de produits de meilleure qualité grâce à la spécialisation, tandis qu’à court terme, ils continueraient de bénéficier de la concurrence qui subsisterait entre les participants. Dans un troisième temps, la Commission a estimé que les restrictions imposées aux signataires de l’accord étaient limitées aux mesures indispensables pour atteindre les objectifs prévus. À cet égard, elle a notamment observé que : (i) l’entente ne portait que sur la réduction des capacités excédentaires et était limitée dans le temps ; (ii) l’accord ne restreignait pas la liberté des parties concernant la production et les livraisons, les clauses qui auraient pu porter atteinte à cette liberté ayant été éliminées ; et (iii) la stipulation d’amendes contractuelles était indispensable pour obliger les signataires à respecter strictement le calendrier des fermetures prévues. Enfin, la Commission a constaté que l’accord ne donnait pas aux parties la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause, après avoir relevé que : (i) d’autres opérateurs présents sur le marché faisait une concurrence vive aux signataires de l’accord ; (ii) les produits faisant l’objet de l’accord pouvaient entrer en concurrence avec d’autres produits (fibres naturelles et cellulosiques) ; (iii) la durée de l’accord obligeait les signataires à tenir compte dans leur comportement de la disparition prochaine des restrictions prévues ; et (iv) aucune disposition de l’accord ne visait à coordonner le comportement commercial des signataires. B. – L’affaire des Briques hollandaises En 1994, la Commission a exempté un autre « cartel de crise » dans l’affaire des Briques hollandaises (Déc. Comm. CE n° 94/296, 29 avr. 1994, aff. IV/34.456, Stichting Baksteen, JOCE 26 mai, n° L 131). En l’espèce, l’accord avait pour

objet de répondre aux difficultés rencontrées par l’industrie hollandaise des briques depuis plusieurs années. En effet, la mise en place de nouveaux procédés technologiques et la construction de plus grandes installations, associées à une baisse de la consommation de 20 %, avaient entraîné entre 1989 et 1991 une diminution de 10 % du taux d’utilisation des capacités. Ainsi, le stock de briques aux Pays-Bas représentait à la fin de 1991 environ 32 % de la vente totale de briques par les entreprises néerlandaises, soit un pourcentage largement supérieur à ce qui était alors considéré comme supportable au regard des charges financières générées par le maintien de ces capacités inutilisées. En outre, le prix

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des briques avait baissé de 30 % en dix ans et les entreprises impliquées connaissaient des pertes d’exploitation sans pouvoir espérer une amélioration durable de la situation à court terme. Afin de permettre une réduction des capacités de production des briques aux Pays-Bas, un accord de restructuration et d’assainissement a été conclu en 1992 pour une durée de cinq ans par seize producteurs néerlandais. L’accord reposait notamment sur l’engagement de quatre producteurs à fermer définitivement sept usines et à ne pas vendre les équipements de production de ces usines à des producteurs localisés dans un rayon géographique de 500 kilomètres à partir de la frontière néerlandaise. L’accord prévoyait également la création d’un fonds de compensation, géré par l’association Stichting Baksteen. Ce fonds devait être alimenté par l’ensemble des entreprises signataires et était destiné à couvrir les coûts de fermeture des usines. Enfin, l’accord stipulait une interdiction pour toutes les parties signataires de créer de nouvelles capacités de production pendant une période de cinq ans. Bien que le marché des briques soit considéré comme étant structurellement régional, la Commission a estimé que cet accord était susceptible d’affecter le commerce entre États membres. Elle a toutefois considéré que les conditions d’exemption posées par l’article 81, paragraphe 3, du Traité CE, étaient en l’espèce réunies. S’agissant de la condition relative à l’amélioration de la production et à la promotion du progrès technique et économique, la Commission a retenu les éléments suivants : (i) les entreprises s’étant engagées à fermer des capacités ne l’auraient pas fait si elles n’avaient pas eu la certitude de ne pas être les seules à le faire, si elles n’avaient pas reçu de soutien financier et si elles n’avaient pas eu la certitude qu’aucune capacité nouvelle ne serait construite pendant une durée de cinq ans ; (ii) la réduction des capacités permettait d’éliminer le coût du maintien des capacités excédentaires, sans pour autant entraîner une baisse de la production ; et (iii) en raison de la fermeture des usines les plus inadaptées et les moins performantes, la production devait être désormais concentrée dans les usines les plus modernes, ce qui devait leur permettre de fonctionner à un niveau de capacité et de productivité plus élevé et de diminuer d’autant l’incidence des coûts fixes. En ce qui concerne la condition relative au bénéfice tiré de l’accord par les consommateurs, la Commission a consi-

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déré qu’à long terme, ceux-ci bénéficieraient de l’assainissement du secteur et d’une offre compétitive, tandis qu’à court terme, ils continueraient de bénéficier de la concurrence qui subsisterait entre les participants. Si la Commission a admis qu’il existait un risque d’augmentation des prix à court terme, elle a toutefois estimé que ce risque était compensé par la baisse envisagée des coûts de stockage, qui permettait d’escompter une incidence favorable sur les prix de vente, ainsi que par la possibilité pour les consommateurs de faire appel à d’autres sources d’approvisionnement en cas de prix inéquitables pratiqués par les entreprises signataires de l’accord. La condition relative au caractère indispensable et proportionné des restrictions de concurrence au regard de l’objectif poursuivi par l’accord était également remplie selon la Commission, dans la mesure où : (i) il était nécessaire que l’accord contienne un programme de fermeture détaillé et contraignant, qui garantisse le démantèlement effectif des sept usines ainsi que l’absence de création de toute nouvelle capacité pendant une période de cinq ans ; (ii) la liberté des parties en ce qui concerne la production, les prix, les conditions de vente, les importations/exportations, les livraisons et les fusions/acquisitions n’étaient pas restreintes par l’accord, les dispositions qui auraient pu porter atteinte à ces libertés ayant été éliminées ; (iii) aucune disposition de l’accord ne visait à coordonner le comportement commercial des entreprises signataires ; (iv) le système de compensation était indispensable car la moitié des entreprises concernées ne pouvait pas réduire leurs capacités au risque de cesser toute activité et il était nécessaire d’encourager les entreprises plus importantes à fermer certaines de leurs usines ; (v) la stipulation de pénalités contractuelles, ainsi que l’extension des engagements pris par les quatre producteurs aux éventuels non signataires acheteurs des sites destinés à être fermés, étaient nécessaires pour assurer la fermeture effective des usines ; et où (vi) l’accord était strictement limité dans le temps. Enfin, la Commission a estimé que l’accord ne donnait pas aux entreprises signataires la possibilité d’éliminer la concurrence sur une partie substantielle du marché en cause, car : (i) la concurrence continuait à jouer entre les entreprises, notamment en matière de prix ; (ii) les entreprises ne renonçaient pas à toute liberté d’action en matière de stratégie concurrentielle ; (iii) d’autres pro-

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CONCLUSION Face aux défis de la crise systémique, la Commission a pour l’instant concentré tous ses efforts sur l’adaptation de sa politique de concurrence en matière d’aides d’État. Elle a ainsi fait preuve d’un grand pragmatisme dans l’application des règles existantes, créant un nouveau corpus de règles applicables uniquement en cas de crise mondiale. S’il est encore trop tôt

Droit I Économie I Régulation

pour juger de l’efficacité de cette politique, on peut toutefois déjà s’interroger sur la question de savoir si la transformation de la Commission en régulateur de facto du secteur bancaire européen ne devrait pas aboutir à la création d’une autorité européenne spécifique de régulation bancaire, qui aurait pour double mission de veiller au respect de la réglementation prudentielle européenne et de contrôler les aides d’État accordées au secteur financier. Par ailleurs, ainsi que nous nous sommes efforcés de le démontrer, la crise actuelle devrait favoriser un débat sur le niveau actuel extrêmement élevé des amendes antitrust, en particulier dans le domaine des ententes de prix et des cartels. Il est, en effet, singulier qu’un cartel soit condamné de la même manière, qu’il ait été mis en œuvre dans un contexte de crise ou dans un contexte de marché mature ou en forte croissance, alors que, dans le premier cas, les profits illicites sont quasi nuls et que, dans le second cas, ces mêmes profits illicites peuvent être élevés. Afin d’assurer une plus grande proportionnalité entre ses amendes et les infractions incriminées, la Commission européenne pourrait utilement s’inspirer de la loi française, qui oblige l’Autorité de la concurrence à apprécier l’effet sur le consommateur (et donc l’effet sur le niveau des prix) de chaque infraction au travers de la notion de « dommage à l’économie ». En matière de contrôle des concentrations, on peut redouter que les autorités de la concurrence européennes soient confrontées à de nombreuses affaires impliquant des entreprises en difficulté, ce qui leur permettrait de clarifier les conditions de la « failing firm defense » et de la « division firm defense ». Espérons que cette clarification ait lieu dans le sens d’une simplification et d’un assouplissement des critères existants. À cet égard, le critère de « la disparition inéluctable de tous les

PERSPECTIVES ÉTUDE

ducteurs non signataires ainsi que des importateurs présents sur le marché assuraient l’existence d’une concurrence externe ; (iv) les produits concernés par l’accord entraient en concurrence avec des matériaux alternatifs de construction et de finition suffisamment substituables; et car (v) l’accord était strictement limité dans le temps, ce qui incitait les entreprises à tenir compte, dans leur comportement pendant la durée même de l’accord, du fait qu’elles redeviendraient à terme des concurrents à part entière. On voit bien dans ces deux décisions que les accords de réduction de capacités ont été conclus alors que (i) les marchés en cause étaient relativement fragmentés et (ii) qu’il existait des surcapacités importantes et durables. Dans ces conditions, les réductions envisagées étaient peu susceptibles d’aboutir à une hausse du niveau des prix. À cet égard, il est probable que de nombreuses filières industrielles soient tentées prochainement de conclure de tels accords, plutôt que de laisser faire le marché. Agir de manière concertée leur permettrait en effet non seulement de partager équitablement les coûts engendrés par les réductions de capacités, mais également de parvenir à un ajustement rapide de l’offre aux conditions du marché. Dans le contexte actuel, il n’est pas certain que le libre jeu du marché soit en mesure de remédier aussi efficacement aux problèmes de surcapacités industrielles.

actifs de l’entreprise défaillante » nous semble pouvoir être remplacé par celui de « risque sérieux de disparition des actifs de l’entreprise défaillante sur le marché problématique ». De même, le test de « neutralité concurrentielle » pourrait également être assoupli. Cet assouplissement pourrait consister en l’établissement d’une présomption simple de neutralité chaque fois que serait démontré un risque sérieux de disparition des actifs de l’entreprise défaillante sur le marché problématique : en effet, d’un point de vue microéconomique, on peut généralement estimer que la disparition d’un acteur ou son rachat ont un effet similaire sur le niveau des prix. Cette présomption pourrait être renversée par la Commission, chaque fois qu’elle serait en mesure de démontrer que l’opération envisagée présente plus de risques en termes d’impact sur l’offre et le niveau des prix que le scénario de disparition de l’entreprise défaillante. Enfin, il est urgent que la Commission clarifie sa position en matière d’accords multilatéraux de réduction de capacités. Par le passé, des accords conclus entre l’ensemble ou la majorité des entreprises d’un même secteur et portant sur une réduction coordonnée des capacités en réponse à une crise sectorielle, ont fait l’objet d’une exemption individuelle sur le fondement de l’article 81, paragraphe 3, du Traité CE. Cela étant, il semblerait que la Commission soit désormais devenue hostile à ce type d’accord. Si la Commission européenne a décidé d’abandonner définitivement cette jurisprudence, il est souhaitable qu’elle le dise clairement et qu’elle donne ses raisons. Si, au contraire, il est toujours possible aujourd’hui de conclure des accords multilatéraux de réduction de capacités, la Commission serait bien avisée d’actualiser sa position, en adaptant les conditions d’exemption de ces accords à la crise économique et financière que nous traversons actuellement. ◆

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R LC

PERSPECTIVES PRATIQUE

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Après avoir abordé les modifications du cadre légal de la négociation commerciale impliquées par l’adoption récente de la loi de modernisation de l’économie (cf. RLC 2009/19, n° 1383), nous envisagerons à présent la réforme des délais de paiement et la véritable problématique de l’applicabilité des dispositions de la LME aux ventes internationales de marchandises. Ensuite, Nathalie Daley, consultante et économiste au sein du cabinet Microeconomix, nous livrera son analyse économique des marges arrière.

Loi de modernisation de l’économie – An I – Dispositions relatives aux relations industrie/commerce (2de partie) Thomas LAMY

par Jean-Christophe GRALL

Associé du Cabinet MG Avocats Meffre & Grall

Associé fondateur du Cabinet MG Avocats Meffre & Grall

(…)

II. – LA RÉFORME DES DÉLAIS DE PAIEMENT Rappel des dispositions de l’article L. 441-6 du Code de commerce : « (…) 9. Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser 45 jours fin de mois ou 60 jours à compter de la date d’émission de la facture. 10. Les professionnels d’un secteur, clients et fournisseurs, peuvent décider conjointement de réduire le délai maximum de paiement fixé à l’alinéa précédent. Ils peuvent également proposer de retenir la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation de services demandée comme point de départ de ce délai. Des accords sont conclus à cet effet par leurs organisations professionnelles. Un décret peut étendre le nouveau délai maximum de paiement à tous les opérateurs du secteur ou, le cas échéant, valider le nouveau mode de computation et l’étendre à ces mêmes opérateurs. 11. Nonobstant les dispositions précédentes de l’alinéa précédent, pour le transport routier de marchandises, pour la location de véhicules avec ou sans conducteur, pour la commission de transport ainsi que pour les activités de transitaire, d’agent maritime et de fret aérien, de courtier de fret et de commissionnaire en douane, les délais de paiement convenus ne peuvent en aucun cas dépasser trente jours à compter de la date d’émission de la facture.

Droit I Économie I Régulation

Nathalia KOUCHNIRCARGILL

et Eléonore CAMILLERI

Associée du Cabinet MG Avocats Meffre & Grall

Avocat du Cabinet MG Avocats – Grall et associés

12. Les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les conditions d’application et le taux d’intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date. Sauf disposition contraire qui ne peut toutefois fixer un taux inférieur à trois fois le taux d’intérêt légal, ce taux est égal au taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage. Les pénalités de retard sont exigibles sans qu’un rappel soit nécessaire. (…) 14. Est puni d’une amende de 15 000 euros, le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième et onzième alinéas, le fait de ne pas indiquer dans les conditions de règlement les mentions figurant à la première phrase du douzième alinéa ainsi que le fait de fixer un taux ou des conditions d’exigibilité selon des modalités non conformes aux dispositions du même alinéa ». Dispositions non codifiées relatives aux délais de paiement (article 21 de la LME) : « III. – Le 1° du I ne fait pas obstacle à ce que des accords interprofessionnels dans un secteur déterminé définissent un délai de paiement maximum supérieur à celui prévu au neuvième alinéa de l’article L. 441-6 du Code de commerce, sous réserve : 1° Que le dépassement du délai légal soit motivé par des raisons économiques objectives et

spécifiques à ce secteur, notamment au regard des délais de paiement constatés dans le secteur en 2007 ou de la situation particulière de rotation des stocks ; 2° Que l’accord prévoie la réduction progressive du délai dérogatoire vers le délai légal et l’application d’intérêts de retard en cas de non-respect du délai dérogatoire fixé dans l’accord ; 3° Que l’accord soit limité dans sa durée et que celle-ci ne dépasse pas le 1er janvier 2012. Ces accords conclus avant le 1er mars 2009 sont reconnus comme satisfaisant à ces conditions par décret pris après avis du Conseil de la concurrence. Ce décret peut étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l’activité relève des organisations professionnelles signataires de l’accord. IV. – Les I et II s’appliquent aux contrats conclus à compter du 1er janvier 2009. V. – Dans le cas des commandes dites “ouvertes” où le donneur d’ordre ne prend aucun engagement ferme sur la quantité des produits ou sur l’échéancier des prestations ou des livraisons, les I et II s’appliquent aux appels de commande postérieurs au 1er janvier 2009. VI. – Pour les livraisons de marchandises qui font l’objet d’une importation dans le territoire fiscal des départements de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de La Réunion, ainsi que des collectivités d’outre-mer de Mayotte, de SaintPierre-et-Miquelon, de Saint-Martin et de SaintBarthélemy, le délai prévu au neuvième alinéa de l’article L. 441-6 du Code de commerce est décompté à partir de la date de réception des marchandises ».

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LOI DE MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE – AN I – DISPOSITIONS RELATIVES AUX RELATIONS INDUSTRIE/COMMERCE (2 DE PARTIE)

FAQ de la DGCCRF : Le nouveau plafond légal s’appliquet-il à tous les secteurs économiques ? Oui, le nouveau plafond s’applique à tout producteur, commerçant, industriel ou artisan, à l’exclusion des non professionnels. Toutefois, certains secteurs demeurent soumis à des délais spécifiques : 30 jours pour le transport de marchandises et 20 ou 30 jours selon les produits alimentaires périssables. Les délais de 75 jours pour certaines boissons alcooliques ont été ramenés à 60 jours ou 45 jours fin de mois. Quel est le point de départ de la computation du délai ? Il s’agit de la date d’émission de la facture dans la généralité des cas. En revanche, le point de départ est la date de réception des marchandises pour les départements d’outre-mer et les collectivités d’outre-mer de Mayotte, de Saint-Pierre et Miquelon, de SaintMartin et de Saint-Barthélemy. Toutefois, le point de départ peut être la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation de services si des accords entre les organisations professionnelles concernées le prévoient. Ce choix de point de départ ne doit néanmoins pas conduire à un délai final supérieur à 60 jours calendaires ou 45 jours fin de mois à compter de la date d’émission de la facture. Ce nouveau plafond légal s’appliquet-il à tous produits ou services ? Oui, la loi n’opère pas de distinction. De qui dépend le choix entre 60 jours calendaires et 45 jours fin de mois ? C’est un choix qui relève de la liberté contractuelle des opérateurs. Pour les opérateurs soumis à l’établissement d’une convention unique, celle-ci devra mentionner ce choix. Comment comprendre le mode de computation des 45 jours fin de mois ? Une pratique consiste à comptabiliser les 45 jours à compter de la date d’émission de la facture, la limite de paiement intervenant à la fin du mois civil au cours duquel expirent ces 45 jours. Toutefois il est également envisageable de comptabiliser les délais d’une autre façon, consistant à ajouter 45 jours à la fin du mois d’émission de la facture.

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S’agissant des dérogations à la loi, à quoi la date du 1er mars correspondelle exactement : la date de conclusion de l’accord, du visa du Conseil de la concurrence, de la parution du décret ? La date du 1er mars est celle de la conclusion de l’accord. Les professionnels qui sont en train de négocier un accord dérogatoire pourront-ils être sanctionnés au 1er janvier 2009 ? Les accords conclus avant le 1er janvier 2009 ne donneront pas lieu à contrôle avant la décision d’homologuer ou pas. Pour le reste, la loi est d’application le 1er janvier 2009. Qui va examiner les projets d’accords au regard des critères définis dans la loi ? C’est l’administration qui va effectuer cet examen et si les conditions prévues par la loi sont remplies, un projet de décret validant l’accord sera transmis à l’Autorité de la concurrence pour avis. Il examinera le bilan concurrentiel de l’accord et ses éventuels effets anticoncurrentiels. Enfin, le ministre prendra sa décision. Un contrat conclu par exemple pour 3 ans avant le 1er janvier 2009 échappera-t-il au nouveau plafond légal durant tout le temps de son exécution ? Quid d’un contrat annuel tacitement reconductible ? Pour les relations entre un fournisseur et un distributeur, la question ne se pose pas dès lors que la convention unique est obligatoirement annuelle. Pour les autres cas, il convient de distinguer entre une clause d’indexation contenue dans le contrat et qui fait varier le prix automatiquement et une clause de révision de prix qui implique un nouvel accord de volonté entre les parties. La première correspond effectivement à un contrat pluriannuel, tandis que la seconde est en réalité une succession de contrats annuels même s’il existe une convention cadre. Enfin, la loi nouvelle s’applique également aux contrats tacitement renouvelés, ceux-ci étant considérés de jurisprudence constante comme de nouveaux contrats.

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Les débiteurs peuvent-ils exiger de leurs créanciers une « compensation » du fait de la réduction des délais de paiement? Au sens strict, une obligation légale d’ordre public n’a pas à donner mécaniquement lieu à une compensation au premier euro. La situation des délais de paiement a toutefois toujours été prise en compte dans les négociations commerciales. Elle le sera également à l’avenir. Le dépassement des nouveaux plafonds introduits par la loi de modernisation de l’économie fait-il l’objet d’une sanction pénale ? Non, le dépassement des nouveaux plafonds fait l’objet d’une sanction civile, prévue à l’article L. 442-6 du Code de commerce. En revanche, l’article L. 441-6 du Code de commerce prévoit encore une sanction pénale pour un certain nombre de cas particuliers : le respect du délai supplétif (lorsque les parties n’ont pas convenu d’un délai), le délai relatif au secteur du transport et les mentions obligatoires dans les conditions de règlement. En effet, les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les conditions d’application et le taux d’intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date. Quelle utilisation fera-t-on des rapports des commissaires aux comptes ? Ils concourront à l’élaboration des programmes d’enquête de la DGCCRF. Le décret d’application sur les rapports des commissaires aux comptes est prévu pour la fin de l’année 2008. Les nouvelles dispositions relatives aux délais de paiement s’imposent-elles aux contrats internationaux ? La jurisprudence a reconnu le caractère d’ordre public à l’article L. 442-6 du Code de commerce qui prévoit la sanction civile du dépassement des délais légaux de paiement. La DGCCRF, qui intervient au nom de l’ordre public économique, veillera à ce que des créanciers français ne se voient pas imposer des délais de paiement anormalement longs par leurs débiteurs, en

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Avis de la CEPC : Délais de paiement au 1er janvier 2009 : Un contrat conclu par exemple pour 3 ans avant le 1er janvier 2009 échappera-t-il au nouveau plafond légal durant tout le temps de son exécution ? Quid d’un contrat annuel tacitement reconductible ? Pour les relations entre un fournisseur et un distributeur, la question ne se pose pas dès lors que la convention unique est obligatoirement annuelle. Pour les autres cas, il convient de distinguer entre une clause d’indexation contenue dans le contrat et qui fait varier le prix automatiquement et une clause de révision de prix qui implique un nouvel accord de volonté entre les parties. La première correspond effectivement à un contrat pluriannuel, tandis que la seconde est en réalité une succession de contrats annuels même s’il existe une convention cadre. Enfin, la loi nouvelle s’applique également aux contrats tacitement renouvelés, ceux-ci étant considérés de jurisprudence constante comme de nouveaux contrats. Délais de paiement – Compensations : Est-il légal de négocier des compensations à la réduction des délais de paiement ? Quel peut-être le taux de cette compensation ? Oui. Si l’obligation légale d’ordre public n’a pas à donner mécaniquement lieu à une compensation au premier euro, elle ne l’interdit pas. La situation des délais de paiement peut toujours être prise en compte dans les négociations commerciales. Le taux de la compensation à une réduction des délais de paiement ne doit pas être abusif, il ne peut créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Délais de paiement – Facturation : Estil légal de délocaliser à l’étranger son centre de facturation, ou de facturer par une filiale à l’étranger, pour ne pas être obligé de respecter la réduction des délais de paiement ? Non, bien sûr, s’il s’agit de détourner ou de contourner la loi. Mais, cette réponse mérite des précisions en cours de rédaction. Délais de paiement – Livraisons : Estil légal d’imposer des livraisons pour

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six mois de stocks quand le client doit payer à 60 jours ? Non si cette contrainte crée un déséquilibre significatif et/ou un abus de dépendance économique. Délais de paiement – Sanctions : Le dépassement des nouveaux plafonds introduits par la loi de modernisation de l’économie fait-il l’objet d’une sanction pénale ? Non, le dépassement des nouveaux plafonds fait l’objet d’une sanction civile, prévue à l’article L. 442-6 du Code de commerce. En revanche, l’article L. 441-6 du Code de commerce prévoit encore une sanction pénale pour un certain nombre de cas particuliers : le respect du délai supplétif (lorsque les parties n’ont pas convenu d’un délai), le délai relatif au secteur du transport et les mentions obligatoires dans les conditions de règlement. En effet, les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les conditions d’application et le taux d’intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture, dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date. Délais de paiement au 1er janvier 2009 : Est-il légal de ne pas appliquer, dans la filière de la jardinerie, la réduction imposée au 1er janvier 2009 à des commandes de pré-saison passées en 2008 mais livrables que, par exemple, au printemps 2009 ? Oui, dès lors que les commandes portent sur des quantités précises de produits déterminées à des prix convenus, elles peuvent être traitées aux conditions de règlement licites en 2008. Délais de paiement au 1er janvier 2009 : Est-il légal de ne pas appliquer la réduction obligatoire à 60 jours à un contrat « ferme » signé avant le 31 décembre 2008 ? Oui, les nouveaux délais de paiement ne sont applicables qu’aux contrats conclus à compter du 1er janvier 2009. Toute vente conclue avant cette date (accord sur la chose et sur le prix) peut donc comporter des délais plus longs. Plusieurs cas sont à distinguer : – « contrat-cadre » conclu avant le 1er janvier 2009, sans accord sur la chose et le prix : le contrat n’est pas formé, toutes commandes ou contrats passés après le 1er janvier 2009 devront appliquer les délais de paiement de la LME ; – « contrat-cadre » conclu avant le 1er janvier 2009, avec accord sur la chose et le prix mais sans quantité et/ou un échéancier : le contrat est formé, toutes

PERSPECTIVES PRATIQUE

particulier ceux qui utiliseraient des centrales de paiement à l’étranger, dans le seul but d’échapper aux dispositions nationales.

les commandes passées après le 1er janvier doivent appliquer les délais de paiement de la LME ; – « contrat-cadre » conclu avant le 1er janvier 2009, avec accord sur la chose et le prix et avec des quantités et/ou un échéancier : les commandes passées après le 1er janvier n’ont pas l’obligation d’appliquer les délais de paiement de la LME. Délais de paiement – Calcul : Comment comprendre le mode de computation des 45 jours fin de mois ? Une pratique consiste à comptabiliser les 45 jours à compter de la date d’émission de la facture, la limite de paiement intervenant à la fin du mois civil au cours duquel expirent ces 45 jours. Toutefois, il est également envisageable de comptabiliser les délais d’une autre façon, consistant à ajouter 45 jours à la fin du mois d’émission de la facture. Délais de paiement – Calcul : De qui dépend le choix entre 60 jours calendaires et 45 jours fin de mois ? C’est un choix qui relève de la liberté contractuelle des opérateurs. Pour les opérateurs soumis à l’établissement d’une convention unique, celle-ci devra mentionner ce choix. Délais de paiement concernés : Ce nouveau plafond légal s’applique-t-il à tous produits ou services ? Oui, la loi n’opère pas de distinction. Délais de paiement concernés : Le nouveau plafond légal s’applique-t-il à tous les secteurs économiques ? Oui, le nouveau plafond s’applique à tout producteur, commerçant, industriel ou artisan, à l’exclusion des non professionnels. Toutefois, certains secteurs demeurent soumis à des délais spécifiques : 30 jours pour le transport de marchandises et 20 ou 30 jours selon les produits alimentaires périssables. Les délais de 75 jours pour certaines boissons alcooliques ont été ramenés à 60 jours ou 45 jours fin de mois. Délais de paiement – Contrôles : Quelle utilisation fera-t-on des rapports des commissaires aux comptes ? Ils concourront à l’élaboration des programmes d’enquête de la DGCCRF. Le décret d’application sur les rapports des commissaires aux comptes est prévu pour la fin de l’année 2008. Délais de paiement – Dérogations : Les professionnels qui sont en train de négocier un accord dérogatoire pourrontils être sanctionnés au 1er janvier 2009?

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LOI DE MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE – AN I – DISPOSITIONS RELATIVES AUX RELATIONS INDUSTRIE/COMMERCE (2 DE PARTIE)

Les accords conclus avant le 1er janvier 2009 ne donneront pas lieu à contrôle avant la décision d’homologuer ou pas. Pour le reste, la loi est d’application le 1er janvier 2009. Délais de paiement – Dérogations : S’agissant des dérogations à la loi, à quoi la date du 1er mars correspondelle exactement : la date de conclusion de l’accord, du visa du Conseil de la concurrence, de la parution du décret ? La date du 1er mars est celle de la conclusion de l’accord. Délais de paiement – Dérogations : Qui va examiner les projets d’accords au regard des critères définis dans la loi ? C’est l’administration qui va effectuer cet examen et si les conditions prévues par la loi sont remplies, un projet de décret validant l’accord sera transmis au Conseil de la concurrence pour avis. Il examinera le bilan concurrentiel de l’accord et ses éventuels effets anticoncurrentiels. Enfin, le ministre prendra sa décision. Délais de paiement – Détournement : Est-il légal de conclure un nouveau système de vente en consignation pour n’engager le début du délai de paiement qu’après la vente effective des produits ? Non s’il s’agit manifestement de « détourner » ou de « contourner » la loi. La LME ne remet pas en cause le régime juridique du dépôt-vente ou vente en consignation. La vente en consignation n’est pas interdite. Cependant, appliquer contrairement aux habitudes anciennes une telle pratique, dans le but de contourner les obligations relatives à la réduction des délais de paiement, devient une pratique abusive.

Délais de paiement – Point de départ : Quel est le point de départ de la computation du délai ? Il s’agit de la date d’émission de la facture dans la généralité des cas. En revanche, le point de départ est la date de réception des marchandises pour les départements d’outre-mer et les collectivités d’outre-mer de Mayotte, de Saint-Pierre et Miquelon, de SaintMartin et de Saint-Barthélemy. Toutefois, le point de départ peut être la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation de services si des accords entre les organisations professionnelles concernées le prévoient. Ce choix de point de départ ne doit néanmoins pas conduire à un délai final supérieur à 60 jours calendaires ou 45 jours fin de mois à compter de la date d’émission de la facture. Nos observations : L’article 21 de la LME (article 6 du projet de loi) plafonne à 45 jours fin de mois ou 60 jours calendaires date d’émission de facture le délai de paiement convenu entre les entreprises, sous réserve bien entendu des délais réglementaires qui existent d’ores et déjà auPRINCIPE

– 45 jours fin de mois ; ou – 60 jours date d’émission de facture (ou date de réception des marchandises pour les DOM et les collectivités d’outre-mer). (NB : Le délai supplétif minimal de 30 jours demeure à défaut de dispositions contraires dans les CGV)

Délais de paiement partenaires étrangers : Est-il légal d’appliquer la limite des délais de paiement par un fournisseur en France à un client étranger ? Est-il légal d’appliquer la limite des délais de paiement par un fournisseur étranger à un client en France ? Réponses en attente de rédaction.

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Pour les livraisons de marchandises qui font l’objet d’une importation sur le territoire fiscal des départements et des collectivités d’outre-mer, tels que la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, la Réunion, etc., le délai ne commencera à courir qu’à compter de la réception des marchandises, ce qui est logique dès lors qu’en l’absence de telles dispositions les factures pourraient devoir être réglées avant même que les marchandises voyageant par bateau ne parviennent à destination ! EXCEPTION Les organisations professionnelles d’un secteur peuvent conclure un accord réduisant ces délais de paiement. Ils peuvent également proposer de retenir la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation de services comme point de départ de ce délai. Un décret peut étendre ce nouveau délai à tous les opérateurs d’un secteur ou valider le nouveau mode de computation et l’étendre à tous les opérateurs concernés.

Délais maxima de règlement :

Délais de paiement – Escomptes : Les débiteurs peuvent-ils exiger de leurs créanciers une « compensation » du fait de la réduction des délais de paiement? Au sens strict, une obligation légale d’ordre public n’a pas à donner mécaniquement lieu à une compensation au premier euro. La situation des délais de paiement a toutefois toujours été prise en compte dans les négociations commerciales. Elle le sera également à l’avenir.

jourd’hui sous l’article L. 443-1 du Code de commerce pour les produits alimentaires périssables, le bétail sur pied et la viande fraiche dérivée, les boissons alcooliques, le poisson surgelé, etc. S’agissant des boissons alcooliques visées sous l’article L. 443-1, quatrième alinéa, du Code de commerce, l’article 22 de la LME modifie le délai de paiement réglementaire existant de 75 jours après la date de livraison et le plafonne à 45 jours fin de mois ou 60 jours calendaires date d’émission de facture.

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30 jours émission de la facture pour le transport routier de marchandises, pour la location de véhicules avec ou sans conducteur, pour la commission de transport ainsi que pour les activités de transitaire, d’agent maritime et de fret aérien, de courtier de fret et de commissionnaire en douane. Des accords interprofessionnels d’un secteur donné peuvent convenir de délais de paiement supérieurs si : – raisons économiques objectives ; réduction progressive vers le délai légal et application d’intérêts de retard en cas de non-respect de l’objectif ; – durée limitée (l’accord ne doit pas dépasser le 1er janvier 2012). Accords validés par décret après avis du Conseil de la concurrence. Délais réglementés de l’article L. 443-1 du Code de commerce (produits alimentaires périssables, bétail et viande fraîche, boissons alcooliques).

Droit I Économie I Régulation

◆◆◆ Des accords interprofessionnels ont été conclus ou sont en cours de négociation : Deux types d’accords sont prévus par l’article 21 de la LME : Les nouvelles dispositions prévoient que les professionnels d’un secteur d’activité pourront proposer de retenir la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation de services demandée comme point de départ de ce délai. Des accords seront conclus à cet effet par leurs organisations professionnelles. Ce texte prévoit également la possibilité d’étendre par décret à l’ensemble d’un secteur professionnel les accords qui auraient été conclus par les organisations professionnelles du secteur en cause en vue de réduire les délais de paiement en dessous des nouveaux plafonds. Mais surtout des accords interprofessionnels peuvent également intervenir afin de déroger jusqu’au 1er janvier 2012 aux nouveaux délais de paiement. Il est en effet prévu des dérogations exceptionnelles par accord interprofessionnel pour une durée limitée, sans pouvoir

Droit I Économie I Régulation

excéder le 31 décembre 2011, lorsque des situations objectives liées à des secteurs économiques le justifieront ; ces accords interprofessionnels doivent faire l’objet d’un décret après avis du Conseil de la concurrence devenu l’Autorité de la concurrence. De très nombreux secteurs d’activité ont souhaité bénéficier de cette dérogation : Ces accords concernent les secteurs et organisations professionnelles signataires suivants : . Le jouet : – Fédération française des industries jouet-puériculture – Fédération des commerces spécialistes du jouet et des produits de l’enfant Le bricolage : – Fédération des magasins de bricolage Union nationale des industriels du bricolage, du jardinage et de l’aménagement du logement – Syndicat des entreprises de commerce international de machines portatives, de matériel pneumatique et de machines à agrafer et à clouer L’horlogerie – bijouterie – orfèvrerie – joaillerie : – Fédération nationale des chambres syndicales des horlogers, bijoutiers, joailliers et orfèvres, détaillants et artisans de France – Syndicat Saint-Éloi, Union du commerce de l’horlogerie, bijouterie, joaillerie, orfèvrerie et accessoires – Chambre syndicale nationale de la bijouterie fantaisie, bijouterie métaux précieux, orfèvrerie, cadeaux, industries s’y rattachant – Union française bijouterie, joaillerie, orfèvrerie, des pierres et des perles – Fédération de l’horlogerie – Chambre française de l’horlogerie et des microtechniques – Fédération nationale artisanale des métiers d’art, de création du bijou – Conseil interprofessionnel de la bijouterie et de l’horlogerie La papeterie : – Union de la filière papetière – Syndicat national des papetiers répartiteurs spécialisés – Fédération de l’équipement de bureau – Association des industriels de la papeterie et du bureau Le bâtiment et travaux publics : – Fédération française du bâtiment (FFB) – Confédération des artisans et petites entreprises du bâtiment (CAPEB)

– Fédération nationale des travaux publics (FNTP) – Fédération nationale des sociétés coopératives de production du bâtiment et des travaux publics (FNSCOP BTP) – Union des maisons françaises (UMF) – Syndicat des entreprises de génie électrique et climatique (SERCE) – Confédération du négoce boismatériaux (CNBM) – Fédération du négoce des matériaux de construction (FNMC) – Fédération française du négoce de bois (FFNB) – APIBOIS, Syndicat national des constructeurs de charpentes en bois lamellé (SNBL) – Syndicat national des fabricants de structures et charpentes industrialisées en bois (SCIBO) – Syndicat des fabricants de maisons à ossature bois (SYMOB) – Union française des fabricants et entrepreneurs de parquet (UFFEP) – Union des fabricants de contreplaqué (UFC), Union des industries des panneaux de process (UIPP) – Chambre syndicale des fabricants du verre plat (CSPVP) – Chambre syndicale française de l’étanchéité (CSFE) – Fédération française des tuiles et briques (FFTB) – Fédération de l’industrie du béton (FIB) – Syndicat des isolants et des laines minérales (FILMM) – Groupement bâtiment de la Fédération des industriels des peintures, encres, couleurs, colles et adhésifs (FIPEC) – Syndicat français des enducteurs calandreurs (SFEC) – Syndicat français de l’industrie cimentière (SFIC) – Syndicat français des joints et façades (SFJF) – Syndicat national des industries du plâtre (SNIP) – Syndicat national des mortiers industriels (SNMI) – Syndicat national des plastiques alvéolaires (SNPA) – Syndicat national du béton prêt à l’emploi (SNBPE) – Syndicat national des industries de roches ornementales et de construction (SNROC) – Syndicat national des adjuvants pour bétons et mortiers (SYNAD) – Union nationale des producteurs de granulat (UNPG) – Syndicat des tubes et raccords en PVC (STR PVC) – Syndicat des tubes et raccords en polyéthylène (STR PE)

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PERSPECTIVES PRATIQUE

S’agissant des délais de paiement applicables aux DOM/TOM, la DGCCRF a pu fournir les informations suivantes, qui sont très précises et fort utiles aux opérateurs économiques : « Vous souhaitez d’abord savoir comment définir la date de réception des marchandises visées par l’article 21-VI de la LME dans les DOM-COM. Cette date doit être entendue comme la date d’enregistrement de la déclaration en douane des marchandises, à l’arrivée des produits sur le territoire d’un DOM ou d’une COM. Cette déclaration rend exigible les droits de douane et l’octroi de mer. Par ailleurs, l’article L. 441-3 du Code de commerce prévoit que “la facture mentionne également la date à laquelle le règlement doit intervenir”. Il est aléatoire de fixer ex-ante une date sur la facture sans connaître le délai de route exact des marchandises. Aussi, afin de satisfaire aux exigences de transparence de l’article L. 441-3, et sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, il peut être admis que le fournisseur ne mentionne pas la date elle-même, inconnue de lui, mais précise sur la facture les conditions de détermination de cette date, dans une formulation qui serait : “60 jours (ou 45 jours fin de mois) à compter de la date d’enregistrement de la déclaration en douane des marchandises” ».

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LOI DE MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE – AN I – DISPOSITIONS RELATIVES AUX RELATIONS INDUSTRIE/COMMERCE (2 DE PARTIE)

– Syndicat des composants de systèmes intégrés de chauffage et de rafraîchissements COCHE BAT) – Chambre syndicale du carreau céramique de France (CSCCF) – Syndicat national des extruder plastiques (SNEP) – Syndicat national des fabricants de plafonds tendus (SNAFAPT) – Union française des tapis & moquettes (UFTM) – Syndicat des industries françaises du fibres-ciment (SIFF) – Fédération des industries des plafonds suspendus (FIPS) – Fédération nationale du bois (FNB) – Union des industries du bois (UIB) – Fédération nationale de la décoration (FND) – Syndicat national des écrans de soustoiture (SNEST) – Syndicat des accessoires manufacturés de toiture (SAMT) – Syndicat des entreprises de commerce international de machines portatives, de matériels pneumatiques et de machines à agrafer et à clouer (SECIMPAC) – Syndicat de la brosserie, Fédération des bois tranchés, Syndicat national du charbon de bois, Commerce du bois (LCB) – Syndicat des isolants en matériaux durs (SIMD) – Association professionnelle du système d’étanchéité liquide, Union des fabricants de menuiseries extérieures (UFME) – Association des nappes à excroissances pour parois enterrées (ANEPE) – Association française des sous-couches acoustiques minces (AFSCAM) – Association pour la promotion des produits minces réfléchissants (APPMR) – Syndicat national de la construction des fenêtres façades et activités associées (SNFA) – Syndicat national de l’isolation – Syndicat français de l’échafaudage, du coffrage et de l’étaiement – Syndicat national de la fermeture, de la protection solaire et des professions associées – Groupement infrastructure de la Fédération des industries ferroviaires – Chambre nationale de l’artisanat, des travaux publics, des paysagistes et des activités annexes (CNATP) – Fédération française des artisans coopérateurs du bâtiment (FFACB) – Fédération des coopératives d’achats pour les artisans du bâtiment (FORCAB) – Union nationale des entrepreneurs du paysage (UNEP) – Syndicat national du second œuvre (SNSO) – Groupement peintures anticorrosion (GPA)

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– Syndicat national des blancs de craie, marbre et dolomie (SNCRAIE) – Syndicat national des formulateurs de résines synthétiques (SNFORES) – Syndicat national des fabricants de couches d’usure pour sols industriels (SYNFAD) Le sanitaire-chauffage et le matériel électrique : – Fédération des grossistes en matériel électrique (FGME) – Fédération française des négociants en appareils sanitaires, chauffage, climatisation et canalisation (FNAS) – Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) – Fédération des électriciens, électroniciens (FEDELEC) – Fédération française du bâtiment (FFB) – Fédération nationale des SCOP du bâtiment et des travaux publics (FNSCOP BTP) – Syndicat des entreprises de génie électrique et climatique (SERCE) – Association française des industries de la salle de bains (AFISB) – Syndicat national des fabricants de composants et de systèmes intégrés de chauffage, rafraîchissement et sanitaires (COCHEBAT) – Groupement des industriels de l’appareillage électrique d’installation et de ses applications domotiques (DOMERGIE) – Groupement des fabricants de matériels de chauffage central (GFCC) – Groupement interprofessionnel des fabricants d’appareils d’équipement ménager (GIFAM) – Syndicat professionnel représentant l’ensemble des constructeurs d’appareils électriques autonomes de sécurité (GISEL) – Syndicat des tubes et raccords en polyéthylène (STR PE) – Syndicat national des tubes et raccords en PVC (STR PVC) – Fédération de l’industrie française des fils et câbles électriques et de communication (SYCABEL) – Syndicat des fabricants d’équipements pour la protection et le support des câbles électriques et de communication (SYCACEL) – Syndicat professionnel regroupant les entreprises de matériel aéraulique, thermique, thermodynamique et frigorifique (UNICLIMA) – Syndicat des entreprises de commerce international de machines portatives, de matériels pneumatiques et de machines à agrafer et à clouer (SECIMPAC) – Syndicat de l’éclairage

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L’édition du livre : – Syndicat national de l’édition (SNE) – Syndicat de la librairie française (SLF) – Syndicat des distributeurs de loisirs culturels – Fédération de l’imprimerie et de la communication graphique, Union nationale de l’imprimerie et de la communication graphique ◆◆◆ Mais d’autres accords ont été conclus et concernent notamment les spécialités pharmaceutiques non remboursables et le textile. D’autres accords sont pour leur part encore en cours de discussion et devraient être communiqués au ministre de l’Économie dans les prochaines semaines ; en tout état de cause, ils devront être signés avant le 1er mars 2009, date limite prévue par la LME. Le nouveau rôle joué par les commissaires aux comptes. Par ailleurs, les sociétés dont les comptes annuels sont certifiés par un commissaire aux comptes devront publier des informations sur les délais de paiement de leurs fournisseurs ou de leurs clients suivant des modalités qui seront définies par décret. Ces informations feront l’objet d’un rapport du commissaire aux comptes dans des conditions fixées par ce décret. Les nouveaux délais de paiement prévus par la LME sont-ils applicables aux ventes internationales de marchandises ? Cette question fait l’objet de beaucoup de discussions et en l’absence de jurisprudence, il n’est pas possible de se prononcer avec certitude sur le sujet. Ce qui suit ne reflète ainsi que l’opinion des auteurs au regard des règles de droit international privé, applicables en la matière. La LME a notamment introduit en droit français deux nouvelles règles relatives aux délais de paiement : – d’une part, les dispositions de l’article L. 441-6, alinéa 9 du Code de commerce dans le Chapitre I du Titre IV du Livre IV relatif à la transparence ; – d’autre part, les dispositions de l’article L. 442-6-I-7° du Code de commerce dans le Chapitre II du Titre IV du Livre IV relatif aux pratiques restrictives de concurrence. Bien qu’elles soient intimement liées, ces deux dispositions doivent être indéniablement distinguées : L’article L. 441-6, alinéa 9 du Code de commerce :

Droit I Économie I Régulation

Contrairement aux autres dispositions de l’article L. 441-6 du Code de commerce, ce neuvième alinéa n’est assorti d’aucune sanction. En effet, ni une nullité de la clause prévoyant de tels délais, ni une sanction pénale, ni une amende civile ne viennent sanctionner le fait de convenir de délais supérieurs. Par ailleurs, dès lors que le texte vise le fait de « convenir » d’un délai, il serait difficile pour une entreprise d’engager la responsabilité contractuelle de son cocontractant à ce titre : il faut être deux pour convenir, ce qui sous-entend une coresponsabilité des deux parties au contrat. Ainsi, même si la loi française est applicable, le simple fait de convenir de délais supérieurs à 45 jours fin de mois ou 60 jours date d’émission de la facture n’est, en l’état de la législation, pas directement condamnable. C’est par le biais de l’article L. 442-6-I-7° qu’une violation des délais prévus par l’article L. 441-6, alinéa 9 est sanctionnée. L’article L. 442-6-I-7° du Code de commerce : L’article L. 442-6-I du Code de commerce sanctionne en ces termes le non-respect des délais prévus par l’article L. 441-6, alinéa 9 précité : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (…) 7° De soumettre un partenaire à des conditions de règlement qui ne respectent pas le plafond fixé au neuvième alinéa de l’article L. 441-6 ou qui sont manifestement abusives, compte tenu des bonnes pratiques et usages commerciaux, et s’écartent au détriment du créancier, sans raison objective, du délai indiqué au huitième alinéa de l’article L. 441-6. Est notamment abusif le fait, pour le débiteur, de demander au créancier, sans raison objective, de différer la date d’émission de la facture. (…) ». L’article L. 442-6-III précise pour sa part que : « L’action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d’un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l’Économie ou par le président du Conseil de la Concurrence lorsque ce dernier constate, à l’occasion des affaires relevant de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article.

Droit I Économie I Régulation

Lors de cette action, le ministre chargé de l’Économie et le ministère public (…) peuvent également demander le prononcé d’une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 2 millions d’euros (…) ».

La loi sanctionne ici le fait de soumettre un partenaire à des conditions de règlement qui ne respectent pas les délais prévus par l’article L. 441-3, alinéa 9, c’està-dire les délais maximums de 45 jours fin de mois ou 60 jours date d’émission de la facture. Ainsi, une interprétation littérale de la loi mènera à ne sanctionner que l’acheteur qui soumet son vendeur à des délais excessifs et non le vendeur qui est la victime de la faute ainsi commise. Il s’agit d’une infraction civile, sanctionnée par une amende civile d’un montant maximum de 2 millions d’euros. Cet article est-il applicable à un éventuel litige relatif à un contrat de vente international ? Afin de répondre à cette question, il est nécessaire de déterminer préalablement le juge compétent puisqu’il reviendra à ce dernier de déterminer la loi applicable au litige, selon ses propres règles de droit international privé, qui seront le plus souvent issues du droit conventionnel international ou du droit communautaire dérivé. En effet, la question du droit applicable n’a d’intérêt pratique qu’au regard de la possibilité de voir sanctionnées par un juge les règles en cause. Or, seul le juge compétent pour trancher le litige pourra déterminer selon ses propres règles de droit dans quelles conditions la violation de cette loi sera sanctionnée (caractère de loi de police ou non, applicabilité territoriale de la loi, caractère délictuel ou contractuel, etc.). En conséquence, la question du juge compétent est nécessairement préalable à la question des conditions d’application de la loi. Le présent mémo n’envisage pas l’hypothèse où la juridiction saisie et compétente est celle d’un état tiers à l’Union européenne. En effet, dans cette hypothèse, le juge déterminera le droit applicable en fonction de son propre droit international privé, que nous ne pouvons bien évidemment pas appréhender par anticipation. Il sera donc uniquement étudié l’hypothèse où la juridiction saisie et compétente est, soit le juge français, soit le juge d’un autre État membre de l’Union européenne, cette compétence étant déterminée en vertu des principes posés par le règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des dé-

cisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I ». À ce titre, il convient de rappeler que ce règlement prévoit que la juridiction compétente est, en principe, celle de l’État membre où le défendeur possède son domicile, quelle que soit sa nationalité (Règl. Cons. CE, n° 44/2001, 22 déc. 2000, art. 2). Le règlement « Bruxelles I » prévoit également des règles de compétence spéciales alternatives à la règle de compétence générale. Ainsi en matière contractuelle, le demandeur dispose d’une option de compétence entre le juge du domicile du défendeur et le juge « du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée », étant précisé que ce lieu est, pour la vente de marchandises, celui où « les marchandises ont été ou auraient dû être livrées » (ibid., art. 5-1). En matière délictuelle, le règlement « Bruxelles I » prévoit également une option de compétence : le juge compétent est soit celui de l’État du domicile du défendeur, soit « le Tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire » (ibid., art. 5-3), étant précisé que la notion de « fait dommageable » recouvre, selon les cas, la faute commise ou le dommage subi. Le règlement autorise cependant les parties à convenir d’une clause attributive de juridiction. Le juge désigné par cette clause a alors une compétence exclusive (ibid., art. 23). Après avoir envisagé les règles de conflit de juridiction, il convient à présent de déterminer la loi applicable devant le juge saisi du litige, ce juge étant par hypothèse soit le juge français, soit le juge d’un autre État membre de l’Union européenne. Afin de déterminer le droit applicable au litige selon les règles du droit international privé, il convient préalablement de qualifier la responsabilité encourue, autrement dit, il faut déterminer si la violation de l’article L. 442-6-I-7° du Code de commerce relève de la matière délictuelle ou contractuelle. Force est de constater que cette question est particulièrement délicate et qu’il n’est pas possible, à ce jour, de se prononcer avec certitude sur l’une ou l’autre qualification. Toutefois, plusieurs éléments tendent à une qualification délictuelle : – en effet, il s’agit d’un délit civil sanctionné par une amende civile ; – l’action peut être introduite par toute personne intéressée, dont le ministère public, le ministre de l’Économie, le président de l’Autorité de concurrence, et non pas uniquement le cocontractant ;

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PERSPECTIVES PRATIQUE

L’article L. 441-6, alinéa 9 dispose que : « Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser 45 jours fin de mois ou 60 jours à compter de la date d’émission de la facture ».

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LOI DE MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE – AN I – DISPOSITIONS RELATIVES AUX RELATIONS INDUSTRIE/COMMERCE (2 DE PARTIE)

– et de plus, la jurisprudence considère que la responsabilité engendrée par l’application de l’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce relatif à la rupture brutale de relations commerciales établies, relève de la matière délictuelle et non de la matière contractuelle. C’est à tout le moins ce qu’a affirmé la Cour de cassation dans des hypothèses où les relations commerciales n’étaient pas encadrées par un contrat. La chambre commerciale de la Cour de cassation a en effet précisé à deux reprises et notamment très récemment dans un arrêt du 21 octobre 2008 que : « Le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement une relation commerciale établie engage la responsabilité délictuelle de son auteur et que la loi applicable à cette responsabilité est celle de l’État du lieu où le fait dommageable s’est produit » (Cass. com., 21 oct. 2008, n° 0712.336. Cf., également, Cass. com., 6 févr. 2007, n° 04-13.178, Bull. civ. IV, n° 21).

La Cour de cassation ne s’est en revanche pas positionnée dans le cas où un contrat encadrerait les relations commerciales ou s’agissant des autres alinéas de l’article L. 442-6 du Code de commerce. Ceci étant, ses attendus ne font pas de distinction selon l’existence d’un contrat ou non. Ces différents éléments mèneraient à considérer que l’article L. 442-6, pris dans son ensemble, relèverait de la matière délictuelle. La responsabilité encourue en cas de violation de l’article L. 442-6-I-7° serait alors délictuelle et il conviendrait d’appliquer les règles de droit international privé relatives aux obligations non contractuelles pour déterminer la loi applicable. Néanmoins, il n’est pas possible d’exclure que les juges qualifient la responsabilité engagée sur le fondement de l’article L. 442-6-I-7° de contractuelle. Rappelons à ce titre que la CJCE a élaboré, s’agissant de la compétence judiciaire et plus précisément de l’application de l’article 5 de la Convention de Bruxelles (aujourd’hui règlement « Bruxelles I »), des définitions autonomes, spécifiquement communautaires, de la matière contractuelle et de la matière délictuelle. La CJCE a défini la matière contractuelle de manière négative : « La notion de “matière contractuelle”, au sens de l’article 5, paragraphe 1 (…) ne saurait être comprise comme visant une situation dans laquelle il n’existe aucun engagement librement assumé d’une

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partie envers une autre » (CJCE, 17 juin 1992, aff. C-26/91, Jacob Handte, Rec. CJCE, I, p. 3967). La CJCE a fait de la matière délictuelle une catégorie résiduelle de la matière contractuelle : la responsabilité qui n’est pas contractuelle est délictuelle (CJCE, 27 sept. 1988, aff. C-189/87, Kalfelis, Rec. CJCE, I, p. 5565). Jusqu’à présent, il pouvait être considéré que ces définitions autonomes étaient propres à l’interprétation de la Convention de Bruxelles puis du règlement « Bruxelles I » relatifs à la compétence judiciaire et n’avaient pas nécessairement vocation à s’imposer s’agissant de la détermination de la loi applicable. Toutefois, le règlement « Rome I » et le règlement « Rome II » précisent tous deux, en leur considérant n° 7, que leur champ d’application respectif doit être « cohérent » par rapport au règlement « Bruxelles I », et le considérant n° 11 du règlement « Rome II » prône expressément le recours aux définitions autonomes. La lecture de ces considérants devrait amener les juges nationaux à rechercher la nature de l’obligation en cause en appliquant ces définitions autonomes élaborées par la CJCE, hors de toute référence aux droits nationaux, pour déterminer non seulement le juge compétent mais également la loi applicable à un litige. S’agissant des dispositions de l’article L. 442-6-I-7° du Code de commerce, l’existence d’un contrat entre les parties, et donc d’un « engagement librement consenti », pourrait mener les juges à retenir la qualification contractuelle de la responsabilité engagée sur ce fondement. Compte tenu de l’incertitude attachée à la qualification de la responsabilité encourue, il convient d’envisager les deux cas de figure pour déterminer dans quelles conditions l’article L. 442-6-I-7° du Code de commerce français aura vocation à s’appliquer à un contrat international. Premier cas de figure L’article L. 442-6-I-7° relève de la responsabilité délictuelle : Afin de déterminer la loi applicable à une obligation non contractuelle, il convient de se référer aux règles du droit international privé français relatives aux délits civils. En vertu de ces règles du droit international privé français, la loi applicable pour régir la responsabilité civile délictuelle est « la loi du lieu où le délit a été commis » (Cass. civ., 25 mai 1948, Lautour). En cas de dissociation entre

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les lieux du fait générateur et du préjudice, ces deux rattachements ont une vocation égale à déterminer la loi applicable, mais l’existence d’un « lien plus étroit » avec l’un des deux pays permet de désigner l’une ou l’autre branche de l’option (Cass. 1re civ., 11 mai 1999, n° 97-13.972, Bull. civ. I, n° 153 ; Cass. 1re civ., 5 mars 2002, n° 99-20.755, Bull. civ. I, n° 75).

Toutefois, ces règles de droit international privé français vont céder leur place, dès le 1er janvier 2009, au règlement « Rome II » sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, adopté le 11 juillet 2007, ce qui conduira à une harmonisation des solutions au niveau européen. L’article 4 de ce règlement consacre la jurisprudence précitée en la simplifiant : en règle générale, la loi applicable est « la loi du pays où le dommage survient quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent ». Ainsi, la loi applicable à un délit civil est, en principe, la loi du lieu de survenance du dommage. En matière de ventes de marchandises, le dommage est subi au lieu de l’établissement du vendeur, lequel subit un délai de paiement considéré comme excessif. La loi applicable sera donc celle du vendeur, victime du délit. Deuxième cas de figure L’article L. 442-6-I-7° relève de la responsabilité contractuelle : La loi applicable aux contrats est en principe désignée par application de la Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles, puis, à partir du 17 décembre 2009 par le règlement « Rome I » adopté le 17 juin 2008, qui a vocation à remplacer ladite convention. Selon les principes qui s’en dégagent : – le contrat est régi par la loi choisie par les parties, choix qui doit être exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause (Conv. Rome n° 80/934/CEE, 19 juin 1980, art. 3, § 1 ; Règl. Parl. et Cons. CE n° 593/2008, 17 juin 2008, dit « Rome I » ; Conv. La Haye, 15 nov. 1955, art. 2) ;

– à défaut de choix, le contrat de vente de biens est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle. Ainsi, la loi applicable aux obligations contractuelles est, en principe, la loi choisie par les parties.

Droit I Économie I Régulation

Droit I Économie I Régulation

Ainsi, la Cour d’appel de Lyon a affirmé par un arrêt du 9 septembre 2004 que les dispositions de l’article L. 442-6-I-5° « constituent une loi de police au sens du droit international privé ayant vocation à s’appliquer à l’ensemble des pratiques dommageables, aux effets économiques et/ou concurrentiels défavorables, constatés sur le territoire national » (CA Lyon, 9 sept. 2004, n° RG : 2004/00108). De même, la Cour d’appel de Paris a pu préciser, dans un arrêt du 28 septembre 2006 relatif à une rupture de relations commerciales entre un fournisseur américain et un distributeur français, que les dispositions de l’article L. 442-6 du Code de commerce étaient « des dispositions impératives relevant de l’ordre public économique et comme telles constitutives d’une loi de police » (CA Paris, 28 sept. 2006, n° RG : 2006/313940). Certes, cette décision vient d’être cassée par un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 22 octobre 2008, mais la cassation porte sur le refus de la Cour d’appel d’appliquer la clause attributive de juridiction qui était contenue dans le contrat, sans que la Cour de cassation ne prenne position sur le caractère de loi de police de l’article L. 442-6 (« En statuant ainsi, alors que la clause attributive de juridiction contenue dans ce contrat visait tout litige né du contrat, et devait en conséquence, être mise en œuvre, des dispositions impératives constitutives de lois de police fussent-elles applicables au fond du litige, la Cour d’appel a violé le texte et les principes susvisés »).

En l’état, ce point n’est donc pas tranché par la Cour de cassation. Nous considérons cependant qu’il est probable que l’article L. 442-6 du Code de commerce dans son ensemble soit qualifié de loi de police au sens du droit international privé par un juge français et appliqué, bien que le contrat ait un caractère international. En partant de cette hypothèse, si le juge français était saisi du litige et qu’il soit compétent, il serait tenu d’appliquer l’article L. 442-6-I-7° du Code de commerce. Un juge européen saisi et compétent pourrait également (c’est une faculté) appliquer l’article L. 442-6-7°, à tout le moins si le litige était considéré comme relevant de la nature contractuelle. Toutefois, il est fort rare qu’un juge national applique une loi impérative d’un autre pays, cette possibilité fut-elle envisagée par la Convention de Rome et le règlement « Rome I ». ◆◆◆ Il résulte de ces éléments que si le fournisseur est français, le droit français sera probablement applicable à la situation soumise au juge, ce qui entraînera l’applica-

PERSPECTIVES PRATIQUE

À défaut de choix, et en matière de vente, la loi applicable serait la loi du pays de résidence du vendeur. Il est à noter que ces règles s’appliquent sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne. Ainsi, que la responsabilité de l’article L. 442-6-I-7° soit de nature délictuelle ou contractuelle, la loi du vendeur sera le plus souvent (sauf loi de l’acheteur choisie parles parties) applicable au contrat. Ceci étant, l’article L. 442-6-I-7° pourrait être également applicable même si les faits étaient soumis à une loi étrangère, s’il devait être considéré comme une « loi de police » au sens du droit international privé. Le principe est en effet qu’une disposition nationale impérative constituant une loi de police doit prévaloir sur la loi étrangère considérée comme applicable en vertu de la règle de conflit de lois du juge saisi. Ce principe est consacré tant par la Convention de Rome et le règlement « Rome I » sur la loi applicable aux obligations contractuelles, que par le règlement « Rome II » sur la loi applicable aux obligations non contractuelles : – ainsi, l’article 7 de la Convention de Rome, et son successeur, l’article 9 du règlement « Rome I » (Règl. Parl. et Cons. CE n° 593/2008, 17 juin 2008, préc.) qui s’appliquera aux contrats conclus après le 17 décembre 2009, prévoient l’application de ses propres lois de police par le juge compétent quelle que soit la loi choisie par les parties au contrat ; – de même, le règlement n° 864/2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dit « Rome II » adopté le 11 juillet 2007, qui sera applicable à partir du 11 janvier 2009, prévoit en son article 16 que ses dispositions « ne portent pas atteinte à l’application des dispositions de la loi du for qui régissent impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable à l’obligation non contractuelle ». La Convention de Rome et le règlement « Rome I » prévoient également qu’une loi de police étrangère puisse être appliquée. Ce point n’est en revanche pas prévu par le règlement « Rome II » sur la loi applicable aux obligations non contractuelles. En l’occurrence, l’article L. 442-6 du Code de commerce est habituellement considéré par la jurisprudence et la doctrine française comme étant une « loi de police », ce qui signifie que les tribunaux français doivent considérer son application comme obligatoire.

tion des dispositions de l’article L. 442-6I-7° du Code de commerce et la possibilité subséquente pour le vendeur français d’engager la responsabilité de son client. Selon nous, dans l’hypothèse où le vendeur est français, le droit français sera en effet applicable dans la très grande majorité des cas. Deux hypothèses pourraient nous amener à une autre solution à savoir : – la responsabilité est considérée comme de nature contractuelle et il y a une clause dans le contrat désignant un autre droit : ce droit sera applicable ; – la responsabilité est considérée comme de nature délictuelle et les parties ont prévu une clause rendue possible par le règlement « Rome II » prévoyant l’application d’un autre droit pour leur future responsabilité délictuelle. Dans ces hypothèses, se posera alors la question du caractère de loi de police de l’article L. 442-6-I-7° du Code de commerce. Le vendeur français pourrait en effet alors envisager d’agir contre son client sur le fondement de l’article L. 442-6-I-7°, considéré comme une loi de police. Il lui faudrait alors rechercher le juge compétent pour être sûr que celui-ci puisse appliquer la loi de police française (ce qui sera le cas si le juge compétent est français et dans une moindre mesure, s’il est européen). En tout état de cause, si l’administration venait à constater la situation, le fournisseur français, ayant de son côté respecté les dispositions de l’article L. 441-6 du Code de commerce, devrait, a priori, être à l’abri de toutes poursuites civiles, dans la mesure où ce dernier est dans la position du débiteur qui subit la volonté de l’acheteur étranger. On imagine mal par ailleurs l’administration poursuivre l’acheteur étranger devant les juridictions françaises, si tant est qu’elles soient compétentes, mais nous ne pouvons naturellement pas préjuger de la position de l’administration dans une telle situation, ni de celle du juge français qui serait ensuite saisi du litige. L’hypothèse pourrait devenir plus plausible en cas de contournement de la loi par l’implantation d’acheteurs français à l’étranger accompagnée du choix de la loi d’un pays tiers, mais seul l’avenir nous le dira (si l’on en croit le site internet de la DGCCRF, ce type de procédé sera tout particulièrement en ligne de mire : « La DGCCRF, qui intervient au nom de l’ordre public économique, veillera à ce que des créanciers français ne se voient pas imposer des délais de paiement anormalement longs par leurs débiteurs, en particulier ceux qui utiliseraient des centrales de paiement à l’étranger dans le seul but d’échapper aux dispositions nationales » : ).

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LOI DE MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE – AN I – DISPOSITIONS RELATIVES AUX RELATIONS INDUSTRIE/COMMERCE (2 DE PARTIE)

À l’inverse, si le fournisseur est étranger, son droit sera probablement applicable. Se posera alors le caractère de loi de police de la loi française, loi de l’acheteur français, et son applicabilité par le juge éventuellement saisi. Le tribunal du domicile de la personne assignée étant compétent par principe en

application du règlement « Bruxelles I », le vendeur étranger pourra en théorie assigner l’acheteur français devant le juge français et évoquer l’article L. 442-6-I-7° du Code de commerce en tant que loi de police. Cependant, dans l’hypothèse d’une clause attributive de compétence aux tribunaux

du vendeur, la compétence du juge français pourrait être contestée, ce qui rendrait plus difficile pour le vendeur étranger la revendication de l’application de la loi française. Restera cependant la possibilité d’action de l’administration française contre l’acheteur français… ◆

L’analyse économique des marges arrière Par Nathalie Daley, Docteur en économie de l’École des mines de Paris – Consultante du cabinet Microeconomix, cabinet d’analyse économique appliquée au droit de la concurrence La loi Chatel du 3 janvier 2008 et la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008 modifient profondément les règles régissant les négociations commerciales (pour une analyse des effets pervers de la loi Galland, cf. Allain M.-L., Chambolle C., Vergé T., La loi Galland sur les relations commerciales : jusqu’où réformer?, 2008, coll. du CEPREMAP). La première redéfi-

nit le seuil de revente à perte au niveau du triple net (le triple net est égal au prix net facturé moins les remises et ristournes conditionnelles et les rémunérations des services commerciaux rendus à l’industriel, les deux composantes des marges arrière) et la seconde

introduit la négociabilité des tarifs en abrogeant l’interdiction per se de discriminer. Les marges arrière n’ont pas été remises en cause lors des réformes. Le législateur considère que les services commerciaux (les services de coopération commerciale sont « des contrats de prestation de services dont le contenu et la rémunération sont définis d’un commun accord entre un fournisseur et un distributeur. (…) Il s’agit par exemple de la mise en avant de produits sur les rayons (têtes de gondole ou emplacements privilégiés), ou de promotion publicitaire. C’est aussi dans le cadre de ces accords que sont négociés les budgets de référencement », Cons. conc., avis n° 04-A-18, 18 oct. 2004, § 10 )

qu’elles rémunèrent bénéficient aux fournisseurs puisqu’ils incitent les distributeurs à mettre en avant les produits et qu’ils participent ainsi au développement des ventes. L’analyse économique des rémunérations au titre de la coopération commerciale est plus réservée. Elle met en évidence que les marges arrière peuvent être à l’origine d’effets proconcurrentiels, mais également d’effets anticoncurrentiels. L’objectif de cette note est d’offrir une brève synthèse des théories économiques des effets sur la concurrence des diverses rémunérations (nous emploierons le terme de marges arrière pour désigner l’ensemble de ces rémunérations quel que soit leur type) versées par les fournisseurs

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aux distributeurs et de les discuter au regard des résultats empiriques et de la jurisprudence. Les effets proconcurrentiels.– La théorie économie identifie plusieurs effets proconcurrentiels des marges arrière. Ils sont liés aux problèmes d’asymétrie d’informations entre producteurs et distributeurs dans un contexte d’offre surabondante de nouveaux produits. Signaler la qualité des produits.– En France, 1 500 nouvelles références sont lancées chaque année et les innovations augmentent à un rythme annuel de 10 à 15 % (Sénat, Rapport d’information sur l’avenir du secteur agroalimentaire, 1999-2000, n° 39). Dans un tel environnement, le distributeur est confronté à un problème d’asymétrie d’information quant à la qualité des produits offerts. Un producteur est mieux informé de la probabilité de réussite de son produit et les services commerciaux, en particulier les services de référencement, lui permettent de signaler la qualité de ses produits au distributeur (Kelly K., The antitrust analysis of grocery allowances : the procompetitive case, Journal of public policy & marketing, 1991, 10 (1), pp. 187-198).

L’argument repose sur l’idée que le prix payé par un producteur pour référencer son produit est un coût fixe qu’il amortit sur le volume total de ses ventes. Plus un producteur est confiant dans son produit, plus il est prêt à payer un prix de référencement élevé, toutes choses égales par ailleurs, pour être sélectionné par le distributeur. Ce coût sera ensuite amorti sur un volume élevé de ventes. Le consentement à payer d’un producteur pour le service de référencement peut donc être vu comme un signal de la qualité et de la probabilité de succès de ses nouveaux produits.

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Le partage des coûts et des risques.– Un deuxième argument favorable aux marges arrière est qu’elles permettent au distributeur de faire supporter aux producteurs une partie des coûts croissants qui résultent de la gestion d’un nombre toujours plus élevé de références, ainsi qu’une partie du risque associé au lancement de nouveaux produits (Sullivan M.W., Slotting allowances and the market for new products, Journal of Law and Economics, 1997, 40 (2), pp. 461-493).

Le distributeur supporte des coûts pour référencer, stocker et mettre en rayon les produits qui augmentent proportionnellement avec le nombre de références. Il est également confronté à une incertitude sur le succès des nouveaux produits. 50 % des nouveautés sont en effet des échecs, et seuls 30 % de celles réussissant à s’imposer subsistent encore au bout de deux ans (Sénat, Rapp. d’information, préc.). Le distributeur est donc peu incité à accepter de nouveaux produits au succès incertain qui viendront de surcroît remplacer une partie des produits déjà référencés et dont le potentiel est connu. Les services commerciaux, en permettant de transférer une partie des coûts et des risques aux producteurs, incitent le distributeur à accroître son offre et à accepter un plus grand nombre de nouveaux produits. La rémunération que le distributeur reçoit pour les services commerciaux qu’il fournit au producteur l’incite donc à proposer une plus grande variété de produits. Si l’on suppose que le consommateur valorise les innovations et la diversité des produits, cet effet est proconcurrentiel. L’allocation efficace du linéaire.– Un troisième effet proconcurrentiel identifié dans la littérature économique est que

Droit I Économie I Régulation

in channels of distribution, Marketing Science, 1992, 11, pp. 327-347).

Le linéaire est une ressource rare proposée par le distributeur aux producteurs. Ses modalités d’allocation peuvent être analysées comme un mécanisme efficace d’enchères permettant aux producteurs les plus offrants de le « louer ». L’argument d’efficacité repose ici sur l’idée que les fournisseurs proposant l’enchère la plus élevée sont également ceux le mieux à même de rentabiliser le linéaire en offrant les produits et les variétés les plus valorisées par le consommateur. En fondant sa décision d’assortiment sur le consentement à payer des fournisseurs, le distributeur rentabilise ainsi plus efficacement ses rayons et maximise dans le même temps l’utilité du consommateur en lui offrant les variantes qu’il préfère. Les risques d’effets anticoncurrentiels.– La coopération commerciale peut également permettre aux producteurs ou aux distributeurs d’exercer un pouvoir de marché pouvant conduire à une réduction significative de la concurrence et à l’augmentation des prix de détail. L’exercice d’un pouvoir de marché.– Un premier effet anticoncurrentiel potentiel des services commerciaux peut se manifester par un écart entre le prix facturé par les distributeurs pour ces services et leurs coûts. Les services de coopération commerciale se sont développés dans un contexte de concentration accrue des distributeurs. Le pouvoir de marché au sein de la chaîne verticale s’est progressivement déplacé en faveur de ces derniers. Il leur permet de mieux négocier les prix tout en exigeant des producteurs qu’ils paient en retour des contreparties toujours plus élevées. À titre d’illustration, les marges arrière sont passées de 22 % en moyenne à 37 % entre 1998 et 2006, et peuvent atteindre jusqu’à 60 % selon les catégories de produits (LSA, L’ILEC dénonce une forte dérive des marges arrière, 2007, édition du 15 févr.). Ce changement peut être à l’origine de deux effets. À court terme, le consommateur peut bénéficier du pouvoir de marché des distributeurs si ces derniers l’utilisent pour négocier les prix avec les producteurs et fixer des prix de détail plus bas. La plus ou moins forte répercussion au consommateur sous forme de baisse de prix dépend ensuite du degré de concurrence entre les distributeurs sur le marché aval.

Droit I Économie I Régulation

À long terme, le déséquilibre dans les relations commerciales peut en revanche être à l’origine d’effets pervers conduisant les petits producteurs et ceux de taille moyenne à sous-investir dans l’innovation par manque de moyens, ou à sortir du marché, et les plus grands à augmenter leurs tarifs pour compenser la hausse des marges arrière. L’éviction des concurrents.– Un deuxième effet potentiel anticoncurrentiel relève de la théorie d’augmentation du coût des rivaux : les producteurs les plus importants peuvent augmenter les coûts d’accès aux linéaires de leurs concurrents en surenchérissant lors des négociations avec les distributeurs (MacAvoy C.J., Antitrust treatment of slotting allowances, ABA section of antitrust law, 1997, 45e congrès, Washington, 9-11 avr.).

Les effets de cette stratégie sont plus ou moins forts en fonction du pouvoir de marché des producteurs. Elle peut amputer les profits des concurrents et réduire leurs capacités à exercer une pression concurrentielle ou à innover. Mais elle peut également entraîner l’éviction des concurrents d’une firme dominante si cette stratégie lui permet d’obtenir un accès exclusif au linéaire. Dans les deux cas, la stratégie d’augmentation des coûts des concurrents peut, à terme, conduire à limiter le nombre de nouveaux produits et ainsi à restreindre le choix du consommateur (Shaffer G., Slotting allowances and optimal product variety, Advances in Economic Analysis and Policy, 2005, 5).

L’augmentation des prix de vente au détail.– Enfin, la tarification des services de coopération peut in fine conduire à limiter la concurrence en aval et induire une hausse des prix de vente au détail (Foros O., Kind H.J., Do slotting allowances harm retail competition?, Scandinavian Journal of Economics, 2008, 110 (2), pp. 367-384). Deux phéno-

mènes peuvent être à l’origine de la hausse des prix. En l’absence de services commerciaux, des producteurs en concurrence tarifient leur produit au coût marginal. Un distributeur accepte donc implicitement de payer des prix de gros plus élevés lorsqu’il facture des services de référencement (les profits des producteurs ne peuvent être négatifs, ils répercutent donc ce coût dans leur prix de gros et tarifient au-dessus de leur coût marginal). En s’enga-

geant à payer des prix de gros plus élevés, il annonce ainsi qu’il adoptera une politique de prix moins agressive, ce qui incite ses concurrents à augmenter leurs prix de vente et réduit la concurrence en aval (Shaffer G., Slotting allowances and resale price maintenance : a comparison of facilitating practices, RAND Journal of Economics, 1991, 22 (1), pp. 120-135).

PERSPECTIVES PRATIQUE

les services commerciaux permettent au distributeur d’allouer plus efficacement le linéaire (Chu W., Demand signaling and screening

L’interdiction de revente à perte couplée à l’impossibilité pour les distributeurs de réintégrer les marges arrière dans le prix de revente atténuent la concurrence également entre producteurs. Lorsque le pouvoir de marché des distributeurs est important, les producteurs savent qu’ils capteront une faible part du profit au sein de la chaîne verticale. Ils sont alors incités à fixer un prix de gros élevé afin d’accroître la taille du profit total qu’ils partagent avec les distributeurs. Compte tenu de la règle d’interdiction de revente à perte, les prix de vente au détail augmentent donc au détriment du consommateur (Allain M.-L., Chambolle C., Anticompetitive effects of resale-below-cost laws, 2005, mimeo). Une question toujours en débat.– Les effets sur la concurrence des rémunérations perçues par les distributeurs en contrepartie des services qu’ils rendent aux producteurs suscitent de nombreuses interrogations chez les autorités de concurrence tant en Europe qu’aux ÉtatsUnis (cf., par exemple, les rapports des autorités de concurrence anglaise (2000), américaine (2001, 2003) et norvégienne (2005)).

À ce stade, le débat académique sur leurs effets est loin d’être tranché et les travaux empiriques (ces travaux concernent uniquement le marché américain) apportent un éclairage limité. Ils sont en effet peu nombreux en raison de la nature confidentielle des négociations et les résultats diffèrent selon les méthodes et les hypothèses testées (les études empiriques reposent généralement sur des données telles que celles de Nielsen, ou bien sur des enquêtes auprès des producteurs et distributeurs). Sudhir & Rao (Sudhir K., Rao V.R., Do slotting allowances enhance efficiency or hinder competition ?, Journal of Marketing research, 2006, 43 (2), pp. 137-155) uti-

lisent des données sur les nouveaux produits offerts à une chaîne de supermarché et concluent que les services commerciaux sont utilisés par les producteurs pour signaler la qualité de leurs produits, et qu’ils permettent aux distributeurs de partager les risques et d’allouer efficacement leurs linéaires. Mais ils observent aussi que les services commerciaux réduisent la concurrence en aval. Sur la base d’enquêtes auprès de producteurs et de distributeurs, d’autres travaux (Mahi H., Rao V.R., The price of launching new product : empirical evidence on factors affecting the relative magnitude of slotting allowances, Marketing Science, 2003, 22 (2), pp. 246-268) concluent également que

les effets de ces rémunérations sont mixtes. Elles permettent un partage des risques et une meilleure allocation du linéaire. Mais elles permettent aussi, tant aux distributeurs qu’aux fournisseurs, d’augmenter les prix (Bloom P.N. e.a., Slotting

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LOI DE MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE – AN I – DISPOSITIONS RELATIVES AUX RELATIONS INDUSTRIE/COMMERCE (2 DE PARTIE)

allowances and fees : schools of thought and the views of practicing managers, Journal of Marketing, 2000, 64, pp. 92-108). Stanton et Herbst (Stanton J. L., Herbst K., Slotting allowances : short-term gains and long term negative effects on retailers and consumers, International Journal of Retail and Distribution Management, 2006, 34, pp. 187197) parviennent aux mêmes types de

conclusions en se fondant sur des études de Nielsen. Les rémunérations servent à réduire l’incertitude sur la qualité des nouveaux produits mais elles empêchent parfois les petits producteurs d’accéder au marché. Ils observent aussi qu’elles incitent les fournisseurs à répercuter les coûts des marges arrière dans leurs prix. Enfin, Wright (Wright J.D., Slotting contracts and consumers welfare, Antitrust Law Journal, 2007, 74 (2), pp. 439-473) teste les effets des marges ar-

rière sur le bien-être du consommateur en étudiant l’impact de leur interdiction sur les prix des produits vendus dans les magasins de l’armée. Il conclut que ces contrats ne sont pas néfastes pour le consommateur mais ses résultats sont mitigés. À la suite de l’interdiction de ces pratiques, le prix de certains produits augmente tandis qu’il baisse sur d’autres produits. La théorie économique montre ainsi qu’il est nécessaire d’arbitrer entre les effets pro et anticoncurrentiels des marges arrière. Seule une analyse au cas par cas est à même de déterminer quels effets l’emportent. La jurisprudence en la matière confirme la pertinence de cette approche.

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La Cour américaine de Caroline du Nord a en effet débouté les concurrents de Philip Morris accusés de restreindre la concurrence et d’entraver l’accès aux linéaires en offrant des réductions aux distributeurs en échange de services de mise en avant de ses produits (R.J. Reynolds Tobacco v. Philip Morris, 199 F Supp 2d 362 (MDNC 2002)). Elle a constaté que cette stratégie n’avait pas eu d’impact sur les parts de marché des concurrents ni porté atteinte à leurs profits, et qu’elle n’avait pas non plus empêché de nouveaux acteurs d’entrer et de prendre des parts de marché significatives (pour une analyse approfondie du cas, cf. Bronsteen P e.a., Price-Competition and Slotting Allowances, 2005, 50 Antitrust Bulletin 267).

En France, le Conseil de la concurrence a en revanche sanctionné la société des Caves et des Producteurs réunis de Roquefort pour des pratiques comparables. En position dominante sur le marché du roquefort, la société offrait des budgets de référencement importants à plusieurs distributeurs sous la forme de remises hors facture pour obtenir une exclusivité d’approvisionnement. Le Conseil a considéré que ces pratiques, visant « à restreindre l’accès ou le maintien d’entreprises concurrentes sur le marché du roquefort, notamment pour la distribution en GMS, (…) ont eu pour objet et pour effet de limiter l’accès des concurrents au marché » (Cons. conc., déc. n° 04-D-13, 8 avr. 2004, pt. 68).

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À notre connaissance, la jurisprudence impliquant des distributeurs est moins abondante et concerne des pratiques d’abus telles que la facturation de services fictifs aux fournisseurs (par exemple, la société Leclerc a été condamnée par le Tribunal de Rennes en 2007 pour de telles pratiques) ou des ententes

verticales. Le Conseil a ainsi condamné à plusieurs reprises (Cons. conc., déc. n° 03-D-45, 25 sept. 2003, Calculettes scolaires; Cons. conc., déc. n° 07D-50, 20 déc. 2007, Jouets de Noël) des ententes

entre producteurs et distributeurs sur les prix de détail s’appuyant sur un système artificiel de marges arrière. Il a notamment sanctionné les sociétés Carrefour et Casino pour avoir appliqué les prix de vente conseillés par la société Buena Vista Home Entertainment éditeur de cassettes vidéo, « le respect de ces prix étant assuré par leur correspondance avec un seuil de vente à perte artificiellement fixé au même niveau pour chacun des distributeurs, du fait du report de la majeure partie de la rémunération des distributeurs en ristournes faussement conditionnelles ou en prestations de services fictives » (Cons. conc., déc. n° 05-D-70, 19 déc. 2005, Vidéocassettes, pt. 225). En conclusion, les systèmes de marge arrière doivent être analysés au cas par cas à l’instar de ce que préconise la Commission européenne pour appréhender les effets des pratiques sur la concurrence dans ses lignes directrices sur l’application de l’article 82 (CE, Guidance on the Commission’s Enforcement Priorities in Applying Article 82 EC Treatyto Abusive Exclusionary Conduct by Dominant Undertakings, déc. 2008). ◆

Droit I Économie I Régulation

R LC

et Marc DESCHAMPS (*)

Professeur à l’Université de Nice Sophia Antipolis

Université de Nice SophiaAntipolis – GREDEGCNRS UMR 6227

CREDECO/GRED EG UMR 6227 CNRS/INRA

Chercheur, GREDEG UMR 6227 CNRS

PERSPECTIVES BILLET D’HUMEUR

Par Laurence BOY (*)

1447

« Plus, n’est pas nécessairement mieux » ou la difficulté de faire apparaître la (les) vraie(s) question(s) de droit dans la masse des décisions des autorités de concurrence

D

epuis maintenant quelques années, les nouvelles technologies, notamment l’Internet, permettent l’accès aux décisions des instances en charge de la concurrence de nombreux pays, qu’il s’agisse des décisions administratives ou juridictionnelles (sans oublier les avis que les autorités de concurrence peuvent rendre, même si ces derniers n’engagent pas leurs auteurs sur ce qu’ils seraient à même de décider ultérieurement, y compris dans le cas où il s’agirait de faits semblables), ainsi qu’à celles des

instances communautaires. En outre, la rapidité avec laquelle ces décisions sont mises « en ligne » par les personnels de ces instances constitue un effort que l’on se doit de saluer. Toutefois, si selon l’une des conclusions classiques de l’économie de l’information « les informations sont comme les huîtres, elles ne valent que par leur fraîcheur » (Shapiro C. et Varian H., Économie de l’information : guide stratégique de l’économie des réseaux, De Boeck, 2005, p. 56), il nous semble également utile

de rappeler que « trop d’information tue l’information » (dans la même veine, Simon H. soulignait déjà que « l’abondance d’information engendre une pénurie d’attention » comme le rappellent Shapiro C. et Varian H., ibid., p. 12). En ce sens, il

faut faire le constat accablant selon lequel les autorités de concurrence tendent, de plus en plus, à rendre des décisions d’une « ampleur problématique » (il serait sans doute intéressant d’essayer d’analyser s’il existe une corrélation entre le nombre de pages des décisions et le montant des amendes infligées). À titre d’illustration, signalons

de presse ainsi que des documents présentant sa décision, sans mettre à disposition, dans le même temps, la décision elle-même), ainsi que l’arrêt du Tribunal de

produits sidérurgiques de 151 pages ou encore la décision n° 08-D-30 relative à des pratiques mises en œuvre par des sociétés pétrolières de 84 pages).

première instance des Communautés européennes dans l’affaire Microsoft, lequel comportait déjà 300 pages. En ce qui concerne l’autorité française de concurrence, la tendance est strictement la même comme le démontre le tableau suivant :

Ce constat – mais nous sommes évidemment tributaires sur ce point de nos lectures –, semble pouvoir être généralisé à de nombreux pays. Dans cette perspective, nous tenons à faire observer que plus personne n’est réellement aujourd’hui à même de pouvoir suivre l’ensemble Nombre Nombre des décisions des insAutorité Dispositif de décisions de pages tances nationales, L. 420-1 24 967 communautaires, voire internationales Conseil de la (si l’on pense, par L. 420-2 13 324 concurrence exemple, aux décisions de l’Organe de règlement des difféAutorité de la L. 420-1 1 14 rends de l’Organisaconcurrence tion mondiale du commerce ayant un L. 420-2 2 28 volet concurrentiel). Serait-on tenté de pratiquer du droit comRemarque : ce tableau est établi à partir du résultat de l’inparé ? Il faudrait rapidement y renoncer. terrogation de la base de données de l’Autorité de la concurLes citoyens, y compris les chefs d’enrence, qui fait ressortir 52 décisions portant sur le contrôle treprise, risquent désormais d’être rédes pratiques anticoncurrentielles, entre le 1er janvier 2008 duits à ce que les médias généralistes et le 25 mai 2009 (la première décision de l’Autorité date du leur « disent le droit » (ce qui nous semble no18 mars 2009, avant il s’agissait du Conseil). Pour conserver la cohérence de ce décompte, nous avons comptabilisé les décisions ayant explicitement à la fois pour visas les articles L. 420-1 et L. 420-2, dans les décisions relevant de l’article L. 420-1 et dans celles relevant de l’article L. 420-2. Nous n’avons pas comptabilisé les décisions portant sur une demande de mesure conservatoire ou celles acceptant des engagements, ce sont donc 40 décisions qui ont été analysées.

la toute récente décision de la Commission européenne sanctionnant la firme Intel, dans une décision annoncée de 542 pages (on peut noter qu’il s’agit là d’une

Ce tableau permet de constater l’importance de la masse de pages à traiter, même dans le cas extrême et peu rigoureux où seules les décisions de l’Autorité de concurrence nationale seraient analysées (on si-

nouveauté. C’est en effet la première fois, à notre connaissance, que la Commission fournit un communiqué

gnalera, en particulier, la décision n° 08-D-32 portant sur des pratiques mises en œuvre dans le secteur du négoce des

tamment contradictoire avec la volonté des autorités de concurrence de mettre en œuvre des programmes de compliance, dont on peut voir l’actualité dans le colloque organisé par le Conseil de la concurrence sur ce thème, cf. RLC 2009/19, n° 1384). Plus problématique encore,

même les spécialistes du droit de la concurrence ont les plus grandes difficultés à effectuer une veille informationnelle, notamment grâce à la lecture des résumés établis par les instances, celle des articles de revues académiques (principalement la Revue Lamy de la concurrence et la revue Concurrences), des blogs ou des lettres spécialisées ( cf. notamment le succès de la Lettre CREDA

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Les idées et opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteurs et en aucune façon les institutions auxquelles ils appartiennent. Nous remercions Céline Savard-Chambard, Pierre Bernhard et Michel Rainelli pour leurs commentaires sur une version préliminaire, tout en restant seuls responsables tant du contenu que de la forme.

(*)

Droit I Économie I Régulation

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Concurrence, animé par A. Ronzano, sur ce point),

contraints qu’ils sont de conserver leur temps pour leur(s) « micro-domaine(s) de spécialité » ou pour le problème précis qu’ils cherchent à résoudre à un instant donné. Ce billet d’humeur repose sur l’observation selon laquelle plus personne n’est à même de se forger, par sa seule analyse, une conception claire et précise de l’évolution du droit de la concurrence, voire de son domaine de spécialité. C’est un constat très grave car émerge peu à peu un problème de prévisibilité juridique lié à une trop grande masse d’informations indigestes, y compris pour les spécialistes. Nous plaidons donc pour un retour à la culture juridique française, dans laquelle les arrêts et les décisions posent clairement le(s) problème(s) de droit en les désignant comme tels, ne

«

s’agit pas, à notre sens, d’une évolution comparable – et qui se justifie – à celle que l’on peut constater dans de nombreuses autres disciplines juridiques, par exemple en matière de responsabilité médicale (c’est ainsi que la jurisprudence distingue de mieux en mieux les conditions de mise en œuvre de la responsabilité d’un chirurgien cardiaque de celles d’un chirurgien spécialiste du foie). Même si l’on considère qu’aujourd’hui le droit de la concurrence se compose de quatre grands « organes » (les ententes, les abus de position dominante, les concentrations et les aides d’État), personne n’est plus en

mesure d’avoir une appréhension exhaustive de sa spécialité. Pour résumer, si les instances n’ont pas, pour l’essentiel, le choix quant au nombre de décisions à rendre, elles ont, en revanche, une responsabilité essen-

Plus personne n’est à même de se forger, par sa seule analyse, une conception claire et précise de l’évolution du droit de la concurrence, voire de son domaine de spécialité.

I. – UN PROBLÈME DE PRÉVISIBILITÉ JURIDIQUE Traditionnellement, la doctrine souligne qu’il existe un problème de prévisibilité juridique lorsque la règle de droit applicable n’est pas clairement identifiée (cf., par exemple, Boy L., Racine J.-B. et Siiriainen F. (Coord), Sécurité juridique et droit économique, Larcier, 2008, 586 p. ). C’est notamment le cas

lorsque la règle de droit n’est pas connue, lorsqu’il est difficile d’y accéder ou lorsque son application demeure source d’imprévisibilité. L’une des sources majeures de l’imprévisibilité juridique en France résulterait, selon la tradition, de la « jurisprudence » au sens large et, plus précisément, des revirements de jurisprudence. De nos jours, c’est également la masse d’informations hebdomadaires que doivent traiter les spécialistes du droit de la concurrence qui est devenue une véritable source d’imprévisibilité. Il ne

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présentant les faits bruts qu’en support à la qualification juridique des faits. L’« attractivité du droit », vantée par les rapports Doing business de la banque mondiale, devrait sans doute se mesurer aussi à l’aune de la lisibilité et de l’intelligibilité du « droit » de la concurrence. La prévisibilité juridique en droit de la concurrence passe par un retour à des formes épurées de la décision juridictionnelle.

tielle quant à la longueur de celles-ci et en conséquence, quant à leur accessibilité et, surtout, à leur intelligibilité (le problème consistant pour le juriste à repérer les informations pertinentes dans une masse énorme est sensiblement analogue à celui que rencontre le consommateur confronté, lors de l’achat de biens de consommation, à des modes d’emploi toujours plus complexes. Nous n’évoquons même pas le cas de l’acquéreur de produits financiers ou de prêts hypothécaires dont l’actualité a montré le désarroi).

Ce problème de l’accès au droit nous semble d’autant plus crucial, qu’à ce jour, malgré les efforts faits en ce domaine par les instances, toutes les décisions ne sont pas accessibles sur Internet et que les moteurs de recherche proposés sur les sites officiels ne sont pas à la hauteur des possibilités offertes en la matière par les dernières avancées technologiques. C’est sans doute là une limite à ces avancées, si elles ne sont pas accompagnées par des hommes. Il est clair que la technologie ne saurait se substituer au juriste. Les deux doivent se compléter. Il s’ensuit qu’il est extrêmement difficile, de nos jours, d’appréhender exhaustivement une question précise, certaines décisions « publiées » ainsi que leurs résumés risquant même d’induire en erreur, comme le démontre la récente affaire GlaxoSmithKline où, selon le Communiqué du Conseil de la concurrence du 14 mars 2007, il était prétendu qu’il s’agissait de la première affaire sanctionnant une pratique

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de prix prédateurs en France, ce qui était parfaitement erroné. Difficile dès lors de prévoir, avec une très faible marge d’erreur, quelle sera la sanction de telle ou telle pratique (ce point est encore plus grave si l’on prend en compte le fait que les autorités de concurrence ne décomposent jamais explicitement le montant des amendes qu’elles infligent à partir des infractions qu’elles ont retenues ni, du reste, pourquoi elles sanctionnent à hauteur d’un certain pourcentage du chiffre d’affaires mondial). Sans doute faudrait-il en revenir à

de courtes décisions, axées sur les problèmes juridiques, accompagnées d’annexes détaillées sur les aspects factuels et techniques, ce qui faciliterait incontestablement l’accès au droit de la concurrence.

II. – PLAIDOYER POUR UN RETOUR À LA CULTURE JURIDIQUE FRANCAISE Si l’on estime que le droit est un mode de communication, à l’instar de toute langue, il doit à la fois constituer un langage, support d’une communication minimale, et permettre de construire des systèmes généraux visant à se comprendre pour résoudre des conflits mais tenant compte, dans le même temps, des spécificités liées aux réalités historiques et sociales. C’est en particulier sur ce postulat que l’on peut faire reposer l’idée d’un droit commun de la concurrence, mais qui ne se confondrait pas non plus avec un droit unique (ou unifié; pour une appréhension générale de cette problématique, on pourra notamment se reporter au magnifique ouvrage de Delmas-Marty M., Pour un droit commun, Seuil, Paris, 1989, 305 p.).

Dès lors, sans promouvoir une position protectionniste ni nationaliste sur les solutions de fond du droit, il nous semble indispensable, légitime et même crucial que les instances nationales et communautaires retrouvent l’un des apports essentiels de la culture juridique romano-germanique : la brièveté traditionnelle des décisions et des arrêts. Celle-ci permet d’exposer de manière claire et intelligible, le(s) problème(s) de droit tiré(s) du cas d’espèce. Mais, et c’est sans doute la différence fondamentale avec le droit anglo-saxon, à partir de ces différents cas d’espèce, les magistrats ont appris à dégager des décisions ou arrêts de principe, dont la connaissance permet à tout juriste d’anticiper l’élaboration de la solution du problème nouveau qui lui sera posé. Nous appelons donc instamment les autorités de concurrence à modifier très sensiblement la présentation de leurs décisions en posant, dans un premier temps, sous une forme similaire à celle

Droit I Économie I Régulation

Droit I Économie I Régulation

auraient ainsi accès à un document, plus riche que le résumé superficiel (et pas nécessairement pertinent) fourni généralement aujourd’hui par les services de ces instances. Enfin, de manière plus accessoire mais sans doute tout aussi importante, cette présentation rénovée permettrait également aux enseignants de pouvoir exiger des étudiants qu’ils lisent toutes les décisions utiles pour les cours dispensés. Ceci éviterait un double mensonge : celui de l’enseignant qui feint de croire que les étudiants ont réellement la possibilité de lire ces décisions, et celui des étudiants qui se sentent obligés de faire croire qu’ils les ont lues.

PERSPECTIVES BILLET D’HUMEUR

des arrêts de la Cour de cassation ou du Conseil d’État, le(s) problème(s) juridique(s) soulevé(s) par l’affaire tranchée, en le(s) détachant des contingences liées au cas d’espèce, afin de présenter, dans un second temps, les données idiosyncratiques. Une telle présentation aurait pour premier avantage de mieux cibler le(s) problème(s) de fond du droit ainsi que les difficultés procédurales. En conséquence, elle rendrait plus intelligibles les jurisprudences des cours d’appel et des cours suprêmes. Les spécialistes du domaine, mais aussi les magistrats non spécialistes, les juristes généralistes (notamment les juristes d’entreprises), tout comme l’ensemble de la doctrine,

Pour finir, il est important de souligner que ce changement auquel nous appelons peut se faire à moyens constants. En outre, il relève de « l’état d’esprit » de tout juriste qui, de par sa formation et la lecture des décisions des autres autorités administratives indépendantes (ARCEP, CRE, CNIL, AMF, HALDE, CSA, AMRT, ASN, entre autres), est habitué à ce genre d’exercice. Place maintenant donc, nous l’espérons, à la critique et au débat sur notre appel, y compris évidemment de la part de l’Autorité de la concurrence qui a « le goût du débat » comme le soulignait Bruno Lasserre dans le premier numéro d’« Entrée libre », la lettre d’information de l’Autorité. ◆

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RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE

Questions d’actualité La nouvelle Autorité de la concurrence Avec la concrétisation de nombreux projets tant au niveau national que communautaire, l’année 2008 a été une année particulièrement active dans tous les domaines du droit de la concurrence. L’adoption de la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 fut l’événement marquant du second semestre, avec la transformation du Conseil de la concurrence en Autorité dotée de pouvoirs et de moyens renforcés pour assurer la surveillance concurrentielle des marchés dans tous ses aspects. Les nouvelles attributions de l’Autorité de la concurrence en matière d’investigation, de contrôle des concentrations et d’avis sur les questions générales de concurrence furent au cœur des discussions, ainsi que la modernisation de la procédure « antitrust ». 2008 confirme également l’attrait pour les procédures négociées avec l’adoption, par la Commission européenne, d’une procédure de transaction communautaire. Au plan national, après la clémence, outil majeur de lutte contre les cartels, c’est la procédure d’engagements qui fait l’objet d’un communiqué de procédure par le Conseil de la concurrence, le premier sur ce thème en Europe. Concernant le contentieux des dommages concurrentiels, l’actualité est marquée par la publication, par la Commission européenne, du tant attendu Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence communautaires. Les propositions de la Commission sur la dépénalisation du droit des affaires relancent quant à elles la discussion sur la place du droit pénal en matière de concurrence. En matière d’aides d’État, la Commission a adopté le Règlement général d’exemption par catégorie qui permet d’harmoniser les règles relatives à plusieurs catégories d’aides et de les dispenser d’une notification préalable. Autant de questions qui furent l’objet de nombreux et riches débats lors de la 5e édition des Rencontres Lamy du droit de la concurrence organisées par la Lettre des Juristes d’affaires et dont les actes sont ci-après reproduits.

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sommaire

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Lundi 8 décembre 2008

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INTRODUCTION Cyril NOURISSAT, Professeur à l’Université Jean Moulin, Lyon III

ALLOCUTION D’OUVERTURE Bruno LASSERRE, Président du Conseil de la concurrence

LA NOUVELLE RÉGULATION DE LA CONCURRENCE Bruno LASSERRE

QUESTIONS-RÉPONSES ACTUALITÉ DES AIDES D’ÉTAT Jean-Louis COLSON, Chef de l’Unité Marché intérieur et Concurrence, Direction générale Transport et Énergie, Commission européenne

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ACTUALITÉ DU DROIT DES CONCENTRATIONS Antoine WINCKLER, Avocat, Cabinet Cleary Steen & Hamilton LLP

ACTUALITÉ DES PRATIQUES RESTRICTIVES Martine BÉHAR-TOUCHAIS, Professeur à l’Université Paris-Descartes

ACTUALITÉ DU CONTENTIEUX DES DOMMAGES CONCURRENTIELS Muriel CHAGNY, Professeur à l’Université Paris-Descartes et Jacqueline RIFFAULT-SILK, Conseiller à la Cour de cassation

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ACTUALITÉ DU DROIT PROCESSUEL DE LA CONCURRENCE Éric BARBIER de la SERRE, Avocat, Cabinet Latham & Watkins et Cyril NOURISSAT

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Droit I Économie I Régulation

Par Cyril NOURISSAT, Professeur à l’Université Jean Moulin, Lyon III

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J’ai l’honneur d’ouvrir ces cinquièmes Rencontres du droit de la concurrence, même si ce plaisir est quelque peu

ALLOCUTION D’OUVERTURE (1) Par Bruno LASSERRE, Président du Conseil de la concurrence

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Je souhaite revenir sur la régulation de la concurrence et aborder les traits principaux de cette réforme. Quel sera le nouveau visage de l’Autorité de la concurrence, qualifiée d’autorité administrative indépendante par la loi de modernisation de l’économie ? Je souhaite également aborder le nouveau contrôle des concentrations et le changement survenu dans le traitement des pratiques anticoncurrentielles. Cette réforme a été menée tambour battant. À la fin du mois de janvier 2008, la Commission de libération de la croissance française, présidée par Jacques Attali, a remis ses propositions au président de la République. Ce dernier a exprimé son soutien aux propositions de création d’une Autorité de la concurrence unique et renforcée. Tout est ensuite allé très vite, alors même qu’il a fallu une loi, une ordonnance et toute une série de décrets d’application pour concrétiser ces propositions. La Commission pour la libération de la croissance française s’est emparée de ce sujet car elle a vu un lien entre plus de concurrence, plus de croissance et plus de pouvoir d’achat. Dès lors que la Commission a légitimement pensé qu’une politique de concurrence plus efficace pouvait contribuer à la croissance et à la modernisation de notre économie, il fallait aussi revoir la régulation de la concurrence et rassembler les compétences aujourd’hui dispersées autour d’une Autorité indépendante et unique. Les trois axes principaux de cette réforme sont les suivants : le transfert du contrôle concurrentiel des concentrations à l’Autorité indépendante ; le transfert également des enquêteurs de concurrence, qui permet d’intégrer les compétences et les moyens au sein d’une chaîne unique et plus efficace, de la détection des pratiques au suivi de l’exécution des décisions, en passant par l’enquête, l’instruction et la prise de décision ; le fait de permettre à l’Autorité indépendante de rendre, de sa propre initiative, des avis sur des questions générales de concurrence ou de faire des recommandations aux pouvoirs publics, au gouvernement ou au Parlement, pour améliorer le fonctionnement concurrentiel des marchés. Cette réforme s’est faite, au total, en onze mois, ce qui constitue un délai extrêmement rapide. On pourrait regretter qu’elle ait été scindée en deux puisqu’une partie a été traitée par le législateur et une autre par ordonnance, ce qui a pu empêcher d’avoir une vision globale des choses. Pour ma part, je trouve plutôt positif que le Sénat – puisque

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PERSPECTIVES COLLOQUE

INTRODUCTION

gâché par l’absence de ma collègue Véronique Sélinsky, retenue ce jour à Montpellier. Cette rencontre se déroule dans un contexte d’actualité extrêmement chargé cette année. De nombreux textes sont adoptés et promulgués ; il s’avère important de les analyser. Nous évoquerons évidemment la loi de modernisation de l’économie et la nouvelle Autorité de la concurrence. ◆

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c’est le sénateur Larcher qui présidait à l’époque la Commission spéciale chargée d’examiner la loi de modernisation de l’économie – ait estimé que ce sujet institutionnel, soit la création de l’Autorité, était politiquement trop important pour échapper à une discussion parlementaire. Le Sénat a donc exigé qu’une partie de la réforme, relative à la création de l’Autorité et à la fixation des règles concernant son indépendance et la composition du collège, soit transférée de la future ordonnance à la loi. Ceci me semble constituer un signe plutôt positif de l’intérêt qu’a montré le législateur à la création de cette nouvelle Autorité, même si le découpage entre loi et ordonnance a pu compliquer certains points. L’ordonnance à laquelle renvoie la LME pour traiter les questions résiduelles qui n’ont pas été évoquées par le législateur porte le titre de « modernisation de la régulation de la concurrence » ; elle a été adoptée le 13 novembre 2008, au terme d’une consultation du Conseil de la concurrence qui a eu lieu au mois d’avril, puis de la place, pendant l’été. Je souhaite rendre hommage à la ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, Mme Christine Lagarde, qui, sur ce sujet mais aussi sur la mise en œuvre des décrets d’application de la LME comme de l’ordonnance, s’est engagée à ce que le processus se déroule rapidement. Les décrets prévus par la LME aussi bien que par l’ordonnance sont en cours de finalisation. Deux principaux décrets de fond sont prévus par la LME : l’un traite du conseiller auditeur, l’autre de la représentation en justice de l’Autorité ; ils devraient paraître dans les prochains jours. L’ordonnance prévoit également d’autres décrets relatifs, notamment, à l’articulation entre l’Autorité et les services ministériels en ce qui concerne l’instruction des affaires de pratiques anticoncurrentielles ou à la question du contrôle des micro-pratiques sur le plan local. Enfin, un décret balaiera et toilettera l’ensemble du Code de commerce pour tirer toutes les conséquences de la réforme. En ce qui concerne les moyens, l’arbitrage gouvernemental a été clair : 60 emplois en année pleine et 48 pendant l’année de transition ont été transférés à l’Autorité de la concurrence. Le budget a été rapproché de celui des autorités administratives indépendantes, notamment des régulateurs sectoriels en France, ce qui montre, dans un contexte budgétaire serré, la volonté du gouvernement de mettre en œuvre rapidement cette réforme. Les recrutements ont débuté pour que la nouvelle Autorité soit opérationnelle début 2009. La première réunion du collège de la nouvelle Autorité marquera le basculement des règles de fond et de compétence ; elle aura lieu aussi tôt que possible en 2009. ◆

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Le style oral de cette allocution a été conservé.

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RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE Lundi 8 décembre 2008

La nouvelle régulation de la concurrence Par Bruno LASSERRE I. – LA TRANSFORMATION DU CONSEIL EN AUTORITÉ INDÉPENDANTE UNIQUE PLUS VISIBLE, PLUS FORTE ET PLUS EFFICACE A. – Une autorité indépendante renforcée 1) Le statut de l’Autorité La LME a tranché le débat sur la nature de l’Autorité qui est une autorité administrative indépendante. La précédente ordonnance, de décembre 1986, ne qualifiait pas le Conseil de la concurrence. Un débat avait donc eu lieu, au tout début de sa création, sur la nature juridictionnelle ou administrative de cette nouvelle autorité. La Cour d’appel de Paris avait tranché clairement, notamment dans son arrêt Coca-Cola, en qualifiant le Conseil d’autorité administrative. Désormais, la loi qualifie elle-même l’Autorité d’autorité administrative indépendante. Ce point est important car, en 20 ans, le Conseil a dérivé sur certains points vers une certaine judiciarisation. Les termes employés dans les textes réglementaires y poussent d’ailleurs parfois comme « juger » plutôt que « décider ». Les réflexes sont tels que ce langage judiciaire revient régulièrement. Quand je rédige des décisions, je fais toujours la chasse aux termes qui pourraient induire en erreur le lecteur et laisser penser que nous sommes une juridiction. Il n’est ainsi pas possible de parler de jurisprudence du Conseil de la concurrence mais plutôt de pratique décisionnelle comme on le fait pour la Commission européenne. Cela dit, certaines évolutions qui ont rapproché le Conseil de la concurrence des règles applicables aux juridictions sont plutôt positives. À titre personnel, je suis favorable à la séparation des fonctions d’instruction et de décision. Cette réforme, qui fait suite à l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d’État, a été bienvenue. Contrairement à ce qui est souvent écrit, cette séparation n’est pas exigée par la Cour de Strasbourg pour la prise d’une décision administrative. D’ailleurs, alors que la Commission nationale de la concurrence espagnole suit les mêmes règles que le Conseil de la concurrence français, en séparant instruction et décision, d’autres grandes autorités de concurrence en Europe, telles que le Bundeskartellamt allemand ou l’Office of Fair Trading britannique, ne pratiquent absolument pas cette séparation. En Allemagne, les décisions en matière de pratiques anticoncurrentielles sont prises par des chambres du Bundeskartellamt, formations de trois personnes dont le rapporteur qui a voix délibérative : ceci n’a jamais été censuré par les juridictions allemandes dont on connaît le haut degré d’attachement pour la garantie des droits. Au Royaume-Uni, le directeur général de l’Office of Fair Trading dirige les enquêteurs et prend les décisions de sanctions. Dès lors que la neutralité est garantie à un degré ultérieur de la procédure, et notamment devant le juge de plein contentieux qui peut annuler ou réformer la décision, la jurisprudence de la CEDH juge que le fait que cette garantie soit offerte plus tard dans le procès régularise la situation en amont ; il n’est alors pas besoin d’assurer cette impartialité dès le premier stade de la procédure. La France est allée plus loin, ce qui me semble constituer une bonne chose ; je crois qu’il est important d’assurer l’impartialité dès le premier stade de la décision. Cette séparation des fonctions d’instruction et de décision, qui crée un système de

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checks and balances, soit un vrai contradictoire entre le collège qui décide et les services qui instruisent, est très utile pour le Conseil. Elle génère une dialectique qui enrichit le débat et garantit aux entreprises qui viennent en séance la chance de pouvoir réellement discuter les griefs devant des personnes qui n’ont joué aucun rôle en amont, dans leur établissement. J’avais établi des statistiques lorsque nous avions débattu de cette question : 45 % des décisions du Conseil ne suivent pas les services d’instruction, que ce soit en tout ou en partie. La dernière décision que vient de rendre le Conseil, relative à l’affaire de l’approvisionnement en carburéacteurs d’Air France à l’escale de la Réunion, l’illustre, puisque le Conseil n’a retenu qu’un des trois griefs notifiés par le rapporteur. 2) La mission de régulation de la concurrence La mission de régulation de la concurrence est inscrite dans la loi pour la première fois, y compris dans sa dimension européenne : toutes les conséquences du règlement n° 1/2003 et de la mise en place du Réseau de concurrence européen sont ainsi tirées. Ce sujet est d’actualité : le Conseil vient de se prononcer pour la première fois sur des aspects importants du règlement n° 1/2003 dans une affaire qui concerne l’approvisionnement en carburéacteurs d’Air France à son escale de la Réunion. Dans cette affaire, le rapporteur général avait décidé, sur le fondement de l’article 22 du règlement n° 1/2003, de demander à l’Office of Fair Trading de l’assister dans sa mission d’enquête pour rechercher des preuves auprès de sociétés dont le siège était à Londres. Pour la première fois, le Conseil de la concurrence vient de se prononcer sur le contrôle qu’il exerce sur le recours à l’assistance formé dans le cadre de cet article 22, en distinguant dans cette assistance, demandée et obtenue d’une autorité nationale membre du Réseau, trois phases : – la demande d’assistance, formulée par le rapporteur général, contrôlée selon le droit national par le Conseil et les juridictions de contrôle ; – l’autorisation et le déroulement de l’enquête menée par l’autorité auprès de laquelle la demande d’assistance a été faite, contrôlée au regard du droit national de cette autorité, par les juridictions de cet État membre ; – l’utilisation des informations obtenues dans le cadre de cette assistance, régie par le droit national, sous le contrôle des juridictions nationales. En contrepartie de cette indépendance accrue figure la responsabilité : l’Autorité pourra approfondir ses rapports avec le Parlement en lui adressant son rapport annuel, en lui présentant son bilan et ses perspectives chaque année et surtout en portant les messages de la politique de la concurrence au cœur du débat législatif. B. – Les droits des entreprises renforcés 1) L’achèvement de la séparation des fonctions d’instruction et de décision Nous achevons la séparation des fonctions d’instruction et de décision, entamée en 2001. Un certain nombre de pouvoirs demeurés entre les mains du président à l’époque mais également rattachables à l’instruction, seront dorénavant exercés par le rapporteur général. Ainsi, il pourra désormais, lorsque

Droit I Économie I Régulation

2) La création du conseiller auditeur La seconde nouveauté est la création d’un conseiller auditeur. Cette nouvelle fonction s’inspire de la Commission européenne, tout en s’en distinguant radicalement. À Bruxelles, le conseiller auditeur est effectivement la contrepartie d’une absence de séparation entre instruction et décision : parce que la Commission européenne obéit à un fonctionnement très intégré, le conseiller auditeur permet aux entreprises de s’adresser à une personne distante de l’instruction et de la décision, pour se faire entendre. Il s’agit donc d’une garantie d’un examen impartial et distancié par rapport au rôle de la direction générale de la concurrence. La conception française, dans un système qui sépare les fonctions d’instruction et de décision, est plutôt celle d’un expert procédural, accessible aux entreprises en cas de contestation sur les droits de la défense pendant la phase d’instruction contradictoire de la procédure de contrôle des pratiques anticoncurrentielles. Le conseiller auditeur fournira, lorsqu’il sera saisi de telles contestations, une évaluation autonome au collège, qu’il aidera donc à prendre la mesure des contestations procédurales. Le collège demeure toutefois seul juge de la régularité de la procédure. II. – LE NOUVEAU CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS La réforme va dans le sens d’un meilleur partage des rôles entre l’Autorité indépendante et le gouvernement. Cet objectif est essentiel : il s’agit de préciser clairement la responsabilité de l’Autorité indépendante et l’étendue du pouvoir du ministre. A. – Les différentes phases du contrôle La LME institue un guichet unique pour le contrôle concurrentiel des concentrations ; elle met en place un traitement intégré avec un interlocuteur unique pour les entreprises, de la prénotification à la décision et au suivi de sa mise en œuvre. L’équilibre entre les deux phases de la procédure est préservé. Dans le premier cas, le président ou le vice-président délégué statue seul. Les cas qui font l’objet d’une Phase II restent, comme aujourd’hui, traités de manière collégiale. Ceci n’exclut pas du tout qu’en Phase I, de manière informelle, le président ou le vice-président délégué puisse consulter les autres vice-présidents ou le président, avec un système de checks and balances et un dialogue interne à l’Autorité. Sont donc distingués le traitement rapide des cas qui ne posent pas de difficultés de concurrence et le traitement approfondi, contradictoire et collégial des cas soulevant des questions. Ensuite, la Phase II est restructurée de fond en comble. Elle préserve toutes les traditions du Conseil – débat contradictoire, formalisé, par écrit – avec l’envoi d’un rapport et la tenue d’une séance pendant laquelle s’engage un débat direct

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PERSPECTIVES COLLOQUE

les griefs seront notifiés, décider de recourir à la procédure simplifiée qui dispense de l’établissement d’un rapport, ce que faisait le président précédemment. L’octroi de délais aux entreprises relèvera également du pouvoir du rapporteur général : ce dernier décidera ainsi de la prolongation des délais demandée par les entreprises, soit à la suite de la notification des griefs, soit à la suite de l’envoi du rapport. Enfin, le rapporteur général traitera toutes les questions liées au secret des affaires dont l’ordonnance simplifie d’ailleurs la procédure, actuellement lourde et bureaucratique. À l’inverse, cette séparation ne vaudra pas pour les procédures d’engagements, dans les affaires de concentrations ou encore dans les procédures d’avis où l’on ne poursuit personne.

entre les entreprises et le collège. La Phase III, qui prévoyait, après l’examen collégial et l’émission d’un avis, que l’affaire était réexaminée par les services ministériels pour une nouvelle négociation qui revenait parfois sur l’avis, ou du moins entretenait certaines ambiguïtés, est en revanche supprimée. Cette phase était souvent déstabilisante pour les entreprises, qui pensaient l’affaire terminée avec la prise de position du Conseil. De fait, elle engendrait une rupture des équipes assez compliquée à gérer. Dorénavant, il n’y aura plus qu’un seul travail de conviction à réaliser pour les entreprises, qui portera sur tous les aspects du « deal », soit les aspects pro ou anticoncurrentiels de l’opération mais aussi les remèdes. Cette réforme est de nature à procurer des gains d’efficacité, qui sont évidemment retransmis aux entreprises, comme le montre le fait que les délais sont raccourcis à 65 jours à compter de l’ouverture de la Phase II. En outre, le traitement des cas devient plus homogène et cohérent. Le bilan qu’exercera l’Autorité de la concurrence se focalisera exclusivement sur les questions de concurrence au sens large, en intégrant les gains d’efficacité. L’analyse économique devrait donc être au cœur du travail de la future Autorité. Celle-ci dispose, je le rappelle, d’un service économique dédié, dirigé par un chef économiste, qui pourra participer à l’examen de l’affaire, notamment au dialogue avec les entreprises. Durant la Phase II, les rapporteurs du service concentrations pourront aussi bénéficier du renfort des rapporteurs antitrust, dans les cas qui le justifient. Je tiens à ce que cette procédure de contrôle en deux temps soit utilisée plus clairement pour différencier les affaires. Je suis sensible au message des entreprises qui insistent sur le facteur temps. Les concentrations d’entreprises constituent un tel défi organisationnel, en particulier lorsque les marchés sont volatiles, que la course au temps s’avère très importante. Pouvoir apporter une réponse rapide aux entreprises est un élément majeur de la crédibilité du nouveau contrôle. Il faudra donc, chaque fois que possible, aller plus vite, tout en préservant les caractéristiques de notre système de checks and balances, et n’ouvrir une Phase II que lorsqu’il s’agira de la meilleure solution. Cela fonctionnera si deux conditions sont remplies : les entreprises doivent continuer à prénotifier leurs affaires le plus en amont possible, pour informer loyalement et complètement l’Autorité des enjeux de la concentration ; elles doivent également avancer vers un diagnostic partagé avec l’Autorité le plus tôt possible. Je constate que les entreprises attendent parfois le dernier moment pour proposer des remèdes ou partager le diagnostic. Dans ces conditions, il est difficile de garantir une prise de décision rapide. Enfin, il faut accepter que, lorsque l’affaire ne pose aucune difficulté – ce qui est souvent le cas, lorsqu’il n’y a pas de recoupements de marchés entre les entreprises qui se concentrent ou lorsque les parts de marché sont extrêmement faibles – l’Autorité prenne des décisions qui ne tranchent pas la délimitation des marchés et ne font pas jurisprudence. Je suis partisan, pour les affaires très simples, d’un système reposant sur une instruction très allégée, à la condition qu’on n’attende pas des décisions qu’elles fassent jurisprudence. B. – Le pouvoir d’évocation du ministre Une question demeure quant au pouvoir résiduel du ministre. Le Conseil s’est d’emblée montré favorable à l’équilibre des pouvoirs entre l’Autorité indépendante recentrée sur l’examen du bilan concurrentiel au sens large et la possibilité pour le ministre de porter, sur certaines affaires stratégiques, un regard politique qui mette en balance le bilan concurrentiel avec la contribution que peut apporter le projet à d’autres intérêts

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généraux. Le Conseil a toujours considéré que cet équilibre était un élément du succès de la réforme. Une difficulté réside toutefois dans le fait que la LME permet au ministre d’évoquer une affaire de concentration aussi bien dans le cas dans lequel l’Autorité a estimé qu’il existait un problème de concurrence qui justifiait soit une décision d’interdiction, soit une décision assortissant son autorisation de remèdes non acceptés par les entreprises, que dans le cas où l’Autorité a estimé qu’il n’existait pas de problèmes de concurrence ou que ces problèmes de concurrence étaient résolus par des engagements proposés par les entreprises elles-mêmes. Il faudra voir comment s’exerce ce pouvoir d’évocation. Mme Lagarde a clairement confirmé que le ministre n’entendait utiliser ce pouvoir qu’à titre exceptionnel. Les années à venir nous aideront à comprendre son fonctionnement. Il faut, en définitive, retenir de la réforme du régime de concentrations que le fait de placer l’examen des concentrations et le traitement des pratiques anticoncurrentielles sous un même toit, celui de l’Autorité de la concurrence, permettra d’avoir une approche cohérente et bien articulée du contrôle des structures et des comportements. III. – LE NOUVEAU CONTRÔLE DES PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES Ce contrôle est unifié. C’est un changement majeur. La dispersion des compétences actuelles en matière de contrôle des pratiques anticoncurrentielles affecte effectivement bien plus que le seul pouvoir d’enquête. Le Code de commerce dans sa rédaction actuelle donne le pouvoir de décision au ministre en cas d’abus rattaché à une concentration, ainsi que le pouvoir de contrôler la bonne exécution des décisions prises par le Conseil. Toutes ces dispositions disparaissent à compter de la date de la première réunion du nouveau collège, puisque l’ensemble des compétences est intégré pour assurer l’efficacité de la régulation de la concurrence. A. – Les compétences transférées à l’Autorité de la concurrence 1) Le transfert du pouvoir d’enquête Le pouvoir d’enquête est intégré dans une chaîne de responsabilité continue et homogène, de la détection des comportements et de la collecte des preuves sur le terrain à la décision finale et au suivi de cette dernière. Cela permettra à l’Autorité d’être informée plus en amont et plus complètement, et donc de construire une stratégie de traitement des cas beaucoup plus fine. Cette intégration aidera aussi à opter beaucoup plus vite pour des engagements quand le comportement n’a pas porté atteinte à la concurrence ou quand l’entreprise fait des propositions crédibles et constructives. Le fait de réunir dans les mêmes mains enquête et instruction aidera aussi en présence de comportements graves, pour lesquels la seule réponse possible doit être la sanction, notamment du point de vue de la non contestation des griefs : le nouveau système permettra d’accélérer la procédure en évitant de prolonger l’incertitude. Ces changements sont cohérents avec les nouvelles stratégies procédurales, qui incitent les entreprises à prendre en main leur avenir concurrentiel. 2) Le transfert du pouvoir de traiter complètement les abus La réforme transfère à l’Autorité indépendante le pouvoir de traiter les abus liés à des opérations de concentration. Jusqu’à présent, ce pouvoir était détenu par le ministre : le Conseil ne pouvait que proposer au ministre de prendre des mesures

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structurelles en cas d’abus permis par des opérations de concentration antérieures, ce qu’il n’a fait qu’une seule fois, dans l’affaire des filiales communes de la distribution d’eau. Cette disposition est modifiée dans la mesure où le pouvoir de décision est transféré à l’Autorité indépendante. Si l’on regarde les bonnes pratiques en vigueur au sein du réseau européen, on constate que le pouvoir horizontal d’injonction structurelle est, en revanche, un point qui n’a pas été repris par le droit français. Un régime spécifique est cependant créé dans le secteur de la distribution, à la demande du Parlement. Le Code de commerce comprend ainsi une nouvelle disposition qui, dans le cas où un abus de position dominante est commis par une entreprise du secteur de la distribution et où l’entreprise poursuit son comportement anticoncurrentiel, permet à l’Autorité de prendre des injonctions structurelles à son égard, qui pourront aller jusqu’à l’obligation de céder des surfaces à des concurrents pour rétablir la concurrence sur la zone de chalandise affectée. Ce pouvoir d’injonction structurelle a donc été traité de manière relativement fragmentée, en transférant le pouvoir de décision à l’Autorité indépendante en premier lieu dans le cas d’un abus permis par une opération de concentration et en second lieu dans le cas de la distribution. 3) Le transfert du contrôle de l’exécution des décisions Dans la répartition des rôles entre le Conseil et le ministre, le ministre est actuellement le gardien de l’exécution des décisions du Conseil ; il lui arrive d’ailleurs de saisir le Conseil en cas de non-respect par les entreprises des injonctions ou des engagements pris devant le Conseil. Dorénavant, l’Autorité veillera elle-même à l’exécution de ses décisions. Ce point est fondamental pour l’avenir : une des caractéristiques essentielles des autorités indépendantes est que, à la différence des juges, elles ne sont pas là simplement pour trancher des litiges et prendre des décisions qui s’imposent aux entreprises, mais aussi pour vérifier in concreto que les marchés fonctionnent de manière concurrentielle. Elles doivent donc s’intéresser à l’efficacité de leurs décisions en vérifiant concrètement que celles-ci sont correctement appliquées par leurs destinataires. C’est un des points sur lesquels les pratiques étrangères se développent : de nombreux régulateurs de la concurrence, qu’il s’agisse de la Commission européenne ou de l’Office of Fair Trading britannique, réalisent des études sur l’efficacité des décisions prises en vérifiant leur application et leur influence sur les comportements sur les marchés. L’Autorité entend investir beaucoup sur ce point car de nombreux cas ont été traités par des engagements et la crédibilité de cette procédure dépend du respect des conditions dans lesquelles ces engagements sont appliqués par les entreprises. L’Autorité sera donc extrêmement vigilante, en mettant en œuvre les moyens nécessaires pour vérifier que les engagements et les remèdes sont appliqués de manière totale et sincère. B. – Un contrôle modernisé La réforme a cherché à consolider 20 ans de pratique décisionnelle et de mise en œuvre du Code de commerce mais aussi à créer une Autorité modèle à partir des meilleures pratiques en vigueur à l’étranger. La consolidation de la jurisprudence se traduit par de nombreuses précisions. Par exemple, la Cour d’appel de Paris, dans l’arrêt Coca-Cola, avait énoncé le principe que le désistement d’une partie ne faisait pas échec à la poursuite de l’affaire par le Conseil, autorité indépendante. Le Code de commerce le traduit maintenant concrètement : il n’y a pas besoin d’autosaisine pour poursuivre l’instruction de l’affaire, le désiste-

Droit I Économie I Régulation

1) Le fonctionnement de l’instruction Les services d’instruction pourront désormais effectuer toute enquête utile sur le modèle des pouvoirs dont disposent aujourd’hui le ministre ou la Commission européenne. Ces services d’instruction disposeront de pouvoirs d’enquête également plus complets : ils pourront auditionner pendant les perquisitions ; ils pourront conserver les pièces saisies pendant qu’un contentieux est pendant ; ils pourront, sous le regard du collège, traiter des cas d’obstruction, avec toutefois une différence par rapport à la situation communautaire puisque l’amende procédurale devrait être fixée dans la décision finale sur le fond. Ils auront également une panoplie d’outils plus efficaces : ainsi, le recours à la procédure simplifiée se décidera au moment de l’envoi de la notification des griefs. En même temps, ces pouvoirs nouveaux seront contrebalancés par de nouvelles garanties octroyées aux entreprises. Ainsi, le couperet de la prescription passera à 10 ans. 2) Le fonctionnement du collège Les outils du collège sont eux aussi perfectionnés. Par exemple, la nature non incriminatoire de la procédure d’engagements est clarifiée. Le texte du Code de commerce, issu de l’ordonnance de novembre 2004, n’était pas très bien rédigé dans la mesure où il permettait aux entreprises de proposer des en-

Droit I Économie I Régulation

PERSPECTIVES COLLOQUE

ment d’une partie ne faisant pas échec à la poursuite de l’instruction. Dans les rapports entre prescription pénale et prescription administrative devant l’Autorité de la concurrence, le Code de commerce consolide et codifie également les points tranchés par le Conseil et la Cour d’appel de Paris. Certaines zones d’ombre du Code de commerce sont également levées en réponse à des problèmes rencontrés en pratique, notamment en ce qui concerne le secret des affaires, qui est simplifié, ou le recours des tiers en matière de perquisitions. Dans bien d’autres cas, l’ordonnance inscrit dans le Code de commerce des solutions envisagées par le Rapport Donnedieu de Vabres en 1986, mais qui n’avaient pas été retenues par le gouvernement, telles que l’ambiguïté sur le champ d’application des pouvoirs d’enquête : les services d’instruction du Conseil pourront en faire usage non seulement en antitrust mais aussi en matière de contrôle des concentrations, puisqu’il est clairement reconnu aux services d’instruction la possibilité de procéder à toute enquête nécessaire à l’application des Titres II et III du Livre IV du Code du commerce. Le règlement n° 1/2003 est apparu comme un modèle évident, très utile dans les discussions techniques qui ont précédé l’adoption des textes, car il fournit un précédent utile pour fonder un grand nombre d’avancées, par exemple sur le dispositif d’obstruction à l’instruction. Le système précédent n’était pas satisfaisant dans la mesure où il reposait sur la sanction pénale, difficile à mettre en œuvre et parfois disproportionnée. L’Autorité aura désormais la possibilité de sanctionner spécifiquement l’obstruction mise par les entreprises à l’instruction des affaires, ce qui permettra un traitement gradué aux différents cas d’obstruction constatés. Cette réforme a aussi été l’occasion de réaliser tout un travail de benchmarking à partir des outils juridiques en vigueur à la fois dans les États membres mais aussi au sein des autres autorités administratives indépendantes de régulation économique telles que l’ARCEP, le CSA, la CRE ou l’AMF. La possibilité pour le président de déposer un pourvoi en cassation contre les arrêts de la Cour d’appel qui annulent ou réforment les décisions de l’Autorité s’inspire ainsi des procédures de l’AMF où le président dispose de ce même pouvoir.

gagements de nature à mettre fin à des pratiques anticoncurrentielles. Ce texte est modifié pour s’accorder au vocabulaire communautaire et à la pratique décisionnelle du Conseil : on parle de préoccupations de concurrence concernant des faits susceptibles d’être qualifiés de pratiques anticoncurrentielles. D’autres changements résultent de la concertation menée avec le barreau spécialisé : nous obtenons le découplage entre noncontestation des griefs et engagements. Cela avait été préconisé de longue date par le Conseil. Dorénavant les entreprises auront le choix, lorsqu’elles décideront de ne pas contester les griefs, soit de se limiter à renoncer à cette contestation, soit d’accompagner cette renonciation de propositions d’engagements pour l’avenir permettant d’obtenir une réduction plus importante du quantum de la sanction. Le chantier de la défense des décisions en justice, ouvert en 2005 avec la possibilité pour le Conseil d’être présent devant la Cour d’appel de Paris, est parachevé avec la possibilité de se pourvoir en cassation. Il s’avère effectivement très important de faire trancher par la juridiction suprême des points de droit. Enfin, l’Autorité pourra décider de donner son avis sur des questions générales de concurrence. Cet outil est conçu pour être à géométrie variable : l’Autorité pourra rendre des avis d’initiative sur des questions générales de concurrence permettant de donner des signaux plus clairs pour la communauté des affaires ou pour les pouvoirs publics ; elle pourra également faire le bilan concurrentiel de législations ou de réglementations en vigueur ou en projet et recommander des réformes, comme l’ARCEP ou la CRE ; elle pourra faire des enquêtes sectorielles, sur le modèle de la Commission européenne. Ce dernier point est utile car, en amont du traitement individuel des cas, il peut y avoir des secteurs dans lesquels un regard plus large peut être intéressant. Comme le Conseil, l’Autorité mettra cette pédagogie au cœur de ses priorités en recourant aussi plus largement aux communiqués de procédure. En matière de concentrations, nous ferons nôtres les lignes directrices adoptées par le ministre de l’Économie, élément fondamental de stabilité et de confiance dans le dispositif actuel, en n’écartant pas une évolution ultérieure en fonction de nos propres convictions et de ce que nous aurons expérimenté en ce domaine. CONCLUSION Quelles seront les dernières étapes avant la mise en œuvre de la réforme ? Il s’agit tout d’abord de finaliser les décrets prévus par la LME et par l’ordonnance. La LME prévoit plusieurs décrets : l’un s’intéresse aux conditions de publication des décisions ; l’autre doit préciser le champ de l’intervention du conseiller auditeur ; le troisième doit définir les modalités de représentation en justice de l’Autorité. L’ordonnance prévoit également plusieurs décrets, dont deux à retenir, sur : – l’articulation entre l’Autorité et les services ministériels au stade de l’enquête, qui doit fonctionner au mieux pour que soit atteint l’objectif d’efficacité administrative et pour assurer la sécurité juridique des entreprises ; – l’articulation au stade de la prise de décision, avec le point des micro-pratiques locales : le Conseil avait émis au mois d’avril 2008 son avis sur le projet gouvernemental que le gouvernement n’a pas suivi. Sur ce dernier point, le Conseil souhaitait effectivement prévoir, si le pouvoir de transaction était maintenu, une articulation avec le collège de l’Autorité, au préalable, sur les projets de transaction, pour que le collège vérifie que l’imputabilité des pratiques avait été correctement traitée, que le standard

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de preuve appliqué par les services ministériels était le même que celui du Conseil, que le standard de sanction était cohérent avec le standard qu’aurait appliqué le Conseil dans une telle hypothèse. L’ordonnance n’a toutefois pas retenu une telle articulation et les transactions seront donc décidées sans information préalable du collège. Dès lors que l’ordonnance a clairement tranché, il faut que l’ensemble fonctionne de manière satisfaisante pour permettre aux services ministériels d’exercer ce pouvoir de mise en garde et de transaction dans un souci de cohérence du droit de la concurrence, sans divergence avec l’Autorité, et dans le respect des garanties que les entreprises attendent légitimement. Je suis

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personnellement favorable à ce que ces transactions soient rendues publiques car je crois qu’il s’agit d’un élément important de pédagogie. Le second chantier, après les décrets, sera l’adoption d’un nouveau règlement intérieur qui se substituera à l’actuel et traitera un certain nombre de points transférés de la partie réglementaire du Code de commerce vers ce règlement intérieur, par exemple les règles de quorum concernant les différentes formations de l’Autorité. Je souhaite saluer une nouvelle fois l’engagement de tous au service d’une réforme qui aura été menée de manière rapide, volontariste et, je le crois, relativement efficace. ◆

Cyril Nourissat. – Je vous remercie pour cette présentation ; vous avez parfaitement brossé le panorama de l’intégration et de l’autonomie qui caractérisent cette réforme. ◆

»

QUESTIONS-RÉPONSES Marc Levis, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation : Les textes détermineront le régime de l’application dans le temps, en fonction de l’entrée en vigueur des textes. M. le président, vous avez observé que certaines dispositions peuvent éclairer ou consacrer le droit positif. Ainsi, la consécration de la nature de l’institution en Autorité administrative indépendante consacre la nature du recours exercé contre ses décisions et dissipe l’ambiguïté sur le caractère d’effet dévolutif de ce recours. Serait-il possible, sous réserve de l’appréciation des tribunaux, de lister les éléments nouveaux de cette réforme et les éléments déclaratifs qui, à ce titre, pourraient être utilisés à titre d’arguments pour éclairer les problèmes existants et le contentieux en cours ?

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Bruno Lasserre : Chaque fois que les modifications du Code de commerce clarifient certaines questions, elles le font par des solutions qui sont le reflet de pratiques décisionnelles ou de jurisprudences passées ; elles ne portent pas sur des sujets conflictuels qui auraient fait l’objet de divergences entre la Cour d’appel de Paris et la Cour de cassation. C’est le cas pour la nature de l’Autorité car l’arrêt Coca-Cola de la Cour d’appel de Paris, rendu sous la signature du président Canivet, n’avait jamais été remis en cause. L’effet du désistement d’une partie ne faisait pas débat non plus. Les rapports entre prescription pénale et prescription administrative relèvent quant à eux d’une solution initiée par le Conseil de la concurrence et confirmée par la Cour d’appel de Paris. Je ne suis donc pas certain que ces modifications puissent éclairer des débats contentieux encore obscurs. Le seul point sur lequel un changement de fond est apporté concerne le régime des visites et des saisies. L’arrêt Ravon rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme à propos de perquisitions fiscales et douanières a suscité des questions quant à sa portée : fragilise-t-il uniquement les perquisitions fiscales ou douanières ou s’étend-il à d’autres perquisitions ? Certains éléments des perquisitions de concurrence se rapprochent du régime des perquisitions fiscales et douanières, mais en même temps des différences existent. La grande distinction entre ces perquisitions réside dans le fait que, dans les perquisitions de concurrence, les entreprises ont la

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possibilité, après l’autorisation délivrée par le juge des libertés et de la détention, de revenir devant ce juge pour contester concrètement les conditions dans lesquelles se sont déroulées les visites et saisies. Il arrive ainsi que le juge des libertés et de la détention rende des pièces à des entreprises qui contestent ces saisies. Les entreprises ont un juge effectif devant lequel elles peuvent se présenter, un juge du fait qui contrôle in concreto les conditions dans lesquelles se déroulent les visites et saisies et statue sur les contestations qui peuvent surgir. Le gouvernement a préféré prendre les devants et mettre le droit positif français en accord avec les exigences de l’arrêt Ravon, en introduisant la possibilité d’un contentieux d’appel sur les ordonnances par lesquelles le juge des libertés et de la détention autorise les visites et saisies. Dorénavant, les entreprises pourront donc contester devant un juge d’appel les ordonnances du juge des libertés et de la détention autorisant les visites et saisies avant de se pourvoir éventuellement en cassation. L’ordonnance met en place des dispositions transitoires qui ouvrent des droits nouveaux aux entreprises pour leur permettre de bénéficier de ces avancées, alors même que les perquisitions ont été ordonnées sur le fondement du droit antérieur.

»

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Mélanie Thill-Tayara, SCP Salans & Associés : Sur le contrôle des concentrations, j’imagine que les prénotifications s’adressent au rapporteur général. Je crains toutefois que ce dernier soit très occupé au vu des tâches qui lui incombent. Par ailleurs, envisagez-vous de traiter les affaires très simples par des autorisations tacites ?

»

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Bruno Lasserre : Très en amont, il faudra que l’entreprise sache qui prendra part au processus. Mon intention est d’identifier cet interlocuteur le plus tôt possible de manière à ce que l’entreprise prenne contact avec celui-ci, normalement le chef du service des concentrations, nouvelle équipe dédiée pour examiner les dossiers de concentrations. Le dialogue devra s’engager avec cette personne, ce qui n’exclut pas que des contacts puissent être pris avec le président ou le vice-président délégué.

»

Christine Vilmart, Castaldi, Mourre & Partners : Sur un plan pratique, une difficulté concerne actuellement le point de départ du délai lorsque le

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Droit I Économie I Régulation

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Bruno Lasserre : Cette disposition ne jouera que pour les Phases II. Dans mon esprit, le système actuel sera le suivant : en Phase I, le service des concentrations traitera l’affaire, qui donnera lieu à une décision individuelle prise par le président ou un vice-président délégué, tandis qu’en Phase II la décision relèvera du collège. Pour approfondir l’examen en Phase II, il faudra renforcer l’expertise du service des concentrations par l’envoi d’un rapport écrit puis d’un débat contradictoire avec le collège, qui bénéficiera du concours de rapporteurs antitrust du Conseil. Il s’agit donc du reflet du système actuel, si ce n’est que le collège ne rendra plus un avis mais une décision à l’issue de la Phase II. S’agissant du délai d’autorisation tacite, il ne court qu’à partir du moment où le dossier est complet. Nous pouvons nous pencher sur la question de savoir si les informations exigées sont excessives ou pas mais le mécanisme d’autorisation tacite s’avère redoutable puisqu’il conduit à prendre une décision du seul fait de l’écoulement du temps. Il est donc fondamental que les entreprises aient totalement informé l’autorité chargée de prendre la décision du contenu du dossier exigé par les textes avant que ne courre le délai d’autorisation tacite.

» «

Dominique Brault, Herbert Smith LLP : Avez-vous anticipé l’importance que pourrait avoir dans votre activité le contrôle des concentrations dans la distribution avec les nouveaux seuils ? Par ailleurs, vous exprimez votre attachement pour la séparation entre instruction et décision, à notre grande satisfaction. Or nous assistons parfois à une prolongation de l’instruction devant le Conseil : je trouve que cela décrédibilise le choix de principe en ce qui concerne la non-participation au délibéré. L’influence exercée par les services de l’instruction sur les membres du Conseil me semble tout aussi manifeste que s’ils participaient au délibéré. Je souhaiterais donc que le règlement intérieur de la future Autorité délimite plus clairement la frontière entre l’instruction et la délibération, dans l’esprit de la séparation.

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»

Bruno Lasserre : Sur votre première question, il est difficile d’anticiper le nombre d’affaires qui devront être notifiées et faire l’objet d’une décision dans le secteur de la distribution, compte tenu de l’abaissement du seuil pour les affaires locales, sauf en extrapolant les données du passé. En année pleine, cela pourrait concerner entre 10 et 15 affaires au moins. Sur le second point, je ne vous suis pas du tout. La Cour de cassation a clairement jugé que le rapporteur devait quitter la séance avec les entreprises et les commissaires du gouvernement et laisser les seuls

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PERSPECTIVES COLLOQUE

dossier est complet. Comme le délai était très court en Phase I, le dossier n’était jamais totalement complet. Il pourrait donc être utile que le délai entre la notification et le point de départ du dossier notifié complet ne soit pas trop long. Vous avez indiqué dans votre présentation que des rapporteurs de l’antitrust pourraient travailler sur les concentrations : cette disposition pourrait s’avérer dangereuse pour les entreprises, du fait d’une étanchéité de fonctionnement au sein du collège d’instruction entre le bureau concentrations et les rapporteurs qui s’occupent des enquêtes antitrust.

membres du Conseil délibérer. C’est ce qu’il se passe depuis 2001 : nous nous réunissons seuls, parfois longuement, pour examiner attentivement le bien-fondé des griefs, la question des objections procédurales et les sanctions éventuelles. Que la séance soit vivante et contradictoire ne me choque pas du tout, au contraire : il me semble normal que le rapporteur qui présente le point de vue de l’instruction l’énonce et, si on le questionne, l’explicite ou le précise. La séance doit permettre au Conseil de délibérer en toute connaissance de cause. Par conséquent, après la présentation du point de vue du rapporteur et du rapporteur général, il est parfaitement naturel que le rapporteur puisse revenir sur certains points de fait pour donner son point de vue, à condition bien entendu que les entreprises puissent répliquer aux propos du rapporteur. La différence entre une autorité administrative indépendante et une juridiction réside dans le fait que nous n’écoutons pas des plaidoiries qui se succèdent mais que nous essayons de nous forger une conviction à partir de tous les éléments présents. Le rapporteur n’influe en rien sur le délibéré du fait de sa participation à la séance. De cette confrontation entre la vision du rapporteur et celle des entreprises naîtra la conviction des membres du Conseil. Je suis tout à fait opposé à l’idée selon laquelle le Conseil ne pourrait délibérer objectivement que si le rapporteur se taisait : il doit au contraire pouvoir donner son point de vue, qui peut ensuite être contesté par les entreprises.

»

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Public : Le juge des libertés et de la détention actuellement saisi de contestation de visites et saisies doit-il se dessaisir au profit de la Cour d’appel ?

»

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Public : La mesure ne vaut que pour l’avenir. Le juge des libertés et de la détention saisi d’un contentieux finira de le traiter.

»

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Public : Parmi les novations de fond confiées à l’Autorité figure la possibilité de sanctionner les abus de position dominante suite à une concentration en défaisant l’opération si nécessaire, dans le domaine du commerce. Quel type d’abus pourrait alors être sanctionné ? Ma deuxième question concerne la novation en matière de contrôle des concentrations dans le commerce. Le système est-il déjà bien en vigueur ? Sur le fond, y aurat-il ou non opération de contrôle en cas de changement d’enseigne d’un commerçant membre d’un système coopératif ?

»

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Bruno Lasserre : Ces questions montrent que nous ne sommes pas venus à bout de toutes les difficultés ou interprétations auxquelles peuvent donner lieu ces textes. Sur le premier point relatif au pouvoir d’injonction structurelle en cas d’abus de position dominante, il existe maintenant deux habilitations données à l’Autorité pour agir. La première ne fait que transférer le pouvoir actuel du ministre à l’Autorité pour les abus qui ont été rendus possibles par une opération de concentration antérieure : dans ce cas, l’Autorité indépendante pourra prendre ellemême la décision. La seconde est nouvelle ; elle est restreinte au secteur de la distribution dans lequel l’Autorité pourra adresser des injonctions structurelles. Ce pouvoir est strictement encadré puisqu’il ne suffira pas de

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constater un abus dans une zone de chalandise pour mettre en œuvre cette nouvelle possibilité : il faudra aussi que l’entreprise ait poursuivi son comportement malgré un constat d’infraction préalable dressé par l’Autorité qui aura soit sanctionné, soit enjoint l’entreprise de cesser le comportement appréhendé. La LME ne définit pas le type d’abus : par conséquent, il peut s’agit de tout type d’abus, tel qu’un abus d’éviction, c’est-à-dire un comportement abusif qui tenterait d’évincer du marché local un concurrent par toutes sortes de pratiques, ou un abus d’exploitation d’une position dominante et notamment la pratique de prix excessivement élevés. Le législateur n’a pas restreint aux abus d’éviction le champ de ce nouveau pouvoir. Jusqu’ici, le Conseil de la concurrence n’a jamais sanctionné une entreprise pour abus d’exploitation lié à des tarifs excessifs. Le seul cas où il aurait pu le faire, puisque la clientèle était réellement captive de l’opérateur dominant, est l’affaire de la prison d’Osny où les prisonniers s’étaient plaints des prix excessifs pratiqués par l’épicerie. Dans cette affaire, le Conseil a utilisé sa pratique décisionnelle classique en matière de prix excessifs, en regardant s’il existait une disproportion manifeste soit entre les prix pratiqués et les coûts supportés soit entre les prix pratiqués par cet opérateur dominant et d’autres opérateurs agissant sur le même marché. Ce standard de preuves est si exigeant que le Conseil n’a jamais pu l’appliquer de manière positive ; il est applicable à des abus d’exploitation liés à des tarifs excessifs, infraction très difficile à démontrer car l’Autorité de la concurrence ne peut être le régulateur des prix et ne peut sanctionner ces infractions que dans des cas de disproportion manifeste.

» «

Public : Lorsqu’un avocat voulait regarder les pièces saisies, il n’avait pas ce droit. Sa présence est désormais reconnue et non plus seulement tolérée. Pour une opération de saisie, un inventaire permettrait d’identifier les pièces saisies. S’il s’agit d’une mesure d’instruction, ce problème procédural pourra faire l’objet d’une discussion avec le conseiller auditeur. Affirmer que la présence d’un avocat est reconnue ne suffit pas : quand existe-t-il une mesure d’obstruction ? Selon moi, il n’y a pas obstruction lorsque l’avocat demande à voir les pièces saisies car cela fait partie du travail d’assistance d’un avocat pendant la procédure de vérification. Je souhaiterais avoir quelques éclaircissements sur ce que vous en pensez.

» «

Bruno Lasserre : Il m’est impossible de vous répondre car cela me ferait préjuger de ce qui pourra être décidé dans telle ou telle hypothèse. Il est en outre difficile d’extrapoler à partir de la pratique actuelle dans la mesure où il existe une novation importante : la loi reconnaît dorénavant la possibilité de la présence de l’avocat, à la condition qu’il ne fasse pas obstruction au déroulement des opérations. Sur le second point, il faut veiller à ne pas créer de télescopage entre les voies de droit qui existent, et notamment les voies juridiques de recours, et le conseiller auditeur. Ce dernier n’a pas vocation à se substituer aux autorités juridictionnelles ou au collège pour trancher les questions de procédure. Tel n’est pas le rôle que lui impartit la loi. Le conseiller auditeur a vocation à permettre au collège, sur des questions de procédure, de décider en toute

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connaissance de cause, avec un éclairage neutre par rapport aux services d’instruction et aux parties.

»

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Public : La LME prévoit que les parties peuvent s’adresser au conseiller auditeur en lui faisant part de leurs contestations sur le déroulement de la procédure d’instruction et non sur le déroulement de la procédure d’enquête. C’est donc après la notification de griefs que le conseiller auditeur peut être sollicité par les parties. Si des mesures d’enquête ont lieu pendant la phase d’instruction, elles peuvent alors être portées devant le conseiller auditeur. En revanche, si les mesures d’enquête ont lieu avant la notification de griefs, elles ne peuvent alors pas être soumises au conseilleur-auditeur.

»

«

Bruno Lasserre : C’est exact. Je voudrais revenir sur la question qui m’a été posée tout à l’heure concernant l’entrée en vigueur des nouveaux seuils de concentration applicables à la distribution. L’ordonnance intervient, du fait même de la Constitution en matière législative, même si elle n’a pas encore été ratifiée par le Parlement, et peut donc modifier ou restreindre la loi antérieure. Rien ne lui interdit de modifier ou de restreindre des règles auparavant décidées par le législateur. De mon point de vue, c’est clairement la première réunion de la nouvelle Autorité qui crée le basculement des règles de compétences et des règles de fond qui y sont associées.

» «

Public : Je suppose pourtant que les notifications peuvent déjà arriver.

«

»

Bruno Lasserre : Non, car les notifications ne pourront se faire que devant l’Autorité qui n’existe pas encore.

»

«

Cyril Nourissat : Vous avez souligné votre attachement à l’exécution des décisions. Quelle forme prendra le contrôle de l’exécution des décisions de l’Autorité ?

»

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Bruno Lasserre : Dans le cas où des injonctions accompagnent la décision ou lorsque la décision se traduit par une obligation de faire, l’Autorité pourra s’autosaisir pour vérifier que ces engagements ou injonctions ont été respectés par les entreprises. De facto, c’est ce qui existe déjà aujourd’hui. L’Autorité exercera cette prérogative seule ; elle sera en charge de veiller à l’exécution de ses propres décisions. Même devant les juridictions suprêmes, telles que le Conseil d’État, il existe une section du rapport et des études qui s’intéresse concrètement aux difficultés d’exécution des décisions. Les juges sont de plus en plus dotés de pouvoirs destinés à s’assurer que les décisions qu’ils prennent sont exécutées. Ainsi, le juge administratif peut préciser dans sa décision les conditions concrètes dans lesquelles l’administration devra exécuter la décision. Cela va plutôt dans le sens, du point de vue du plaignant, de la satisfaction de ses droits car une décision tranche le litige mais aussi le remplit de ses droits dans la réalité.

«

»

Cyril Nourissat : Je vous remercie pour cette intervention et pour les éclaircissements que vous avez pu apporter. ◆

»

Droit I Économie I Régulation

PERSPECTIVES COLLOQUE

Actualité des aides d’État Par Jean-Louis COLSON, Chef de l’Unité Marché intérieur et Concurrence, Direction générale Transport et Énergie, Commission européenne (2) Je me propose de présenter une revue de la jurisprudence dans le domaine des aides d’État pour l’année 2008. La jurisprudence a été extrêmement importante, tant quantitativement que qualitativement, avec plusieurs arrêts de principe fort utiles dans le domaine du contrôle des aides d’État. I. – LES ARRÊTS PRÉCISANT LA NOTION D’AIDE D’ÉTAT Une aide est une mesure qui répond simultanément à quatre caractéristiques : elle procure un avantage ; elle concerne certaines entreprises ou certaines productions ; elle est financée aux moyens de ressources d’État et est imputable à l’État ; elle a un impact sur les échanges entre États membres et engendre une distorsion de concurrence dans la Communauté. Les arrêts de 2008 ont principalement précisé les trois premiers critères, à savoir l’avantage, la ressource publique et la sélectivité. A. – La notion d’avantage 1) Garanties publiques L’arrêt du 26 juin 2008 (TPICE, 26 juin 2008, aff. T-442/03, SIC c/Commission) constitue la suite de la « saga » de la télévision publique portugaise. Dans cet arrêt, le Tribunal a précisé la notion d’avantage dans le contexte des garanties d’État. Il a indiqué qu’une garantie d’État ne peut se déduire de la simple appartenance d’une entreprise à l’État ou du fait que l’entreprise est contrôlée par l’État. Pour qu’il y ait garantie d’État, il faut qu’il existe un acte, donc une constatation objective de l’existence d’une garantie. La perception de la part du marché qu’une entreprise a, en matière d’emprunt, des conditions avantageuses parce qu’elle est contrôlée par l’État ou parce qu’elle appartient à l’État, n’est pas suffisante pour conclure que l’État a octroyé explicitement ou implicitement une garantie. 2) La notion d’investisseur privé en économie de marché Dans l’arrêt du 9 juillet 2008 (TPICE, 9 juill. 2008, aff. T-301/01, Alitalia), le Tribunal a précisé la notion d’investisseur privé en économie de marché. Lorsque l’État procède à une augmentation de capital, ou à un apport en capital dans une entreprise, il est réputé ne pas octroyer d’avantages et donc d’aides d’État s’il intervient dans les conditions d’un investisseur privé en économie de marché. La jurisprudence a considérablement évolué sur le point de savoir si l’intervention de l’État doit s’apprécier différemment suivant qu’il en est déjà actionnaire (majoritaire) ou pas. Ainsi, dans les années 1980 et 1990, la Cour de justice et le Tribunal avaient considéré que lorsque l’État intervenait dans une entreprise publique, son intervention devait alors s’apprécier en tant qu’actionnaire déjà présent. Cette jurisprudence a depuis considérablement évolué et, dans cet arrêt du 8 juillet 2008, le Tribunal précise très clairement que tel n’est pas le cas : le principe de l’investisseur privé en économie de marché doit s’apprécier comme celui d’un investisseur quel qu’il soit, sans prendre en compte le fait que l’État était déjà actionnaire de l’entreprise ou qu’il ne l’était pas. Il faut donc comparer l’investissement de l’État à celui d’un investisseur quelconque présent sur le marché. (2)

B. – Le critère des ressources publiques et de l’imputabilité de la mesure à l’État 1) L’imputabilité de la mesure à l’État Dans l’arrêt du 26 juin 2008 sur la télévision portugaise (TPICE, 26 juin 2008, aff. T-442/03, préc.), le Tribunal a été amené à interpréter la notion d’imputabilité puisque Portugal Telecom, à l’époque entreprise publique, avait octroyé des facilités de paiement à la télévision publique portugaise pour le paiement de la redevance. Les plaignants considéraient qu’il s’agissait d’une aide. Dans sa décision, la Commission avait considéré que ces facilités de paiement ne constituaient pas une aide car elle n’était pas en mesure de démontrer l’imputabilité de la mesure à l’État. Elle s’était fondée sur certains indices : en premier lieu la loi ne prévoyait aucune relation particulière entre Portugal Telecom et la télévision publique portugaise; ensuite, Portugal Telecom n’était en rien intégré dans l’administration publique portugaise; troisièmement, la Commission avait spécifiquement demandé à Portugal Telecom et à l’État portugais si ces facilités avaient été octroyées à l’initiative de l’État et l’un comme l’autre avaient assuré la Commission que tel n’était pas le cas ; quatrièmement, aucun autre tiers, hormis le plaignant, n’avait donné des éléments pouvant laisser penser que la mesure en question avait été prise à l’initiative de l’État ; cinquièmement, ce comportement de Portugal Telecom s’était poursuivi même après la privatisation de Portugal Telecom ; enfin, sixièmement, ce comportement de Portugal Telecom semblait être dû à des considérations privées puisqu’il résultait d’un conflit entre Portugal Telecom et la télévision publique portugaise sur le montant de la redevance. Sur la base de ces six critères, la Commission avait considéré qu’elle n’était pas en mesure de démontrer l’imputabilité de la mesure à l’État et par conséquent, l’existence d’aides de Portugal Telecom à la télévision publique portugaise. Ce raisonnement a été intégralement confirmé par le Tribunal dans l’arrêt du 26 juin 2008. 2) Ressource d’État L’arrêt du 17 juillet 2008 de la Cour de justice (CJCE, 17 juill., aff. C-206/06, Essent Netwerk Noord) est intéressant car il restreint la portée d’un arrêt de principe extrêmement important dans le domaine des aides qui était l’arrêt Preussen-Elektra. Dans celuici, la Cour avait considéré que, lorsque des acteurs privés étaient contraints par l’État à fournir des avantages à des entreprises, la mesure en question n’était pas une aide d’État, même si elle était imputable à l’État, car des ressources d’État n’étaient pas en cause. Il s’agissait d’un arrêt dans le domaine de l’électricité en Allemagne où il était imposé par la loi aux distributeurs d’électricité, privés comme publics, d’acheter à un tarif favorable l’électricité aux producteurs qui produisent cette électricité à partir d’énergies renouvelables. La Cour de justice avait considéré que cette obligation d’achat à taux préférentiels faite à des acteurs privés au profit d’entreprises sur le marché – à savoir des producteurs d’électricité verte – n’était pas une aide car il n’y avait pas de ressources d’État en cause. La portée de cet arrêt est restreinte, en ligne avec la pratique de la Commission, par l’arrêt du 17 juillet 2008. Celui-ci

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Les développements qui suivent sont ceux de l’auteur et ne sauraient engager la Commission européenne.

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concerne des distributeurs d’électricité aux Pays-Bas qui ont une obligation d’achat. Ces distributeurs d’électricité sont des entreprises publiques. Ils n’ont aucune liberté sur l’usage de fonds collectés auprès des consommateurs d’électricité qu’ils doivent rétrocéder à une entreprise selon une clé de répartition imposée par l’État. Toutefois, ces fonds sont considérés comme une ressource publique car les distributeurs sont tous publics. Les fonds qui transitent par eux deviennent donc une ressource publique. C. – Le critère de la sélectivité. L’arrêt du Tribunal du 10 avril 2008 (TPICE, 10 avr. 2008, aff. T-233/04, Royaume des Pays-Bas c/Commission) concerne les droits d’émission pour les oxydes d’azote. Le Tribunal confirme que les quotas d’émission octroyés gratuitement par un État pour limiter les émissions de certains gaz à effet de serre constituent un actif incorporel donné gratuitement et donc un avantage. Il s’agissait de droits d’émission qui pourront ensuite être échangés ou vendus par les entreprises qui les reçoivent. Toutefois, étant donné que ce mécanisme, en termes de droits d’émission, concerne certaines entreprises qui ne peuvent être comparées à d’autres car elles sont les seules à appartenir audit mécanisme de droits d’émission, il n’y a pas sélectivité. Uniquement les grandes installations qui produisent du NOx sont soumises au mécanisme et, donc, elles seules peuvent disposer de cet avantage. Le cercle fermé de bénéficiaires de la mesure correspond aux seules entreprises qui font partie du mécanisme : on ne peut donc pas dire qu’elles perçoivent un avantage par rapport aux autres entreprises qui ne font pas partie du mécanisme. Un autre arrêt précise la notion de nature et d’économie du système. Même si une mesure est sélective, elle échappe à la notion d’aide d’État si cette sélectivité résulte de la nature et de l’économie du système. Dans l’arrêt SIC contre Commission du 26 juin 2008, une mesure visait la transformation de la télévision publique portugaise d’entreprise publique à statut spécifique en société anonyme. Or, cette transformation impose normalement le passage devant notaire et donc le paiement de certains droits. Dans le cas d’espèce, la transformation était imposée par la loi et dispensait du passage devant notaire et, implicitement, du paiement des droits devant notaire. La Commission avait fait le raisonnement suivant : la transformation, étant imposée par la loi, dispensait par conséquent du passage devant notaire et du paiement des droits liés au passage devant notaire ; de ce fait, l’exonération de droits devant notaire est dans la nature et l’économie du système et ne constitue donc pas une aide. Le Tribunal annule la décision de la Commission sur ce point en invoquant un raisonnement insuffisant. Pour le Tribunal, la vraie question est la suivante : est-ce le recours à la loi qui est dans la nature et la logique du système juridique portugais et a pour conséquence l’absence de passage devant notaire et donc l’absence de paiement de taxes ? Tel est ce que la Commission aurait dû regarder. Pour vérifier la nature et l’économie d’une mesure, il faut donc aller plus loin que la simple constatation de la conséquence du recours à la loi et se poser la question de savoir si le recours à la loi lui-même était bien dans la nature et l’économie du système juridique portugais. L’arrêt du 11 septembre 2008, dit « de la fiscalité basque » (CJCE, 11 sept. 2008, aff. C-428/06, UGT-Rioja e.a. c/Juntas Generales del Territorio Histórico de Vizcaya e.a.), est fondamental quant au concept de sélectivité ré-

gionale et précise l’arrêt Açores de 2006. Dans ce dernier, la Cour avait posé trois conditions pour affirmer qu’il n’y a pas de sélectivité et donc pas d’aides lorsqu’une mesure fiscale automatique non discrétionnaire et non autrement sélective

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est adoptée par une entité régionale autonome sans que les autres entités de même niveau puissent toutes le faire. En premier lieu, il faut que la collectivité régionale ou locale auteur de cette mesure dispose d’un statut politique et administratif distinct, consacré constitutionnellement (critère de l’autonomie institutionnelle). Le second critère relève de l’autonomie procédurale : il faut qu’il n’y ait aucune possibilité d’intervention directe de la part du gouvernement central pour la mise en œuvre de la mesure. Enfin, le troisième critère est celui de l’autonomie économique et financière : les conséquences financières de la mesure ne doivent pas être compensées par des concours ou des subventions en provenance des autres régions ou du gouvernement central. Pour qu’il n’y ait pas sélectivité, il faut donc que l’entité régionale ou locale se comporte véritablement comme aurait pu se comporter un État et qu’elle dispose de l’autonomie institutionnelle, procédurale et financière. Dans l’arrêt fiscalité basque du 11 septembre 2008, la Cour de justice a précisé ces trois critères. Elle a été très claire sur le fait qu’il n’existait pas d’autres critères que les trois précédemment cités. La Commission avait effectivement plaidé que l’arrêt Açores pouvait être lu comme signifiant que, pour qu’une mesure ne soit pas une aide, il fallait répondre aux trois critères cités mais également à un quatrième critère : la collectivité locale ou régionale devait également jouer un rôle fondamental dans la définition de l’environnement économique et politique dans lequel opèrent les entreprises. La Cour, dans l’arrêt fiscalité basque, rejette cet argument en considérant que ce critère n’est pas additionnel mais simplement la conséquence de la réunion des trois autres critères. La Cour précise également dans cet arrêt du 11 septembre 2008 que l’existence d’un contrôle juridictionnel ne remet pas en cause l’autonomie procédurale. La Commission avait également plaidé que le contrôle juridictionnel sur les actes de la collectivité locale ou régionale, c’est-à-dire la possibilité pour le juge de s’opposer ou d’annuler l’acte de la collectivité locale ou régionale, excluait l’autonomie procédurale à la collectivité. Dans l’arrêt fiscalité basque, la Cour rejette également cet argument en considérant que le contrôle juridictionnel est inhérent aux sociétés démocratiques et ne remet pas en cause l’existence d’une autonomie procédurale. Par ailleurs, un processus de concertation entre le niveau régional et le niveau central, pour autant que le niveau régional dispose du dernier mot, ne remet pas en cause non plus la notion d’autonomie procédurale. Enfin, le critère de l’autonomie financière doit s’entendre dans le sens qu’il implique l’absence de transferts ayant un lien de cause à effet avec la mesure. Les transferts financiers entre l’État et la collectivité, non imputables à la mesure en cause, ne permettent donc pas de considérer que la collectivité locale ou régionale n’est pas autonome financièrement. II. – LES ARRÊTS SUR LA COMPATIBILITÉ DES AIDES A. – Les précisions sur les critères de compatibilité Deux arrêts précisent les critères de compatibilité : l’un porte sur l’article 87-3, d) et l’autre sur l’article 87-2, b). L’article 87-3, d) concerne la dérogation en matière culturelle. Certaines aides peuvent être déclarées compatibles par la Commission lorsqu’elles visent à favoriser la culture ou la conservation du patrimoine. Dans un arrêt du 15 avril 2008 (TPICE, 15 avr. 2008, aff. T-348/04, SIDE c/Commission), le Tribunal indique que l’article 87-3, d), instauré par le Traité d’Amsterdam, ne saurait être invoqué avant l’entrée en vigueur du Traité.

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B. – Les questions de services d’intérêt économique général (3) Deux arrêts concernent la problématique des services d’intérêt économique général (SIEG) : l’un dans la télévision publique et l’autre dans le secteur de l’assurance santé. 1) L’arrêt BUPA L’arrêt BUPA (TPICE, 12 févr. 2008, aff. T-289/03, BUPA e.a. c/Commission) est assez complexe et concerne le deuxième pilier de l’assurance maladie irlandaise. Dans cet arrêt, le Tribunal étudie l’ensemble du système irlandais à cet égard et précise les questions de compensation de service d’intérêt économique général. Cet arrêt indique tout d’abord que l’arrêt Altmark est applicable, même si les faits concernés sont antérieurs audit arrêt. Dans celui-ci, la Cour de justice avait effectivement posé quatre critères pour que les compensations pour service d’intérêt économique général ne soient pas des aides. Le Tribunal estime que la Cour n’a fait qu’interpréter une disposition du Traité et que, si elle n’a pas limité son arrêt dans le temps, alors l’arrêt est valable, y compris pour des décisions adoptées antérieurement. Les critères Altmark peuvent donc être appliqués en l’espèce. L’arrêt contient des développements sur ce qui peut être qualifié de service d’intérêt économique général. L’obligation imposée à un assureur public d’accepter tous les clients dans le domaine de l’assurance maladie peut-elle être considérée comme un service d’intérêt économique général ? Le Tribunal répond par l’affirmative pour plusieurs raisons. En premier lieu, il rappelle qu’en droit communautaire, il n’y a pas en principe de définition de ce qu’un État membre entend indiquer comme un SIEG : de ce fait, l’État membre a une large marge d’appréciation. Deuxièmement, ceci vaut encore plus dans les domaines où le droit communautaire est peu présent et où les États membres conservent un rôle fondamental, comme celui de la santé. Enfin, l’article 16 du Traité insiste sur l’importance des services d’intérêt économique général dans la construction communautaire, ce qui confirme une marge d’appréciation importante de l’État membre. De ce fait, la Commission ne peut remettre en cause la définition du SIEG qu’en cas d’erreur manifeste d’appréciation, laquelle n’est pas constatée dans le cas d’espèce. Un service d’intérêt économique général doit-il nécessairement faire l’objet d’un droit exclusif ? Le Tribunal répond par la négative : un service d’intérêt économique général peut être octroyé à divers opérateurs. De plus, une loi est suffisante pour qu’une ou plusieurs entreprises soient chargées d’un service d’intérêt économique général. Il n’est pas non plus nécessaire que la désignation soit individuelle. (3)

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L’arrêt Olympiaki (TPICE, 25 juin 2008, aff. T-268/06, Olympiaki c/ Commission) sur l’article 87-2, b) traite des « événements extraordinaires ». La Commission doit considérer comme compatibles avec le marché commun les aides qui visent à remédier à des événements dits extraordinaires. La Commission avait utilisé cette dérogation dans le secteur du transport aérien après les événements du 11 septembre 2001. Elle avait toutefois refusé d’accepter cette dérogation lorsqu’elle estimait que les conséquences pour les compagnies aériennes étaient trop éloignées des événements eux-mêmes. Dans cet arrêt, le Tribunal semble faire une interprétation moins restrictive de cette dérogation notamment en acceptant apparemment la non-simultanéité entre l’événement et le dommage.

Un service d’intérêt économique général doit-il absolument être universel ? Le Tribunal répond par la négative : un État membre peut très bien définir un service d’intérêt économique général et le limiter à certaines catégories de la population. En l’espèce, toute la population irlandaise n’était pas couverte par le service en question. De même, l’opérateur auquel est imposé le service d’intérêt économique général peut avoir une certaine marge de manœuvre pour le choix de ses clients, pour autant que des conditions minimales lui soient imposées. En effet, la sécurité sociale irlandaise pouvait, dans des conditions très particulières et sous contrôle de l’État, refuser certains clients. Certaines catégories de personnes peuvent donc être exclues par l’État ou par les opérateurs si cela s’avère nécessaire pour éviter les abus ou pour gérer convenablement le fonctionnement du système. Le service d’intérêt économique général n’implique pas nécessairement la gratuité du service : en l’espèce, des cotisations étaient effectivement payées par les assurés. De même, l’État membre peut imposer des standards de qualité à l’entreprise chargée du service d’intérêt économique général ce que le Tribunal justifie par le principe de cohésion économique et sociale. Enfin, une certaine marge de manœuvre peut être laissée à l’État et à l’opérateur pour le calcul de la compensation, si cette marge de manœuvre est toutefois limitée. 2) L’arrêt SIC contre Commission L’arrêt SIC contre Commission précité confirme dans une large mesure l’arrêt BUPA, en particulier pour la définition du service. Les États membres peuvent prescrire une définition extrêmement large du service d’intérêt économique général. Le Tribunal se fonde sur un certain nombre d’éléments : l’État membre a un large pouvoir d’appréciation pour la définition du service public ; l’article 16 confirme l’importance des services publics dans le Traité ; enfin, pour la télévision publique, ceci est renforcé par l’existence d’un protocole spécifique annexé au protocole d’Amsterdam et par une résolution du Conseil du 25 janvier 1994. Le fait de devoir fournir un service d’intérêt économique général n’empêche en rien l’entreprise qui en est chargée d’avoir des activités commerciales. Une télévision publique chargée de services d’intérêt économique général peut par ailleurs se financer grâce à la publicité. Sur les critères de qualité, le Tribunal confirme que lorsque l’État impose une mission de service public, il peut intégrer des critères qualitatifs à cette mission. Dans ce cas, la Commission ne saurait vérifier le respect de tels critères ; en revanche, elle doit vérifier qu’existe dans la loi concernée un mécanisme qui en permette le respect. L’obligation pour la Commission de s’assurer de l’absence de surcompensation s’étend à la nécessité de répondre aux critiques d’un plaignant sur la non-fiabilité des comptes de l’entreprise chargée du SIEG. 3) L’arrêt TV 2/Danemark Le service économique d’intérêt général dans la télévision publique danoise était défini comme devant assurer une programmation télévisuelle variée, visant la qualité, l’universalité et la diversité. La plaignante, la télévision privée danoise, estimait qu’il ne s’agissait pas d’un vrai service d’intérêt économique général. Le Tribunal (TPICE, 22 oct. 2008, aff. T-309/04, TV 2/Danemark c/ Commission) confirme la possibilité pour un État membre, en particulier dans le domaine de la télévision, de définir de manière très

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Les développements sur cet aspect dépassent la question de la compatibilité mais sont repris sous la Section II par facilité.

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générale la notion de service d’intérêt économique général. Il se fonde pour cela sur le pouvoir d’appréciation très large de l’État membre dans un tel domaine, sur l’article 16 du Traité, sur le protocole susvisé et ajoute que le fait d’avoir une programmation télévisuelle variée, visant la qualité, l’universalité et la diversité n’est rien de plus que le reflet de la liberté d’expression et de l’indépendance éditoriale. En conséquence, si l’État membre avait défini une mission de service public plus précise, il aurait pu aller à l’encontre de ces principes fondamentaux de liberté d’expression et d’indépendance éditoriale. Le Tribunal confirme que la mission de service d’intérêt économique général ne doit pas nécessairement se limiter aux émissions non rentables et que l’existence d’un service d’intérêt économique général n’est pas remise en cause par le fait que l’entreprise concernée ait aussi des activités commerciales. Enfin, d’après le Tribunal, la notion d’absence de surcompensation ne s’oppose pas nécessairement à celle de réserve pour aléas.

lieu, en fonction du droit national, elle peut toutefois le faire. Enfin, elle doit cependant tenir compte de la conséquence de l’illégalité : entre le moment où l’aide a été octroyée et celui où elle a été considérée comme compatible par la Commission, il existe une période où l’entreprise qui a reçu l’aide n’aurait pas dû en disposer. La juridiction nationale doit donc supprimer cet avantage de trésorerie et exiger du bénéficiaire de l’aide qu’il rembourse les intérêts correspondant à cet avantage. En revanche, la juridiction nationale est encouragée à octroyer, si le droit national le permet, des dommages et intérêts aux concurrents du fait de l’illégalité. B. – L’arrêt Salzgitter

III. – LES ARRÊTS PRÉCISANT LES QUESTIONS DE PROCÉDURE

Dans cet arrêt, la Cour considère que le temps mis par la Commission pour commencer l’instruction d’une aide illégale, même s’il est particulièrement long (10 ans) n’est contraire au principe de sécurité juridique que pour autant qu’il y ait eu une carence manifeste et une violation évidente de l’obligation de diligence par l’institution. Même si cet arrêt est fondé sur le Traité CECA, il renforce le principe de notification préalable en tant qu’élément central du contrôle des aides d’État.

A. – L’arrêt CELF

C. – L’arrêt Athinaïki

L’arrêt CELF (CJCE, 12 févr. 2008, aff. C-199/06, CELF et ministre de la Culture et de la Communication c/ SIDE) concerne les pouvoirs des juridictions nationales en matière d’aides illégales mais jugées compatibles par la Commission. La Cour part du principe que l’effet suspensif a pour but d’éviter que des aides potentiellement incompatibles soient mises en œuvre. Par conséquent, donner à la juridiction nationale la possibilité d’ordonner le remboursement d’une aide illégale et incompatible, simplement sur la base de l’illégalité, serait ignorer le but réel de l’effet suspensif qui est d’éviter la mise en œuvre d’aides incompatibles alors interdites par la Commission. La Cour tire trois conclusions. En premier lieu, une juridiction nationale n’est jamais obligée de demander le remboursement d’une aide illégale une fois que celle-ci a été considérée comme compatible par la Commission. En second

L’arrêt Athinaïki (CJCE, 17 juill. 2008, aff. C-521/06 P, Athinaïki c/ Commission) concerne le domaine des plaintes. Lorsque la Commission est saisie d’une plainte, elle peut soit adopter une décision adressée à l’État membre concerné, soit envoyer, sur la base de l’article 20, paragraphe 2, deuxième phrase du règlement de procédure, une lettre au plaignant pour l’informer qu’elle ne dispose pas d’éléments suffisants pour poursuivre l’instruction de sa plainte. Ces lettres sur la base de l’article 20, paragraphe 2, deuxième phrase n’ont pas de caractère décisionnel : ce ne sont pas des actes attaquables. Dans l’arrêt Athinaïki, la Cour précise toutefois que s’il est exact qu’une lettre de ce type envoyée dans un premier temps n’est pas un acte attaquable, la Commission est en revanche tenue, dans un second temps, d’adopter un acte attaquable si le plaignant le souhaite. ◆

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Cyril Nourissat. – Vous avez évoqué les événements extraordinaires. Or nous vivons une période d’événements extraordinaires : pouvez-vous faire quelques observations sur les décisions récemment prises par la Commission en matière bancaire, et notamment sur la situation bancaire belge ?

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Jean-Louis Colson. – La Commission a accepté d’utiliser l’article 87-3, b) du Traité relatif aux perturbations graves de l’économie d’un État membre. Cette disposition n’avait été utilisée qu’une seule fois depuis 1958, après l’adhésion de la Grèce à l’Union européenne. C’est donc la seconde fois que la Commission accepte d’utiliser une telle disposition et elle le fait dans un contexte totalement différent. Une communication spécifique a effectivement été adoptée rapidement pour les banques ; elle encadre l’utilisation de l’article 87-3, b) pour faire face à la crise financière. ◆

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Actualité du droit des concentrations Par Antoine WINCKLER, Avocat, Cabinet Cleary Steen & Hamilton LLP Pour couvrir à la fois le champ du droit communautaire et le champ du droit français, j’illustrerai mon propos de deux exemples : l’un du Tribunal de première instance et l’autre du Conseil de la concurrence. Le cas important de cette année, en matière de droit des concentrations communautaires, est l’arrêt MyTravel du Tribunal de

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première instance qui a pour antécédent Schneider, toujours en cours. La seconde affaire concerne l’acquisition par SFR de Neuf Cegetel autorisée sans conséquences majeures sauf de très nombreux engagements ponctuels : à la différence de la doctrine classique en matière de concentrations, il s’agit majoritairement d’engagements de nature comportementale.

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I. – L’ARRÊT MYTRAVEL Le 22 septembre 1999, la notification de cette acquisition par Airtours, devenu ensuite MyTravel, de First Choice fait l’objet d’une décision d’incompatibilité pour position dominante collective. Cette décision d’incompatibilité est annulée le 6 juin 2002. Un report en indemnités est introduit le 18 juin 2003 et le 9 septembre 2008, le Tribunal de première instance rend cet arrêt. Le fond de la discussion consiste à savoir si les erreurs commises par la Commission en 1999 dans son analyse correspondaient à une violation suffisamment caractérisée de dispositions du droit communautaire capables de créer des droits dans le chef des particuliers. Sur ce point, l’approche du Tribunal est assez proche de celle qu’aurait pu avoir le Conseil d’État français. Le Tribunal de première instance reste dans une parenté forte avec la jurisprudence administrative française. Il regarde si la disposition communautaire mal appliquée par l’institution en cause crée des droits dans le chef des particuliers : il étudie précisément quelles dispositions du règlement sur les concentrations créent ce droit. On sait pourtant, depuis l’arrêt Schneider, qu’il n’existe pas de présomption de légalité dans le système de contrôle des concentrations communautaire. À l’inverse, en principe, une opération qui n’est pas interdite en France est légale. L’approche dans l’affaire Schneider était différente puisqu’elle ne reposait pas sur une présomption : une opération de concentration peut être légale ou illégale. Le Tribunal se fonde donc sur l’article 2 du règlement concentration qu’il interprète en indiquant que les particuliers ont droit à une autorisation si l’opération est conforme aux critères du règlement, mais qu’ils ont également « droit » à une interdiction si leur opération ne correspond pas à ces critères. La seconde étape consistait pour le Tribunal à savoir si l’erreur était suffisamment grave : il faut pour cela tenir compte de la complexité de la tâche de l’institution administrative et donc apprécier l’erreur en fonction de la tâche imposée à la Commission. Dans le cas particulier du droit des concentrations, le texte du règlement est « complexe » : par conséquent, c’est dans ce contexte qu’il faut juger de la gravité d’une erreur. La troisième étape concerne la marge d’appréciation : il faut donc, comme en droit public français, considérer la marge d’appréciation de l’institution communautaire. Le juge communautaire ne souhaite pas faire du jugement d’opportunité et se substituer, en opportunité, au jugement de l’institution communautaire. Il examine donc uniquement l’erreur manifeste d’appréciation. Enfin, il faut tenir compte d’un éventuel « effet inhibant » qu’une application trop stricte des critères de responsabilité pourrait avoir sur la politique communautaire de concentrations. Le juge indique pour la première fois qu’il ne souhaite pas gêner l’action de l’institution communautaire dans l’application d’une politique très importante. Le juge européen réaffirme ce faisant son adhésion à une interprétation téléologique (ou politique ?) des textes. Il faut enfin, nous dit le juge, regarder si, lorsque l’institution communautaire commet une erreur, celle-ci est « excusable » sur la base des « contraintes objectives » qui pèsent sur l’institution. Ceci signifie que certaines erreurs pourraient donc être excusées ou comprises dans le cadre de l’institution communautaire lorsqu’il applique un texte très complexe. Le ju-

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gement Schneider évoque ainsi le critère de la « faute inexcusable » : ces jugements indiquent donc que, lorsqu’il y a marge d’appréciation, l’erreur doit être exceptionnellement grave pour une administration normalement diligente. Ce critère est ainsi considérablement protecteur des institutions communautaires. Lorsqu’il n’y a pas marge d’appréciation, le degré de responsabilité peut être moindre. Le juge applique cette théorie au cas de MyTravel : dans cette affaire (à la différence de l’affaire Schneider), il n’y a pas d’erreur de procédure mais une marge d’appréciation et, par conséquent, le juge applique le critère de la faute inexcusable à chaque étape du raisonnement. La décision MyTravel concerne essentiellement une erreur d’analyse commise par la Commission en instruisant le dossier. Cette dernière pensait que, dans le mécanisme central dans ce marché qui comptait peu d’acteurs, les grands groupes d’agences de voyage bloquaient des sièges de manière quasi automatique d’une année sur l’autre et qu’il était donc possible de prévoir la manière dont le marché évoluerait. Ce point central s’est finalement révélé assez faux car les réservations ne s’effectuaient pas de manière automatique : l’existence d’une multiplicité d’acteurs impliquait au contraire que le rôle réciproque des différentes agences n’était pas le même et non reproductible d’une année sur l’autre. La transparence supposée n’existe donc pas. Il est frappant, dans la décision MyTravel, que la Commission a négligé certains moyens de preuves que la partie requérante lui avait pourtant produits. Le juge met pourtant de côté toutes ces erreurs car la Commission pouvait « raisonnablement » penser, sur la base du dossier, que sa démonstration était fondée. Ainsi, l’établissement d’un standard de preuves en matière de responsabilité ne repose pas sur un standard de certitude suffisante mais sur un standard de type « common law » du caractère raisonnable de la décision de l’institution administrative. Un autre élément mis en avant par le requérant est qu’il n’est pas question dans la décision des engagements proposés. En appliquant sa théorie de la faute inexcusable, le juge sauve la mise de la Commission en indiquant que l’institution a pourtant fait cet examen, sans exposer ses conclusions de manière détaillée dans sa décision. En l’occurrence, il ne s’agit donc pas d’une faute inexcusable. Ceci confirme par suite l’arrêt Schneider III sur la responsabilité et la limitation de la possibilité d’obtenir des réparations à des cas exceptionnels. Une audience dans l’affaire Schneider s’est tenue la semaine dernière devant la Cour de justice : j’y ai assisté et vous livre quelques observations que vous prendrez avec la distance nécessaire car j’ai un intérêt dans cette affaire. Dans l’audience Schneider III devant la Cour, trois questions importantes se posaient, qui recoupent les motifs d’appel de la décision du Tribunal de première instance qui reconnaît la Commission responsable par la Commission. Tout d’abord, dans l’affaire Schneider, la faute procédurale est-elle suffisante pour ouvrir le droit à un dédommagement ? À la différence de MyTravel, dans l’affaire Schneider, la faute déterminante est effectivement de nature procédurale : en l’occurrence, la Commission avait omis le grief qui avait permis d’interdire l’opération, c’est-à-dire la théorie du portefeuille ou de l’adossement concurrentiel. À la fin de l’instruction de son affaire devant la Commission, Schneider avait offert des remèdes qui supprimaient la totalité des additions de parts de marché et allait même au-delà dans un certain nombre de secteurs importants, en faisant baisser sa part de marché en dessous du niveau où les entreprises étaient présentes individuellement avant l’opération. Le remède a été refusé du fait de la théorie du portefeuille qui consistait à dire que Legrand étant

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Le Conseil de la concurrence reprend dans cette affaire une approche que la Commission avait elle-même déjà adoptée dans l’acquisition par SFR de Télé 2.

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très puissant sur les marchés ultra-terminaux tandis que Schneider l’était pour les marchés amont des tableaux électriques (l’entreprise allait pouvoir jouer de sa dominance dans le domaine de l’ultra-terminal pour forcer les distributeurs à acheter également les tableaux). Cette théorie de l’adossement a été très critiquée par la suite, en particulier dans les arrêts Tetra Pak. Le fait de ne pas mentionner l’adossement comme grief en tant que tel constitue une faute procédurale manifeste dans la mesure où elle a rendue vaine la présentation de remèdes, mais est-elle de nature à ouvrir droit au dédommagement ? C’est ce que la Cour doit trancher à nouveau. Deuxièmement, quel est le critère pour déterminer si une erreur sur le fond constitue une violation suffisamment caractérisée pour ouvrir droit à dédommagement ? La Cour devra également trancher ce point pour savoir si l’identification d’un grief en tant que tel, (grief qui dans l’affaire Tetra Pak, à la différence de l’affaire Schneider pourtant pratiquement contemporaine, avait été clairement identifié dans la notification) constitue une faute suffisante pour ouvrir droit à responsabilité ou pas. Le critère de la faute « inexcusable » n’est pas simple à manier. Troisièmement, dans le cas d’espèce une seconde décision avait été prise et, en tout état de cause, l’entreprise cible (Legrand) avait du être revendue par Schneider. Dans un tel cas, l’erreur procédurale ouvre-t-elle droit à dédommagement à supposer même que la faute soit par la suite « réparée » pour l’avenir par une décision qui est devenue légale ou que le dommage soit interrompu du fait de la revente ? La clé de ce débat est celui du dommage créé par le temps qui s’est écoulé entre la décision fautive et l’issue de l’affaire (nouvelle décision et/ou revente). Le temps écoulé et l’immobilisation des sommes investies pendant une période longue ont bien entendu un coût considérable qui lui n’est pas « effaçable » pour les entreprises. La Cour doit trancher ce point essentiel. II. – L’OPÉRATION SFR/NEUF CEGETEL Il s’agit d’une opération très importante qui crée en France, dans le domaine des télécommunications, un duopole important avec une asymétrie entre les deux acteurs que sont Orange et SFR. L’opération a pourtant été acceptée sans obligation de désinvestissement important. Les deux acteurs avaient une géographie assez différente puisque Neuf Cegetel est le challenger dans le domaine du fixe et de l’ADSL alors que SFR réalise surtout du mobile, après avoir toutefois déjà racheté Télé 2 qui faisait de la téléphonie

fixe et de l’Internet. Cinq marchés sont concernés : ceux des communications, de la téléphonie mobile, de la distribution de la télévision payante, de la musique en ligne et des jeux vidéo, en amont. Cette décision est très intéressante car elle couvre toutes les difficultés possibles en droit de la concentration puisqu’il y a des effets horizontaux, verticaux et congloméraux. Sur ce dernier point, la théorie conglomérale s’est beaucoup démonétisée depuis les affaires Tetra Pak et autres : les régulateurs se sont accordés pour considérer que les offres conglomérales – qui ajoutent des activités qui ne sont pas sur le même marché et pas nécessairement en relation verticale – sont en général des opérations extrêmement proconcurrentielles. Des produits nouveaux sont ainsi offerts en assemblant les activités diverses ; les coûts d’opportunité sont réduits ; les phénomènes de double marginalisation sont en outre atténués. Cette opération pose néanmoins des problèmes du point de vue congloméral sur la question du « triple/quadruple play ». Jusqu’à cette opération, un seul opérateur était capable de tout donner à l’utilisateur du téléphone : il s’agissait d’Orange qui pouvait acheter du contenu, offrir de l’accès à l’ADSL et offrir de la téléphonie fixe. Avec les effets d’économies de réseau, il devient très difficile pour les opérateurs qui ne vendent qu’une partie de ces services de rester attractifs car ils ne bénéficient pas des avantages détenus par les deux autres opérateurs. Ces petits opérateurs peuvent alors reconstituer l’offre conglomérale en s’alliant avec d’autres entreprises. Avec les effets de réseau, plus de nombreux consommateurs choisissent une de ces offres, plus cette plate-forme devient attractive : il est alors complexe de répliquer l’attractivité de cette offre. L’effet d’entraînement amène à changer la donne concurrentielle ; ainsi, le ministre s’est penché sur ces aspects. Dans cette affaire, il est intéressant de voir comment le régulateur français a géré ces problèmes, par toute une série d’engagements de nature uniquement comportementale pour chaque domaine : pour le contenu, chacun doit ainsi pouvoir continuer à acheter du contenu et des chaînes Canal + ou M6. Sur l’ADSL et la téléphonie mobile, il faut rester ouvert aux personnes qui fabriquent du contenu et à celles qui veulent accéder au réseau mobile de SFR pour leurs clients. Ces engagements comportementaux ont une durée entre trois et quatre ans. Il serait intéressant d’observer si ces engagements ont été utilisés et dans quelle mesure, pour tirer des enseignements sur le réalisme des solutions du Conseil de la concurrence. ◆

Actualité des pratiques restrictives Par Martine BÉHAR-TOUCHAIS, Professeur à l’Université Paris-Descartes Le droit des pratiques restrictives n’est pas insensible aux crises. La baisse du pouvoir d’achat des Français avait d’ailleurs incité le gouvernement, avant même que la crise ne soit vive, à réagir pour tenter de faire baisser les prix, notamment dans les hypermarchés. La manière d’agir du droit des pratiques restrictives pouvait prendre deux voies inverses : l’une accroissant la liberté, l’autre

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la contrainte. Il est difficile de trancher entre les deux car trop de liberté peut être nuisible, comme l’illustre l’exemple des marchés financiers, mais les contraintes sont également sclérosantes. Il s’agit donc de prendre les meilleurs aspects des deux possibilités. En 2008, l’actualité a été dominée par la loi Chatel du 3 janvier 2008 qui poursuit sa course vers le trois fois net, la LME du 4 août 2008 qui met à terre le pilier du

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I. – LES CHANGEMENTS RELATIFS AUX PRATIQUES Il y eu vraiment ici beaucoup de bouleversements. Quelques « licenciements » tout d’abord puisque certaines pratiques ont été remerciées (A). En contrepartie, on a engagé de nouveaux arrivants (B) et on a tout de même gardé quelques valeurs sûres de la vieille garde (C). A. – Les évictions Certaines pratiques sont ainsi congédiées. 1) L’interdiction per se de la discrimination Après 50 ans de bons et loyaux services, l’interdiction per se de la discrimination a été « renvoyée à ses pénates » par la loi LME du 4 août 2008. En effet, depuis plus de 50 ans, nous vivions sous le dogme de l’interdiction per se de la discrimination, mesure centrale du droit des pratiques restrictives, autour de laquelle tout s’était bâti. C’est elle qui a été à l’origine de l’obligation de transparence. Il a fallu obliger à communiquer les CGV pour que l’on puisse vérifier si l’on était victime de discrimination. Il a fallu faire des factures précises pour que l’on puisse contrôler s’il y avait discrimination. Pendant les travaux parlementaires, Luc Chatel a expliqué que, désormais, « le distributeur pourra se consacrer de nouveau à son métier en margeant “non pas sur les services mais sur la revente des produits” ». Les conséquences de cette éviction sont nombreuses. Tout d’abord, l’opérateur a aujourd’hui la liberté de faire des conditions générales de vente catégorielles (cf. C. com., art. L. 441-6) : la disparition de l’interdiction de discriminer permet à l’opérateur de choisir lui-même les catégories de ses clients entre lesquels il entend différencier. Ensuite, l’opérateur aura désormais la liberté de faire des CPV (conditions particulières de vente) puisqu’il a le droit de discriminer, sous réserve néanmoins du droit des pratiques anticoncurrentielles. Il résulte de tout cela une nouvelle façon de fixer le prix dans ce domaine. Les nouveaux textes invitent à fixer deux prix : – il s’agit tout d’abord du prix de vente qui tient compte du tarif du fournisseur dans ces conditions générales de vente : de ce tarif seront retirées les remises ou ristournes qui figuraient dans les conditions générales de vente, puis les réductions accordées au titre des CPV et enfin les autres réductions de prix reposant sur ce que l’on appelait avant les services distincts, et qui s’appelle aujourd’hui « les autres obligations » (par exemple, une communication de statistiques, un référencement de produits ou un complément d’assortiment) ; – ensuite, le prix de la coopération commerciale sera fixé, le cas échéant. Cette nouvelle façon de fixer le prix pose néanmoins des difficultés pratiques. Le nouvel article L. 441-7 a ainsi suscité un débat puisque ce texte vise, après les « conditions de l’opération de vente (1°), les conditions de la coopération commerciale (2°), les autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur » (3°) et qu’il précise que ces obligations du 1° et du 3° concourent à la détermination du prix convenu.

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droit des pratiques restrictives, à savoir l’interdiction de la discrimination, et enfin par l’ordonnance du 13 novembre 2008 qui modifie une fois de plus l’article L. 442-6 pour changer la référence au Conseil de la concurrence en se référant à l’Autorité de la concurrence. Le droit des pratiques restrictives ainsi profondément remanié a entraîné deux changements fondamentaux dans les pratiques et dans les sanctions.

Les opérateurs se sont immédiatement demandé comment il fallait facturer ces dernières sommes. Une instruction fiscale du 18 novembre 2008 a été suivie par les réponses aux questions fréquemment posées (FAQ) de la DGCCRF pour régler ces problèmes. Il apparaît dans ces deux textes que la coopération commerciale est toujours facturée par le prestataire de services (le distributeur) mais aussi que les obligations qui n’entrent pas dans la coopération commerciale et qui concourent à la formation du prix devront, elles, être facturées par le fournisseur. Est-il possible d’envisager des obligations qui n’entrent pas dans la coopération commerciale mais qui ne concourraient pas à la formation du prix car elles n’auraient pas été prises en compte pour réduire le prix ? A priori, si on s’en tient à l’article L. 441-7 et aux réponses aux FAQ, la réponse est négative. Dans quelle mesure les entreprises peuvent-elles se fier à l’instruction fiscale eu égard au risque fiscal et pénal que cela entraîne. Le risque fiscal me semble moins lourd que le risque pénal puisqu’il sera possible d’opposer à l’administration sa propre interprétation : une jurisprudence en matière fiscale permet effectivement d’opposer à l’administration ses propres interprétations pour l’empêcher de faire un redressement si l’entreprise a suivi l’instruction fiscale. En revanche, le risque pénal semble plus important, du fait du conflit né avec l’article L. 441-3 du Code de commerce, qui exige que, sur la facture du fournisseur, figurent seulement des réductions de prix directement liées à la vente. Ce texte est sanctionné pénalement et son interprétation ne peut pas être affectée par l’instruction fiscale ou par les FAQ : le risque serait donc que l’émission d’une facture fournisseur, sur laquelle la réduction de prix tenant aux obligations du 3° a été prise en compte, ne soit pas considérée comme conforme à l’article L. 441-3. Certains suggèrent donc aux entreprises que le distributeur continue à facturer les autres obligations du 3°. Cela pourrait être réglé en considérant que des obligations qui concourent à la détermination du prix de vente sont forcément directement liées à la vente. Telle n’est cependant pas l’interprétation admise jusqu’à maintenant. Mais parmi les pratiques remerciées, on ne trouve pas uniquement « l’interdiction per se de la discrimination ». On trouve aussi l’abus de dépendance. 2) L’abus de dépendance Sa suppression est principalement due à son inefficacité opérationnelle. Consacrée en 1985 et 1986, cette notion d’abus de dépendance avait alors intégré le « service » des pratiques anticoncurrentielles où la notion ne pouvait toutefois jouer que dans des cas exceptionnels puisque la disparition d’une entreprise sur un marché n’a généralement pas d’influence sur ce marché. Le législateur avait donné une seconde chance à la pratique en l’affectant au « service » des pratiques restrictives. Là encore, les définitions de l’abus de dépendance dégagées en jurisprudence se sont avérées strictes et cette pratique n’a pas pu trouver sa place. Elle disparaît donc dans l’article L. 442-6-1-II et demeure simplement en pratique anticoncurrentielle. Certains se demandent si elle ne réapparaîtra pas sous d’autres pratiques, ce dont personnellement je doute. Mais si l’on s’est ainsi séparé de pratiques anciennes, c’est pour renouveler les cadres. B. – Les arrivées Dans les nouveaux venus, on distingue les pratiques nouvelles de l’article L. 442-6-I, soit celles qui apparemment engagent

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la responsabilité de leurs auteurs (1), et les pratiques nouvelles de l’article L. 442-6-II, soit les pratiques dont les clauses peuvent être annulées (2). Cette distinction entre les articles semble toutefois un peu fallacieuse (3). 1) Les nouveaux arrivés de l’article L. 442-6-I La jeune recrue qui est la plus attendue, c’est le « déséquilibre significatif » de l’article L. 442-6-I-2°. Est ainsi puni le fait « de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». Après avoir supprimé l’interdiction per se de la discrimination, le législateur crée donc un garde-fou en sanctionnant les abus. Cette notion de « déséquilibre significatif » fait pourtant l’objet de nombreuses interrogations, dans les colloques qui se déroulent depuis cet été : elle marque un rapprochement manifeste avec les termes du droit de la consommation et des clauses abusives : ce rapprochement est-il pour autant opérationnel ? Il me semble que le droit de la consommation n’est ici qu’une inspiration et que les solutions dégagées par le droit de la consommation ne seront pas transposées à la lettre. En imposant la liberté de négociation, le législateur semble avoir craint que le grand distributeur oblige le fournisseur à baisser tellement ses prix qu’il en résulterait une lésion appréciée globalement et due à un abus de faiblesse économique du fournisseur. Dans les réponses aux FAQ, le ministre indique qu’il n’y aura pas, avec ce texte, d’abus de puissance de vente ou d’achat. Certes, il n’y aura pas à démontrer ces notions, mais cela ressemble tout de même à ce qu’on appelle en droit civil la lésion qualifiée, soit un contrat lésionnaire imposé à une partie faible. Ce large pouvoir donné au juge de s’immiscer dans l’équilibre d’une clause ou dans l’équilibre du contrat peut constituer un risque pour la sécurité juridique qui peut toutefois être limité si la Cour de cassation contrôle la notion ou du moins contrôle précisément la motivation. Il serait opportun que la Cour de cassation soit saisie dès les premiers contentieux pour avis, de manière à limiter ce risque et à donner une définition à cette notion. La CEPC pourra également être saisie pour avis : compte tenu de sa composition paritaire, on peut supposer qu’elle cherchera à apprécier de manière équilibrée ce qu’est le déséquilibre significatif. Nouveau venu également est le 4° de l’article L. 442-6-I, qui sanctionne ensuite le fait « d’obtenir ou de tenter d’obtenir, sous la menace d’une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d’achat et de vente ». Bien sûr, on est tenté de se demander si cela ne fait pas double emploi avec le déséquilibre significatif du 2°. Peut-être le 4° sanctionnerait-il l’abus clause par clause alors que le 2° sanctionnerait le déséquilibre significatif global. Mais, dans ce cas, où se situerait le 1° dont le contenu n’a pas été changé? Ce dernier sanctionne le fait de recevoir « un avantage quelconque manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu ». Les trois textes ont certaines zones de chevauchements ; il reste difficile de se prononcer globalement. Nouveau venu également : le 7° qui interdit « de soumettre un partenaire à des conditions de règlement qui ne respectent pas le plafond fixé au neuvième alinéa de l’article L. 441-6 », soit le délai plafond de 45 jours fin de mois ou de 60 jours à compter de la date d’émission de la facture. Il s’agit d’une grande avancée de la LME qui impose ce plafond pour les délais de paiement en permettant des accords interprofessionnels dans un secteur donné, selon certaines modalités. Quand

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les parties n’ont pas prévu de délai, le non-respect du délai supplétif légal de 30 jours à compter de la réception de la marchandise est sanctionné pénalement par une amende de 15 000 euros. En revanche, si les parties prévoient un délai, l’irrespect du plafond est alors sanctionné par une amende civile qui peut aller jusqu’à 2 millions d’euros. À tout prendre, le droit pénal est bien plus clément ! C’est tout de même un peu compliqué. En tout cas, alors que certains préconisaient une simplification extrême, voire une suppression de l’article L. 442-6, c’est l’inverse qui se produit. Le texte résiste, se modifie, mais la liste des interdits ponctuels continue de s’allonger. 2) Les nouveaux arrivés de l’article L. 442-6-II L’article L. 442-6-II prévoit aussi de nouvelles clauses qui seront annulées : – d’abord, pour protéger la nouvelle liberté de négocier, le législateur a interdit la clause permettant à un contractant de bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le contractant. Le législateur ne souhaite pas la clause du client le plus favorisé, autrement appelée clause pari passu ; – ensuite, le législateur a également interdit la clause qui permet de renforcer la situation de dépendance du petit distributeur, soit celui qui a une surface de moins de 300 m2 et qui n’est pas lié par un contrat de licence et de savoir-faire (C. com., art. L 442-6-II, e)). Est interdit le fait « d’obtenir d’un revendeur exploitant une surface de vente au détail inférieure à 300 m2 qu’il approvisionne mais qui n’est pas lié à lui, directement ou indirectement, par un contrat de licence de marque ou de savoirfaire, un droit de préférence sur la cession ou le transfert de son activité ou une obligation de non-concurrence post-contractuelle, ou de subordonner l’approvisionnement de ce revendeur à une clause d’exclusivité ou de quasi-exclusivité d’achat de ses produits ou services d’une durée supérieure à deux ans ». Cette interdiction est destinée à protéger le petit commerce, mais en ont été délibérément exclus les franchisés qui, eux, sont liés par un contrat de savoir-faire. 3) Une distinction fallacieuse entre le I et le II Avec ces nouveaux arrivés, l’article L. 442-6 a maintenu la distinction entre le I (qui est sanctionné par la responsabilité de son auteur) et le II (qui est sanctionné par la nullité des clauses visées). Cette distinction me semble toutefois fallacieuse. En effet, en vertu du III de l’article L. 442-6, le ministre de l’Économie pourra demander la nullité des pratiques, qu’elles figurent dans le I ou dans le II. Outre le fait qu’il est très fréquent que l’action émane du ministre, il ne me semble pas que la possibilité d’invoquer la nullité pour les pratiques du I ne concerne que l’action du ministre. En effet, la Cour de cassation vient de rappeler que le ministre agissait pour protéger le marché et pour faire respecter l’ordre public économique : ceci signifie donc bien que les pratiques du I comme du II sont contraires à l’ordre public économique. Or, un contractant pourra tout à fait demander la nullité des pratiques du I en se fondant sur l’article 6 du Code civil, qui établit qu’un contrat contraire à l’ordre public encourt la nullité. Les recueils de jurisprudence montrent d’ailleurs justement que le contentieux des pratiques restrictives est très souvent un contentieux de nullité. C. – Les valeurs sûres Le renouvellement des cadres n’a pas atteint les valeurs sûres, qui traversent les réformes sans sourciller. C’est le cas précisément de la rupture brutale des relations commerciales éta-

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II. – LE RENOUVELLEMENT DES SANCTIONS L’amende civile augmente considérablement ; elle s’ajoute au maintien de l’action du ministre. A. – L’amende civile L’amende civile a été créée par la loi NRE. L’amende civile est répressive et devrait être atténuée par des principes empruntés au droit pénal tels que la présomption d’innocence ou la rétroactivité in mitius (cf. L’amende civile est-elle un substitut satisfaisant à l’absence de dommages et intérêts punitifs?, in Faut-il moraliser le droit français de la réparation du dommage?, Colloque du CEDAG du 21 mars 2002, LPA 2002, n° 32, pp. 36 et s.).

Mais sous l’empire de la loi NRE, cette proposition n’a pas reçu beaucoup d’écho. Il en va différemment maintenant que l’amende civile peut atteindre 2 millions d’euros ou trois fois le montant des restitutions. Depuis ce renforcement de l’amende civile, de nombreux auteurs admettent la nature répressive de cette amende et certains souhaitent en tirer des conséquences, telle que la rétroactivité in mitius : une pratique discriminatoire réalisée avant l’entrée en vigueur de la LME ne devrait ainsi pas se voir appliquer une amende civile de la LME, dans la mesure où cette peine n’est plus justifiée. Il faut aller plus loin et admettre que la charge de la preuve ne puisse pas être renversée pour ces pratiques respectives.

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PERSPECTIVES COLLOQUE

blies de l’article L. 442-6-I-5°. Nous étions plusieurs à penser que ce texte aurait dû sortir de l’article L. 442-6 pour devenir un texte à part et ainsi échapper au pouvoir exorbitant du ministre. C’est en effet dans ce contentieux que les parties agissent le plus fréquemment. Ce texte est pourtant demeuré dans l’article L. 442-6. Et la jurisprudence a mis cet article à l’honneur au long de l’année 2008 : c’est à propos de celui-ci que la jurisprudence a mis en pratique en quelque sorte à l’avance le critère du déséquilibre significatif appliqué à des clauses individuelles. La jurisprudence a effectivement considéré très tôt qu’une clause fixant un délai de préavis dérisoire devait être écartée. Or, une telle clause donne un avantage excessif aux grands distributeurs et pourrait être qualifiée individuellement d’abusive, car créant un déséquilibre significatif. Les entreprises ont réagi en soulignant que cet article ne s’appliquait pas quand la rupture est fondée sur une faute de l’autre partie. Certains ont donc pensé à stipuler une clause résolutoire de plein droit en cas d’irrespect véniel du contrat. Dans un arrêt du 25 septembre 2007, la Cour de cassation a considéré qu’il ne peut pas être fait obstacle aux dispositions d’ordre public de l’article L. 442-6-I-5° par des clauses permettant une rupture sans préavis, dès lors que l’inexécution du contrat n’a pas un degré de gravité suffisant. Cette clause résolutoire de plein droit pour une inexécution vénielle donne donc un avantage excessif à la partie forte du contrat ; elle pourrait être considérée comme entraînant un déséquilibre significatif. Ces clauses abusives sont écartées. La jurisprudence a en outre une conception large de l’application de ce texte, à tous les producteurs, commerçants, artisans, Français ou étrangers, dès lors que la victime de la rupture subit en France ce dommage puisque ce texte établit un cas de responsabilité délictuelle. La Cour de cassation vient de rappeler ce point dans un arrêt du 21 octobre 2008. Elle applique également ce texte quand deux contractants se sont succédé si le repreneur a continué la relation commerciale établie : il profitera dans ce cas de l’ancienneté de la relation commerciale de celui dont il a repris le contrat. Tel est ce qu’a décidé la Cour de cassation dans un arrêt du 29 janvier 2008 (Cass. com., 29 janv. 2008, n° 07-12.039). La crise des pratiques restrictives a obligé à renouveler le personnel. Mais elle oblige aussi à renouveler les sanctions.

Je crois qu’une vraie réflexion doit porter sur les conséquences de la nature répressive de l’amende civile. Il semble toutefois bon d’avoir renforcé l’amende civile car il s’agit d’un signal législatif assez fort. Par analogie, lorsque le législateur a modifié les sanctions en droit des pratiques anticoncurrentielles, le Conseil de la concurrence a tiré les conséquences de la volonté législative de renforcement des sanctions pour accroître leur efficacité. S’agissant des pratiques restrictives, dans le passé, le débat a été obscurci par le fait que tout tournait autour des restitutions après nullité demandées par le ministre, non partie au contrat. Les juges du fond étaient gênés par cette règle exorbitante et avaient alors l’impression d’imposer une double peine. Je persiste à penser qu’il aurait été préférable de supprimer le droit du ministre de demander des restitutions pour lui donner uniquement le droit de demander cette amende renforcée. Maintenant il peut demander le tout. Est-ce bien raisonnable : l’avenir nous le dira. B. – Le maintien de l’action du ministre Nul n’a pu échapper au grand débat passionnel de l’année 2008 sur l’action du ministre : celle-ci heurte-elle l’article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme lorsqu’elle est menée hors la présence des fournisseurs et sans les informer quand il s’agit de demander des restitutions ? Certaines cours d’appel avaient jugé qu’il y avait violation de cet article. La Cour de cassation, par ses deux arrêts du 8 juillet 2008, considère en revanche que le ministre agit pour la défense du marché et de l’ordre public économique et exerce une action et un droit propre. Je reconnais volontiers que le ministre agit pour la défense du marché et de l’ordre public économique et que l’action est propre : en revanche, que le droit aux restitutions, né dans le patrimoine des fournisseurs, soit propre au ministre me semble plus difficile à comprendre. Il reste que, tant qu’il n’y aura pas de rébellion des Cours d’appel ou d’action devant la Cour européenne, cette jurisprudence s’appliquera. Il faudra néanmoins que la Cour de cassation tranche la question de l’autorité de chose jugée de l’arrêt condamnant le grand distributeur à des restitutions à la demande du ministre. Deux solutions sont envisageables. En premier lieu, la Cour de cassation pourra respecter le principe selon lequel l’autorité de la chose jugée en droit français est relative : comme le ministre ne représente personne dans l’action, les fournisseurs sont étrangers à l’instance et l’arrêt n’aura alors pas autorité de chose jugée à leur égard. Puisque la nullité n’aura d’effet qu’entre le grand distributeur et le ministre, le fournisseur pourrait demander l’exécution du contrat ainsi que le grand distributeur. Je doute cependant que la Cour de cassation ait posé cette règle pour aboutir à cette solution. En second lieu, la Cour de cassation peut aller jusqu’au bout du caractère exorbitant de l’action et créer une exception à la relativité de la chose jugée : elle dira alors que la décision de nullité et la décision sur la restitution ont une autorité absolue de chose jugée. Dans ce cas, le fournisseur, qui n’aura été ni informé, ni appelé à une instance qui lui fait grief et le spolie d’un contrat, aura alors vu tous ses droits méconnus. Moralité : j’exhorte le ministre à demander demain l’amende civile renforcée à hauteur des restitutions (ou plus) et de ne plus utiliser le texte dans sa version exorbitante. La Cour de cassation a voulu préserver l’effectivité de la sanction demandée par le ministre, mais cela s’est fait au mépris de la cohérence du droit. Maintenant que le législateur a augmenté considérablement l’amende civile, le ministre a les moyens de l’effectivité de sa sanction sans incohérence. ◆

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RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE Lundi 8 décembre 2008

QUESTIONS-RÉPONSES

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Public : Considérez-vous que les nouvelles dispositions sur les délais de paiement pourraient être considérées comme des dispositions de police ?

»

«

Martine Béhar-Touchais : Ces dispositions me semblent pouvoir être considérées comme des lois de police. Dans les FAQ du ministre, pour l’article L. 441-7, ce dernier a indiqué que tout contrat qui a un effet sur la revente de produits ou la fourniture de services en France entre dans les prévisions de ce texte. Ainsi, le fait d’avoir un centre de facturation à l’étranger ne devrait pas permettre d’échapper aux nouvelles dispositions sur les délais de paiement.

»

Jacqueline Riffault-Silk, Conseiller à la Cour de cassation : Le droit pénal français est applicable à des infractions comportant des éléments d’extranéité, dès lors qu’un fait entrant dans l’élément matériel de l’infraction peut être rattaché au territoire national. C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans l’affaire Péchiney-Triangle, où les délits d’initiés reprochés aux opérateurs concernaient la valeur Triangle, cotée sur le marché boursier américain, tandis que certains ordres de bourse avaient été passés par l’intermédiaire de prestataires exerçant leur activité en France : le droit pénal français était bien applicable, en raison de l’élément de fait que constituait la passation des ordres à partir du territoire national. Cette définition est donc très large. C’est une question de fait, et de territoire.

«

«

»

Martine Béhar-Touchais : Si l’infraction est passible d’une amende civile, puisque l’amende civile est également un texte répressif, il faudra donc élaborer des règles d’application territoriale de l’amende civile.

«

»

Jacqueline Riffault-Silk : Sur cette question de la sanction civile prononcée à la demande du ministre, la Cour d’appel de Paris dans l’affaire Intermarché avait déjà fait allusion à la nécessité d’un critère de proportionnalité. On se souvient qu’en droit des pratiques anticoncurrentielles, la jurisprudence de la Cour de cassation a eu une grande influence sur les réformes apportées à la motivation des sanctions prononcées par le Conseil de la concurrence, dans le sens d’une plus grande

exigence – en particulier la loi du 31 décembre 1992 modifiant l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l’article L. 464-2 du Code de commerce. Il n’est pas impossible que la Haute juridiction s’oriente, dans le domaine des pratiques restrictives, vers des exigences analogues.

»

«

Martine Béhar-Touchais : Je le souhaite, mais le législateur a également posé une présomption de culpabilité, assortie d’une amende civile, puisqu’il a indiqué qu’il appartient au grand distributeur de faire la preuve qu’il a rendu les services pour lesquels il a reçu paiement, et cela sous peine d’amende civile. Il n’est plus alors présumé innocent : ce n’est plus à l’autorité de poursuite de prouver, par exemple, qu’il y a fausse coopération commerciale, mais c’est à la personne poursuivie de prouver que la coopération commerciale a été réelle. Cette inversion de la charge de la preuve va à l’encontre d’un régime répressif de l’amende civile car en matière répressive, la présomption d’innocence doit être assurée.

»

«

Cyril Nourissat : Sur la question de l’application dans l’espace du dispositif des délais de paiement, le nouveau règlement « Rome I » sur la loi applicable aux obligations contractuelles dégage un critère et une définition textuelle des lois de police. Il rappelle la nécessité d’un lien de proximité, d’un rattachement de proximité. Si l’acheteur ou le vendeur a son siège sur le territoire français ou que la livraison se réalise sur le territoire français, le juge français sera amené à caractériser, me semble-t-il, l’existence de cette proximité. La Cour de cassation a cependant quelque peu mis à mal ce raisonnement dans un arrêt du 22 octobre 2008 (Cass. 1re civ., 22 oct. 2008, n° 07-12.823, P+B+I). Je souhaite vous poser une question sur le visa de l’arrêt du 21 octobre 2008 relatif à la rupture brutale des relations commerciales sur l’article 5 du règlement « Bruxelles I » qui pose une option de compétences : l’action part-elle d’une relation contractuelle, renvoit-elle à une action de nature délictuelle ? La question mérite d’être posée, car le législateur français a toujours ignoré en la matière les relations transfrontalières, ce qui risque de déboucher sur des oppositions frontales entre juge communautaire et juge national quant à l’application de ces dispositions. ◆

»

Actualité du contentieux des dommages concurrentiels Par Muriel CHAGNY, Professeur à l’Université Paris-Descartes et Jacqueline RIFFAULT-SILK, Conseiller à la Cour de cassation Muriel CHAGNY Comment? Comment, Mesdames, Messieurs, à la fin d’une année dominée en droit de la concurrence par un maître-mot, la

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modernisation – revendiquée jusque dans les termes mêmes des lois –, Mme Riffaut-Silk et moi-même pouvions-nous faire pour moderniser cette présentation en duo qui, dorénavant à l’instar des lois réformant la concurrence, revient année après année?

Droit I Économie I Régulation

S’agissant du juge du contentieux des dommages concurrentiels et sans revenir sur les règles classiques de compétence juridictionnelle, il importe tout d’abord de se demander dans quelle mesure le juge est au choix des parties en présence d’une situation d’extranéité. Plus spécifiquement, il s’agit ensuite d’évoquer le défi que représente le choix effectué par le législateur français en faveur de la spécialisation du juge.

juridictions que pour les pratiques anticoncurrentielles, ce qui semblerait rationnel, mais procéderait d’une concentration excessive du contentieux des dommages concurrentiels ? Par ailleurs, bien qu’une mesure transitoire de la LME indique expressément que « les juridictions qui, à la date d’entrée en vigueur du décret [d’application] sont saisies d’un litige relatif [à l’article L. 442-6 du Code de commerce] restent compétentes pour en connaître » (art. 93-II), il n’est pas certain que cette disposition suffise à écarter toute difficulté, n’ayant pas tout prévu. Quelle solution retenir par exemple dans le cas où une procédure a été engagée, avant l’adoption du décret, sur un fondement autre que l’article L. 442-6 et que, postérieurement au décret, une demande soit formée en application de ce texte? Au-delà même des difficultés transitoires, les questions pratiques ne devraient pas manquer, suscitées notamment par l’invocation conjointe – fréquente ! – par voie d’action ou à titre de moyen de défense, des règles concernées par la spécialisation et d’autres dispositions, qu’elles se rattachent au Titre IV ou au droit des contrats. L’opportunité même de la spécialisation peut sembler discutable car certaines règles concernées, comme celle qui sanctionne la rupture brutale des relations commerciales établies, donnent lieu à un contentieux très abondant : est-il alors judicieux de le concentrer ? Cela est d’autant plus vrai que l’article L. 442-6, loin de nécessiter une analyse de l’impact sur la concurrence, donne lieu à des contentieux d’allure largement contractuelle. Le doute sur l’utilité même de la spécialisation apparaît d’autant plus légitime qu’en parallèle, la loi octroie aux juridictions la faculté de consulter pour avis la Commission d’examen des pratiques commerciales. Savoir quel est le juge à saisir ne suffit pas ; encore faut-il préciser qui est à l’initiative du contentieux des dommages concurrentiels.

1) Le juge du contentieux des dommages concurrentiels au choix des parties

B. – L’initiateur du contentieux des dommages concurrentiels

Se pose la question de savoir quelle est l’efficacité d’une clause attributive de compétence dans un contentieux des dommages concurrentiels. Cette interrogation, si elle n’est pas propre à ce contentieux, se présente avec une acuité singulière en raison d’un important arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 22 octobre 2008, à propos de la rupture d’une relation commerciale établie. Elle n’est cependant pas développée ici, étant évoquée par M. Cyril Nourissat (voir Barbier de la Serre É. et Nourissat C., Actualité du droit processuel de la concurrence, infra).

Cette question des titulaires de l’action se pose avec une particulière acuité, en l’état de la pusillanimité des victimes directes, parfois réticentes à agir, soit parce qu’insuffisamment informées et souffrant d’un préjudice trop diffus, dans le cas des consommateurs, soi-disant par crainte de représailles dans le cas des entreprises. Dès lors, cela conduit à envisager d’abord, l’initiative collective du contentieux des dommages concurrentiels en évoquant l’action de groupe et à revenir, ensuite, sur la place très controversée de l’initiateur public qu’est le ministre de l’Économie dans le contentieux des pratiques restrictives de concurrence.

I. – LA SAISINE DU JUGE, À L’ORIGINE DU CONTENTIEUX DES DOMMAGES CONCURRENTIELS S’il est loisible à toute personne ayant intérêt et qualité à agir de saisir un juge d’une prétention, encore faut-il saisir le juge compétent et être effectivement titulaire de l’action. Cela nous conduit à envisager successivement le juge (A) et l’initiateur du contentieux des dommages concurrentiels (B). A. – Le juge du contentieux des dommages concurrentiels

2) Le juge du contentieux des dommages concurrentiels au défi de la spécialisation Après avoir décidé, en 2001, de spécialiser les juridictions appelées à mettre en œuvre le droit des pratiques anticoncurrentielles, le législateur a retenu la même option dans la loi du 4 août 2008, pour une partie du droit des pratiques restrictives. Comme il l’a fait précédemment pour les pratiques anticoncurrentielles (C. com., art. L. 420-7, issu de la loi du 15 mai 2001), il s’est contenté d’en arrêter le principe et de confier à un décret le soin de désigner les juridictions compétentes (L. n° 2008-776, art. 93-I-3°, c), modifiant C. com., art. L. 442-6-III). Sans méconnaître les attraits d’une telle mesure, il reste qu’elle est, en l’occurrence, source d’incertitudes et d’interrogations, temporaires pour les unes, plus durables pour les autres. Si l’on peut sans doute compter sur une entrée en vigueur de cette réforme suspendue à l’édiction du décret d’application – plus prompte que pour la spécialisation en matière de pratiques anticoncurrentielles – autrement dit en moins de… quatre ans et demi…, il est permis de s’interroger, dans cette attente, sur le périmètre qui sera retenu. S’agira-t-il des mêmes

Droit I Économie I Régulation

PERSPECTIVES COLLOQUE

Les actualités du contentieux des dommages concurrentiels se suivent et se ressemblent parfois, mais pas toujours. Le Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts est enfin paru, tant et si bien que l’Arlésienne du contentieux communautaire des dommages concurrentiels n’est plus. En revanche, l’Arlésienne du contentieux français des dommages concurrentiels, la désormais célébrissime action de groupe, demeure dans les placards des ministères pour le moment… en dépit de la double modernisation législative opérée en 2008. Dans cette quête de modernisation, l’idée directrice a été d’articuler cette présentation autour du personnage central du contentieux des dommages concurrentiels, à savoir le juge. À l’origine du contentieux des dommages concurrentiels (I), se trouve la saisine du juge à laquelle nous allons nous intéresser, avant de porter notre attention sur la décision du juge (II).

Jacqueline RIFFAULT-SILK 1) L’initiative collective : l’action de groupe L’introduction dans le droit français des actions de groupe – « class actions » en droit américain – a été recommandée par le Rapport Cerutti sur l’action de groupe en décembre 2005, soutenue par le Conseil de la concurrence dans un avis rendu public en septembre 2006, préconisée par le Rapport Attali pour la libération de la croissance en 2007, défendue par le Rapport Coulon sur la dépénalisation de la vie des affaires en février 2008… Ce dernier proposait de la limiter au seul droit de la consommation, et préconisait le modèle opt in dans lequel les consommateurs doivent décider de se joindre à l’action collective engagée devant une juridiction, par opposition avec le modèle opt out, dans lequel toutes les personnes relevant des critères d’une classe de victimes préalablement définie par le juge, sont ipso facto membres de cette classe, sauf

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s’ils expriment leur volonté de ne pas en être. Mais elles n’existent toujours pas en droit français! On peut noter que le Conseil constitutionnel a lui-même exclu que le droit français puisse prévoir des actions de type opt out, estimant que la victime devait avoir eu personnellement connaissance de l’action engagée par autrui pour pouvoir y être associée, et que son inclusion automatique dans une action collective porterait atteinte au principe de la liberté individuelle. Ces actions collectives présentent toutefois de grands avantages, car elles facilitent les actions en réparation des victimes de pratiques anticoncurrentielles, entreprises ou consommateurs, lorsque les préjudices unitaires subis sont de faibles montants. Elles permettent également des économies de coûts considérables. La crainte d’une utilisation abusive de ces procédures, parfois exprimée dans les milieux économiques, estelle justifiée ? Les pouvoirs donnés aux juges, pour en contrôler l’exercice, répondent à cette préoccupation. Il reste qu’une fois encore, la diversité des solutions adoptées par les États membres de l’Union européenne est frappante. Ainsi, le législateur danois a adopté le 22 février 2007 (L. 41, n° 2006-07) une class action, sous ses deux versions d’opt in et d’opt out, en les plaçant l’une et l’autre sous le contrôle du juge. Dans le premier cas, le représentant du groupe sera désigné par le juge. Dans le second, la procédure ne pourra être engagée qu’à l’initiative de l’Ombudsman, seul représentant des plaignants. Les modalités de l’action de groupe de type « opt in » récemment introduite en Italie (D.-L. 15 nov. 2007, n° 244/2007) puis entrée en vigueur le 29 juin 2008, apparaissent plus proches des règles adoptées en France pour les actions en représentation (C. consom., art. L. 422-1 et s.) : ce sont en effet les associations de consommateurs qui sont habilitées en Italie à engager ces actions collectives devant les juridictions civiles. Si elle leur est favorable, la décision des juges – obligatoirement réunis en formation collégiale – sera déclaratoire en ce qui concerne la faute et le lien de causalité, et ouvrira une procédure de conciliation destinée à chiffrer les réparations devant être versées à chaque victime. Approuvée par les juridictions civiles allemandes, l’action collective « de fait » créée à l’initiative d’une société commerciale belge constitue une intéressante alternative à ces systèmes de prise en charge des intérêts collectifs des plaignants, soit par des associations de consommateurs, soit par des institutions étatiques. À la suite de la décision de sanction prononcée par le Bundeskartellamt, autorité de concurrence allemande, contre les membres du cartel des ciments, les victimes de ce cartel ont ainsi cédé leur droit d’action à la société belge CDC pour un prix symbolique d’une centaine d’euros, étant convenu qu’en cas de succès de cette action, 85 % des sommes allouées par le Tribunal reviendront aux cédants. Confirmant le jugement du Tribunal régional de Düsseldorf, qui rejetait la fin de non-recevoir soulevée par les membres du cartel, pour absence de qualité et d’intérêt à agir, la Cour d’appel régionale de Düsseldorf, par arrêt du 14 mai 2008, a même refusé aux membres du cartel le droit de se pourvoir en cassation devant la Cour suprême fédérale contre sa décision. Dans son Livre blanc sur les actions privées fondées sur le droit européen de la concurrence diffusé en avril 2008, faisant suite au Livre vert déjà consacré au « private enforcement », la Commission européenne a rappelé que les actions collectives sont essentielles, particulièrement, s’agissant des victimes de cartels, lorsque ce sont des acheteurs indirects, en raison des difficultés accrues rencontrées tant en matière d’administration de la preuve que de coût de ces procédures. Elle observe que les actions en représentation confiées à des entités qualifiées telles que des associations ou des organismes

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d’État constituent une option intéressante, dans la mesure où ces entités n’auront pas les hésitations que peuvent éprouver certains entrepreneurs pour engager des actions en réparation contre de plus puissants partenaires. Le Livre blanc soutient également l’action collective dans son modèle d’opt in, où chacune des victimes fait la démarche volontaire d’adhérer à cette action. 2) Le « private enforcement » dans l’Union européenne Il existe maintenant une jurisprudence plus nombreuse et une augmentation significative des procédures portées devant les juridictions nationales. Des réponses ont été données par les juges nationaux à des questions cruciales posées par le Livre blanc, en particulier sur le droit et la qualité à agir, l’établissement de la responsabilité, la question de la faute, le lien de causalité, la notion et les méthodes de calcul du préjudice. La levée des obstacles institutionnels.– Il a fallu en premier lieu lever les obstacles institutionnels. Dans la plupart des États membres, à la différence des règles françaises, la régulation de la concurrence était organisée sur le modèle européen, et caractérisée, notamment, par l’impossibilité pour les juges civils de se prononcer sur les pratiques anticoncurrentielles lorsqu’ils étaient saisis de plaintes fondées sur le droit de la concurrence, tant national qu’européen. Il est remarquable de constater que les réformes intervenues dans les États membres, à la suite de l’entrée en vigueur du règlement n° 1/2003, ont transformé dans le même sens les dispositions du droit national de ces États, et ainsi contribué à une harmonisation européenne des règles nationales, au-delà de la seule application directe, par les juridictions nationales, du droit européen de la concurrence. Ainsi, en Allemagne, la réforme du droit de la concurrence entrée en vigueur le 1er juillet 2005 a introduit un système d’exemptions automatiques inspiré du droit européen, et unifié le fondement légal sur lequel sont engagées les actions en réparation de pratiques anticoncurrentielles, la violation des règles européennes, comme les manquements au droit national de la concurrence pouvant désormais être invoquée sur le fondement du paragraphe 33 de la loi allemande sur la concurrence (ARC). En Espagne, la Cour suprême a abandonné (Tribunal supremo, 2 juin 2000, déc. n° 540/2000, Rafael c/Disa) sa jurisprudence antérieure (Tribunal supremo, 20 déc. 1993, déc. n° 1262/1993, Rodriguez c/ Campsa), selon laquelle les juridictions civiles espagnoles n’avaient pas compétence pour appliquer directement les dispositions du droit européen de la concurrence. Il faudra toutefois attendre la réforme du droit national de la concurrence intervenue en 2007 (L. n° 15/2007, 3 juill. 2007) pour que les juridictions civiles espagnoles puissent se prononcer sur une demande en réparation fondée sur le droit national espagnol de la concurrence. D’autres obstacles tenaient aux restrictions apportées à la qualité à agir : dans nombre d’États membres, le droit d’action n’appartenait qu’aux entreprises, considérées comme les seuls acteurs du marché et par conséquent comme les seules victimes éventuelles de pratiques anticoncurrentielles. Les juridictions allemandes avaient ainsi adopté une doctrine selon laquelle seules les victimes « directes » d’une pratique anticoncurrentielle avaient qualité pour agir en réparation. Le 7e amendement au paragraphe 33 de la loi allemande sur la concurrence, entré en vigueur le 1er juillet 2005, a mis un terme à ces restrictions en prévoyant que « toute personne affectée » par une pratique anticoncurrentielle a désormais qualité et intérêt à agir en justice. Mais ces dispositions ont suscité un nouveau débat : comment interpréter le terme

Droit I Économie I Régulation

nale de Mannheim, 29 avr. 2005, Carbonless paper, rejetant les plaintes des victimes indirectes d’un cartel motif pris de ce qu’une solution inverse porterait atteinte à une mise en œuvre efficace des actions privées fondées sur le droit antitrust).

En Italie, la Cour de cassation a abandonné sa jurisprudence antérieure selon laquelle la ratio legis du droit de la concurrence italien se limitait à la protection des entreprises, avec pour conséquence de refuser tout droit d’agir aux consommateurs, et a décidé que ces derniers, derniers maillons de la chaîne de production et de distribution d’un bien, sont eux aussi acteurs du marché (Mario Ricciarelli c/ Spa Uniupol Assicurrazioni, 4 févr. 2005). La coopération entre les autorités de concurrence et les juridictions nationales.– La coopération entre la Commission européenne et les juridictions nationales est prévue par l’article 15 du règlement n° 1/2003. L’application de ces dispositions par la Commission s’est révélée assez restrictive, ainsi que le confirme la réponse qu’elle a donnée à la Cour suprême suédoise (Högsta Domstolen, 1er mars 2007, déc. T-2808-05, Bornholms Trafikken c/ Ystad Hamn Logistik AB), sur la demande d’avis de cette juridiction, concernant la détermination du marché pertinent et la caractérisation des pratiques en cause. Dans sa réponse, la Commission souligne que son rôle, en tant qu’amicus curiae, consiste seulement à fournir une information factuelle, ou une clarification juridique ou économique, à l’exclusion de toute opinion sur le fond de l’affaire. Elle rappelle enfin que son avis n’a pas autorité pour la juridiction, contrairement à la force obligatoire donnée à la réponse de la Cour de justice, lorsqu’elle est saisie d’une question préjudicielle en vertu de l’article 234 du Traité. On relèvera pourtant l’importance, dans ces affaires, de l’aide apportée par les autorités de régulation : ainsi, en France (TGI, 26 janv. 2005, Luk Lamellen c/ Valeo), les juges ont pu bénéficier des analyses de marché fournies par le Conseil de la concurrence, à la demande du tribunal. De même, en Espagne, la juridiction consulaire (T. com. Madrid, 11 nov. 2005, déc. n° 36/2005, Conduit Europe SA c/ Telefonica de España) a fait droit à la demande d’indemnisation du plaignant, une société de télécommunication irlandaise, qui reprochait un abus de domination à l’opérateur historique sur le marché espagnol de la téléphonie ; mais la constatation de cette domination, et celle de l’abus dénoncé par le plaignant, se sont trouvées facilitées par la procédure déjà conduite par l’autorité sectorielle des télécommunications, qui avait déjà sanctionné cet opérateur. L’établissement de la responsabilité : la faute.– Les actions en réparation engagées sans décision préalable du régulateur (stand-alone actions) sont rares, du fait de la complexité et du coût des analyses de marché rendues nécessaires pour la détermination du marché pertinent, également en raison des difficultés rencontrées dans la collecte des preuves. Elles sont souvent rejetées faute de preuves suffisantes, notamment en ce qui concerne la caractérisation du marché pertinent et celle des pratiques dénoncées (T. com. Suède, 5 juin 2007, aff. Dnr A 9/05, Tidnings Aktiebolaget Metro c/ Stockholm City Sverige AB). Il peut également s’agir de difficultés de preuves sur l’existence d’une domination exercée sur le marché pertinent (Royaume-Uni, High Court, Chancery Division, 15 juin 2007, aff. HC06C03700, Chester City Council and Chester City Transport c/ Arriva PLC). Mais ces actions se sont révélées particulièrement efficaces dans deux domaines : celui de litiges fondés sur la mauvaise exécution ou la rupture brutale de relations contractuelles, ainsi que le montre en France l’affaire Butagaz, et celui des mesures provisoires lorsque sont en cause des pratiques li-

Droit I Économie I Régulation

PERSPECTIVES COLLOQUE

« personnes affectées » ? En d’autres termes, dans le cas d’un cartel, les acheteurs secondaires sont-ils protégés par ces nouvelles dispositions ? Cette question fait encore débat (Cour régio-

mitant l’accès de nouveaux opérateurs aux marchés de la téléphonie ou du commerce sur Internet (net-economy cases), illustrées par les décisions britanniques. Saisi d’un litige portant sur la rupture par la société Butagaz des contrats de distribution de longue durée qu’elle avait conclus, motif pris d’une demande de clémence portée devant l’autorité de régulation et imposant, selon le fournisseur, la dénonciation immédiate de ces accords, le Tribunal de commerce de Nanterre (T. com. Nanterre, ord., 28 avr. et 30 juin 2005, Butagaz) a d’abord sursis à statuer pour recueillir l’avis du Conseil de la concurrence, puis ordonné, au vu des conclusions de ce dernier, la prolongation des contrats de distribution pour un an, pour qu’il soit mis fin aux relations contractuelles de manière plus conforme aux intérêts de toutes les parties. Au Royaume-Uni, dans l’affaire Truphone de juillet 2007, la High Court a fait droit à la demande d’injonction formée par un nouvel opérateur de téléphonie contre l’opérateur historique et ordonné à celui-ci d’entrer en relation contractuelle avec celui-là, relevant que les conditions tenant à l’urgence et à la certitude du manquement reproché, réunies en l’espèce, justifiaient la mesure demandée dès lors que la dominance alléguée sur le marché était « plausible » (High Court, Chancery Division, 17 juill. 2007, aff. HC07C, Truphone Software cellular Network c/ T-Mobile UK Ltd).

Lorsqu’elles interviennent dans un second temps, après que l’autorité de régulation a rendu sa décision, et que celle-ci est devenue définitive, les actions en réparation (actions dites en « follow-on ») apparaissent plus faciles : la charge de la preuve ne porte plus que sur le lien de causalité, et sur l’étendue du préjudice. Ces actions civiles se heurtent pourtant à une première difficulté : quelle autorité donner à la décision du régulateur ? L’article 16 du règlement n° 1/2003 fait obligation aux juridictions nationales de se conformer aux décisions rendues ou « envisagées » dans les procédures intentées par la Commission européenne. Il en va de même, a fortiori, des décisions rendues par les juridictions européennes. Mais jusqu’à quel point s’étend cette autorité ? Les suites de l’affaire Courage devant les juridictions civiles britanniques ont été l’occasion pour la chambre des Lords de fixer sa doctrine à cet égard (Chambre des Lords, 19 juill. 2006, UKCL 38, Inntrepreneur Pub Company CPC v. Crehan). On se souvient qu’à la suite des enquêtes menées par la Commission européenne sur le marché des contrats de bière, des actions civiles engagées devant les juridictions britanniques et de la question préjudicielle posée par ces dernières à la Cour de justice, celle-ci avait décidé qu’une partie à un contrat portant atteinte aux règles du droit européen de la concurrence peut intenter devant les juridictions nationales une action civile fondée sur ce manquement à l’encontre de son cocontractant, écartant la règle « nemo auditur… » s’opposant en droit interne à ces actions. Se prévalant de cette décision, M. Crehan avait attrait son fournisseur devant la High Court, et demandé la réparation de son préjudice. La décision de cette juridiction, rejetant sa demande en relevant qu’il n’était pas établi que le « contrat de bière » conclu entre ces deux parties avait eu un effet restrictif de concurrence à l’époque des faits, avait été censurée par la Cour d’appel britannique, au motif que la High Court, juridiction nationale, était dans l’obligation de se conformer aux conclusions formulées dans cette affaire par la Commission européenne, préalablement à la réponse donnée par la CJCE sur cette question d’interprétation du Traité (Court of Appeal, 21 mai 2004, case n° A3/2003/1725, Crehan v. Inntrepreneur Pub Company). C’est cette automaticité que rejette la chambre des Lords, qui énonce que les juridictions nationales ne sont pas te-

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nues de suivre une décision de la Commission, lorsqu’elles statuent dans un litige concernant d’autres parties et d’autres faits. En effet, les décisions rendues par la Commission dans ces affaires ne concernaient pas spécifiquement le brasseur mis en cause par M. Crehan. La chambre des Lords observe, toutefois, que, bien que n’ayant pas de caractère liant, les décisions de la Commission doivent être considérées comme un élément de preuve que la juridiction peut prendre en considération. Également au Royaume-Uni, on relèvera la décision rendue par le Competition Appeal Tribunal (CAT), juridiction d’appel de l’Office of Fair Trading, à laquelle a été conféré le pouvoir de statuer sur les réparations comme juridiction de premier degré, lorsque les parties lui en font la demande et que la décision sur le manquement, émanant soit du régulateur national, soit des instances européennes, est définitive. Les règles de procédure du CAT (art. 31-3) prévoient que ce dernier peut exceptionnellement autoriser l’engagement d’une telle procédure alors que la décision sur le manquement n’a pas encore acquis un caractère définitif, et les victimes d’un cartel sanctionné par la Commission européenne se fondaient sur ces dispositions pour demander l’ouverture d’une procédure en réparation en dépit du recours encore pendant contre la décision de la Commission. Cette autorisation leur est refusée, aux motifs que les plaignants ne justifient d’aucun préjudice particulier résultant du rejet de leur demande, également en considération de la portée du recours, qui portait sur le fond et pas seulement sur une simple minoration de la sanction (CAT, 28 avr. 2008, case n° 1077/5/7/07, Emerson Electric Co & al c/ Morgan Crucible Plc). Mais ces dispositions strictes ne font pas obstacle à l’allocation d’indemnités provisionnelles dès lors qu’est acquis le principe de la responsabilité, ainsi que l’a retenu le CAT, saisi d’une action en réparation dans une affaire d’abus de domination dans le domaine médical sanctionnée par l’OFT, dont la décision était définitive (CAT, 15 nov. 2006,, case n° 1060/5/7/06, Healthcare at home c/ Genzyme Ltd). Le lien de causalité.– La démonstration d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice est nécessaire à l’établissement de la responsabilité des entreprises pour manquement aux règles du droit de la concurrence, ainsi que l’a rappelé la Cour de justice dans la décision Manfredi (CJCE, 13 juill. 2006, aff. jtes. C-295/04 à 298/04, Manfredi). Mais qu’en est-il lorsque la décision retenant une infraction aux règles de la concurrence retient que les pratiques sanctionnées ont eu pour « objet » – et non pour effet – d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ? Telle était la question posée aux juridictions italiennes, dans une affaire d’entente entre assureurs, lesquels opposaient à l’action en réparation engagée à leur encontre l’absence de démonstration d’un lien de causalité direct et certain, puisque seul l’objet des échanges litigieux d’informations avait été incriminé. La Cour d’appel avait rejeté ce moyen, au motif que le préjudice allégué – une augmentation des primes payées par les clients – résultait « automatiquement » de la faute constatée par le régulateur. Cette décision a été cassée par la Cour de cassation italienne, qui énonce que le lien de causalité peut être établi sur la base de probabilités et de présomptions, il appartient néanmoins au juge de prendre en considération les moyens produits par le défendeur pour soutenir que d’autres facteurs ont pu causer, ou contribuer à causer le dommage (Cour de cassation italienne, 15 déc. 2006, Fondiaria Societa Assicuratrice Industtriale c/ Nigriello). En d’autres

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termes, la présomption résultant de la constatation du manquement aux règles de la concurrence est une présomption réfragable, et le juge doit motiver sa décision au regard également des éléments produits par la défense. Le préjudice.– Contrairement aux règles américaines des dommages « au triple », la plupart des États membres écartent les notions de dommages punitifs ou fondés sur l’enrichissement de l’auteur de l’infraction, et s’en tiennent à un concept de réparation intégrale du préjudice. La Cour de justice a précisé pour sa part (CJCE, 13 juill. 2006, aff. jtes. C-295/04 à 298/04, préc., pt. 95) qu’il résultait du principe d’effectivité que cette réparation devait inclure non seulement les pertes éprouvées, mais également le gain manqué ainsi que les intérêts. En revanche, elle a ajouté que le principe d’équivalence autorisait l’allocation d’autres indemnisations, telles que des dommages-intérêts « punitifs » ou « exemplaires » pour réparer le préjudice résultant d’une atteinte aux règles du droit européen de la concurrence, si des règles autorisant ce type de compensation existaient dans le droit interne d’un État membre. Une telle invitation semble avoir été promptement suivie d’effet : dès l’année suivante, il était demandé à la High Court, dans l’affaire du cartel des vitamines, d’allouer aux victimes du cartel des dommages punitifs ou équivalents aux profits réalisés par les cartelistes, dès lors que de telles compensations sont prévues en droit interne. La High Court a néanmoins rejeté cette demande, dans une décision fortement motivée (High Court, Chancery Division, 19 oct. 2007, Devenish Nutrition Ltd & al c/ Sanofi Aventis & al.). Elle a observé tout d’abord que dans les affaires comme en l’espèce en « follow-on », l’allocation de dommages exemplaires, de par leur caractère punitif, reviendrait à contredire non seulement le principe non bis in idem, mais aussi l’article 16 du règlement n° 1/2003 qui interdit aux juges nationaux d’aller contre la décision rendue par l’autorité européenne. Elle a ajouté qu’il ne lui appartenait pas de décider si la restitution des profits illégaux réalisés par les membres du cartel pouvait constituer un remède adéquat dans les affaires antitrust, à moins qu’une juridiction supérieure n’en décide autrement, et observé que le principe d’une compensation des préjudices constituait un remède adapté dans ce domaine. Muriel CHAGNY 3) L’initiateur « public » du contentieux des dommages concurrentiels : le ministre de l’Économie sur la sellette Les prérogatives reconnues par l’article L. 442-6-III au ministre de l’Économie et lui permettant de s’immiscer dans les rapports contractuels, se sont trouvées sur la sellette et au cœur d’une véritable bronca doctrinale. Est notamment contesté le caractère conventionnel au regard de la CEDH de cette disposition, silencieuse quant au régime de l’action ouverte au ministre. Comme Mme Béhar-Touchais l’a déjà indiqué (voir BéharTouchais M., Actualité des pratiques restrictives, supra), par ses deux arrêts du 8 juillet 2008, la Cour de cassation, se prononçant en faveur de la conformité de cette règle à l’article 6, paragraphe 1 a conforté l’action du ministre. En complément des observations déjà formulées, il s’agit ici de procéder à une simple analyse technique de l’attendu central commun aux deux arrêts de la chambre commerciale. Selon ces décisions, « l’action du ministre chargé de l’Économie (…) qui tend à la cessation des pratiques, à la constatation de la nullité, à la répétition de l’indu et au prononcé d’une amende civile, est une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concur-

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II. – LA DÉCISION DU JUGE, ISSUE DU CONTENTIEUX DES DOMMAGES CONCURRENTIELS Cela conduit à s’interroger successivement sur les règles de droit que le juge est appelé à mettre en œuvre (A), ainsi que sur les sanctions qu’il est susceptible de prononcer (B). A. – Les règles applicables au contentieux des dommages concurrentiels Les nouvelles règles ne manquent pas en cette année d’une double réforme législative en janvier et août 2008, nous ne reviendrons pas ici sur les nouveautés substantielles, mais sur des difficultés qui peuvent se présenter en amont au juge et qui tiennent aux éventuels conflits de lois, soit dans l’espace en présence d’un élément d’extranéité, soit dans le temps du fait de la succession de plus en plus rapprochée des lois nouvelles. S’agissant des conflits dans l’espace, le sujet brûlant de cette fin d’année concerne le nouveau dispositif adopté dans la LME quant aux délais de paiement et applicable au 1er janvier prochain, question épineuse qui sera abordée par Cyril Nourissat (infra). Dans la mesure où un conflit de lois dans l’espace peut se résoudre au profit d’une loi étrangère, il convient d’évoquer le contentieux des dommages concurrentiels hors la loi française. Le contentieux des dommages concurrentiels à l’épreuve des conflits de lois dans le temps du temps.– Les interrogations quant à l’application dans le temps des lois nouvelles sont d’autant plus fortes que le législateur n’a guère prévu de disposition transitoire. Sans entrer faute de temps dans le détail, je me contenterai d’évoquer quelques dispositions parmi les plus symptomatiques (cf., à ce propos, Utzschneider Y. et Chagny M., Les mesures transitoires, in La loi de modernisation de l’économie et le droit des pratiques restrictives, conférence organisée par l’Association française d’étude de la concurrence, le 6 octobre 2008, disponible sur le site de l’AFEC).

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rence ». Ainsi, là où la Cour de Versailles avait considéré que le ministre exerçait une action de substitution, la Cour régulatrice retient la qualification d’action autonome : le droit d’agir est attribué au ministre, non pas pour se substituer à la victime, mais pour assurer le bon fonctionnement du marché. Il est toutefois possible de s’interroger sur l’étendue de cette solution, dans la mesure où l’attendu ne mentionne pas la possibilité également reconnue au ministre de demander « la réparation des préjudices subis ». Ce silence traduit-il une omission purement fortuite d’une prérogative, mentionnée séparément des autres dans le texte législatif et qui n’a jamais été utilisée ? Ou bien ce silence signifie-t-il, tout au contraire, que, dans le cas de la réparation, où il s’agit, au premier chef, de rétablir la victime dans ses droits patrimoniaux, l’action du ministre devrait être autrement qualifiée, constituant une action de substitution ? De même, s’agissant du régime de l’action, précisé par les arrêts à partir de la qualification retenue, l’affirmation selon laquelle l’action exercée par le ministre « n’est pas soumise au consentement ou à la présence des fournisseurs » laisse entière la question de savoir si ces derniers ont le droit d’être informés. Au demeurant, l’article L. 442-6-III du Code de commerce n’est pas quitte pour autant avec la CEDH dans la mesure où d’autres textes que l’article 6, paragraphe 1, ont parfois été invoqués à son encontre et où, par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’Homme est susceptible d’être saisie. Quel qu’en soit l’initiateur, l’issue normale du contentieux des dommages concurrentiels, comme d’ailleurs de n’importe quel contentieux, est la décision rendue par le juge.

S’agissant de la suppression de l’interdiction per se des pratiques discriminatoires – qui est assurément l’une des mesures centrales de la réforme par la LME du droit des pratiques restrictives de concurrence, il ne fait aucun doute que les discriminations commises postérieurement à la date d’entrée en vigueur de la LME sont licites. La question se pose en revanche pour les agissements antérieurs au 6 août 2008, pour lesquels il convient de distinguer selon la sanction attachée au comportement. Le principe de la rétroactivité in mitius semble susceptible de s’appliquer à l’amende civile prévue à l’article L. 442-6-III du Code de commerce : en conséquence, il ne serait donc plus possible de prononcer une amende civile au titre de comportements commis avant le 6 août 2008 en violation de la règle abrogée. En revanche, s’agissant de la nullité, ce qui n’était pas valable sous l’empire de la loi ancienne ne le devient pas sous l’effet de la loi nouvelle : de ce fait, un contrat conclu avant le 6 août 2008 et qui aurait été le vecteur de pratiques discriminatoires pourrait être annulé. Quant à l’engagement de la responsabilité civile délictuelle, il est permis de penser, au vu de la jurisprudence dominante, que les pratiques discriminatoires commises avant le 6 août 2008 peuvent donner lieu à des actions en dommages et intérêts, nonobstant l’abrogation de l’interdiction per se : en effet, en matière de délit ou quasi-délit, les conséquences sont régies par la loi en vigueur au moment du fait dommageable. B. – Les sanctions appliquées au contentieux des dommages concurrentiels Revenir sur les sanctions que le juge peut être amené à prononcer conduit à envisager successivement le contentieux des pratiques restrictives de concurrence et le contentieux des pratiques anticoncurrentielles. Le contentieux des pratiques restrictives de concurrence.– S’agissant des pratiques restrictives de concurrence, les lois récentes ont doublement innové quant aux sanctions. D’un côté, la loi de modernisation de l’économie a renforcé les sanctions : outre la possibilité d’ordonner la publicité sous différentes formes (publication, diffusion, affichage, insertion dans le rapport de gestion) de tout ou partie de la décision de justice et de prononcer une astreinte, ce sont surtout les nouveaux cas de nullité, prévus à l’article L. 442-6-II du Code de commerce ainsi que la sévérité accrue de l’amende civile qui retiennent l’attention. De l’autre côté, le législateur a procédé, au cours de l’année 2008, à une dépénalisation partielle du droit des pratiques restrictives de concurrence. Cela étant, la dépénalisation réalisée par la loi du 3 janvier 2008, en ce qui concerne le refus de communiquer les conditions générales de vente – devenu un neuvième cas d’engagement de la responsabilité civile sur le fondement de l’article L. 442-6 – apparaît bien limitée. C’est, par ailleurs, une dépénalisation furtive qu’a effectuée à son tour la loi du 4 août 2008 : certains des changements apportés à l’article L. 441-7 du Code de commerce prescrivant, depuis la loi du 3 janvier 2008, l’établissement d’une convention globale assortie de sanctions pénales, consacrent en effet un adoucissement du régime pour une partie des services précédemment rattachés à la défunte catégorie des services distincts. Reste à savoir ce que sera la dépénalisation future du droit des pratiques restrictives, la réflexion sur cette question ayant été différée dans l’attente d’une dépénalisation du droit des affaires. Sans se livrer sur ce point à des conjonctures, il reste à évoquer, pour finir, le contentieux des pratiques anticoncurrentielles et le si attendu Livre blanc. ◆

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Actualité du droit processuel de la concurrence Par Éric BARBIER de la SERRE, Avocat, Cabinet Latham & Watkins et Cyril NOURISSAT Éric BARBIER de la SERRE I. – LE CONTENTIEUX OBJECTIF A. – Le droit national 1) Les engagements En matière d’engagements, deux étapes très importantes ont été franchies cette année avec, d’une part, l’adoption par le Conseil du Communiqué de procédure du 3 avril 2008, qui consolide en grande partie la pratique décisionnelle dans ce domaine, et, d’autre part, l’arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 2008 dans l’affaire GIE Les Indépendants. Ce dernier arrêt rappelle l’importance du principe du contradictoire, qui s’applique également aux procédures d’engagements. Tirant directement les conséquences de ce rappel, trois arrêts de la Cour d’appel de Paris du 26 novembre 2008 ont annulé trois décisions du Conseil de la concurrence pour violation du contradictoire. 2) La loyauté des preuves L’arrêt de la chambre commerciale du 3 juin 2008 consacre l’entrée effective du principe de loyauté des preuves dans le contentieux des pratiques anticoncurrentielles. Les faits à l’origine de cette affaire sont simples : le gérant de la société Avantage avait porté plainte devant le Conseil contre une pratique de prix imposés dans le secteur de l’électronique grand public. Ce gérant avait produit des preuves inhabituelles, à savoir des enregistrements de discussions avec des fournisseurs réalisés à l’insu de ces derniers. Se posait donc la question de la recevabilité de preuves obtenues de manière déloyale. Sur cette question, deux approches s’opposaient : d’un côté, les chambres civile et commerciale de la Cour de cassation jugent ces preuves irrecevables alors que, de l’autre, la chambre criminelle les juge recevables si elles émanent du plaignant et non de l’autorité de poursuite. Le Conseil avait finalement opté pour l’approche pénale, c’est-à-dire la recevabilité des preuves, en s’appuyant à cet effet sur un important effort de motivation : il s’appuyait sur l’autonomie procédurale du Conseil, sur le principe de liberté de la preuve, sur sa mission de protection de l’ordre public économique et, enfin, sur le caractère répressif de cette mission et l’efficacité qui en est attendue. Le Conseil avait toutefois posé certaines limites : tout d’abord, les preuves avaient été jugées recevables car elles étaient produites par le plaignant et non par l’autorité de poursuite ; ensuite, elles étaient simplement utilisées à titre d’indice ; enfin, elles devaient être soumises au contradictoire. La Cour de cassation a toutefois cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait approuvé le Conseil de la concurrence. L’arrêt vise l’article 6-1 de la CEDH et il pose le principe selon lequel l’enregistrement de conversations à l’insu des personnes enregistrées est un procédé déloyal qui rend les preuves irrecevables. Malgré le caractère laconique de cette motivation, deux leçons sont à tirer de cet arrêt. Premièrement, il ne s’agit pas pour la Cour de cassation d’écarter le principe d’autonomie procédurale du Conseil ; l’arrêt vise en effet uniquement l’article 6-1 de la CEDH et non l’article 9 du Code de procédure civile, sur lequel les chambres commerciale et civile s’étaient appuyées pour écarter des preuves constituées de manière déloyale. D’autre part, la justification de l’exten-

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sion du pouvoir des autorités par la nécessité de l’efficacité des procédures trouve ici une certaine limite. Dans sa décision, le Conseil s’était en effet appuyé, notamment, sur cet impératif d’efficacité pour juger les preuves recevables, tout comme la Cour de justice avait pu précédemment le faire s’agissant de preuves produites de façon anonyme et non soumises à la contradiction. L’efficacité de la procédure, souvent prise en compte pour étendre les pouvoirs des juridictions ou du Conseil, trouve donc avec cet arrêt une limite en tant que principe justificatif. B. – La transaction communautaire Le dispositif de transaction adopté par la Commission comprend deux éléments principaux : d’une part, un règlement qui modifie le règlement de mise en œuvre du règlement n° 1/2003 et, d’autre part, une communication qui précise les éléments que la Commission utilisera pour mettre en œuvre sa politique de transaction. En substance, l’objet de la procédure est de permettre une sorte de marché entre la Commission et les entreprises par lequel ces dernières reconnaissent leur implication dans un cartel et acceptent l’application d’une procédure simplifiée, en échange de quoi elles bénéficient d’une réduction d’amende de 10 %. 1) Les principaux traits de la procédure Il ne s’agit pas d’une procédure de clémence, même si elle présente avec elle certains points communs. La procédure intervient ainsi après l’enquête et ne vise pas à faciliter le rassemblement des preuves, mais à récompenser le fait pour l’entreprise en cause d’accepter l’application d’une procédure simplifiée. Cette procédure est donc dotée d’une économie très différente de la procédure classique, durant laquelle la plus grande partie de la procédure a lieu après la communication des griefs : dans le cadre de la procédure de transaction, une partie très importante de la procédure se déroule avant la communication des griefs. Les trois étapes de la procédure. – En substance, cette procédure se déroule en trois temps. En premier lieu, la Commission et les entreprises doivent manifester leur intérêt pour la transaction. La Commission doit ainsi envoyer une lettre aux parties pour leur demander si elles veulent entamer des négociations en vue d’une transaction. Si les entreprises y répondent favorablement, elles ne s’engagent toutefois pas à transiger. On doit noter également que l’expiration du délai imparti par la Commission pour manifester un tel intérêt marque la fin du délai applicable pour déposer une demande de clémence. En deuxième lieu, des discussions bilatérales se tiennent entre la Commission et l’entreprise. Ces discussions permettent aux entreprises de présenter leur point de vue et à la Commission de les informer sur des éléments auxquels elles n’ont normalement pas accès avant la communication des griefs : il s’agit d’informations sur les faits retenus, la qualification juridique de ces faits, leur gravité, la durée de l’infraction, l’attribution des diverses responsabilités, les fourchettes d’amendes envisagées par la Commission et les éléments de preuve sur lesquels la Commission entend s’appuyer. En outre, les entreprises ont dès ce

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2) Les avantages et inconvénients de la procédure Dans une certaine mesure, les entreprises ne pourront-elles pas se sentir contraintes de transiger avec la Commission ? En effet, la Commission instruit le dossier mais adopte également la décision finale ; elle dispose en outre d’une grande liberté pour fixer le montant des sanctions. Quelles sont alors les garanties apportées aux entreprises qui participent à une procédure de transaction ? La procédure ne peut fonctionner que si les intérêts des entreprises et de la Commission se rejoignent. Le seul risque que prend la Commission en mettant en œuvre la procédure de transaction est d’offrir un accès précoce au dossier et de devoir finalement revenir à une procédure normale si les entreprises refusent de transiger. Pour éviter que certaines entreprises ne prennent en otage la procédure, la Commission acceptera sans doute les transactions hybrides, c’est-à-dire les transactions avec seulement certaines entreprises de l’entente présumée. Pour les entreprises, la procédure de transaction est beaucoup plus contraignante, et ce en raison de quatre éléments. Premièrement, la procédure est asymétrique, puisque les entreprises sont fortement engagées alors que la Commission reste libre jusqu’à la décision finale. Deuxièmement, le gain de 10 % sur le montant de l’amende pourra souvent paraître quelque peu réduit au vu des droits abandonnés par les entreprises. Troisièmement, les entreprises courent le risque de faciliter les poursuites civiles du fait de l’aveu prévu dans la transaction. Certes, la Commission a prévu de pouvoir protéger la confidentialité des demandes de transaction et de la communication des griefs. Toutefois, la procédure de transaction accélèrera probablement la décision de la Commission et donc, par voie de conséquence, les poursuites civiles en follow-on. Enfin, quatrièmement, les entreprises affectent leurs droits de recours contentieux. Un arrêt du Tribunal de première instance de d’octobre 2008 a ainsi jugé que des faits expressément admis devant la Commission ne peuvent plus être contestés devant le Tribunal (TPICE, 8 oct. 2008, aff. T-69/04, Schunk e.a. c/ Commission),

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moment accès au dossier, c’est-à-dire avant même la communication des griefs. La Commission peut toutefois mettre fin aux discussions si l’accès intégral au dossier met en danger l’efficacité de la procédure. Ces discussions ne visent en outre pas à négocier certains griefs, mais à permettre aux entreprises de présenter leurs observations à la Commission et donc, en pratique, d’exercer leurs droits de la défense par avance. En troisième lieu, si les entreprises et la Commission arrivent à une appréciation commune sur les griefs et l’amende envisageable, les entreprises auront alors la possibilité de déposer, dans un délai fixé par la Commission, une proposition de transaction qui contiendra une reconnaissance de responsabilité, une indication de l’amende maximale que l’entreprise s’attend à se voir infliger, une reconnaissance expresse du fait que les droits de la défense ont été respectés et un engagement à suivre la procédure de transaction jusqu’à son terme si la Commission le décide. Les entreprises s’engagent donc expressément à ne pas se rétracter alors que la Commission, pour sa part, n’est jamais engagée jusqu’à la décision. A ensuite lieu la communication des griefs, qui reprend largement les éléments exposés dans la demande de transaction. Puis, l’entreprise répond à cette communication en confirmant son acceptation et sans demander d’audition. La Commission consulte enfin le comité consultatif et peut alors adopter immédiatement la décision finale, avec la réduction forfaitaire de 10 %.

solution qui ne va pas sans soulever de nombreuses questions mais limite en tout cas fortement à ce stade les possibilités contentieuses des entreprises qui auront recouru à une procédure de transaction. En conclusion, comme le relevait Jean-François Bellis, la procédure de transaction constitue la dernière brique de la procédure de clémence et devrait surtout intéresser les entreprises qui coopèrent avec la Commission. Toutefois, si les preuves dont dispose la Commission sont suffisamment convaincantes, cette procédure peut également présenter un intérêt pour les autres entreprises, qui n’auront pas forcément intérêt à contester l’incontestable. Cyril NOURISSAT II. – LE CONTENTIEUX SUBJECTIF La justice est apaisée au regard de deux techniques contractuelles régulièrement utilisées : les clauses attributives de juridiction et les clauses compromissoires. Elles sont utilisées tant en droit des pratiques anticoncurrentielles qu’en droit des pratiques restrictives de concurrence. La jurisprudence récente apporte un éclairage intéressant sur ces deux techniques. A. – Les clauses attributives de juridiction L’arrêt Monster Cable du 22 octobre 2008 de la première chambre civile de la Cour de cassation tranche une question : celle de savoir quelles étaient les relations entre des lois de police, en l’espèce l’article L. 422-6 du Code de commerce, et la stipulation de clauses attributives. En l’espèce, un contrat liant une société française à une société nordaméricaine prévoit compétence du juge de l’État de NewYork. La clause est contestée en indiquant que l’action étant fondée sur l’article L. 442-6, soit une loi de police et que seul le juge français peut avoir compétence. La première chambre civile vise les principes généraux du droit international et estime que seul le juge américain doit connaître de l’action en raison de la clause stipulée au contrat. Le fait que l’article L. 442-6 rentre dans la catégorie des lois de police n’empêche pas de porter le litige devant un juge autre que national. L’action du cocontractant ne pourra être portée que devant le juge américain qui pourra seul statuer : la question de l’exequatur peut alors se poser sur le territoire français. Hormis l’hypothèse où la décision du juge américain heurtant l’ordre public français, la décision rendue à l’étranger vaudra en France. Cet arrêt rejoint donc une solution antérieure de la première chambre civile de la Cour de cassation qui confirme que la validité d’une clause attributive de juridiction n’est étudiée qu’au regard des seules exigences du droit international et non celles du droit interne. La solution dégagée rejoint celle qui prévaut par l’application de l’article 23 du règlement « Bruxelles I » sur la compétence, la reconnaissance et l’exécution en matière civile et commerciale. Ce règlement communautaire exprime une faveur extrême à l’égard des clauses attributives. Tant les juridictions nationales que communautaires ont régulièrement jugé que les seules conditions d’appréciation de la validité ou de l’opposabilité de la clause attributive sont celles édictées par les textes communautaires. Je rappelle que la première chambre civile de la Cour de cassation a ainsi considéré que rien ne s’opposait à ce qu’un non-commerçant soit appelé devant le Tribunal de commerce de Paris en vertu d’une clause attributive de juridiction stipulée dans un contrat qui le liait avec une société de droit luxembourgeois.

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RENCONTRES LAMY DU DROIT DE LA CONCURRENCE – QUESTIONS D’ACTUALITÉS – LA NOUVELLE AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE Lundi 8 décembre 2008

B. – Les clauses compromissoires Un arrêt du 4 juin 2008 de la première chambre civile de la Cour de cassation vient confirmer un mouvement engagé sous l’égide de la Cour d’appel de Paris, qui fait le droit en matière d’arbitrage, soit un mouvement en faveur de l’arbitrage au mépris éventuellement des exigences de l’ordre public économique et du droit des pratiques anticoncurrentielles (Cass. 1re civ., 4 juin 2008, n° 06-15.320, Bull. civ. I, n° 162 ; Nourissat C., Arbitrage et concurrence : sur la violation flagrante, effective et concrète de l’ordre public international…, RLC 2008/16, n° 1162). En l’espèce, le Tribunal arbitral

se constitue en vertu de la clause compromissoire et rend une sentence qui fait l’objet d’un recours en annulation, du fait de la violation de l’ordre public économique international, soit la violation par les arbitres de l’article 81 du Traité sur la Communauté européenne. La Cour de cassation indique que « s’agissant de la violation de l’ordre public international, seule la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est examinée par le juge de l’annulation au regard de la compatibilité de sa solution avec cet ordre public, dont le contrôle se limite au caractère flagrant, effectif et concret de la violation alléguée ». Se pose la question de savoir quel est en réalité le travail du juge de l’annulation ou de l’exécution de la sentence. Comment apprécier un caractère flagrant, effectif et concret, sans entrer dans un contrôle du bien-fondé ? Or un des principes fondamentaux du droit de l’arbitrage est l’interdiction de la révision au fond de la sentence. Certains observateurs estiment donc que, tout en respectant les exigences posées

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par la Cour de justice des Communautés européennes dans l’arrêt Eco Swiss de 1999, la Cour de cassation adressait en réalité une fin de non recevoir dans une logique de contrôle au regard de l’ordre public économique d’une sentence arbitrale. Cette solution réjouira les défendeurs du droit de l’arbitrage et inquiétera les spécialistes du droit de la concurrence, en raison des stratégies d’évitement qu’il peut induire. Il faut rester prudent en la matière, notamment au regard de la révision annoncée du règlement « Bruxelles I » sur la compétence en matière civile et commerciale. La Commission a commandé il y a deux ans un rapport aux juristes allemands afin d’établir le bilan de ce règlement et savoir s’il fallait lever l’exclusion du droit d’arbitrage du champ de la matière civile et commerciale. Les conclusions du Rapport de Heidelberg conduisent à affirmer la nécessité d’ouvrir le règlement « Bruxelles I » au domaine de l’arbitrage et à faire entrer la question de la reconnaissance et de l’exécution des sentences arbitrales dans l’espace intracommunautaire. Si cette voie est suivie, c’est peut-être par cet angle que le droit communautaire s’intéressera alors à l’application par les arbitres et dans la non-application par le juge de l’annulation des règles du droit communautaire de la concurrence. Il faudrait peut-être mieux analyser les relations entretenues par le droit de l’arbitrage et le droit de la concurrence pour éviter certaines stratégies d’évitement. Certaines réponses préjudicielles récentes apportées par la Cour de justice des Communautés européennes dans le domaine des règlements d’exemption à des questions posées par le juge national démontrent que la Cour s’adresse également à l’arbitre. ◆

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R LC

À LIRE PERSPECTIVES

Sous la responsabilité de Simon GENEVAZ, Rapporteur permanent auprès de l’Autorité de la concurrence (*)

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REVUES Concentrations > « Breaking up is hard to do » – National Merger Remedies in the Information and Communication Industry Thomas Hoehn, Suzanne Rab et Grant Saggers, ECLR, vol. 30, n° 6, 2009, p. 255

> The Revised Merger Remedies Notice – Some Comments Werner Berg et Rob Lipstein, ECLR, vol. 30, n° 6, 2009, p. 281

Pratiques anticoncurrentielles PRATIQUES UNILATÉRALES > The French Competition Council and Parallel Trade in the Pharmaceutical Industry : A Step Ahead of EU Case Law ? Fleur Herrenschmidt, World Competition, vol. 31, n° 2, p. 235

> Predatory Pricing under Article 82 and the Recoupement Test : Do Not Go Gentle into that Good Night Miguel Moura e Silva, ECLR, vol. 30, n° 2, 2009, p. 61

> Finally a bit of clarity for pharmaceutical companies ; but uncertainties remain : Judgement of the ECJ in Sot. Lélos Kai Sia EE v. GlaxoSmithKline AEVE Peter Turner-Kerr, ECLR, vol. 30, n° 2, 2009, p. 57

> A Proposed Test for Separating Pro-competitive Conditional Rebates from Anti-competitive Ones Damien Gerardin, World Competition, vol. 32, n° 1, mars 2009, p. 41

> Consumer Welfare and Article 82 EC : Practice and Rhetoric Pinar Akman, World Competition, vol. 32, n° 1, mars 2009, p. 71 Cet article étudie la différence entre la pratique et la rhétorique en ce qui concerne le rôle joué par le dommage au consommateur dans l’application de l’article 82 CE. En effet, au-delà de déclarations de principe, l’auteur, qui ne trouve que relativement peu de référence au dommage au consommateur dans la jurisprudence, considère que la question de l’objet du dommage (le consommateur ou la concurrence en général) n’est pas tranchée en jurisprudence. À tel point que, pour Pinar Akman, « la seule chose qui semble suffisamment claire en ce qui concerne la question du dommage en application de l’article 82 est la dissonance entre la pratique et la rhétorique ». Mais l’article 82 CE étant une disposition de droit de la concurrence, et non de droit de la consommation, le critère d’application est limité à la restriction de concurrence, et le seul dommage au consommateur sans une telle restriction est insuffisant pour sanctionner les com(*)

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Les opinions exprimées sont purement personnelles.

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portements. Néanmoins, en l’absence d’une définition claire par la Commission européenne du standard de dommage au bien-être du consommateur que l’institution met pourtant elle-même en avant, « l’article 82 CE demeure un domaine juridique qui pose plus de questions qu’il n’en résout ».

> Legal Uncertainty and Competition policy in European Deregulated Electricity Markets : the Case of Long-term Exclusive Supply Contracts Adrien de Hauteclocque, World Competition, vol. 32, n° 1, mars 2009, p. 91 La question des contrats d’approvisionnement de long terme en électricité est d’une actualité brûlante, avec des procédures en cours au niveau communautaire concernant certains producteurs historiques, parmi lesquels EDF. Cette question est, pour l’auteur, topique des difficultés posées par l’approche « plus économique » de la règle de raison dans des secteurs où les autorités de concurrence manquent d’informations sur la dynamique concurrentielle qui découle du processus de libéralisation. La question des contrats d’approvisionnement de long terme est cependant une priorité de la Commission européenne, qui en souligne les effets anticoncurrentiels. L’auteur insiste cependant sur l’absence de précédents en la matière, source d’une forte incertitude pour les opérateurs. L’auteur pose donc les jalons de l’analyse économique. Tout d’abord, du point de vue des contractants, l’intérêt des contrats de long terme est qu’ils permettent de limiter leur risque de prix et de quantité sur la durée. En contrepartie, cependant, ces contrats constituent une barrière à l’entrée sur le marché de nouveaux concurrents et limitent le développement du marché de gros spot. De ces effets contrastés découle l’idée que l’impact des contrats de long terme sur l’ouverture des marchés est délicat à évaluer et que « l’application aveugle du droit de la concurrence dans l’électricité pourrait créer des incitations pour plus d’intégration verticale et mettre en danger l’allocation contractuelle optimale du risque entre les parties, ce qui irait à l’encontre des objectifs de l’Union européenne en terme d’efficacité de marché et d’investissement ». L’auteur considère cependant qu’une « nouvelle méthodologie » dans l’évaluation des effets d’exclusion émerge actuellement dans la pratique de la Commission européenne, dont l’exemple le plus clair est celui de l’affaire Distrigaz. Cette méthodologie résulte notamment d’une approche unifiée dans l’application des articles 81 et 82 CE et d’une convergence dans l’application du droit dans divers secteurs. L’existence d’une telle approche n’est cependant pas une panacée, l’auteur soulignant qu’il n’existe aucune raison justifiant que le secteur de l’énergie soit traité de la même manière que celui de la bière ou des glaces.

> La nouvelle approche de la Commission dans la mise en œuvre de l’article 82 CE Mona Chammas, JTDE 2009, p. 69

ENTENTES > « Publicly Distancing » Oneself from a Cartel David Bailey, World Competition, vol. 31, n° 2, p. 177

> EC Commission’s Post-Conference Maritime Transport Guidelines – true guidance to navigate through antitrust compliance Dr Peter D. Camesasca et Anna K. Schmidt, ECLR, vol. 30, n° 3, p. 143

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Timothy J. Brennan, The Antitrust Bulletin, vol. 53, n° 4, winter 2008, p. 967

AIDES D’ÉTAT > The Current Financial Crisis and State Aid in the EU Abel M. Mateus, European Competition Journal, vol. 5, n° 1, avr. 2009, p. 1

> European commission Adopts Guidance on State Aids to the Financial Sector Catriona Hatton et Jean-Michel Coumes, ECLR, vol. 30, n° 2, 2009, p. 51

PERSPECTIVES À LIRE

> RPM as Exclusion : Did the US Supreme Court Stumble Upon the Missing Theory of Harm ?

tion même de la prescription » et qui « voudrait dire que la décision publique crée le droit à la réparation ». La critique est d’autant plus percutante que la décision publique est en revanche susceptible de marquer le point de départ du délai de prescription, puisqu’on pourra estimer que la victime peut raisonnablement être considérée comme ayant connaissance de l’infraction à partir de la décision.

> The Relationship Between Public Antitrust Enforcement and Private Actions for Damages Wouter P.J. Wils, World Competition, vol. 32, n° 1, mars 2009, p. 3

Droit processuel et institutionnel > La nouvelle Autorité de la concurrence Interview de Bruno Lasserre, Concurrences, 1-2009, p. 6

ACTIONS PRIVÉES > Inciter les actions en dommages et intérêts en droit de la concurrence – Le point de vue d’un processualiste Soraya Amrani-Mekki, Gaz. Pal. 22 au 26 mars 2009, pp. 4-5 Après le Livre blanc de la Commission européenne, l’auteur s’interroge sur l’incitation des actions en dommages et intérêts. Si l’évolution du droit de la concurrence va vers le renforcement des droits des victimes, il faut se demander, selon l’auteur, non seulement si l’incitation des actions privées est souhaitable, mais également si elle est réaliste. Pour assurer l’effectivité de la politique incitatrice des actions privées, il faut d’abord « banaliser » la qualité à agir, la conférer à toute victime d’une pratique anticoncurrentielle. Ceci implique de ne pas limiter l’action en réparation aux consommateurs finals, puisque les victimes de pratiques anticoncurrentielles se situent souvent sur des marchés intermédiaires. Il faut ensuite admettre des options processuelles évitant de multiplier les actions individuelles causées par la même pratique. L’auteur envisage les actions représentatives (actions d’entités pour la défense d’un intérêt collectif) et les actions collectives (actions de groupe). L’auteur se penche ensuite sur les moteurs de l’action privée et le coût de l’action en justice. À cet égard, si le Livre blanc appelle de ses vœux une réduction des frais de procédure, l’auteur souligne que ceux-ci « sont loin de couvrir la totalité du coût du procès ». Les vraies questions touchent, en revanche, à la représentation. Faut-il adopter une représentation qui jouerait également un rôle de gestion du risque procédural, notamment en permettant un système de contingency fee, qui assurerait un gage d’incitation à l’action? Un tel système a pour inconvénient de réduire la part d’indemnisation des victimes (au profit de leurs avocats), si bien que l’auteur propose de se pencher sur d’autres systèmes de financement (l’autofinancement, l’aide juridictionnelle et le financement par les tiers). Une mesure radicale de réduction des coûts reste, bien sûr, la possibilité de les éviter en incitant au règlement extrajudiciaire des litiges. C’est ce qui conduit le Livre blanc à suggérer aux États membres d’adopter des règles de procédure incitant à la transaction. L’auteur se consacre enfin à la question du temps, « obsession des processualistes », c’est-à-dire le point de départ et la suspension des délais de prescription. À cet égard, l’auteur critique la proposition de la Commission d’ouvrir un nouveau délai de prescription à la date d’adoption de décisions constatant une infraction, solution « qui irait à l’encontre de l’institu-

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> Virginie Beaumeunier : Une Rapporteure générale pour l’Autorité de la concurrence Interview de Virginie Beaumeunier, Concurrences, 2-2009, p. 6

> Competition Law Proceedings before the European Commission and the Right to a Fair Trial : No Need for Reform ? Donald Slater, Sébastien Thomas et Denis Waelbroeck, European Competition Journal, vol. 5, n° 1, avr. 2009, p. 97

> Unbundling through the Back Door… the case of network divestiture as a remedy in the energy sector Hubertus von Rosenberg, ECLR, vol. 30, n° 5, 2009 Cet article porte sur la pratique récente de la Commission européenne en matière d’engagements dans des affaires concernant le secteur de l’énergie. Cette pratique a consisté à mettre en œuvre des engagements de la part d’opérateurs dominants dans les secteurs de l’électricité et du gaz de céder leurs réseaux, alors même que la question de la séparation patrimoniale, prônée par la Commission dans le cadre du troisième paquet énergie, faisait l’objet d’âpres discussions au sein de l’exécutif et du Parlement européen. Selon l’auteur, cette pratique ne constitue cependant pas la mise en œuvre imposée par la Commission d’une solution légale non adoptée par les parlementaires européens. L’application du principe de proportionnalité agirait ainsi comme un neutralisateur des « ambitions politiques » de la Commission, en liant le remède au cas d’espèce.

> Indépendance et interdépendance des juridictions et autorités de concurrence (éléments de droit comparé) Silvia Pietrini, LPA 2009, n° 62, p. 7

> Is it time to rebrand legal professional privilege in EC competition law ? Gavin Murphy, ECLR, vol. 30, n° 3, 2009, p. 125

> The EC Commission’s 2006 Fine Guidelines Reviewed from an Economic Perspective : Risking Overdeterrence Patrick Van Caysteele, Peter D. Camesasca et Kristian Hugmark, The Antitrust Bulletin, vol. 53, n° 4, winter 2008, p. 1083

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À LIRE PERSPECTIVES

> Inciter les actions en dommages et intérêts en droit de la concurrence Soraya Amrani-Mekki, Gaz Pal. 22 au 24 mars 2009, p. 5 et Gaz. Pal. 25 au 26 mars 2009, p. 4

ÉTUDES TRANSVERSALES ET SECTORIELLES > La crise économique et financière, la régulation et la concurrence Frédéric Jenny, Concurrences, 2-2009, p. 59

> Programmes de conformité et risque de concurrence : Témoignages croisés d’un juriste d’entreprise et d’un avocat Michel Debroux et Rémy Sainte Fare Garnot, Concurrences, 2-2009, p. 230

> Puissance d’achat et politique de concurrence Étienne Pfister, Concurrences, 1-2009, p. 34 Cet article passe en revue la théorie économique concernant la puissance d’achat et la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence. L’analyse économique aboutit à des conclusions ambiguës. Au-delà de la puissance d’achat dans le cadre de relations bilatérales, la doctrine s’est intéressée aux effets de la puissance d’achat sur l’investissement des producteurs – un débat irrésolu tant les incitations opposées sont susceptibles de jouer – et sur la concurrence entre distributeurs – avec un risque de hausse des prix pour les concurrents d’acheteurs puissants. Cette ambiguïté est reflétée dans la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence en matière de contrôle de la puissance d’achat. À cet égard, l’auteur rappelle que ce contrôle a évolué avec les lois Chatel et de modernisation de l’économie, qui ont modifié les dispositions de l’article L. 442-6 I.1° du Code de commerce et l’exclusion des remises et ristournes du calcul de vente à perte. De fait, le Conseil de la concurrence a trouvé un rôle accru dans le contrôle des comportements d’exercice de puissance d’achat. Celle-ci a ainsi pu être appréhendée en tant que facteur

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d’intensité concurrentielle et en tant qu’abus, la puissance d’achat pouvant conduire à réduire la concurrence sur les marchés aval, même si ce dernier cas de figure s’est rarement présenté. L’auteur conclut au bien-fondé d’une approche considérant la puissance d’achat comme un élément positif du bilan concurrentiel, tout en soulignant que, « dans certaines circonstances bien précises, les effets de la puissance d’achat peuvent toutefois s’avérer plus ambigus », notamment lorsqu’elle passe par une baisse des quantités achetées ou l’établissement de liens exclusifs ou détrimentaux pour les concurrents sur le marché aval. Aussi, « le meilleur moyen de s’assurer que la puissance d’achat continue de s’exercer au bénéfice des consommateurs est de préserver ou de renforcer la concurrence entre les acheteurs-revendeurs, le cas échéant grâce à des interventions structurelles adaptées sur les marchés avals ».

> Powers and duties of arbitrators in the application of competition law : an EC approach in the light of recent developments Epameinondas Stylopoulos, ECLR, vol. 30, n° 3, 2009, p. 118

> Women in Antitrust Global Competition Review, vol. 12, n° 5, mai 2009, p. 7 Le sujet du rôle des femmes dans le secteur de l’antitrust est d’actualité avec la nomination de Christine Varney à la tête de la section antitrust du DoJ. Le GCR s’intéresse ainsi à la place des femmes en droit de la concurrence. L’article est assez superficiel, mais le papier comporte un grand nombre d’interviews intéressantes de personnalités incontournables du droit de la concurrence, y compris celles d’Eleanor Fox, de Neelie Kroes et de Christine Varney.

> Next Steps in the Evolution of Antitrust Law : What to Expect from the Roberts Court Gregory J. Werden, Journal of Competition Law & Economics, vol. 5, n° 1, mars 2009, p. 49

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