Sindbad le marin - Centre de la Gabrielle

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Sindbad le marin est un des contes des « mille et une nuits ». Composé ... Après bien d'autres récits, au bout de 1001 nuits, le calife finira par lui ac- corder sa ...
Les élèves sont partis du texte intégral de Sindbad le marin traduit par Antoine Galland. La méthode de travail était axée principalement sur l’imprégnation de l’histoire par les élèves grâce à la lecture de l’enseignant ; les élèves ont ainsi restitué oralement l’histoire de Sindbad avec pour objectif de produire un message écrit plus contemporain et accessible aux adolescents, tout en respectant les règles du langage écrit. En parallèle, dix-sept adultes en situation de handicap mental accompagnés par le Foyer Art et Vie (FAV) du Centre de la Gabrielle ont travaillé, en atelier de peintures, sur des illustrations. Le FAV articule tout son travail d’accompagnement autour de l’art. Ce travail favorise l’expression individuelle, suscite le désir de création et permet d’aller à la rencontre des autres. Ce texte sera diffusé et présenté à des élèves de classe de 5ème en collège et à toutes les écoles qui nous solliciteront. Il donnera l’occasion aux élèves de l’IME et aux artistes du FAV de présenter leur travail. Ce texte illustré s’adresse au plus grand nombre.

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indbad le mari

Dix adolescents en situation de handicap mental, scolarisés à l’Institut Médico-Educatif (IME) du Centre de la Gabrielle à Claye-Souilly, vous proposent une réécriture d’un conte des Mille et Une Nuits : Sindbad le marin.

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Sindbad le marin

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Sindbad Le marin

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Sindbad le marin

Préface Sindbad le marin est un des contes des « mille et une nuits ». Composé de sept récits qui sont autant de voyages, il rappelle que le monde, notre monde, est merveilleusement prodigue de richesses et nous révèle que celles-ci sont à la portée de tous à condition d’acquérir la sagesse pour les découvrir. Des adolescents et des adultes en situation de handicap mental du Centre de la Gabrielle (MFP), aidés par une institutrice et une monitrice artistique, ont choisi comme projet de réécrire et d’illustrer, avec leur propre regard et toutes leurs richesses, Sindbad le marin. L’objet de cette histoire est de se faire connaître, autant que de se faire reconnaître, au delà du centre par des enfants des collèges de Seine-et-Marne, et pourquoi pas par un public encore plus large. Dans beaucoup de contes, figurent des fées ou des magiciens dont la mission est d’aider les héros en leur apportant une aide. Toutes proportions gardées nos administrateurs ont voulu tenir ce rôle de facilitateur à la réalisation du livre. Et puisque nous sommes dans le domaine des contes nous formons le vœu que cette oeuvre permette un enrichissement mutuel de celles et ceux qui l’ont réécrite et illustrée, et des lecteurs. Au cours de ces sept voyages, Sindbad le marin a compris qu’en acquérant de la sagesse il pouvait s’offrir de nombreuses richesses. Puisse ce livre enrichir le cœur de chacun d’entre nous.

Général de Corps d’Armée (2s) Claude LEPETIT Président de la CNG-MG

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Sommaire 6

Résumé

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Présentation des personnages

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Histoire de Sindbad le marin

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Premier voyage de Sindbad le marin

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Second voyage de Sindbad le marin

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Troisième voyage de Sindbad le marin

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Quatrième voyage de Sindbad le marin

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Cinquième voyage de Sindbad le marin

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Sixième voyage de Sindbad le marin

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Septième voyage de Sindbad le marin

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Résumé L’histoire de Sindbad est racontée par Schéhérazade. Condamnée à mort par le calife de Bagdad, elle commence pendant la nuit une histoire qu’elle arrête au matin. Curieux de connaître la suite, le souverain la laisse vivre jusqu’à la nuit suivante où elle reprend son récit. Pendant 30 nuits, elle conte l’histoire de Sindbad. Après bien d’autres récits, au bout de 1001 nuits, le calife finira par lui accorder sa grâce. Les voyages de Sindbad le conduisent aux limites du monde où il rencontre des lieux et des êtres extraordinaires, merveilleux et souvent monstrueux. Mais les dangers le mènent aussi aux limites de lui-même, l’obligeant à faire preuve d’une astuce et d’un courage remarquables. Dans les pires situations, Sindbad affirme qu’il veut vivre et, trouvant un moyen de se sauver, il s’en retourne chez lui plus puissant et plus riche. Il se montre alors généreux envers les pauvres. Mais, dans ses aventures, il se découvre aussi égoïste, menteur, voleur et même capable d’assassiner.

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Présentation des personnages Schéhérazade Jeune femme qui raconte les aventures de Sindbad au roi Schahriar pour éviter une mort certaine. Schahriar Roi, trompé par sa femme, la tue et pour se venger épouse chaque jour une vierge qu’il tue au matin de la nuit de noces. Haroun Al Rachid Sultan des Indes régnant sur Bagdad de 786 à 809. Sindbad Héros de l’histoire qui vit plein d’aventures fantastiques. Hindbad Porteur de marchandises à Bagdad à qui Sindbad raconte ses aventures. Le Roi de Serendib Roi qui a permis à Sindbad de rentrer chez lui. Personne importante dans l’acquisition des richesses de Sindbad. Le Rock Gigantesque oiseau présent sur l’Ile aux Serpents. Animal-clé dans la richesse de Sindbad.

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Histoire de Sindbad le marin Sire, sous le règne de ce même calife 1 Haroun al-Rachid 2, il y avait à Bagdad 3 un pauvre porteur 4 nommé Hindbad. Un jour qu’il faisait une chaleur étouffante, il portait une lourde charge d’une extrémité de la ville à une autre. Comme il était très fatigué du chemin qu’il avait déjà fait et qu’il lui en restait encore beaucoup à faire, il arriva dans une rue où soufflait une brise légère et dont le pavé était arrosé d’eau de rose. Ne pouvant désirer un lieu plus favorable, il posa sa charge à terre, et s’assit dessus auprès d’une grande maison. D’agréables parfums de bois d’aloès 5 et de pastilles 6 se mêlaient à l’odeur de rose. De la fenêtre parvenait la musique de plusieurs instruments qui accompagnaient le chant des rossignols et d’autres oiseaux du pays. Ce concert et la fumée des viandes grillées lui firent penser qu’un festin avait lieu en cet endroit. Il décida de se renseigner sur le propriétaire de la maison. Un valet, étonné qu’il ne connaisse pas son maître, lui répondit : « Comment ! vous vivez à Bagdad, et vous ignorez que c’est ici la demeure du seigneur Sindbad le marin, ce fameux voyageur qui a parcouru toutes les mers que le soleil éclaire ? » Le porteur, qui avait entendu parler de ses richesses et les enviait, ne put s’empêcher de dire à voix haute : « Puissant créateur, voyez la différence qu’il y a entre Sindbad et moi ; je souffre tous les jours mille fatigues et mille maux, et j’ai bien de la peine à me nourrir, moi et ma famille, pendant que l’heureux Sindbad dépense sans compter pour ses plaisirs. Qu’a-t-il fait pour obtenir une vie si agréable ? Qu’ai-je fait, moi, pour en mériter une si dure ? » Et de désespoir, il frappa le sol du pied. Il était encore occupé par ses tristes pensées, quand un valet s’approcha et lui dit: « Venez, suivez moi ; le seigneur Sindbad, mon maître, veut vous parler. » ::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 1 Calife : souverain des Musulmans. 2 Haroun-al-Rachid : calife de Bagdad de 786 à 809. Sous son règne, Bagdad vécut dans une grande prospérité. 3 Bagdad : capitale de l’Irak fondée en 750. 4 Porteur : homme dont le métier est de transporter des marchandises sur son dos. 5 Aloès : plante à feuilles dentées utilisée en médecine et en parfumerie. 6 Pastille : pâte odorante que l’on brûle pour parfumer l’air.

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rym belazreg

hilaire bimouanga

Le jour qui parut en cet endroit empêcha Shéhérazade 7 de continuer cette histoire ; mais elle la reprit ainsi le lendemain : ::: lxx e

nuit :::

Hindbad craignait qu’on vienne le chercher pour le maltraiter à cause du discours qu’il venait de tenir. Il répondit donc qu’il ne pouvait abandonner sa charge dans la rue ; mais le valet lui promit d’en prendre soin et insista tellement qu’il fut obligé de le suivre. Il l’introduisit dans une grande salle, où il y avait un bon nombre de personnes autour d’une table couverte de mets délicats. On voyait à la place d’honneur un personnage grave, bien fait et vénérable avec une longue barbe blanche ; derrière lui une foule d’officiers et de domestiques s’empressaient de le servir. Ce personnage était Sindbad.

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isabelle lambert

Hindbad, très intimidé, salua la compagnie en tremblant. Sindbad lui dit de s’approcher, l’installa à sa droite et lui servit lui-même vin et nourriture. Vers la fin du repas, comme ses invités ne mangeaient plus, il prit la parole, et, s’adressant à Hindbad en l’appelant frère, selon la coutume des Arabes lorsqu’ils se parlent familièrement, il lui demanda comment il se nommait et quelle était sa profession. Puis il ajouta : «Je voudrais que vous me répétiez ce que vous disiez tout à l’heure dans la rue.» Très gêné, Hindbad baissa la tête et le pria de lui pardonner ses propos inconvenants qui lui avaient échappé à cause de sa grande lassitude. «Je comprends votre situation, reprit Sindbad. Au lieu de vous faire des reproches, je vous plains; mais vous vous trompez si vous croyez que j’ai obtenu sans peine tout ce confort. Je peux vous assurer, ajouta-t-il en s’adressant à toute la compagnie, que j’ai enduré des travaux et des souffrances si terribles qu’ils sont capables d’ôter aux hommes les plus avides l’envie de traverser les mers pour s’enrichir. Vous n’imaginez pas tous les dangers que j’ai courus durant mes sept voyages. Je vais vous en faire un récit fidèle. Je crois que vous ne serez pas fâchés de l’entendre: :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 7 Schéhérazade : c’est Schéhérazade qui raconte l’histoire de Sindbad au roi Schahriar. Celui-ci, trompé par sa femme, la tue et pour se venger décide d’épouser chaque jour une nouvelle femme qu’il tue après la nuit de noces. Quand vient le tour de Schéhérazade, pendant la nuit de noces, elle commence à raconter une histoire qu’elle interrompt au lever du jour. Curieux de connaître la suite, le roi remet au lendemain sa mise à mort. La seconde nuit, Schéhérazade utilise la même ruse et le roi lui accorde une nouvelle journée de vie. Et ainsi pendant mille et une nuits jusqu’à ce que le roi renonce à sa vengeance et laisse la vie sauve à Schéhérazade qui devient reine.

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Premier Voyage de Sindbad le marin « J’avais hérité de grandes richesses dont je gaspillai la plus grande partie dans les plaisirs. Mais revenant à la raison, je me rendis compte qu’elles n’étaient pas inépuisables et que je perdais mon temps inutilement. Je me souvins aussi de la phrase de Salomon 8 que j’avais entendue citée par mon père. “Il vaut mieux être dans le tombeau que dans la pauvreté ”. C’est pourquoi je décidai de vendre ce qui me restait de meubles aux enchères ; je me rendis à Bassora 9 où j’embarquai sur un bateau que nous avions équipé avec plusieurs autres marchands à frais communs 10. Nous prenons la route des Indes orientales par le golfe persique en direction des îles de Varvak 11. Au cours de notre navigation, nous faisons halte dans plusieurs îles pour vendre ou échanger nos marchandises. Un jour de grand calme, par une mer sans vagues, nous apercevons à fleur d’eau une île toute verte ; le capitaine nous autorise à y débarquer ; je suis du nombre de ceux qui veulent y aller. Mais, pendant que nous nous reposons des fatigues de la mer en buvant et mangeant, l’île tout à coup tremble et nous secoue fortement. » :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 8 9 10 11

Salomon : dans la bible, roi d’Israël (-972 à -932) réputé pour sa sagesse. Bassora : port sur le golfe Persique à frais communs : en partageant les frais. Iles de Varvak : îles imaginaires, situées selon les Arabes au-delà de la Chine ; ce sont peut-être les îles du Japon.

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hilaire bimouanga

thomas galissant

A ces mots, Shéhérazade s’arrêta, parce que le jour commençait à paraître. Elle reprit ainsi son discours sur la fin de la nuit suivante : ::: lxxi e

nuit :::

Sire, dit-elle, Sindbad poursuit ainsi son histoire : « Du bateau, on s’aperçoit du tremblement de l’île ; on nous crie de nous rembarquer rapidement ; que nous allons tous périr ; que ce que nous avons pris pour une île est en fait le dos d’une baleine. Les plus rapides se sauvent dans la chaloupe 12, d’autres partent à la nage. Pour moi, au moment où la baleine plonge, je réussis à me saisir d’un bout de bois qu’on avait apporté pour faire du feu, mais le capitaine, après avoir recueilli les autres naufragés, hisse les voiles et m’abandonne à mon triste destin. Pendant un jour et une nuit, j’affronte les flots qui me ballottent de droite à gauche. Le lendemain, à bout de forces, alors que je n’ai plus l’espoir d’échapper à la mort, je suis jeté par une vague en direction d’une île au rivage escarpé 13 ; et je n’aurais pu y monter si quelques racines d’arbre ne n’avaient donné prise. Une fois à terre, je m’étends à demi mort. Au lever du soleil, malgré ma fatigue, je me mets à la recherche de nourriture : je trouve quelques herbes bonnes à manger et par bonheur une source d’excellente eau. Après avoir repris des forces, j’avance à l’aventure et j’arrive dans une plaine où j’aperçois une cavale 14 en train de paître. Je me dirige vers elle, flottant entre la joie et la crainte. Pendant que j’admire sa beauté, j’entends une voix venant de sous la terre ; puis un homme paraît à qui je raconte ma mésaventure. Il me prend par la main et me conduit dans une grotte où il y a d’autres hommes aussi étonnés que lui de me voir. Ils m’expliquent qu’ils sont les palefreniers 15 du roi Mirhage. Chaque année, à cette période, leur tâche est de conduire ici les cavales pour qu’elles se reproduisent avec un cheval marin qui sort des flots ; mais ils doivent protéger :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 12 Chaloupe : canot qui sert pour le débarquement et le sauvetage des passagers. 13 Escarpé : d’accès difficile à cause de sa hauteur. 14 Cavale : belle jument de race.

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la jument qui risque de se faire dévorer par le mâle après l’accouplement. Seuls les cris des hommes font fuir l’animal qui replonge dans la mer. Ils ramènent ensuite les juments à la ville : les petits qui en naîtront sont destinés au roi et appelés “ chevaux marins ”. J’avais eu de la chance de les rencontrer car si j’étais arrivé un jour plus tôt, sans guide pour me conduire jusqu’aux habitations, j’aurais risqué la mort. Le lendemain, ils me conduisent jusqu’à la capitale. Mirhage, le roi de l’île à qui je raconte ma mésaventure me prend en pitié et demande qu’on prenne soin de moi. La capitale du royaume est située en bord de mer et a un beau port où abordent des bateaux de tous les pays ; j’y rencontre des étrangers qui me donnent des nouvelles du monde et des savants venus de l’Inde. Je me rends à l’île de Cassel qui est sous la domination du roi Mirhage. Comme on y entend toutes les nuits un bruit de timbales, on dit que Deggial 16 y demeure ; en chemin, je vois des poissons de cinquante à cent mètres de long mais qui font plus de peur que de mal et d’autres plus petits mais qui ont des têtes de hiboux. Un jour, sur le port, comme on débarque des marchandises, j’aperçois mon nom sur quelques ballots ; je reconnais mon chargement et même le capitaine. Je lui demande à qui appartiennent ces affaires ; il me répond qu’elles sont à un marchand, nommé Sindbad, mort noyé après s’être arrêté avec d’autres marins sur le dos d’une baleine qu’ils avaient pris pour une île ; “Capitaine, lui dis-je, je suis ce Sindbad que vous croyez mort : ces ballots sont mon bien et ma marchandise” ». :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 15 Palefrenier : personne chargée du soin des chevaux. 16 Deggial : chez les Musulmans, l’Antéchrist qui viendra à la fin du monde conquérir toute la terre sauf les villes saintes préservées par des anges.

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rym belazreg

Shéhérazade n’en dit pas davantage cette nuit, mais continua ainsi le lendemain : ::: lxxii e

nuit :::

Cette réponse étonne le capitaine : « Grand Dieu ! s’écrie-t-il, à qui se fier aujourd’hui ? J’ai vu de mes propres yeux périr Sindbad. Malgré tes airs honnêtes, avec quelle audace tu me mens pour t’emparer d’un bien qui ne t’appartient pas ! ». Pour le convaincre, je lui raconte mon aventure et la façon dont j’ai survécu. Plusieurs marins me reconnaissent. Ce capitaine était un homme honnête ; il se réjouit de me voir sain et sauf, me rend mes affaires et refuse les quelques marchandises que je voulais lui offrir en remerciement. Je donne ce que j’ai de plus précieux au roi Mirhage qui, en retour, me fait des dons bien plus considérables. Avant de remonter sur le bateau, j’échange le reste de mes marchandises contre du bois d’aloès, du santal 17, du camphre 18, de la muscade, du clou de girofle, du poivre et du gingembre 19. Je les revends en chemin au cours de nos escales et j’arrive ici avec cent mille sequins 20 qui me permettent d’acheter des esclaves, des terres et une grosse maison. Et c’est ainsi que je m’établis, me promettant d’oublier les maux que j’avais soufferts et de jouir des plaisirs de la vie. » Sindbad arrêta ici son récit et offrit une bourse de cent sequins à Hindbad, lui proposant de revenir le lendemain avec les autres invités pour entendre la suite de ses aventures. Hindbad s’habilla le lendemain plus proprement que le jour précédent. Après le repas, Sindbad prit de nouveau la parole : « Messieurs, je vous prie de vouloir bien écouter les aventures de mon second voyage ; elles sont plus dignes de votre attention que celles du premier. » Et il parla en ces termes : :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 17 18 19 20

Santal : bois odorant utilisé en parfumerie. Camphre: substance aromatique obtenue par la distillation du bois du camphrier et utilisée en médecine. Muscade, clou de girofle, poivre, gingembre : épices utilisées pour la cuisine. Sequin : ancienne monnaie d’or.

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angélique gérard

Second Voyage de Sindbad le marin « J’avais pris la résolution 21 de vivre tranquillement le reste de mes jours à Bagdad. Mais je ne tardai pas à m’ennuyer. L’envie de voyager et de faire du commerce me reprit. J’achetai donc les marchandises nécessaires à mon négoce 22 et je partis une seconde fois avec d’autres marchands dont l’honnêteté m’était connue. Après avoir prié Dieu, nous nous embarquons sur un bon navire. Nous allons d’îles en îles où nous faisons des échanges très avantageux. Un jour, nous débarquons sur une île couverte d’arbres fruitiers, mais si déserte qu’on n’y voit ni habitation ni âme qui vive. Nous nous promenons dans les prairies et le long des ruisseaux qui les arrosent. Pendant que mes compagnons récoltent des fruits et des fleurs, je prends des provisions et du vin et je m’assois à l’ombre de grands arbres. Je fais un assez bon repas et m’assoupis 23, je ne peux vous dire combien de temps mais, à mon réveil, le navire avait disparu. » :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 21 Résolution : décision. 22 Négoce : commerce. 23 Je m’assoupis : je m’endors.

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christelle desprez

Shéhérazade s’arrêta pour reprendre la nuit suivante. ::: lxxiii e

nuit :::

« Etonné de ne plus voir le bateau à l’ancre, je me lève et regarde tout autour de moi, mais plus aucun de mes compagnons n’est là, j’aperçois seulement, au loin, la voile du navire. Je pousse des cris épouvantables, je me frappe la tête, me jette par terre où je reste longtemps à remuer de sinistres pensées. Cent fois, je me reproche d’avoir entrepris ce second voyage. Finalement, me résignant à la volonté de Dieu, je grimpe en haut d’un arbre pour voir si je n’aurais pas quelque raison d’espérer. En scrutant 24 les alentours, j’aperçois au loin, côté terre, quelque chose de blanc ; je descends de mon arbre, rassemble mes vivres et marche vers ce que j’ai vu. Ce que je découvre en m’approchant est une énorme boule blanche, lisse, douce. J’en fais le tour sans trouver aucune ouverture. Tout à coup, comme couvert d’un épais nuage, le ciel s’assombrit ; je m’en étonne, mais plus encore quand je comprends que la cause de cette obscurité est un oiseau d’une taille extraordinaire qui vole vers moi ; je me souviens alors d’avoir entendu les marins parler d’un oiseau géant appelé rock et j’en déduis que cette boule est son œuf. En effet, l’animal se pose dessus comme pour le couver. Serré contre l’œuf, j’ai devant moi une des pattes de l’oiseau, grosse comme un tronc d’arbre. L’idée me vient de m’y attacher fortement à l’aide de mon turban en espérant qu’en reprenant son envol le rock m’emportera loin de cette île. Effectivement, dès le lendemain, il m’enlève si haut dans le ciel que je ne vois plus la terre, puis tout à coup, il descend si rapidement que j’en perds toute sensation. J’ai à peine le temps de me détacher que l’oiseau, d’un coup de bec, se saisit d’un serpent immense et reprend son vol. :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 24 Scruter : examiner attentivement.

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La vallée où il m’a laissé est très profonde et fermée par des montagnes qui se perdent dans les nuages, sans aucun chemin pour y monter. Ma situation me paraît pire encore que dans l’île que je viens de quitter. En marchant dans cette vallée, je m’aperçois qu’elle est parsemée de diamants d’une grosseur surprenante mais aussi pleine de serpents effrayants, assez gros pour engloutir un éléphant. Pour échapper au rock, ils se retirent dans leur antre 25 pendant le jour et n’en sortent que la nuit. Après avoir marché toute la journée, je passe la nuit dans une grotte dont je bouche l’entrée avec une pierre mais je ne peux dormir à cause des sifflements effrayants des serpents. Le lendemain, je reprends ma marche encore tremblant et, à la fin, je m’assois, tellement fatigué que je m’assoupis parmi les diamants. Un grand bruit me réveille : ce sont de grosses pièces de viande qui dévalent du haut des rochers. Ce que racontent les marins et que j’avais toujours pris pour un conte était donc vrai ! Ils disent qu’au moment où les aigles ont des petits, les marchands jettent de grosses pièces de viande du haut des rochers, dans cette vallée inaccessible. Elles tombent sur les diamants qui y restent fichés par leur pointe. Les aigles, plus forts qu’ailleurs dans ce pays, fondent sur les morceaux de viande et les emportent dans leur nid, en haut de la montagne. Les marchands, alors, n’ont plus qu’à les éloigner par leurs cris et récupérer les diamants piqués dans la viande. Cela me donne une idée. » Le jour qui parut en cet endroit imposa silence à Schéhérazade ; mais elle poursuivit cette histoire le lendemain : ::: lxxiv e

nuit :::

« Je commence à ramasser les plus gros diamants que je vois pour en remplir mon sac, puis je choisis un morceau de viande assez long que j’attache autour de ma taille avec mon turban et je me couche ventre contre terre. Les aigles arrivent et chacun se saisit d’une pièce de viande qu’il emporte. :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 25 Antre : endroit creux (par ex. caverne ou grotte) qui sert d’abri ou de cachette.

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lydie enocq

françois peeters

L’un d’entre eux m’enlève en haut de la montagne et me dépose dans son nid. Les marchands qui attendaient les rocks crient pour les effrayer et les obliger à quitter leur proie. Celui qui s’approche de moi, d’abord pris de crainte de trouver un humain ici, se met ensuite en colère en pensant qu’il a affaire à un voleur de diamants. “Si vous me connaissiez, lui dis-je, vous me traiteriez avec plus de douceur. Mais rassurez-vous, j’ai dans mon sac assez de diamants pour vous et moi que j’ai choisis et ramassés moi-même dans la vallée.” D’autres marchands nous rejoignent à qui je raconte mon aventure. Mon astuce et plus encore mon courage les remplissent d’admiration. Ils me conduisent à leur logement. Là, je leur montre mes diamants et ils m’avouent n’en avoir jamais vu d’aussi gros. Je prie celui qui m’avait trouvé dans le nid d’en choisir pour lui autant qu’il en veut. Il se contente d’en prendre un seul et encore parmi les moins gros. Une fois que les marchands ont récupéré assez de pierres précieuses pour les revendre, nous marchons jusqu’au port à travers de hautes montagnes pleines de longs serpents. De là, nous passons sur l’île de Roha 26, où poussent des arbres si gros que sous chacun cent hommes peuvent facilement se mettre à l’ombre. Un suc coule par une ouverture que l’on fait en haut de l’arbre et se reçoit dans un vase où il prend consistance et devient ce qu’on appelle camphre. On y trouve aussi des rhinocéros qui se battent avec les éléphants. Avec sa corne, le rhinocéros perce l’éléphant sous le ventre et le hisse sur sa tête. Mais, en coulant, le sang et la graisse de l’éléphant l’aveuglent et il tombe à terre. Alors le rock vient et les enlève tous les deux. Nous continuons notre voyage d’îles en îles pour échanger les diamants et le camphre. De retour à Bassora, je rejoins Bagdad où je fais de grandes aumônes aux pauvres et profite enfin de mes richesses si difficilement gagnées. » Ce fut ainsi que Sindbad raconta son second voyage, il fit encore donner à Hindbad cent sequins et l’invita à revenir le lendemain à la même heure avec les autres invités pour écouter son troisième voyage. On se mit à table et à la fin du repas Sindbad commença son récit en ces termes : :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 26 Roha : île proche de Madagascar.

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bastien bergeret

Troisième Voyage de Sindbad le marin « Comme j’étais encore jeune, je m’ennuyais à vivre dans le repos : je décidai donc de partir de Bagdad avec de riches marchandises pour me rendre à Bassora où j’embarquai avec d’autres marchands pour une longue navigation. Un jour, en pleine mer, nous sommes surpris par une horrible tempête qui nous fait perdre notre route. Elle dure plusieurs jours et nous pousse vers une île où nous sommes contraints de mouiller. Notre capitaine nous avertit : “cette île et quelques autres autour sont habitées par des sauvages tout velus qui vont venir nous attaquer. Bien que ce soient des nains, nous ne devons pas leur résister car ils ont plus nombreux que des sauterelles et nous assommeraient s’il nous arrivait d’en tuer un.” » Le jour qui vient éclairer l’appartement de Schariar, empêcha Schéhérazade d’en dire davantage. La nuit suivante, elle reprit la parole en ces termes : ::: lxxv e

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« A ce moment, dit Sindbad, nous voyons apparaître un nombre incalculable de sauvages hideux, couverts de poils roux et hauts d’une soixantaine de centimètres, qui se jettent à l’eau et en peu de temps abordent notre navire en parlant un langage que nous ne comprenons pas. Ils s’agrippent aux bords et aux cordages et grimpent de tous côtés avec une agilité et une vitesse extraordinaires. Nous n’osons faire un geste ou dire un mot pour nous défendre. Ils déplient les voiles, coupent le câble de l’ancre ; puis après avoir approché le vaisseau de terre, ils nous font tous débarquer et repartent d’où ils sont venus en possession de notre navire. Seuls, livrés à nous-mêmes, nous avançons sur cette île inconnue où nous cueillons des fruits et des herbes avec la peur que ce soit notre dernier repas. En marchant, nous apercevons un grand édifice vers lequel nous dirigeons nos pas. C’est un palais bien bâti dont nous poussons les portes d’ébène 27. Nous entrons dans une cour et découvrons un vaste appartement avec d’un côté une :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 27 Ebène : bois très dur, d’un noir foncé.

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montagne d’ossements humains, de l’autre une multitude de broches à rôtir. Tremblants à cette vue, les jambes déjà coupées par la fatigue de la marche, nous tombons par terre et y restons longtemps immobiles, saisis d’une frayeur mortelle. Dans un grand fracas, une porte s’ouvre et apparaît un homme noir aussi haut qu’un palmier et au physique effrayant : un œil rouge au milieu du front, de longues dents pointues, une lèvre inférieure tombant sur la poitrine, des oreilles aussi grosses que celles d’un éléphant et des ongles longs et crochus comme les serres d’un oiseau. A sa vue, nous perdons tous connaissance, comme morts. Quand nous nous réveillons, nous le voyons assis dans le vestibule qui nous examine de son œil unique. Puis il s’approche, me saisit et me tourne de tous les côtés mais me trouvant trop maigre, il me lâche pour examiner mes autres compagnons. Le capitaine étant le plus gras de tout l’équipage, il le prend dans sa main comme j’aurais fait d’un moineau, lui passe une broche à travers le corps, allume un feu, le fait rôtir et le mange pour son souper. Après quoi, il s’endort en ronflant dans la même salle que nous. Au lever du jour, il se lève et sort du palais. Une fois seuls, après avoir gémi sur notre sort, nous cherchons un moyen de nous échapper, mais aucune solution ne nous vient à l’esprit et nous en remettant à Dieu, nous passons la journée à parcourir l’île en nous nourrissant de fruits et de plantes. Le soir, n’ayant pas trouvé d’autre endroit pour nous mettre à l’abri, nous regagnons le palais. Comme la veille, le géant réapparaît, choisit un de mes compagnons pour son dîner, et s’endort jusqu’au lendemain. Notre sort nous paraît si affreux que plusieurs d’entre nous sont prêts à se jeter à la mer, mais quelqu’un les raisonne en rappelant qu’il n’est pas permis de se donner la mort et qu’il serait bien plus sage de chercher à nous débarrasser de ce monstre. A mon tour, comme l’île est riche en bois, je propose de fabriquer des radeaux que nous laisserons sur la côte ; même si nous risquons de périr en mer, cela vaut encore mieux que d’être dévorés par le monstre. Mes compagnons approuvent mon idée et ensemble nous construisons des radeaux capables de porter trois personnes.

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mickaël rodriguez

A la nuit tombante, nous rejoignons le palais où le géant arrive pour dévorer encore un de nos compagnons. Une fois qu’il est endormi, dix d’entre nous saisissons chacun une broche dont nous faisons chauffer la pointe et tous en même temps nous l’enfonçons dans l’œil du géant. Fou de douleur, il se lève en poussant des cris terrifiants et tente de nous attraper en étendant les mains de tous côtés. Mais nous avons le temps de nous dissimuler. Après nous avoir cherchés en vain, il sort du palais en hurlant. » Shéhérazade, n’en dit pas davantage cette nuit. Mais la nuit, suivante elle reprit son histoire: ::: lxxvi e

nuit :::

Nous quittons à notre tour le palais pour rejoindre nos radeaux et nous attendons le jour en espérant que le monstre aura perdu la vie, malheureusement, au petit matin, nous voyons notre cruel ennemi revenir accompagné d’autres géants qui marchent à pas précipités.

aurélien garnier

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Aussitôt, nous nous jetons sur nos radeaux et ramons de toutes nos forces pour nous éloigner du rivage. Nos ennemis se munissent de gros rochers qu’ils lancent dans notre direction avec tant de précision qu’à l’exception du mien tous les radeaux sont brisés et leurs passagers noyés. Heureusement, mes deux compagnons et moi avions ramé avec tant de force que nous étions hors de leur portée. Une fois en pleine mer, nous sommes le jouet des vents jusqu’à la nuit mais nous réussissons le lendemain à accoster sur une île où des fruits poussent en abondance. Après nous être restaurés, nous nous endormons sur le rivage, mais soudain, un serpent long comme un palmier engloutit un des mes camarades malgré ses cris et ses efforts pour se débarrasser de l’animal qui le secoue, l’écrase contre terre et l’avale. Nous prenons la fuite et nous réfugions en haut d’un arbre pour y passer la nuit. De là, nous entendons un bruit que nous devinons être celui des os du malheureux que le serpent était en train de rendre. La nuit suivante, nous montons dans un arbre très haut pour nous mettre en sûreté mais le serpent arrive en sifflant et engloutit mon compagnon. Le lendemain, resté seul et frémissant d’horreur à la pensée du sort qui m’attend, je fais quelques pas pour aller me jeter dans la mer, mais comme il est doux de vivre aussi longtemps qu’on peut, je résiste à ce mouvement de désespoir. J’amasse du bois, des ronces et des épines sèches. J’en fais des fagots que j’attache ensemble en un grand cercle autour de l’arbre. Comme prévu, le reptile revient à la nuit tombée, tourne autour de l’arbre et cherche à me dévorer. Mais il ne peut y parvenir à cause du rempart que je m’étais fabriqué et il fait en vain jusqu’au jour le manège d’un chat qui assiège une souris dans un refuge où il ne peut pénétrer. Enfin, au matin, il finit par se retirer. J’ai tant souffert de son haleine empestée que je quitte ma forteresse désespéré, dans l’intention de me jeter à la mer la tête la première. »

31

A ces mots, Schéhérazade voyant qu’il était jour, cessa de parler. Le lendemain, elle continua cette histoire et dit au sultan : ::: lxxvii e

nuit :::

Sire, Sindbad poursuit ainsi son troisième voyage : « Au moment de me jeter à la mer, j’aperçois un navire au large. Je crie et je lui fais des signes avec mon turban déplié ; une chaloupe est mise à l’eau et vient me chercher pour embarquer sur le bateau où je raconte ma triste aventure. Après quelques jours de navigation, nous accostons sur l’île de Salahat réputée pour son bois de Santal 28. Au moment de débarquer les marchandises, j’ai la surprise d’entendre le capitaine donner l’ordre d’enregistrer un certain nombre de ballots sous le nom de Sindbad le marin, un marchand, me dit-il, qui a navigué sur son navire mais que, par mégarde 29, il a laissé sur une île déserte où il a péri. Je me fais alors reconnaître “Capitaine, je suis ce Sindbad qui est resté sur l’île et que vous croyez mort” ». Schéhérazade, en cet endroit, s’apercevant qu’il faisait jour, fut obligée de garder silence. Le lendemain, elle reprit ainsi le fil de son histoire. ::: lxxviii e

nuit :::

« Après m’avoir attentivement regardé, le capitaine me reconnaît. Heureux de me savoir en vie, il me restitue 30 mon bien ainsi que le profit tiré des autres marchandises vendues. De Salahat, nous nous rendons sur une autre île où je m’approvisionne en clous de girofle, cannelle et autres épices. Durant la longue navigation jusqu’à Bassora, nous rencontrons de drôles d’animaux : une tortue géante, un poisson qui tient de la vache car il donne du lait et dont la peau est si dure qu’on en fait habituellement des boucliers et encore un autre poisson qui a la figure et la couleur d’un chameau. :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 28 Santal : arbre dont l’essence est utilisée en parfumerie. 29 Par mégarde : sans faire exprès. 30 Restitue : rend.

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Arrivé à destination, je donne une partie de ma richesse aux pauvres et je rachète quelques terres. » Une fois fini le récit du troisième voyage, Sindbad donna une bourse à Hindbad en lui demandant de revenir le lendemain pour écouter le récit du quatrième voyage. Hindbad et la compagnie se retirèrent; et, le jour suivant, Sindbad prit la parole sur la fin du dîner, et continua ses aventures.

solène vitry

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sandrine bonier

Quatrième Voyage de Sindbad le marin « Tous les divertissements et les plaisirs que je pris après mon troisième voyage ne suffirent pas à apaiser mon envie de nouvelles aventures. Je décidai donc de repartir. Je traversai la Perse jusqu’à un port où j’embarquai avec d’autres marchands. Nous avions déjà atteint quelques îles orientales quand, un jour, un coup de vent nous surprend ; malgré tous les efforts du capitaine, le navire se brise sur un rocher entraînant la noyade d’un grand nombre de marchands et de matelots ainsi que la perte de notre cargaison. » Schéhérazade en était là quand elle vit paraître le jour. Elle s’arrêta, et Schahriar se leva. La nuit suivante, elle reprit ainsi le récit du quatrième voyage : ::: lxxix e

nuit :::

«Par chance, je réussis à m’accrocher à une planche avec le reste des survivants. Un fort courant nous pousse vers une île où nous trouvons des fruits et de l’eau douce pour reprendre des forces. Le jour suivant, en avançant dans l’île, nous découvrons des habitations vers lesquelles nous nous dirigeons. A notre arrivée, de nombreux noirs nous entourent, nous saisissent et après une sorte de partage nous conduisent chez eux. Ils nous invitent par signes à manger une certaine herbe sur laquelle mes camarades affamés se jettent avec avidité. Pour moi, je refuse même d’en goûter et je fais bien car je m’aperçois bientôt que mes compagnons ont l’esprit troublé et ne savent plus ce qu’ils disent. Ensuite, on nous sert en abondance du riz avec de l’huile de coco. En fait, ils voulaient nous engraisser car c’étaient des anthropophages 31 qui avaient l’intention de nous manger. C’est ce qui arriva à mes camarades. Pour moi qui avais gardé tout mon bon sens et mangé le moins possible, je finis par être si maigre et faible qu’ils m’épargnèrent pour le moment. De ce fait, plus personne ne prêtait attention à moi et j’étais donc libre d’aller où je voulais dans le village. J’en profitai pour m’évader ; pendant sept jours j’avancais dans l’île en me nourrissant de noix de coco. Le huitième jour, j’aperçu des hommes blancs occupés à la cueillette du poivre. :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 31 Anthropophages : hommes qui mangent d’autres hommes, cannibales.

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Schéhérazade n’en dit pas davantage cette nuit, et, la nuit suivante, elle poursuivit en ces termes : ::: lxxx e

nuit :::

« Ces gens s’approchent de moi et me demandent qui je suis et d’où je viens. Ravi de les entendre parler ma langue, je leur raconte ma mésaventure. Ils me font embarquer avec eux et nous nous rendons dans leur île où ils me présentent au roi. Ce bon prince me donne des habits et demande qu’on prenne soin de moi. L’île est peuplée et commerçante et je m’y console de mon malheur. J’ai la faveur du souverain et tous les habitants me considèrent comme un des leurs. Je remarque que le roi et les autres cavaliers montent à cru 32 et ignorent l’usage de la selle. Je vais donc chez un ouvrier et lui fais confectionner une selle d’après le modèle que je lui donne ; je demande aussi à un serrurier de faire un mors et des étriers de la forme que je lui montre. Puis, je présente ces objets au roi. Il est si satisfait de cette invention qu’il en commande pour ses ministres et ses officiers et me récompense par de grandes largesses. Un jour, le roi me fait venir. “Sindbad, me dit-il, j’ai une prière à te faire et il faut que tu m’accordes ce que je vais te demander : je veux te marier, pour que tu restes dans mon royaume et que tu ne songes plus à ta patrie.” Comme je n’ose résister à sa volonté, il me donne pour femme une dame de sa cour, noble, belle, sage et riche avec qui je suis pendant un temps parfaitement heureux. Cependant, Bagdad me manque et je souhaite y retourner à la première occasion. Un jour la femme d’un de mes voisins meurt. Comme nous sommes amis, je me rends chez lui pour le consoler. “Dieu vous garde, lui dis-je en l’abordant et vous donne longue vie.” “Hélas ! me répond-il, je n’ai plus qu’une heure à vivre ; on m’enterre aujourd’hui car la coutume de cette île veut que quand l’un des époux meurt, l’autre soit enseveli vivant avec lui.” Là-dessus, les parents, les amis arrivent ; on revêt la femme de ses habits les :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 32 A cru : sans selle.

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françois peeters

plus riches et on la pare de tous ses joyaux. On la conduit en procession jusqu’à une haute montagne ; là, on lève une grosse pierre et on descend le cadavre au fond d’un puits profond. Le mari embrasse ses parents et ses amis, se laisse mettre dans une bière 33 avec un pot d’eau et sept petits pains ; puis on le descend comme sa femme dans le puits. La cérémonie achevée, on remet la pierre sur l’ouverture. Choqué par cette cérémonie, je ne peux m’empêcher de dire au roi que dans tous mes voyages, je n’ai jamais entendu parler d’une coutume si cruelle : “Que veux-tu, me répond-il, c’est une loi commune, et j’y suis soumis moimême : je serai enterré vivant avec la reine mon épouse, si elle meurt la première.” “Les étrangers sont-ils obligés d’observer cette coutume, lui demandai-je ?” “Sans doute, me répond-il en souriant, s’ils sont mariés dans l’île.” Je m’en retourne alors tristement chez moi, avec la crainte que ma femme meure avant moi et qu’on m’enterre avec elle. Je surveille avec inquiétude sa santé, mais, hélas, bientôt elle tombe véritablement malade et meurt en quelques jours.»

mounia arif

:::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 33 Bière : cercueil, ici non fermé. 34 Je suis : du verbe suivre (présent 1ère personne). 35 Funeste : cause de malheur, de mort.

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Schéhérazade à ces mots, mit fin à son discours pour cette nuit. Le lendemain, elle en reprit la suite de cette manière : ::: lxxxi e

nuit :::

« Jugez de ma douleur à l’idée de finir enterré vivant ! Mais il fallait en passer par là. Le roi et toute sa cour me font l’honneur d’assister à mon enterrement. On met le corps de ma femme dans une bière avec tous ses bijoux. La marche commence et je suis 34 le convoi les yeux baignés de larmes en déplorant mon malheureux destin. Avant d’arriver à la montagne, je tente d’attendrir le roi et les autres assistants par des paroles touchantes ; je leur rappelle que je suis étranger et que j’ai une femme et des enfants qui m’attendent à Bagdad. Rien n’y fait. On me descend vivant au fond du puits avec un vase rempli d’eau et sept pains. Malgré mes cris pitoyables, la cérémonie funeste 35 s’achève et on remet la pierre sur l’ouverture du puit. Je me retrouve dans une vaste grotte encombrée de cadavres dont se dégage une odeur pestilentielle, je crois même entendre ceux qu’on a récemment enterrés vivants pousser leurs derniers soupirs. Je me dépêche de sortir de la bière et m’éloigne en me bouchant le nez ; puis je m’effondre en pleurs : “Pourquoi en suis-je arrivé là, n’aurais-je pas dû rester à Bagdad au lieu de courir après la fortune ? ” Telles sont les plaintes dont je fais retentir la grotte en me frappant la tête et l’estomac de rage et de désespoir. Cependant, l’amour de la vie se fait encore sentir en moi, et me pousse à aller chercher du pain et de l’eau dans la bière en me bouchant le nez. Mais après plusieurs jours, mes provisions épuisées, je me résigne à mourir. » Schéhérazade cessa de parler à ces derniers mots. La nuit suivante, elle reprit la parole en ces termes : ::: lxxxii e

nuit :::

« Je n’attendais plus que la fin, lorsque j’entends qu’on lève la pierre pour descendre un mort et son conjoint. Le cadavre était celui d’un homme. Je me poste alors à l’endroit où l’on doit descendre la bière de l’épouse et je donne sur

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françois peeters

la tête de la malheureuse deux ou trois grands coups d’un gros os dont je me suis saisi. Grâce à cette action inhumaine, j’ai des provisions pour quelques jours. Au bout de ce temps, on descend encore une femme morte et un homme que je tue de la même manière. Comme, par bonheur pour moi, la mortalité est à ce moment importante dans la ville, je parviens ainsi à me nourrir. Un jour, alors que je viens de tuer encore une femme, j’entends souffler et marcher et, en m’approchant, j’aperçois une ombre qui prend la fuite. Je la poursuis si loin et si longtemps que je finis par distinguer une sorte de lumière pareille à une étoile. En continuant de marcher vers cette lumière, je découvre qu’elle vient d’une ouverture dans le rocher assez large pour y passer. Je m’y glisse et me retrouve au bord de la mer. Imaginez mon bonheur de recouvrer 36 la liberté, guidé par ce qui devait être un animal marin en quête de nourriture. Je me prosterne sur le rivage pour remercier Dieu de la grâce qu’il m’a faite ; je rentre ensuite dans la grotte pour aller prendre du pain ; je ramasse aussi dans les bières tous les diamants, les rubis, les perles, les bracelets d’or et toutes les riches étoffes que je trouve. Je porte tout cela sur le bord de la mer et j’en fais plusieurs ballots que je lie avec les cordes qui avaient servi à descendre les bières. Au bout de deux ou trois jours un navire passe et me secourt. J’explique que je suis rescapé d’un naufrage avec quelques marchandises et sans mettre ma parole en doute, ils me prennent à leur bord. Nous passons devant l’île des Cloches 37, proche de celle de Serendib 38 et abordons à Kela 39 où il y a des mines de plomb, des cannes d’Inde et du camphre. Après y avoir fait grand commerce, je repars pour Bagdad où je fais des dons pour les mosquées et des aumônes aux pauvres. Sindbad finit ainsi le récit de son quatrième voyage causant l’admiration de ses auditeurs. Il donna encore cent sequins à Hindbad et convia tous ses invités le lendemain à la même heure pour écouter son cinquième voyage. :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 36 37 38 39

Recouvrer : retrouver. Ile des Cloches : île de l’Océan Indien. Serendib : ancienne île de Ceylan, devenue aujourd’hui Sri Lanka. Kela : port de commerce situé dans l’actuelle Malaisie.

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bastien bergeret

Cinquième Voyage de Sindbad le marin « Les plaisirs eurent assez de charme pour me faire oublier les maux que j’avais soufferts sans pourtant m’ôter l’envie de nouveaux voyages. Cette fois, je décidai de ne plus dépendre d’un capitaine et je fis construire mon propre bateau. Pour compléter la charge, je pris à mon bord plusieurs autres marchands de différentes nations. Après une longue navigation, nous abordons dans une île déserte où nous découvrons un œuf de rock d’où pointe le bec d’un petit sur le point d’éclore. » A ces mots, Schéhérazade se tut, parce que le jour se faisait déjà voir dans l’appartement du sultan des Indes. La nuit suivante, elle reprit son discours. ::: lxxxiii e

nuit :::

Sindbad le marin, dit-elle, continue de raconter son cinquième voyage : « Malgré mes avertissements de ne pas toucher à l’œuf, les marchands cassent la coquille à coups de hache, en tirent l’oisillon par morceaux et le font rôtir. Ce repas à peine terminé, le capitaine aperçoit deux gros nuages assez loin dans le ciel. Comprenant que ce sont le père et la mère du petit rock, il nous presse de nous rembarquer au plus vite et de remettre à la voile. En effet, les deux rocks approchent en poussant des cris effroyables qui redoublent à la vue de l’œuf cassé où il n’y a plus de petit. Puis ils reprennent leur vol et disparaissent un moment pendant lequel nous tentons de nous éloigner à force de voiles. Mais les voilà qui reviennent tenant chacun dans leurs griffes un énorme morceau de roche. Ils se postent juste au-dessus de notre bateau pour les lâcher. Grâce à l’adresse de notre timonier 40, nous évitons le premier rocher. Mais pour notre malheur, le deuxième brise notre navire en mille morceaux et tous ses occupants périssent écrasés ou noyés. Moi-même submergé, je réussis à m’accrocher à un débris, le vent et un courant favorable me poussent sur une île : me voilà sauvé. :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 40 Timonier : homme qui tient le gouvernail du navire

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isabelle lambert

Après m’être un peu reposé sur l’herbe, je m’avance dans l’île pour reconnaître le terrain. Il me semble que je suis dans un jardin merveilleux : partout des arbres chargés de fruits et des ruisseaux d’une eau douce et claire. La nuit venue, je trouve pour dormir un endroit assez commode, mais la frayeur de me retrouver seul dans un lieu si désert interrompt souvent mon sommeil. Je me reproche mon imprudence d’être parti pour un nouveau voyage et mon chagrin est tel que je songe à mettre fin à ma vie. Mais la lumière du jour dissipe mon désespoir, je me lève, et marche entre les arbres, non sans quelque appréhension. Bientôt, je rencontre un vieillard qui me paraît fort cassé ; je m’approche de lui et le salue, il se contente de hocher la tête. Je lui demande ce qu’il fait là, mais

bastien bergeret

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au lieu de me répondre il me fait signe de le prendre sur mes épaules et de le faire passer au-delà du ruisseau pour aller cueillir des fruits. Je le charge donc sur mon dos, traverse le ruisseau et, une fois sur l’autre rive, je l’invite à descendre. Mais au lieu de se laisser tomber à terre, ce vieillard que je croyais si faible passe ses deux jambes autour de mon cou en me serrant la gorge comme s’il voulait m’étrangler. Saisi de frayeur, je tombe évanoui. » Schéhérazade fut obligée de s’arrêter à ces paroles à cause du jour qui paraissait. Elle poursuivit ainsi cette histoire sur la fin de la nuit suivante : ::: lxxxiv e

nuit :::

« Malgré mon évanouissement, le pénible vieillard reste cramponné à mon cou. Il écarte seulement un peu les jambes pour me permettre de respirer. Quand je reviens à moi, il m’appuie fortement un pied sur l’estomac et de l’autre me frappe rudement le côté pour m’obliger à me mettre debout. Il me fait marcher sous des arbres et me force à m’arrêter pour cueillir et manger les fruits que nous rencontrons. De toute la journée, le terrible vieillard ne lâche pas prise et, la nuit, quand je veux me reposer, il s’étend à terre avec moi, toujours accroché à mon cou. Pendant des jours, je lui sers ainsi de monture. Imaginez ma peine d’être chargé de ce fardeau dont je ne pouvais me défaire ! Un jour, je trouve sur mon chemin une calebasse 41 sèche tombée d’un arbre ; après l’avoir nettoyée, je la remplis avec le jus de plusieurs grappes de raisins et la dépose dans un endroit où par adresse j’incite le vieillard à retourner plusieurs jours plus tard. Je porte alors la calebasse à ma bouche et bois cet excellent vin qui me fait oublier mon chagrin mortel. Mes forces reviennent et, de joie, je me mets à chanter et sauter en marchant. Voyant l’effet de cette boisson, le vieillard me fait signe de lui en donner aussi. Je luis tends la calebasse qu’il vide jusqu’à la dernière goutte. Bientôt le vin lui monte à la tête. Il se met à chanter et à se trémousser. Ces secousses lui font :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 41 Calebasse : plante consommée comme légume à l’état frais mais plus souvent utilisée séchée pour la fabrication d’objets.

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rendre tout ce qu’il a dans l’estomac et peu à peu ses jambes se relâchent si bien que je parviens à le jeter par terre où il reste immobile. Je me saisis alors d’une grosse pierre et lui écrase la tête. Heureux de m’être délivré de ce maudit vieillard, je marche vers le bord de mer où je rencontre l’équipage d’un navire venu se ravitailler en eau. Les marins sont très étonnés de me trouver ici et d’entendre le détail de mon aventure : « Vous êtes tombé entre les mains du vieillard de la mer, me disent-ils, et vous êtes le premier qu’il n’ait pas étranglé, il n’a jamais abandonné ceux dont il s’est rendu maître qu’après les avoir étouffés ; cette île est fameuse par le nombre de personnes qu’il a tuées ». Après m’avoir donné ces explications, ils me conduisent à leur navire qui remet à la voile. Après quelques jours de navigation, nous abordons au port d’une grande ville. Je me lie d’amitié avec un des marchands qui m’héberge, me donne un grand sac et me recommande à des gens de la ville qui portent comme moi un grand sac. “Suis-les, me dit-il, fais ce que tu les vois faire et ne t’écarte pas d’eux car tu mettrais alors ta vie en en danger.” Nous arrivons dans une forêt de cocotiers dont les troncs sont très hauts et si lisses qu’il est impossible à un humain d’y monter ; devant nous des singes, grands et petits prennent la fuite et montent au sommet des arbres avec une surprenante agilité. »

lydie enocq

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françois peeters

Schéhérazade voulait poursuivre ; mais le jour qui paraissait l’en empêcha. La nuit suivante, elle reprit son discours de la sorte : ::: lxxxv e

nuit :::

« La ruse pour récolter les fruits consiste à jeter des pierres contre les singes qui, en représailles, nous lancent des cocos avec des gestes de colère. Nous remplissons ainsi nos sacs et revenons en ville pour vendre les cocos. Tous les jours, je retourne dans la forêt et, peu à peu, j’amasse une quantité considérable de cocos. Je les charge sur un bateau qui fait route vers l’île où le poivre croît en abondance, puis de là vers l’île de Coman qui porte la meilleure espèce de bois d’Aloès 42. Après avoir échangé mes cocos contre du poivre et de l’aloès, j’engage des plongeurs pour partir à la pêche aux perles. Ils en rapportent un grand nombre de très grosses et de très parfaites. Je reprends la mer avec joie sur un navire qui me conduit sans encombre à Bassora ; de là je reviens à Bagdad où je tire de grosses sommes d’argent de la vente du poivre, de l’aloès et des perles. Je distribue en aumônes la dixième partie de mes gains et me délasse de mes fatigues dans toutes sortes de divertissements. » Ayant achevé ces paroles, Sindbad fit don de 100 sequins à Hindbad et l’invita avec les autres invités à revenir le lendemain pour écouter le récit du sixième voyage. :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 42 Aloès : plante à feuilles dentées utilisée en médecine.

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Sixieme Voyage de Sindbad le marin « Vous vous demandez sans doute comment après avoir fait cinq naufrages et essuyé tant de dangers, j’ai pu me décider encore une fois à tenter la fortune et m’exposer à de nouveaux malheurs. Je m’en étonne moi-même, mais le fait est qu’au bout d’une année de repos, j’entrepris un sixième voyage, malgré les efforts de mes amis et de ma famille pour me retenir. Je passai par plusieurs provinces de la Perse et des Indes et j’embarquai sur un bon navire dont le capitaine avait décidé de faire une longue navigation. Elle fut en effet très longue et si malheureuse que le pilote perdit sa route. Un jour, nous avons l’étonnement de voir le capitaine quitter son poste en poussant des cris. Il jette son turban par terre, s’arrache la barbe et se frappe la tête comme un homme au désespoir. “Je vous annonce, nous dit-il, que nous sommes dans l’endroit le plus dangereux de la mer. Nous allons tous périr dans moins d’un quart d’heure. Priez Dieu qu’il nous délivre de ce danger. “Il ordonne qu’on replie les voiles mais les cordages se rompent dans la manœuvre ; emporté par le courant au pied d’une montagne, le navire échoue et se brise. Nous parvenons cependant à sauver nos vivres et nos plus précieuses marchandises. Ceci fait, le capitaine nous avertit : “Nous pouvons ici creuser notre fosse car nous sommes dans un lieu dont personne n’est jamais revenu.” Ces paroles nous jettent dans une tristesse profonde et, les larmes aux yeux, nous nous embrassons les uns les autres en déplorant notre sort. La côte de cette île formée par la montagne est couverte de débris de navires et d’ossements en grand nombre ainsi que de quantité de marchandises précieuses qui nous font juger avec horreur que bien du monde avant nous s’est perdu ici.

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Alors que, d’habitude, les fleuves se jettent dans la mer, ici, suivant un cours contraire une rivière d’eau douce s’éloigne de la mer et pénètre dans la côte à travers une grotte profonde. Mais le plus remarquable, c’est que les pierres de la montagne sont de cristal, de rubis et de pierres précieuses. On y voit aussi la source d’une espèce de poix 43 que les poissons avalent puis recrachent après l’avoir transformée en ambre gris 44 que les vagues rejettent sur la grève 45. Il y pousse également de beaux aloès. On peut appeler cet endroit un gouffre, puisque jamais rien n’en revient : le vent de mer perd les navires et celui de terre les brise contre la montagne, il n’est pas non plus possible de gagner le sommet de la montagne. Désespérés, nous partageons nos vivres et attendons la mort. » Schéhérazade cessa de parler, voyant que le jour commençait à paraître. Le lendemain elle continua de cette sorte le récit du sixième voyage de Sindbad : ::: lxxxvi e

nuit :::

« Ceux qui meurent les premiers sont enterrés par les autres. Pour moi, je reste le dernier car j’ai mieux économisé les provisions que nous nous étions partagées et j’en avais aussi en propre dont je m’étais bien gardé de parler à mes camarades. Mais après avoir enterré le dernier, il m’en reste si peu que je creuse ma propre tombe en me reprochant d’avoir moi-même causé ma perte en m’engageant dans ce dernier voyage. Cependant, Dieu me prend en pitié et m’inspire 46 ces réflexions : “la rivière qui se perd sous la voûte de la grotte doit bien sortir quelque part. Si je construis un radeau et m’abandonne au courant, j’arriverai peut- être à une terre habitée. Si je péris dans cette tentative, je ne ferai que changer de genre de mort ; mais si je réussis, qui sait si je ne trouverai pas une nouvelle occasion de m’enrichir ?” :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 43 44 45 46

Poix : matière collante constituée de résines et de goudrons végétaux. Ambre gris : substance parfumée provenant de la digestion des cachalots. Grève : rivage. M’inspire : fait naître en moi.

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lydie enocq

Fort de ce raisonnement, je construis mon radeau avec de belles pièces de bois solidement liées par de gros câbles, je le charge avec quelques ballots de rubis 47, d’émeraudes 48, d’ambre gris, de cristal de roche 49, d’étoffes précieuses ; je prends les deux petites rames que je n’avais pas oublié de faire et je me laisse aller au cours de la rivière en m’abandonnant à la volonté de Dieu. Pendant quelques jours, je vogue dans l’obscurité sans jamais apercevoir le moindre rayon de lumière. Une fois, je manque de me blesser la tête tant la voûte est basse. Pendant tout ce temps, je prends garde à ne manger que le strict nécessaire pour rester en vie. Malgré cela, mes provisions s’épuisent et à la fin un doux sommeil me prend. Je me réveille dans une vaste campagne au bord d’une rivière où mon radeau est attaché. Un grand nombre de noirs m’entourent et me parlent une langue inconnue. Transporté de joie, je récite ces vers arabes : « Invoque la Toute-Puissance, elle viendra à ton secours : il n’est pas besoin que tu t’embarrasses d’autre chose. Ferme l’œil, et, pendant que tu dormiras, Dieu changera ta fortune de mal en bien. » :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 47 Rubis : pierre précieuse de couleur rouge. 48 Emeraude : pierre précieuse de couleur verte. 49 Cristal de roche : minéral transparent et dur.

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mounia arif

L’un des noirs comprend mes paroles et m’explique qu’en venant arroser leurs champs, ils ont aperçu le radeau porté par la rivière, l’un d’eux s’est jeté à la nage pour le ramener et ils sont maintenant très impatients de savoir d’où je viens. Je leur demande de me donner d’abord à manger puis je leur raconte mon aventure qui leur paraît si extraordinaire qu’ils décident de me conduire chez leur roi pour que je l’en informe en personne. » Schéhérazade, à ces paroles, fut obligée d’en demeurer là, parce que le jour parut. Sur la fin de la nuit suivante, elle reprit le fil de sa narration, et parla dans ces termes : ::: lxxxvii e

nuit :::

« Nous marchons jusqu’à la ville de Serendib qui est aussi le nom de cette île. Les noirs me présentent au roi que je salue comme le veut la coutume en me prosternant à ses pieds et en baisant la terre. Je lui dis être Sindbad, surnommé le marin à cause de mes voyages en mer et citoyen de Bagdad, puis, sans rien lui cacher, je lui conte mes aventures. Il en est si surpris et charmé qu’il commande qu’on écrive mon récit en lettres d’or pour le conserver dans les archives du royaume. On apporte ensuite le radeau avec les ballots qu’on ouvre devant lui.

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Comme il admire la quantité de bois d’aloès et d’ambre gris, mais surtout les rubis et les émeraudes dont il n’a pas d’aussi belles en son trésor, je le supplie d’en disposer comme de son bien. “Sindbad, me répond-il en souriant, loin de diminuer vos richesses, je souhaite les augmenter et que vous ne quittiez pas mon pays sans emporter avec vous des preuves de ma générosité.” Il charge un de ses officiers d’avoir soin de moi et me fait donner des serviteurs et un logement. Tous les jours, je vais faire ma cour au roi et le reste du temps, je visite la ville et ses environs. L’île de Serendib est située juste à l’équateur, c’est pourquoi les jours et les nuits y sont toujours de douze heures. La montagne qui est au centre de l’île est la plus haute du monde : on l’aperçoit en mer à plus de trois jours de navigation. On y trouve des rubis, des minéraux et la plupart des rochers sont faits d’une pierre métallique, l’émeri, qui sert à tailler les pierreries. Il y pousse toutes sortes d’arbres et de plantes rares dont surtout le cèdre et le coco. On y pêche aussi des perles et certaines de ses vallées fournissent des diamants. Par dévotion 50, je me rends à la montagne où Adam vécut après avoir été chassé du paradis terrestre. A mon retour, je supplie le roi de me permettre de retourner dans mon pays, ce qu’il m’accorde de bonne grâce. Il m’oblige à accepter un riche présent tiré de son trésor et me charge d’un second présent bien plus considérable ainsi que d’une lettre pour le Commandeur des croyants, notre Souverain Haroun al-Rachid, en me priant de l’assurer de son amitié. La lettre du roi de Serendib était écrite en caractères d’un bleu azur sur la peau d’un animal rare de couleur jaune ; voici ce qu’elle disait en langue indienne : « Le roi des Indes, devant qui marchent mille éléphants, qui demeure dans un palais dont le toit brille de l’éclat de cent mille rubis, et qui possède en son trésor vingt mille couronnes enrichies de diamants, au calife Haroun al-Rachid. Bien que le présent que nous vous envoyons soit modeste, veuillez le recevoir en frère et en ami, en considération de l’amitié que nous avons pour vous, et dont nous nous réjouissons de vous donner un témoignage. :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 50 Dévotion : piété, attachement aux pratiques religieuses.

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thomas galissant

jean-philippe françois

Nous vous demandons de nous accorder la même place dans votre cœur, vu que nous croyons le mériter, étant d’un rang égal au vôtre. Nous vous en conjurons en qualité de frère. Adieu. » Le cadeau consistait en un grand vase fait d’un seul rubis rempli de belles perles rondes, en une peau de serpent dont la propriété est de préserver des maladies les gens qui couchent dessus, enfin en une quantité de bois d’aloès et de camphre, le tout accompagné d’une esclave d’une beauté parfaite et portant des habits couverts de pierres précieuses. Le navire met à la voile. Après une longue et heureuse traversée, nous arrivons à Bassora d’où je me rends à Bagdad. Là, je m’empresse de m’acquitter de la commission dont j’ai la charge. »

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Schéhérazade n’en dit pas davantage, à cause du jour qui se faisait voir. Le lendemain elle reprit ainsi son discours : ::: lxxxviii e

nuit :::

« Accompagné de ma famille et de la belle esclave, continua Sindbad, je me présente à la porte du palais du Commandeur des croyants. On nous conduit jusqu’au calife devant lequel je me prosterne. Je lui remets les précieux cadeaux et la lettre. A la fin de sa lecture, Haroun al-Rachid me demande si ce prince est aussi puissant et riche qu’il est écrit “Je puis assurer Votre Majesté, lui dis-je, qu’il n’exagère pas ses richesses et sa grandeur. Son palais est magnifique. Lorsqu’il paraît en public, on lui dresse un trône sur un éléphant et il avance au milieu d’une double rangée de ministres et de favoris précédé d’un officier tenant une lance d’or. Derrière lui, un autre officier porte une colonne d’or surmontée d’une grosse émeraude. Dix mille gardes habillés de drap d’or et de soie et montés sur des éléphants richement caparaçonnés 51 marchent devant lui. De temps en temps, l’officier à la lance crie à voix haute : Voici le grand monarque, le puissant et redoutable sultan des Indes, dont le palais est couvert de cent mille rubis, et qui possède vingt mille couronnes de diamants ! Voici le monarque couronné, plus grand que ne furent jamais le grand Solima et le grand Mirhage ! Et le roi de Serendib est si juste qu’il n’y a pas de juges dans ses états. Ses peuples n’en ont pas besoin. Ils respectent d’eux-mêmes les lois et ne s’écartent jamais de leur devoir.” Le calife, très satisfait de mon témoignage, me renvoie chez moi avec un riche présent. » A la fin de son sixième voyage, Sindbad donna une bourse de cent sequins à Hindbad qui revint le lendemain avec les autres convives pour écouter le dernier voyage. :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 51 Caparaçonnés : ornés.

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Septième Voyage de Sindbad le marin «Après mon sixième voyage, j’abandonnai absolument l’idée d’en faire d’autres. J’avais l’âge de me reposer et je ne voulais plus m’exposer à de tels dangers. Je ne songeais qu’à passer doucement le reste de ma vie. Mais un jour que je donnais à dîner, un officier vint m’avertir que le calife voulait me parler. Je le suivis jusqu’au palais et je saluai Haroun al-Rachid en me prosternant à ses pieds. “Sindbad, me dit-il, j’ai besoin de vous, il faut que vous me rendiez un service. Je voudrais que vous alliez porter ma réponse et mes présents au roi de Serendib. Il est juste que je lui rende la politesse qu’il m’a faite.” Cet ordre fut un grand choc pour moi car je ne voulais plus subir les épreuves que j’avais endurées et dont je fis le récit au calife. Il m’écouta avec patience mais exigea quand même que je parte après m’avoir fait donner mille sequins pour les frais de mon voyage. Je prépare mon voyage en peu de jours et, avec le présent et la lettre, je m’embarque à Bassora. Après une heureuse navigation, j’arrive à Serendib. J’expose l’objet de ma venue aux ministres qui me conduisent devant le souverain que je salue selon la coutume en me prosternant. Le prince me reconnaît et me témoigne sa joie de me revoir. Je lui donne la lettre et le présent qu’il reçoit avec satisfaction. Le calife lui envoyait un lit complet de draps d’or estimé mille sequins, cinquante robes d’une très riche étoffe, cent autres de toile blanche, la plus fine du Caire, de Suez, de Cufa et d’Alexandrie 52 ; deux autres lits ; un vase d’agate 53 dont le fond représentait en bas-relief un homme un genou à terre qui tenait un arc avec une flèche, prêt à tirer contre un lion ; enfin une riche table que l’on croyait, par tradition, venir du grand Salomon. » La lettre du calife Haroun al-Rachid était rédigée ainsi : :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 52 Cufa : ville d’Arabie. Alexandrie : port d’Egypte. Le Caire et Suez : villes d’Egypte. 53 Agate : pierre précieuse. 54 Porte : nom autrefois donné au gouvernement du sultan.

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pascal amour

“Salut, au nom du souverain guide du droit chemin, au puissant et heureux sultan, de la part d’Abdallah Haroun al-Rachid, que Dieu a placé dans le lieu d’honneur après ses ancêtres d’heureuse mémoire. Nous avons reçu votre lettre avec joie, et nous vous envoyons celle-ci, provenant du conseil de notre Porte 54, le jardin des esprits supérieurs. Nous espérons qu’en jetant les yeux dessus vous reconnaîtrez notre bonne intention, et qu’elle vous sera agréable. Adieu.” Ces témoignages d’amitié font grand plaisir au Sultan qui m’autorise non sans regret à repartir dans mon pays après m’avoir fait un présent considérable. Mais le voyage de retour ne se passe pas comme je l’espérais. Quelques jours après notre départ, le navire est attaqué par des corsaires et, faute d’équipement pour nous défendre, nous sommes faits prisonniers et esclaves. »

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Le jour qui parut imposa le silence à Schéhérazade. Le lendemain elle reprit la suite de cette histoire : ::: lxxxix e

nuit :::

Sire, dit-elle au Sultan des Indes, Sindbad continua de raconter son voyage ainsi : Les corsaires nous dépouillent, nous donnent de vieux vêtements à la place des nôtres, puis nous conduisent sur une île éloignée où ils nous vendent. Je tombe entre les mains d’un riche marchand qui me donne à manger et me fait habiller proprement en esclave. Quelques jours plus tard, il me demande le métier que j’exerce. Sans mieux me faire connaître, je réponds que je ne suis pas artisan mais marchand, dépouillé de mes biens par les corsaires qui m’ont vendu. “Saurais-tu tirer à l’arc, me demande-t-il ?” Je lui réponds que c’est un exercice que j’ai pratiqué durant ma jeunesse et que je n’ai pas oublié depuis. Il me donne alors un arc et des flèches et me conduit dans une vaste forêt, à quelques heures de la ville. “Monte dans cet arbre, me dit-il, et tire sur les éléphants que tu vois passer. S’il en tombe un, viens m’en informer.” Et il s’en retourne à la ville en me laissant des vivres. Je reste à l’affût toute la nuit sans rien apercevoir mais, à l’aube, je vois apparaître un grand nombre d’éléphants. Je tire sur eux plusieurs flèches, et enfin, il en tombe un par terre. Les autres s’enfuient en me laissant la liberté d’aller avertir mon patron de la prise que je viens de faire. Il me félicite et me récompense d’un bon repas. Puis, nous retournons dans la forêt enterrer l’éléphant dans une fosse pour qu’il y pourrisse avant qu’on récupère les dents et les défenses. Durant deux mois, je continue cette chasse en tuant chaque jour une bête. Un matin, l’arbre dans lequel je me trouve est encerclé par un troupeau d’éléphants si nombreux que la terre en tremble. Ils s’approchent dans un vacarme effrayant, la trompe étendue et les yeux attachés sur moi. De peur, je laisse tomber mes flèches et mon arc. Ils me regardent un moment puis l’un d’eux, d’un puissant effort, déracine

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erwann guillou

jean-philippe françois

l’arbre où je me tiens et avec sa trompe me charge sur son dos, plus mort que vif. Ils me portent ainsi jusqu’à une colline longue et large, couverte d’ossements et de dents d’éléphants. Ils me déposent à terre et se retirent aussitôt. La vue de ces restes me fait réfléchir. Je me dis que c’est là leur cimetière, qu’ils m’y ont porté pour me le faire connaître et que j’arrête de les massacrer puisque je le fais dans le seul but d’avoir leurs dents. Après avoir marché un jour et une nuit sans rencontrer d’éléphant, ce qui me fait comprendre qu’ils se sont éloignés pour qu’on puisse sans obstacle aller à la colline, j’arrive chez mon patron. “Pauvre Sindbad, me dit-il, je me demandais ce que tu étais devenu. Je suis allé à la forêt et ayant trouvé un arc et des flèches au pied d’un arbre déraciné, j’ai pensé ne jamais te revoir.” Je lui raconte mon aventure et le lendemain, je le conduis à la colline d’où nous rapportons tout ce que nous pouvons de dents et de défenses.

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isabelle lambert

“Mon frère, me dit-il à notre retour, je te rends la liberté car je ne veux plus te traiter en esclave après cette découverte. Que Dieu te comble de toutes sortes de biens et de prospérité ! Je t’avais caché que les éléphants de notre forêt font périr chaque année une infinité d’esclaves que nous envoyons chercher de l’ivoire. En te préservant, Dieu a montré qu’il te chérit et qu’il a besoin de toi dans le monde. Grâce à ta découverte, la vie de nombreux esclaves sera épargnée et notre ville s’enrichira ; c’est pourquoi, je veux te faire don de biens considérables.” Je le remercie et lui demande seulement de me laisser retourner dans mon pays. Mais, pour prendre la mer, je dois attendre le moçon 55. Pendant ce temps, je fais de nombreux voyages à la colline pour aider mon patron à remplir ses magasins d’ivoire. Tous les marchands de la ville en font autant. » A ces paroles Schéhérazade, apercevant le pointe du jour, cessa son discours. Elle le reprit la nuit suivante, et dit au sultan des Indes : ::: xc e

nuit :::

Sire, Sindbad, continue ainsi le récit de son septième voyage : « Enfin, le vent arrive. Mon hôte 56 choisit lui-même le navire sur lequel je dois embarquer et le fait charger d’ivoire pour mon compte, mais également de provisions et de curiosités du pays. Nous faisons escale sur quelques îles pour y prendre des rafraîchissements. Puis nous abordons dans un port des Indes ; de là, pour éviter les dangers de la mer, je fais débarquer l’ivoire qui m’appartient et je décide de continuer par la route. Je vends mon ivoire pour une grosse somme d’argent et je me joins à une caravane 57 de marchands. La route est longue et pénible mais je souffre avec patience en me disant que je n’ai à craindre ni les tempêtes, ni les corsaires, ni les serpents. De retour à Bagdad, je vais me présenter au calife pour lui rendre compte de :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 55 Moçon (ou mousson) : vent régulier soufflant six mois d’est en ouest et six mois d’ouest en est. 56 Hôte : personne qui reçoit les invités. 57 Caravane : groupe de voyageurs réunis pour franchir une région désertique ou peu sûre.

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ma mission. L’aventure des éléphants lui paraît si extraordinaire qu’il charge un de ses secrétaires de l’écrire en lettres d’or pour être conservée dans son trésor. Je me retire très content de l’honneur et des présents qu’il m’a faits ; puis je me consacre à ma famille et mes amis. » C’est ainsi que Sindbad acheva le récit de son septième voyage ; s’adressant ensuite à Hindbad : « Eh bien, mon ami, lui demanda-t-il, as-tu jamais entendu dire que quelqu’un a souffert autant que moi et se soit trouvé dans des situations aussi périlleuses 58 ? N’est-il pas juste qu’après tant d’épreuves je jouisse d’une vie agréable et tranquille ? » « Il faut avouer, Seigneur que vous avez affronté d’effroyables dangers. Vous méritez une vie tranquille ainsi que tous les biens que vous possédez puisque vous en faites un si bon usage et que vous êtes si généreux. Continuez donc de vivre dans la joie jusqu’à l’heure de votre mort. » Sindbad lui fit donner encore cent sequins, le reçut au nombre de ses amis, lui dit de quitter son métier de porteur et de continuer de venir manger chez lui et lui promit qu’il aurait à se souvenir toute sa vie de Sindbad le marin. Schéhérazade, voyant qu’il ne faisait pas encore jour, commença une autre histoire.

Fin

:::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 58 Périlleux : qui comporte des dangers.

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Le travail de réécriture a été réalisé en classe par : Yannis CAIRO, Aïcha ABABIO, Sébastien BOSSE, Cassandra CASTRY, Jonathan CAZET, Elody DUMOULIN, Adilé GUNES, Steve MARTINEAU, Laëtitia VERRIER, Mickaël BROUSTEY. Ces élèves ont travaillé sous la direction de Micheline DUBOIS, directrice pédagogique et Béatrice GOUJON, institutrice spécialisée au Centre de la Gabrielle. Françoise QUILLIER, professeur de lettres, Lycée-EREA Toulouse Lautrec de Vaucresson est intervenue tout au long de ce travail pour valider l’ensemble des textes. Les illustrations ont été réalisées en atelier de peintures par : Pascal AMOUR, Mounia ARIF, Rym BELAZREG, Bastien BERGERET, Hilaire BIMOUANGA, Sandrine BONIER, Christelle DESPREZ, Lydie ENOCQ, Jean-Philippe FRANCOIS, Thomas GALISSANT, Aurélien GARNIER, Angélique GERARD, Erwann GUILLOU, Isabelle LAMBERT, François PEETERS, Mickaël RODRIGUEZ, Solène VITRY. Ces artistes ont travaillé sous la direction de Nathalie GUEVEL, monitrice artistique, en lien avec Michèle MEUNIER, chef de service du foyer art et vie et de l’unité adultes autistes. Ce projet a été coordonné par Carolle BRUNSCHWEILER, adjoint de direction responsable du secteur hébergement adulte au Centre de la Gabrielle et par Elsa MANIGLER, responsable de la communication.

:::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: Couverture de Bastien Bergeret Conception : ateliernomades.com Impression : Laffont

Les élèves sont partis du texte intégral de Sindbad le marin traduit par Antoine Galland. La méthode de travail était axée principalement sur l’imprégnation de l’histoire par les élèves grâce à la lecture de l’enseignant ; les élèves ont ainsi restitué oralement l’histoire de Sindbad avec pour objectif de produire un message écrit plus contemporain et accessible aux adolescents, tout en respectant les règles du langage écrit. En parallèle, dix-sept adultes en situation de handicap mental accompagnés par le Foyer Art et Vie (FAV) du Centre de la Gabrielle ont travaillé, en atelier de peintures, sur des illustrations. Le FAV articule tout son travail d’accompagnement autour de l’art. Ce travail favorise l’expression individuelle, suscite le désir de création et permet d’aller à la rencontre des autres. Ce texte sera diffusé et présenté à des élèves de classe de 5ème en collège et à toutes les écoles qui nous solliciteront. Il donnera l’occasion aux élèves de l’IME et aux artistes du FAV de présenter leur travail. Ce texte illustré s’adresse au plus grand nombre.

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indbad le mari

Dix adolescents en situation de handicap mental, scolarisés à l’Institut Médico-Educatif (IME) du Centre de la Gabrielle à Claye-Souilly, vous proposent une réécriture d’un conte des Mille et Une Nuits : Sindbad le marin.

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Sindbad le marin

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Sindbad Le marin

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