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Toutes Livres par Eliphas Lévi. Ce PDF inclut: 1854: Dogme et rituel de la haute magie. 1859: Histoire de la magie. 1859: la Clef des grands mystères. 1861: le ...
Toutes Livres par Eliphas Lévi Ce PDF inclut: 1854: Dogme et rituel de la haute magie 1859: Histoire de la magie 1859: la Clef des grands mystères 1861: le Sorcier de Meudon 1862: Fables et symboles 1865: la Science des esprits 1869: le Grand Arcane (oeuvre posthume) 1870: le Livre des sages (oeuvre posthume) 1873: les Paradoxes de la haute science (oeuvre posthume)

DOGME ET RITUEL DI LÀ

HAUTE MAGIE 0•1••111.

TOME PREMIER.

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

DES TENDANCES RELIGIEUSES , PHILOSOPHIQUES ET MORALES DE NOS LIVRES SUR LA MAGIE.

Depuis que la première édition de ce livre a été publiée, de grands événements se sont accomplis dans le monde, et d'autres plus grands peut-être encore sont à la veille de s'accomplir. Ces événements nous avaient été annoncés comme d'drdinaire par des prodiges : les tables avaient parlé, des voix étaient sorties des murs, des mains sans corps avaient écrit des mots mystérieux, comme au festin de Balthasar. T. I.

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DOGME ET RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

Le fanatisme, dans les dernières convulsions de son agonie, a donné le signal de cette dernière persécution des chrétiens annoncée par tous les prophètes. Les martyrs de Damas ont demandé aux morts de Pérouse le nom de celui qui sauve et qui bénit; alors le ciel s'est voilé et la terre est restée muette. Plus que jamais la science et la religion, le despotisme et la liberté, semblent se livrer une guerre acharnée et se jurer une haine irréconciliable. N'en croyez cependant pas à de sanglantes apparences : elles sont à. la veille de s'unir et de s'embrasser pour toujours. La découverte des grands secrets de la religion et de la science primitive des Mages, en révélant au monde l'unité du dogme universel, anéantit le fanatisme en donnant la raison des prodiges. Le verbe humain , le créateur des merveilles de l'homme, s'unit pour jamaii avec le verbe de Dieu, et fait cesser l'antinomie universelle en nous faisant comprendre que l'harmonie résulte de l'analogie des contraires. Le plus grand génie catholique des temps modernes, le comte Joseph de Maistre, avait prévu ce grand événement. « Newton, disait-il, nous ra-

InsCouns pitÉLIMMAMÉ. t• mène à Pythagore, l'analogie qui existe entre la

science et la foi doit tôt ou tard les rapprocher. Le monde est sans religion, mais cette monstruosité ne saurait exister longtemps; le dix-huitième siècle dure encore, mais il va finir. » Partageant la foi et les espérances de ce grand homme, nous avons osé Mu iller les décombres des vieux sanctuaires de l'occultisme; nous avons demandé aux doctrines secrètes des Chaldéens, des Égyptiens et des Hébreux, les secrets de la transfiguration des dogmes, et la vérité éternelle nous a répondu : la vérité, qui est une et universelle comme l'être ; la vérité, qui appartient à la science comme à la foi ; la vérité, mère de la raison et de la justice; la vérité vivante dans les forces de la nature, les mystérieux Eloim qui refont le ciel et la terre quand le chaos a repris pour un temps la création et ses merveilles, et quand l'esprit de Dieu plane seul sur l'abîme des eaux. La vérité est au-dessus de toutes les opinions et de tous les partis. La vérité est comme le soleil ; aveugle est celui qui ne la voit pas. Tel était, nous n'en saurions douter, le sens d'une parole célèbre de Bonaparte, prononcée par lui à une époque où le vainqueur .

DOGMEETRITUELDELAHAUTEMAGIE. de l'Italie, résumant la révolution française incarnée en lui seul, commençait à comprendre comment la république pouvait être une vérité. La vérité, c'est la vie, et la vie se prouve par le mouvement. Par le mouvement aussi, par le mouvement voulu et effectif, par l'action, en un mot, la vie se développe et revêt des formes nouvelles. Or, les développements de la vie par elle-même, et son enfantement des formes nouvelles, nous l'appelons création. La puissance intelligente qui agit dans le mouvement universel, nous l'appelons le VERBE, d'une manière transcendentale et absolue. C'est l'initiative de Dieu, qui jamais ne peut rester sans effet ni s'arrêter sans avoir atteint son but. Pour Dieu, parler c'est faire ; et telle devrait être toujours la portée de la parole, même chez les hommes: la vraie parole est la semence des actions. Une émission d'intelligence et de volonté ne peut être stérile sans qu'il y ait abus ou profanation de sa dignité originelle. Et c'est pour cela que le Sauveur des hommes doit, non-seulement de toutes les pensées égarées et sans but légitime, mais encore et surtout des paroles oiseuses, nous demander un compte sévère. Jésus, dit l'Évangile, était puissant en oeuvres

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et en paroles ; les œuvres avant la parole : c'est ainsi que s'établit et se prouve le droit de parler. Jésus se mit à faire et à parler, dit ailleurs un évangéliste, et souvent, dans le langage primitif de 111 criture sainte, une action est appelée un verbe. Dans toutes les langues, d'ailleurs, on nomme VERBE ce qui exprime à la fois l'être et l'action, et il n'est pas de verbe qui ne puisse être suppléé par le verbe faire, en diversifiant le régime. Dans le principe était le Verbe, dit l'évangéliste saint Jean, Dans quel principe? Dans le premier principe; dans le principe absolu qui est avant toute chose. Dans ce principe donc était le Verbe, c'est—à—dire l'action. Cela est incontestable en philosophie, puisque le premier principe est nécessairement le premier moteur. Le Verbe n'est pas une abstraction : c'est le principe le plus positif qui soit au monde, puisqu'il se prouve sans cesse par des actes. La philosophie du Verbe est essentiellement la philosophie de l'action et des faits accomplis, et c'est en cela même qu'il faut distinguer un verbe d'une parole. La parole peut être quelquefois stérile, comme dans la moisson il se rencontre des épis vides, mais le Verbe ne l'est jamais. Le Verbe, c'est la parole pleine et féconde; les hommes ne

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s'amusent pas à l'écouter et à lui applaudir; ils l'accomplissent toujours I souvent sans le comprendre, presque jamais sans iui avoir résisté. Les doctrines qu'on répète ne sont pas celles qui réussissent. Le christianisme était encore un mystère, quo ..déjà les Césars se sentaient détrônés par le Verbe chrétien. Un système que le monde admire et auquel la foule applaudit, peut n'être qu'un assemblage brillant de mots stériles; un système que l'humanité subit pour ainsi dire malgré elle, c'est UN VERBE. Le pouvoir se prouve par ses résultats, et comme l'a écrit, dit-on, un profond politique des temps modernes : La responsabilité est quelque chose quand on ne réussit pas. Cette parole, que des esprits inintelligents ont trouvée immorale, est également vraie si on l'applique à toutes les notions spéciales qui distinguent la parole du Verbe, la volonté de l'action , ou plutôt l'acte imparfait de l'acte parfait. L'homme qui se damne, selon la théologie catholique, c'est celui qui ne réussit pas à se sauver. Pécher, c'est manquer le bonheur. L'homme qui ne réussit pas a toujours tort: soit en littérature, soit en morale, soit en politique. Le mauvais en

tout genre , c'est le beau et le bon mal réussis. Et

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s'il faut remonter plus haut jusque dans le domaine éternel du dogme, deux esprits se trouvèrent autrefois, chacun desquels voulait la divinité pour lui seul : l'un réussit, et c'est lui qui est Dieu ; l'autre échoua, et devint le démon ! Réussir, c'est pouvoir; échouer toujours, c'est tenter éternellement : ces deux mots résument les deux destinées opposées de l'esprit du bien et de l'esprit du mal. Quand une volonté modifie le monde, c'est un Verbe qui parle, et toutes les voix se taissent devant lui, comme le dit le livre des Machabées, à propos d'Alexandre : mais Alexandre mourut avec son verbe de puissance, parce qu'en lui il n'y avait pas d'avenir ; à moins que la grandeur romaine n'ait été la réalisation de son rêve ! Or, de nos jours il se passe quelque chose de plus étrange: un homme qui est mort dans l'exil au milieu de l'océan Atlantique fait taire une seconde fois l'Europe devant son verbe, et tient encore le monde entier suspendu à la seule puissance de son nom ! C'est que la mission de Napoléon a été grande et sainte; c'est qu'il y avait en lui un VERBE de vérité. Napoléon lui seul pouvait, après la révolution française, relever les autels du catholicisme, et l'hé-

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DOGMEETRITUELDELAHAUTEMAGIE.

ritier moral de Napoléon avait seul le droit de ramener Pie IX à Rome. Nous allons dire pourquoi. Il est dans la doctrine catholique de l'Incarnation un dogme connu dans les écoles théologiques sous le titre de Communication des idiomes. Ce dogme affirme que, dans l'union de la divinité et de l'humanité accomplie en Jésus-Christ, le rapprochement des deux natures a été si étroit, qu'il en est résulté une identité et une très simple unité de personne ; ce qui fait que Marie, mère de l'homme, peut et doit être appelée MÈRE DE DIEU. (Le monde entier s'est agité pour cette prérogative au temps du concile d'Éphèse.) Ce qui fait aussi qu'on peut attribuer à Dieu les souffrances de l'homme et à l'homme les gloires de Dieu. En un mot, la communication des idiomes, c'est la solidarité des deux natures divine et humaine en Jésus-Christ ; solidarité au nom de laquelle on peut dire que Dieu c'est l'homme, et que l'homme c'est Dieu. Le magisme, en révélant au inonde la loi universelle de l'équilibre et l'harmonie résultant de l'analogie des contraires, prend toutes les sciences par la base, et prélude par la réforme des mathématiques à une révolution universelle dans toutes les branches du savoir humain : au principe généra-

0 teur des nombres il rattache le principe générateur des idées, et par conséquent le principe générateur des mondes, amenant ainsi à la lumière de la science le résultat incertain des intuitions trop physiques de Pythagore; il oppose à l'ésotérisme théurgique de l'école d'Alexandrie une formule claire, précise, absolue, que toutes les sciences régénérées démontrent et justifient : la raison première et la fin dernière du mouvement univer sel, soit dans les idées, soit dans les formes, se résument définitivement pour lui dans quelques signes d'algèbre sous la forme d'une équation. Les mathématiques ainsi comprises nous ramènent à la religion, parce qu'elles deviennent, sous toutes les formes, la démonstration de l'infini générateur de l'étendue et la preuve de l'absolu, d'où émanent tous les calculs de toutes les sciences. Cette sanction suprême des travaux de l'esprit humain, cette conquête de la divinité par l'intelligence et par l'étude doit consommer la rédemption de l'âme humaine et procurer l'émancipation définitive du Verbe de l'humanité. Alors ce que nous appelons encore aujourd'hui loi naturelle aura toute l'autorité et toute l'infaillibilité d'une loi révélée; alors aussi on comprendra que la loi DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

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positive et divine est en même temps une loi naturelle, puisque Dieu est l'auteur de la nature, et ne saurait se contredire dans ses créations et dans ses lois. De cette réconciliation du Verbe humain naîtra la vraie morale, qui n'existe pas encore d'une manière complète et définitive. Alors aussi une nouvelle carrière s'ouvrira devant l'Église universelle. En effet, jusqu'à présent l'infaillibilité de l'Église n'a constitué que le dogme, et pour cela. sans doute la Divinité ne voulait pas avoir besoin du concours des hommes appelés plus tard à comprendre ce qu'ils devaient croire d'abord. Mais, pour constituer la morale, il n'en est pas de même, car la morale est humaine autant que divine; et celui -là doit nécessairement consentir au pacte qui s'y oblige le plus. Savez-vous ce qui manque le plus au monde à l'époque où nous arrivons? C'est la morale. Tout le monde le sent, tout le monde le dit, et pourtant des écoles de morale sont ouvertes de tous côtés. Que faudrait-il à ces écoles ? Un enseignement qui inspirât la confiance ; une autorité raisonnable, en un mot, au lieu d'une raison sans autorité d'une part, et de l'autre d'une

autorité sans raison.

DISCOURS PRÉLIMINAIRE. il

Remarquons que la question morale a été le prétexte de la grande défection qui laisse en ce moment l'Église veuve et désolée. C'est au nom de l'humanité, cette expression matérielle de la charité, qu'on a soulevé les instincts populaires contre des dogmes faussement accusés d'être inhumains. La morale du catholicisme n'est pas inhumainç, mais elle est souvent surhumaine; aussi ne s'adressait-elle pas aux hommes du vieux monde, et se rattachait-elle à un dogme qui établit comme possible la destruction du vieil homme et la création d'un homme nouveau. Le Magisme accueille ce dogme avec enthousiasme, et promet cette renaissance spirituelle à l'humanité pour l'époque de la réhabilitation du Verbe humain. Alors, dit-il, l'homme, devenu CRÉATEUR à l'instar de Dieu, sera l'ouvrier de son développement moral et l'auteur de son immortalité glorieuse. Se créer soimême, telle est. la sublime vocation de l'homme rétabli dans tous ses droits par le baptême de l'esprit; et il se manifestera une telle connexion entre l'immortalité et la morale, que l'une sera le complément et la conséquence de l'autre. La lumière de la vérité est aussi la lumière de vie. Mais la vérité, pour être féconde en immorta-

12 DOGME ET RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. lité, veut être reçue dans des âmes à la fois libres et soum ises, c'est-à-dire volontairement obéissantes. A la splendeur de cette clarté, l'ordre s'établit dans les formes comme dans les idées, tandis que le crépuscule menteur de l'imagination n'enfante et ne peut enfanter que des monstres. Ainsi l'enfer se peuple de cauchemars et de fantômes; ainsi la

pagode des jongleurs se remplit de divinités affreuses et difformes; ainsi les ténébreuses évocations de la théurgie donnent aux chimères du sabbat une fantastique existence. Les images symboliques et populaires de la tentation de saint Antoine représentent la foi pure et simple luttant, à l'aurore du christianisme, contre tous les spectres du vieux monde : mais le Verbe humain, manifesté et victorieux, a été prophétiquement figuré par cet admirable saint Michel, à qui Raphaël donne à vaincre, d'une simple menace, un être inférieur portant aussi la figure humaine, mais avec les caractères de la brute. Les mystiques religieux veulent qu'on fasse le bien uniquement pour obéir à Dieu. Dans l'ordre de la vraie morale, il faudra faire le bien pour la volonté de Dieu toujours, sans doute, mais aussi pour le bien lui-même. Le bien est en Dieu le

13 juste par essence, qui ne limite pas, mais qui détermine sa liberté. Dieu ne peut pas damner la • majorité des hommes par caprice despotique. Il doit exister une proportion exacte entre les actions de l'homme et la création déterminante de sa volonté qui en fait définitivement une puissance du bien ou un auxiliaire du mal, et c'est ce que démontre la science exacte de la haute magie. Voici ce que nous écrivions dans un livre publié en 1845: « Le temps de la foi aveugle est donc passé, et nous arrivons à l'époque de la foi intelligente et de l'obéissance raisonnable, le temps où nous ne croirons plus seulement en Dieu, mais où nous le verrons dans ses oeuvres, qui sont les formes extérieures de son ètre. » Or, voici le grand problème de notre époque : » Tracer, compléter et fermer le cercle des connaissances humaines, puis, par la convergence des rayons, trouver un centre qui est Dieu. » Trouver une échelle de proportion entre les effets, les vouloirs et les causes, pour remonter de là à la cause et à la volonté première. » Constituer la science des analogies entre les idées et leur source première. » Rendre toute vérité religieuse aussi certaine DISCOURS PRÉLIMINAIRE.



th DOGME ET Mûe DE LA

Herm

MAGIE.

et aussi clairement démontrée que la solution d'un problème de géométrie. » Voici maintenant ce que dit un homme qui a été assez heureux pour retrouver avant nous la démonstration de l'absolu suivant les anciens sages, mais assez malheureux aussi pour ne voir dans cette découverte qu'un instrument de fortune et un prétexte de cupidité. « Il nous suffira ici de dire, par anticipation sur la doctrine du Messianisme, d'une part, que l'application de la raison absolue à notre faculté psychologique de la cognition produit en nous la faculté supérieure de la création des principes et la déduction des conséquences, laquelle est le grand objet de la philosophie; et de l'autre part, que l'application de la raison absolue à notre faculté psychologique du sentiment produit en nous la faculté supérieure du sentiment moral et du sentiment religieux, laquelle est le grand objet de la religion. — On pourra ainsi entrevoir comment le Messianisme parviendra à. l'union finale de la philosophie et de la religion, en les dégageant l'une et l'autre de leurs entraves physiques et terrestres, et

en les ramenant , au delà de ces conditions temporelles, à la raison absolue qui est leur source

inscouns PîteimeAntE. 15 commune. On pourra de plus reconnaître déjà comment, par l'influence de ces conditions temporelles ou de ces entraves physiques, deviennent possibles, d'une part, l'ERREUR dans le domaine de la philosophie, et de l'autre, le PÉCHÉ dans le domaine de la religion; surtout lorsque ces conditions physiques sont communes à celles de l'héréditaire dépravation morale de l'espèce humaine, qui fait partie de sa nature terrestre. Et l'on comprendra alors comment la raison absolue, qui est au-dessus deces conditions physiques, de cette souillure terrestre, et qui, dans le Messianisme, doit détruire jusqu'à la source de l'erreur et du péché, forme, sous l'expression allégorique de la VIERGE QUI DOIT ÉCRASER LA TÊTE DU SERPENT, l'accomplissement de cette prédiction sacrée. — C'est donc cette Vierge auguste que le Messianisme introduit aujourd'hui dans le sanctuaire de l'humanité. » Croyez, et vous comprendrez, disait le Sauveur du monde ; — étudiez, et vous croirez, peuvent dire maintenant les apôtres du Magisme. Croire, c'est savoir sur parole. Or, cette parole divine, qui devançait et suppléait pour un temps la science chrétienne, on devait la comprendre plus tard, suivant la promesse du Maître. Voilà -

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donc l'accord de la science et de la foi prouvé par la foi elle-même. Mais, pour établir par la science la nécessité de cet accord, il faut reconnattre et établir un grand principe : c'est que l'absolu nè se trouve à aucune des deux extrémités de l'antinomie, et que les hommes de' parti, qui tirent toujours vers les extrêmes opposés, craignent en même temps d'arriver à ces extrêmes, regardent comme des fous dangereux ceux qui avouent nettement leurs tendances, et dans leur propre système redoutent instinctivement le fantôme de l'absolu comme le néant ou la mort. C'est ainsi que le pieux archevêque de Paris désapprouve formellement les forfanteries inquisitoriales de l'Univers, et que tout le parti révolutionnaire s'est indigné des brutalités de Proudhon. La force de cette preuve négative consiste en cette simple observation : qu'un lien central doit réunir deux tendances opposées en apparence, qui sont dans l'impossibilité de faire un pas sans que l'une entratne l'autre à reculons; ce qui nécessitera ensuite une réaction toute pareille. Et voilà ce qui arrive depuis deux siècles : enchatnées ainsi l'une à l'autre à leur insu et par derrière, ces deux

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puissances sont condamnées à un travail de Sisyphe et se font mutuellement obstacle. Retournezles en les dirigeant vers le point central, qui est l'absolu, alors elles se rencontreront de face, et, s'appuyant l'une sur l'autre, elles produiront une stabilité égale à la puissance de leurs efforts contraires, multipliés les uns par les autres. Pour retourner ainsi les forces humaines, ce qui semble au premier abord un travail d'Hercule, il suffit de détromper les intelligences et de leur montrer le but où elles croyaient trouver l'obstacle. LA RELIGION EST RAISONNABLE. Voilà ce qu'il faut dire à la philosophie, et par la simultanéité et la correspondance des lois génératrices du dogme et de la science on peut le prouver radicalement. LA RAISON EST SAINTE. Voilà ce qu'il faut dire à l'Église, et on • le lui prouvera en appliquant au triomphe de sa doctrine de charité toutes les conquétes de l'émancipation et toutes les gloires du progrès. Or, Jésus-Christ étant le type de l'humanité régénérée, la divinité rendue humaine avait pour oeuvre de rendre l'humanité divine : le Verbe fait chair permettait à la chair de devenir Verbe, et c'est ce que les docteurs de l'Église officielle n'ont

pas compris d'abord ; leur mysticisme a voulu T.I. 2

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absorber l'humanité dans la divinité. Ils ont nié le droit humain au nom du droit divin ; ils ont cru que la foi devait anéantir la raison, sans se souvenir de cette parole profonde du plus grand des hiérophantes chrétiens : « Tout esprit qui divise le Christ est un esprit de l'Àntechrist. » La révolte de l'esprit humain contre l'Église, révolte qui a été sanctionnée par un effrayant succès négatif, aurait donc été, à ce point de vue, une protestation en faveur du dogme intégral, et la révolution, qui dure depuis trois siècles et demi, n'aurait eu pour cause qu'un immense malentendu ! En effet, l'Église catholique n'a jamais nié ni pu nier la divinité humaine, le Verbe fait chair, le Verbe humain ! Jamais elle n'a consenti à ces doctrines absorbantes et énervantes qui anéantissent la liberté humaine dans un quiétisme insensé. Bossuet a eu le courage de persécuter madame Guyon, dont il admirait pourtant et dont nous avons admiré après lui la consciencieuse folie ; mais Bossuet n'a vécu, malheureusement, qu'après le concile de Trente. Il fallait que l'expérience divine

• eût son cours. Oui, nous appelons la révolution française une

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expérience divine, parce que Dieu, à cette époque, permit au génie humain de se mesurer contre lui; lutte étrange qui devait finir par un étroit embrassement; débauche de l'enfant prodigue qui avait pour unique avenir un retour décisif et une fête solennelle dans la maison du père de famille. Le Verbe divin et le Verbe humain, conçus séparément, mais sous une notion de solidarité qui les rendait inséparables, avaient dès le commencement fondé la papauté et l'empire : les luttes de la papauté pour prévaloir seule avaient été l'affirmation absolue du Verbe divin; à cette affirmation, pour rétablir l'équilibre du dogme de l'Incarnation, devait correspondre dans l'empire une affirmation absolue du Verbe humain. Telle fut l'origine de la Réforme, qui aboutit AUX naorrs DS L'HOMME. Las DROITS DE L'HOMME ! Napoléon les prouva par la gloire dont il environna son épée. Incarnée et résumée dans Napoléon, la révolution cessa d'être un désordre, et produisit par un éclatant succès la preuve irréfragable do sou Verbe. C'est alors qu'on vit, chose inouïe dans les fastes des religions 1 l'homme tendre à son tour la main à Dieu, comme pour le relever de sa chute. Un pape, dont la piété

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et l'orthodoxie n'ont jamais été contestées, vint sanctionner, de l'autorité de tous les siècles chrétiens, la sainte usurpation du nouveau César, et la révolution incarnée fut sacrée, c'est-à-dire reçut l'onction qui fait les cuaisrs de la main même du plus vénérable successeur des pères de l'autorité I C'est sur de pareils faits, aussi universels, aussi incontestables et aussi brillants de clarté que la lumière du soleil, c'est sur de pareils faits, disonsnous, que le Messianisme a posé sa base dans l'histoire. L'affirmation du Verbe divin par le Verbe humain, poussée par ce dernier jusqu'au suicide, à force d'abnégation et d'enthousiasme , voilà l'histoire de l'Église depuis Constantin jusqu'à la Réforme. L'immortalité du Verbe humain prouvée par des convulsions terribles, par une révolte qui a tenu du délire, par des combats gigantesques et par des douleurs semblables à celles de Prométhée, jusqu'à la venue d'un homme assez fort pour rattacher l'humanité à Dieu : voilà l'histoire de la révolution tout entière ! Foi et raison ! deux termes qu'on croit opposés

et qui sont identiques.

21 Autorité et liberté, deux contraires qui sont au fond la même chose, puisqu'ils ne peuvent exister l'un sans l'autre. Religion et science, deux contradictions qui se détruisent mutuellement en tant que contradictions, et s'affirment réciproquement si on les considère comme deux affirmations fraternelles. Voilà le problème posé et déjà résolu par l'histoire. Voilà l'énigme du sphinx expliquée par l'OEdipe des temps modernes, le génie de Napoléon. C'est assurément un spectacle digne de toutes les sympathies du génie humain, et nous dirons plus, digne de l'admiration des esprits même les plus froids, que ce mouvement pareil, ce progrès simultané, ces tendances égales, ces chutes prévues et ces rejaillissements également infaillibles, de la sagesse divine, d'une part, épanchée dans l'humanité, et de la sagesse humaine, de l'autre, conduite par la divinité l Fleuves échappés d'une même source, ils ne se séparent que pour mieux embrasser le monde, et quand ils se réuniront, ils entratneront tout avec eux. Cette synthèse, ce triomphe, cet entratnement, ce salut définitif du monde, toutes les âmes élevées les pressentaient : mais qui donc, avant ces grands événements qui révèlent DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

22 DOGME ET RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. et font parler si haut la puissance de la magie humaine et l'intervention de Dieu dans les oeuvres de la raison, qui donc eût osé les pressentir? Nous avons dit que la révélation avait eu pour objet l'affirmation du Verbe divin, et que l'affirmation du Verbe humain avait été le fait transcendant et providentiel de la révolution européenne commencée au xvi° siècle. Le divin fondateur du christianisme a été le Messie de la révélation, parce que le Verbe divin était incarné en lui, et nous considérons l'empereur comme le Messie de la révolution, parce qu'en lui le Verbe humain s'était résumé et se manifestait dans toute sa puissance. Le Messie divin avait été envoyé au secours de l'humanité, qui périssait épuisée par la tyrannie des sens et les orgies de la chair. Le Messie humain est venu en quelque sorte au secours de Dieu qu'outrageait le culte obscène de la raison, et au secours de l'Église menacée par les révoltes de l'esprit humain et par les saturnales de la fausse philosophie. Depuis que la réforme et la révolution à sa suite avaient ébranlé en Europe la base de tous les pouvoirs; depuis que la négation du droit divin trans-

DISCOURS PRÉLIMINAIRE. 28 formait en usurpateurs presque tous les mattres du monde et livrait l'univers politique à l'athéisme ou au fétichisme des partis, un seul peuple, conservateur des doctrines d'unité et d'autorité, était devenu le peuple de Dieu en politique. Aussi, ce peuple s'agrandissait-il dans sa force d'une manière formidable, inspiré d'une pensée qui pouvait se transformer en VERBE, c'est-à-dire en parole d'action : ce peuple c'était la race vigoureuse des Slaves, et cette pensée, c'était celle de Pierre le Grand. Donner une réalisation humaine à l'empire universel et spirituel du Messie,' donner au christianisme son accomplissement temporel, en unissant tous les peuples en un seul corps, tel devait être désormais le rêve du génie politique transformé par l'idée chrétienne en génie social. Mais où serait la tête de ce colossal empire ? Rome avait eu à ce sujet sa pensée, Pierre le Grand avait la sienne, et Napoléon seul pouvait en concevoir une autre. La fortune des descendants de Pierre trouvait en effet à cette époque une digue infranchissable dans les ruines du sanctuaire des papes, ruines vivantes où semblait dormir le catholicisme im-

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mortel comme le Christ dans son tombeau. Si la Russie eût été catholique après la réforme, la révolution française était étouffée dans son germe. L'empire temporel devait appartenir à celui qui relèverait l'autorité spirituelle dans son expression la plus simple et la plus absolue, parce que les faits suivent toujours les idées. L'autorité divine de Pierre l'apôtre manquait aux projets du czar Pierre. C'était une belle chance que la Russie laissait à la France. Napoléon le comprit; il releva les autels, il se fit sacrer par le successeur d'Hildebrand et d'Innocent III, et il crut dès lors à son étoile, parce que l'autorité qui vient de Dieu ne manquait plus à sa puissance. Les hommes avaient crucifié le Messie divin, le Messie humain fut abandonné au malheur par la Providence; car du supplice de Jésus-Christ accusé par les prètres devait nattre un sacerdoce nouveau, et du martyre de l'empereur trahi par les rois devait nattre une royauté nouvelle. Qu'est-ce, en effet, que l'empire de Napoléon ? C'est une synthèse régolutionnaire résumant le droit de tous dans celui d'un seul. C'est la liberté

justifiée par la puissance et par la gloire; c'est l'autorité prouvée par des actes; c'est le despotisme

25 de l'honneur substitué à celui de la crainte. Aussi, dans la tristesse de sa solitude à Sainte-Hélène, Napoléon, ayant conscience de son génie et comprenant que tout l'avenir du monde était là, eut-il des tentations de désespoir, et ne voyait-il plus d'autre alternative pour l'Europe que d'ètre républicaine ou cosaque avant cinquante ans. « Nouveau Prométhée, écrivait-il quelque temps • avant de mourir, je suis cloué à un roc et un vautour me ronge. » Oui, j'avais dérobé le feu du ciel pour en doter la France : le feu est remonté à sa source, et me voilà ! » La gloire était pour moi ce pont que Lucifer a lancé sur le chaos pour escalader le ciel; elle réunissait au passé l'avenir, qui en est séparé par un ablme... Rien à mon fils que mon nom ! » Jamais rien de si grand que ces quelques lignes n'est sorti de la pensée humaine : et toutes les poésies inspirées par la destinée étrange de l'Empereur sont bien pâles et bien faibles auprès de celle-là : RIEN A MON FILS QUE MON NOM Était-ce seulement un héritage de gloire qu'il croyait transmettre, ou plutôt, dans l'intuition prophétique des mourants, comprenait-il que son nom, inséparable DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

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DOGME ET RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

de sa pensée, contenait à lui seul toute sa fortune avec les destinées du monde ? Prétendre que l'humanité s'est trompée dans ses mouvements, qu'elle s'est fourvoyée dans ses évolutions, c'est blasphémer la Providence. Et pourtant ces mouvements et ces évolutions semblent parfois contradictoires; mais les paradoxes opposés se réfutent l'un par l'autre, et, semblables aux oscillations du pendule, qui tendent toujours, en se resserrant, vers le centre de gravité, les mouvements contraires ne sont qu'apparents, et les véritables tendances de l'humanité se retrouvent toujours sur la ligne droite du progrès. Ainsi, quand les abus du pouvoir ont produit la révolte, le monde, qui ne peut se fixer ni dans l'esclavage ni dans l'anarchie, attend l'instauration d'un nouveau pouvoir qui tiendra compte à la liberté de ses protestations et régnera pour elle. Ce pouvoir nouveau, Paracelse nous le fait connaître dans les admirables prédictions qui sembleraient faites après coup, si un assez grand nombre de pages encore ne se rapportaient à l'avenir. On n'élude pas plus l'avenir qu'on ne ressuscite le passé, mais on s'en tient toujours à ce qui est durable; or, cela seul est durable qui est fondé

27 sur la nature même des choses. L'instinct des peuples se conforme en cela même à la logique des idées, et deux fois le suffrage universel, placé entre l'obscurantisme et l'anarchie, a deviné la conciliation de l'ordre avec le progrès, et a nommé Napoléon. On a dit que l'empereur lui-même n'avait pu concilier la liberté et l'ordre, et que, pour fonder sa puissance, il avait dû interdire aux Français l'usage de leurs droits. On a dit qu'il nous avait fait oublier la liberté à force de gloire, et l'on ne s'aperçoit pas que l'on tombe dans une évidente contradiction. Pourquoi sa gloire est-elle la nôtre, si nous n'étions que ses esclaves? Ce mot de gloire a-t-il même une signification pour d'autres que pour des hommes libres? Nous avions consenti à sa discipline, et il nous menait à la victoire : l'ascendant de son génie était le nerf de sa puissance, et s'il ne permettait à personne de le contredire, il était pleinement dans son droit, puisqu'il avait raison. L'État, c'est moi! » avait dit Louis XIV en résumant ainsi d'un mot tout l'esprit des institutions monarchiques. « Le peuple souverain, c'est moi ! » pouvait dire l'empereur en résumant à son tour toute la force républicaine ; et il est évident que DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

28DOGMEETRITUELDELAHAUTEMAGIE. plus son chef avait d'autorité, plus le peuple français était libre. Ce qui a rendu si affreuse l'agonie de Napoléon, ce n'était pas le regret-du passé , on ne regrette pas la gloire qui ne saurait mourir; mais c'était l'épouvante d'emporter avec lui l'avenir du monde. « Oh! ce n'est pas la mort, murmurait-il, c'est la vie qui me tue ! » Puis, portant la main à sa poitrine : « Ils ont enfoncé là un couteau de boucher et ils ont brisé le fer dans la plaie ! » Puis uu moment après, à cet instant suprême où la vie échappe, et où l'homme, illuminé déjà intérieurement de la lumière d'un autre monde, a besoin de laisser son dernier mot aux vivants comme un enseignement et un héritage, Napoléon répéta deux fois ces paroles énigmatiques : « La téte de l'armée ! » Était-ce un dernier défi jeté au fantôme de Pierre le Grand, un cri suprême de désespoir ou une prophétie des destinées de la France 1 L'humanité tout entière apparaissait-elle alors à l'empereur harmonieuse et disciplinée, marchant à la conquête du progrès, et voulait-il résumer d'un seul mot le problème des temps modernes qui doit

être prochainement résolu entre la Russie et fa France:LATÈTEDEL'ARMÉE!

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Ce qui donne en ce moment plus de chances à la France, c'est son catholicisme et son alliance avec la papauté, cette puissance que les anarchistes nomment déchue, et que Napoléon estimait plus forte encore qu'une année de trois cent mille hommes. Si la France, comme le voulaient des anarchistes imbéciles, se fût liguée, en 18119, avec l'ingratitude romaine, ou avait seulement laissé restaurer le trône pontifical par l'Autriche et par la Russie, les destinées de la France finissaient, et le Génie indigné de l'empereur, passant au Nord, accomplissait au profit des Slaves le beau rêve de Pierre le Grand. Pour les hommes qui s'imaginent l'absolu dans les extrêmes, la raison et la foi, la liberté et l'autorité, le droit et le devoir, le travail et le capital sont inconciliables. Mais l'absolu n'est pas plus admissible dans chacune des opinions séparées que l'entier n'est concevable dans chacune de ses fractions. Foi raisonnable, liberté autorisée, droit méritépar le devoir accompli, capital fils et père du travail ; voilà, comme nous l'avons déjà dit en d'autres termes, les formules de l'absolu. Et si l'on .

nous demande quel est le centre de l'antinomie, quel est le point fixe de l'équilibre, nous avons

80 DOGME E'r RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. déjà répondu que c'est l'essence même d'un Dieu à la fois souverainement libre et infiniment nécessaire. Que la force centripète et la force centrifuge soient deux forces contraires, cela n'est pas à mettre en question; mais que de ces deux forces combinées résulte l'équilibre de la terre, c'est ce qu'il serait également absurde et inutile de nier. L'accord de la Raison avec la Foi, de la Science avec la Religion, de la Liberté avec l'Autorité, du Verbe humain, en un mot, avec le Verbe divin, n'est pas moins évident, et nous en avons suffisamment indiqué les preuves. Mais les hommes ne considèrent jamais comme prouvées les vérités qu'ils refusent d'entendre, parce qu'elles contrarient leurs passions aveugles. A la démonstration la plus rigoureuse, ils vous répondent toujours par la difficulté mème que vous venez de résoudre. Recommencez vos preuves, ils s'impatienteront, et diront que vous vous répétez. Le Sauveur du monde avait dit que le vin nouveau ne doit pas ètre enfermé dans les outres usées, et qu'il ne faut pas coudre une pièce neuve à un

vieux manteau. Les hommes ne sont que les représentants des idées, et il ne faut pas s'étonner si les

DISCOURS PRÉLIKINAIRE.

erreurs incarnées repoussent la vérité avec dédain ou 'Dème avec colère. Mais le Verbe est essentiellement créateur, et, à chaque nouvelle émission de sa chaleur et de sa lumière, il fait éclore dans le monde une humanité nouvelle. L'époque du dogme obscur et de la cécité intellectuelle est passée, pourtant ne parlez pas du jeune soleil aux vieux aveugles; appelez—en au témoignage des yeux qui s'ouvrent, et attendez les clairvoyants pour expliquer les phénomènes du jour. Dieu a créé l'humanité; mais, dans l'humanité, chaque individu est appelé à se créer lui-mème comme être moral et par conséquent immortel. Revivre dans l'humanité, telle est l'espérance vague que le panthéiSme et le mysticisme révolutionnaire laissent à leurs adeptes; ne jamais mourir dans son individualité intelligente et morale, telle est la prérogative que la révélation assure à chacun de ses enfants ! Laquelle de ces deux idées est la plus consolante et la plus libérale? Laquelle des deux surtout donne une base plus certaine et un but plus sublime à la moralité humaine? Toute puissance qui ne rend pas raison d'elle— même et qui pèse sur les libertés sans leur donner de garanties, n'est qu'un pouvoir aveugle et

32 DOGME ET RITUEL DE LA HAUTE' fil4GIE. transitoire ; l'autorité vraie et durable est celle qui s'appuie sur la liberté, tout en lui donnant une règle et un freih. Ceci exprime l'absolu en politique. Toute foi qui n'éclaire pas et n'agrandit pas la raison, tout dogme qui nie la vie de l'intelligence et la spontanéité du libre arbitre, constituent une superstition ; la vraie religion est celle qui se prouve par l'intelligence et se justifie par la raison, tout en les soumettant à une obéissance nécessaire. Ceci est l'indication de l'absolu en religion et en philosophie. De l'idée que les hommes se sont faite de Dieu ont toujours procédé les notions de puissance, soit au spirituel', soit au temporel , et le mot qui exprime la Divinité ayant été de tout temps la formile de l'absolu, soit en révélation, soit en intuition naturelle , le sens qu'on attache à ce mot a toujours été l'idée dominante de toute religion et de toute philosophie, comme de toute politique et de toute morale. Conceroir en Dieu la liberté sans nécessité, c'est rêver une toute-puissance sans raison et sans frein, c'est faire trôner dans le ciel l'idéal de la tyrannie. Telle a été, dans beaucoup d'esprits enthousiastes

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DISCOURS PRELIMINAIRE.

et mystiques, la plus dangereuse erreur du moyen âge. Concevoir en Dieu la nécessité sans liberté, c'est en faire une machine infinie, dont nous sommes, malheureusement pour nous, les rouages intelligents. Obéir ou être brisés, telle serait notre destinée éternelle; et nous obéirions sciemment à quelque chose qui commanderait sans savoir pourquoi : tristes voyageurs que nous serions, enfermés dans les waggons qu'une formidable locomotive entraînerait à toute vapeur sur le grand chemin de l'abîme. Cette doctrine panthéistique, matérialiste et fatale, est à. la fois l'absurdité et la calamité de notre siècle. Cette loi suprême de la liberté et de la nécessité régies et tempérées l'une par l'autre se retrouve partout et domine tous les faits où se révèle une vertu, une juste puissance ou une autorité. quelconque. Dans le monde, qu'avait tiré des ténèbres de la décadence, et que soutenait sur le chaos de la barbarie la main providentielle de Charlemagne, il y avait la papauté et l'empire, deux pouvoirs soutenus et limités l'un par l'autre. La papauté alors, dépositaire du dogme initiateur et civilisateur, représentait la liberté, qui tient les T. I.

3

VI DOGME ET RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. clefs de l'avenir; et l'empereur, armé du glaive,

étendait sur les troupeaux que poussait en avant la houlette des pontifes le bras de fer de la nécessité, qui assurait et réglait la marche de l'humanité dans les voies du progrès. Qu'on ne s'y trompe pas , le mouvement religieux de notre époque, commencé par Chateaubriand, continué par Lamennais et Lacordaire, ce mouvement n'est pas rétrograde et ne donne pas tort à l'émancipation de la conscience humaine. L'humanité s'était révoltée contre >3s excès du mysticisme, qui , en affirmant la liberté absolue de Dieu sans admettre en lui aucune nécessité, anéantissait la justice éternelle et absorbait la personnalité de l'homme dans l'obéissance passive : le Verbe humain, en effet, ne pouvait pas se laisser dévorer ainsi; mais les passions aveugles essayèrent de pousser la protestation dans l'extrémité contraire, en lui faisant proclamer la souveraineté unique et absolue de l'individualisme humain. On se souvient du culte de la Raison inauguré à Notre. Dame, et des hommes de septembre maudissant la Saint-Barthélemy. Ces excès produisirent vite .

la lassitude et le dégoût; mais l'humanité ne reponça pas pour cela à ce qui avait rendu sa pro.

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

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testation nécessaire. Chateaubriand vint alors désabuser les esprits qu'on avait égarés en calomniant l'Église. Il fit aimer la religion en la montrant humaine et raisonnable; le monde avait besoin de se réconcilier avec son Sauveur, mais c'est en le reconnaissant pour être véritablement homme, qu'on se disposait à l'adorer de nouveau comme le vrai Dieu. Ce que l'on demande aujourd'hui au prêtre, c'est surtout la charité, cette sublime expression de l'humanité divine. La religion ne se contente plus d'offrir à l'âme les consolations de l'autre vie, elle se sent appelée à secourir dans celle-ci les douleurs du pauvre, à l'instruire, à le protéger et à le diriger dans son travail. La science économique vient au-devant d'elle dans cette oeuvre de régénération. Tout cela peut-être se fait lentement, mais enfin le mouvement s'opère, et l'Église, secondée par le pouvoir temporel, ne saurait manquer de retrouver bientôt toute son influence d'autrefois pour prêcher au monde le christianisme accompli dans la synthèse messianique. Si l'Église avait réellement nié le Verbe humain, si elle était l'ennemie naturelle, par conséquent, de toute liberté et de progrès, nous la regarderions comme morte, et nous

36 D O G M E E T R I T U E L D E L A H A U T E M A G I E . penserions, qu'il en sera d'elle comme de la synagogue judaïque; mais, encore une fois, cela n'est pas et ne saurait étre. L'Église, qui, dans sa constitution, réfléchit l'image de Dieu, porte en elle aussi la double loi de liberté et d'autorité contenues, réglées et tempérées l'une par l'autre. En effet, l'Église, tout en maintenant l'intégrité et la stabilité du dogme, lui a donné, de concile en concile, de superbes développements. Aussi, parmi les hérétiques et les dissidents, pendant que les uns accusaient l'orthodoxie d'immobilisme, d'autres lui reprochaient sans cesse des innovations; tous les sectaires, pour se séparer de la commune ecclésiastique, ont prétexté le désir de retourner aux croyances et aux pratiques de l'Église primitive. Si l'on eût parlé aux catholiques du xve siècle ou aux philosophes du xvnie d'un accord nécessaire entre la liberté de conscience et l'autorité religieuse, entre la raison et la foi, on eût indigné les uns et fait rire amèrement les autres. Parler de paix et d'alliance au milieu d'une bataille, c'est, en effet, prendre assez mal son temps et vouloir perdre ses paroles. Les doctrines dont nous nous faisons l'interprète, parce que nous les considérons comme l'expression

DISCOURS PRÉLIMINAIRE. 37 la plus avancée des tendances de l'intelligence humaine à l'époque où nous vivons, ces doctrines, pressenties depuis quelques années par un petit nombre d'esprits d'élite, peuvent être émises aujourd'hui avec espoir de les voir accueillies; mais, il y a quelques mois à peine, elles n'eussent trouvé nulle part ni une attention complaisante, ni une . tribune ni un écho. C'est qu'alors les partis extrêmes n'avaient pas encore été contraints d'abdiquer leurs prétentions devant la toute-puissance des événements providentiels, et l'on pouvait difficilement rester neutre au milieu de leur guerre acharnée ; toute concession de l'un à l'autre était alors considérée comme une véritable trahison , et les hommes qui n'abandonnent jamais la justice, étant contraints de la chercher séparément et successivement dans les deux causes séparées, devenaient suspects à tout le monde, comme des renégats ou des transfuges. Avoir des convictions assez énergiques pour préférer alors son indépendance consciencieuse aux encouragements des coteries, c'était se condainner à une solitude qui n'était pas sans appréhensions et sans angoisses. Demeurer isolé entre deux armées qui s'attaquent, n'est-ce pas être exposé à tous les

38 DOGME ET RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. coups ? Passer de l'une à l'autre, n'est-ce pas vouloir se faire proscrire dans toutes les deux ? En choisir une au hasard, n'est-ce pas trahir l'autre? Ce sont ces alternatives cruelles qui ont poussé des hommes comme M. de Lamennais de l'ultramontanisme au jacobinisme, sans leur laisser trouver nulle part ni certitude ni repos. L'illustre auteur des Paroles d'un croyant, épouvanté de voir se dresser devant lui l'anarchie et le néant sous le masque du socialisme, et ne trouvant dans son génie irrité aucune justification de l'antinomie qui le blessait, n'a-t-il pas reculé jusqu'à Zoroastre, et n'a-t-il pas cherché dans les dogmes désolants du manichéisme une explication quelconque de la guerre éternelle des Amchaspands et des Darvands? Mais les quatre années qui viennent de s'écouler ont été pleines, pour le monde, d'enseignements et de révélations immenses. La révolution s'est expliquée et justifiée une seconde fois par la création d'une autorité absolue, et nous comprenons maintenant que le dualisme constitutionnel n'était autre chose que le manichéisme en politique. Pour concilier la liberté et le pouvoir, il faut en effet les appuyer l'un sur l'autre, et non les opposer l'un à l'autre.

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La souveraineté absolue fondée sur le suffrage universel, telle est désormais la notion unique de l'autorité véritable, en religion comme en politique. Ainsi seront constitués les gouvernements de droit humain, seconde forme du droit divin, qui est imprescriptible dans l'humanité. C'est par l'intelligence du vrai et la pratique raisonnée du bien que s'affranchissent non-seulement les individus, mais les peuples. Sur des hommes dont l'Aine est libre, la tyrannie matérielle est impraticable; mais aussi la liberté extérieure des hommes et des multitudes, qui sont intérieurement asservis à des préjugés ou à des vices, n'est qu'une multiplication et une complication de tyrannie. Quand la majorité des hommes inintelligents est mattresse , la minorité des sages est esclave. Aussi faut-il soigneusement distinguer le droit du fait et le principe de ses applications dans la politique de l'Église. Son travail a toujours été de soumettre les fatalités de la chair à la providence de l'esprit; c'est au nom de la liberté' morale qu'elle oppose une digue à la spontanéité aveugle des tendances physiques; et si, de nos jours, elle ne s'est pas montrée

GO DOGME ET RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

sympathique au mouvement révolutionnaire, c'est qu'elle sentait d'une manière suréminente et infaillible que là n'était pas la véritable liberté. Ce sont les abus possibles de la liberté qui rendent l'autorité nécessaire; et l'autorité n'a d'autre mission dans l'Église et dans l'État que de protéger la liberté réglée de tous contre la liberté déréglée de quelques-uns. Plus l'autorité est forte, plus sa protection est puissante. Voilà pourquoi l'infaillibilité a été nécesiaire à l'Église; voilà pourquoi aussi toujours, dans un État bien gouverné, force doit rester à la loi. L'idée de liberté et celle d'autorité sont donc indissolublement unies et s'appuient uniquement l'une sur l'autre. La tyrannie dans l'ancien monde n'était que la liberté absolue de quelques-uns au préjudice de la liberté de tous. L'Évangile, en imposant des devoirs aux rois comme aux peuples a rendu, aux uns l'autorité qui leur manquait, et a garanti aux autres une liberté fondée sur des droits nouveaux, avec la certitude d'un progrès réel et d'un perfectionnement possible à tous. Si l'intelligence humaine n'était pas perfectible,

à quoi servirait, je vous prie, l'enseignement permanent de la Providence, et pourquoi la révélation

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se serait-elle manifestée sous des formes successives et successivement plus parfaites ? La nature nous montre le progrès dans la constitution de tous les êtres et n'accomplit que lentement ses chefs-d'oeuvre. Le mouvement est partout le signe de la vie, et même lorsqu'il parait s'accomplir en parcourant un cercle, dans ce cercle, du moins, il va toujours en avant, et ne donne jamais, en revenant sur luimême, un démenti à la main qui l'imprime: La loi du mouvement, si elle n'était point réglée par la Providence dans le ciel et par l'autorité sur la terre, serait une loi de destruction et de mort, parce que ce serait une loi de désordre; niais, d'un autre côté, si la résistance qui règle le mouvement arrive à le paralyser et'à vouloir l'arrêter, de deux choses l'une : ou le mouvement brisera la résistance et détruira l'autorité, ou l'autorité anéantira le mouvement et se suicidera ainsi en détruisant sa propre force et sa propre vie. C'est ainsi que le judaïsme s'est renversé lui— même en voulant s'opposer à l'éclosion du christianisme, qui était la conséquence naturelle et le développement nécessaire des dogmes de Moïse et des promesses des prophètes. La catholicisme n'imitera pas le judaïsme et ne

4.2 DOGME ET RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

s'opposera pas à la grande synthèse messianique, parce que l'Église catholique porte dans son nom même une promesse d'universalité, qui assigne d'avance son vrai nom à l'Église de l'avenir. Rome et Constantinople ne se disputeront pas une seconde fois l'empire du monde : où se manifestera le Verbe, là sera le pontife du Verbe: Le siège que reconnaîtra l'obéissance du monde sera celui du successeur de Jésus—Christ; et tout chef d'un petit nombre de dissidents, quels que puissent être d'ailleurs ses prétextes et ses prétendus titres, ne sera plus devant le suffrage universel des nations qu'un antipape et un sectaire. La réunion des deux Églises grecque et romaine est donc la grande révolution tout à la fois religieuse et civile qui doit tôt ou tard changer la face du monde; et cette révolution ne saurait manquer d'être le résultat du développement et de la propagation des doctrines kabbalistiques dans l'Église et dans la société. En vain nous dirait-on que l'Église se croit parfaite, et affecterait-on de craindre qu'elle ne refuse d'admettre la loi du progrès. Nous avons déjà répondu à cette crainte par un passage décisif de Vincent de Lérins; mais la question est assez im-

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

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portante pour que nous ajoutions ici encore quel.; ques fortes autorités. Un savant pasteur anglais, récemment converti au catholicisme, le docteur John Newman, a publié dans ces derniers temps un ouvrage qui a obtenu la haute approbation de l'autorité ecclésiastique, et dans lequel il prouve que le développement du dogme, et par conséquent celui de l'intelligence humaine, a été l'oeuvre spéciale du catholicisme, considéré comme principe initiateur et conservateur, dans l'explication et l'application de ces théorèmes divins qui sont la lettre du dogme. Avant de prouver sa thèse, il établit victorieusement l'existence du progrès naturel en toutes choses, mais plus particulièrement dans la révélation. Voici en quels termes il s'exprime : « D'après l'histoire de toutes les sectes et de tous les partis en religion, et d'après l'analogie et l'exemple de l'Écriture , nous pouvons 'conclure raisonnablement que la doctrine chrétienne admet des développements formels, légitimes, réels, des développements prévus par son divin auteur. » L'analogie générale du monde physique et moral confirme cette conclusion : « Tout le monde » naturel, et son gouvernement, dit Butler, est un

/lit

DOGME ET RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

» plan ou un système, non un système fixe, mais » progressif, un plan dans lequel l'essai de divers • moyens a lieu longtemps avant que les fins pro» posées puissent être atteintes. Le changement des • saisons, la culture des fruits de la terre, l'histoire » » » » » » » •

même d'une fleur en est une preuve; et il en est ainsi de la vie humaine. Ainsi les végétaux et les animaux, quoique formés nécessairement en une fois, grandissent cependant par degrés pour arriver à la maturité. Et ainsi les agents raisonnables qui animent les corps sont naturellement portés vers le caractère qui leur est propre par l'acquisition graduelle de connaissances et d'ex-

» périence, et par une longue suite d'actions. » » Notre existence n'est pas seulement successive, comme elle doit l'être de toute nécessité, niais un état de notre être est désigné par le Créateur pour servir de préparation à un autre état et de transition à celui qui lui succède. Ainsi l'adolescence vient après l'enfance, la jeunesse après l'adolescence et l'âge mûr après la jeunesse. Les hommes, dans leur impatience, veulent tout précipiter. Mais l'auteur de la nature semble n'opérer que d'après

une longue délibération, et arrive à ses fins par des progrès successivement et lentement accom-

DISCOURS PRÉLIMINAIRE. 115

plis... Dieu opère de la même manière dans le cours de sa providence naturelle et dans la manifestation religieuse, faisant succéder une chose à une autre, puis. une autre encore à celle-ci, et continuant toujours, par une série progressive de moyens qui s'étendent au delà et en deçà de notre vue bornée. La loi nouvelle du christianisme nous est représentée dans celle de la nature. » « Dans une de ses paraboles» , remarque ailleurs le docteur Newman, « Notre-Seigneur compare le royaume du ciel à un grain de sénevé qu'un homme prend et sème dans son champ. Cette graine est, à la vérité, la plus petite de toutes les graines; mais, quand elle a crû, elle est la plus grande des plantes et devient un arbre; et, comme le dit saint Marc, « cet arbre pousse des branches sur les» quelles les oiseaux du ciel viennent se reposer. » Et ensuite, dans le même chapitre de saint Marc : « Le royaume de Dieu est semblable à un homme » qui jette de la semence en terre. Qu'il dorme ou » qu'il se lève, nuit et jour la semence germe et » croit sans qu'il sache comment, car la terre pro» duit son fruit d'elle—même. » Ici il est question d'un élément intime de la vie, soit principe, soit doctrine, plutôt que d'aucune manifestation

h6 Do(ME 1H? EL DE LA DAM MAME.

extérieure; et il est à observer que, selon l'esprit du texte, le caractère spontané aussi bien que graduel appartient à la croissance. Cette description du progrès correspond à ce qui a déjà été observé par rapport au développement ; c'est-à-dire qu'il n'est le résultat ni de la volonté, ni de la résolution, ni d'une exaltation factice, ni du mécanisme de la raison, ni même d'une plus grande subtilité de l'intelligence, mais qu'il agit par sa force native, dont l'expansion et l'effet ont lieu dans un moment déterminé. Sans doute que la réflexion, jusqu'à un certain point, le régit et le modifie en l'appropriant au génie particulier des personnes, mais toujours selon le premier développement moral de l'esprit lui-même. » Il est impossible d'indiquer plus clairement l'existence des deux lois qui se complètent l'une l'autre, bien qu'opposées en apparence, de la nécessité providentielle et de la liberté humaine. Pour les hommes, la nature elle-même est cette nécessité qui contient et féconde les élans de leur Verbe créateur; Verbe qui constitue dans l'homme la ressemblance de Dieu, et qu'on appelle la liberté ! La tactique des hérésiarques et des matérialistes a été de tout temps d'abuser des mots pour per-

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vertir les choses ; puis d'accuser l'autorité d'apostasie, lorsqu'elle vengeait, en les condamnant eux-mêmes, les vérités mal interprétées par eux et qui leur servaient d'enseignes. Vous appelez liberté la plus condamnable licence, vous appelez progrès un mouvement tumultueux et subversif; l'Église vous désavoue, et vous l'accusez avec amertume d'être l'ennemie du progrès et de la liberté ! Elle n'est ennemie que du mensonge, et vous le savez bien. Et c'est pourquoi, voulant persévérer dans votre guerre contre elle, il faut bien toujours que vous Mentiez : autrement, vous seriez d'accord avec elle, et il faudrait, bon gré, mal gré, que vous subissiez sa puissance. Voilà ce qu'on peut dire, au nom de l'Église, à ses adversaires de mauvaise foi. Mais nous avons à répondre ici à des objections plus sérieuses. Des catholiques sincères, mais peu éclairés, plus attachés à la lettre qu'à l'esprit des décisions pontificales, nous diront peut-être que, dans ses encycliques au sujet des doctrines de l'abbé de Lamennais, Rome a formellement condamné les idées de liberté et de progrès. Nous répondrons par les termes mêmes de la première encyclique : Le pape condamne ceux qui,

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pour régénérer l'Église veulent la rendre tout humaine, de divine qu'elle est dans son autorité et dans son principe. Donc ce que le juge condamne, ce n'est pas l'affirmation du Verbe humain, mais la négation du Verbe

divin. L'Église est donc ici dans son droit et dans son devoir. Rome a vu le principe de son autorité spirituelle attaqué par les oeuvres de l'illustre écrivain, et la preuve qu'elle ne se trompait pas, et que M. de Lamennais ne croyait déjà plus à cette toutepuissance morale dont il avait été naguère le plus zélé et le plus puissant défenseur, c'est qu'il ne s'est pas soumis à ses décisions et qu'il a passé outre, enjambant d'un seul pas rétrograde, l'Église, le christianisme et la civilisation tout entière. Quant à la liberté que l'Église réprouve, c'est celle qui a voulu détrôner Pie IX, et qui a conduit l'Europe au bord de l'abîme. Mais que peut-il y avoir de commun entre la liberté des enfants de Dieu et celle des enfants de Caïn 2 Nous ne croyons donc pas, encore une fois, que l'Église romaine laisse prendre à l'Église d'Orient l'initiative du mouvement régénéra-

teur. L'immobilité de la barque de Pierre, au milieu du va- et- vient des vagues révolutionnaires,

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n'est qu'une protestation divine en faveur du véritable progrès. Tout ce qui s'accomplit hors de l'autorité s'ac. complit hors de la nature, qui est la loi positive de l'autorité éternelle. L'idéal humain peut donc suivre deux voies opposées : ou dévancer la science par l'intuition qu'elle doit justifier plus tard, ou s'écarter de la science par l'hallucination qu'elle condamne. Les amis du désordre, les âmes captives de l'égoïsme brutal, craignant le joug de la science et la discipline de la raison, prennent toujours l'hallucination pour guide. Le paganisme a eu ses faux mystiques, et c'est ainsi que le dogme philosophique des anciens Hellènes s'est changé en idolâtrie; le christianisme a été aussi affligé à son tour de la même plaie, et un ascétisme inhumain, entratnant après lui comme réaction le quiétisme le plus immoral, a fait calomnier la piété véritable et a éloigné bien des âmes des pratiques de la religion. Un des plus remarquables fantaisistes de notre temps, le paradoxal P.-J. Proudhon, ayant un jour à contrarier M. de Lamartine qui était alors au pouvoir, lança contre les poètes une de ces cyniques et éloquentes diatribes qu'il sait si bien faire. T. 1.

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-Nous n'avons pas sous les yeux cette page emportée comme tant d'autres par le tourbillon révolutionnaire, mais nous nous rappelons avec quelle verve le trop célèbre rêveur déclamait contre la poésie et contre les rêves ; il était effrayant de vérité lorsqu'il représentait l'État chancelant et dévoyé, prêt à trébucher dans le sang à la suite de quelque joueur de guitare que l'extase de sa propre musique empêchera d'entendre les imprécations, les sanglots et les râles ! Voilà, s'écriait-il, ce que c'est que le gouvernement des poètes! Puis, s'échauffant pour son idée, comme c'est l'ordinaire, il arrivait à conclure que Néron était l'incarnation la plus complète de la poésie élevée sur le trône du monde. Brûler Rome aux sons de la lyre et dramatiser ainsi la grande poésie de Virgile, n'était-ce pas une colossale et impériale et poétique fantaisie? A la ville des Césars qu'il sacrifiait ainsi comme un décor à la mise en scène de ses vers, Néron voulait substituer une Rome nouvelle, toute dorée et construite d'un seul palais Oh ! si la grandeur de l'audace et la témérité des rêves font le sublime en poésie, Néron était, en effet, un grand poète! Mais ce n'est ni M. Proudhon, ni aucun des chefs du socialisme moderne, qui ont le droit de l'en blâmer.

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fit

Néron représente pour nous la personnification la plus complète de l'idéalisme sans autorité et de la licence du pouvoir : c'est l'anarchie de M. Proudhon résumée en un seul homme et placée sur le trône de l'univers; c'est l'absolu des matérialistes en voluptés, en audace, en énergie et en puissance. Jamais nature plus désordonnée n'effraya le monde de ses écarts; et voilà ce que les révolutionnaires de l'école de M. Proudhon entendent par de la poésie; mais nous ne pensons pas comme eux. Étre pcete, c'est créer; ce n'est pas rêver ni mentir. Dieu a été poète lorsqu'il a fait le monde, et son immortelle épopée est écrite avec des étoiles. Les sciences ont reçu de lui les secrets de la poésie, parce que les clefs de l'harmonie ont été remises entre leurs mains. Les nombres sont poètes, car ils chantent avec ces notes toujours justes, qui donnaient des ravissements au génie de Pythagore. La poésie qui n'accepte pas le monde tel que Dieu l'a fait, et qui cherche à en inventer un autre, n'est que le délire des esprits des ténèbres : c'est celle-là qui aime le mystère et qui nie les progrès de l'intelligence humaine. A celle-là donc les enchantements de l'ignorance et les faux miracies de la

52 DOGME ET RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. théurgie 1 A celle-là le despotisme de la matière et les caprices des passions ! A la poésie anarchique, en un mot, les tentatives toujours vaines, les espérances toujours déçues, le vautour et la rage impuissante de Prométhée, tandis que la poésie soumise à l'ordre, qui lui garantit une liberté inviolable, cueillera les fleurs de la science, traduira l'harmonie des nombres, interprétera la prière universelle et marchera tantôt devant la science, tantôt sur ses traces, mais toujours près d'elle, dans la lumière vivante du Verbe et dans la voie assurée du progrès ! Cet avenir prochain du christianisme retrempé à la source de toute révélation, c'est-à-dire dans les fortes vérités du magisme et de la cabale, a été pressenti par un grand poète polonais, Adam Mickiewisch, qui a créé pour cette doctrine un nom nouveau, et l'a nommée le Messianisme. Ce nom nous plaît et nous l'adoptons avec plaisir, pourvu qu'il ne représente pas l'idée d'une secte nouvelle. Le monde est las de morcellements et de divisions, et tend de toutes ses forces à l'unité. Aussi ne sommes-nous pas de ceux qui se disent catholi ques et non romains; ce qui constitue un contre -sens

des plus ridicules. Catholique veut dire universel,

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or l'universalité n'est-elle donc pas nécessairement romaine, puisque Rome est dans l'univers? Le xvme siècle a vu les abus de la religion, mais il a méconnu la force de cette même religion, parce qu'il n'en devinait pas le secret. La haute magie échappe à l'incrédulité et à l'ignorance parce qu'elle s'appuie également et sur la science et sur la foi. L'homme est le thaumaturge de la terre, et par son verbe, c'est—à-dire par sa parole intelligente, il dispose des forces fatales. Il rayonne et attire comme les astres; il peut guérir par un attouchement, par un signe, par un acte de sa volonté. Voilà ce que Mesmer, avant nous, était venu révéler au monde; voilà ce secret terrible qu'on enfouissait avec tant de soin dans les ombres des anciens sanctuaires. Que peuvent prouver maintenant les prétendus miracles de l'homme, sinon l'énergie de sa volonté et la puissance de son magnétisme? C'est donc maintenant qu'on peut dire avec vérité que Dieu seul est Dieu, car les hommes de prestige ne se feront plus' adorer. D'ailleurs, la synthèse de tous les dogmes nous ramène à un seul symbolisme, qui est celui de la cabale et des mages. Les trois mystères et les quatre vertus

5/1. DOGME ET RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

réalisent le triangle et le carré magique. Les sept sacrements manifestent les puissances des sept génies ou des sept anges, qui, suivant le texte de l'Apocalypse, se tiennent toujours devant le trône de Dieu. Nous comprenons maintenant les mathématiques sacrées qui multiplient soixante et douze fois le divin tétragramme pour former les empreintes des trente-six talismans de Salomon , Ramenés par des études profondes à l'antique théologie d'Israël, nous nous inclinons devant les hautes vérités de la cabale, et nous espérons que les sages Israélites, à leur tour, reconnaîtront qu'ils n'étaient séparés de nous que par des mots mal entendus. Israël a emporté d'Égypte les secrets du sphinx; mais il a méconnu la croix qui, dans les symboles primitifs de l'Égypte magique, était déjà la clef du ciel. Il ne tardera pas à la comprendre, car déjà il a ouvert son coeur à la charité. Le cri d'angoisse des chrétiens de Syrie a ému les enfants de Moïse, et pendant qu'Abd-el-Kader protégeait nos malheureux frères en Orient et les défendait au péril de sa vie, une souscription s'ouvrait à Paris par les soins de l'avocat israélite Crémieux.

La grande énigme des siècles anciens, le sphinx, après avoir fait le tour du monde sans trouver de

55 repos, s'est arrêté au pied de la croix, cette autre grande énigme; et depuis dix-huit siècles et demi, il la contemple et la inédite. Qu'est—ce que l'homme? demande le sphinx à la croix, et la croix répond au sphinx en lui demandant : Qu'est-ce que Dieu ? Déjà dix-huit fois le vieil Àasw érus a dit aussi le tour du globe; et à la fin de tous les siècles, et au commencement de toutes les générations, il passe près de la croix muette et devant le sphinx immobile et silencieux. Quand il sera las de marcher toujours sans arriver jamais, c'est là qu'il se reposera, et alors le sphinx et la croix parleront tour à tour pour le consoler. Je suis le résumé de la sagesse antique, dira le sphinx; je suis la synthèse de l'homme. J'ai un front qui pense et des mamelles qui se gonflent d'amour; j'ai des griffes de lion pour la lutte, des flancs de taureau pour le travail et des ailes d'aigle pour monter vers la lumière..Je n'ai été compris • dans les temps anciens que par l'aveugle volontaire de Thèbes, ce grand symbole de la mystérieuse expiation qui devait initier l'humanité à l'éternelle justice; mais maintenant l'homme n'est plus l'enDISCOURS PRÉLIMINAIRE.

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56 DOGME ET RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. faut maudit qu'un crime originel fait exposer à la mort sur le Cythéron ; le père est venu expier à son tour le supplice de son fils; l'ombre de Laïus a gémi des tourments d'OEdipe ; le ciel a expliqué au monde mon énigme sur cette croix. C'est pourquoi je me tais en attendant qu'elle–même s'explique au monde': repose-toi, Aaswérus, car c'est ici le terme de ton douloureux voyage. — Je suis la clef de la sagesse à venir, dira la croix; je suis le signe glorieux du stauros que Dieu a fixé aux quatre points cardinaux du ciel, pour servir de double pivot à l'univers. J'ai expliqué sur la terre l'énigme du sphinx, en donnant aux hommes la raison de la douleur; j'ai consommé le symbolisme religieux en réalisant le sacrifice. Je suis l'échelle sanglante par où l'humanité monte vers Dieu et par où Dieu descend vers les hommes. Je suis l'arbre du sang, et mes racines le boivent par toute la terre, afin qu'il ne soit pas perdu, mais qu'il forme sur mes branches des fruits de dévouement et d'amour. Je suis le signe de la gloire, parce que j'ai révélé l'honneur; et les princes de la terre m'attachent sur la poitrine

des braves. Un d'entre eux m'a donné une cinquième branche pour faire de moi une étoile; mais

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

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je m'appelle toujours la croix. Peut-être celui qui fut le martyr de la gloire prévoyait-il son sacrifice, et voulait-il, en ajoutant une branche à la croix, préparer un chevet à sa propre tête à côté de celle du Christ. J'étends mes bras également à droite et à gauche, et j'ai également répandu les bénédictions de Dieu sur Madeleine et sur Marie; j'offre le salut aux pécheurs, et aux justes la grâce nouvelle; j'attends Caïn et Abel pour les réconcilier et les unir. Je dois servir de point de ralliement aux peuples, et je dois présider au dernier jugement des rois; je suis l'abrégé de la loi, car je porte écrit sur mes branches : Foi, espérance et charité. Je suis le résumé de la science, parce que j'explique la vie humaine et la pensée de Dieu. Ne tremble pas, Aaswérus, et ne redoute plus mon ombre; le crime de ton peuple est devenu celui de l'univers, car les chrétiens aussi ont crucifié leur Sauveur; ils l'ont crucifié en foulant aux pieds sa doctrine de communion, ils l'ont crucifié en la personne des pauvres, ils l'ont crucifié en te maudissant toimême et en proscrivant ton exil; mais le crime de tous les hommes les enveloppe tous dans le même pardon; et toi, le Caïn humanitaire, toi, rainé de ceux que doit racheter la croix, viens te

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DOGME ET RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

reposer sous l'un de ses bras encore teint du sang rédempteur! Après toi viendra le fils de la seconde synagogue, le pontife de la loi nouvelle, le successeur de Pierre; lorsque les nations l'auront proscrit comme toi, lorsqu'il n'y aura plus d'autre couronne que celle du martyre, et lorsque la persécution l'aura rendu soumis et doux comme le juste Abel, alors reviendra Marie, la femme régénérée, la mère de Dieu et des hommes; et elle réconciliera le Juif errant avec le dernier des papes, puis elle recommencera la conquête du monde pour le rendre à ses deux enfants. L'amour régénéra les sciences, la raison justifiera la foi. Alors je redeviendrai l'arbre du paradis terrestre, l'arbre de la science du bien et du mal, l'arbre de la liberté humaine. Mes immenses ranieaux ombrageront le monde entier, et les populations fatiguées se délasseront sous tnon ombre; mes fruits seront la nourriture des forts et le lait des petits enfants; et les oiseaux du ciel, c'est-à-dire ceux qui passent en chantant, portés sur les ailes de l'inspiration sacrée, ceux-là se reposeront sur mes branches toujours vertes et chargées de fruits. Repose-toi donc, Aaswérus, dans l'espérance de ce bel avenir;

car c'est ici le terme de ton douloureux voyage.

59 Alors le Juif errant, secouant la poussière de ses pieds endoloris, dira au sphinx : Je te connais depuis longtemps! — Ézéchiel te voyait autrefois attelé à ce chariot mystérieux qui représente l'univers et dont les roues étoilées tournent les unes dans les autres; j'ai accompli une seconde fois les destinées errantes de l'orphelin du Cythéron ; comme lui, j'ai tué mon père sans le connaître ; lorsque le déicide s'est accompli , et lorsque j'ai appelé sur moi la vengeance de son sang, je me suis condamné moi-même à l'aveuglement et à l'exil. Je te fuyais et je te cherchais toujours, car tu étais la première cause de mes douleurs. Mais tu voyageais péniblement comme moi, et par des chemins différents, nous devions arriver ensemble; béni sois-tu, ô génie des anciens âges ! de m'avoir ramené au pied de la croix ! Puis, s'adressant à la croix elle même, Aaswérus dira en essuyant sa dernière larme : Depuis dixhuit siècles, je te connais, car je t'ai vue portée par le Christ qui succombait sous ce fardeau. J'ai branlé la tête et je t'ai blasphémée alors, parce que je n'avais pas encore été initié à la malédiction; il fallait à ma religion l'anathème du monde pour lui faire comprendre la divinité du maudit; c'est DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

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DOGME ET RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

pourquoi j'ai souffert avec courage mes dix-huit siècles d'expiation, vivant et souffrant toujours au milieu des générations qui mouraient autour de moi, assistant à l'agonie des empires, et traversant toutes les ruines en regardant toujours avec anxiété si tu n'étais pas renversée; et après toutes les convulsions du monde, je te voyais toujours debout ! Mais je ne m'approchais pas de toi, parce que les grands du monde t'avaient profanée encore, et avaient fait de toi le gibet de la Liberté sainte ! Je ne m'approchais pas de toi, parce que l'inquisition avait livré mes frères au bûcher en présence de ton image; je ne m'approchais pas de toi, parce que tu ne parlais pas, tandis que les faux ministres du ciel parlaient, en ton nom, de damnation et de vengeances; et moi, je ne pouvais entendre que des paroles de miséricorde et d'union ! Aussi, dès que ta voix est parvenue à mon oreille, j'ai senti mon coeur changé et ma conscience s'est calmée ! Bénie soit l'heure salutaire qui m'a ramené au pied de la croix ! Alors une porte s'ouvrira dans le ciel et la montagne du Golgotha en sera le seuil, et devant cette

porte, l'humanité verra avec étonnement la croix rayonnante gardée par le Juif errant qui aura

61 déposé à ses pieds son bâton de voyage, et par le sphinx qui étendra ses ailes et aura les yeux brillants d'espérance comme s'il allait prendre un nouvel essor et se transfigurer! Et le sphinx répondra à la question de la croix en disant : Dieu est celui qui triomphe du mal par l'épreuve de ses enfants, celui qui permet la douleur, parce qu'il en possède en lui le remède éternel; Dieu est celui qui est, et devant qui le mal n'est pas. Et la croix répondra à l'énigme du sphinx : L'homme est le fils de Dieu qui s'immortalise en mourant, et qui s'affranchit, par un amour intelligent et victorieux, du temps et de la mort; l'homme est celui qui doit aimer pour vivre, et qui ne peut aimer sans être libre; l'homme est le fils de Dieu et de la Liberté! Résumons ici notre pensée. L'homme, sorti des • mains de Dieu, est esclave de ses besoins et de son ignorance; il doit s'affranchir par l'étude et le travail. La toute-puissance relative de la volonté, confirmée par le Verbe, rend seule les hommes vraiment libres, et c'est à la science des anciens mages qu'il faut demander les secrets de l'émancipation et des forces vives de la volonté. DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

62 DOGME ET RITUEL DE LA UAITTE MAGIE. Nous rapportons aux pieds de l'enfant de Bethléem l'or, l'encens et la myrrhe des anciens mages, maintenant que les rois de la terre semblent le renvoyer dans la crèche. Que les pontifes soient pauvres, mais qu'ils prennent d'une main le sceptre de la science, le sceptre royal de Salomon, et de l'autre la houlette de la charité, la houlette du bon Pasteur; et ils commenceront seulement alors à être vraiment rois dans ce monde et dans l'autre ! .

INTRODUCTION.

A travers le voile.de toutes les allégories hiératiques et mystiques des anciens dogmes, à travers les ténèbres et les épreuves bizarres de toutes les initiations, sous le sceau de toutes les écritures sacrées, dans les ruines de Ninive ou de Thèbes, sur les pierres rongées des anciens temples et sur la face noircie des sphinx de l'Assyrie ou de l'Égypte, dans les peintures monstrueuses ou merveilleuses qui traduisent pour les croyants de l'Inde les pages sacrées des Vedas, dans les emblèmes étranges de nos vieux livres d'alchimie, dans les cérémonies de réception pratiquées par toutes les sociétés mystérieuses, on retrouve les traces d'une doctrine partout la même et partout soigneusement cachée. La philosophie occulte semble avoir été la nourrice ou la marraine de toutes les religions, le levier . secret de toutes les forces intellectuelles, la clef de

64 D O G M E . D E L A H A U T E M A G I E . toutes les obscurités divines, et la reine absolue de la société, dans les âges où elle était exclusivement réservée à l'éducation des prètres et des rois. Elle avait régné en Perse avec les mages, qui périrent un jour, comme périssent les maîtres du monde, pour avoir abusé de leur puissance ; elle avait doté l'Inde des plus merveilleuses traditions et d'un luxe incroyable de poésie, de grâce et de terreur dans ses emblèmes; elle avait civilisé la Grèce aux sons de la lyre d'Orphée; elle cachait les principes de toutes les sciences et de tous les progrès de l'esprit humain dans les calculs audacieux de Pythagore ; la fable était pleine de ses miracles, et l'histoire , lorsqu'elle entreprenait de juger cette puissance inconnue, se confondait avec la fable ; elle ébranlait ou affermissait les empires par ses oracles, faisait pâlir les tyrans sur leur trône et dominait tous les esprits par la curiosité ou par la crainte. A cette science, disait la foule, rien n'est impossible: elle commande aux éléments, sait le langage des astres et dirige la marche des étoiles ; la lune, à sa voix, tombe toute sanglante du ciel; les morts se dressent dans leur tombe et articulent en paroles fatales le vent de la nuit qui siffle dans

INTRODUCTION.

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leur crâne. Maîtresse de l'amour ou de la haine, la science peut donner à son gré aux coeurs humains le paradis ou l'enfer ; elle dispose à loisir de toutes les formes et distribue comme il lui plaît soit la beauté, soit la laideur; elle change tour à tour, avec la baguette de Circé, les hommes en brutes et les animaux en hommes; elle dispose même de la vie ou de la mort, et peut conférer à ses adeptes la richesse par la transmutation des métaux, et l'immortalité par sa quintescence et son elixir composé d'or et de lumière ! Voilà ce qu'avait été la magie depuis Zoroastre jusqu'à Manès, depuis Orphée jusqu'à Apollonius de Thyane , lorsque le christianisme positif, triomphant enfin des beaux rêves et des gigantesques aspirations de l'école d'Alexandrie, osa foudroyer publiquement cette philosophie de ses anathèmes, et la réduisit ainsi à être plus occulte et plus mystérieuse que jamais. D'ailleurs, il courait sur le compte des initiés ou des adeptes des bruits étranges et alarmants; ces hommes étaient partout environnés d'une influence fatale : ils tuaient ou rendaient fous ceux qui se

laissaient entraîner par leur doucereuse éloquence ou par le prestige de leur'savoir. Les femmes qu'ils T. I.

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06 DOGME Dtt LA HAUTE MAGIE.

aimaient dèvenaient des Stryges, leurs enfants disparaissaient dans leurs convepticules noctqrnes, et l'on parlait tout bas eu frissonnant de sanglantes orgies et d'abominables festins. On avait trouvé des ossements. dans les souterrains des anciens temples, on avait entendu des hurlements pendant la nuit; les moissons dépérissaient et les troupeaux devenaient languissants quand le magicien avait passé. Des maladies qui défiaient l'art de la médecine faisaient parfois leur apparition dans le monde, et c'était toujours, disait-on, sous les regards venimeux des adeptes. Enfin, un cri universel de réprobation s'éleva contre la magie, dont le nom seul devint un crime, et la haine du vulgaire se formula par cet arrêt: « Les magiciens au feu ! » comme on avait dit quelques siècles plus tôt : « Les chrétiens aux lions ! » Or, la multitude ne conspire jamais que contre les puissances réelles; elle n'a pas la science de ce qui est vrai, mais elle a l'instinct de ce qui est fort. Il était réservé au xvur siècle de rire à la fois des chrétiens et de la magie, tout en s'engouant des homélies de Pean—Jacques et des prestiges de Cagliostro.

INTRODUCTION.

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Cependant, au fond de la magie il y a la science, comme au fond du christianisme il y a l'amour; et, dans les symboles évangéliques, nous voyons le Verbe incarné adoré dans son enfance par trois mages que conduit une étoile (le ternaire et le signe du microcosme), et recevant d'eux l'or, l'encens et la myrrhe : autre ternaire mystérieux sous l'emblème duquel sont contenus allégoriquement • les plus hauts secrets de la cabale. Le christianisme ne devait donc pas sa haine à la magie ; mais l'ignorance humaine a toujours peur de l'inconnu. La science fut obligée de se cacher pour se dérober aux agressions passionnées d'un amour aveugle ; elle s'enveloppa dans de nouveaux hiéroglyphes, dissimula ses efforts, déguisa ses espérances. Alors fut créé le jargon de l'alchimie, continuelle déception pour le vulgaire altéré d'or et langue vivante seulement pour les vrais disciples d'Hermès. Chose singulière ! il existe parmi les livres sacrés des chrétiens deux ouvrages que l'Église infaillible n'a pas la prétention de comprendre et n'essaye jamais d'expliquer : la prophétie d'Ézéchiel et l'Apocalypse; deux clavicules cabalistiques réservées sans doute dans le ciel aux commen-

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

tairas des rois mages ; livres fermés de sept sceaux pour les croyants fidèles, et parfaitement clairs pour l'infidèle initié aux sciences occultes. Un autre livre existe encore ; mais celui-là, bien qu'il soit en quelque sorte populaire et qu'on puisse le trouver partout, est le plus occulte et le plus inconnu de tous, parce qu'il contient la clef de tous les autres; il est dans la publicité sans être connu du public; on ne s'avise pas de le trouver où il est, et l'on perdrait mille fois son temps à le chercher où il n'est pas si l'on en soupçonnait l'existence. Ce livre, plus ancien peut-être que celui d'Hénoc, n'a jamais été traduit, et il est écrit encore tout entier en caractères primitifs et sur des pages détachées comme les tablettes des anciens. Un savant distingué en a révélé, sans qu'on l'ait remarqué, non pas précisément le secret, mais l'antiquité et la conservation singulière; un autre savant, mais d'un esprit plus fantastique que judicieux, a passé trente ans à étudier ce livre, et en a seulement soupçonné toute l'importance. C'est, en effet, un ouvrage monumental et singulier, simple et fort comme l'architecture des pyramides, durable par conséquent comme elles; livre qui résume toutes les sciences, et dont les combinaisons infinies peuvent .

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résoudre tous les problèmes ; livre qui parle en faisant penser; inspirateur et régulateur de toutes les conceptions possibles; le chef-d'oeuvre peut— être de l'esprit humain, et à coup sûr l'une des plus belles choses que nous ait laissées l'antiquité; clavicule universelle, dont le nom n'a été compris et expliqué que par le savant illuminé Guillaume Postel; texte unique, dont les premiers caractères seulement ont ravi en extase l'esprit religieux de saint Martin, et eussent rendu la raison au sublime et infortuné Swedenborg. Ce livre, nous en parlerons plus tard, et son explication mathématique et rigoureuse sera le complément et la couronne de notre consciencieux travail. L'alliance originelle du christianisme et de la science des mages, si elle est une fois bien démontrée, ne sera pas une découverte d'une médiocre importance, et nous ne doutons pas que le résultat d'une étude sérieuse de la magie et de la cabale n'amène les esprits sérieux à la conciliation, regardée jusqu'à présent comme iml:eossible, de la science et du dogme, de la raison et de la foi. Nous avons dit que l'Église, dont l'attribut spécial est le dépôt des clefs, ne prétend pas avoir

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

celles de l'Apocalypse ou des visions d'Ézéchiel. Pour les chrétiens et dans leur opinion, les clavicules scientifiques et magiques de Salomon sont perdues. Il est cependant certain que, dans le domaine de l'intelligence gouverné par le VERBE, rien de ce qui est écrit ne se perd. Seulement les choses dont les hommes cessent d'avoir l'intelligence n'existent plus pour eux, du moins comme verbe; elles rentrent alors dans le domaine des énigmes et du mystère: D'ailleurs, l'antipathie et même la guerre ouverte de l'Êglise officielle contre tout ce qui rentre dans le domaine de la magie, qui est une sorte de sacerdoce personnel et émancipé, tient à des causes nécessaires et inhérentes même à la constitution sociale et hiérarchique du sacerdoce chrétien. L'Église ignore la magie, parce qu'elle doit l'ignorer ou périr, comme nous le prouverons plus tard ; elle n'en reconnaît pas moins que son mystérieux fondateur a été salué dans son berceau par les trois • mages; c'est-à-dire par les ambassadeurs hiératiques des trois parties du monde connu, et des trois mondes analogiques de la philosophie occulte. Dans l'école d'Alexandrie, la magie et le christianisme se donnent presque la main sous les aus-

71 pices d'Ammonius Saccas et de Platon. Le dogme d'Hermès se trouve presque tout entier dans les écrits attribués à Denis l'Aréopagite. Synésius trace le plan d'un traité des songes, qui devait plus tard être commenté par Cardan, et composé d'hymnes qui pourraient servir à la liturgie de l'église de Swedenborg, si une église d'illuminés pouvait avoir une liturgie. C'est aussi à, cette époque d'abstractions ardentes et de logomachies passionnées qu'il faut rattacher le règne philosophique de Julien, nommé l'Apostat, parce que, dans sa jeunesse, il avait fait , à contre-coeur, profession du christianisme. Tout le monde sait que. Julien eut le tort d'être un héros de Plutarque hors de saison, et fut, si l'on peut parler ainsi, le bon Quichotte de la chevalerie romaine ; mais ce que tout le monde ne sait pas, c'est que Julien était un illuminé et un initié de premier ordre; c'est qu'il croyait à l'unité de Dieu et au dogme Universel de la Trinité; c'est en un mot, qu'il ne regrettait du vieux monde que ses magnifiques symboles et ses tt.op gracieuses images. Julien n'était pas Un païen, c'était un gnostique entiché des allégories du polythéisme grec et qui avait le malheur de trouver le nom de Jésus-Christ moins sonore que celui d'OrI N T R O D U C T I O N .

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

phée. L'empereur en lui paya pour les goûts de collége du philosophe et du rhéteur; et après qu'il se fut donné à lui-même le spectacle et le plaisir d'expirer comme Épaminondas avec des phrases de Caton , il eut dans l'opinion publique , déjà toute chrétienne, des anathèmes pour oraison funébre et une épithète flétrissante pour dernière célébrité. Enjambons les petites choses et les petits hommes du Bas-Empire et arrivons au moyen âge... Tenez, prenez ce livre : lisez à la septième page, puis asseyez-vous sur le manteau que je vais étendre et dont nous ramènerons un pan sur nos yeux... La tète vous tourne, n'est-ce pas, et il vous semble que la terre fuit sous vos pieds? Tenez-vous ferme et ne regardez pas... Le vertige cesse; nous y sommés. Levez-vous et ouvrez les yeux, mais gardez-vous bien de faire aucun signe ni de prononcer aucune parole de christianisme. Nous sommes dans un paysage de Salvator Rosa. C'est un désert tourmenté qui semble se reposer après la tempête. La lune ne parait plus au ciel; mais ne voyez-vous pas danser des petites étoiles dans la bruyère`? N'entendez-vous pas voler autour de vous des oiseaux gigantesques qui semblentenpassantmurmurerdesparolesétranges?

73 Approchons en silence de ce carrefour dans les rochers. Une rauque et funèbre trompette se fait entendre; des torches noires s'allument de tous côtés. Une assemblée tumultueuse se presse autour d'un siège vide ; on regarde et l'on attend. Tout à coup chacun se prosterne, et l'on murmure : Le voilà ! le voilà ! c'est lui ! Un prince à tète de bouc arrive en bondissant; il monte sur le trône; il se tourne et présente à l'assemblée en se baissant une figure humaine à qui tout le monde vient, cierge noir en main, donner une salutation et un baiser, puis il se redresse avec un rire strident et distribue à ses affidés de l'or, des instructions secrètes, des médecines occultes et des poisons. Pendant ce temps des feux s'allument, le bois d'aulne et la fougère y brûlent pôle-môle avec des ossements humains et de la graisse de suppliciés. Des druidesses couronnées d'ache et de verveine sacrifient avec des faucilles d'or des enfants soustraits au baptéme et préparent d'horribles agapes. Les tables sont dressées : les hommes masqués se placent auprès des femmes à demi nues, et l'on commence le festin des bacchanales; rien n'y manque, excepté le sel, qui est le symbole de la sagesse et de l'immortalité. Le vin coule à flots, et laisse des taches I N T R O D U C T I O N .

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Semblables à, celles du sang; les propos obscènes et les folles caresses cotnmeneent; voilà toute l'assemblée qui est ivre de vin, de crimes, de luxure et de chansons; on se lève en désordre, et l'on court former des rondes infernales... Arrivent alors tous les monstres de la légende, tous les fanMmes du cauchemar; d'énormes crapauds embouchent la flûté à contre—sens, et soufflent en se pressant les flancs avec leurs pattes; des scarabées boiteux se mêlent à la danse, des écrevisses jouent des castagnettes, des crocodiles font guimbardes de leurs écailles, des éléphants et des mammouths arrivent vêtus en Cupidon et lèvent la jambe eh dansant. Puis les rondes éperdues se brisent et se dispersent... Chaque danseur entraîne en hurlant une danseuse échevelée. . Les lampes et les chandelles de suif humain s'éteignent en fumant dans l'ombre... On entend çà et là des cris, des éclats de rire, des blasphèmes et des ràles... Allons, réveillez-vois et ne faites pas le signe de la croix : je vous ai remis chez vous et vous êtes dans votre lit. Vous êtes un peu fatigué, un peu brisé même, de votre voyage et de votre nuit ; mais vous avez vu une chose dont tout le monde parle sans la connaître; vous êtes initié à des secrets terribles

INTRODUCTION.

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comme ceux de l'antre de Trophonius : vous avez assisté au sabbat ! II vous reste maintenant à ne pas devenir fou, et à vous maintenir dans une crainte salutaire de la justice, et à une distance respectueuse de l'Église et de ses bûchers ! Voulez-vous voir encore quelque chose de moins fantastique, de plusréel. et véritablement même de plus terrible? Je vous ferai assister au supplice de Jacques de Molay et de ses complices ou de ses frères dans le martyre... Mais, ne vous y trompez pas, et ne confondez pas le coupable avec l'innocent. Les templiers ont-ils réellement adoré Baphomet ? ont-ils donné une accolade humiliante à la face postérieure du bouc de Mendès? Quelle était donc cette association secrète et puissante qui a mis en péril l'Église et l'État, et qu'on tue ainsi sans l'entendre ? Ne jugez rien à la légère; ils sont coupables d'un grand crime : ils ont laissé entrevoir à des profanes le sanctuaire de l'antique initiation ; ils ont cueilli encore une fois et partagé entre eux, pour devenir ainsi les mattres du monde, les fruits de la science du bien et du mal. L'arrêt qui les condamne remonte plus haut que le tribunal même du pape ou du roi Philippe le Bel. « Du jour où tu mangeras de ce fruit, tu seras frappé de

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DO GME DE LA HAUTE MA GIE.

mort », avait dit Dieu lui-même, comme nous le voyons dans le livre de la Genèse. Que se passe-t-il donc dans le monde, et pourquoi les prêtres et les rois ont-ils frémi ? Quel pouvoir secret menace les tiares et les couronnes? Voilà quelques fous qui courent de pays en pays, et qui cachent, disent-ils, la pierre philosophale sous les haillons de leur misère. Ils peuvent changer la terre en or, et ils manquent d'asile et de pain ! Leur front est ceint d'une auréole de gloire et d'un reflet d'ignominie ! L'un a trouvé la science universelle, et ne sait comment mourir pour échapper aux tortures de son triomphe : c'est le Majorcain Raymond Lulle. L'autre guérit par des remèdes fantastiques les maladies imaginaires, et donne d'avance un démenti formel au proverbe qui constate l'inefficacité d'un cautère sur une jambe de bois : c'est le merveilleux Paracelse, toujours ivre et toujours lucide comme les héros de Rabelais. Ici, c'est Guillaume Postel, qui écrit naïvement aux pères du concile de Trente parce qu'il a trouvé la doctrine absolue, cachée depuis le commencement du monde, et qu'il lui tarde de la leur faire partager. Le concile ne s'inquiète pas même du fou,. ne daigne pas le condamner, et passe à l'examen

INTRODUCTION.

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des graves questions de la grâce efficace et dela grâce suffisante. Celui que nous voyons mourir pauvre et abandonné, c'est CornéliusAgiippa, le moins magicien de tous, et celui que le vulgaire s'obstine à prendre pour le plus sorcier, parce qu'il était quelquefois satirique et mystificateur. Quel secret tous ces hommesemportent-ils donc dans leur tombe ? Pourquoi les admire-t-on sans les connaître ? Pourquoi les condamne-t-on sans les entendre ? Vous demandez pourquoi ? Et pourquoi sont-ils initiés à ces terribles sciences occultes dont l'Église et la société ont peur ? Pourquoi savent-ils ce que les autres hommes ignorent? Pourquoi dissimulent—ils ce que chacun brûle de savoir? Pourquoi sont—ils investis d'un pouvoir terrible et inconnu? Les sciences occultes la magie ! voilà des mots qui vous disent tout et qui peuvent encore vous faire penser davantage ! De omni re scibili et quibusdam aliis. Qu'était-ce donc que la magie? Quelle était donc la puissance de ces hommes si persécutés et si fiers? Pourquoi, s'ils étaient si forts, n'ont-ils pas été vainqueurs de leurs ennemis? Pourquoi, s'ils étaient insensés et faibles, leur faisait-on l'honneur

de tant les craindre ? Existe-t—il une magie, existet— il une science occulte qui soit véritablement une

/8 DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

puissance et qui opère. des prodiges capables de faire concurrence aux miracles des religions autorisées? A ces deux questions principales nous répondrons par un mot et par un livre. Le livre sera la justification du mot, et ce mot le voici : oui, il a existé et il existe encore une magie puissante et réelle; oui, tout ce que les légendes en ont dit était vrai; ici seulement, et contrairement à ce qui arrive d'ordinaire , les exagérations populaires n'étaient pas seulement à côté , mais au-dessous de la vérité. Oui, il existe un secret formidable, dont la révélation a déjà renversé un monde, comme l'attestent les traditions religieuses de l'Égypte, résumées symboliquement par Moïse, au commencement de la Genèse. Ce secret constitue la science fatale du bien et du mal, et son résultat, lorsqu'on le divulgue, c'est la mort. Moïse le représente sous la figure d'un arbre qui est au centre du Paradis terrestre, et qui est voisin, qui tient môme par ses racines à l'arbre de vie; les quatre fleuves mystérieux prennent leur source au pied de cet arbre, qui est gardé par le glaive de feu et par les quatre formes du sphinx biblique, le Chérubin d'Ezé-

nintonuctei.

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chiel... Ici je dois m'arrèter, et je crains déj4 d'en avoir trop dit. Oui , il existe un dogme unique, universel, impérissable , fort comme la raison suprènle, simple comme tout ce qui est grand, intelligible comme tout ce qui est universellement et absolument vrai , et ce dogme a été le père de tous les autres. Oui, il existe une science qui confère à l'homme des prérogatives en apparence surhumaines; les voici telles que je les trouve énumérées dans un manuscrit hébreu du xvi° siècle: Voici maintenant quels sont les priviléges et les pouvoirs de celui qui tient en sa main droite les clavicules de Schlomoh, et dans la gauche la branche d'amandier fleuri : ot Aleph. — Il voit Dieu face à face, sans mourir,

et converse familièrement avec les sept génies qui commandent à toute la milice céleste. 2 Belh. — 11 est au-dessus de toutes les afflictions

et de toutes les craintes.

80

DOGME DE LA 'MUTE MAGIE.

a Ghimel. Il règne avec tout le ciel et se fait servir par tout l'enfer. —

Daleth. Il dispose de sa santé et de sa vie et —

peut également disposer de celle des autres. rt He. 11 ne peut être ni surpris par l'infortune, ni accablé par les désastres, ni vaincu par ses ennemis. —

Vau. Il sait la raison du passé, du présent —

• . et de l'avenir. Dzain. Il a le secret de la résurrection des —

morts et la clef de l'immortalité. Ce sont là les sept grands priviléges. Voici ceux qui viennent après:

n Cheth. Trouver la pierre philosophale. —

Teth. Avoir la médecine universelle. —

Jod. Connaître les lois du mouvement per—

81 pétuel; et pouvoir démontrer la quadrature du cercle. INTRODUCTION.

D Caph. Changer en or non-seulement tous les —

métaux, mais aussi la terre elle-méme , et les immondices mèmes de la terre. 7 Lamed. Dompter les animaux les plus féro-

1



ces, et savoir dire les mots qui engourdissent et charment les serpents. D Mem. Posséder l'art notoire qui donne la —

science universelle. Parler savamment sur toutes choses, sans préparation et sans étude.

3 Nun.



Voici enfin les sept moindres pouvoirs du mage : 0 Samech. Connaître à la première vue le fond —

de l'âme des hommes et les mystères du coeur des femmes. Y Gnain. Forcer, quand il lui plaît, la nature à —

se livrer. T. 1.

6

se

DOGME DE LA HAUTg MAGIE.

Phe. Prévoir tous ceux des événements —

futurs qui ne dépendent pas d'un libre ubitre supérieur, ou d'une cause insaisissable. r Tsade. Donner sur-le-champ et à tous les consolations les plus efficaces et les conseils les plus salutaires. —

p Coph. Triompher des adversités. —

Resch. Dompter l'amour et la haine. —

ID Schin.

— Avoir le secret des richesses, en

être le maître toujours, et jamais l'esclave. Savoir jouir même de la pauvreté, et ne tomber jamais ni dans l'abjection ni dans la misère. n Thau. Ajouterons- nous à ces trois septénaires —

que le sage gouverne les éléments, qu'il apaise les tempêtes, qu'il guérit les malades en les touchant, et qu'il ressuscite les morts! Mais il est des choses que Salomon a scellées de

son triple sceau. Les initiés savent, il suffit. Quant aux autres, qu'ils rient, qu'ils croient, qu'ils dou-

mopurnori83 tent, qu'ils menacent ou qu'ils aient peur, qu'importe à la science et que nous importe? » Tels sont, en effet, les résultats de la philosophie occulte, et nous sommes en mesure de ne pais craindre une accusation de folie ou un soupçon de charlatanisme en affirmant que tous ces privilèges sont réels. C'est ce que notre travail entier sur la philosophie occulte aura pour but de démontrer. La pierre philosophale, la médecine universelle, la transmutation des métaux, la quadrature du cercle et le secret du mouvement perpétuel ne sont donc ni des mystifications de la science ni des rêves de la folie ; ce sont des termes qu'il faut comprendre dans leur véritable sens, et qui expriment tous les différents usages d'un même secret, les différents caractères d'une même opération, qu'on définit d'une manière plus générale en l'appelant seulement le grand oeuvre. Il existe aussi dans la nature une force bien autrament puissante que la vapeur, et au moyen de laquelle un seul homme, qui pourrait s'en emparer et saurait la diriger, bouleverserait et changerait .; la face du monde. Cette force était connue des anciens : elle consiste dans un agent universel dont

8li

DOGME DE LA SAUTE MAGIE.

la loi suprême est l'équilibre et dont la direction tient immédiatement au grand arcane de la magie transcendante. Par la direction de cet agent, on peut changer l'ordre même des saisons, produire dans la nuit les phénomènes du jour, correspondre en un instant d'une extrémité à l'autre de la terre, voir, comme Apollonius, ce qui se passe à l'autre bout du monde, guérir ou frapper à distance, donner à la parole un succès et un retentissement universels. Cet agent, qui se révèle à peine sous les tâtonnements des disciples de Mesmer, est précisément ce que les adeptes du moyen âge appelaient la matière première du grand oeuvre. Les gnostiques en faisaient le corps igné du Saint— Esprit, et c'était lui qu'on adorait dans les rites secrets du sabbat ou du temple, sous la figure hiéroglyphique de Baphomet ou du bouc Androgyne de Mendès. Tout cela sera démontré. Tels sont les secrets de la philosophie occulte, telle nous apparaît la magie dans l'histoire; voyonsla maintenant dans les livres et dans les oeuvres, dans les initiations et dans les rites. La clef de toutes les allégories magiques se trouve dans les feuillets que nous avons signalés, et que nous croyons l'ouvrage d'Hermès. Autour de

85 ce livre, qu'on peut appeler la clef de voûte de tout l'édifice des sciences occultes, viennent se ranger d'innombrables légendes qui en sont ou la traduction partielle ou le commentaire sans cesse renouvelé sous mille formes différentes. Parfois ces fables ingénieuses se groupent harmonieusement et forment une grande épopée qui caractérise une époque, sans que la foule puisse expliquer comment ni pourquoi. C'est ainsi que l'histoire fabuleuse de la Toison-d'Or résume, en les voilant, les dogmes hermétiques et magiques d'Orphée, et si nous remontons seulement aux poésies mystérieuses de la Grèce, c'est que les sanctuaires de l'Égypte et de l'Inde nous épouvantent en quelque sorte de leur luxe, et nous laissent embarrassés pour le choix au milieu de tant de richesses; puis il nous tarde d'arriver à la Thébaïde, cette effrayante synthèse de tout le dogme présent, passé et futur, cette fable pour ainsi dire infinie, qui touche, comme le dieu d'Orphée, aux deux extrémités du cycle de la vie humaine. Chose étrange I les sept portes de Thèbes, défendues et attaquées par sept chefs qui ont juré sur le sang des victimes, ont le même sens que les sept sceaux du livre sacré expliqué par sept génies, et attaqué par un monstre INTRODUCTION.

86 DOGME DE LA HAUTE MAGIE. à sept têtes après avoir été ouvert par un agneau vivant et immolé dans le livre allégorique de saint Jean ! L'origine mystérieuse d'OEdipe, qu'on trouve suspendu comme un fruit sanglant sur un arbre du Cythéron, rappelle les symboles de Moïse et les récits de la Genèse. Il lutte contre son père et le tue sans le connaltre : épouvantable prophétie de l'émancipation aveugle de la raison sans la science; puis il arrive en face du sphinx! le sphinx, le sym bole des symboles, l'énigme éternelle du vulgaire, le piédestal de granit de la science des Sages, le monstre dévorant et silencieux qui exprime par sa forme invariable le dogme unique du grand mystère universel. Comment le quaternaire se changet-il en binaire et s'explique-t-il par le ternaire? En d'autres termes plus emblématiques et plus vulgaires, quel est l'animal qui le matin a quatre pieds, deux à midi et trois le soir? Philosophignement parlant, comment le dogme des forces élémentaires produit-il le dualisme de Zoroastre, et se résume-t-il par la triade de Pythagore et de Platon? Quelle est la raison dernière des allégories et des nombres, le dernier mot de tous les syMbolismes? OEdipe répond une parole simple et terrible qui tue le sphinx et va rendre le divines

I N T R O D U C T I O N .

87

teur roi de Thèbes : le mot de l'énigme , c'est l'homme!... Malheureux, il a vu trip et pas asses clair, et bientôt il expiera sa funeste et incomplète clairvoyance par un aveuglement volontaire, puis il disparaîtra au milieu d'un orage comme toutes les civilisations qui un jour auront deviné, sans en comprendre toute la portée et tout le mystère, le mot de l'énigme du sphinx. Tout est symbolique et transcendental dans cette gigantesque épopée des destinées humaines. Les deux frères ennemis expriment la seconde partie du grand mystère complété divinement par le sacrifice d'Antigone; puis la guerre, la dernière guerre, les frères ennemis tués l'un par l'autre, Capanée tué par la foudre qu'il défiait, Amphiaraüs dévoré pat la terre , sont autant d'allégories qui remplissent d'étonnement par leur vérité et leur grandeur ceux qui en pénètrent le triple sens hiératique. Eschyle, commenté par Ballanche, n'en donne qu'une bien faible idée, quelles que soient d'ailleurs les majes tés primitives de la poésie d'Eschyle et la beauté du livre de Ballanche. Le livre secret de l'antique initiation n'était -

pas ignoré d'Homère, qui en trace le plan et les principales figures sur le bouclier d'Achille, avec

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

une précision minutieuse. Mais les gracieuses fictions d'Homère semblent biehtôt faire oublier les simples et abstraites vérités de la révélation primitive. L'homme se prend à la forme et laisse l'idée en oubli; les signes, en se multipliant, perdent leur puissance; la magie aussi, à cette époque, se corrompt et va descendre avec les sorcières de Thessalie aux plus profanes enchantements. Le crime d'OEdipe a porté ses fruits de mort, et la science du bien et du mal érige le mal en divinité sacrilège. Les hommes, fatigués de la lumière, se réfugient dans l'ombre de la substance corporelle : le rêve du vide que Dieu remplit leur semble bientôt plus grand que Dieu même, et l'enfer est créé. Lorsque, dans le cours de cet ouvrage, nous nous servirons des mots consacrés : Dieu, le Ciel, l'Enfer, qu'on sache bien, une fois pour toutes, que nous nous éloignons autant du sens attaché à ces mots par les profanes que l'initiation est séparée de la pensée vulgaire. Dieu, pour nous, c'est l'Azot des sages, le principe efficient et final du grand oeuvre. Nous expliquerons plus tard ce que ces termes ont d'obscur.

Revenons à la fable d'OEdipe. Le crime du roi de Thèbes n'est pas d'avoir compris le sphinx, c'est

89 d'avoir détruit le fléau de Thèbes sans être assez pur pour compléter l'expiation au nom de son peuple; aussi bientôt la peste venge la mort du sphinx, et le roi de Thèbes, forcé d'abdiquer, se sacrifie aux mânes terribles du monstre, qui est plus vivant et plus dévorant que jamais, maintenant qu'il est passé du domaine de la forme dans celui de l'idée. OEdipe a vu ce que c'est que l'homme, et il se crève les yeux pour ne pas voir ce que c'est que Dieu. Il a divulgué la moitié du grand arcane magique, et, pour sauver son peuple, il faut qu'il emporte avec lui dans l'exil et dans la tombe l'autre moitié du terrible secret. Après la fable colossale d'OEdipe, nous trouvons le gracieux poème de Psyché, dont Apulée n'est certainement pas l'inventeur. Le grand arcane magique reparaît ici sous lafigure de l'union mystérieuse entre un dieu et une faible mortelle abandonnée seule et nue sur un rocher. Psyché doit ignorer le secret de sa royauté idéale, et si elle regarde son époux, elle le perd. Apulée ici com. mente et interprète les allégories de Moïse; mais les Eloïm d'Israël et les dieux d'Apulée ne sont-ils pas sortis également des sanctuaires de Memphis et de Thèbes? Psyché est la soeur d'Eve, ou plutôt I N T R O D U C T I O N .

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

c'est Ève spiritualisée. Toutes deux veulent savoir, et perdent l'innocence pour gagner l'honneur de l'épreuve. Toutes deux méritent de descendre dans les enfers, l'une pour en rapporter la boîte antique de Pandore , l'autre pour y chercher et y [écraser la tète de l'ancien serpent, qui est le symbole du temps et du mal. Toutes deux commettent le crime que doivent expier le Prométhée des temps anciens et le Lucifer de la légende chrétienne, l'un délivré, l'autre soumis par Hercule et par le Sauveur. Le grand secret magique, c'est donc la lampe et le poignard de Psyché, c'est la pomme d'Ève, c'est le feu sacré dérobé par Prométhée, c'est le sceptre brûlant de Lucifer, mais c'est aussi la croix sainte du Rédempteur. Le savoir assez pour en abuser ou le divulguer, c'est mériter tous les supplices; le savoir comme on doit le savoir, pour s'en servir et le cacher, c'est être maître de l'absolu. Tout est renfermé dans un mot, et dans un mot de quatre lettres : c'est le Tétragramme des Hébreux, c'est l'Azot des alchimistes, c'est le Thot des Bohémiens, ou le Taro des Cabalistes. Ce mot, exprimé de tant de manières, veut dire Dieu pour les profanes , signifie l'homme pour les philo sophes, et donne aux adeptes le dernier mot des -

.

INTRODUCTION.

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sciences humaines et la clef du pouvoir divin; mais celui-là seul sait s'en servir qui comprend la nécessité de ne jamais le révéler. Si 0Editte, au lieu de faire mourir le sphinx, l'avait dompté et attelé Si son char pour rentrer dans Thèbes, il eût été roi sans inceste, sans calamités et sans exil. Si Psyché, à force de soumissions et de caresses, eût engagé l'Amour lit se révéler lui-même, elle ne l'eût jamais perdu. L'Amour est une des images mythologiques du grand secret et du grand agent, parce qu'il exprime à la fois une action et une passion, un vide et une plénitude, une flèche et une blessure. Les initiés doivent me comprendre, et à cause des profanes, il ne faut pas en dire trop. Après le merveilleux âne d'or d'Apulée, nous ne trouvons plus d'épopées magiques. La science, vaincue dans Alexandrie par le fanatisme des meurtriers d'Hypatie, se fait chrétienne, ou plutôt se cache sous des voiles chrétiens avec Ammonius, Synésius et le pseudonyme auteur des livres de Denys l'Aréopagite. Il fallait, en ce temps—là, se faire pardonner les miracles par les apparences de la superstition, et la science par un langage inintelligible. On ressuscita l'écriture hiéroglyphique, et l'on inventa les pantacles et les caractères qui

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

résumaient toute une doctrine dans un signe, toute une série de tendances et de révélations dans un mot. Quel était le but des aspirants à la science? Ils cherchaient le secret du grand oeuvre, ou la pierre philosophale, ou le mouvement perpétuel, ou la quadrature du cercle, ou la médecine uni—. verselle, formules qui les sauvaient souvent de la persécution et de la haine en les faisant taxer de folie, et qui toutes exprimaient une des faces du grand secret magique, comme nous le démontrerons plus tard. Cette absence d'épopées dure jusqu'à notre roman de la Rose; mais le symbole de la rose, qui exprime aussi le sens mystérieux et magique du poème du Dante, est emprunté à la haute cabale, et il est temps que nous abordions cette source immense et cachée de la philosophie universelle. La Bible, avec toutes les allégories qu'elle renferme, n'exprime que d'une manière incomplète et voilée la science religieuse des Hébreux. Le livre dont nous avons parlé, et dont nous expliquerons les caractères hiératiques, ce livre que Guillaume Postel nomme la Genèse d'Hénoch, existait cer-

tainement avant Morse et les prophètes, dont le dogme, identique pour le fond avec celui des anciens

93 Égyptiens, avait aussi son exotérisme et ses voiles. Lorsque Moïse parlait au peuple, dit allégoriquement le livre sacré, il mettait un voile sur son visage, et il ôtait ce voile pour parler à Dieu : telle est la cause de ces prétendues absurdités de la Bible, qui ont tant exercé la verve satirique de Voltaire. Les livres n'étaient écrits que pour rappeler la tradition, et on les écrivait en symboles inintelligibles pour les profanes. Le Pentateuque et les poésies des prophètes n'étaient d'ailleurs que des livres élémentaires, soit de dogme, soit de morale, soit de liturgie : la vraie philosophie secrète et traditionnelle ne fut écrite que plus tard, sous des voiles moins transparents encore. Et c'est ainsi que prit naissance une seconde Bible inconnue, ou plutôt incomprise des chrétiens; un recueil, disent-ils, de monstrueuses absurdités (et ici les croyants, confondus dans une môme ignorance, parlent comme les incrédules); un monument, disons-nous, qui rassemble tout ce que le génie philosophique et le génie religieux ont jamais pu faire ou imaginer de sublime; trésor environné d'épines, diamant caché dans une pierre brute et obscure : nos lecteurs auront déjà deviné que nous voulons parler du Talmud. INTRODUCTION.

04 Dongs nu 14 HAu1a MAGIE. Étrange destinée que eelle des Juifs! les bouesémissaires, les martyrs et les sauveurs du monde! famille vivace, race courageuse et dure, que les persécutions ont toujours conservée intacte, pares qu'elle n'a pas encore accompli sa mission 1 Nos traditions apostoliques ne disent-elles pas qu'après le déclin de la foi chez les Gentils, le salut doit venir encore de la maison de Jacob, et qu'alors le Juif crucifié qu'ont adoré les chrétiens remettra l'empire du monde entre les mains de Dieu son père? On est saisi d'admiration, lorsqu'on pénètre dans le sanctuaire de la cabale , 4 14 vue d'un dogme si logique, si simple et en méme temps si absolu. L'union nécessaire des idées et des signes; la consécration des réalités les plus fondamentales par les caraceères primitifs; la trinité des mots, des lettres et des nombres; une philosophie simple comme l'alphabet, profonde et infinie comme hi Verbe ; des théorèmes plus complets et plus lumineux que çeux de Pythagore; une théologie qu'on résume en comptant par ses doigts; un infini qu'on peut faire tenir dans le creux de la main d'un enfant; dix chiffres et vingt-deux lettres, un triangle, un carré et un cercle : voilà tous les éléments de .

INTRODUCTION.

96 la cabale. Ce sont les principes élémentaires du Verbe écrit, reflet de ce Verbe parlé qui a créé le monde ! Toutes les religions vraiment dogmatiques sont sorties de la cabale et y retournent; tout ce qu'il y a de scientifique et de grandiose dans les rêves religieux de tous les illuminés, Jacob Boehme, Swedenborg, Saint-Martin, etc., est emprunté à 14 cabale; toutes les associations maçonniques lui doivent leurs secrets et leurs symboles. La cabale consacre seule l'alliance de la raison universelle et du Verbe divin ; elle établit , par les contre-poids de deux forces opposées en apparence, la balance éternelle de l'être; elle concilie seule la raison avec la foi, le pouvoir avec la liberté • la science avec le mystère: elle a les clefs du présent, du passé et de l'avenir! Pour s'initier à la cabale, il ne suffit pas de lire et de méditer les écrits de Reuchlin, de Galatinus, de Kircher ou de Pic de la Mirandole; il faut encore étudier et comprendre les écrivains hébreux de la collection de Pistorius , le Sepher Jezirah surtout, puis la philosophie d'amour de Léon l'Hébreu. Il faut aussi aborder le grand livre de Sohar, lire attentivement, dans la collection de

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

1684 intitulée Cabbala denudata, le traité -de la pneumatique cabalistique et celui de la révolution des âmes; puis entrer hardiment et courageusement dans les lumineuses ténèbres de tout le corps dogmatique et allégorique du Talmud. Alors on pourra comprendre Guillaume Postel, et s'avouer tout bas qu'à part ses rêves bien prématurés et trop généreux d'émancipation de la femme, ce célèbre et savant illuminé pouvait n'être pas aussi fou que le prétendent ceux qui ne l'ont pas lu. Nous venons d'esquisser rapidement l'histoire de la philosophie occulte, nous en avons indiqué les sources et analysé en peu de mots les principaux livres. Ce travail ne se rapporte qu'à la science; mais la magie, ou plutôt la puissance magique, se compose de deux choses : une science et une force. Sans la force, la science n'est rien, ou plutôt elle est un danger. Ne donner la science qu'à la force, telle est la loi suprême des initiations. Aussi le grand révélateur a-t-il dit : Le royatime de Dieu souffre violence et ce sont les violents qui le ravissent. La porte de la véiité est fermée comme le sanctuaire d'une vierge ; il faut être un homme pour entrer. Tous les miracles sont promis à la foi; mais qu'est-ce que la foi, sinon l'audace d'une

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I N T R O D U C T I O N .

volonté qui n'hésite pas dans les ténèbres, et qui marche vers la lumière à travers toutes les épreuves et en surmontant tous les obstacles ! Nous n'avons pas à répéter ici l'histoire des anciennes initiations; plus elles étaient dangereuses et terribles, plus elles avaient d'efficacité : aussi le monde, alors, avait-il des hommes pour le gouverner et pour l'instruire. L'art sacerdotal et l'art royal consistaient surtout dans les épreuves du courage, de la discrétion et de la volonté. C'était un noviciat semblable à celui de ces prêtres si impopulaires de nos jours sous le nom deksuites, et qui gouverneraient encore le monde s'ils avaient une tête vraiment sage et intelligente. Après avoir passé notre vie à la recherche àe l'absolu en religion, en science et en justice ; après avoir tourné dans le cercle de Faust, nous sommes arrivés au premier dogme et au premier livre de l'humanité. Là nous nous arrêtons, là nous avons trouvé le secret de la toute-puissance humaine et du progrès indéfini, la clef de tous les symbolis_ mes, le premier et le dernier de tous les dogmes. Et nous avons compris ce que veut dire ce mot si souvent répété dans l'Évangile : le royaume de

Dieu. T. I.

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

Donner un point fixe pour appui à l'activité humaine, c'est résoudre le problème d'Archimède, en réalisant l'emploi de son fameux levier. C'est ce que firent les grands initiateurs qui donnèrent des secousses au mande, et ils nç purent le faire qu'au moyen du grand et incommunicable secret. Pour garantie, d'ailleurs, de sa nouvelle jeunesse, le phénix symbolique ne reparaissait jamais aux yeux du monde sans avoir consumé solennellement les dépouilles et les preuves de sa vie antérieure. C'est ainsi que Moïse fait mourir dans le désert tous ceux qui avaient pu connattre l'Égypte et ses mystères; c'est ainsi que saint Paul, à Éphèse, brûle tous les livres qui traitaient des sciences occultes; c'est ainsi, enfin, que la Révolution française, fille du grand Orient Johannite et de la cendre des Templiers, spolie les églises et blasphème les allégories du culte divin. Mais tous les dogmes et toutes les renaissances proscrivent la magie et en vouent les mystères au feu ou à l'oubli. C'est que tout culte ou toute philosophie qui vient au monde est un Benjamin de l'humanité qui ne peut vivre qu'en donnant la mort à sa mère ; c'est que le serpent

symbolique tourne toujours en dévorant sa queue; c'est qu'il faut, pour raison d'être, à. toute pléni-

t e r R O D U C T I O N .

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tude Un vide, à toute grandeur un espace, à toute affirmation une négation; c'est la réalisation éternelle de l'allégorie du phénix. Deux savants illustres m'ont déjà précédé dans la voie où je marche, mais ils y ont passé pour ainsi dire la nuit et sans lumière. Je veux parler de Volney et de Dupuis, de Dupuis surtout, dont l'immense érudition n'a pu produire qu'une oeuvre négative. Il n'a vu dans l'origine de tous les cultes que l'astronomie, prenant ainsi le Cycle symbolique pour le dogme, et le calendrier pour la légende. Une seule connaissance lui a manqué, celle de la véritable magie, qui renferme les secrets de la cabale. Dupuis a passé dans les antiques sanctuaires comme le prophète Ezéchiel dans la plaine cou, verte d'ossements, et il n'a compris que la mort, faute de savoir le mot qui rassemble la vertu des quatre vents du ciel, et qui peut faire un peuple vivant de tout cet immense ossuaire, en criant aux anciens symboles : Levez-vous ! revêtez une nouvelle forme et marchez ! Ce que personne donc n'a pu ou n'a osé faire avant nous, le temps est venu où nous aurons l'audace de l'essayer. Nous voulons comme Julien rebàtir le temple, et nous ne croyons pas donner en

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cela un démenti à une sagesse que nous adorons, et que Julien lui-même eût été digne d'adorer, si les docteurs haineux et fanatiques de son temps lui eussent permis de la comprendre. Le temple pour nous a deux colonnes, sur l'une desquelles • le christianisme a écrit son nom. Nous ne voulons donc pas attaquer le christianisme; loin de là, nous voulons l'expliquer et l'accomplir. L'intelligence et la volonté ont alternativement exercé le pouvoir dans le monde; la religion et la philosophie luttent encore de nos jours, et doivent finir par s'accorder. Le christianisme a eu pour but provisoire d'établir, par l'obéissance et la foi, une égalité surnaturelle ou religieuse entre les hommes, et d'immobiliser l'intelligence par la foi, afin de donner un point d'appui à la vertu qui venait détruire l'aristocratie de la science , ou plutôt remplacer cette aristocratie déjà détruite. La philosophie, au contraire, a travaillé pour faire revenir les hommes par la liberté et la raison; à l'inégalité naturelle, et pour substituer, en fondant le règne de l'industrie, le savoir-faire à la vertu. Aucune de ces deux actions n'a été complète et suffisante, aucune n'a conduit les hommes à la perfection et au bonheur. Ce qu'on rêve maintenant sans oser presque

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l'espérer, c'est une alliance entre ces deux forces longtemps regardées comme contraires, et cette alliance on a raison de la désirer : car les deux grandes puissances de l'âme humaine ne sont pas plus opposées l' une à l'autre que le sexe de l'homme n'est opposé à celui de la femme; sans doute elles sont différentes, mais leurs dispositions contraires en apparence ne viennent que de leur aptitude à se rencontrer et à s'unir. — Il ne s'agit donc de rien moins que d'une solution universelle à tous les problèmes? Sans doute, puisqu'il s'agit d'expliquer la pierre philosophale , le mouvement perpétuel, le secret du grand oeuvre et la médecine universelle. On nous taxera de folie comme le divin Paracelse, ou de charlatanisme comme le grand et infortuné Agrippa. Si le bûcher d'Urbain Grandier est éteint, il reste les sourdes proscriptions du silence ou de la calomnie. Nous ne les bravons pas, mais nous y sommes résigné. Nous n'avons pas cherché par nous-même la publication de cette oeuvre, et nous croyons que, si le temps est venu de produire la parole, elle se produira d'elle-même, par nous ou par d'autres. Nous resterons donc calme, et nous attendrons.

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

Notre ouvrage a deux parties : dans l'une, nous établissons le dogme cabalistique et magique dans son entier, l'autre est consacrée au culte. c'est-àdire à la magie cérémonielle. L'une est ce que les anciens sages appelaient la clavicule ; l'autre, ce que les gens de la campagne appellent encore le grimoire. Le nombre et le sujet des chapitres, qui se correspondent dans les deux parties, n'ont rien d'arbitraire, et se trouvaient tout indiqués dans la grande clavicule universelle dont nous donnons pour la première fois une explication complète et satisfaisante. Que cette oeuvre maintenant aille où elle voudra et devienne ce que la Providence voudra : elle est faite, et nous la croyons durable, parce qu'elle est forte comme tout ce qui est raisonnable et consciencieux.

ELIPHAS LÉVI.

DOGME DE

LA HAUTE MAGIE I et A LE RÉCIPIENDAIRE. DISCIPLINA. ENSOPH. INTER.

Lorsqu'un philosophe a pris pour base d'une nouvelle révélation de la sagesse humaine ce raisonnement : Je pense, donc j'existe, il a changé en quelque sorte et à son insu, suivant la révélation chrétienne, la notion antique de l'Étre suprême. Moïse fait dire à l'Étre des êtres: Je suis celui qui suis. Descartes fait dire à l'homme : Je suis celui qui pense, et, comme penser c'est parler intérieurement, l'homme de Descartes peut dire comme le Dieu de saint Jean l'Évangéliste : Je suis celui en qui est et par qui se manifeste le verbe, In prin-

cipio erat verbum.

I Ch

DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

Qu'est-ce qu'un principe? C'est une base de la parole, c'est une raison d'être du verbe. L'essence du verbe est dans le principe : le principe c'est ce qui est; l'intelligence, c'est un principe qui parle. Qu'est-ce que la lumière intellectuelle ? C'est la parole. Qu'est-ce que la révélation? C'est la parole; l'être est le principe, la parole est le moyen, et la plénitude ou le développement et la perfection de l'être, c'est la fin : parler, c'est créer. Mais dire : Je pense, donc j'existe, c'est conclure de la conséquence au principe, et de récentes contradictions soulevées par un grand écrivain (4) ont prouvé suffisamment l'imperfection philosophique de cette méthode. Je suis, donc il existe quelque chose, nous semblerait être une base plus primitive et plus simple de la philosophie expérimentale. Je suis, donc l'être existe.

Ego sum qui sum voilà la révélation première de :

Dieu dans l'homme et de l'homme dans le monde, et c'est aussi le premier axiome de la philosophie occulte. myrte IVKMIK L'être est. l'être. (4) Lamennais.

105 Cette philosophie a donc pour principe ce qui est, et n'a rien d'hypothétique ni de hasardé. Mercure Trismégiste commence son admirable symbole connu sous le nom de table d'émeraude par cette triple affirmation : Il est vrai, il est certain sans erreur , il est de toute vérité. Ainsi le vrai confirmé par l'expérience en physique, la certitude dégagée de tout alliage d'erreur en philosophie, la vérité absolue indiquée par l'analogie dans le domaine de la religion ou de l'infini, telles sont les premières nécessités de la vraie science, et c'est ce que la magie seule peut accorder à ses adeptes. Mais, avant toutes choses , qui es-tu, toi qui tiens ce livre entre tes mains et qui entreprends de le lire? ... Sur le fronton d'un temple que l'antiquité avait dédié au Dieu de la lumière on lisait cette inscription en deui mots : Connais-toi. J'ai le même conseil à donner à. tout homme qui veut s'approcher de la science. La magie, que les anciens appelaient le sanctum regnum, le saint royaume ou le royaume de Dieu, regnum Dei, n'est faite que pour les rois et pour les prêtres : êtes-vous prêtres, êtes-vous rois ? Le sacerdoce de la magie n'est pas un sacerdoce LE RÉCIPIENDAIRE.

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

vulgaire, et sa royauté n'a rien à débattre avec les princes de ce monde. Les rois de la science sont les prêtres de la vérité, et leur règne l'este caché pour la multitude, comme leurs sacrifices et leurs prières. Les rois de la science, ce sont les hommes qui connaissent la vérité et que la vérité a rendus libres selon la promesse formelle du plus puissant des initiateurs. L'homme qui est esclave de ses passions ou des préjugés de ce monde ne saurait être initié, il ne parviendra jamais, tant qu'il ne se réformera pas ; il ne saurait donc être un adepte, car le mot adepte signifie celui qui est parvenu par sa volonté et par ses oeuvres. L'homme qui aime ses idées et qui a peur de les perdre, celui qui redoute les vérités nouvelles et qui n'est pas disposé à douter de tout plutôt que d'admettre quelque chose au hasard celui-là doit refermer ce livre, qui est inutile et dangereux pour lui : il le comprendrait mal et en serait troublé , mais il le serait bien davantage encore si par hasard il le comprenait bien. Si vous tenez à quelque chose au monde plus qu'à la raison, à la vérité et à la justice; si votre volonté est incertaine et chancelante, soit dans le ;

107 bien , soit dans le mal; si la logique vous effraye, si la vérité nue vous fait rougir ; si on vous blesse en touchant les erreurs reçues, condamnez tout d'abord ce livre, et faites, en ne le lisant pas, comme s'il n'existait pas pour vous, mais ne le décriez pas comme dangereux les secrets qu'il révèle seront compris d'un petit nombre, et ceux qui les comprendront ne les révèleront pas. Montrer la lumière aux oiseaux de nuit, c'est la leur cacher, puisqu'elle les aveugle et devient pour eux plus obscure que les ténèbres. Je parlerai donc clairement, je dirai tout, et j'ai la ferme confiance que les initiés seuls, ou ceux qui sont dignes de l'être , liront tout et comprendront quelque chose. Il y a une vrai et une fausse science, une magie divine et une magie infernale, c'est-à-dire mensongère et ténébreuse : nous avons à révéler l'une et à dévoiler l'autre; nous avons à distinguer le magicien du sorcier et l'adepte du charlatan. Le magicien dispose d'une force qu'il conne le sorcier s'efforce d'abuser de ce qu'il ignore. Le diable, s'il est permis dans un livre de science d'employer ce mot décrié et vulgaire, le LE RÉCIPIENDAIRE.

diable se donne au magicien et le sorcier se donne au diable.

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

Le magicien est le souverain pontife de la nature, le sorcier n'en est que le profanateur. Le sorcier est au magicien ce que le superstitieux et le fanatique sont à l'homme véritablement religieux. Avant d'aller plus loin, définissons nettement la magie. La magie est la science traditionnelle des secrets de la nature, qui nous vient des mages. Au moyen de cette science, l'adepte se trouve investi d'une sorte de toute-puissance relative et peut agir surhumainement, c'est-à-dire d'une manière qui passe la portée commune des hommes. C'est ainsi que plusieurs adeptes célèbres, tels que Mercure Trismégiste, Osiris, Orphée, Apollonius de Thyanes, et d'autres qu'il pourrait être dangereux ou inconvenant de nommer, ont pu être adorés ou invoqués après leur mort comme des dieux. C'est ainsi que d'autres, suivant le flux et le reflux de l'opinion, qui fait les caprices du succès, sont devenus des suppôts de l'enfer ou des aventuriers suspects, comme l'empereur Julien, Apulée , l'enchanteur Merlin et l'archisorcier , comme on l'appelait de son temps, l'illustre et malheureux Cornélius Agrippa.

109 Pour parvenir au sanctum regnum, c'est•à-dire à la science et à la puissance des mages, quatre choses sont indispensables : une intelligence éclairée par l'étude, une audace que rien n'arréte, une volonté que rien ne brise et une discrétion que rien ne puisse corrompre ou enivrer. SAVOIR, OSER, VOULOIR, SE TAIRE, voilà les quatre verbes du mage qui sont écrits dans les quatre formes symboliques du sphinx. Ces quatre verbes peuvent se combiner ensemble de quatre manières et s'expliquent quatre fois les uns par les autres (1). • A la première page du livre d'Hermès, l'adepte est représenté couvert d'un vaste chapeau qui, en se rabattant, peut lui cacher toute la tète. Il tient une main élevée vers le ciel, auquel il semble commander avec sa baguette, et l'autre main sur sa poitrine; il a devant lui les principaux symboles ou instruments de la science, et il en cache d'autres dans une gibecière d'escamoteur. Son corps et ses bras forment la lettre Aleph, la première de l'alphabet, que les Hébreux ont empruntée aux Egyptiens; mais nous aurons lieu plus tard de revenir sur ce symbole. LE RÉCIPIENDAIRE.

(4) Voir le jeu du Taro.

DOGME 13E LA 11AUTE MAGIE. •

Le mage est véritablement ce que les cabalistes hébreux appellent le microprosope, c'est—à-dire le créateur du petit monde. La première science magique étant la connaissance de soi—même, la prémière aussi de toutes les oeuvres de la science, celle qui renferme toutes les autres et qui est le principe du grand oeuvre, c'est la création de soimême : ce mot a besoin d'être expliqué. La raison suprême étant le seul principe invariable, et par conséquent impérissable, puisque le changement est ce que nous appelons la mort, l'intelligence, qui adhère fortement et s'identifie en quelque manière à ce principe, se rend par là même invariable, et par conséquent immortelle. On comprend que, pour adhérer invariablement à la raison, il faut s'être rendu indépendant de toutes les forces qui produisent par le mouvement fatal et nécessaire les alternatives de la vie et de la mort. Savoir souffrir, s'abstenir et mourir, tels sont donc les premiers secrets qui nous mettent au-dessus de la douleur, des convoitises sensuelles et de la peur du néant. L'homme qui cherche et trouve une glorieuse mort a foi dans l'immortalité , et l'humanité tout entière y croit avec lui et pour lui, car elle lui élève des

LE RECIPIENDAiRE.

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autels ou des statues en signe de vie immortelle. L'homme ne devient roi des animaux qu'en les domptant ou en les apprivoisant, autrement il en serait la victime ou l'esclave. Les animaux sont la figure de nos passions, ce sont les forces instinctives de la nature. Le monde est un champ de bataille que la liberté dispute à la force d'inertie en lui opposant la force active. Les lois physiques sont des meules dont tu seras le grain, si tu n'en sais pas être le meunier. Tu es appelé à être le roi de l'air, de l'eau, dé la terre et du feu; mais, pour régner sur ces quatre animaux du symbolisme, il faut les vaincre et les enchatner. Celui qui aspire à être un sage et à savoir la grande énigme de la nature doit être l'héritier et le spoliateur du sphinx; il doit en avoir la tête humaine pour posséder la parole, les ailes d'aigle pour conquérir les hauteurs, les flancs de taureau pour labourer les profondeurs, et les griffes de lion pour se faire place à droite et à gauche, en avant et en arrière. Toi donc qui veux être initié, es-tu savant comme Faust ? Es-tu impassible comme Job ? Non, n'est-

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

ce pas? Mais tu peux l'être si tu veux. As-tu vaincu les tourbillons des pensées vagues ?Es-tu sans indécision et sans caprices ? N'acceptes-tu le plaisir que quand tu le veux, et ne le veux-tu que quand tu le dois? Non, n'est-ce pas? il n'en est pas toujours ainsi? Mais cela peut être si tu le veux. Le sphinx n'a pas seulement une tête d'homme, il a aussi des mamelles de femme; sais-tu résister aux attraits de la femme? Non, n'est-ce pas? et ici tu ris en répondant, et tu te vantes de ta faiblesse morale pour glorifier en toi la force vitale et matérielle. Soit, je te permets de rendre cet hommage à l'âne de Sterne ou d'Apulée ; que l'âne ait sou mérite, je n'en disconviens pas, il était consacré à Priape comme le bouc au dieu de Mendès. Mais laissons-le pour ce qu'il est, et sachons seulement s'il est ton maître ou si tu peux être le sien. Celui-là seul peut vraiment posséder la volupté de l'amour qui a vaincu l'amour de la volupté. Pouvoir user et s'abstenir, c'est pouvoir deux fois. La femme t'enchaîne par tes désirs : sois maître de tes désirs, et tu enchaîneras la femme. La plus grande injure qu'on puisse faire à un homme, c'est de l'appeler lâche. Or qu'est-ce donc

qu'un lâche ?

LE ReiPlENDAIRE.

Un lâche c'est celui qui néglige le soin de sa dignité morale pour obéir aveuglément aux instincts de la nature. En présence du danger, en effet, il est naturel d'avoir peur et de chercher à fuir : pourquoi donc est-ce une honte ? Parce que l'honneur nous fait une loi de préférer notre devoir à nos attractions ou à nos craintes. Qu'est-ce, à ce point de vue, que l'honneur ? C'est le pressentiment universel de l'immortalité et l'estime des moyens qui peuvent y conduire. La dernière victoire que l'homme puisse remporter sur la mort, c'est de triompher du goût de la vie, non par le désespoir, mais par une plus haute espérance, qui est renfermée dans la foi, pour tout ce qui est beau et honnête, du consentement de tout le monde. Apprendre à se vaincre, c'est donc apprendre à vivre, et les austérités du stoïcisme n'étaient pas une vaine ostentation de liberté ! Céder aux forces de la nature, c'est suivre' le courant de la vie collective, c'est être esclave des causes secondes. Résister à la nature et la dompter, c'est se faire une vie personnelle et impérissable, c'est s'affranchir des vicissitudes de la vie et de la mort. T. I.

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

Tout homme qui est prêt à mourir plutôt qu'à abjurer la vérité et la justice est véritablement vivant, car il est immortel dans son âme. Toutes les initiations antiques avaient pour but de trouver ou de former de pareils hommes. Pythagore exerçait ses disciples par le silence et les abstinences de toutes sortes; en Egypte, on éprouvait les récipiendaires par les quatre éléments; dans l'Inde, on sait à quelles prodigieuses austérités se condamnaient les faquirs et les brames, pour parvenir au royaume de la libre volonté et de l'indépendance divine. Toutes les macérations de l'ascétisme sont empruntées aux initiations des anciens mystères, et elles ont cessé. parce que, les initiables ne trouvant plus d'initiateurs, et les directeurs des consciences étant devenus à la longue aussi ignorants que le vulgaire, les aveugles se sont lassés de suivre des aveugles, et esonne n'a voulu subir des épreuves qui ne conduisaient plus qu'au doute et au désespoir : le chemin de la lumière était perdu.

Pour faire quelque chose, il faut savoir ce qu'on veut faire ou du moins avoir foi en quelqu'un qui le sait. Mais comment risquerais-je ma vie à

LE RÉCIPIENDAIRE.

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l'aventure et suivrais-je au hasard celui qui ne sait pas lui—même où il va? Dans la voie des hautes sciences, il ne faut pas s'engager témérairement, mais, une fois en marche, il faut arriver ou périr. Douter, c'est devenir fou; s'arrêter, c'est tomber; reculer, c'est se précipiter dans un gouffre. Toi donc qui as commencé la lecture de ce livre, si tu le comprends et si tu veux le lire jusqu'à la fin, il fera de toi un monarque on un insensé. Quant à toi, fais du volume ce que tu voudras, tu ne pourras ni le mépriser ni l'oublier. Si tu es pur, ce livre sera pour toi une lumière ; si tu es fort, il sera ton arme; si tu es saint, il sera ta religion ; si tu es sage, il réglera ta sagesse. Mais, si tu es méchant, ce livre sera pour toi comme une torche infernale; il fouillera ta poitrine en la déchirant comme un poignard ; il restera dans ta mémoire comme un remords; il te remplira l'imagination de chimères, et il te conduira par la folie au désespoir. Tu voudras en rire, et tu ne sauras que grincer les dents, car ce livre est pour toi comme cette lime de la fable qu'un serpent essaya de ronger, et qui lui usa toutes les

dents.

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

Commençons maintenant la série des initiations. J'ai dit que la révélation, c'est le verbe. Le verbe, en effet, ou la parole, est le voile de l'être et le signe caractéristique de la vie. Toute forme est le voile d'un verbe, parce que l'idée mère du verbe est l'unique raison d'être des formes. Toute figure est un caractère, tout caractère appartient et retourne à un. verbe. C'est pourquoi les anciens sages, dont Trismégiste est l'organe, ont-ils formulé leur dogme unique en ces termes : Ce qui est au-dessus est comme ce qui est au-dessous, et ce qui est au-dessous est comme ce qui est au—dessus. En d'autres termes, la forme est proportionnelle à l'idée, l'ombre est la mesure du corps calculée avec sa relation au rayon lumineux. Le fourreau est aussi profond que l'épée est longue, la négation est proportionnelle à l'affirmation contraire, la production est égale à la destruction dans le mouvement qui conserve la vie, et il n'y a pas un point dans l'espace infini qui ne soit le centre d'un cercle dont la circonférence s'agrandit et recule indéfiniment dans l'espace.

Toute individualité est donc indéfiniment perfectible, puisque le moral est analogique à l'ordre

LE RÉCIPIENDAIRE. 447

physique, et puisqu'on ne saurait concevoir un point qui ne puisse se dilater, s'agrandir et jeter des rayons dans un cercle philosophiquement infini. Ce qu'on peut dire de l'âme entière, on doit le dire de chaque faculté de l'âme. L'intelligence et la volonté de l'homme sont des instruments d'une portée et d'une force incalculables. Mais l'intelligence et la volonté ont pour auxiliaire et pour instrument une faculté trop peu connue et dont la toute-puissance appartient exclusivement au domaine de la magie : je veux parler de l'imagination, que les cabalistes appellent le diaphane ou le translucide. L'imagination, en effet, est comme l'oeil de l'âme, et c'est en elle que se dessinent et se conservent les formes, c'est par elle que nous voyons les reflets du monde invisible, elle est le miroir des visions et l'appareil de la vie magique : c'est par elle que nous guérissons les maladies, que nous influençons les saisons, que nous écartons la mort des vivants et que nous ressuscitons les morts, parce que c'est elle qui exalte la volonté et qui lui donne prise sur l'agent universel. L'imagination détermine la forme de l'enfant

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

dans le sein de la mère et fixe la destinée des hommes ; elle donne des ailes à la contagion et dirige les armes à la guerre. Etes-vous en danger dans une bataille? croyez-vous invulnérables comme Achille, et vous le serez, dit Paracelse. La peur attire les balles, et le courage fait rebrousser chemin aux boulets. On sait que les amputés se plaignent. souvent des membres qu'ils n'ont plus. Paracelse opérait sur le sang vivant en médicamentant le résultat d'une saignée; il guérissait les maux de tête à distance en opérant sur des cheveux coupés; il avait devancé de beaucoup, par la science de l'unité imaginaire et de la solidarité du tout et des parties, toutes les théories ou plutôt toutes les expériences de nos plus célèbres magnétiseurs. Aussi ses cures étaient-elles miraculeuses, et a-t-il mérité qu'on ajoutât à son nom de Philippe Théophraste Bombast celui d'Auréole Paracelse, en y ajoutant encore l'épithète de divin ! L'imagination est l'instrument de l'adaptation du verbe. L'imagination appliquée à la raison, c'est le génie. La raison est une, Comme le génie est un dans la multiplicité de ses oeuvres.

LE RÉCIPIENDAIRE.

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Il y a un principe, il y a une vérité, il y a une raison, il y a une philosophie absolue et universelle. Ce qui est est dans l'unité considérée comme principe, et retourne à l'unité considérée comme fin. Un est dans un, c'est—à-dire tout est dans tout. L'unité est le principe des nombres, c'est aussi le principe du mouvement, et par conséquent de la vie. Tout le corps humain se résume dans l'unité d'un seul organe, qui est le cerveau. Toutes les religions se résument dans l'unité d'un seul dogme, qui est l'affirmation de l'être et de son égalité à lui—même, qui constitue sa valeur mathématique. Il n'y a qu'un dogme en magie, et le voici : le visible est la manifestation de l'invisible, ou, en d'autres termes, le verbe parfait est, dans les choses appréciables et visibles, en proportion exacte avec les choses inappréciables à nos sens et invisibles à nos yeux. Le mage élève une main vers le ciel et abaisse l'autre vers la terre, et il dit : Là-haut l'immensité ! là-bas l'immensité encore; l'immensité égale l'immensité. Ceci est vrai dans les choses visibles, comme dans les choses invisibles.

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

La première lettre de l'alphabet de la langue sainte, Aleph es , représente un homme qui élève une main vers le ciel, et abaisse l'autre vers la terre. C'est l'expression du principe actif de toute chose, c'est la création dans le ciel, correspondant à la toute-puissance du verbe ici-bas. Cette lettre à elle seule est un pantacle, c'est-à-dire un caractère exprimant la science universelle. La lettre re peut suppléer aux signes sacrés du macrocosme et du microcosme, elle explique le double triangle maçonnique et l'étoile brillante aux cinq pointes : car le verbe est un et la révélation est une. Dieu, en donnant à l'homme la raison, lui a donné la parole; et la révélation, multiple dans ses formes, mais une dans son principe, est tout entière dans le verbe universel, interprète de la raison absolue. C'est ce que veut dire le mot si mal compris de catholicisme, qui, en langue hiératique moderne, signifie infaillibilité. L'universel en raison, c'est l'absolu, et l'absolu, c'est l'infaillible. Si la raison absolue conduit la société tout entière à croire irrésistiblement à la parole d'un enfant,

LE RÉCIPIENDAIRE.

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cet enfant sera infaillible, de par Dieu et de par l'humanité tout entière. La foi n'est autre chose que la confiance raisonnable dans cette unité de la raison et dans cette universalité du verbe. Croire, c'est acquiescer à ce qu'on ne sait pas encore, mais à ce que la raison nous rend sûrs d'avance de savoir, ou du moins de reconnattre un jour. Absurdes donc sont les prétendus philosophes qui disent : Je ne croirai pas ce que je ne sais pas. Pauvres gens ! si vous saviez, est-ce que vous auriez besoin de croire? Mais puis-je croire au hasard, et sans raison ?— Non certes ! La croyance aveugle et aventurée, c'est la superstition et la folie. Il faut croire aux causes dont la raison nous force d'admettre l'existence d'après le témoignage des effets connus et appréciés par la science. La science ! grand mot et grand problème ! Qu'est-ce que la science ? Nous répondrons à cette question dans le second chapitre de ce livre.

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

2 2 B. LES COLONNES DU TEMPLE. CUOCIAR. DONUS. ON 0818.

La science, c'est la possession absolue et complète de la vérité. Aussi les sages de tous les siècles ont-ils tremblé devant ce mot absolu et terrible; ils ont craint de s'arroger le premier privilége de la divinité, en s'attribuant la science, et ils se sont contentés, au lieu du verbe savoir, de celui qui exprime la connaissance, et, au lieu du mot science, ils ont adopté celui de gnose, qui exprime seulement l'idée de connaissance par intuition. Que sait l'homme, en effet? Rien, et pourtant il ne lui est pas permis de rien ignorer. Il ne sait rien, et il est appelé à tout connattre. Or la connaissance suppose le binaire. Il faut à l'ètre qui conne un objet connu. Le binaire est le générateur de la société et de la loi; c'est aussi le nombre de la gnose. Le binaire

LES COLONNES DU TEMPLE.

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est l'unité se multipliant d'elle-même pour créer; et c'est pour cela que les symboles sacrés font sortir Ève de la poitrine même d'Adam. Adam, c'est le tétragramme humain, qui se résume dans le jod mystérieux, image du phallus cabalistique. Ajoutez à ce jod le nom ternaire d'Ève, et vous formez le nom de Jéhova, le tétragramme divin, qui est le mot cabalistique et magique par excellence : mir que le grand-prêtre, dans le temple, prononçait Jodchéva. C'est ainsi que l'unité complète dans la fécondité du ternaire forme, avec lui, le quaternaire, qui est la clef de tous les nombres, de tous les mouvements et de toutes les formes. Le carré, en tournant sur lui-même, produit le cercle égal à lui-même, et c'est la quadrature du cercle que le mouvement circulaire de quatre angles égaux tournant autour d'un même point. Ce qui est en haut, dit Hermès, égale ce qui est en bas : voilà le binaire servant de mesuré à l'unité; et la relation d'égalité entre le haut et le bas, voilà

ce qui forme avec eux le ternaire.

• 124

DO GME DE LA HAUTE MA GIE.

Le principe créateur, c'est le phallus idéal; et le principe créé, c'est le cteïs formel. L'insertion du phallus vertical dans le cteïs horizontal forme le stauros des gnostiques, ou la croix philosophique des maçons. Ainsi le croisement de deux produit quatre, qui, en se mouvant, déterminent le cercle avec tous ses degrés. , c'est l'homme; c'est la femme; 1, c'est le principe; 2, c'est le verbe; A, c'est l'actif; B, c'est le passif; l'unité, c'est Bohas; et le binaire, c'est Jakin. Dans les trigrammes de Fohi,. l'unité, c'est le yang; et le binaire, c'est le yin. ,

yang yin.

Bohas et Jakin sont les noms des deux colonnes • symboliques qui étaient devant la porte principale du temple cabalistique de Salomon. Ces deux colonnes expliquent en cabale tous les mystères de l'antagonisme, soit naturel, soit poli-

tique, soit religieux, et ils expliquent la lutte génératrice de l'homme et de la femme : car, selon la

125 loi de la nature, la femme doit résister à l'homme, et lui, doit la charmer ou la soumettre. Le principe actif cherche le principe passif, le plein est amoureux du vide. La gueule du serpent attire sa queue, et, en tournant sur lui-même, il se fuit et il se poursuit. La femme est la création de l'homme, et la création universelle est la femme du premier principe. Quand l'être principe s'est fait créateur, il a érigé un jod ou un phallus, et, pour lui faire place dans le plein de la lumière incréée, il a dû creuser un cteïs ou une fosse d'ombre égale à la dimension déterminée par son désir créateur, et attribuée par lui au jod idéal de la lumière rayonnante. Tel est le langage mystérieux des cabalistes dans le Talmud, et, à cause des ignorances et des méchancetés du vulgaire, il nous est impossible de l'expliquer ou de le simplifier davange. Qu'est-ce donc que la création ? C'est la maison du Verbe créateur. Qu'est-ce que le cteïs ? C'est la maison du phallus. Quelle est la nature du principe actif? C'est de répandre. Quelle est celle du principe passif ? C'est de rassembler et de féconder. LM COLONNES DU TEMPLE.

4;Z6 DOGME DE LA HAUtE Qu'est-ce que l'homme? C'est l'initiateur, celui qui brise, qui laboure et qui sème. Qu'est-ce que la femme ? C'est la formatrice, celle qui réunit, qui arrose et qui moissonne. L'homme fait la guerre, et la femme procure la paix ; l'homme détruit pour créer, la femme édifie pour conserver ; l'homme c'est la révolution, la femme c'est la conciliation ; l'homme est le père de Caïn, la femme est la mère d'Abel. Qu'est-ce que la sagesse? C'est la conciliation et l'union des deux principes, c'est la douceur d'Abel dirigeant l'énergie de Caïn, c'est l'homme suivant les douces inspirations 'de la femme, c'est la débauche vaincue par le légitime mariage, c'est l'énergie révolutionnaire adoucie et domptée par les douceurs de l'ordre et de la paix, c'est l'orgueil soumis à l'amour, c'est la science reconnaissant les inspirations de la foi. Alors la science humaine devient sage, parce qu'elle est modeste, et se soumet à l'infaillibilité de la raison universelle, enseignée par l'amour ou par la charité universelle. Elle peut alors prendre le nom de gnose, parce qu'elle connaît du moins ce qu'elle ne peut encore se vanter de parfaitement savoir.

LES COLONNES OU TEKPLE.

e7

L'unité ne peut se manifester que par le binaire ; l'unité elle-même et l'idée de l'unité font déjà deux. L'unité du macrocosme se révèle par les deux points opposés des deux triangles:

L'unité humaine se complète par la droite et la gauche. L'homme primitif est androgyne. Tous les organes du corps humain sont disposés par deux, excepté le nez, la langue, l'ombilic et le jod cabalistique. La divinité, une dans son essence, h deux conditions essentielles pour bases fondamentales de son être : la nécessité et la liberté. Les lois de la raison suprême nécessitent en Dieu

V

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DO GME DE LA HAUTE MA GIE.

et règlent la liberté, qui est nécessairement raisonnable et sage. Pour rendre la lumière visible, Dieu a seulement supposé l'ombre. Pour manifester la vérité, il a rendu le doute possible. L'ombre est le repoussoir de la lumière, et la possibilité de l'erreur est nécessaire pour la manifestation temporelle de la vérité. Si le bouclier de Satan n'arrêtait la lance de Michaël, la puissance de l'ange se perdrait dans le vide ou devrait se manifester par une destruction infinie dirigée de haut en bas. 'Et si le pied de Michaël ne retenait Satan dans son ascension, Satan irait détrôner Dieu, ou plutôt se perdre lui—même dans les abtmes de la hauteur. Satan est donc nécessaire à Michaël comme le piédestal à la statue, et Michaél est nécessaire à Satan comme le frein à la locomotive. En dynamique analogique; et universelle, on ne s'appuie què sur ce qui résiste. Aussi l'univers est-il balancé par deux forces qui le maintiennent en équilibre : la force qui attire et celle qui repousse. Ces deux forces existent

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LESCOLONNESDUTEMPLE.

en physique, en philosophie et en religion. Elles produisent en physique l'équilibre, en philosophie la critique, en religion la révélation progressive. Les anciens ont représenté ce mystère par la lutte d'Éros et d'Antéros, par le combat de Jacob avec l'ange , par l'équilibre de la montagne d'or que tiennent liée, avec le serpent symbolique de l'Inde, les dieux d'un côté et de l'autre les démons. Il se trouve aussi figuré par le caducée d'Flermanabis, par les deux chérubins, de l'arche, par les deux sphinx du chariot d'Osiris, par les deux Séraphins, le blanc et le noir. Sa réalité scientifique est démontrée par les phénomènes de la polarité et par la loi universelle des sympathies ou des antipathies. Les disciples inintelligents de Zoroastre ont divinisé le binaire sans le rapporter à l'unité, séparant ainsi les colonnes du temple, et voulant écarteler Dieu. Le binaire en Dieu n'existe que par le ternaire. Si vous concevez l'absolu comme deux, il faut immédiatement le concevoir comme trois, pour retrouver le principe unitaire. C'est pour cela que les éléments matériels analogues aux éléments divins se conçoivent comme I. I.

9

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

quatre , s'expliquent comme deux , et n'existent finalement que comme trois. La révélation , c'est le binaire ; tout verbe est double et suppose deux. La morale qui résulte de la révélation est fondée sur l'antagonisme, qui est Ja conséquence du binaire. L'esprit et la forme s'attirent et se repoussent comme l'idée et le signe, comme la vérité et la fiction. La raison suprême nécessite le dogme en se communiquant aux intelligences finies, et le dogme, en passant du domaine des idées à celui des formes, se fait participant de deux mondes, et a nécessairement deux sens qui parlent successivement, ou à la fois, soit à l'esprit, soit à la chair. Aussi dans le domaine moral y a-t-il deux forces: une qui attente, et l'autre qui réprime ou qui expie: Ces deux forces sont figurées dans les mythes de la Genèse par les personnages typiques de Caïn et d'Abel. Abel opprime Caïn par sa supériorité morale ; Caïn, pour s'affranchir, immortalise son frère en le tuant, et devient la victime de son propre forfait. Caïn n'a pu laisser vivre Abel, et le sang d'Abel ne laisse plus dormir Caïn. Dans l'Évangile, le type de Caïn est remplacé

Las COLONNES DU l'EMPILE.

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par celui de l'Enfant prodigue, à qui son père

pardonne tout, parce qu'il revient après avoir beau. coup souffert. En Dieu, il y a miséricorde et justice : il fait justice aux justes et miséricorde aux pécheurs. Dans l'âme du monde, qui est l'agent universel, il y a un courant d'amour et un courant de colère. Ce fluide ambiant et qui pénètre toute chose; ce rayon détaché de la gloire du soleil et fixé par le poids de l'atmosphère et par la force d'attraction centrale; ce corps du Saint-Esprit, que nous appelons l'agent universel, et que les anciens ont représenté sous la figure du serpent qui se mord la queue ; cet éther électrico-magnétique, ce calorique vital et lumineux, est figuré dans les anciens monuments par la ceinture d'Isis, qui se tourne et se retourne en noeud d'amour autour des deux pèles, et par le serpent qui se mord la queue, emblème de la prudence et de Saturne. Le mouvement et la vie consistent dans la tension extrème des deux forces. Plût à Dieu , disait le Maître, que vous fussiez tout froid ou tout chaud I En effet, un grand coupable est plus vivant

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

qu'un homme lâche et tiède, et son retour à la vertu sera en raison de l'énergie de ses égarements. La femme qui doit écraser la tète du serpent, c'est l'intelligence, qui surmonte toujours le courant des forces aveugles. C'est, disent les cabalistes, la vierge de la mer, dont le dragon infernal vient lécher les pieds humides avec ses langues de feu qui s'endorment de volupté. Tels sont les mystères hiératiques du binaire. Mais il en est un, le dernier de tous, qui ne doit pas être révélé : la raison en est, selon Hermès Trismégiste, dans l'inintelligence du vulgaire, qui donnerait aux nécessités de la science toute la portée immorale d'une aveugle fatalité. Il faut contenir le vulgaire, dit-il encore, par la frayeur de l'inconnu ; et le Christ disait aussi : Ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent aux pieds, et que, se retournant contre vous, ils ne vous dévorent. L'arbre de la science du bien et du mal, dont les fruits donnent la mort, est l'image de ce secret hiératique du binaire. Ce secret, en effet, s'il est divulgué, ne peut être que mal compris, et l'on en conclut ordinairement à la négation impie du libre arbitre, qui est le principe moral de la vie. Il est donc dans l'essence

LES COLONNES DU TEMPLE.

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des choses que la révélation de ce secret donne la mort, et ce n'est pourtant pas encore là, le grand arcane de la magie; mais le secret du binaire conduit à celui du quaternaire, ou plutôt il en procède et se résout Par le ternaire, qui contient le mot de l'énigme du sphinx tel qu'il eût dû être trouvé pour sauver la vie, expier le crime involontaire, et assurer le royaume d'OEdipe. Dans le livre hiéroglyphique d'Hermès (1), que l'on nomme aussi le livre de Thot, le binaire est représenté soit par une grande prêtresse ayant les cornes d'Isis, la tète voilée, un livre ouvert, qu'elle cache à demi sous son manteau; ou par la femme souveraine, la déesse Junon des Grecs, tenant une main élevée vers le ciel et l'autre abaissée vers la terre, comme si elle formulait par ce geste le dogme unique et dualiste qui est la base de la magie et qui commence les merveilleux symboles de la table d'émeraude d'Hermès. Dans l'Apocalypse de saint Jean, il est question de deux témoins ou martyrs auxquels la tradition prophétique donne les noms d'Élie et d'Hénoch : Élie, l'homme de la foi, du zèle et du miracle ; Hénoch, (4) Voir le jeu du Taro.

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

le mème que les Égyptiens ont appelé Hermès et quct les Phéniciens honoraient sous le nom de Cadmus, l'auteur de l'alphabet sacré et de la clef universelle des initiations au Verbe, le père de la cabale, celui, disent les saintes allégories, qui n'est pas mort comme les autres hommes, mais qui a été enlevé au ciel pour revenir à la fin des temps. On disait à peu près la mème chose de saint Jean luimémo, qui a retrouvé et expliqué dans son Apocalypse les symboles. du Verbe d'Hénoch. Cette résurrection de saint Jean et d'Hénoch, attendue à la fin des siècles d'ignorance, sera le renouvellement de leur doctrine par l'intelligence des clefs cabalistiques qui ouvrent le temple de l'unité et de la philosophie universelle, trop longtemps occulte et réservée seulement à des élus que le monde faisait mourir. Mais nous avons dit que la reproduction de l'unité par le binaire conduit forcément à la notion et au dogme du ternaire, et nous arrivons enfin à ce grand nombre, qui est la plénitude et le verbe parfait de l'unité.

LE TRIANGLE DE SALOMON.

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3 a C. LE TRIANGLE DE SALOMON. PLIMITUDO YOM. Bani. IP 18114

Le verbe parfait, c'est le ternaire , parce qu'il suppose un principe intelligent, un principe parlant et un principe parlé. L'absolu, qui se révèle par la parole, donne à cette parole un sens égal à lui-même, et crée un troisième lui-méme dans l'intelligence de cette parole. C'est ainsi que le soleil se manifeste par sa lumière et prouve cette manifestation ou la rend efficace par sa chaleur. Le ternaire est tracé dans l'espace par le point culminant du ciel, l'infini en hauteur, qui se rattache par deux lignes droites et divergentes à l'orient et à l'occident. Mais à ce triangle visible la raison compare un autre triangle invisible, qu'elle affirme être égal au premier : c'est celui qui a pour sommet la profondeur, et dont la base renversée est parallèle

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

à la ligne horizontale qui va de l'orient à l'occident. Ces deux triangles, réunis en une seule figure, qui est celle d'une étoile à six rayons, formènt le signe sacré du sceau de Salomon, l'étoile brillante du macrocosme (i). L'idée de l'infini et de l'absolu est exprimée par ce signe, qui est le grand pantacle, c'est-à-dire le plus simple et le plus complet abrégé de la science de toutes choses. La grammaire elle-méme attribue trois personnes au verbe. La première est celle qui parle, la seconde celle à qui l'on parle, la troisième celle de qui l'on parle. Le prince infini, en créant, parle de lui-même à lui—même. Voilà l'explication du ternaire et l'origine du dogme de la Trinité. Le dogme magique aussi est un en trois et trois en un. Ce qui est au-dessus ressemble ou est égal à ce qui est au-dessous. (1) Voir la figure page 70.

LE TRIANGLE DE SALOMON.

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Ainsi deux choses qui se ressemblent et le verbe qui exprime leur ressemblance font trois. Le ternaire est le dogme universel. En magie, principe, réalisation, adaptation ; en alchimie, azoth, incorporation, transmutation ; en théologie, Dieu , incarnation , rédemption ; dans l'âme humaine, pensée, amour et action ; dans la famille, père, mère et enfant. Le ternaire est le but et l'expression suprême de l'amour : on ne se cherche à deux que pour devenir trois. Il y a trois mondes intelligibles qui correspondent les uns avec les autres par l'analogie hiérarchique : Le monde naturel ou physique, le monde spirituel ou métaphysique, et le monde divin ou religieux. De ce principe résulte la hiérarchie des esprits divisés en trois ordres, et subdivisés dans ces trois ordres toujours par le ternaire. Toutes ces révélations sont des déductions logiques des premières notions mathématiques de l'être et du nombre. L'unité, pour devenir active, doit se multiplier. Un principe indivisible, immobile et infécond, serait l'unité morte et incompréhensible.

138 D O G M E D E L A H A U T E M A G I E . Si Dieu n'était qu'un, il ne serait jamais créateur ni père. S'il était deux, il y aurait antagonisme ou division dans l'infini , et ce serait le partage ou la mort de toute chose possible : il est donc trois pour créer de lui-même et à son image la multitude infinie des êtres et des nombres. Ainsi il est réellement unique en lui-même et triple dans notre conception, ce qui nous le fait voir aussi triple en lui-même et unique dans notre intelligence et dans notre amour. Ceci est un mystère pour le croyant et une nécessité logique pour l'initié aux sciences absolues et réelles. Le Verbe manifesté par la vie, c'est la réalisation ou l'incarnation. La vie du Verbe accomplissant son mouvement cyclique, c'est l'adaptation ou la rédemption. Ce triple dogme a été connu dans tous les sanctuaires éclairés par la tradition des sages. Voulez-vous savoir quelle est la vraie religion ? Cherchez celle qui réalise le plus dans l'ordre divin; celle qui humanise Dieu et divinise l'homme ; celle qui conserve intact le dogme ternaire, qui incarne le Verbe

en faisant voir et toucher Dieu aux plus ignorants;

189 celle enfin dont la doctrine convient à tous et peut s'adapter à tout ; la religion qui est hiérarchique et cyclique, qui a pour les enfants des allégories et des images, pour les hommes faits une haute philosophie, de sublimes espérances, et de douces consolations pour les vieillards. Les premiers sages qui ont cherché la cause des causes ont vu le bien et le mal dans le monde; ils ont observé l'ombre et la lumière; ils ont comparé l'hiver au printemps, la vieillesse à la jeunesse, la vie à la mort, et ils ont dit : La cause première est bienfaisante et rigoureuse, elle vivifie et elle détruit. — Il y a donc deux principes contraires, un bon et un mauvais? se sont écriés les disciples de Manès. — Non, les deux principes de l'équilibre universel ne sont pas contraires, bien qu'ils soient opposés en apparence : car c'est une sagesse unique qui les oppose l'un à l'autre. Le bien est à droite, le mal est à gauche; mais la bonté suprème est au-dessus des deux, et elle fait servir le mal au triomphe du bien, et le bien à la réparation du mal. Le principe d'harmonie est dans l'unité, e c'est LB TRIANGLE DE SALOMON.

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE,

ce qui donne en magie tant de puissance au nom. bre impair. Mais le plus parfait des nombres impairs, c'est trois, parce que c'est la trilogie de l'unité. Dans les trigrammes de Fohi, le ternaire supérieur se compose de trois yang ou figures masculines, parce que, dans l'idée de Dieu considéré comme principe de la fécondité dans les trois mondes, on ne saurait rien admettre de passif. C'est pour cela aussi que la trinité chrétienne n'admet point la personnification de la mère qui est implicitement énoncée dans celle du fils. — C'est pour cela aussi qu'il est contraire aux lois de la symbolique hiératique et orthodoxe de personnifier le Saint-Esprit sous la figure d'une femme. La femme sort de l'homme comme la nature sort de Dieu : aussi le Christ s'élève lui-mème au ciel et assume la Vierge mère; on dit l'ascension du Sauveur et l'assomption de la mère de Dieu. Dieu, considéré comme père, a la nature pour fille. Comme fils, il a la Vierge pour mère et l'Église pour épouse.

LE TRIANGLE DE SALOMON.

Iài

Comme Saint-Esprit , il régénère et féconde l'humanité. C'est ainsi que, dans les trigrammes de Fohi; aux trois yang supérieurs correspondent les trois yin inférieurs, car les trigrammes de Fohi sont un pantacle semblable aux deux triangles de Salomon, mais avec une interprétation ternaire des six points de l'étoile brillante.

Le dogme n'est divin qu'en tant qu'il est vraiment humain, c'est-à—dire qu'il résume la plus haute raison de l'humanité : aussi le Maitre que nous appelons l'Homme—Dieu s'appelait—il luimême le Fils de l'homme. La révélation, c'est l'expression de la croyance admise et formulée par la raison universelle dans le verbe humain. C'est pourquoi on dit que dans l'Homme-Dieu la divinité est humaine et l'humanité divine. Nous disons tout ceci philosophiquement, et non théologiquement; et ceci ne touche en rien reitseignement de l'Église, ,qui condamne et doit toujours condamner la magie.

te poen le LA HAUtE MAGIE. Paracelse et Agrippa n'ont pas élevé autel contre autel, et se sont soumis à la religion dominante dans leur temps. Aux élus de la science les choses de la science; aux fidèles les choses de la foi ! L'empereur Julien , dans son hymne au roi Soleil, donne une théorie du ternaire qui est presque identiquement la mème que celle de l'illuS miné Swedenborg. Le soleil du monde divin est la lumière infinie spirituelle et incréée; cette lumière se verbalise, si l'on peut parler ainsi, dans le monde philosophique, et devient le foyer des âmes et de la vérité, puis elle s'incorpore et devient lumière visible dans le soleil du troisième monde, soleil central de nos soleils, et dont les étoiles fixes sont les étincelles toujours vivantes. Les cabalistes comparent l'esprit à une substance qui reste fluide dans le milieu divin èt sous l'influence de la lumière essentielle, mais dont l'extérieur se durcit comme une cire exposée à l'air dans les régions plus froides du raisonnement ou des formes visibles. Ces écorces ou enveloppes pétrifiées (nous dirions mieux carnifiées, si le mot était français) sont la cause des erreurs ou du mal, qui tient à la pesanteur et à la dureté des enveloppes

LE TRIM4GLE DE SALOMON.

amimiques. Dans le livre de Sohar et dans celui des révolutions des âmes, les esprits pervers, ou mauvais démons, ne sont pas appelés autrement que les écorces, cortiees. Les écorces du monde des esprits sont transparentes, celles du monde matériel sont opaques; les corps ne sont que des écorces temporaires et dont les âmes doivent être délivrées; mais ceux qui obéissent au corps en cette vie se font un corps intérieur ou une écorce fluidique qui devient leur prison et leur supplice après la mort, jusqu'au moment où ils parviennent à la fondre • dans la chaleur de la lumière divine, où leur pesanteur les empêche de monter; ils n'y arrivent qu'avec des efforts infinis et le secours des justes qui leur tendent la main, et pendant tout ce temps ils sont dévorés par l'activité intérieure de l'esprit captif comme dans une fournaise ardente. Ceux qui parviennent au bûcher de l'expiation s'y brûlent euxmêmes comme Hercule sur le mont OEta et se délivrent ainsi de leurs gènes; mais le plus rand nombre manquent de courage devant cette dernière épreuve, qui leur semble une seconde mort plus affreuse que la première, et restent ainsi

dans l'enfer, qui est éternel de droit et de fait,

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

mais dans lequel les âmes ne sont jamais ni précipitées ni retenues malgré elles. Les trois mondes correspondent ensemble par les trente-deux voies de lumière qui sont les échelons de l'échelle sainte; toute pensée vraie correspond à une grâce divine dans le ciel, et à une oeuvre utile sur la terre. Toute grâce de Dieu suscite une vérité et produit un ou plusieurs actes, et réciproquement tout acte remue dans les cieux une vérité ou un mensonge, une grâce ou un châtiment. Lorsqu'un homme prononce le tétragramme, écrivent les cabalistes, les neuf cieux reçoivent une secousse, et tous les esprits se crient les uns aux autres : Qui donc trouble ainsi le royaume du ciel? Alors la terre révèle au premier ciel les péchés du téméraire qui prend le nom de l'éternel en vain, et le verbe accusateur est transmis de cercle en cercle, d'étoile en étoile et de hiérarchie en hiérarchie. Toute parole a trois sens, toute action une triple portée, toute forme une triple idée, car l'absolu correspond de monde en monde avec ses formes. Toute détermination de la volonté humaine modifie la nature, intéresse la philosophie, et s'écrit dans le ciel. 11 y a donc deux fatalités, l'une résul-

L E T R I A N G L E D E S A L O M O N . 4 h5

tant de la volonté de l'incréé d'accord avec sa sagesse, l'autre résultant des volontés créées et d'accord avec la nécessité des causes secondes dans leurs rapports avec la cause première. Rien n'est donc indifférent dans la vie, et nos déterminations les plus simples en apparence décident souvent d'une série incalculable de biens ou de maux, surtout dans les rapports de notre diaphane avec le grand agent magique, comme nous l'expliquerons ailleurs. Le ternaire, étant le principe fondamental de toute la cabale ou tradition sacrée de nos pères, a dû être le dogme fondamental du christianisme, dont il explique le dualisme apparent par l'intervention d'une harmonieuse et toute puissante unité. Le Christ n'a pas écrit son dogme, et ne l'a révélé en secret qu'à son disciple favori, seul cabaliste, et grand cabaliste entre les apôtres. Aussi l'Apocalypse est—elle le livre de la gnose ou doctrine secrète des premiers chrétiens, doctrine dont la clef est indiquée par un verset secret du Pater que la Vulgate ne traduit pas, et que dans le rit grec (conservateur des traditions de saint Jean) il n'est permis qu'aux prêtres de prononcer. Ce verset, tout cabalistique, se trouve dans le texte T.

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

grec de l'évangile selon saint Mathieu et dans phisieurs exemplaires hébraï'quies. Le voici dans ces deux langues sacrées : *pl? Timm myome! npLJnort 1.5 : tpbt Ô te

icrrtv Actailtect xcit doEot, ci; Toin cciaiva;. Âpre.

Le mot sacré de Malkout, employé pour Keter, qui est son correspondant cabalistique, et la balance de Géburah et de Chesed se répétant dans les cercles ou cieux que les gnostiques appelaient Eones, donnent dans ce verset occulte la clef de voûte de tout le temple chrétien. Les protestants l'ont traduit et conservé dans leur Nouveau Testament, sans en retrouver la haute et merveilleuse intelligence, qui leur eût dévoilé tous les mystères de l'Apocalypse; mais c'est une tradition dans l'Église que la révélation de ces mystères est réservée aux derniers temps. Malkout appuyé sur Géburah et. sur Chesed, c'est le temple de Salomon ayant pour colonnes Jakin et Bohas. C'est le dogme adamique, appuyé d'une part sur la résignation d'Abel, et de l'autre sur le travail et les remords de Caïn; c'est l'équi-

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libre universel de l'être basé sur la nécessité et sur la liberté, sur la fixité et le mouvement; c'est la démonstration du levier universel cherchée vainement par Archimède. Un savant qui a employé tout son talent à se rendre obscur,' et qui est mort sans avoir voulu se faire comprendre, avait résolu cette suprême équation, retrouvée par lui dans la cabale, et craignait par-dessus tout qu'on ne pût savoir, s'il s'exprimait plus clairement, l'origine de ses découvertes. Nous avons entendu un de ses disciples et de ses admirateurs s'indigner, peut—être de bonne foi , en l'entendant appeler cabaliste, et pourtant nous devons dire, à la gloire de ce savant, que ses recherches nous ont considérablement abrégé notre travail sur les sciences occultes, et que la clef de la haute cabale surtout, indiquée dans le verset occulte que nous venons de citer, a été doctement appliquée à une réforme absolue de toutes les sciences dans les livres d'Hcené Wronski. La vertu secrète des Évangiles est donc contenue dans trois mots, et ces trois mots ont fondé trois dogmes et trois hiérarchies. Toute science repose

sur trois principes, comme le syllogisme sur trois termes. Il y a aussi trois classes distinctes ou trois

148 DOGME DE LA HAUTE MAGIE. rangs originels et naturels parmi les hommes, qui sont tous appelés monter du plus bas au plus haut. Les Hébreux appellent ces séries ou degrés du progrès des esprits, Asiah, Jézirah et Briah. Les gnostiques, qui étaient les cabalistes chrétiens, les nommaient Hylé, Psyché et Guosis ; le cercle suprème s'appelait chez les Hébreux Aziluth, et chez les gnostiques Pléroma. Dans le tétragramme, le ternaire, pris au commencement du mot, exprime la copulation divine, pris à la fin, il exprime le féminin et la maternité. Ève porte un nom de trois lettres, mais l'Adam primitif est exprimé par la seule lettre Jod, en sorte que Jéhova devrait se prononcer léva. Ceci nous conduit au grand et suprême mystère de la magie, exprimé par le quaternaire.

LE TÉTRAGRAMME.

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4i D. LE TÉTRAGRAMME. GEMIIRAR CHEM. PORTA L IBRO RUM. ELEMBNIA.

Il y a dans la nature deux forces produisant un équilibre, et les trois ne sont qu'une seule loi. Voilà le ternaire se résumant dans l'unité, et, en ajoutant l'idée d'unité à celle du ternaire, on arrive au quaternaire, premier nombre carré et parfait, source de toutes les combinaisons numériques et principe de toutes les formes. Affirmation, négation, discussion, solution, telles sont les quatre opérations philosophiques de l'esprit humain. La discussion concilie la négation avec l'affirmation en les rendant nécessaires l'une à l'autre. C'est ainsi que le ternaire philosophique, se produisant du binaire antagonique, se complète par le quaternaire, base carrée de toute vérité. En Dieu, suivant le dogme consacré, il y a trois personnes, et ces trois personnes ne'sont qu'un seul Dieu. Trois et un donnent l'idée de quatre,

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

parce que l'unité est nécessaire pour expliquer les trois. Aussi dans presque boutes les langues, le nom de Dieu est-il de quatre lettres, et, en hébreu, ces quatre lettres ne font que trois, car il y en a une qui se répète deux fois : celle lui exprime le Verbe et la création du Verbe. Deux affirmations rendent possibles ou nécessaires deux négations correspondantes. L'être est signifié, le néant n'est pas. L'affirmation, comme Verbe, produit l'affirmation comme réalisation ou incarnation du Verbe, et chacune de ces affirmations correspond à la négation de son contraire. C'est ainsi que, suivant le dire des cabalistes, le nom du démon, ou du mal, se compose des lettres retournées du nom même de Dieu, ou du bien. Ce mal, c'est le reflet perdu ou le mirage imparfait de la lumière dans l'ombre. Mais tout ce qui existe, soit en bien, soit en mal, soit dans la lumière, soit dans l'o:nbre, existe et se révèle par le quaternaire. L'affirmation de l'unité suppose le nombre quatre, si cette affirmation ne tourne pas dans l'unité elle-même comme dans un cercle vicieux. Ami le ternaire, comme nous l'avons déjà observé, s'expliquetil par le binaire, et se résout-il par le - -

151 quaternaire, qui est l'unité carrée des nombres pairs et la base quadrangulaire du cube, unité do construction, de solidité et de mesure. Le tétragramme cabalistique Jodhéva exprime Dieu dans l'humanité et l'humanité en Dieu. Les quatre points cardinaux astronomiques sont, relativement à nous, le oui et le non de la lumière: l'orient et l'occident, et le oui et le non de la chaleur : le midi et le nord. Ce qui est dans la nature visible révèle, comme nous le savons déjà d'après le dogme unique de la cabale, ce qui est dans le domaine de la nature, invisible, ou des causes secondes toutes proportionnelles et analogues aux manifestations de la cause première. Aussi cette cause première s'est-elle toujours révélée par la croix : la croix, cette unité composée de deux, qui se divisent l'un l'autre pour former quatre; la croix, cette clef des mystères de l'Inde et de l'Égypte, le Tau des patriarches, le signe divin d'Osiris, le Stauros des gnostiques, la clef de voûte du temple, le symbole de la maçonnerie occulte; la croix, ce point central de la jonction des angles droits de deux triangles infinis ; la croix, qui, dans la langue française, semble être la raciin LE TÉTRAGRAMME.

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

première et le substantif fondamental du verbe croire et du verbe croître, réunissant ainsi les idées de science, de religion et de progrès. Le grand agent magique se révèle par quatre sortes de phénomènes, et a été soumis au tâtonnement des sciences profanes sous quatre noms : calorique, lumière, électricité, magnétisme. On lui a aussi donné les noms de tétragramme, d'inri, d'azoth, d'éther, d'od, de fluide magnétique, d'âme de la terre, de serpent, de lucifer, etc. Le grand agent magique est la quatrième émanation de la vie—principe, dont le soleil est la troisième forme (voir les initiés de l'école d'Alexandrie et le dogme d'Hermès Trismégiste). En sorte que l'oeil du monde (comme l'appelaient les anciens) est le mirage du reflet de Dieu, et que l'âme de la terre est un regard permanent du soleil que la terre conçoit et garde par imprégnation. La lune concourt à cette imprégnation de la terre en repoussant vers elle une image solaire pendant la nuit, en sorte qu'Hermès a eu raison de dire, en parlant du grand agent : Le soleil est son père, la lune est sa mère. Puis il ajoute : Le vent l'a porté dans son ventre, parce que l'atmosphère est

LE TÉTRAGRAMME. 153

le récipient et comme le creuset des rayons solaires , au moyen desquels se forme cette image vivante du soleil qui pénètre la terre tout entière, la vivifie, la féconde, et détermine tout ce qui se produit à sa surface par ses effluves et ses courants continuels, analogues à ceux du soleil lui-môme. Cet agent solaire est vivant par deux forces contraires : une force d'attraction et une force de projection, ce qui fait dire à Hermès que toujours il remonte et redescend. La force d'attraction se fixe toujours au centre des corps, et la force de projection dans leurs contours ou à leur surface. C'est par cette double force que tout est créé et que tout subsiste. Son mouvement est un enroulement et un déroulement successifs et indéfinis, ou plutôt simultanés et perpétuels, par spirales de mouvements contraires qui ne se rencontrent jamais. C'est le môme mouvement que celui du soleil, qui attire et repousse en môme temps tous les astres de son système. Connaître le mouvement de ce soleil terrestre, de manière à pouvoir profiter de ses courants et

154 DOGME pE LA HAUTE MAGIE. les diriger, c'est avoir accompli le grand oeuvre, et c'est être maître du !Inonde. Armé d'une semblable force, vous pouvez vou§ faire adorer, le vulgaire vous croira Dieu. Le secret absolu de cette direction a été posséde par quelques hommes, et peut encore titre trouvé. C'est le grand arcane magique il dépend d'un axiome incommunicable et d'un instrunient qui est le grand et unique athanor des Hermétiques du plus haut grade. L'axiome incommunicable est renfermé cabalistiquement dans les quatre lettres du tétragramme disposées de cette manière :

'FARO

NR

155 dans les lettres des mots AZOTE! et INRI, écrites cabalistiquement, et dans le monogramme du Christ, tel qu'il était brodé sur le labarum, et que le cabaliste Postel interprète par le mot ROTA , dont les adeptes ont formé leur taro ou tarot, en répétant deux fois la première lettre , pour indiquer le cercle et faire comprendre que le mot est retourné. Toute la science magique consiste dans la connaissance de ce secret. Le savoir et oser s'en servir, c'est la toute-puissance humaine; 'mais le révéler à un profane, c'est le perdre; le révéler même à un disciple, c'est abdiquer en faveur de ce disciple, qui, à partir de ce moment, a droit de vie et de mort sur son initiateur (je parle au point de vue magique), et le tuera certainement, de peur de mourir lui-même. (Ceci n'a rien de commun avec les actes qualifiés meurtre en législation criminelle, la philosophie pratique, qui sert de base et de point de départ à nos lois, n'admettant pas les faits d'envoutements et d'influences occultes.) Nous entrons ici dans les révélations étranges, et LE TÉTRAGRAMME.

nous nous attendons 4 toutes les incrédulités et à tous les haussements d'épaules du fanatisme incrédule,, car la religion voltairienne a aussi ses çana-

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE

.

tiques, n'en déplaise aux grandes ombres qui doivent bouder maintenant d'une manière pitoyable dans les caveaux du Panthéon, pendant que le catholicisme, toujours fort de ses pratiques et de son prestige, chante l'office sur leur tète. La parole parfaite, celle qui est adéquate à la pensée qu'elle exprime, contient toujours virtuellement ou suppose un quaternaire: l'idée et ses trois formes nécessaires et corrélatives, puis aussi l'image de la chose exprimée avec les trois termes du jugement qui la qualifie. Quand je dis: L'être existe , j'affirme implicitement que le néant n'existe pas. Une hauteur, une largeur que la hauteur divise géométriquement en deux, et une profondeur séparée de la hauteur par l'intersection de la largeur, voilà le quaternaire naturel composé de deux lignes qui se croisent. Il y a aussi dans la nature quatre mouvements produits par deux forces qui se soutiennent l'une l'autre par leur tendance en sens contraire. Or la loi qui régit les corps est analogue et proportionnelle g celle qui gouverne les esprits, et celle qui gouverne les esprits est la manifestation même du secret de Dieu, c'est-à-dire du mystère de la création.

LE TÉ TRAGRAMME.

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Supposez une montre à deux ressorts parallèles , avec un engrenage qui les fait manoeuvrer en sens contraire, de sorte que l'un, en se détendant, resserre l'autre : la montre ainsi se remontera d'ellemême, et vous aurez trouvé le mouvement perpétuel. Cet engrenage doit être à deux fins et d'une grande précision. Est-il introuvable? Nous ne le croyons pas. Mais, quand un homme l'aura découvert, cet homme pourra comprendre par analogie tous les secrets de la nature : le progrès en raison directe de la résistance. Le mouvement absolu de la vie est ainsi le résultat perpétuel de deux tendances contraires qui ne sont jamais opposées. Quand l'une des deux paraît céder à l'autre, c'est un ressort qui se remonte, et vous pouvez vous attendre à une réaction dont il est très possible de prévoir le moment et de déterminer le caractère; c'est ainsi qu'à l'époque de la plus grande ferveur du christianisme, le règne de l'ANTECHRIST a été connu et prédit. Mais l'antechrist préparera et déterminera le nouvel événement et le triomphe définitif de l'Homme-Dieu. Ceci encore est une conclusion rigoureuse et cabalistique contenue dans les prémisses évangéliques.

15i3

DOGUE DE LA liAUtE MAGIE.

Ainsi la prophétie chrétienne contient une quadruple révélation : 1° chute du vieux monde et triomphe de l'Évangile sous le premier avénement; 2° grande apostasie et venue de l'antechrist ; 3° chiite de l'antechrist et retour aux idées chrétiennes; h° triomphe définitif de l'Évangile, ou second avénement, désigné sous le nom de jugement dernier. Cette quadruple prophétie contient, comme on peut le voir, deux affirmations et deux négations, l'idée de deux ruines ou morts universelles et de deux renaissances; car à toute idée qui apparaît à l'horizon social on peut assigner sans craindre d'erreur un orient et un occident, un zënith et tin nadir. C'est ainsi que la croix philosophique ést, la clef de la prophétie, et qu'on peut ouvrir toutes les portes de la science avèc le pantacle d'Ezcchiel, dont le centre est une étoile formée du croisement de deux croix.

TÉTileGiLtidmE. 159

La vie humaine ne se forme-t-elle pas aussi de ces trois phases ou transformations successives : naissance, vie, mort, immortalité? Et remarquez ici que l'imniortalité de l'âme, nécessitée comme complément du quaternaire, est cabalistiquement prouvée par l'analogie, qui est le dogme unique de là religion vraiment universelle, comme elle est la clef de la science et la loi inviolable de là nature. La mort, en effet, ne peut pas plus être une fin absolue que la naissance n'est un commencement réel. La naissance prouve la préexistence de l'être humain, puisque rien ne se produit de rien, et la tnort prouve l'immortalité, puisque l'être ne peut pas plus cesser d'être que le néant ne peut cesser

de ne pas être. Etre et néant sont deux idées absolument inconciliables, avec cette différence que l'idée du néant (idée toute négative) sort de l'idée même de l'être, dont le néant ne peut pas même être compris comme une négation absolue, tandis que l'idée de l'être ne peut jamais être même rapprochée de celle du néant, bien loin qu'elle en puisse sortir. Dire que le monde est sorti du néant, c'est proférer une monstrueuse absurdité. Tout ce qui est procède de ce qui était, par conséquent rien

160

DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

de ce qui est ne saurait jamais ne plus être. La succession des formes est produite par les alternatives du mouvement : ce sont des phénomènes de la vie qui se remplacent les uns les autres sans se détruire. Tout change, mais rien ne périt. Le soleil n'est pas mort lorsqu'il disparaît à l'horizon, les formes, même les plus mobiles, sont immortelles et subsistent toujours dans la permanence de leur raison d'être, qui est la combinaison de la lumière avec les puissances agrégatives des molécules de la substance première. Aussi se conservent-elles dans le fluide astral, et peuvent-elles être évoquées et reproduites selon la volonté du sage, comme nous le verrons quand nous traiterons de la seconde vue et de l'évocation des souvenirs dans la nécromancie et autres opérations magiques. Nous reviendrons sur le grand agent magique au quatrième chapitre du Rituel, où nous achèverons d'indiquer les caractères du grand arcane et les moyens de ressaisir cette formidable puissance. Disons ici quelques mots des quatre éléments magiques et des esprits élémentaires. Les éléments magiques sont : en alchimie, le *

LB VITRAGE/MIE 161

sel, le mèrcure, le soufre et l'azoth ; en cabale, le macroprosope, le microprosope et les deux mères; en hiéroglyphes, l'homme, l'aigle, le lion et le taureau ; en physique ancienne, suivant les termes et les idées vulgaires, l'air, l'eau, la terre et le feu. En science magique, on sait que l'eau n'est pas de l'eau ordinaire; que le feu n'est pas simplement du feu, etc. Ces expressions cachent un sens plus relevé-La science moderne a décomposé les quatre éléments des anciens et y a trouvé beaucoup de corps prétendus simples. Ce qui est simple, c'est la substance primitive et proprement dite; il n'y a donc qu'un élément matériel, et cet élément se manifeste toujours par le quaternaire dans ses formes. Nous conserverons donc la savante distinction des apparences élémentaires admise par les anciens, et nous reconnattrons l'air, le feu, la terre et l'eau pour les quatre éléments positifs et visibles de la magie. Le subtil et l'épais, le dissolvant rapide et le dissolvant lent, ou les instruments du chaud

et du froid, forment en physique occulte les deux principes positifs et les deux principes T. 1.

fi

46 DOGME DB LÀ HUTTE MAGIE. négatifs du quaternaire, et doivent être figurés ainsi : Vszotb. L'Aigle. L'en

Le Soufre.

Lit Uon. Le Feu.

Le Mercure. • 9 « " . P

.

L'Eau.

Le Sel. Le Taureau. La Terre.

L'air et la terre représentent ainsi le principe mâle, le feu et l'eau se rapportent au principe femelle, puisque la croix philosophique des pantacles est, comme nous l'avons déjà dit, un hyéroglyphe primitif et élémentaire du lingam des gymnosophistes. A ces quatre formes élémentaires correspondent les quatre idées philosophiques suivantes : L'Esprit, La Matière, Le Mouvement, Le Repos.

LE Titramnimilts. 163

science tout entière , en effet , est dans l'intelligence de ces quatre choses, que l'alchimie réduisait à trois, L'Absolu, Le Fixe, Le Volatil ;

et que la cabale rapporte à l'idée méine de Dieu, qui est raison absolue, nécessité et liberté, triple notion exprimée dans les livres occultes des Hébreux. Sous les noms de Kéther, de Chocmah et de Binah pour le monde divin , de Tiphereth , de Chesed et de Géburah dans le monde moral, et enfin de Jesod , Hod et Netsah dans le monde physique, qui, avec le monde moral, est contenu dans l'idée de royaume ou malkout , nous expliquerons au dixième chapitre de ce livre cette théogonie, aussi rationnelle que sublime. Or les esprits créés, étant appelés à l'émancipation par l'épreuve, sont placés dès leur naissance entre ces quatre forces, les deux positives et les deux négatives, et sont mis à mérne d'affirmer ou de nier le bien, de choisir la vie ou la mort. Trouver le point fixe, c'est—à-dire le centre moral de

f DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

la croix , est le premier problème qui leur est donné à résoudre; leur première conquête doit être celle de leur propre liberté. Ils commencent donc par être entratnés les uns au nord, les autres au midi, les uns à droite, les autres à gauche, et, tant qu'ils ne sont pas libres, ils ne peuvent avoir l'usage de la raison, ni s'incarner autrement que dans des formes animales. Ces esprits non émancipés, esclaves des quatre éléments, sont ce que les cabalistes appellent des démons élémentaires, et ils peuplent les éléments qui correspondent à leur état de servitude. H existe donc réellement des sylphes, des ondins, des gnomes et des salamandres, les uns errant et cherchant à s'incarner, les autres incarnés, et vivant sur la terre. Ce sont les hommes vicieux et imparfaits. Nous reviendrons sur ce sujet au quinzième chapitre, qui traite des enchantements et des démons. C'est aussi une tradition de physique occulte qui a fait admettre par les anciens l'existence des quatre âges du monde; seulement on ne disait pas au vulgaire que ces quatre âges devaient être successifs, comme les quatre saisons de l'année, et se renouveler comme elles. Ainsi l'âge d'or est passé

165 et il est encore à venir. Mais ceci se rapporte à l'esprit de prophétie, et nous en parlerons au chapitre neuvième, qui traite de l'initié et du voyant. Ajoutons njaintenant l'unité au quaternaire, et nous aurons ensemble et séparément les idées de la synthèse et de l'analyse divines, le dieu des . initiés et celui des profanes. Ici le dogme se popularise et devient moins abstrait; le grand hiérophante intervient. LE TÉTRAGRAMME.

166

DOGME DE

HAUTE MAGIE.

5 nE. LE PENTAGRAMME. GÉBURAE. ECCE.

Jusqu'ici nous avons exposé le dogme magique dans ce qu'il a de plus aride et de plus abstrait ; ici commencent les enchantements; ici nous pouvons annoncer les prodiges et révéler les choses les plus cachées. Le pentagramme exprime la domination de

LE PENTAG1RAMME.

461

l'esprit sur les éléments, et c'est par ee signe qu'on enchatne les démons de l'air, les esprits du feu; les spectres de l'eau et les fantômes de la terre. Armé de ce signe et convenablement disposé, vous pouvez voir l'infini à travers cette faculté qui est comme l'oeil de votre âme, et vous vous feret servir par des légions d'anges et des colonnes de démons. Et d'abord posons des principes : Il n'y a pas de monde invisible, il y a seulement plusieurs degrés de perfection dans les organes. Le corps est la représentation grosSière et comme l'écorce passagère de l'âme. L'âme peut percevoir par elle-même, et sans l'entremise des organes corporels, au moyen de sa sensibilité et de sou diaphane, les choses, soit spiri.. Welles; soit corporelles qui existent dans l'univers. Spirituel et corporel sont des mots qui expriment seulement les degrés de ténuité ou de densité de la substance. Ce qu'on appelle en nous l'imagination n'est que la propriété inhérente à notre âme de s'âssimiler les images et les reflets contenus dans la lumière vivante, qui est le grand agent magnétique. Ces iniages et ces reflets sont des révélations ;

168

DOGME DE Là HAUTE MAGIE.

quand la science intervient pour nous en révéler le corps ou la lumière. L'homme de génie diffère du rêveur et du fou en cela seulement que ses créations sont analogues à la vérité, _tandis que celles des rêveurs et des fous sont des reflets perdus et des images égarées. Ainsi, pour le sage, imaginer, c'est voir, comme, pour le magicien, parler, c'est créer. On peut donc voir réellement et en vérité les démons, les âmes, etc., au moyen de l'imagination; mais l'imagination de l'adepte est diaphane, tandis que celle du vulgaire est opaque ; la lumière de la vérité traverse l'une comme une:fenêtre splendide, et se réfracte dans l'autre comme dans une masse vitreuse pleine de scories et de corps étrangers. Ce qui contribue le plus aux erreurs du vulgaire et aux extravagances de la folie, ce sont les reflets des imaginations dépravées les unes dans les autres. Mais le voyant sait de science certaine que les choses imaginées par lui sont vraies, et l'expérience confirme toujours ses visions. Nous disons dans le Rituel par quels moyens on acquiert cette lucidité. C'est au moyen de cette lumière que les vision-

LE PENTAGRAMME.

169

mires statiques se mettent en communication avec tous les mondes, comme cela arrivait si fréquemment à Emmanuel Swedenborg, qui pourtant n'était pas parfaitement lucide, puisqu'il ne discernait pas les reflets des rayons, et mêlait souvent des rêves à ses plus admirables songes. Nous disons songes parce que le songe est le résultat d'une extase naturelle et périodique qu'on appelle sommeil. Étre en extase, c'est dormir; le somnambulisme magnétique est une reproduction et une direction de l'extase. Les erreurs dans le somnambulisme sont occasionnées par les reflets du diaphane des personnes éveillées, et surtout du magnétiseur. Le songe est la vision produite par la réfraction d'un rayon de vérité ; le rêve est l'hallucination occasionnée par un reflet. La tentation de saint Antoine, avec ses cauchemars et ses monstres, représente la confusion des reflets avec les rayons directs. Tant que l'âme lutte, elle est raisonnable; lorsqu'elle succombe à cette sorte d'ivresse envahissante, elle est folle. Démêler le rayon direct et le séparer du reflet, telle est l'oeuvre de l'initié. Maintenant disons hautement que cette oeuvre



170

DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

s'est toujours accomplie par quelques hennie§ d'élite dans le monde ; que la révélation pai' intuition est ainsi permanente, et qu'il n'y a pas de barrière infranchissable qui sépare les âmes, plis= qu'il n'y a dans la nature ni brusque interruption ni murailles abruptes qui puissent séparer les esprits. Tout Mt transition et nuances et, si l'on suppose la perfectibilité, sinon infinie, du moins indéfinie, des facultés humaine on verra que tout homme peut arriver à tout voir, et par conséquent à tout savoir, du moins dans un cercle qu'il peut indéfiniment élargir. Il n'y a pas de vide dans la nature tout Mt peuplé. Il n'y a pas de mort réelle dans la nature tout est vivant. « Voyez-vous cette étoile ? disait Napoléon au cardinal Fesch. — Non, Sire. — Eh bien moi, je la vois. » Et certainement il la voyait. C'est pour cela qu'on accuse lès grands hommes d'avoir été superstitieux : c'est qu'ils ont vu ce que le vulgaire ne voit pas. Les hommes de génie diffèrent des simples voyants par la faculté qu'ils possèdent de faire sentir aux autres hommes ce qu'ils voient eux4

l

l

LE PENTAGRAMME.

171

mômes et de se faire croire par enthousiasme et par sympathie. Ce sont les médium du Verbe divin. Disons maintenant comment s'opère la vision. Toutes les formes correspondent à des idées, et il n'y a pas d'idée qui n'ait sa forme propre et par' ticulière. La lumière primordiale, véhicule de toutes les idées, est la mère de toutes les formes et les transmet d'émanation en émanation, diminuées seulement ou altérées en raison de la densité des milieux. Les formes secondaires sont des reflets qui retournent au foyer de la lumière émanée. Les formes des objets, étant une modification de la lumière, restent dans la lumière où le reflet les renvoie. Aussi la lumière astrale ou le fluide terrestre que nous appelons le grand agent magique, est-il saturé d'images ou de reflets de Mutes sortes que notre âme peut évoquer et soumettre à son diaphane, comme parlent les cabalistes. Ces images nous sont toujours présentes et sont seulement effacées par les empreintes plus fortes de la réalité pendant la veille, ou par les préoccupations de notre pensée, qui rendent notre imagina-

172 DOGME DE LA HAUTE MAGIE. tion inattentive au panorama mobile de la lumière astrale. Quand nous dormons, ce spectacle se présente de lui-même à nous, et c'est ainsi que se produisent les rêves : rêves incohérents et vagues, si quelque volonté dominante ne reste active pendant le sommeil et ne donne, à l'insu même de notre intelligence, une direction au rêve, qui alors se transforme en songe. • Le magnétisme animal n'est autre chose qu'un sommeil artificiel produit par l'union, soit volontaire, soit forcée, de deux âmes dont l'une veille pendant que l'autre dort, c'est-à-dire dont l'une dirige l'autre dans le choix des reflets pour changer les rêves en songes et savoir la vérité au moyen des images. Ainsi les somnambules ne vont pas réellement aux endroits où le magnétiseur les envoie; elles en évoquent les images dans la lumière astrale, et ne peuvent rien voir de ce qui n'existe pas dans cette lumière. La lumière astrale a une action directe sur les nerfs, qui en sont les conducteurs dans l'économie animale, et qui la portent au cerveau ; aussi, dans l'état de somnambulisme, peut—on voir par les nerfs, et sans avoir besoin même de la lumière

LE PENTAGRAMME 173 .

rayonnante, le fluide astral étant une lumière latente, comme la physique a reconnu qu'il existe un calorique latent. Le magnétisme à deux est sans doute une merveilleuse découverte ; mais le magnétisme d'un seul se rendant lucide à volonté et se dirigeant lui-mème, c'est la perfection de l'art magique; et le secret de ce grand oeuvre n'est pas à trouver : il a été connu et pratiqué par un grand nombre d'initiés, et surtout par le célèbre Apollonius de Thiane, qui en a laissé une théorie, comme nous le verrons dans notre Rituel. Le secret de la lucidité magnétique et la direction des phénomènes du magnétisme tiennent à deux choses : à. l'harmonie lies intelligences et à l'union parfaite des volontés dans une direction possible et déterminée par la science; ceci est pour le magnétisme opéré entre plusieurs. Le magnétisme solitaire demande les préparations dont nous avons parlé dans notre premier chapitre, quand nous avons énuméré et fait voir dans toute leur difficulté les qualités requises pour ètre un véritable adepte. Nous éclaircirons de plus en plus ce point important et fondamental dans les chapitres qui vont suivre.

17h

DOGME DE LA DAVIS MAGIE.

Cet empire de la volonté sur la lumière astrale, qui est l'âme physique des quatre éléments, est figuré en magie par le pentagramme, dont nous avons placé la figure en tète de ce chapitre. Aussi les esprits élémentaires sont-ils soumis à ce signe lorsqu'on l'emploie avec intelligence, et on peut, en le plaçant dans le cercle ou sur la table des évocations, les rendre dociles, ce qui s'appelle en magie les emprisonner. Expliquons en peu de mots cette merveille. Tous les esprits crées communiquent entre eux par des signes et adhèrent tous à un certain nombre de vérités exprimées par certaines formes déterminées. La perfection des formes augmente en raison du dégagement des esprits, et ceux qui ne sont pas appesantis par les chaînes de la matière reconnaissent à la première intuition si un signe est

l'expression d'un pouvoir réel ou d'une volonté téméraire. L'intelligence du sage donne donc de la valeur à son pantacle, comme sa science donne du poids à sa volonté, et les esprits comprennent immédia-

tetuent ce pouvoir. Ainsi, avec le pentagramme, on peut forcer

PserAGusidsts. t/3. les esprits à Apparaître en songe, soit pendant la veille, soit pendant le sommeil, en amenant euxne m% devant notre diaphane leur reflet, qui existe dans la lumière astrale, s'ils ont vécu, ou un reflet tota4gue à fleur verbe spirituel, s'il,* n'ont pas vécu sur la terre. Ceci explique toutes les visions et

démontre surtout pourquoi les morts apparaissent toujours aux voyants, soit tels qu'ils étaient sur la terre, soit tels qu'ils sont encore dans la tombe, jamais comme ils sont dans une existence qui échappe aux perceptions de notre organisme actuel. Les femmes enceintes sont plus que d'autres sous l'influence de la lumière astrale, qui concourt à la formation de leur enfant, . et qui leur présente sans cesse les réminiscences de formes dont elle est pleine. C'est ainsi que des femmes très vertueuses trompent par des ressemblances équivoques la malignité des observateurs. Elles impriment souvent à l'oeuvre de leur mariage une image qui les a frappées en songe, et c'est ainsi que les mêmes physionomies se perpétuent de siècle en siècle. L'usage cabalistique du pentagramme peut donc déterminer la figure des, enfants à naître, et une femme initiée pourrait donner à son fils les traits .

deNéréeoud'Achille,connueceuxfileLouisXIV

176

DOGMEDELAHAUTEMAGIE.

ou de Napoléon. Nous en indiquons la manière dans notre Rituel. Le pentagramme est ce qu'on nomme, en cabale, le signe du microcosme, ce signe dont Goëtbe exalte la puissance dans le beau monologue de Faust : » » » » » » » » » » » » » » »

« Ah ! comme à cette vue tous mes sens ont tressailli 1 Je sens la jeune et sainte volupté de la vie bouillonner dans mes nerfs et dans mes veines. Était-il un Dieu celui qui traça ce signe qui apaise le vertige de mon âme, emplit de joie mon pauvre coeur, et, dans un élan mystérieux, dévoile autour de moi les forces de la nature ? Suisje un Dieu ? Tout me devient si clair; je vois dans ces simples traits la nature active se révéler à mon âme. Maintenant pour la première fois je reconnais la vérité de cette parole du sage : Le monde des esprits n'est pas fermé ! Ton sens est obtus, ton coeur est mort. Debout! Baigne, ô adepte de la science, ta poitrine, encore enveloppée d'un voile terrestre, dans les splendeurs du jour naissant 1 » -

(FAUST, ire partie, scène le%) C'est le 24 juillet de l'année 1854 que l'auteur

LE PENTAGRAMME.

177

de ce livre, Eliphas Lévi, fit à Londres l'expérience de l'évocation par le pentagramme, après s'y être préparé par toutes les cérémonies qui sont marquées dans le Rituel (1). Le succès de cette expérience, dont nous donnons les raisons et les détails au 13° chapitre du Dogme et les Cérémonies au 13° du Rituel, établit un nouveau fait pathologique que les hommes de vraie science admettront sans peine. L'expérience réitérée jusqu'à trois fois donna des résultats vraiment extraordinaires, mais positifs et sans aucun mélange d'hallucination. Nous invitons les incrédules à faire un essai consciencieux et raisonné avant de hausser les épaules et de sourire. La figure du pentagramme, perfectionnée d'après la science, et qui a servi à l'auteur pour cette épreuve, est celle qui se trouve au commencement de ce chapitre, et qu'on ne trouve aussi complète ni dans les clavicules de Salomon, ni dans les calendriers magiques de Tycho—Brahé et de Duchenteau. Observons seulement que l'usage du pentagramme est très dangereux pour les opérateurs qui

(4) Voir le Rituel, chapitre 13. T. I.

12

178

DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

n'en ont pas la complète et parfaite intelligence. La direction des pointes de l'étoile n'est pas arbitraire, et peut changer le caractère de toute l'opération, comme nous l'expliquerons dans le Rituel. Paracelse, ce novateur en magie qui a surpassé tous les autres initiés par les succès de réalisation obtenus par lui seul, affirme que toutes les figures magiques et tous les signes cabalistiques des pantacles auxquels obéissent les esprits se réduisent à deux, qui sont la synthèse de tous les autres : le signe du macrocosme ou du sceau de Salomon, dont nous avons déjà donné la figure, que nous reproduisons ici,

179 et celui du microcosme, plus puissant encore que le premier, c'est-à—dire le pentagramme, dont il donne, dans sa philosophie occulte, une minutieuse description. Si l'on demande comment un signe peut avoir tant de puissance sur les esprits, nous demanderons à notre tour pourquoi le monde chrétien s'est prosterné devant le signe de la croix. Le signe n'est rien par lui-même et n'a de force que par le dogme dont il est le résumé et le Verbe. Or un signe qui résume en les exprimant toutes les forces occultes de la nature, un signe qui a toujours manifesté aux esprits élémentaires et autres une puissance supérieure à leur nature, les frappe naturellement de respect et de crainte et les force d'obéir, par l'empire de la science et de la volonté sur l'ignorance et la faiblesse. C'est aussi par le pentagramme qu'on mesure les proportions exactes du grand et unique athanor nécessaire à la confection de la pierre philosopnale et à l'accomplissement du grand oeuvre. L'alambic le plus parfait qui puisse élaborer ta quintessence est conforme à cette figure, et la quintessence ellemême est figurée par le signe du pentagramme, LE PENTAGRAMME.

480

DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

6 i F. L'ÉQUILIBRE MAGIQUE. TIPHERET. IINCUS.

L'intelligence suprême est nécessairement raisonnable. Dieu, en philosophie, peut n'être qu'une bypothèse, mais c'est une hypothèse imposée par le bon sens à la raison humaine. Personnifier la . raison absolue, c'est déterminer l'idéal divin. Nécessité, liberté et raison, voilà le grand et suprême triangle des cabalistes, qui nomment la raison Keter, la nécessité Chocmah et la liberté Binah, dans leur premier ternaire divin. Fatalité, volonté et puissance, tel est le ternaire magique qui, dans les choses humaines, correspond au triangle divin. La fatalité, c'est l'enchaînement inévitable des effets et des causes dans un ordre donné. La volonté, c'est la faculté directrice des forces intelligentes pour concilier la liberté des personnes avec la nécessité des choses. Le pouvoir, c'est le sage emploi de la volonté,

181 qui fait servir la fatalité même à l'accomplissement des désirs du sage. Lorsque Moïse frappe le rocher, il ne crée pas la source d'eau, il la révèle au peuple, parce qu'une science occulte la lui a révélée à lui-même au moyen de la baguette divinatoire. Il en est ainsi de tous les miracles de la magie : une loi existe, le vulgaire l'ignore , l'initié s'en sert. Les lois occultes sont souvent diamétralement opposées aux idées communes. Ainsi, par exemple, le vulgaire croit à la sympathie des semblables et à la guerre des contraires; c'est la loi opposée qui est la vraie. On disait autrefois : la nature a horreur du vide; il fallait dire : la nature est amoureuse du vide, si le vide n'était, en physique, la plus absurde des fictions. Le vulgaire prend habituellement en toutes choses l'ombre pour la réalité. Il tourne le dos à la lumière et se mire dans l'obscurité qu'il projette lui—même. Les forces de la nature sont à la disposition de celui qui sait leur résister. Étes vous assez maître de vous-même pour n'être jamais ivre, vous disL'ÉQUILIBRE MAGIQUE.

182

D OGME DE LA HAUTE MAGIE.

posez de la terrible et fatale puissance de l'ivresse. Si vous voulez enivrer les autres, donnez-leur envie de boire, mais ne buvez pas. Celai-là dispose de l'amour des autres qui est maitre du sien. Voulez-vous posséder, ne vous donnez pas. Le monde est aimanté de la lumière du soleil, et nous sommes aimantés de la lumière astrale du monde. Ce qui s'opère dans le corps de la planète se répète en nous. Il y a en nous trois mondes analogues et hiérarchiques, comme dans la nature entière. L'homme est le microcosme ou petit monde, et, suivant le dogme des analogies, tout ce qui est dans le grand monde se reproduit dans le petit. II y a donc en nous trois centres d'attraction et de projection fluidique : le cerveau, le coeur ou l'épigastre et l'organe génital. Chacun de ces organes est unique et double, c'est-à-dire qu'on y retrouve l'idée du ternaire. Chacun de ces organes attire d'un côté et repousse de l'autre. C'est au moyen de ces appareils que nous nous mettons en communication avec le fluide universel, transmis en

nous par le système nerveux. Ce sont aussi ces trois centres qui sont le siège de la triple opération

L'É QUILIBRE MAGIQUE.

183

magnétique, comme nous l'expliquerons ailleurs. Lorsque le mage est parvenu à la lucidité, soit par l'intermédiaire d'une pythonisse ou somnambule, soit par ses propres efforts, il communique et dirige à volonté des vibrations magnétiques dans toute la masse de la lumière astrale, dont il devine les courants à l'aide de la baguette magique, qui est une baguette divinatoire perfectionnée. Au moyen de ces vibrations, il influence le système nerveux des personnes soumises à son action, précipite ou suspend les courants de la vie, calme ou tourmente, guérit ou rend malade, tue enfin ou ressuscite Mais ici nous nous arrêtons devant le sourire de l'incrédulité. Laissons-lui le triomphe facile de nier ce qu'elle ne sait pas. Nous démontrerons plus tard que la mort est toujours précédée d'un sommeil léthargique et ne s'opère que par degrés; que la résurrection en certains cas est possible, que la léthargie est une mort réelle, mais inachevée, et que beaucoup de morts achèvent de mourir après leur inhumation. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit dans ce chapitre. Nous disons donc qu'une volonté lucide peut agir sur la masse de la lumière astrale, et, avec le • concours d'autres volontés qu'elle absorbe et

184 DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

qu'elle entratne, déterminer de grands et irrésistibles courants. Disons aussi que la lumière astrale se condense ou se raréfie, suivant que les courants l'accumulent plus ou moins à certains centres. Lorsqu'elle manque de l'énergie suffisante pour alimenter la vie, il s'ensuit des maladies de décomposition subite, qui font le désespoir de la médecine. Le choléra-morbus, par exemple, n'a point d'autre cause, et les colonnes d'animalcules observées ou supposées par certains savants en peuvent être l'effet plutôt que la cause. Il faudrait donc traiter le choléra par l'insufflation , si , dans un pareil traitement, l'opérateur ne s'exposait à faire avec le patient un échange trop redoutable pour le premier. Tout effort intelligent de volonté est une proection de fluide ou de lumière humaine, et ici il importe de distinguer la lumière humaine de la lumière astrale, et le magnétisme animal du magnétisme universel. En nous servant du mot fluide, nous employons une expression reçue, et nous cherchons à nous faire comprendre par ce moyen ; mais nous sommes loin de décider que la lumière latente soit un fluide. Tout nous porterait, au contraire, à préfé—•

L'É QUILIBRE MAGIQUE.

185

rer, dans l'explication de cet étre phénoménal, le système des vibrations. Quoi qu'il en soit, cette lumière, étant l'instrument de la vie, se fixe naturellement à tous les centres vivants; elle s'attache au noyau des planètes comme au coeur de l'homme (et par le coeur nous entendons, en magie, le grand sympathique) , mais elle s'identifie à la vie propre de l'ètre qu'elle anime, et c'est par cette propriété d'assimilation sympathique qu'elle se partage sans confusion. Ainsi elle est terrestre dans ses rapports avec le globe de la terre, et exclusivement humaine dans ses rapports avec les hommes. C'est pour cela que l'électricité, le calorique, la lumière et l'aimantation produits par les moyens physiques ordinaires non-seulement ne produisent pas, mais tendent, au contraire, à neutraliser les effets du magnétisme animal. La lumière astrale, subordonnée à un mécanisme aveugle et procédant des centres donnés d'autotélie, est une lumière morte et opère mathématiquement suivant les impulsions données ou suivant des lois fatales ; la lumière humaine, au contraire, n'est fatale que chez l'ignorant qui fait des tentatives au hasard; chez le .

voyant, elle est subordonnée à l'intelligence, soumise à l'imagination et dépendante de la volonté.

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DOGME DE Là HAUTE MAGIE.

C'est cette lumière qui , projetée sans cesse par notre volonté, forme ce que Swedenborg appelle les atmosphères personnelles. Le corps absorbe ce qui l'environne et rayonne sans cesse en projetant ses miasmes et ses molécules invisibles ; il en est de même de l'esprit, en sorte que ce phénomène, nommé par quelques mystiques le respir , a réellement l'influence qu'on lui attribue, soit au physique, soit au moral. Il est réellement contagieux de respirer le méme air que les malades, et de se trouver dans le cercle d'attraction et d'expansion des méchants. Lorsque l'atmosphère magnétique de deux personnes est tellement équilibrée que l'attractif de l'une aspire l'expansion de l'autre, il se produit un attrait qu'on nomme la sympathie; alors l'imagination, évoquant à elle tous les rayons ou tous les reflets analogues à ce qu'elle éprouve, se fait un poèmede désirs qui entraînent la volonté, et, si les personnes sont de sexes différents, il se produit en elles ou le plus souvent dans la plus faible des deux , une ivresse complète de lumière astrale , qu'on appelle la passion proprement dite ou l'amour. L'amour est un des grands instruments du pou-

voir magique; mais il est formellement interdit au

I 87 magiste, du moins comme ivresse ou comme passion. Malheur au Samson de la cabale, s'il se laisse endormir par Dalila! L'Hercule de la science qui change son sceptre royal contre le fuseau d'Omphale sentira bientôt les vengeances de Déjanire, et il ne lui restera que le bûcher du mont OEta pour échapper aux étreintes dévorantes de la tunique de Nessus. L'amour sexuel egt toujours une illusion , puisque c'est le résultat d'un mirage imaginaire. La lumière astrale est le séducteur universel figuré par le serpent de la Genèse. Cet agent subtil, toujours actif, toujours luxuriant de séve , toujours fleuri de rêves séduisants et de douces images ; cette force aveugle par elle-même et subordonnée à toutes les volontés, soit pour le bien, soit pour le mal; ce circulus toujours renaissant d'une vie indomptée qui donne le vertige aux imprudents; cet esprit corporel, ce corps igné, cet éther impalpable et présent partout; cette immense séduction de la nature, comment la définir tout entière et comment qualifier son action ? Indifférente en quelque sorte par elle-même, elle se prête au bien comme au mal ; elle porte la lumière et propage les ténèbres; on peut également la nommer Lucifer ou Lucifuge: c'est un serpent, mais c'est aussi une L'ÉQUILIBRE MAGIQUE.

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

auréole; c'est un feu, mais il peut aussi bien appartenir aux tourments de l'enfer qu'aux offrandes d'encens promises au ciel. Pour s'emparer de lui, il faut, comme la femme prédestinée, lui mettre le pied sur la tête. Ce qui correspond à la femme cabalistique, dans le monde élémentaire, c'est l'eau, et ce qui correspond au serpent , c'est le feu. Pour dompter le serpent, c'est-à-dire pour dominer le cercle de la lumière astrale, il faut parvenir à se mettre hors de ses courants, c'est-à-dire à s'isoler. C'est pour cela qu'Apollonius de Thyane s'enveloppait entièrement dans un manteau de laine fine sur lequel il posait ses pieds, et qu'il ramenait sur sa tête ; puis il arrondissait en demi-cercle sa colonne vertébrale, et fermait les yeux après avoir accompli certains rites qui devaient être des passes magnétiques et des paroles sacramentelles ayant pour but de fixer l'imagination et de déterminer l'action de la volonté. Le manteau de laine est d'un graùd usage en magie, et c'est le véhicule ordinaire des sorciers qui vont au sabbat, ce qui prouve que les sorciers n'allaient pas réellement au sabbat, mais que le sabbat venait trouver les sorciers isolés dans leur manteau et apportait à leur translucide les images

189 an alogues à leurs préoccupations magiques, mélées aux reflets de tous les actes du terne genre qui s'étaient accomplis avant eux dans le monde. Ce torrent de la vie universelle est aussi figuré dans les dogmes religieux par le feu expiatoire de l'enfer. C'est l'instrument de l'initiation, c'est le monstre à dompter, c'est l'ennemi à vaincre; c'est lui qui envoie à nos évocations et aux conjurations de la goétie tant de larves et de fantômes ; c'est en lui que se conservent toutes. les formes dont le fantastique et fortuit assemblage peuple nos cauchemars de si abominables monstres. Se laisser entratner à la dérive par ce fleuve qui tournoie, c'est tomber dans les abtmes dè la folie, plus effrayants que ceux de la mort; chasser les ombres de ce chaos et lui faire donner des formes parfaites à nos pensées, c'est étre homme de génie, c'est créer, c'est avoir triomphé de l'enfer ! La lumière astrale dirige les instincts des animaux et livre bataille à l'intelligence de l'homme qu'elle tend à pervertir par le luxe de ses reflets et le mensonge de ses images, action fatale et nécessaire que dirigent et rendent plus funeste encore les esprits élémentaires et les âmes en peine, dont les volontés inquiètes cherchent des sympathies L'ÉQUILIBRE MAGIQUE.

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• DOGME' DE LA HAUTE MAGIE. 490 dans nos faiblesses, et nous tentent moins pour non; perdre que pour se faire des amis. Ce livre des consciences, qui, suivant le dogme chrétien, doit être manifesté au dernier jour, n'est autre que la lumière astrale dans laquelle se conservent les impressions de tous les verbes, c'est— à-dire de toutes les actions et de toutes les formes. Nos actes modifient notre respir magnétique de telle sorte qu'un voyant peut dire, en s'approchant d'une personne pour la première fois, si cette personne est innocente ou coupable, et quels sont ses vertus ou ses crimes. Cette faculté, qui appartient à la, divination, était appelée par les mystiques chrétiens de la primitive Église le discerne meut des esprits. Les personnes qui renoncent à l'empire de la raison et qui aiment à égarer leur volonté à la poursuite des reflets de la lumière astrale sont sujettes à des alternatives de fureur et de tristesse qui ont fait imaginer toutes les merveilles de la possession du démon ; il est vrai qu'au moyen de ces reflets, les esprits impurs peuvent agir sur de pareilles âmes, s'e,p faire des instruments dociles et s'habituer même à tourmenter leur organisme, dans lequel ils viennent résider par obsession ou par .

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embryonnat. Ces mots cabalistiques sont expliqués dans le livre hébreu de la Révolution des âmes, dont

notre chapitre treizième contiendra l'analyse succincte. Il est donc extrêmement dangereux de se jouer des mystères de la magie ; il est surtout souverainement téméraire d'en pratiquer les rites par curiosité, par essai et comme pour tenter les puissances supérieures. Les curieux qui, sans être adeptes, se mêlent d'évocations ou de magnétisme occulte, ressemblent à des en fantsqu i joueraient avec du feu près d'un baril de poudre fulminante : ils seront tôt ou tard les victimes de quelque terrible explosion. Pour s'isoler de la lumière astrale, il ne suffit pas de s'entourer d'étoffe de laine, il faut encore et surtout avoir imposé une quiétude absolue à sou esprit et à son coeur, être sorti du domaine des passions et s'être assuré de la persévérance dans les actes spontanés d'une volonté inflexible. Il faut aussi réitérer souvent les actes de cette volonté, car, comme nous le verrons dans l'introduction du Rituel, la volonté ne s'assure d'elle—même que par des actes, comme les religions n'ont d'empire et de durée que par leurs cérémonies et leurs rites. Il existe des substances enivrantes qui, en exal-

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tant la sensibilité nerveuse, augmentent la puissance des représentations, et par conséquent des séductions astrales; par les mêmes moyens, mais suivant une direction contraire, on peut épouvanter et troubler les esprits. Ces substances, magnétiques par elles-mêmes et magnétisées encore par les praticiens, sont ce qu'on appelle des philtres ou des breuvages enchantés. Mais nous n'aborderons pas cette dangereuse application de la magie, que Cornelius Agrippa lui-même traite de magie empoisonneuse. Il n'existe plus, il est vrai, de bûchers pour les sorciers, mais il y a toujours et plus que jamais des peines portées contre les malfaiteurs. Bornons-nous donc à constater, dans l'occasion, la réalité de cette puissance. Pour disposer de la lumière astrale, il faut aussi en comprendre la double vibration et connaître la balance des forces qu'on appelle l'équilibre magique, et qu'on exprime, en cabale, par le senaire. Cet équilibre, considéré dans sa cause première, c'est la volonté de Dieu; dans l'homme, c'est la liberté; dans la matière, c'est l'équilibre mathématique. L'équilibre produit la stabilité et la durée.

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La liberté enfante l'immortalité de l'homme, et la volonté de Dieu met en oeuvre les lois (le l'éternelle raison. L'équilibre dans les idées c'est la sagesse, dans les forces c'est la puissance. L'équilibre est rigoureux. Qu'on observe la loi, il est; qu'on la viole, si légèrement que ce soit, il n'est plus. C'est pour cela que rien n'est inutile ni perdu. Toute parole et tout mouvement sont pour ou contre l'équilibre, pour ou contre la vérité : car l'équilibre représente la vérité, qui se compose du pour et du contre conciliés, ou du moins équilibrés ensemble. Nous disons dans l'introduction au Rituel comment l'équilibre magique doit se produire, et pourquoi il est nécessaire au succès de toutes les opérations. La toute-puissance, c'est la liberté la plus absolue. Or la liberté absolue ne saurait exister sans un équilibre parfait. L'équilibre magique est donc une des conditions premières du succès dans les opérations de la science, et on doit le chercher mème dans la chimie occulte, en apprenant à combiner les contraires sans les neutraliser l'un par l'autre. C'est par l'équilibre magique qu'on explique le T. 1.

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grand et antique mystère de l'existence et de la nécessité relative du mal. Cette nécessité relative donne, en magie noire, la mesure de la puissance des démons ou esprits impurs, auxquels les vertus qui se pratiquent sur la terre donnent plus de fureur, et en apparence même plus de force. Aux époques où les saints et les anges font ouvertement des miracles, les sorciers et les diables font à. leur tour des merveilles et des prodiges. C'est la rivalité qui fait souvent le succès : on s'appuie toujours sur ce qui résiste.

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7 t G. L'ÉPÉE FLAMBOYANTE.

GLADIUS.

Le septénaire est le nombre sacré dans toutes les théogonies et dans tous les symboles, parce qu'il est composé du ternaire et du quaternaire. Le nombre sept représente le pouvoir magique dans toute sa force ; c'est l'esprit assisté de toutes les puissances élémentaires ; c'est l'âme servie par la nature, c'est le sanctum regnum dont il est parlé dans les Clavicules de Salomon, et qui est représenté dans le Tarot par un guerrier couronné portant un triangle sur sa cuirasse, et debout sur un cube, auxquels sont attelés deux sphynx, l'un blanc et l'autre noir, qui tirent en sens contraire et détournent la tète en se regardant. Ce guerrier est armé d'une épée flamboyante, et tient de l'autre main un sceptre surmonté d'un triangle et d'une boule. Le cube, c'est la pierre philosophale, les sphynx sont les deux forces du grand agent, correspon-

196 DOGME DE LA HAUTE MAGIE. dantes à Jakin et à Bohas, qui sont les deux colonnes du temple ; la cuirasse, c'est la science des choses divines qui rend le sage invulnérable aux atteintes humaines; le sceptre, c'est la baguette magique ; l'épée flamboyante, c'est le signe de la victoire sur les vices, qui sont au nombre de sept, comme les vertus; les idées de ces vertus et de ces vices étaient figurées par les anciens sous les symboles des sept planètes connues alors. Ainsi la foi, cette aspiration à l'infini, cette noble confiance en soi-inème, soutenue par la croyance en toutes les vertus, la foi, qui dans les natures faibles peut dégénérer en orgueil, était représentée par le Soleil ; l'espérance, ennemie de l'avarice, par la Lune; la charité, opposée à la luxure, par Vénus, la brillante étoile du matin et du soir; la force, supérieure à la colère, par Mars; la prudence, opposée à la paresse, par Mercure ; la tempérance, opposée à la gourmandise, par Saturne, à qui l'on donne une pierre à manger à la place de ses enfants ; et la justice, enfin, opposée à l'envie, par Jupiter,. vainqueur des Titans. Tels sont les symboles que l'astrologie emprunte au culte hellénique. Dans la cabale des Hébreux, le Soleil représente l'ange de lumière; la Lune, l'ange

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des aspirations et des Myes ; Mars, l'ange exterminateur; Vénus, l'ange des amours; Mercure, l'ange civilisateur; Jupiter, l'ange de puissance; Saturne, l'ange des solitudes. On les nomme aussi Michaël, Gabriel, Samaël, Anaël, Raphaël, Zachariel et Orifiel. Ces puissances dominatrices des âmes se partagent la vie humaine par périodes, que les astrologues mesuraient sur les révolutions des planètes correspondantes. Mais il ne faut pas confondre l'astrologie cabalistique avec l'astrologie judiciaire. Nous expliquerons cette distinction. L'enfance est vouée au Soleil, l'adolescence à la Lune, la jeunesse à Mars et Vénus, la virilité à Mercure, l'âge mûr à Jupiter, et la vieillesse à Saturne. Or l'humanité tout entière vit sous des l6is de développement analogues à celles de la vie individuelle. C'est sur cette base que Trithème établit sa clavicule prophétique des sept esprits dont nous parlerons ailleurs, et. au moyen de laquelle on peut, en suivant les proportions analogiques des événements successifs, prédire avec certitude les grands événements futurs, et fixer d'avance, de période en période, les destinées des peuples et du monde.

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Saint Jean, dépositaire de la doctrine secrète du Christ, a consigné cette doctrine dans le livre cabalistique de l'Apocalypse, qu'il représente fermé de sept sceaux. On y retrouve les sept génies des mythologies anciennes, avec les coupes et les épées du Tarot. Le dogme caché sous ces emblèmes est la pure cabale, déjà perdue par les Pharisiens à l'époque de la venue du Sauveur; les tableaux qui se succèdent dans cette merveilleuse épopée prophétique sont autant de pantacles dont le ternaire, le quaternaire, le septénaire et le duodénaire sont les clefs. Les figures hiéroglyphiques en sont analogues à celles du livre d'Hermès ou de la Genèse d'Hénoch, pour nous servir du titre hasardé qui exprime seulement l'opinion personnelle du savant Guillaume Postel. Le chérub ou taureau symbolique que Moïse place à la porte du monde édénique, et qui tient à la main une épée flamboyante, est un sphinx ayant un corps de taureau et une tête humaine ; c'est l'antique sphinx assyrien, dont le combat et la victoire de Mithra étaient l'analyse hiéroglyphique. Ce sphinx armé représente la loi du mystère qui veille à la porte de l'initiation pour en écarter les profanes. Voltaire, qui ne savait rien de tout cela,

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a beaucoup ri de voir un boeuf tenir une épée. Qu'aurait-il dit s'il avait visité les ruines de Memphis et de Thèbes, et qu'aurait eu à répondre à ses petits sarcasmes, tant goûtés en France, cet écho des siècles passés qui dort dans les sépulcres de Psamétique et de Ramsès? Le chérub de Moïse représente aussi le grand mystère magique, dont le septénaire exprime tous les éléments, sans en donner toutefois le dernier mot. Ce verbum inenarrabile des sages de l'école d'Alexandrie, ce mot que les cabalistes hébreux écrivent rnrr et traduisent par un'- tri , exprimant ainsi la triplicité du principe secondaire, le dualisme des moyens et l'unité tant du premier principe que de la fin, puis aussi l'alliance du ternaire avec le quaternaire dans un mot composé de quatre lettres, qui forment sept au moyen d'une triple et d'une double répétition ; ce mot se prononce Ararita. La vertu du septénaire est absolue en magie, car le nombre est décisif en toutes choses; aussi toutes les religions l'ont-elles consacré dans leurs rites. La septième année chez les Juifs était jubilaire; le septième jour est consacré au repos et à la prière; il y a sept sacrements, etc.

200 DOGME DE LA HAUTE MAGIE. Les sept couleurs du prisme, les sept notes de la musique, correspondent aussi aux sept planètes des anciens, c'est-à-dire aux sept cordes de la lyre humaine. Le ciel spirituel n'a jamais changé , et l'astrologie est restée plus invariable que l'astronomie. Les sept planètes, en effet, ne sont autre chose que des symboles hiéroglyphiques du clavier de nos affections. Faire des talismans du Soleil, de la Lune ou de Saturne, c'est attacher magnétiquement sa volonté à des signes qui correspondent aux principales puissances de l'âme ; consacrer quelque chose à Vénus ou à Mercure, c'est magnétiser cette chose dans une intention directe, soit de plaisir, soit de science ou de profit. Les métaux, les animaux, les plantes et les parfums analogues, sont en cela nos auxiliaires. Les sept animaux magiques sont : parmi les oiseaux correspondant au monde divin, le cygne, la chouette, le vautour, la colombe, la cigogne, l'aigle et la huppe; parmi les poissons correspondant au monde spirituel ou scientifique, le phoque, l'œlurus, le lucius, le thimallus, le mugil, le dauphin, et la sépia ou sèche; parmi les quadrupèdes correspondant au monde naturel, ce sont le lion, le chat, le loup, le bouc, le singe, le cerf et la taupe. Le sang, la

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graisse, le foie et le fiel de ces animaux, servent pour les enchantements; leur cervelle se combine avec les parfums des planètes, et il est reconnu par la pratique des anciens qu'ils possèdent des vertus magnétiques correspondant aux sept influences planétaires. Les talismans des sept esprits se font soit sur les pierres précieuses, tels que le carbunculus, le cristal, le diamant, l'émeraude, l'agate, le saphir et l'onix ; soit sur les métaux, comme l'or, l'argent, le fer, le cuivre, le mercure fixé, l'étain et le plomb. Les signes cabalistiques des sept esprits sont : pour le Soleil, un serpent à tête de lion ; pour la Lune, un globe coupé par deux croissants ; pour Mars, un dragon mordant la garde d'une épée; pour Vénus, un lingam; pour Mercure, le caducée hermétique et le cynocéphale; pour Jupiter, le pentagramme flamboyant dans les serres ou au bec d'un aigle; pour Saturne, un vieillard boiteux ou un serpent enlacé autour de la pierre héliaque. On retrouve tous ces signes sur les pierres gravées des anciens, et paéticulièrement sur les talismans des époques gnostiques connus sous le nom d'Abraxas. Dans la collection des talismans de Paracelse, Jupiter est représenté par un prêtre en cos-

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turne ecclésiastique, et dans le tarot il est figuré par un grand hiérophante coiffé de la tiare à trois diadèmes, tenant en main la croix à trois étages , formant le triangle magique et représentant à la fois le sceptre et la clef des trois mondes. En réunissant tout ce que nous avons dit de l'unité du ternaire et du quaternaire, on aura tout ce qui nous resterait à dire du septénaire, cette grande et complète unité magique, composée de quatre et de trois (t). (d) Voir, pour les plantes et les couleurs du septéneire employées aux usages magnétiques, le savant ouvrage de M. Ragon sur la Maçonnerie occulte.

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8 n H. LA RÉALISATION. 110D.

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Les causes se révèlent par les effets, et les effets sont proportionnels aux causes. Le verbe divin, le mot unique, le tétragramme , s'est affirmé par la création quaternaire. La fécondité humaine prouve la fécondité divine; le jod du nom divin est la virilité éternelle du premier principe. L'homme a compris qu'il était fait à l'image de Dieu lorsqu'il a compris Dieu en agrandissant, jusqu'à l'infini, l'idée qu'il se fait de lui-même. En comprenant Dieu comme l'homme infini, l'homme s'est dit à lui-même : Je suis le Dieu fini. La magie diffère du mysticisme en ce qu'elle ne juge à priori qu'après avoir établi à posteriori la base même de ses jugements, c'est-à-dire qu'après avoir compris la cause par les effets contenus dans l'énergie même de la cause, au moyen de la loi universelle de l'analogie; aussi dans les sciences

DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

occultes tout est réel, et les théories ne s'établissent que sur les bases de l'expérience. Ce sont les réa• lités qui constituent les proportions de l'idéal, et le mage n'admet comme certain dans le domaine des idées que ce qui est démontré par la réalisation. En d'autres termes, ce qui est vrai dans la cause se réalise dans l'effet. Ce qui ne se réalise pas n'est pas. La réalisation de la parole, c'est le verbe proprement dit. Une pensée se réalise en devenant parole; elle se réalise par les signes, par les sons.et par les figures des signes : c'est là. le premier dégré de réalisation. Puis elle s'imprime dans la lumière astrale au moyen des signes de l'écriture ou de la parole ; elle influence d'autres esprits en se reflétant sur eux; se réfracte en traversant le diaphane des autres hommes, y prend des formes et des proportions nouvelles, puis se traduit en actes et modifie la société et le monde : c'est là le dernier degré de réalisation. Les hommes qui naissent dans un monde modifié par une idée en apportent avec eux l'empreinte, et c'est ainsi que le verbe se fait chair. L'empreinte de la désobéissance d'Adam, conservée dans la lumière astrale, n'a pu

être effacée que par l'empreinte plus forte de l'obéissance du Sauveur, et c'est ainsi qu'on peut

LA RÉALISATION. 205 expliquer le péché originel et la rédemption dans un sens naturel et magique. La lumière astrale ou l'âme du monde était l'in — strument de la toute-puissance d'Adam, puis est devenue l'instrument de son supplice, après avoir été corrompue et troublée par son péché, qui a mêlé un reflet impur aux images primitives qui composaient, pour son imagination encore vierge, le livre de la science universelle. La lumière astrale, figurée dans les anciens symboles par le serpent qui se mord la queue , représente tour à tour la malice et la prudence, le temps et l'éternité, le tentateur et le Rédempteur. C'est que cette lumière, étant le véhicule de la vie, peut servir d'auxiliaire au bien comme au mal, et peut être prise pour la forme ignée de Satan comme pour le corps du Saint-Esprit. C'est l'arme universelle de la bataille des auges, et elle alimente aussi bien les flammes de l'enfer que la foudre de saint Michel. On pourrait la comparer à un cheval d'une nature analogue à celle qu'on attribue au caméléon, et qui refléterait toujours l'armure de son cavalier. La lumière astrale est la réalisation ou la forme de la lumière intellectuelle, comme celle-ci est

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DoGME bE LA PLACE MAGIE.

la réalisation ou la forme de la lumière divine. Le grand initiateur du christianisme, comprenant que la lumière astrale était surchargée des reflets impurs de la débauche romaine, voulut séparer ses disciples de la sphère ambiante des reflets et les rendre uniquement attentifs à la lumière intérieure, afin qu'au moYon d'une foi commune ils pussent communiquer ensemble par de nouveaux cordons magnétiques qu'il nomma grâce, et vaincre ainsi les courants débordés du magnétisme universel, auquel il donnait les noms de diable et de Satan, pour en exprimer la putréfaction. Opposer un courant à un courant, c'est renouveler la puissance de la vie fluidique. Aussi les' révélateurs n'ont—ils guère fait que deviner par la justesse de leurs calculs l'heure propre aux réactions morales. La loi de réalisation produit ce que nous appelons le respir magnétique, dont s'imprègnent les objets et les lieux, ce qui leur communique une influence conforme à nos volontés dominantes, surtout à celles qui sont confirmées et réalisées par des actes. En effet, l'agent universel, ou la lumière astrale latente, cherche toujours l'équilibre ; il emplit le vide et aspire le plein, ce qui rend le vice contagieux comme certaines maladies physiques, et sert

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itÉALtsertort. 207

puissamment au prosélytisme de la vertu. C'est pour cela que la cohabitation avec des êtres antipathiques est un supplice; c'est pour cela que les reliques, soit des saints, soit des grands scélérats, peuvent produire des effets merveilleux de conversion ou de perversion subite ; c'est pour cela que l'amour sexuel se produit souvent par un souffle ou par un contact, et non-seulement par le contact de la personne même, mais au moyen des objets qu'elle a touchés ou magnétisés sans le savoir. L'âme aspire et respire exactement comme le corps. Elle aspire ce qu'elle croit du bonheur, et respire des idées qui résultent de ses sensations intimes. Les âmes malades ont mauvaise haleine et vicient leur atmosphère morale, c'est-à—dire mêlent à la lumière astrale qui les pénètre dos reflets impurs et y établissent des courants délétères. On est étonné souvent d'être assailli, en société, de pensées mauvaises qu'on n'avait pas crues possibles, et l'on ne sait pas qu'on les doit à quelque voisinage morbide. Ce secret est d'une grande importance, car il conduit à la manifestation des consciences, un des pouvoirs les plus incontestables et les plus terribles de l'art magique. Le respir magnétique produit autour de l'âme

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DO GME DE LA HAUTE MA GIE.

un rayonnement dont elle est le centre, et elle s'entoure du reflet de ses oeuvres, qui lui font un ciel ou un enfer. Il n'y a pas d'actes solitaires et il ne saurait y avoir d'actes cachés; tout ce que nous voulons réellement, c'est—à—dire tout ce que nous confirmons par nos actes, reste écrit dans la lumière astrale, où se conservent nos reflets; ces reflets influencent continuellement notre pensée par l'entremise du diaphane, et c'est ainsi qu'on devient et qu'ou reste l'enfant de ses oeuvres. La lumière astrale, transformée en lumière humaine au moment de la conception, est la première enveloppe de l'àmc, et, en se combinant avec les fluides les plus subtils, elle forme le corps éthéré ou le fantôme sidéral dont parle Paracelse dans sa philosophie d'intuition (Philosophie sagax). Ce corps sidéral, en se dégageant à la mort, attire à lui et conserve longtemps, par la sympathie des homogènes, les reflets de la vie passée; si une volonté puissamment sympathique l'attire dans un courant particulier, il se manifeste naturellement, car il n'y a rien de plus naturel que les prodiges. C'est ainsi que se produisent les apparitions. Mais nous développerons ceci plus complétement au chapitre spécial de la Nécromancie.

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Ce corps fluidique, soumis, comme la masse de la lumière astrale, à deux mouvements contraires, attractif à gauche, et répulsif à droite, ou réciproquement, chez les deux sexes, produit en nous les luttes des différents attraits et contribue aux anxiétés de la conscience : souvent il est influencé par les reflets des autres esprits, et c'est ainsi que se produisent, soit les tentations, soit les grâces subtiles et inattendues. C'est aussi l'explication du dogme traditionnel des deux anges qui nous assistent et nous éprouvent. Les deux forces de la lumière astrale peuvent être figurées par une balance où sont pesées nos bonnes intentions pour le triomphe de la justice et l'émancipation de notre liberté. Le corps astral n'est pas toujours du même• sexe que le corps terrestre, c'est-à-dire que les proportions des deux forces, variant de droite à gauche, semblent souvent contredire l'organisation visible; c'est ce qui produit les erreurs apparentes des passions humaines, et peut expliquer, sans les justifier en aucune façon devant la morale, les singularités amoureuses d'Anacréon ou de Sapho. Un magnétiseur habile doit apprécier toutes ces nuances, et nous donnons dans notre Rituel les moyens de les reconnaître. T . I . 1 4 -



DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

Il y a deux sortes de réalisations, la vraie et la fantastique. La première est le secret exclusif des magiciens, l'autre appartient 'aux enchanteurs et aux sorciers. Les mythologies sont des réalisations fantastiques du dogme religieux, les superstitions sont le sortilége de la fausse piété; mais les mythologies même et les superstitions sont plus efficaces sur la volonté humaine qu'une philosophie purement spéculative et exclusive de toute pratique. C'est pour cela que saint Paul oppose les conquêtes de la folie de la Croix à l'inertie de la sagesse humaine. La religion réalise la philosophie en l'adaptant aux faiblesses du vulgaire : telle est pour les cabalistes la raison secrète et l'explication occulte des dogmes de l'incarnation et de la rédemption. Les pensées qui ne se traduisent pas en paroles sort des pensées perdues pour l'humanité; les paroles qui ne sont pas confirmées par des actes sont des paroles oiseuses, et il n'y a pas loin de la parole oiseuse au mensonge. C'est la pensée formulée par des paroles et confirmée par des actes qui constitue la bonne oeuvre ou le crime. Donc, soit en vice, soit en vertu, il n'y a pas de parole dont on ne soit responsable; il n'y

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a surtout pas d'actes indifférents. Les malédictions et les bénédictions ont toujours leur effet, et toute action, quelle qu'elle soit, lorsqu'elle est inspirée par l'amour ou par la haine, produit des effets analogues à son motif, à sa portée et à sa direction. L'empereur dont on avait mutilé les images, et qui, en portant la main à son visage, disait : « Je ne me sens pas blessé, » faisait une fausse appréciation et diminuait en cela le mérite de sa clémence. Quel homme d'honneur verrait de sangfroid les insultes faites à son portrait? Et si réellement de pareilles insultes, faites même à notre insu, retombaient sur nous par une influence fatale, si l'art des envoûtements était réel, comme il n'est pas permis à un adepte d'en douter, combien ne trouverait-on pas plus imprudente, et même plus téméraire encore, la parole de ce bon empereur! Il est des personnes qu'on n'offense jamais impunément, et, si l'injure qu'on leur a faite est mortelle, on commence dès lors à mourir. Il en est qu'on ne rencontre même pas en vain, et dont le regard change la direction de votre vie. Le basilic qui tue en regardant n'est pas une fable, c'est une

allégorie magique. En général, il est mauvais pour la santé d'avoir des ennemis, et l'on ne brave ira-

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

punément la réprobation de personne. Avant de s'opposer à une force ou à un courant, il faut bien s'assurer si l'on possède la force ou si l'on est porté par le courant contraire; autrement on sera écrasé ou foudroyé, et beaucoup de morts subites n'ont pas d'autres causes. Les morts terribles de Nadab et Abiu, d'Osa, d'Ananie et de Saphire, furent causées par les courants électriques des croyances qu'ils outrageaient ; les tourments des ursulines de Loudun, des religieuses de Louviers et des convulsionnaires du jansénisme, avaient le même principe et s'expliquent par les mêmes lois naturelles occultes. Si Urbain Grandier n'eût pas été supplicié, il fût arrivé de deux choses l'une, ou que les religieuses possédées seraient mortes dans d'affreuses convulsions, ou que les phénomènes de frénésie diabolique eussent gagné, en se multipliant, tant de volontés et tant de force, que Grandier, malgré sa science et sa raison, eût été hallucinélui-même au point de se calomnier comme avait fait le malheureux Gaufridy, ou fdt mort tout à coup, avec toutes les circonstances effrayantes d'un empoisonnement ou d'une vengeance divine. La malheureux poête Gilbert fut, au xviif

213 victime de son audace à braver le courant de l'opinion et même du fanatisme philosophique de son époque. Coupable de lèse-philosophie, il mourut fou furieux, assailli des plus incroyables terreurs, comme si Dieu lui-même l'eût puni d'avoir soutenu sa cause hors de propos; mais il périssait en effet victime d'une loi de la nature qu'il ne pouvait connaître : il s'était opposé à un courant électrique, et il tombait foudroyé. Si Marat n'eût pas été assassiné par Charlotte Corday, il fût infailliblement mort tué par une réaction de l'opinion publique. Ce qui le rendait lépreux, c'était l'exécration des honnêtes gens, et il devait y succomber. La réprobation soulevée par la Saint-Barthélemy fut l'unique cause de l'horrible maladie et de la mort de Charles IX, et Henri IV, s'il n'eût été soutenu par une immense popularité, qu'il devait à la puissance de projection ou à la force sympathique de sa vie astrale, Henri IV, disons-nous, n'eût guère survécu à sa conversion, et eût péri sous le mépris des protestants, combiné avec la défiance et les rancunes des catholiques. L'impopularité peut être une preuve d'intégrité et de courage, mais ce n'est jamais une LA RÉALISATION.

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preuve de prudence ou de politique; les blessures faites à l'opinion sont mortelles pour les hommes d'État. On peut se rappeler encore la fin prématurée et violente de plusieurs hommes illustres, qu'il ne convient pas de nommer ici. Les flétrissures devant l'opinion peuvent être de grandes injustices, mais elles n'en sont pas moins toujours des raisons d'insuccès, et souvent des arrêts de mort. En revanche, les injustices faites à un seul homme peuvent et doivent, si on ne les répare pas, causer la perte de tout un peuple ou de toute une société : c'est ce qu'on appelle le cri du sang, car au fond de toute injustice il y a le germe d'un homicide. C'est à cause de ces lois terribles de solidarité que le christianisme recommande tant le pardon des injures et la réconciliation. Celui qui meurt sans pardonner se jette dans l'éternité armé d'un poignard, et se dévoue aux horreurs d'un meurtre éternel. C'est une tradition et une croyance invincible parmi le peuple que celle de l'efficacité des béné-

dictions ou des malédictions paternelles ou maternelles. En effet, plus les liens qui unissent deux per-

LA RÉALISATION. •

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sonnes sont étroits, plus la haine entre eux est terrible dans ses effets. Le tison d'Althée brûlant le sang de Méléagre est, dans la mythologie, le symbole de ce pouvoir redoutable. Que les parents y prennent garde toutefois, car on n'allume pas l'enfer dans son propre sang et l'on ne dévoue pas les siens au malheur sans être brûlé et malheureux soi-même. Ce n'est jamais un crime de pardonner, et c'est toujours un danger et une mauvaise action que de maudire.

216

DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

9 tet I. L'INITIATION. IESOD. BONDY.

L'initié est celui qui possède la lampe de Trismégiste, le manteau d'Apollonius et le bâton des patriarches. La lampe de Trismégiste, c'est la raison éclairée par la science ; le manteau d'Apollonius, c'est la possession pleine et entière de soi-même, qui isole le sage des courants instinctifs ; et le bâton des patriarches, c'est le secours des forces occultes et perpétuelles de la nature. La lampe de Trismégiste éclaire le présent, le passé et l'avenir, montre à nu la conscience des hommes, éclaire les replis du coeur des femmes. La lampe brille d'une triple flamme, le manteau se replie trois fois, et le bâton se divise en trois parties. Le nombre neuf est celui des reflets divins: il exprime l'idée divine dans toute sa puissance abstraite, mais il exprime aussi le luxe en croyance, et par conséquent la superstition et l'idolâtrie.

7 C'est pourquoi Hermès en a fait le nombre de l'initiation, parce que l'initié règne sur la superstition et par la superstition, et peut seul marcher dans les ténèbres, appuyé qu'il est sur son bâton, enveloppé de son manteau et éclairé par sa lampe. La raison a été donnée à tous les hommes, mais tous ne savent pas en faire usage; c'est une science qu'il faut apprendre. La liberté est offerte à tous, mais tous ne peuvent pas être libres ; c'est un droit qu'il faut conquérir. La force est pour tous, mais tous ne savent pàs s'appuyer sur elle ; c'est une puissance dont il faut s'emparer. Nous n'arrivons à rien qui ne nous coûte plus d'un effort. La destinée de l'homme est qu'il s'enrichisse de ce qu'il gagne, et qu'il ait ensuite, comme Dieu, la gloire et le plaisir de donner. La science magique s'appelait autrefois l'art sacerdotal et l'art royal, parce que l'initiation donnait au sage l'empire sur les âmes et l'aptitude à gouverner les volontés. La divination est aussi un des priviléges del'initié ; or, la divination n'est que la connaissance des effets contenus dans les causes et la science appliquée L'INITIATION.

i

aux faits du dogme universel de l'analogie. Les actes humains ne s'écrivent pas seulement

218

DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

dans la lumière astrale, ils laissent aussi leurs traces sur le visage, ils modifient le port et la démarche, ils changent l'accent de la voix. Chaque homme porte donc avec lui l'histoire de sa vie, lisible pour l'initié. Or, l'avenir est toujours la conséquence du passé, et les circonstances inattendues ne changent presque rien aux résultats rationnellement attend us. On peut donc prédire à chaque homme sa destinée. On peut juger de toute une existence sur un seul mouvement ; une seule gaucherie présage une série de malheurs. César a été assassiné parce qu'il rougissait d'être chauve; Napoléon est mort à Sainte—Hélène parce qu'il aimait les poésies d'Ossian ; Louis—Philippe devait quitter le trône comme il l'a quitté parce qu'il avait un parapluie. Ce sont là des paradoxes pour le vulgaire, qui ne saisit pas les relations occultes des choses ; mais ce sont des raisons pour l'initié, qui comprend tout et qui ne s'étonne de rien. L'initiation préserve des fausses lumières du mysticisme; elle donne à la raison humaine sa valeur relative et son infaillibilité proportionnelle, en la rattachant à la raison suprême par la chaîne des analogies.

219 L'initié n'a donc ni espérances douteuses, ni craintes absurdes, parce qu'il n'a pas de croyances déraisonnables ; il sait ce qu'il peut et il ne lui coûte rien d'oser. Aussi, pour lui oser c'est pouvoir. Voici donc une nouvelle interprétation des attributs de l'initié : sa lampe représente le savoir, le manteau qui l'enveloppe représente sa discrétion, son bâton est l'emblème de sa force et de son audace. Il sait, il ose, et il se tait. Il sait les secrets de l'avenir, il ose dans le présent, et il se tait sur le passé. I1 sait les faiblesses du coeur hnmain, il ose s'en servir pour faire son oeuvre, et il se tait sur ses projets. Il sait la raison de tous les symbolismes et de tous les cultes, il ose les pratiquer ou s'en abstenir sans hypocrisie et sans impiété, et il se tait sur le dogme unique de la haute initiation. II sait l'existence et la nature du grand agent magique, il ose faire les actes et prononcer les paroles qui le soumettent à la volonté humaine, et il se tait sur les mystères du grand arcane. Aussi vous pouvez le voir souvent triste, jamais abattu ni désespéré; souvent pauvre, jamais avili ni misérable; souvent persécuté, jamais rebuté ni

220 D O G M E D E L A H A U T E M A G I E . vaincu. Il se souvient du veuvage et du meurtre d'Orphée , de l'exil et de la mort solitaire de Moïse , du martyre des prophètes, des tortures d'Apollonius, de la croix du Sauveur; il sait dans quel abandon mourut Agrippa, dont la mémoire est encore calomniée; il sait à quelles fatigues succomba le grand Paracelse, et tout ce que dut souffrir Raymond Lulle pour arriver enfin à une mort sanglante. 11 se souvient de Swedenborg faisant le fou ou perdant même la raison afin de faire pardonner sa science; de Saint-Martin, qui se cacha toute sa vie; de Cagliostro, qui mourut abandonné dans les cachots de l'inquisition; de Cazotte, qui monta sur l'échafaud. Successeur de tant de victimes, il n'en ose pas moins, mais il comprend davantage la nécessité de se taire. Imitons son exemple, apprenons avec persévérance ; quand nous saurons, osons et taisons-

LA KABALE.

221

• 'IO LA KABALE. MALCHUT. PRINCIPIUM. PHÀLLOS.

Toutes les religions ont conservé le souvenir d'un livre primitif écrit en figures par les sages des premiers siècles du monde, et dont les symboles, simplifiés et vulgarisés plus tard, ont fourni à l'Écriture ses lettres, au Verbe ses caractères, à la Philosophie occulte ses signes mystérieux et ses pantacles. Ce livre, attribué à Hénoch, le septième maitre du inonde après Adam, par les Hébreux, à Hermès Trismégiste par les Égyptiens, à Cadmus, le mystérieux fondateur de la Ville-Sainte, par les Grecs, ce livre était le résumé symbolique de la tradition primitive, appelée depuis Kabbala ou Cabale, d'un mot hébreu qui est l'équivalent de tradition. Cette tradition repose tout entière sur le dogme unique de la magie : le visible est pour nous la mesure proportionnelle de l'invisible. Or, les

22t DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

anciens, ayant observé que l'équilibre est, en physique, la loi universelle, et qui résulte de l'opposition apparente de deux forces, conclurent de l'équilibre physique à l'équilibre métaphysique, et déclarèrent qu'en Dieu, c'est-à-dire dans la première cause vivante et active, on devait reconnattre deux propriétés nécessaires l'une à l'autre : la stabilité et le mouvement, la nécessité et la liberté, l'ordre rationnel et l'autonomie volitive, la justice et l'amour, et par conséquent aussi la sévérité et la miséricorde ; et ce sont ces demi attributs que les cabalistes juifs perSonnifient en quelque sorte sous les noms de Géburah et de Chesed. Au-dessus de Géburah et de Chesed réside la couronne suprême, le pouvoir équilibrant, principe du monde ou du royaume équilibré, que nous trouvons désigné sous le nom de Malchut dans le verset occulte et cabalistique du Pater dont nous avons déjà parlé. Mais Géburah et Chesed, maintenus en équilibre, en haut par la couronne et en bas par le royaume, sont deux principes qu'on peut considérer, soit dans leur abstraction, soit dans leur réalisation. Abs-

traits ou idéalisés, ils prennent les noms supérieurs de Chocmah, la sagesse, et de Binah ,1' intelligence.

LA 'CABALE.

228

Réalisés, ils s'appellent la stabilité et le progrès, c'est-à-dire l'éternité et la victoire : Hod et Netsah. Tel est, suivant la cabale, le fondement de toutes les religions et de toutes les sciences, l'idée première et immuable des choses : un triple triangle et un cercle, l'idée du ternaire expliquée par la balance multipliée par elle-même dans les domaines de l'idéal, puis la réalisation de cette idée dans les formes. Or les anciens attachèrent les notions premières de cette simple et grandiose théologie à l'idée même des nombres, et qualifièrent ainsi tous les chiffres de la décade primitive : 1.. Keter. La Couronne, le pouvoir équilibrant. —

2. Chocmah. La Sagesse, équilibrée dans son —

ordre immuable par l'initiative de l'intelligence.

3. Binah. L'Intelligence active, équilibrée —

par la Sagesse.

6. Chesed. La Miséricorde, seconde concep—

tion de la Sagesse, toujours bienveillante, parce qu'elle est forte.

221I

DOGME DE LA. HAUTE MAGIE.

5. Geburah. La Rigueur nécessitée par la —

Sagesse même et par la bonté. Souffrir le mal, c'est empêcher le bien. • 6. Tiphereth. La Beauté, conception lumineuse de l'équilibre dans les formes, l'intermédiaire entre la couronne et le royaume, le principe médiateur entre le créateur et la création. (Quelle sublime idée ne trouvons-nous pas ici de la poésie et de son souverain sacerdoce 1) —

7. Netsah. La Victoire, c'est-à-dire le —

triomphe éternel de l'intelligence et de la justice. "8. Hod. L'Éternité des victoires de l'esprit sur la matière, de l'actif sur le passif, de la vie sur la mort. —

Le Fondement, c'est-à-dire la base de toute croyance et de toute vérité, c'est ce que nous appelons en philosophie l'ABSOLU. 9. lesod.

10. Malchut ou Maikout. Le Royaume, c'est —

l'univers, c'est la création tout entière, l'oeuvre et le miroir de Dieu, la preuve de la raison suprême

LA ItABALE.

225

la conséquence formelle qui nous force de remonter aux prémisses virtuellesjénigme dont le mot est Dieu, c'est-à-dire : raison suprême et absolue.. Ces dix notions premières attachées aux dix premiers caractères de l'alphabet primitif, signifiant à la fois des principes et des nombres, sont ce que les maltres de la Cabale appellent les dix Séphiroth. Le tétragramine sacré, tracé de cette manière,

indique le nombre, la source et le rapport des noms divins. C'est au nom de Iotchavah, écrit avec ces vingt-quatre signes couronnés d'un triple fleuron de lumière, qu'il faut rapporter les vingt-quatre trônes du ciel et les vingt-quatre vieillards couronnés de l'Apocalypse. En Cabale, le principe occulte se nomme le vieillard, et ce principe multiplié et comme reflété dans les causes secondes crée ses images, c'est-à-dire autant de vieillards qu'il y a de 15

226 DOGME DE LA HAUTE MAGIE. conceptions diverses de son unique essence. Ces images, moins parfaits en s'éloignant de leur source, jettent dans les ténèbres un dernier reflet ou une dernière lueur qui représente un vieillard horrible et défiguré : c'est ce qu'on appelle vulgairement le diable. Aussi un initié a-t-il osé dire: « Le diable, c'est:Dieu compris par les méchants» ; et un autre , en termes plus étranges, mais non moins énergiques, a ajouté : « Le diable est formé de déchirures de Dieu. » Nous pourrions résumer et expliquer ces assertions si nouvelles en faisant remarquer que, dans le symbolisme méme, le démon est un ange tombé du ciel pour avoir voulu usurper la divinité. Ceci appartient au langage allégorique des prophètes et des légendaires. Philosophiquement parlant, le diable est une idée humaine de la divinité surpassée et dépossédée du ciel par le progrès de la science et de la raison. Moloch, Adramelek, Baal, ont été, chez les Orientaux primitifs, les personnifications du dieu unique, déshonorées par des attributs barbares. Le dieu des jansénistes, créant pour l'enfer la majorité des humains et se complaisant aux tortures éternelles de ceux qu'il n'a pas voulu sauver, est une conception encore plus barbare que celle de Moloch :

227

LA KABALE.

aussi le dieu des jansénistes est-il déjà, pour les chrétiens sages et éclairés, un véritable Satan tombé du ciel. Les cabalistes, en multipliant les noms divins, les ont tous rattachés ou à l'unité du tétragramme, ou à la figure du ternaire, ou à l'échelle séphirique de la décade: ils tracent ainsi l'échelle des noms et des nombres divins : il> "IV 1=1>11171".t i=n -P1 171*.t.

rny-nr-ui •11.2. 12'2 CP

14.t.

niKSY

+ r-r`-t

triangle qu'on peut traduire ainsi en lettres romaines : J

JA SDI JEBV ELOIM SABAOT ARARITA ELVEDAAT • BLIM GIBOR ELIM SABAOT

L'ensemble de tous ces noms divins formés de

928 DOGME DE LA HAUTE MAGIE. l'unique tétragramme, mais en dehors du tétragramme mème, est une des bases du Rituel hébreu, et compose la force occulte que les rabbins cabalistes invoquent sous le nom de Semhamphoras. Nous avons à parler ici des Tarots au point de vue cabalistique. Nous avons déjà indiqué la source occulte de leur nom. Ce livre hiéroglyphique se compose d'un alphabet- cabalistique et d'une roue ou cercle de quatre décades, spécifiées par quatre figures symboliques et typiques, ayant chacune pour rayon une échelle de quatre figures progressives représentant l'Humanité : homme, femme, jeune homme et enfant ; maître, maîtresse, combattant et valet. Les vingt-deux figures de l'alphabet représentent d'abord les treize dogmes, puis les neuf croyances autorisées de la religion hébraïque, religion forte et fondée sur la plus haute raison. Voici la clef religieuse et cabalistique du Tarot, exprimée en vers techniques à la manière des anciens législateurs : 4 M Tout annonce une cause active, intelligente. 2 2 Le nombre sert de preuve à l'unité vivante. 3 à Rien ne peut limiter celui qui contient tout. I Seul, avant tout, principe, il est présent partout.

5 n Gomme il et, le seul maitre, il est seul adorable.

L A K AB AL E . •

'229

6 1 II révèle aux cœurs purs son dogme véritable. 7 t Mais il faut un seul chef aux oeuvres de la foi, 8 il C'est pourquoi nous n'avons qu'un autel, qu'une loi ; 9 D Et jamais l'Éternel n'en changera la base. 4 0 ' Des cieux et de nos jours il règle chaque phase. 4 4 7 Riche en miséricorde et puissant pour punir, 4 2 Li Il promet à son peuple un roi dans l'avenir. 4 3 D La tombe est le passage à la terre nouvelle, La mort seule finit, la vie est immortelle. Tels sont les dogmes purs, immuables sacrés; Complétons maintenant les nombres révérés. 4 é 3 Le bon angle est celui qui calme et qui tempère. 4 5 D Le mauvais est l'esprit d'orgueil et de colère. 4 6 17 Dieu commande à la foudre et gouverne le feu. 47 9 Vesper et sa rosée obéissent à Dieu. 8 2 Il place sur nos tours la lune en sentinelle. 4 9 p Son soleil est la source où tout se renouvelle.

. 20 1 Son souffle fait germer la poudre des tombeaux 0

‘112 Où les mortels sans frein descendent par troupeaux. 24 ) 24 ou 11 Sa couronne a couvert le propitiatoire, 22 Et, sur les chérubins il fait planer sa gloire.

A l'aide de cette explication, purement dogmatique, on peut déjà comprendre les figures de

230 D O G M E D E L A H A U T E M A G I E . l'alphabet cabalistique du Tarot. Ainsi la figure n° t, appelée le Bateleur, représente le principe actif dans l'unité de l'autotélie divine et humaine; le n° 2, appelé vulgairement la Papesse, figure l'unité dogmatique fondée sur les nombres, c'est la Cabale ou la Gnose personnifiée; le n° 3 représente la Spiritualité divine sous l'emblème d'une femme ailée qui tient d'une main l'aigle apocalyptique, et, de l'autre, le monde suspendu au bout de son sceptre. Les autres figures sont aussi claires et aussi facilement explicables que ces premières. Venons maintenant aux quatre signes, c'est-àdire aux Bâtons, aux Coupes, aux Épées et aux Cercles ou Pantacles, vulgairement appelés Deniers. Ces figures sont les hiéroglyphes du tétragramme : ainsi, le Bâton, c'est le phallus des Égyptiens ou le jod des Hébreux ; la Coupe, c'est le cteïs ou le hé primitif; l'Épée, c'est la conjonction des deux ou le lingam, figuré dans l'hébreu antérieur à la captivité par le vau , et le Cercle ou Pantacle, image du monde, est le hé final du nom divin. Maintenant, prenons un Tarot et réunissons quatre par quatre toutes les pages formant la Mue ou ROTA de Guillaume Postel; mettons ensemble



LA KABALE.

231

les quatre as, les quatre deux, etc., et nous aurons dix paquets de cartes donnant l'explication hiéroglyphique du triangle des noms divins sur l'échelle du dénaire que nous avons donné plus haut. On pourra donc les lire ainsi, en rapportant chaque nombre au Sephirot correspondant: mn

,

Quatre signes du nom qui contient tous les noms. 4 KETER.

Les quatre as. La couronne de Dieu porte quatre fleurons. 2 Cnocian. Les quatre deux. Sa sagesse s'épanche et forme quatre fleuves. 3 Bina. Les quatre trois. De son intelligence il donne quatre preuves. 4 CESSER. Les quatre quatre. De la miséricorde il est quatre bienfaits.

232

DOGME DE LA HAUTE MAGIE. 5 Elxmnuti. Les quatre cinq.

Sa rigueur quatre fois punit quatre forfaits Tureaarra. Les quatre six. Par quatre rayons purs sa beauté se révèle. 7 Nevaxii. Les quatre sept. 'Célébrons quatre fois sa victoire éternelle. 8 Hou. Les quatre huit. Quatre fois il triomphe en son éternité. 9 Issoo. Les quatre neuf. Sur quatre fondements son trône est supporté. 4 0 MALcuirr. Les quatre dix. Son unique royaume est quatre fois le même Et conforme aux fleurons du divin diadème.

On voit par cet arrangement si simple le sens cabalistique de chaque lame. Ainsi, par exemple,

233 le cinq de bâton signifie rigoureusement geburah de Jod, c'est-à-dire justice du Créateur ou colère de l'homme; le sept de coupe signifie victoire de la miséricorde ou triomphe de la femme ; le huit d'épée signifie conflit ou équilibre éternel ; et ainsi des autres. On peut comprendre ainsi comment s'y prenaient les anciens pontifes pour faire parler cet oracle : les" lames jetées au sort donnaient toujours un sens cabalistique nouveau, mais rigoureusement vrai dans sa combinaison, qui seule était fortuite; et, comme la foi des anciens n'accordait rien au hasard, ils lisaient les réponses de la Providence dans les oracles du Tarot, qu'on appelait chez les Hébreux Théraph ou Théraphims, comme l'a pressenti le premier le savant cabaliste Gaffarel, l'un des magiciens attitrés du cardinal de Richelieu. Quant aux figures, voici un dernier distique pour les expliquer : LA ICABALS.

Roi, Durs,

CAVALIEZ, VALET.

Époux, jeune homme, enfant, toute l'humanité, Par ces quatre échelons, remonte à l'unité.

Nous donnerons à la fin du Rituel d'autres détails et des documents complets sur le merveilleux

23h

DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

livre du Tarot, et nous démontrerons qu'il est le livre primitif, la clef de toutes les prophéties et de tous les dogmes, en un mot le livre inspirateur de livres inspirés, ce que n'ont pressenti ni Court de Gebelin dans sa science, ni Alliette ou Eteilla dans ses singulières intuitions. Les dix séphi rots et les vingt-deux tarots forment ce que les cabalistes appellent les trente-deux voies de la science absolue. Quant aux sciences particulières, ils les divisent en cinquante chapitres, qu'ils nomment les cinquante portes (on sait que porte signifie gouvernement ou autorité chez les Orientaux). Les rabbins divisent aussi la cabale en Bereschit, ou Genèse universelle , et Mercavah, ou chariot d'Ezéchiel ; puis, de deux manières d'interpréter les alphabets cabalistiques ils forment deux sciences, nommées la Gématrie et la Temurah, et en composent l'art notoire, qui n'est autre chose au fond que la science complète des signes du Tarot et leur application complexe et variée à la divination de tous les secrets, soit de la philosophie, soit de la nature, soit terne de l'avenir. Nous en reparlerons au vingtième chapitre de cet ouvrage.

LA CHAINE MAGIQUE.

235

11. 3 L LA CHAINE MAGIQUE.

LA FORCE.

Le grand agent magique que nous avons appelé lumière astrale, que d'autres nomment âme de la terre, que les anciens chimistes désignaient sous les noms d'Azoth et de Magnésie, cette force occulte, unique et incontestable, est la clef de tous les empires, le secret de toutes les puissances, c'est le dragon volant de Médée, le serpent du mystère Édenique ; c'est le miroir universel des visions, le noeud des sympathies, la source des amours, de la prophétie et de la gloire. Savoir s'emparer de cet agent, c'est être dépositaire de la puissance même de Dieu; toute la magie réelle, effective, toute la vraie puissance occulte est là, et tous les livres de la vraie science n'ont d'autre but que de le dé montrer.

Pour s'emparer du grand agent magique deux opérations sont nécessaires : concentrer et projeter; en d'autres termes, fixer et mouvoir.

236

DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

L'auteur de toutes choses a donné pour base et pour garantie au mouvement la fixité; le mage doit agir de même. L'enthousiasmeest contagieux, dit-on. Pourquoi? C'est que l'enthousiasme ne se produit pas sans croyances arrêtées. La foi produit la foi ; croire, c'est avoir une raison de vouloir; -vouloir avec raison, c'est vouloir avec une force, je ne dirai pas infinie, mais indéfinie. Ce qui s'opère dans le inonde intellectuel et moral s'accomplit à plus forte raison dans le monde physique; et, lorsque Archimède demandait un point d'appui pour soulever le monde, il cherchait tout simplement le grand arcane magique. Sur l'un des bras de l'androgyne de Henri Kunrath on lit ce mot : COAGULA, et sur l'autre : Som. Rassembler et répandre sont les deux verbes de la nature; mais comment rassembler, comment répandre la lumière astrale ou l'âme du monde ? On rassemble par l'isolement, et l'on répand au moyen de la chaîne magique. L'isolement consiste pour la pensée dans une indépendance absolue, pour le coeur dans une liberté entière, pour les sens dans une continence parfaite.

LA MAINE btAGIQUIL

237

Tout homme qui a des préjugés et des craintes, tout individu passionné et esclave de ses passions, est incapable de rassembler ou de coaguler, suivant l'expression de Khunrath, la lumière astrale ou l'âme de la terre. Tous les vrais adeptes ont été indépendants jusqu'au supplice, sobres et chastes jusqu'à la mort ; et la raison de cette anomalie, c'est que, pour disposer d'une force, il ne faut pas être pris par cette force de manière qu'elle dispose de vous. Mais alors, vont s'écrier les hommes qui cherchent dans la magie un moyen de contenter merveilleusement les convoitises de la nature, à quoi sert une puissance dont on ne peut pas user pour se satisfaire ? Pauvres gens qui le demandez, si je vous le dis, comment le comprendrez—vous? Les perles ne sont-elles donc rien, parce qu'elles n'ont aucun prix pour le troupeau d'Êpicure? Curtius ne trouvait-il pasplus beau de commander à ceux qui ont de l'or que d'en avoir soi-même ? Ne faut-il pas être un peu plus qu'un homme ordinaire lorsqu'on a la prétention d'être presque Dieu ? D'ailleurs, je regrette de vous affliger ou de vous décourager, mais je n'invente pas ici les hautes sciences; je les enseigne et j'en constate les rigoureuses

238

DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

nécessités, en posant leurs premières et leurs plus inexorables conditions. Pythagore était un homme libre, sobre et chaste; Apollonius de Thyane, Julien-César, ont été des hommes d'un effrayante austérité; Paracelse faisait douter de son sexe, tant il était étranger aux faiblesses amoureuses; Raymond Lulle poussait les rigueurs dela:vie jusqu'à l'ascétisme le plus exalté; Jérôme Cardan exagéra la pratique du jeûne au point de mourir de faim, si l'on en croit la tradition ; Agrippa, pauvre et courant de ville en ville, mourut presque de misère, plutôt que de subir les caprices d'une princesse qui insultait à la liberté de la science. Quel a donc été le bonheur de ces hommes? L'intelligence des grands secrets et la conscience du pouvoir. C'était assez pour ces grandes âmes. Faut-il étre comme eux pour savoir ce qu'ils ont su? Non certainement, et ce livre que j'écris en est peut-ètre la preuve; mais, pour faire ce qu'ils ont fait, il est absolument nécessaire de prendre les moyens qu'ils ont pris. Mais qu'ont-ils réellement fait? Ils ont étonné et subjugué le monde, ils ont régné plus véritablement que des rois. La magie est un instrument de bonté divine ou de diabolique orgueil, mais

LA CHAINE MAGIQUE.

239

c'est la mort des joies de la terre et des plaisirs de la vie mortelle. Alors à quoi bon l'étudier ? diront les viveurs. — Tout simplement pour la connattre, et puis peut-être aussi pour apprendre à se défier de l'incrédulité stupide ou de la crédulité puérile. Hommes de plaisir (et comme moitié de ces hommes-là je compte pour beaucoup de femmes), n'est-ce pas un plaisir très grand que celui de la curiosité satisfaite? Lisez donc sans crainte, vous ne deviendrez pas magiciens malgré vous. D'ailleurs ces dispositions de renoncement absolu ne sont nécessaires que pour établir les courants universels et changer la face du monde; il est des opérations magiques relatives et bornées à un certain cercle, qui ne demandent pas d'aussi héroïques vertus. On peut agir sur les passions par les passions, déterminer les sympathies ou les antipathies, affliger même etguérir, sans avoir la toutepuissance du mage; il faut seulement être prévenu du risque qu'on peut courir d'une réaction proportionnelle à l'action et dont on pourrait facilement être victime. Tout ceci sera expliqué dans le Rituel. Faire la chaîne magique, c'est établir un cou-

DOGME DE LA BRUTE MAGII3.

rant magnétique, qui devient plus fort en raison de l'étendue de la chaîne. Nous verrons dans le Rituel comment ces courants peuvent se produire et quelles sont les différentes manières de former la chaîne. Le baquet de Mesmer était une chaîne magique assez imparfaite; plusieurs grands cercles d'illuminés, dans différents pays du Nord, ont des chaînes plus puissantes. La société même de certains prêtres catholiques célèbres par leur puissance occulte et leur impopularité est établie sur le plan et suivant les conditions des chaînes magiques les plus puissantes, et c'est le secret de leur force, qu'ils attribuent uniquement à la grâce ou à la volonté de Dieu, solution vulgaire et facile de tous les problèmes de force en influence pu en entraînement. Nous aurons à apprécier, dans notre Rituel, la série de cérémonies et d'évocations véritablement magiques qui composent le grand oeuvre de la vocation sous le nom d'exercices de saint Ignace. Tout enthousiasme propagé dans une société, par une suite de communications et de pratiques arrêtées, produit un courant magnétique et se conserve ou s'augmente par le courant. L'action du courant est d'entraîner et d'exalter souvent

LA CRAINS MAGIQUE.

2hi

outre mesure les personnes impressionnables et faibles, les organisations nerveuses, les tempéraments disposés à l'hystérisme ou aux hallucinations. Ces personnes deviennent bientôt de puissants véhicules de la force magique, et projettent avec force la lumière astrale dans la direction môme du courants s'opposer alors aux manifestations de la force, ce serait en quelque manière combattre la fatalité.Lorsque le jeune pharisien Saül ou Schôl vint se jeter, avec tout le fanatisme et tout l'entêtement d'un sectaire, en travers du christianisme envahissant, il se mettait lui-môme, à son insu, à la merci de la puissahce qu'il croyait combattre; aussi fut-il foudroyé par un formidable éclair magnétique, rendu plus instantané sans doute par l'effet combiné d'une congestion cérébrale et d'une brûlure solaire. La conversion du jeune israélite Alphonse de Ratisbonne est un fait contemporain absolument de môme nature. Nous connaissons telle secte d'enthousiastes dont on rit à distance et dans laquelle on s'enrôle malgré soi dès qu'on s'en approche, môme pour la combattre. Je dirai plus, les cercles magiques et les courants magnétiques s'établissent d'eux-mômes et influen-

cent suivant des lois fatales ceux qu'ils soumettent T. I.

16

DOGME DE LA MME MAGIE. à lei action.

Chacun de nous est attiré dans un cercle de relations qui est sou monde et dont il subit l'influence. Jean-Jacques Rousseau, ce législateur de la révolution française, cet homme que la nation la plus spirituelle du monde accepta pomme l'incarnation de la raison humaine, Jean— Jacques Rousseau fut entraîné à la plus triste action de sa vie, l'abandon de ses enfants, par l'influence magnétique d'un cercle de libertins et par un courant magique de table d'hôte. Il le raconte simplement et naïvement dans ses Confessions, et c'est uu fait que personne n'a remarqué. Ce sont les grands cercles souvent qui font les grands bimanes, et réciproquement. Il n'y a pas de génies incompris; il y a des hommes excentriques, et le mot semble avoir été inventé par un adepte. L'homme excentrique en génie est celui qui cherche à se former un cercle en luttant contre la force d'attraction centrale des chaînes et des courants établis. Sa destinée est d'être brisé dans la lutte ou de réussir. Quelle est la double condition de la réussite en pareil cas? Un point central de fixité et une action circulaire persévérante d'initiative. L'homme de génie est celui qui a découvert

une lç i réelle, et qui par conséquent possède une

LA CELINE MAGIQUE. 243

force invincible d'action et de direction. Il peut mourir à l'oeuvre ; mais ce qu'il a voulu s'accomplit malgré sa mort, et souvent même à cause de sa mort : car la mort est une véritable assomption pour le génie. Quand je m'élèverai de terre, disait le plus grand des initiateurs, j'entraînerai tout après moi. La loi des courants magnétiques est celle du mouvement nième de la lumière astrale. Ce mouvement est toujours double et se multiplie en sens contraire. Une grande action prépare toujours une réaction égale, et le secret des grands succès est tout entier dans la prescience des réactions. C'est ainsi que Chateaubriand, inspiré par le dégoût des saturnales révolutionnaires, pressentit et prépara l'immense succès de son Génie du christianisme. S'opposer à un courant qui commence son cercle, c'est vouloir être brisé comme le fut le grand et infortuné empereur Julien ; s'opposer au courant qui a parcouru tout le cercle de son action, c'est prendre la tête du courant contraire. Le grand homme, c'est celui qui arrive à temps et qui sait innover à propos. Voltaire, du temps des apôtres, n'eût pas trouvé d'échos pour sa parole, et n'eût été peut—être qu'un parasite ingénieux des festins

21j4 DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

de Trimalcyon. A l'époque où nous vivons, tout est prêt pour une nouvelle explosion de l'enthousiasme évangélique et d u désintéressement chrétien, précisément à cause du désenchantement universel, du positivisme égoïste et du cynisme public des intérêts les plus grossiers. Le succès de certains livres et les tendances mystiques des esprits sont des symptômes non équivoques de -cette disposition générale. On restaure les églises et l'on en bâtit de nouvelles ; plus on se sent vide de croyances, plus on en espère ; le monde entier attend encore une fois le Messie, et il ne peut tarder à venir. Qu'il se trouve, par exemple, un homme haut placé par son rang ou par sa fortune, un pape, un roi, ou même un juif millionnaire, et que cet homme sacrifie publiquement et solennellement tous ces intérêts matériels au salut de l'humanité, qu'il se fasse le rédempteur des pauvres, le propagateur et même la victime des doctrines de dévouement et de charité, et il se fera autour de lui un concours immense, et il se produira un bouleversement moral complet dans le monde. Mais la haute position du personnage est avant tout nécessaire, car, dans nos temps de misère et de charlatanisme, tout Verbe venu d'en bas estsuspect d'am-

LA CHAINE MAGIQUE.

bition et de fourberie intéressée. Vous donc qui n'êtes rien et qui n'avez rien, n'espérez ètre ni des apôtres ni des messies. Avez-vous la foi et voulezvous agir en raison de votre foi, arrivez d'abord aux moyens d'action, qui sont l'influence du rang et le prestige de la fortune. Autrefois on faisait de l'or avec la science, aujourd'hui il faut refaire la science avec de l'or. On a fixé le volatil, il faut volatiliser le fixe ; en d'autres termes, on a matérialisé l'esprit, il faut venir maintenant à spiritualiser la matière. La parole la plus sublime n'est pas écoutée de nos jours, si elle ne se produit pas sous la garantie d'un nom, c'est-à-dire d'un succès qui représente une valeur matérielle. Combien vaut un manuscrit? Ce que vaut en librairie la signature de l'auteur. La raison sociale Alex. Dumas et C'e, par exemple, représente une des garanties littéraires de notre époque ; mais la maison Dumas ne vaut que pour ces produits habituels : les romans. Que Dumas trouve uue magnifique utopie ou une solution admirable du problème religieux, on ne considèrera ses découvertes que comme des caprices amusants du romancier, et personne ne les prendra au sérieux, malgré la célébrité européenne du Panurge de la littérature moderne. Nous sommes

2/16

DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

dans le siècle des positions acquises : chacun vaut en raison de ce qu'il est socialement et commercialement parlant. La liberté illimitée de la parole a produit un tel conflit de discours, qu'on ne demande plus aujourd'hui : Que dit-on? mais : Qui a dit cela? Si c'est Rothschild, ou sa sainteté Pie IX, ou même monseigneur Dupanloup, c'est quelque chose. Si c'est Tartempion, Tartempion fût-il d'ailleurs (ce qui est possible après tout) un prodige encore ignoré de génie, de science et de bon sens, ce n'est rien. A ceux donc qui me diraient : Si tu as le secret des grands succès et de la force qui peut changer le monde, pourquoi ne t'en sers-tu pas ? je répon drais : Cette science m'est venue trop tard pour moi-même, et j'ai perdu, pour l'acquérir, le temps et les ressources qui m'auraient mis à même, peutêtre, d'en faire usage ; mais je l'offre à ceux qui sont en position de s'en servir. Hommes illustres, riches, grands du monde, qui n'êtes pas satisfaits de ce que vous avez, et qui vous sentez au coeur une ambition plus noble et plus vaste, voulez-vous être les pères d'un monde nouveau, les rois d'une civilisation rajeunie ? Un savant

pauvre et obscur a retrouvé le levier d'Archi-

LACHAÎNEMAGIQUE.

2117

mède, et il vous l'offre pour le seul bien de l'humanité, sans rien vous demander en échange. Les phénomènes qui tout dernièrement ont agité l'Amérique et l'Europe à propos des tables parlantes et des manifestations fluidiques né font autre chose que des courants magnétiques qui commencent à se former, et des sollicitations de la nature qui nous invite, pour le salut de l'humanité, à reconstituer de grandes chaînes sympathiques et religieuses. En effet,. la stagnation de la lumière astrale serait la mort du genre humain, et les torpeurs de cet agent secret se sont déjà manifestées par d'effrayants symptômes de décomposition "et de mort. Le choléra-morbus, par exemple, les maladies des pommes de terre •et du raisin, n'ont pas une autre cause, comme l'ont•obscurément et symboliquement vu en songe les deux pastoureaux de la Saiette. La foi inattendue qu'a trouvée leur récit, et le concours immense de pèlerins déterminé par un récit aussi singulier èt aussi vague que celui de ces deux enfants sans instruction et presque sans moralité sont des preuves de la réalité magnétique du fait et de la tendance fluidique de la terre elle-

même à opérer la guérison de ses habitants.

248 DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

Les superstitions sont instinctives, et tout ce qui est instinctif a une raison d'être dans la nature méme des choses : c'est à cela que les sceptiques de tous les temps n'ont pas assez réfléchi. Nous attribuons donc tous les faits étranges du • mouvement des tables à l'agent magnétique universel, qui cherche une chaîne d'enthousiasmes pour former de nouveaux courants. C'est une force aveugle par elle-même, mais qui peut être dirigée par la volonté des hommes .et qui est influencée par les opinions courantes. Ce fluide universel, si l'on veut que ce soit un fluide, étant le milieu commun de tous les organismes nerveux et le véhicule de toutes les vibrations sensitives, établit, entre les personnes impressionnables, une véritable solidarité physique, et transmet des unes aux autres les impressions de l'imagination et de la pensée. Le mouvement de la chose inerte, déterminé par les ondulations de l'agent universel, obéit donc à l'impression dominante, et reproduit dans ses révélations tantôt toute la lucidité des songes les plus merveilleux, tantôt toute la bizarrerie et tout le mensonge des rêves les plus incohérents et les plus vagues. Les coups frappés sur les meubles, l'agitation

LA CHAINE MAGIQUE.

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bruyante de la vaisselle, les instruments de musique jouant d'eux-mômes, sont des illusions produites par les mômes causes. Les miracles des convulsionnaires de Saint-Médard étaient du môme ordre et semblaient souvent interrompre les lois de la nature. Exagération, d'une part, produite par la fascination qui est l'ivresse spéciale occasionnée par les congestions de lumière astrale; et de l'autre, oscillations ou mouvements réels imprimés à la matière inerte par l'agent universel et subtil du mouvement et de la vié : voilà tout ce qu'il y avait au fond de ces choses si merveilleuses, comme on • pourra facilement s'en convaincre en reproduisant à volonté, par les moyens indiqués au Rituel, les plus étonnants de ces prestiges, et en constatant l'absence, aisément appréciable, de supercherie, d'hallucination ou d'erreur. Il m'est arrivé plusieurs fois, à la suite d'expériences de chatne magique faites avec des personnes sans bonne intention et sans sympathie, d'ètre éveillé en sursaut, la nuit, par des impressions et des contacts véritablement effrayants. Une nuit, entre autres, je sentis réellement la pression d'une

main qui m'étranglait; je me levai, j'allumai ma lampe, et je me mis tranquillement à travailler

250 D O G M E D E L A H A U T E M A G I E . pour utiliser mon insomnie et chasser les fantômes du sommeil. Alors des livres se déplaçaient près de moi avec bruit, les papiers s'agitaient et se frottaient les uns contre les autres, les boiseries craquaient comme si elles allaient se fendre, et des coups sourds étaient frappés dans le plafond. J'observais avec curiosité, mais avec tranquillité, tous ces phénomènes, qui n'en étaient pas moins merveilleux si mon imagination seule en faisait les frais, tant il y avait de réalité dans leurs apparences. D'ailleurs je viens de dire que je n'étais nullement effrayé, et que je m'occupais de toute autre chose que des sciences occultes au moment où ils se ptodhisaient.. C'est par le retour de semblables faits que je fus amené à tenter des expériences d'évocation à l'aide du cérémonial magique des anciens, et que j'obtins les résultats vraiment extraordinaires que je constaterai au treizième chapitre de cet ouvrage.

LE GRAND OEUVRE.

251

12t7 M LE GRAND OEUVRE. DISCITE. CRUZ.

Le grand oeuvre, c'est, avant toute chose, là création de l'homme par lui-même, c'est-à-dire la conquête pleine et entière qu'il fait de ses facultés et de son avenir; c'est surtout l'émancipation parfaité de sa volonté, qui lui assure l'empire universel de l'Azoth et le domaine de la Magnésie, c'est-à-dire un plein pouvoir sur l'agent magique universel. Cet agent magique, que les anciens philosophes hermétiques ont déguisé sous le nom de matière première, détermine des formes de la substance modifiable, et l'on peut réellement arriver par son moyen à la transmutation métallique et à la médecine universelle. Ceci n'est pas une hypothèse, c'est un fait scientifique déjà éprouvé et rigoureusement démontrable. Nicolas Flamel et Raymond Lulle, pauvres tous deux, ont évidemment distribué des richesses immenses. Agrippa n'est jamais arrivé qu'à la pre-

252 DOGME DE LA HAUTE MAGIE. mière partie du grand oeuvre, et il est mort à la peine, luttant pour se posséder uniquement luimème et fixer son indépendance. Il y a donc deux opérations hermétiques : l'une spirituelle, l'autre matérielle, et qui dépendent l'une de l'autre. Toute la science hermétique est d'ailleurs contenue dans le titisme d'Hermès gravé primitivement, dit-on, sur une table d'émeraude. Nous en avons déjà expliqué les premiers articles ; voici ceux qui se rapportent à l'opération du grand oeuvre : « Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l'épais, doucement, avec grande industrie. » Il monte de la terre au ciel, et derechef il descend en terre, et il reçoit la force des choses supérieures et inférieures. » Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde , et pour cela toute obcurité s'enfuira de toi. » C'est la force forte de toute force, car elle vaincra toute chose subtile et pénétrera toute chose solide. » Ainsi le monde a été créé. »

LE GRAND OEUVRE.

253 Séparer le subtil de l'épais, dans la première opération, qui est tout intérieure, c'est affranchir son âme de tout préjugé et de tout vice : ce qui se fait par l'usage du sel philosophique, c'est-à-dire de la sagesse; du mercure, c'est-à--dire de l'habileté personnelle et du travail ; puis enfin du soufre, qui représente l'énergie vitale et la chaleur de la volonté. On arrive par ce moyen à changer en or spirituel les choses mème les moins précieuses, et jusqu'aux immondices de la terre. C'est en ce sens qu'il faut entendre les paraboles de la tourbe des philosophes, de Bernard le Trévisan, de Basile Valentin, de Marie l'Égyptienne et des autres prophètes de l'alchimie ; mais dans leurs oeuvres, comme dans le grand oeuvre, il faut séparer habilement le subtil de l'épais, le mystique du positif, l'allégorie de la théorie. Si on veut les lire avec plaisir et avec intelligence, il faut d'abord les entendre allégoriquement dans leur entier:, puis descendre des allégories aux réalités par la voie des correspondances ou analogies indiquées dans le dogme unique: Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, et réciproquement. Le mot ART retourné, ou lu à la manière des écritures sacrées et primitives, c'est-à-d ire de droite

DOGME DE IIAUtE MAGIE.

à gauche, exprime, par trois initiales, les différents degrés du grand oeuvre. T signifie ternaire, théorie et travail ; R, réalisation; A, adaptation. Nous donnerons, au douzième chapitre du Rituel, les recettes des grands maîtres pour l'adaptation, et spécialement celle qui est contenue dans la forteresse hermetique d'Henri Khunrath. Nous signalons ici aux recherches de nos lecteurs uu admirable traité attribué à Hermès Trismégiste, et qui porte le titre de illinerva mundi. Ce traité se trouve seulement dans quelques éditions d'Hermès, et contient, sous des allégories pleines de poésie et de profondeur, le dogme de la création des êtres par eux—mêmes, ou de la loi de création qui résulte de l'accord de deux forces, de celles que les alchimistes appelaient le fixe

a le

volatil, et qui sont, dans l'absolu, la nécessité et la liberté. On y explique la diversité des formes répand ues dans la nature par la diversité des esprits, et les monstruosités par la divergence des efforts. La lecture et la méditation de cet ouvrage sont indispensables à tous les adeptes qui veulent approfondir les mystères de la nature et se livrer sérieusement à la recherche du grand oeuvre. Quand les maîtres en alchimie disent qu'il faut

LE GRAND OEUVItE.

255

peu de temps et peu d'argent pour accomplir les oeuvres de la science, lorsqu'ils affirment surtout qu'un seul vase est nécessaire, lorsqu'ils parlent du grand et unique athanor que tous peuvent mettre en usage, qui est sous la main de tout le monde et que les hommes possèdent sans le savoir, ils font allusion à l'alchimie philosophique et morale. En effet , une volonté forte et décidée peut arriver en peu de temps à l'indépendance absolue, et nous possédons tous l'instrument chimique, le grand et unique athanor qui sert à séparer le subtil de l'épais et le fixe du volatil. Cet instrument, complet comme le monde, et précis comme les mathématiques elles—mêmes, est désigné par les sages sous l'emblème du pentagrarnme ou de l'étoile à cinq pointes, qui est le signe absolu de l'intelligence humaine. J'imiterai les sages en ne les nommant point : il est trop facile de le deviner. 4a figure du Tarot qui correspond à ce chapitre a été mal comprise par Court 'de Gebelin et par Eteilla, qui ont cru y voir seulement une erreur commise par un cartier allemand. Cette figure représente un homme, les mains liées derrière le dos, deux sacs d'argent attachés aux aisselles, et pendu par un pied à une potence composée de deux .

256 DOGME DE LA HAUTE MAGIE. troncs d'arbre ayant chacun la racine de six branches coupées et d'une traverse complétant la figure du Tau hébreu n ; les jambes du patient sont croisées et ses coudes forment un triangle avec sa tète. Or le triangle surmonté d'une croix signifie, en alchimie, la fin et la perfection du grand oeuvre, signification identique avec celle de la lettre n , qui est la dernière de l'alphabet sacré. Ce pendu c'est donc l'adepte, lié par ses engagements, spiritualisé ou les pieds tournés vers le ciel ; c'est aussi l'antique Prométhée, subissant dans une torture immortelle la peine de son glorieux larcin. C'est vulgairementJudas le trattre, et son supplice menace les révélateurs du grand arcane. Enfin, pour les cabalistes juifs, ce pendu, qui correspond à leur douzième dogme, celui du Messie promis, est une protestation contre le Sauveur reconnu par les chrétiens, et ils semblent lui dire encore: Comment sauverais-tu les autres, toi qui n'as pu te sauver toi-mêm e ? Dans le Sepher-Toldos-Jeschu, compilation rabbinique antichrétienne, on trouve une singulière parabole : Jeschu, dit le rabbin auteur de la légende, voyageait avec Simon Barjona et Judas l'Iscariote. Ils arrivèrent tard et fatigués à une .

257

LE GRAND OEUVRE.

maison isolée ; ils avaient très faim et ne trouvèrent à manger qu'une jeune oie fort petite et très maigre. C'était trop peu pour trois personnes; la partager t'eût été aiguillonner seulement la faim sans la satisfaire. Ils convinrent de la tirer au sort; mais, comme ils tombaient de sommeil : Allons dormir d'abord, dit Jeschu, pendant qu'on préparera le souper; à notre réveil nous nous raconterons nos songes, et celui qui aura fait le plus beau rêve mangera tout seul la petite oie. Ainsi fut fait. Ils dorment et se réveillent. Moi, dit saint Pierre, j'ai rêvé que j'étais le vicaire de Dieu. Moi, dit Jeschu, que j'étais Dieu même. Et moi, reprit hypocritement Judas, j'ai rêvé qu'étant somnambule je me relevais, je descendais doucement, je retirais l'oie de la broche et je la mangeais. Là-dessus on descendit; mais l'oie avait effectivement disparu : Judas avait rêvé tout éveillé (I). Cette légende est une protestation du positivisme juif contre le mysticisme chrétien. En effet, pendant que les croyants se livraient à de beaux rêves, (4) Cette anecdote se trouve, non dans le texte même du Sepher Toldos Jeschut, mais dans les commentaires rabbiniques de cet ouvrage. T. 1.

17

258 DOGME DE LA DAME MAGIE. l'Israélite proscrit, le Judas de la civilisation chrétienne, travaillait, vendait, agiotait, devenait riche, s'emparait des réalités de la vie présente, et se mettait en mesure de prêter des moyens d'existence aux cultes mêmes qui l'avaient si longtemps proscrit. Les anciens adorateurs de l'arche, restés fidèles au culte du coffre-fort, ont maintenant la Bourse pour temple, et c'est de là qu' ils gouvernent le monde chrétien. Judas peut, en effet, rire et se féliciter de n'avoir pas dormi comme saint Pierre. Dans les anciennes écritures antérieures à la captivité, le Tau hébreu a la figure d'une croix, cé qui confirme encore notre interprétation de la douzième lame du Tarot cabalistique. La croix, génératrice de quatre triangles, est aussi le signe sacré du Duodénaire, et lesÉgyptiens l'appelaient, pour cela même, la clé du ciel. Aussi Eteilla, embarrassé dans ses longues recherches pour concilier les nécessités analogiques de la figure avec son opinion personnelle (il avait subi en cela l'influence du savant Court de Gebelin), a-t-il placé dans la main de son pendu redressé, dont il a fait la Prudence, un caducée hermétique formé de deux serpents et d'un Tau grec. Puisqu'il avait compris la nécessité du Tau ou de la croix, à la douzième page

L GRAND ARUM.

du livre de THOT, il aurait dit comprendre le multiple et magnifique symbole du pendu hermétique, le Prométhée de la science, l'homme vivant qui ne touche la terre que par la pensée et dont la base est au ciel, l'adepte libre et sacrifié, le révélateur menacé de mort, la conjuration du judaïsme contre le Christ, qui semble être un aveu involontaire de la divinité occulte du crucifié, le signe enfin de l'oeuvre accomplie, du cycle terminé, le Tau intermédiaire, qui résume, une première fois, avant le dernier denaire, les signes de l'alphabet sacré.

260

DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

13 /à N. LA NÉCROMANCIE. EX IPSIS. MORS.

Nous avons dit que dans la lumière astrale se conservent les images des personnes et des choses. C'est aussi dans cette lumière qu'on peut évoquer les formes de ceux qui ne sont plus dans notre monde, et c'est par son moyen que s'accomplissent les mystères aussi contestés que réels de la nécromancie. Les cabalistes qui ont parlé du monde des esprits ont simplement raconté ce qu'ils ont vu dans leurs évocations. Éliphas Lévi Zahed (I), qui écrit ce livre, a évoqué, et il a vu. Disons d'abord ce que les mattres ont écrit de leurs visions ou de leurs intuitions dans ce qu'ils appelaient la lumière de gloire. On lit dans le livre hébreu de la Révolution des (4) Ces noms hébreux, traduits en français, sont AlphonseLouis Constant.

LA NÉCROMANCIE.

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cimes qu'il y a des âmes de trois sortes: les filles

d'Adam, les filles des anges et les filles du péché. Il y a aussi, suivant le mème livre, trois sortes d'esprits : les esprits captifs, les esprits errants et les esprits libres. Les âmes sont envoyées par couples. Il y a pourtant des âmes d'hommes qui naissent veuves, et dont les épouses sont retenues captives par Lilth et par Nemah, les reines des stryges : ce sont les âmes qui ont à expier la témérité d'un voeu de célibat. Ainsi, lorsqu'un homme renonce dès l'enfance à l'amour des femmes, il rend esclave des démons de la débauche l'épouse qui lui était destinée. Les âmes croissent et se multiplient dans le ciel ainsi que les corps sur la terre. Les âmes immaculées sont les filles des baisers des anges. Rien ne peut entrer dans le ciel que ce qui vient du ciel. Après la mort, donc, l'esprit divin qui animait l'homme retourne setil au ciel, et laisse sur la terre et dans l'atmosphère deux cadavres : l'un terrestre et élémentaire, l'autre aérien et sidéral; l'un inerte déjà, l'autre encore animé par le mouvement universel de l'âme du monde, mais destiné à mourir lentement, absorbé par les puissances astrales qui l'ont produit. Le cadavre ter•

(52 DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

restre est visible : l'autre est invisible aux yeux des corps terrestres et vivants, et ne peut être aperçu une par les applications de la lumière astrale au translucide, qui communique ses impressions au système nerveux, et affecte ainsi l'organe de la vue jusqu'à lui faire voir les formes qui sont conservées et les paroles qui sont écrites au livre de la lumière vitale. Lorsque l'homme a bien vécu, le cadavre astral s'évapore comme un encens pur en montant vers les régions supérieures; mais si l'homme a vécu dans le crime, son cadavre astral, qui le retient prisonnier, cherche encore les objets de ses passim et veut se reprendre à la vie. Il tourmente les songes des jeunes filles, se baigne dans la vapeur du sang répandu, et se traîne autour des endroits où se sont écoulés les plaisirs de sa vie; il veille encore sur les trésors qu'il a possédés et enfouis ; il s'épuise en efforts douloui.eux, pour se faire des organes matériels et revivre. Mais les astres l'aspirent et le boivent ; il sent son intelligence s'affaiblir, sa mémoire se perdre lentement, tout son être se dissoudre... Ses anciens vices lui apparaissent et le poursuivent sous des figures monstrueuses; ils l'attaquent et le dévorent... Le malheureux perd •

LA NÉCROMANCIE.

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ainsi successivement tous les membres qui ont servi à ses iniquités; puis il meurt pour la seconde fois et pour jamais, car il perd alors sa personnalité et sa mémoire. Les âmds qui doivent vivre, mais qui ne sont pas encore entièrement purifiées, restent plus ou moins longtemps captives dans le cadavre astral', ou elles sont brûlées par la lumière odique qui cherche à se l'assimiler et à le dissoudre. C'est pour se dégager de ce cadavre que les âmes souffrantes entrent parfois dans les vivants, et y demeurent dans un état que les cabalistes appellent embryonnat. Ce sont ces cadavres aériens qu'on évoque par la nécromancie. Ce sont des larves, des substances mortes ou mourantes, avec lesquelles on se met en rapport; elles ne peuvent ordinairement parler que par le tintement de nos oreilles produit par l'ébranlement nerveux dont j'ai parlé, et ne raisonnent ordinairement qu'en réfléchissant ou nos pensées ou nos rêves. Mais pour voir ces formes étranges, il faut se mettre dans un état exceptionnel , qui tient du sommeil et de la mort, c'est-à-dire qu'il faut se magnétiser soi-même et arriver à une sorte de somnambulisme lucide et éveillé. La nécromancie

264 D OG ME DE LA H A UT E MA GiE . obtient donc des résultats réels, et les évocations de la magie peuvent produire des visions véritables. Nous avons dit que, dans le grand agent magique, qui est la lumière astrale, e conservent toutes les empreintes des choses, toutes les images formées, soit par les rayons, soit par les reflets ; c'est dans cette lumière que nous apparaissent nos songes, c'est cette lumière qui enivre les aliénés et entraîne leur jugement endormi à la poursuite des fantômes les plus bizarres. Pour voir sans illusions dans cette lumière, il faut écarter les reflets par une volonté puissante, et n'attirer à soi que les rayons. Rêver tout éveillé, c'est voir dans la luinière astrale; et les orgies du sabbat, racontées par tact de sorciers dans leurs jugements criminels, ne se présentaient pas à eux d'une autre manière. Souvent les préparations et les substances employées pour parvenir à ce résultat étaient horribles, comme nous le verrons dans le Rituel ; mais les résultats n'étaient jamais douteux. On voyait, on entendait, on touchait les choses les plus abominables, les plus fantastiques, les plus impossibles. Nous reviendrons sur ce sujet dans notre quinzième chapitre;

nous ne nous occupons ici que de l'évocation des morts.

265 Au printemps de l'année 185/i, j'étais allé à Londres pour échapper à des chagrins d'intérieur et me livrer, sans distraction, à la science. J'avais des lettres d'introduction pour des personnages éminents et curieux de révélations du monde surnaturel. J'en vis plusieurs, et je trouvai en eux, avec beaucoup de politesse, un grand fond d'indifférence ou de légèreté. On me demandait tout d'abord des prodiges comme à un charlatan . J'étais un peu découragé, car, à vrai dire, loin d'ôtre disposé à initier les autres aux mystères de la magie cérémonielle, j'en avais toujours craint, pour moimôme, les illusions et les fatigues ; d'ailleurs ces cérémonies exigent un matériel dispendieux et difficile à rassembler. Je me renfermais donc dans l'étude de la haute Cabale, et je ne songeais plue aux adeptès anglais, lorsqu'un jour , en rentrant à mon hôtel, je trouvai un pli à mon adresse. Ce pli contenait la moitié d'une carte coupée transversalement, et sur laquelle je reconnus tout d'abord le caractère du sceau (le Salomon, et un papier fort petit sur lequel était écrit au crayon : « Demain, à trois heures, devant l'abbaye de Westminster, on vous présentera l'autre moitié de cette carte. » Je me rendis à ce singulier rendez-vous. Une voiture LA NÉCROMANCIE.

266 DOGME DE LA. HAUTE MAGIE. stationnait sur la place. Je tenais, sans affectation, mon fragment de carte à la main ; un domestique s'approcha de moi et me fit signe en m'ouvrant la portière de la voiture. Dans la voiture était une dame en noir, dont le chapeau était recouvert d'un voile très épais; elle me fit un signe de monter près d'elle, en me montrant l'autre moitié de la carte que j'avais reçue. La portière se referma, la voiture roula; et, la dame ayant relevé son voile, je pus voir que j'avais affaire à une personne âgée, ayant sous des sourcils gris des yeux noirs extrêmement vifs et d'une fixité étrange. « Sir, me ditelle, avec un accent anglais très prononcé, je sais que la loi du secret est rigoureuse entre les adeptes; une amie de sir B' Ln*, qui vous a vu, sait qu'on vous a demandé des expériences, et que vous avez refusé de satisfaire cette curiosité. Peut-ètie n'aviezvous pas les choses nécessaires : je veux vous montrer un cabinet magique complet ; mais je vous demande, avant tout, le plus inviolable secret. Si vous ne me faites pas cette pronese sur l'honneur, je vais donner ordre qu'on vous reconduise chez vous. » Je fis la promesse qu'on exigeait de moi, et j'y suis fidèle en ne disant ni le nom, ni la qualité, ni la demeure de cette dame, que je recon-

267 nus bientôt pour une initiée, non pas précisément du premier ordre, mais d'un grade très élevé. Nous eilmes plusieurs longues conversations, pendant lesquelles elle insistait toujours sur la nécessité des pratiques pour compléter l'initiation. Elle me montra une collection de vêtements et d'instruments magique, me prêta même quelques livres curieux qui me manquaient; bref, elle me détermina à tenter chez elle l'expérience d'une évocation complète, à laquelle je me préparai pendant .vingt et un jours, en observant scrupuleusement les pratiques indiquées au treizième chapitre du Rituel. Tout était terminé le 2/1 juillet, il s'agissait d'évoquer le fantôme du divin Apollonius et de l'interroger sur deux secrets : l'un qui me concernait moi-même, l'autre qui intéressait çette dame. Elle avait (l'abord compté assister à l'évocation avec une personne de confiance; niais, au dernier moment, cette personne eut peur, et, comme le ternaire ou l'unité est rigoureusement requise pour les rites magiques, je fus laissé seul. Le cabinet préparé pour l'évocation était pratiqué dans une tourelle : on y avait disposé quatre miroirs concaves, une sorte d'autel, dont le dessus de marbre blanc était entouré d'une chaîne de fer aimanté. LA NÉCROMANCIE.

268

DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

Sur le marbre blanc était gravé et doré le signe du pentagramme, tel qu'il est représenté à la page 105 de cet ouvrage ; et le même signe était tracé, en diverses couleurs, sur une peau d'agneau blanche et neuve qui était tendue sous l'autel. Au centre de la table de marbre il y avait un petit réchaud de cuivre avec du charbon de bois d'aulne et de laurier; un autre réchaud était placé devant moi sur un trépied. J'étais vêtu d'une robe blanche assez semblable aux robes de nos prêtres catholiques, mais plus ample et plus longue , et je portais sur la tête une couronne de feuilles de verveine entrelacées dans une chaîne d'or. D'une main je tenais une épée neuve et de l'autre le Rituel. J'allumai les deux feux avec les substances requises et préparées, et je commençai, à voix basse d'abord, puis en élevant la voix par degrés, les invocations du Rituel. La fumée s'étendit, la flamme fit vaciller tous les objets qu'elle éclairait, puis elle s'éteignit. La fumée s'élevait blanche et lente sur l'autel de marbre, il me sembla sentir une secousse de tremblement de terre, les oreilles nie tintaient et le coeur me battait avec force. Je remis quelques branches et des parfums sur les réchauds, et lors-. que la flamme s'éleva , je vis distinctement, devant

LA NÉCROMANCIE.

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l'autel, une figure d'homme plus grande que nature, qui se décomposait et s'effaçait. Je recommençai les évocations, et je vins me placer dans un cercle que j'avais tracé d'avance entre l'autel et le trépied : je vis alors s'éclaicir peu à peu le fond du miroir qui était en face de moi, derrière l'autel, et une forme blanchâtre s'y dessina, grandissant et semblant s'approcher peu à peu. J'appelai trois fois Apollonius en fermant les yeux; et, lorsque je les rouvris, un homme était devant moi, enveloppé tout entier d'une sorte de linceul, qui me sembla être gris plutôt que blanc; sa figure était maigre, triste et sans barbe, ce qui ne se rapportait pas précisément à l'idée que je me faisais d'abord d'Apollon ius. J'éprouvai une sensation de froid extraordinaire, et, lorsque j'ouvris la bouche pour interpeller le fantôme, il me fut impossible d'articuler un son. Je mis alors la main sur le signe du pentagramme, et je dirigeai vers lui la pointe de l'épée, en lui commandant mentalement, par ce signe, de ne point m'épouvanter et de m'obéir. Alors, la forme devint plustonfuse, et il disparut tout à coup. Je lui commandai de revenir : alors je sentis passer près de moi comme un souffle, et, quelque chose m'ayant touché la main qui tenait l'épée, j'eus immédiate-

270 D O G M E D E L A H A U T E M A G I E . ment le bras engourdi jusqu'à l'épaule. Je crus comprendre que cette épée offensait l'esprit, et je la plantai par la pointe dans le cercle auprès de moi. La figure humaine reparut aussitôt; mais je sentis un si grand affaiblissement dans mes menit bres et une si prompte défaillance s'emparer de moi, que je fis deux pas pour m'asseoir. Dès que je fus assis, je tombai dans un assoupissement profond et accompagné de rêves, dont il ne me resta, quand je revins à moi, qu'un souvenir confus et vague. J'eus pendant plusieurs jou rsle bras engourdi et douloureux. La figure ne m'avait point parlé, mais il me sembla que les questions que j'avais à lui faire s'étaient résolues d'elles-mômes dans mon esprit. A celle de la dame, une voix intérieure répondait en moi : Mort (il s'agissait d'un homme dont elle voulait savoir des nouvelles)! Quant à moi, je voulais savoir si le rapprochement et le pardon seraient possibles entre deux personnes auxquelles je pensais, et le même écho intérieur répondait impitoyablement : Mortes! Je raconte ici les faits tels qu'ils se sont passés, je ne les impose à la foi de personne. L'effet de cette expérience sur moi fut quelque chose d'inexplicable. Je n'étais plus le même homme, quelque chose

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d'un autre monde avait passé en moi ; je n'étais plus ni gai, ni triste, mais j'éprouvais un singulier attrait pour la mort, sans être, cependant, aucunement tenté de recourir au suicide. J'analysai soigneusement ce que j'avais éprouvé; et, malgré une répugnance nerveuse très vivement sentie, je réitérai deux fois, à quelques jours seulement de distance, la même épreuve. Le récit des phénomènes qui se produisirent différerait trop peu de celui-ci pour que je doive l'ajouter à cette narration, déjà peut-être un peu longue. Mais le résultat de ces deux autres évocations fut pour moi la révélation de deux secrets cabalistiques, qui pourraient, s'ils étaient connus de tout le monde, changer en peu de temps les baseset les lois de la société tout entière. Conclurai-je de ceci que j'ai réellement évoqué, vu et touché le grand Apollonius de Thyanes? Je ne suis ni assez halluciné pour le croire, ni assez peu sérieux pour l'affirmer. L'effet des préparations, des parfums, des miroirs, des pantacles, est une véritable ivresse de l'imagination, qui doit agir vivement sur une personne déjà impressionnable et

nerveuse. Je n'explique pas par quelles lois physiologiques j'ai vu et touché; j'affirme seulement

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

que j'ai vu et que j'ai touché, que j'ai vu clairement et distinctement, sans rêves, et cela suffit pour croire à l'efficacité réelle des cérémonies magiques. J'en crois, d'ailleurs, la pratique dangereuse et nuisible; la santé, soit morale, soit physique, ne résisterait pas à de semblables opérations si elles devenaient habituelles. La dame âgée dont je parle, et dont j'ai eu depuis à me plaindre, en était une preuve : car, malgré ses dénégations, je ne doute pas qu'elle n'ait l'habitude de la nécromancie et de la goëtie. Elle déraisonnait quelquefois complétement, se livrait d'autres fois à des colères insensées, dont elle avait peine à bien déterminer l'objet. J'ai qui Sté Londres sans l'avoir revue, et je garderai fidèlement l'engagement que j'ai pris de ne rien dire à qui que ce soit qui puisse la faire connattre ou donner même l'éveil sur des pratiques, auxquelles elle se livre sans doute à l'insu de sa famille, qui est, à ce que je suppose, assez nombreuse et d'une position fort honorable. 11 y a des évocations d'intelligence, des évocations d'amour et des évocations de haine; mais rien ne prouve, encore une fois, que les esprits quittent réellement les sphères supérieures pour

273 s'entretenir avec nous, et le contraire même est plus probable. Nous évoquons les souvenirs qu'ils ont laissés dans la lumière astrale, qui est le réservoir commun du magnétisme universel. C'est dans cette lumière que l'émpereur Julien vit autrefois apparattre les dieux, mais vieux, malades et décrépits: preuve nouvelle de l'influence des opinions courantes et accréditées sur les refletsde ce même agent magique qui fait parler les tables et répond en frappant contre les murailles. Depuis l'évocation dont j'ai parlé tout à l'heure, j'ai relu avec soin la vie d'Apollonius, que les historiens nous représentent comme un idéal de beauté et d'élégance antique. J'y ai remarqué qu'Apollonius, vers la fin de sa vie, fut rasé et tourmenté longtemps en prison. Cette circonstance, que j'avais sans doute retenue autrefois sans y penser depuis pour m'en souvenir, aura peut—être déterminé la forme peu attrayante de ma vision, que je considère uniquement comme le rêve volontaire d'un homme éveillé. J'ai vu deux autres personnages, qu'il importe peu de nommer, et toujours différentà, par leur costume et par leur aspect, de ce que je m'attendais à voir. Je recommande, d'ailLA NÉCROMANCIE.

leurs, la plus grande réserve aux personnes qui T. i.

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voudraient se livrer à de semblables expériences : il en résulte de grandes fatigues et souvent même des ébranlements assez anormaux pour occasionner des maladies. Je ne terminerai pas ce chapitre sans signaler ici l'opinion assez étrange de certains cabalistes qui distinguent la mort apparente de la mort réelle, et croient qu'elles viennent rarement ensemble. A leur dire, la plupart des personnes qu'on enterre seraient vivantes, et beaucoup d'autres, qu'on croit vivantes, seraient mortes. La folie incurable, par ,exemple, serait pour eux une mort incomplète, mais réelle, qui laisse le corps terrestre sous la direction purement instinctive du corps sidéral. Lorsque l'âme humaine subit une violence qu'elle ne peut supporter, elle se séparerait ainsi du corps, et laisserait à sa place l'âme animale ou le corps sidéral, ce qui fait de ces restes humains quelque chose de moins vivant en quelque sorte que l'animal lui-même. On reconnaît, disent-ils, les morts de cette espèce à l'extinction complète du sens affectueux et moral; ils ne sont pas méchants, ils ne sont pas bons : ils sont morts. Ces êtres, qui sont les champignons vénéneux de l'espèce humaine, absorbent autant qu'ils

LA NÉCROMANCIE.

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peuvent la vie des vivants; c'est pourquoi leur approche engourdit l'âme et donne froid au coeur. Ces êtres cadavéreux, s'ils existaient, réaliseraient tout ce qu'on affirmait autrefois des brucolaques et des vampires. N'est-il pas des êtres près desquels on se sent moins intelligent, moins bon, quelquefois môme moins honnête ? N'en est-il pas dont l'approche éteint toute croyance et tout enthousiasme, qui vus lient à eux par vos faiblesses, vous dominent par vos mauvais penchants, et vous font lentement mourir au moral, dans un supplice pareil à celui de Mezence ? Ce sont des morts, que nous prenons pour des vivants; ce sont des vampires, que nous prenons pour des amis I

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1.4 O. ]

LES TRANSMUTATIONS. PUERA LIME. SEXPITERNUII. AVEILIUK.

Saint Augustin doute sérieusement qu'Apulée ait pu être changé en âne par une sorcière de Thessalie. De% théologiens ont disserté longuement sur la transmutation de Nabuchodonosor en bête sauvage. Cela prouve simplement que l'éloquent docteur d'Hippone ignorait les arcanes magiques, et que les théologiens en question n'étaient pas très avancés en exégèse. Nous avons à examiner, dans ce chapitre, des merveilles bien autrement incroyables, et incontestables pourtant. Je veux parler de la lycanthropie ou de la transformation nocturne des hommes en loups, si célèbre dans les veillées de nos campagnes, par les histoires de loups-garous ; histoires si bien avérées, que, pour les expliquer, la science incrédule a recours à des manies furieuses et à des travestissements en animaux. Mais de pareilles hypothèses sont puériles

LES TRANSMUTATIONS.

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et n'expliquent rien. Cherchons ailleurs le secret des phénomènes observés à ce sujet, et constatons d'abord : 1° Que jamais personne n'a été tué par un loupgarou, si ce n'est par suffocation, sans effusion de sang et sans blessures ; 2° Que les loups-garous traqués, poursuivis, blessés nième, n'ont jamais été tués sur place. 3° Que les personnes suspectes de ces transformations ont été toujours retrouvées chez elles, après la chasse au loup-garou, plus ou moins blessées, quelquefois mourantes, mais toujours dans leur forme naturelle. Maintenant constatons des phénomènes d'un autre ordre. Rien au monde n'est mieux attesté et plus incontestablement prouvé que la présence visible et réelle du P. Alphonse de Liguori près du pape agonisant, tandis que le tnème personnage était observé chez lui, à une grande distance de Rome, en prière et en extase. La présence simultanée du missionnaire François Xavier en plusieurs endroits à la fois n'a pas été moins rigoureusement constatée. On dira que ce sont là des miracles; nous répon-

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

drons que les miracles, lorsqu'ils sont réels, sont tout simplement des phénomènes pour la science. Les apparitions de personnes qui nous sont chères coïncidant avec le moment de leur mort sont des phénomènes du même ordre et attribuables à la même cause. Nous avons parlé du corps sidéral qui est l'intermédiaire entre l'âme et le corps matériel. Ce corps reste éveillé souvent pendant que l'autre sommeille, et se transporte avec la pensée dans tout l'espace qu'ouvre devant lui l'aimantation universelle. Il allonge ainsi sans la briser la chaîne sympathique qui le retient attaché à notre coeur et à notre cerveau, et c'est ce qui rend si dangereux le réveil en sursaut pour les personnes qui rêvent. En effet, une commotion trop forte peut rompre tout à coup la chaîne, et occasionner subitement la mort. La forme de notre corps sidéral est conforme à l'état habituel de nos pensées, et modifie, à la longue, les traits du corps matériel. C'est pour cela que Swedenborg, dans ses intuitions somnambuliques, voyait souvent des esprits en forme de divers animaux. Osons dire maintenant qu'un loup-garou n'est

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autre chose que le corps sidéral d'un homme, dont le loup représente les instincts sauvages et sanguinaires, et qui, pendant que son fantôme se promène ainsi dans les campagnes, dort péniblement dans son lit et rêve qu'il est un véritable loup. Ce qui rend le loup-garou visible , c'est la surexcitation presque somnambulique causée par la frayeur chez ceux qui le voient, ou la disposition, plus particulière aux personnes simples de la campagne, de se mettre en communication directe avec la lumière astrale, qui est le milieu commun des visions et des songes. Les coups portés au loupgarou blessent réellement la personne endormie par congestion odique et sympathique de la lumière astrale, par correspondance du corps immatériel avec le corps matériel. Bien des personnes croiront rêver en lisant de pareilles choses, et nous demanderont si nous sommes bien éveillé; mais nous prierons seulement les hommes de science de réfléchir aux phénomènes de la grossesse et aux influences de l'imagination des femmes sur la forme de leur fruit. Une femme qui avait assisté au supplice d'un homme qu'on rouait vif accoucha d'un enfant dont tous les membres étaient rompus.

280 D O G M E D E L A H A U T E M A G I E . Qu'on nous explique comment l'impression produite sur l'âme de la mère par un horrible spectacle pouvait atteindre et briser les membres de l'enfant, et nous expliquerons comment les coups portés et reçus en rêve peuvent briser réellement et blesser même grièvement le corps de celui qui tes reçoit en imagination, surtout quand son corps est souffrant et soumis à des influences nerveuses et magnétiques. C'est à ces phénomènes et aux lois occultes qui les produisent qu'il faut rapporter les effets de l'envoûtement, dont nous aurons à parler. Les obsessions diaboliques, et la plupart des maladies nerveuses qui affectent le cerveau, sont des blessures faites à l'appareil nerveux par la lumière astrale pervertie, c'est-à-dire absorbée ou projetée dans des proportions anormales. Toutes les tensions extraordinaires et extranaturelles de la volonté disposent aux obsession set aux maladies nerveuses; le célibat forcé, l'ascétisme, la haine, l'ambition, l'amour repoussé, sont autant de principes générateurs de formes et d'influences infernales. Paracelse dit que le sang régulier des femmes engendre des fantômes dans l'air ; les couvents, à ce point de vue, seraient le séminaire des cauchemars, et l'ou

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pourrait comparer les diables à ces têtes de l'hydre de Lerne, qui renaissaient sans fin et se multipliaient par le sang même de leurs blessures. Les phénomènes de la possession des Ursulines de Loudun, si fatale à Urbain Grandier, ont été méconnus. Les religieuses étaient réellement possédées d'hystérie et d'imitation fanatique des pensées secrètes de leurs exorcistes, transmises à leur système nerveux par la lumière astrale. Elles recevaient l'impression de toutes les haines que ce malheureux prêtre avait soulevées contre lui, et cette communication tout intérieure leur paraissait à elles-mêmes diabolique et miraculeuse. Ainsi dans cette malheureuse affaire tout le monde était de bonne foi, jusqu'à Laubardemont, qui, en exécutant aveuglément les sentences préjugées par le cardinal de Richelieu , croyait accomplir en même temps les devoirs d'un véritable juge, et se soupçonnait d'autant moins lui-même d'être un valet de Ponce-Pilate, qu'il lui était moins possible de voir dans le curé, esprit fort et libertin; de SaintPierre-du-Marché, un disciple du Christ et un martyr. La possession des religieuses de Louviers n'est guère qu'une copie de celles de Loudun : les dia-

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bles inventent peu et sont plagiaires les uns des autres. Le procès de Gaufridi et de Magdeleine de la Palud porte un caractère plus étrange. Ici ce sont les victimes qui s'accusent elles-mêmes. Gaufridi se reconnaît coupable d'avoir ôté à plusieurs femmes, par un simple souffle dans les narines, la liberté de se défendre contre les séductions. Une jeune et bel, fille, de famille noble, insufflée par lui, raconte, dans les plus grands détails, des scènes où la lubricité le dispute au monstrueux et au grotesque. Telles sont les hallucinations ordinaires de la fausse mysticité et du célibat mal conservé. Gaufridi et sa maîtresse étaient obsédés par leurs chimères réciproques, et la tète de l'un reflétait les cauchemars de l'autre. Le marquis de Sade lui_ même n'a-t-il pas été contagieux pour certaines natures débilitées et malades? Le scandaleux procès du père Girard est une nouvelle preuve des délires du mysticisme et des singulières névralgies qu'il peut entraîner à sa suite. Lei évanouissements de la Cadière , ses extases, ses stigmates, tout cela était aussi réel que la débauche insensée et peut-être involontaire de son directeur. Elle l'accusa lorsqu'il voulut se retirer d'elle, et la conversion de cette fille fut une

283 vengeance, car rien n'est cruel comme les amours dépravés. Un corps puissant, qui était intervenu dans le procès de Grandier pour perdre en lui le sectaire possible, sauva le père Girard pour l'honneur de la compagnie. Grandier et le père Girard étaient d'ailleurs arrivés au mème résultat par des voies bien différentes, dont nous aurons spécialement à nous occuper dans notre seizième chapitre. Nous agissons par l'imagination sur les imaginations des autres, par notre corps sidéral sur le leur, et par nos organes sur leurs organes. En sorte que, par la sympathie, soit d'attrait, soit d'obsession , nous nous possédons les uns les autres et nous nous identifions à ceux sur lesquels nous voulons agir. Ce sont les réactions contre cet empire qui font succéder souvent aux sympathies les plus vives l'antipathie la plus prononcée. L'amour a pour tendance d'identifier les étres; or, en les identifiant souvent, il les rend rivaux, et par conséquent ennemis, si le fond des deux natures est une disposition insociable, comme serait par exemple l'orgueil ; saturer également d'orgueil deux âmes unies, c'est les désunir en les rendant rivales. L'antagonisme est le résultat nécessaire de la pluralité des dieux. LES TRANSMUTATIONS.

284 DOGME DE LA HAUTE MAGIE. Lorsque nous rêvons d'une personne vivante, c'est mi son corps sidéral qui se présente au nôtre dans la lumière astrale, ou du moins le reflet de ce même corps, et la manière dont nous sommes impressionnés à sa rencontre nous révèle souvent les dispositions secrètes de cette personne à notre égard. L'amour, par exemple, façonne le corps sidéral de l'un à l'image et à la ressemblance de l'autre, en sorte que le medium animique de la femme est comme un homme et celui de l'homme comme une femme. C'est cet échange que les cabalistes ont voulu exprimer d'une manière occulte lorsqu'ils disent, en expliquant un terme obscur de la Genèse : « Dieu a créé l'amour en mettant une côte d'Adam dans la poitrine de la femme et de la chair d'Ève dans la poitrine d'Adam, en sorte que le fond du coeur de la femme est un os d'homme et le fond du coeur de l'homme de la chair de la femme ; » allégorie qui n'est certainement pas sans profondeur et sans beauté. Nous avons dit un mot dans le chapitre précédent de ce que les maîtres en cabale appellent l'embryonnat des âmes. Cet embryonnat, complet après la mort de la personne qui en possède une autre, est souvent commencé de son vivant, soit par l'obses-

LES TRANSMUTATIONS.

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sion, soit par l'amour. J'ai connu une jeune femme à laquelle ses parents inspiraient unegrande terreur, et qui se livra tout à coup elle-même envers une personne inoffensive aux actes qu'elle redoutait de leur part. J'en ai connu une autre qui, après avoir pris part à une évocation où il s'agissait d'une femme coupable et tourmentée dans l'autre monde pour certains actes excentriques, imita sans aucune raison les actes de la femme morte. C' est à cette puissance occulte qu'il faut attribuer l'influence redoutable de la malédiction des parents, redoutée chez tous les peuples de la terre, et le danger véritable des opérations magiques lorsqu'on n'est pas parvenu à. l'isolement des vrais adeptes. Cette vertu de transmutation sidérale, qui existe réellement dans l'amour, explique les prodiges allégoriques de la baguette de Circé. Apulée parle d'une Thessalienne qui se transformait en oiseau; il se fit aimer par la servante de cette femme pour surprendre les secrets de sa mattresse, et n'arriva qu'à se changer en âne. Cette allégorie explique les mystères les plus cachés de l'amour. Les cabalistes disent encore que, lorsqu'on aime une femme élémentaire, soit ondine, soit sylphide, soit gnomide, on l'immortalise avec soi ou l'on meurt avec

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elle. Nous avons vu que les êtres élémentaires sont des hommes imparfaits et encore mortels. La révélation dont nous parlons et qu'on a regardée comme une fable est donc le dogme de la solidarité morale en amour, qui est le fond de l'amour même et en explique seul toute la sainteté et toute la puissance. Quelle est donc cette magicienne qui change ses adorateurs en pourceaux et dont les enchantements sont détruits dès qu'elle est soumise à l'amour? C'est la courtisane antique, c'est " la fille de marbre de tous les temps. La femme sans amour absorbe et avilit tout ce qui l'approche ; la femme qui aime répand l'enthousiasme, la noblesse et la vie. On a beaucoup parlé dans le siècle dernier d'un adepte accusé de charlatanisme, et qu'on nommait de son vivant le divin Cagliostro. On sait qu'il pratiquait les évocations et qu'il n'a été surpassé dans cet art que par l'illuminé Schroepffer (1). On sait qu'il se vantait de nouer les sympathies, et qu'il disait avoir le secret du grand oeuvre; mais (4) Voir, dans le Rituel, les secrets et les formes de Schrœpffer pour les évocations.

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ce qui le rendait encore plus célèbre, c'était un certain élixir de vie qui rendait instantanément aux vieillards la vigueur et la séve de la jeunesse. Cette composition avait pour base le vin de malvoisie, et s'obtenait par la distillation du sperme de certains animaux avec le suc de plusieurs plantes. Nous en possédons la recette et l'on comprendra assez pourquoi nous devons la tenir cachée.

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. DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

15 a P. LA MAGIE NOIRE. SAILIEL.

AUXILIATOH.

Nous entrons dans la magie noire. Nous allons affronter, jusque dans son sanctuaire, le dieu noir du Sabbat, le bouc formidable de Mendès. Ici, ceux qui ont peur doivent fermer le livre, et les personnes sujettes aux impressions nerveuses feront bien de se distraire ou de s'abstenir; mais nous nous sommes imposé une tâche, nous la finirons. Abordons d'abord franchement et hardiment la question : Existe-t-il un diable ? Qu'est-ce que le diable? A la première question, la science se tait; la philosophie nie au hasard, et la religion seule répond affirmativement. A la seconde, la religion dit que le diable c'est l'ange déchu ; la philosophie occulte accepte et explique cette définition.

LA MAGIE NOIRE. 289 Nous ne reviendrons pas sur ce que nous en avons déjà dit, mais nous ajouterons ici une révélation nouvelle : LE DIABLE , EN MAGIE NOIRE , C'EST LE GRAND AGENTMAGIQUEEMPLOYÉPOURLEMALPARUNE VOLONTÉPERVERSE. L'ancien serpent de la légende n'est autre chose que l'agent universel, c'est le feu éternel de la vie terrestre, c'est l'âme de la terre et le foyer vivant de l'enfer. Nous avons dit que la lumière astrale est le réceptacle des formes. Évoquées par la raison, ces formes se produisent avec harmonie ; évoquées par la folie, elles viennent désordonnées et monstrueuses: tel est le berceau des cauchemars de saint Antoine et des fantômes du Sabbat. Les évocations de la goètie et de la démonomanie ont-elles donc un résultat ? — Oui certainement, un résultat incontestable et plus terrible que ne peuvent le raconter les légendes ! Lorsqu'on appelle le diable avec les cérémonies voulues, le diable vient et on le voit. Pour ne pas mourir foudroyé à cette vue, pour n'en pas devenir cataleptique ou idiot, il faut être déjà fou. T. 1.

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200 DOGME DE LA HAUTE MAGIE. Grandier était libertin par indévotion, et peutêtre déjà par scepticisme; Girard avait été dépravé et dépravateur par enthousiasme, par suite des égarements de l'ascétisme et des aveuglements de la foi. Nous donnerons, au quinzième chapitre de notre Rituel, toutes les évocations diaboliques et les pratiques de la magie noire, non pour qu'on s'en serve, mais pour qu'on les connaisse, qu'on les juge, et qu'on se préserve à jamais de semblables aberrations. M. Eudes de Mirville, dont le livre sur les tables tournantes a fait dernièrement assez de bruit, peut être à la fois content et mécontent de la solution que nous donnons ici aux problèmes de la magie noire. En effet, nous soutenons comme lui la réalité et le merveilleux des effets, nous leur assignons comme lui pour cause l'ancien serpent, le prince occulte de ce monde ; mais nous ne sommes pas d'accord sur la nature de cet agent aveugle, qui est en le,DIO temps, mais sous des directions différentes, l'instrument de tout bien et de tout mal, le serviteur des prophètes et l'inspirateur des pythonisses. En un mot, le diable, pour nous, c'est la force mise pour un temps au service de l'erreur,

LA MAGIE NOIRE. '

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comme le péché mortel est, à nos yeux, la persistance de la volonté dans l'absurde. M. de Mirville a donc mille fois raison, mais il a une fois et une grande fois tort. Ce qu'il faut exclure du royaume des étres, c'est l'arbitraire. Rien n'arrive ni au hasard ni par l'autocratie d'une volonté bonne ou mauvaise. Il y a deux chambres dans le ciel, et le tribunal de Satan est contenu dans ses écarts par le sénat de la sagesse divine.

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16 y Q. LES ENVOUTEMENTS. FONS. OCULUS. IFULGUR.

L'homme qui regarde une femme avec un désir impur profane cette femme, a dit le grand Maitre. Ce qu'on veut avec persévérance, on le fait. Toute volonté réelle se confirme par des actes ; toute volonté confirmée par un acte est une action. Toute action est soumise à tin jugement, et ce jugement est éternel. — Ce sont là des dogmes et des principes. D'après ces principes et ces dogmes, le bien ou le mal que vous voulez, soit à vous–même, soit aux autres, dans l'étendue de votre vouloir et dans la sphère de votre action, arrivera infailliblement, soit aux autres, soit à vous, si vous confirmez votre volonté et si vous arrêtez votre détermination par des actes. Les actes doivent être analogues à la volonté. La volonté de nuire ou de se faire aimer doit être

LES ENVOUTEMENTS.

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confirmée, pour être efficace, par des actes de haine ou d'amour. Tout ce qui porte l'empreinte d'une âme humaine appartient à cette âme; tout ce que l'homme s'est approprié d'une manière quelconque devient son corps, dans l'acception la plus large du mot, et tout ce qu'on fait au corps d'un homme est ressenti, soit médiatement, soit immédiatement, par son âme. C'est pour cela que toute espèce d'action hostile au prochain est regardée par la théologie morale comme un commencement d'homicide. L'envoûtement est un homicide, et un homicide d'autant plus lâche qu'il échappe au droit de défense de la victime et à la vengeance des lois. Ce principe établi, pour -l'acquit de notre conscience et l'avertissement des faibles, affirmons sans crainte que l'envoûtement est possible. Allons plus loin, et affirmons qu'il est non-seulement possible, mais en quelque sorte nécessaire et fatal. Il s'accomplit sans cesse dans le monde social, à l'insu des agents et des patients. L'envoûtement involontaire est un des plus terribles dangers de

la vie humaine. La sympathie passionnelle soumet nécessaire-

294 DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

ment le plus ardent désir à la plus forte volonté. Les maladies morales sont plus contagieuses que les maladies physiques, et il y a tels succès d'en. gement et de mode qu'on pourrait comparer à la lèpre ou au choléra. On meurt d'une mauvaise connaissance comme d'un contact contagieux, et l'horrible maladie qui, depuis quelques siècles seulement, en Europe, punit la profanation des mystères de l'amour, est une révélation des lois analogiques de la nature, et ne présente encore qu'une image affaiblie des corruptions morales qui résultent tous les jours d'une sympathie équivoqué. On parle d'un homme jaloux et lâche qui, pour se venger d'un rival, s'infecta lui-même volontairement d'un mal incurable, et en fit à la fois le fléau commun et l'anathème d'un lit partagé. Cette horrible histoire est celle de tout magicien ou plutôt de tout sorcier qui pratique les envoûtements. 11 s'empoisonne pour empoisonner, il se damne pour torturer, il aspire l'enfer pour le respirer, il se blesse à mort pour faire mourir ; mais, s'il en a le triste courage, il est positif et certain qu'il empoisonnera et qu'il tuera par la projection seule de sa perverse volonté. .

295 Il peut exister des amours qui tuent aussi bien que la haine, et les envoûtements de la bienveillance sont la torture des méchants. Les prières qu'on adresse à Dieu pour la conversion d'un homme portent malheur à cet homme s'il ne veut pas sé convertir. Il y a, comme nous l'avons déjà dit, fatigue et danger à lutter contre les courants fluidiques excités par des chaînes de volontés unies. Il y a donc deux sortes d'envoûtements: l'en, voûtement involontaire et l'envoûtement volontaire. On peut distinguer aussi l'envoûtement phy. signe de l'envoûtement moral. La force attire la force, la vie attire la vie, la santé attire la santé : c'est une loi de la nature. • Si deux enfants vivent ensemble, et surtout couchent ensemble, et qu'il y en ait un faible et un fort, le fort absorbera le faible, et celui-ci dépérira. C'est pourquoi il est important que les enfants couchent toujours seuls. ' Dans les pensionnats, certains élèves absorbent l'intelligence des autres élèves, et dans tout cercle d'hommes il se trouve bientôt un individu qui s'empare des volontés des autres. L'envoûtement par courants est une chose très commune , comme nous l'avons remarqué : on est LES ENVOUTEMENTS.

298 D O G M E D E L A H A U T E M A G I E . porté par la foule, au moral comme au physique. Mais ce que nous avons plus particulièrement à constater dans ce chapitre, c'est la puissance presque absolue de la volonté humaine sur la détermi'nation de ses actes et l'influence de toute démonstration extérieure d'une volonté sur les choses même extérieures. Les envoûtements volontaires sont encore fréquents dans nos campagnes, parce que les forces naturelles, chez les personnes ignorantes et solitaires, agissent sans être affaiblies par aucun doute ou par aucune diversion. Une haine franche, absolue et sans aucun mélange de passion repoussée ou de cupidité personnelle, est un arrêt de mort pour celui qui en est l'objet dans certaines conditions données. Je dis sans mélange de passion amoureuse ou de cupidité, parce qu'un désir, étant une attraction , contre-balance et annule la puissance de projection. Ainsi; par exemple, un jaloux n'envoûtera jamais efficacement son rival, et un héritier cupide n'abrégera pas par le seul fait de sa volonté les jours d'un oncle avare et vivace. Les envoûtements essayés dans ces conditions retombent sur celui qui les opère, et sont plutôt salutaires que nuisibles à la personne qui en est l'objet, car il

LES ENVOUTEMENTS.

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la dégagent d'une action haineuse qui se détruit elle même en s'exaltant outre-mesure. Le mot envoûtement, très énergique dans sa simplicité gauloise, exprime admirablement la chose même qu'il signifie : envoultement, action de prendre pour ainsi dire et d'envelopper quelqu'un dans un voeu, dans une volonté formulée. L'instrument des envoûtements n'est autre que le grand agent magique lui-même, qui, sous l'in fluence d'une volonté mauvaise, devient alors réellement et positivement le démon. Le maléfice proprement dit, • c'est-à-dire l'opération cérémonielle en vue de l'envoûtement, n'agit que sur l'opérateur, et sert à fixer et à confirmer sa volonté en la formulant avec persévérance et effort, les deux conditions qui rendent la volonté efficace. Plus l'opération est difficile ou horrible, plus elle est efficace, parce qu'elle agit davantage sur l'imagination, et confirme l'effort en raison directe de la résistance. C'est ce qui explique la bizarrerie et l'atrocité même des opérations de la magie noire chez les anciens et au moyen âge, les messes du diable, les sacrements administrés à des reptiles, les effusions

298 DOGME DE LA HAUTE MAGIE. de sang, les sacrifices humains, et autres monstruosités qui sont l'essence même et la réalité de la goaie ou nigromancie. Ce sont de [semblables pratiques qui ont attiré de tout temps sur les sorciers la juste répression des lois. La magie noire n'est réellement qu'une combinaison de sacriléges et de meurtres gradués pour pervertir à jamais une volonté humaine et réaliser dans un homme vivant le fantôme hideux du démon. C'est donc, à proprement parler, la religion du diable, le culte des ténèbres, la haine du bien portée à son paroxysme; c'est l'incarnation de la mort et la création permanente de l'enfer. Le cabaliste Bodin, qu'on soupçonnerait à tort d'avoir été un esprit faible et superstitieux, n'a pas eu d'autre motif d'écrire sa Démonotnanie que le besoin de prémunir les esprits contre une trop dangereuse incrédulité. Initié par l'étude de la cabale aux véritables secrets de la magie, il avait frémi en songeant aux dangers auxquels exposerait la société cette puissance abandonnée à la méchanceté des hommes. 11 tenta donc ce que vient d'essayer encore parmi nous M. Eudes de Mirvilles : il recueillit des faits sans les expliquer, et dénonça aux sciences inattentives .ou préoccupées ailleurs

LES ENVOUTEMENTS. 299

l'existence des influences occultes des opérations criminelles de la mauvaise magie. Bodin ne fut pas plus écouté de son temps que ne le sera M. Eudes de Mirville, parce qu'il ne suffit pas d'indiquer des phénomènes et d'en préjuger là cause pour impressionner les hommes sérieux; cette cause, il faut l'étudier, l'expliquer, en prouver l'existence, et c'est ce que nous tâchons de faire. Aurons-nous un meilleur succès? On peut mourir de l'amour de certains êtres comme de leur haine : il est des passions absorbantes sous l'aspiration desquelles on se sent défaillir comme les fiancées des vampires. Ce ne sont pas seulement les méchants qui tourmentent les bons, mais à leur insu les bons torturent les méchants. La douceur d'Abel était un long et pénible envoûtement pour la férocité de Caïn. La haide du bien, chez les hommes mauvais, procède de l'instinct même de la conservation ; d'ailleurs, ils nient que ce qui les tourmente soit le bien, et s'efforcent, pour être tranquilles, de déifier et de justifier le mal. Abel, aux yeux de Caïn, était un hypocrite et un lâche qui déshonorait la fierté humaine par ses soumissions scandaleuses à la divinité. Combien ce premier des meurtriers n'a-t-il

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DOGME DE Li HAUTE MAGIE.

pas dû souffrir avant de se porter à un épouvantable attentat contre son frère? Si Abel avait pu le comprendre, il en eût été effrayé. L'antipathie n'est autre chose que le pressentiment d'un envoûtement possible, envoûtement qui peut être d'amour et de haine, car on voit souvent l'amour succéder à l'antipathie. La lumière astrale nous avertit des influences à venir par une action sur le système nerveux plus ou moins sensible et plus ou moins vive. Les sympathies instantanées, les amours foudroyants, sont des explosions de lumière astrale motivées aussi exactement et non moins mathématiquement explicables et démontrables que les décharges de fortes batteries électriques. On peut voir par là combien de dangers imprévus menacent le profane qui joue sans cesse avec le feu sur des poudrières qu'il ne voit pas. Nous sommes saturés de lumière astrale, et nous la projetons sans cesse' pour lui faire place et en attirer de nouvelle. Les appareils nerveux destinés soit à l'attraction, soit à la projection, sont particulièrement les yeux et les mains. La polarité des mains réside dans le pouce, et c'est pour cela que, suivant la tradition magique conservée encore dans nos campagnes, il faut, lorsqu'on se trouve en corn

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de

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pagnie suspecte, tenir le pouce replié et caché dans la main, en évitant de fixer personne, mais tâcher pourtant de regarder le premier ceux dont nous avons quelque chose à craindre, afin d'éviter les projections fluidiques inattendues et les regards fascinateurs. Il existe aussi certains animaux dont la propriété est de rompre les courants de lumière astrale par une absorption qui leur est particulière. Ces animaux nous sont violemment antipathiques et ont dans le regard quelque chose de fascinateur : tels sont le crapaud, le basilic et le tard. Ces animaux, apprivoisés et portés vivants ou gardés dans les chambres qu'on habite , garantissent des hallucinations et des prestiges de l'ivresse astrale : lIVRESSE ASTRALE, mot que nous écrivons ici pour la première fois, et qui explique tous les. phénomènes des passions furieuses, des exaltations mentales et de la folie. Élevez des crapauds et des tards, mon cher monsieur, me dira ici un disciple de Voltaire; portez-en sur vous et n'écrivez plus . A cela, je puis répondre que j'y songerai sérieusement quand je me sentirai disposé à rire de ce que j'ignore, et à traiter de fous les hommes dont '

.

302 DOGME DE LA HAUTE MAGIE. je ne comprendrai ni la science ni la sagesse. Paracelse, le plus grand des mages chrétiens, opposait à l'envoûtement les pratiques d'un envoûtement contraire. Il composait des remèdes sympathiques et les appliquait non pas aux membres souffrants, mais à d es représentations de ces mêmes membres, formées et consacrées suivant le cérémonial magique. Les succés étaient prodigieux, et jamais aucun médecin n'a approché des cures merveilleuses de Paracelse. Mais Paracelse avait découvert le magnétisme bien avant Mesmer, et avait poussé jusqu'aux dernières conséquences cette lumineuse découverte, ou plutôt, cette initiation à la magie des anciens, qui, plus que nous, comprenaient le grand agent magique et ne faisaient pas de la lumière astrale, de l'azoth, de la magnésie universelle des sages, un fluide animal et particulier émanant seulement de quelques êtres spéciaux. Dans sa philosophie occulte, Paracelse combat la magie cérémonielle, dont il n'ignorait certainement pas la terrible puissance, mais dont il veut sans doute décrier les pratiques, afin de discréditer la magie noire. Il place la toute-puissance du mage dans le magnèsintérieur et occulte. Les plus habiles

303 magnétiseurs de nos jours ne diraient pas mieux. Cependant il veut qu'on emploie les signes magiques, et surtout les talismans, pour la guérison des maladies. Nous aurons lieu de revenir, dans notre dix-huitième chapitre, sur les talismans de Paracelse, en touchant, d'après Gaffarel, la grande question de l'iconographie et de la numismatique occultes. On guérit aussi l'envoûtement par la substitution, lorsqu'elle est possible, et par la rupture ou le détournement du courant astral. Les traditions des campagnes sur tout ceci sont admirables et viennent certainement de loin : ce sont des restes de l'enseignement des druides, qui avaient été initiés aux mystères de l'Égypte et de l'Inde par des hiérophantes voyageurs. On sait donc, en magie vulgaire, qu'un envoûtement, c'est-à-dire une volonté déterminée et confirmée de mal faire, obtient toujours son effet, et qu'elle ne peut se rétracter sans péril de mort. Le sorgier qui délivre quelqu'un d'un charme doit avoir un autre objet de sa malveillance, ou il est certain que lui-même il sera frappé et périra victime de ses propres maléfices. Le mouvement astral étant circulaire, toute émission azotique ou magnétique qui ne rencontre pas LES ENVOUTEMEMTS.

304 D O G M E D E L à H A U T E M A G I E . son medium revient avec force à son point de départ : c'est ce qui explique une des plus étranges histoires d'un livre sacré, celle des démons envoyés clans des pourceaux qui se précipitèrent à la mer. Cette oeuvre de haute initiation ne fut autre chose que la rupture d'un courant magnétique infecté par des volontés mauvaises. Je me nomme légion, disait la voix instinctive du patient, parce que nous sommes pluSieurs. Les possessions du démon ne sont autre chose que des envoûtements, et il existe de nos jours une quantité innombrable-de possédés. Un saint religieux qui s'est voué au service des aliénés, le frère Hilarion Tissot, est parvenu par une longue expérience et la pratique constante des vertus chrétiennes, à guérir beaucoup de malades, et il pratique à son insu le magnétisme de Paracelse. Il attribue la plupart des maladies à des désordres de la volonté ou à l'influence perverse des volontés étrangères; il regarde tous les crimes comme des actes de folie, et voudrait qu'on traitât les méchants comme des malades, au lieu de les exaspérer et de les rendre incurables sous prétexte de les punir. Combien de temps passera encore avant que le pauvre frère Hilarion soit reconnu pour un homme

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LES ENVOUTEMENTS.

de génie! et combien d'hommes graves en lisant ce chapitre, diront encore qu'Hilarion Tissot et moi nous devrions nous traiter l'un l'autre suivant les idées qui nous sont communes, en nous gardant bien de publier nos théories, si nous voulons qu'on ne nous prenne pas pour des médecins dignes d'être envoyés aux Incurables ! Et pourtant elle tourne ! s'écriait Galilée en frappant du pied la terre. Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres, a dit le Sauveur des hommes. On pourrait ajouter : Vous aimerez la justice, et la justice vous rendra bien portants. Un vice, c'est un poison, même pour le corps : la véritable vertu est un gage de longévité. La méthode des envoillements cérémoniels varie suivant les temps et les personnes, et tous les hommes artificieux et dominateurs en trouvent en eux-mêmes les secrets et la pratique, sans même les calculer précisément et en raisonner la succession. Ils suivent en cela les inspirations instinctives du grand agent, qui s'assimile merveilleusement, comme nous l'avons déjà dit, à nos vices et à nos vertus; mais on peut dire que, généralement, nous sommes soumis aux volontés des autres par les analogies de nos penchants, et surtout de nos défauts, T. 1.

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306 DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

Caresser les faiblesses d'une individualité, c'est s'emparer d'elle et s'en faire un instrument dans l'ordre des mêmes erreurs ou des mêmes dépravations. Or, quand deux natures analogiques en défaut se subordonnent l'une à l'autre, il s'opère une sorte de substitution du plus fort au plus faible, et une véritable obsession d'un esprit par l'autre. Souvent le faible se débat et voudrait se révolter, puis il retombe plus bas que jamais dans la servitude. C'est ainsi que Louis XIII conspirait contre Richelieu, puis obtentit en quelque sorte sa grâce par l'abandon de ses complices. Nous avons tous un défaut dominant qui est, pour notre âme, comme l'ombilic de sa naissance pécheresse, et c'est par là que l'ennemi peut toujours nous saisir : la vanité pour les uns, la paresse pour les autres, l'égoïsme pour le plus grand nombre. Qu'un esprit rusé et méchant s'empare de ce ressort, et vous êtes perdu. Vous devenez alors non pas fou, non pas idiot, mais positivement aliéné, dans toute la force de cette expression, c'est-à-dire soumis à une impulsion étrangère. Dans cet état, vous avez une horreur instinctive pour tout ce qui vous ramènerait à la raison, et VOUSne voulez même pas entendre les représenta-.

LES ENVOUTEMENTS.

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tions contraires à votre démence. C'est une des maladies les plus dangereuses qui puissent affecter le moral humain. Le seul remède à cet envoûtement, c'est de s'emparer de la folie même pour guérir la folie, et de faire trouver au malade des satisfactions imaginaires dans un ordre contraire à celui dans lequel il s'est perdu. Ainsi, par exemple, guérir un ambitieux en lui faisant désirer les gloires du ciel, remède mystique ; guérir un débauché par un véritable ;amour, remède naturel; procurer à un vaniteux des succès honorables; montrer du désintéressement aux avares et leur procurer un juste profit par une participation honorable à des entreprises généreuses, etc. En réagissant de la sorte sur le moral, on parviendra à guérir un grand nombre de maladies physiques, car le moral influe sur le physique en vertu de l'axiome magique : « Ce qui est au-dessus est comme ce qui est au-dessous. » C'est pour cela que le Maître disait en parlant d'une femme paralytique : Satan l'a liée. Une maladie provient toujours d'un défaut ou d'un excès, et vous trouverez

toujours à la source d'un mal physique un désordre moral : c'est une loi invariable de la nature.

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

17 a R. L'ASTROLOGIE. STELLA. OS, INFLEXUS.

De tous les arts issus du magisme des anciens, l'astrologie est maintenant lê plus méconnu. On ne croit plus aux harmonies universelles de la nature et à l'enchatnement nécessaire de tous les effets avec toutes les causes. La véritable astrologie, d'ailleurs, celle qui se rattache au dogme unique et universel de la Cabale, a été profanée chez les Grecs et chez les Romains de la décadence ; la doctrine des sept cieux et des trois mobiles, émanée primitivement de la décade séphirique, le caractère des planètes gouvernées par des anges dont les noms ont été changés en ceux des divinités du paganisme, l'influence des sphères les unes sur les autres, la fatalité attachée aux nombres, l'échelle de proportion entre les hiérarchies célestes correspondantes aux hiérarchies humaines, tout cela a été matérialisé et rendu superstitieux par les généthliaques et les tireurs d'horoscopes de la déca-

309 dente et du moyen âge. Ramener l'astrologie à sa pureté primitive serait en quelque façon créer une science toute nouvelle ; essayons seulement d'en indiquer les premiers principes, avec leurs con7 séquences les plus immédiates et les plus prochaines. Nous avons dit que la lumière astrale reçoit et conserve toutes les empreintes des choses visibles; il en résulte que la disposition quotidienne du ciel se réfléchit clans cette lumière, qui, étant l'agent principal de la vie, opère, par une série d'appareils destinés à cette fin par la nature, la conception, l'etnbryonnat et la naissance des enfants. Or, si cette lumière est assez prodigue d'images pour donner au fruit d'une grossesse les empreintes visibles d'une fantaisie ou d'une délectation de la mère, à pl us forte raison doit-elle transmettre au tempérament mobile encore et incertain du nouveau—né les impressions atmosphériques et les influences diverses qui résultent à un moment donné, dans tout le système planétaire de telle ou telle disposition particulière des astres. Rien n'est indifférent dans la nature: un caillou de plus ou de moins sur un chemin peut briser ou modifier profondément les destinées des plus grands L'ASTROLOGIE.

MO D O G M E D E L A HA U T E M A G I E . hommes !ou même des plus grands empires; à plus forte raison la place de telle ou telle étoile dans le ciel ne saurait être indifférente pour les destinées de l'enfant qui naît, et qui entre par sa naissance même dans l'harmonie universelle du inonde sidéral. Les astres sont enchaînés les uns aux autres par des attractions qui les tiennent en équilibre et les font régulièrement se mouvoir dans l'espace ; ces réseaux de lumière vont de toutes les sphères à toutes les sphères, et il n'y a pas un point sur chaque planète auquel ne se rattache un de ces fils indestructibles. Le lieu précis et l'heure de la naissance doivent donc être calculés par le véritable adepte en astrologie ; puis, quand il aura fait le calcul exact des influences astrales, il lui reste à compter les chances d'état, c'est-à-dire les facilités ou les obstacles que l'enfant doit trouver un jour dans son état, dans ses parents, dans le tempérament qu'il a reçu d'eux, et par conséquent dans ses dispositions naturelles pour l'accomplissement de ses destinées. Et encore faut-il tenir compte de la liberté humaine et de son initiative, si l'enfant arrive un jour à être véritablement un homme et à se soustraire par un courageux vouloir aux influences fatales et à la chaîne des destinées. On voit

L'ASTROLOGIE.

31.1.

que nous n'accordons pas trop à l'astrologie; mais aussi ce que nous lui laissons est incontestable, c'est le calcul scientifique et magique des probabilités. L'astrologie est aussi ancienne et plus ancienne même que l'astronomie, et tous les sages de l'antiquité voyante lui ont accordé la confiance la plus entière; or il ne faut pas condamner et rejeter à la légère ce qui nous arrive entouré et soutenu par de si imposantes autorités. De longues et patientes observations, des comparaisons concluantes, des expériences souvent réitérées, ont dû amener les anciens sages à leurs conclusions, et il faudrait, pour prétendre les réfuter, recommencer en sens contraire le même travail. Paracelse a été peut-être le dernier des grands astrologues pratiques; il guérissait les malades par des talismans formés sous les influences astrales, et reconnaissait sur tous les corps la marque de leur étoile dominante, et c'était là, selon lui, la vraie médecine universelle, la science absolue de la • nature, perdue par la fa'ute des hommes et retrouvée seulement par un petit nombre d'initiés. Reconnaître le signe de chaque étoile sur les hommes, sur les animaux, sur les plantes, c'est la

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

vraie science naturelle de Salomon, cette science qu'on dit perdue et dont les principes sont conservés cependant comme tous les autres secrets dans le symbolisme de la Cabale. On comprend que, pour lire l'écriture des étoiles, il faut connattre les étoiles elles-mêmes, connaissance qui s'obtient par la domification cabalistique (lu ciel, et par l'intelligence du planisphère cabalistique, retrouvé et expliqué par Gaflarel. Dans ce planisfère, les constellations forment des lettres hébraïques, et les figures mythologiques peuvent être remplacées par les symboles du Tarot. C'est à ce planisphère même que Gaflarel rapporte l'origine de l'écriture des patriarches, et l'on aurait trouvé dans les chatnes d'attraction des astres les premiers linéaments des caractères primitifs; le livre du ciel eût donc servi de modèle à celui d'Hénoch, et l'alphabet cabalistique serait le résumé de tout le ciel. Ceci ne manque ni de poésie ni surtout de probabilité, et l'étude du Tarot, qui est évidemment le livre primitif et hiéroglyphique d'Hénoch, comme l'a compris le savant Guillaume Postel, suffira pour nous en convaincre. Les signes imprimés dans la lumière astrale par le reflet et l'attraction des astres se reproduisent

L'ASTROLO GIE.

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donc, comme l'ont découvert les sages, sur tous les corps qui se forment par le concours de cette lumière. Les hommes portent les signes de leur étoile sur le front surtout et dans les mains; les animaux dans leur forme tout entière et dans leurs signes particuliers; les plantes la laissent voir sur leurs feuilles et dans leur graine ; les minéraux dans leurs veines et dans les aspects de leur cassure. L'étude de ces caractères a été le travail de toute la vie de Paracelse, et les figures de ses talismans sont le résultat de ses recherches; mais il n'en a pas donné la clef, et l'alphabet cabalistique astral avec ses correspondances reste encore. à faire; la science de l'écriture magique non conventionnelle s'est arrètée, pour la publicité, au planisphère de Gaffarel. L'art sérieux de la divination repose tout entier sur la connaissance de ces signes. La chiromancie est l'art de lire dans les lignes de la main l'écriture des étoiles, et la métoposcopie cherche les mêmes caractères ou d'autres analogues sur le front de ses consultants. En effet, les plis formés sur la face humaine par les contractions nerveuses sont fatalement déterminés, et le rayonnement du tissu nerveux est absolument analogue à ces réseaux formés

81h

D O G M E D E L A H A U T E M A G IE .

entre les mondes par les chaînes d'attraction des étoiles. Les fatalités de la vie s'écrivent donc nécessairement dans nos rides, et l'on reconnaît souvent au premier regard, sur le &mit d'un inconnu, une ou plusieurs des lettres mystérieuses du planisphère cabalistique. Cette lettre est toute une pensée, et cette pensée doit dominer l'existence de cet homme. Si la lettre est tourmentée et se grave péniblement, il y a lutte chez lui entre la fatalité et la volonté, et déjà dans ses émotions et dans ses tendances les plus fortes tout son passé se révèle au mage; l'avenir alors est facile à conjecturer, et si les événements trompent parfois la sagacité du devin, le consultant n'en demeure pas moins étonné et convaincu de la science surhumaine de l'adepte. La tête de l'homme est faite sur le modèle des sphères célestes, et elle attire et elle rayonne, et c'est elle qui, dans la conception de l'enfant, se manifeste et se forme la première. Elle subit donc d'une manière absolue l'influence astrale et témoigne par ses diverses protubérances de ses diverses attractions. La phrénologie doit donc trouver son dernier mot dans l'agrologie scientifique et épurée, dont nous indiquons les pro-

LASTROLOGIE. '

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blèmes à la patience et à, la bonne foi des savants. Suivant Ptolémée, le soleil dessèche, et la lune humecte ; suivant les cabalistes, le soleil représente la Justice rigoureuse, et la lune est sympathique à la Miséricorde. C'est le soleil qui forme les orages; c'est la lune qui, par une sorte de douce pression atmosphérique, fait croître, décroître et comme respirer la mer. On lit dansle Sohar, l'un des grands livres sacrés de la Cabale, que « le Serpent magique, fils du Soleil, allait dévorer le monde, lorsque la Mer, fille de la Lune, lui mit le pied sur la tête et le dompta. » C'est pour cela que, chez les anciens, Vénus était fille de la Mer, comme Diane était identique avec la Lune ; c'est pour cela que le nom de Marie signifie étoile de la mer ou sel de la mer. C'est pour consacrer ce dogme cabalistique dans les croyances du vulgaire qu'on a dit en langue prophétique : C'est la femme qui doit écraser la tête du serpent. Jérôme Cardan, l'un des plus hardis chercheurs et l'astrologue sans contredit le plus habile de son temps; Jérôme Cardan, qui fut, si l'on croit la légende de sa mort, le martyr de sa foi en l'astrologie, a laissé un calcul au moyen duquel chacun peut prévoir la bonne ou mauvaise fortune de

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

toutes les années *de sa vie. ll appuie sa théorie sur ses propres expériences et assure que ce calcul ne l'a jamais trompé. Pour savoir donc quelle sera la fortune d'une année, il résume les événements de celles qui l'ont précédée par 4, 8, 12, 19 et 30 : le nombre h est celui de la réalisation; le nombre 8, celui de Vénus ou des choses naturelles; le nombre 1l qui est celui du cycle de Jupiter, correspond aux réussites; au nombre 19 correspondent les cycles de la lune ;et de Mars; le nombre 30 est celui de Saturne ou de la Fatalité. Ainsi, par exemple, je veux savoir ce qui m'arrivera en cette année 1855 : je repasserai dans ma mémoire ce qui m'est arrivé de décisif et de réel dans l'ordre du progrès et de la vie il y a quatre ans, ce que j'ai eu de bonheur ou de malheur naturel il y a huit ans, ce que j'ai pu compter de succès ou d'infortunes il y a douze ans, les vicissitudes et les malheurs ou les maladies qui me sont venues il y a dix—neuf ans, et ce que j'ai éprouvé de triste ou de fatal il y a trente ans; puis, en tenant compte des faits irrévocablement accomplis et du progrès de l'âge, je compte sur des chances analogues à celles que je dois déjà à l'influence des mêmes planètes, et je dis : En 1851, j'ai eu ,

L'ASTROLOGIE.

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des occupations médiocrement mais suffisamment lucratives, avec quelques embarras de position ; en 1867, j'ai été violemment séparé de ma famille, et il est résulté de cette séparation de grandes souffrances pour les miens et pour moi; en 18113, j'ai voyagé en apôtre, parlant au peuple et persécuté par les gens mal intentionnés : j'ai été, en deux mots honoré et proscrit; enfin, en 1825, la vie de famille a cessé pour moi, et je me suis engagé définitivement dans une voie fatale qui me conduisait à la science et au malheur. Je puis donc croire que j'aurai cette année travail, pauvreté, gêne, exil du coeur, changement de lieu, publicité et contradictions, événement décisif pour le reste de mon existence ; et je trouve déjà dans le présent toutes sortes de raisons de croire à cet avenir. J'en conclus que, pour moi et pour l'année présente , l'expérience confirme parfaitement la justesse du calcul astrologique de Cardan. Ce calcul se rapporte d'ailleurs à celui des années climatériques, ou mieux climactériques, des anciens astrologues. Climactériques veut dire disposées en échelles ou calculées sur les degrés d'une échelle.

Jean Trithème, dans son livre Des causes secondes, a supputé fort curieusement le retour des années

DOGME tE LA HAUTE MAGIE.

heureuses ou funestes pour tous les empires du monde ; nous en donnerons une analyse exacte et plus claire que le livre même dans le chapitre vingt et unième de notre Rituel, avec la continuation du travail de Trithème jusqu'à nos jours et l'application de son échelle magique aux événements contemporains, pour en déduire les probabilités les plus frappantes relativement à l'avenir prochain de la France, de l'Europe et du monde. Suivant tous les grands maîtres en astrologie, les comètes sont les étoiles des héros exceptionnels et ne visitent la terre que pour lui annoncer de grands changements ; les planètes président aux collections d'êtres et modifient les destinées des agrégations d'hommes; les étoiles, plus éloignées et plus faibles dans leur action, attirent les individus et décident de leurs attraits ; parfois un groupe d'étoiles influe fat entier sur les destinées d'un seul homme, et souvent un grand nombre d'âmes sont attirées par les rayons lointains d'un même soleil. Lorsque nous mourons, notre lumière intérieure s'en va suivant l'attraction de son étoile, et c'est ainsi que nous revivons dans d'autres univers, où l'âme se fait un nouveau vêtement, ana-

L e A S T R O L O G I É .

M9

logue aux progrès ou à la décroissance de sa beauté ; car nos âmes, séparées de nos corps, ressemblent à des étoiles filantes, ce sont des globules de lumière animée qui cherchent toujours leur centre pour retrouver leur équilibre et leur mouvement; mais elles doivent avant tout se dégager des étreintes du serpent, c'est-à-dire de la lumière astrale non épurée qui les entoure et les captive tant que la force de leur volonté ne les élève pas au-dessus. L'immersion de l'étoile vivante dans la lumière morte est un affreux supplice, comparable à celui de Mézence. L'âme y gèle et y brûle à la fois, et n'a d'autre moyen de s'en dégager que de rentrer dans le courant des formes extérieures et de prendre une enveloppe de chair, puis de lutter avec énergie contre les instincts pour affermir la liberté morale qui lui permettra, au moment de la mort, de rompre les chaînes de la terre et de s'envoler triomphante vers l'astre consolateur dont la lumière lui a souri. Suivant cette donnée, on comprend ce que c'est que le feu de l'enfer, identique avec le démon ou avec l'ancien serpent; en quoi consistent le salut et la réprobation des hommes, tous appelés et tous successivement élus, mais en petit nombre, après

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

avoir été exposés par leur faute à tomber dans le feu éternel. Telle est la grande et sublime révélation des mages, révélation mère de tous les symboles, de tous les dogmes et de tous les cultes. On peut voir déjà combien Dupuis se trompait lorsqu'il croyait toutes les religions issues seulement de l'astronomie. C'est au contraire l'astronomie qui est née de l'astrologie, It l'astrologie primitive est une des branches de la sainte Cabale, la science des sciences et la religion des religions. Aussi voit-on à la page dix-septième du Tarot une admirable allégorie : Une femme nue, qui représente à la fois la Vérité, la Nature et la Sagesse, sans voile, penche deux urnes vers la terre et y verse du feu et de l'eau; au-dessus de sa tète brille le septénaire étoilé autour d'une étoile à huit rayons, celle de Vénus, symbole de paix et d'amour; autour de la femme verdissent les plantes de la terre, et sur une de ces plantes vient se poser le papillon de Psyché, emblème de l'âme, remplacé dans quelques copies du livre sacré par un oiseau, symbole plus égyptien et probablement plus antique. Cette figure, qui, dans le Tarot

321 moderne, porte le titre d'Étoile brillante, est analogue à beaucoup de symboles hermétiques, et n'est pas sans analogie avec l'Étoile flamboyante des initiés de la franc—maçonnerie, exprimant la plupart des mystères de la doctrine secrète des roses-croix. L'ASTROLOGIE.

T. I.

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DOGME i Lit HAUTE MAGIE.

1.8

S.

LES PHILTRES ET LES SORTS. iII81117À.

„YSTERIIIII. CANES.

Nous attaquons maintenant l'abus le plus criminel qui puisse être fait des sciences magiques : c'est la magie, ou plutôt la sorcellerie empoisonneuse. Ici l'on doit comprendre que nous écrivons, non pour enseigner, mais pour prévenir. Si la justice humaine, en sévissant contre les adeptes, n'eût jamais atteint que les nigromanciens et les sorciers empoisonneurs, il est certain, comme nous l'avons déjà fait remarquer, que ses rigueurs eussent été justes et que les plus sévères intimidations ne pouvaient jamais être excessives contre de pareils scélérats. Cependant il ne faut pas croire que le pouvoir de vie et de mort qui appartient secrètement au mage ait été toujours exercé pour satisfaire quelque lâche vengeance ou une cupidité,' plus lâche

L PRILTRES ET LES SORTS.

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encore; au moyen âge comme dans le monde antique, les associations magiques ont souvent foudroyé ou fait lentement périr les révélateurs ou les profanateurs des mystères, et, quand le glaive magique devait s'abstenir de frapper, quand l'effusion du sang était à craindre, l'aqua Toffana, les bouquets aromatisés, les chemises de Nessus, et d'autres instruments de mort plus inconnus et plus étranges, servaient à exécuter tôt ou tard la terrible sentence des francs juges. Nous avons dit qu'il existe en magie un grand et indicible arcane, qu'on ne se communique jamais entre adeptes, et qu'il faut empêcher surtout les profanes de deviner; quiconque autrefois révélait ou faisait trouver aux autres par d'imprudentes révélations la clef de cet arcane suprême était immédiatement condamné à mort et forcé souvent lui-même d'être l'exécuteur de la sentence. Le fameux dîner prophétique de Cazotte, écrit par Laharpe, n'a pas encore été compris; et Laharpe, en le racontant, a cédé au désir assez naturel d'émerveille'r ses lecteurs en amplifiant les

détails. Tous les hommes présents à ce dîner, à l'exception de Laharpe, étaient des initiés et des

321i DOGME DE LA HAUTE MAGIE. révélateurs , ou du moins des profanateurs des mystères. Cazotte, plus élevé qu'eux tous sur l'échelle de l'initiation, leur prononça leur arrêt de mort au nom de l'illuminisme, et cet arrêt fut diversement, mais rigoureusement, exécuté, comme d'autres arrêts semblables l'avaient été plusieurs années et plusieurs siècles auparavant contre l'abbé de Villars, Urbain Grandier et tant d'autres, et les philosophes révolutionnaires périrent comme devaient périr aussi Cagliostro, abandonné dans les prisons de l'inquisition, la bande mystique de Catherine Théos , l'imprudent Scroepfer, , forcé de se tuer au milieu de ses triomphes magiques et de l'engoûment universel, le déserteur Kotzebüe, poignardé par Carl Sand, et tant d'autres dont les cadavres sont retrouvés sans qu'on sache la cause de leur mort subite et sanglante. On se souvient de l'étrange allocution qu'adressa à Cazotte lui—même, en le condamnant à mort, le président du tribunal révolutionnaire, son confrère et son co-initié. Le noeud terrible du drame de 93 est encore caché dans le sanctuaire le plus obscur des sociétés secrètes; aux adeptes de bonne foi qui voulaient émanciper les peuples, d'autres adeptes, d'une secte opposée, et qui se rattachaient à des

LES PHILTRES ET LES SORTS.

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traditions plus anciennes, firent une opposition terrible par des moyens analogues à ceux de leurs adversaires : ils rendirent la pratique du grand arcane impossible en démasquant la théorie. La foule ne comprit rien, mais elle se défia de tous, et retomba, par découragement, plus bas qu'on n'avait voulu l'élever. Le grand arcane resta plus inconnu que jamais; seulement les adeptes, neutralisés les uns par les autres, n'en purent éxercer la puissance ni pour dominer les autres, ni pour se délivrer eux—mêmes ; ils se condamnèrent donc mutuellement comme des traîtres et se vouèrent les uns les autres à l'exil, au suicide, au poignard et à l'échafaud. On me demandera peut-être si des dangers aussi terribles menacent encore de nos jours, soit les intrus du sanctuaire occulte, soit les révélateurs de l'arcane. Pourquoi répondrais-je à l'incrédulité des curieux? Si je m'expose à une mort violente pour les instruire, ils ne me sauveront certainement pas; s'ils ont peur pour eux-mêmes, qu'ils s'abstiennent de toute recherche imprudente: voilà tout ce que je puis leur dire. Revenons à la magie empoisonneuse. Alexandre Dumas, dans son roman de Monte-

826 D O G M E D E L A F A U T E M A G I E , Cristo, a révélé quelques-unes des pratiques de cette science funeste. Nous ne répéterons pas après lui les tristes théories du crime, comment on empoisonne les plantes, comment les animaux nourris de plantes empoisonnées prennent une chair malsaine, et peuvent, lorsqu'ils servent à leur tour d'aliment aux hommes, leur causer la mort sans que le poison laisse de trace; nous ne dirons pas comment par des onctions venimeuses on empoisonne les murailles des maisons, et l'air respirable par des fumigations qui nécessitent pour l'opérateur le masque de verre de Sainte-Croix ; nous laisserons à l'antique Canidie ses abominables mystères, et nous ne chercherons pas jusqu'à quel point les rites infernaux de Sagane ont perfectionné l'art de Locuste. Qu'il nous suffise de dire que ces malfaiteurs de la pire espèce distillaient ensemble les virus des maladies contagieuses, le venin des reptiles et le suc malfaisant des plantes; qu'ils empruntaient au fungus son humeur vireuse et narcotique, au datura stramonium ses principes asphyxiants, au pêcher et au laurieramande ce poison dont une seule goutte sur la langue ou dans l'oreille renverse comme un coup de foudre et tue l'être vivant le mieux constitué et le

327 plus fort. Ils faisaient cuire avec le suc blanc de la tithymale le lait où ils avaient noyé des vipères et des aspics; ils recueillaient avec soin et rapportaient de leurs voyages, ou faisaient venir à grands frais, la séve du mancenilier ou les fruits mortels de Java, le suc du manioc et d'autres poisons ; ils pulvérisaient le silex, mêlaient à des cendres impures la bave desséchée des reptiles; ils composaient des philtres hideux avec le virus des juments échauffées ou les sécrétions des chiennes en chaleur. Le sang humain se mêlait à des drogues infâmes, et l'on en composait une huile qui tuait par sa seule puànteur : cela rappelle la tarte bourbonnaise de Panurge. On écrivait même des recettes d'empoisonnement en les déguisant sous les termes techniques de l'alchimie, et, dans plus d'un vieux livre prétendu hermétique, le secret de la poudre de projection n'est autre que celui de la poudre de succession. Dans le grand Grimoire on trouve encore une de ces recettes, moins déguisée que les autres, mais intitulée seulement Moyen de faire de l'or: c'est une horrible décoction de vert— de-gris, de vitriol, d'arsenic et de sciure de bois, qui doit, pour être bonne, consumer immédiatement un rameau qu'on y trempe et ronger rapiLES PHILTRES ET LES SORTS.

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D O G M E DE L A H A U T E M A G I E .

dement un clou. Jean-Baptise Porta, dans sa Magie naturelle, donne une recette du poison des Borgia; mais, comme on le pense bien, il se moque de son public et ne divulgue pas la vérité, trop dangereuse en pareille matière. Nous pouvons donc donner ici la recette de Porta, seulement pour satisfaire la curiosité de nos lecteurs. Le crapaud par lui-même n'est pas venimeux, mais c'est une éponge à poisons: c'est le champignon du genre animal. Prenez donc un gros crapaud, dit Porta, et enfermez-le dans un bocal avec des vipères et des aspics; donnez—leur pour toute nourriture pendant plusieurs jours des champignons vénéneux, de la digitale et de la ciguë, puis irritez-les en les battant, en les brûlant et en les tourmentant de toutesles manières, jusqu'à ce qu'ils meurent de colère et de faim; vous les saupoudrerez alors d'écume de cristal pulvérisé et d'euphorbe, puis vous les mettrez dans une retorte bien bouchée, et vous en absorberez lentement toute l'humidité par le feu; vous laisserez ensuite refroidir, et vous séparerez la cendre des cadavres de la poussière incombustible qui sera restée au fond de la retorte : vous aurez alors deux poisons, un liquide et un autre en poudre. Le liquide sera aussi efficace

LES PHILTRES ET LES SORTS.

329

que la terrible aqua Toffana ; celui en poudre fera dessécher ou vieillir en quelques jours, puis mourir au milieu d'horribles souffrances, ou dans une atonie universelle, celui qui en aura pris une pincée mêlée avec son breuvage. Il faut convenir que cette recette a une physionomie magique des plus laides et des plus noires, et qu'elle rappelle, à soulever le coeur, les abominables cuisines de Canidie et de Médée. C'étaient de semblables poudres que les sorciers du moyen âge prétendaient recevoir au sabbat, et qu'ils vendaient à grand prix à l'ignorance et à la haine : c'est par la tradition de semblables mystères qu'ils répandaient l'épouvante dans les campagnes et parvenaient à jeter des sorts. Une fois l'imagination frappée, une fois le système nerveux attaqué, la victime dépérissait rapidement, et la terreur même de ses parents et de ses amis achevait sa perte. Le sorcier ou la sorcière était presque toujours une espèce de crapaud humain, tout gonflé de vieilles rancunes, ils étaient pauvres, repoussés de tous, et par conséquent haineux. La crainte qu'ils inspiraient était leur consolation et leur vengeance ; empoisonnés eux-mêmes par une société dont ils n'avaient connu que les rebuts et

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

que les vices, ils empoisonnaient à leur tour ceux qui étaient assez faibles pour les redouter, et se vengaient sur la beauté et sur la jeunesse de leur vieillesse maudite et de leur impardonnable laideur. L'opération seule de ces mauvaises oeuvres et l'accomplissement de ces hideux mystères constituaient et confirmaient ce qu'on appelait alors le pacte avec le mauvais esprit. Il est certain que l'opérateur devait appartenir au mal corps et âme, et qu'il méritait à juste titre la réprobation universelle et irrévocable exprimée par l'allégorie de l'enfer. Que des âmes humaines soient descendues à ce degré de méchanceté et de démence, cela doit nous étonner et nous affliger sans doute ; mais ne faut—il pas une profondeur pour base à la hauteur des plus sublimes vertus, et l'abîme des enfers ne démontre-t-il pas par antithèse l'élévation et la grandeur infinie du ciel? Dans le Nord, où les instincts sont plus comprimés et plus vivaces, en Italie, où les passions sont plus expansives et plus ardentes, on redoute encore les sorts et le mauvais oeil ; à Naples, on ne brave pas impunément la jettatura, et l'on reconnaît même à certains signes extérieurs les êtres

LES PHILTRES ET LES SORTS. 334

malheureusement doués de cette puissance. Pour s'en garantir, il faut porier sur soi des cornes, disent les experts, et le peuple, qui prend tout à lalettre, s'empresse de se décorer de petites cornes, sans songer davantage au sens de cette allégorie. Les cornes, attributs de Jupiter Ammon, de Bacchus et de Moïse, sont le symbole de la puissance morale ou de l'enthousiasme ; et les magiciens veulent dire que, pour braver la jettatura, il faut dominer par une grande audace, par un grand enthousiasme ou par une grande pensée le courant fatal des instincts. C'est ainsi que presque toutes les superstitions populaires sont les interprétations profanes de quelque grand axiome ou de quelque merveilleux arcane de la sagesse occulte. Pythagore, en écrivant ses admirables symboles, n'a-t-il pas légué aux sages une philosophie parfaite, et an vulgaire une nouvelle série de vaines observances et de pratiques ridicules ? Ainsi, quand il tlisait : Ne ramasse pas ce qui tombe de la table, ne coupe pas les arbres du grand chemin, ne tue pas le serpent qui est tombé dans ton enclos , ne donnait-il pas sous des allégories transparentes les préceptes de la charité, soit sociale, soit particulière? Et quand il disait : Ne te regarde pas au miroir à la

332 D O G M E D E L A H A U T E M A G I E . lumière du flambeau, n'était-ce pas une manière ingénieuse d'enseigner la vraie connaissance de soi-même, qui ne saurait exister avec les lumières factices et les préjugés des systèmes? Il en est de même de tous les autres préceptes de Pythagore, qui, comme on le sait, ont été suivis à la lettre par une foule de disciples imbéciles, au point que, parmi les observances superstitieuses de nos provinces, il en est un assez grand nombre qui remontent évidemment à l'inintelligence primitive des symboles de Pythagore. Superstition vient d'un mot latin qui signifie survivre. C'est le signe qui survit à la pensée ; c'est le cadavre d'une pratique religieuse. La superstition est à l'initiation ce que l'idée du diable est à celle de Dieu. C'est en ce sens que le culte des images est défendu et que le dogme le plus saint dans sa conception première peut devenir superstitieux et impie lorsqu'on en a perdu l'inspiration et l'esprit. C'est alors que la religion, toujours une comme la raison suprême, change de vêtements et abandonne les anciens rites à la cupidité et à la fourberie des prêtres déchus, métamorphosés, par leur méchanceté et leur ignorance, en charlatans et en jongleurs.

333 On peut comparer aux superstitions les emblèmes et les caractères magiques dont le sens n'est plus compris, et qu'on grave au hasard sur les amulettes et les talismans. Les images magiques des anciens étaient des pantacles, c'est-à—dire des synthèses cabalistiques. La roue de Pythagore est un pantacle analogue à celui des roues d'Ézéchiel, et ces deux figures sont les mêmes secrets et la même philosophie : c'est la clef de tous les pan tacles, et nous en avons déjà parlé. Les quatre animaux, ou plutôt les sphinx à quatre tètes du même prophète, sont identiques avec un admirable symbole indien dont nous donnons ici la figure, et • qui se rapporte à la science du grand arcane. Saint Jean, dans son Apocalypse, a copié et amplifié Ézéchiel, et toutes les figures monstrueuses de ce livre merveilleux sont autant de pantacles magiques dont les cabalistes trouvent facilement la clef. Mais les chrétiens, ayant rejeté la science dans le désir d'amplifier la foi, voulurent cacher plus tard les origines de leur dogme, et condamnèrent au feu tous les livres de cabale et de magie. Anéantir les originaux, c'est donner une sorte d'originalité aux copies, et saint Paul le savait sans doute LES PHILTRES ET LES SORTS.

Sàlt tioome

DE LA HAUTE MAGIE.

bien lorsque, dans les intentions le's plus louables sans doute, il accomplissait son auto-da-fé scientifique d'Éphèse. C'est ainsi que, six siècles plus tard, le croyant Omar devait sacrifier à l'originalité du Coran la bibliothèque d'Alexandrie, et qui sait si, dans l'avenir, un futur apôtre ne voudra pas incendier nos musées littéraires et confisquer l'imprimerie au profit de quglque engament religieux et de quelque légende nouvellement accréditée ? L'étude des talismans et des pantacles est une des plus curieuses branches de la magie, et se rat• tache à la numismatique historique. 11 existe des talismans indiens, égyptiens et grecs, des médailles cabalistiques venant des Hébreux anciens et modernes, des abraxas gnostiques, des amulettes byzantines, des monnaies occultes en usage parmi les membres des sociétés secrètes et nommées quelquefois jetons du sabbat, puis des médailles des Templiers et des bijoux de francs— maçons. Coglénius, dans son Traité des merveilles de la nature, décrit les talismans de Salomon et ceux du rabbin Chaél. La figure d'un plus grand nombre d'autres et des plus anciens a été gravée

385 dans les calendriers magiques de Tycho—Brahé et de Duchenteau, et doivent être reproduits en totalité ou en partie dans les fastes initiatiques de M. Ragon, vaste et savant travail auquel nous renvoyons nos lecteurs. LES PflUIRES ET LES SORTS.

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DOGME DA LA HAUTE MAGIE.

19 p T. LA PIERRE DES PHILOSOPHES. —ELAGABALE. YOUTH). SOL.

Les anciens adoraient le soleil sous la forme d'une pierre noire qu'ils nommaient Elagabale ou Héliogabale. Que signifiait cette pierre, et comment pouvait-elle être l'image du plus brillant des astres? Les disciples d'Hermès, avant de promettre à leurs adeptes l'élixir de longue vie ou la poudre de projection, leur recommandent de chercher la pierre philosophale. Qu'est-ce que cette pierre, et pourquoi une pierre? Le grand initiateur des chrétiens invite ses fidèles à bâtir sur la pierre, s'ils ne veulent voir leurs constructions renversées. 11 se nomme lui-même la pierre angùlaire, et il dit au plis croyant de ses apôtres : « Appelle-toi Pierre, car tu es la pierre sur laquelle je bâtirai mon Église. » Cette pierre, disent les maîtres en alchimie,

337 c'est le vrai sel des philosophes, qui entre pour un tiers dans la composition de l'azoth. Or Azon est, comme on sait, le nom du grand agent hermétique et du véritable agent philosophai; aussi représentent-ils leur sel sous la forme d'une pierre cube, comme on peut le voir dans les douze clefs de Basile Valentin ou dans les allégories du Trévisan. Qu'est-ce donc, en vérité, que cette pierre? C'est le fondement de la philosophie absolue, c'est la suprême et inébranlable raison. Avant de songer à rceuvre métallique, il faut être à jamais fixé sur les principes absolus de la sagesse, il faut posséder cette raison qui est la pierre de touche de la vérité. Jamais un homme à préjugés ne sera le roi de la nature et le maître des transmutations. La pierre philosophale est donc avant tout nécessaire; mais comment la trouver? Hermès nous l'apprend dans sa table d'émeraude. Il faut séparer le subtil du fixe, avec un grand soin et une attention extrême. Ainsi nous devons dégager nos certitudes de nos croyances et rendre bien distincts les domaines respectifs de la science et de la foi ; bien comprendre que nous ne savons pas les choses que nous croyons, et que nous ne croyons plus aucune des LA PIERRE DES PHILOSOPHES. ELAGABALE.

T, 1.

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488 DOGME DE 14 UÀUT6 MAGIE.

choses que nous parvenons 4 savoir, et qt;%insi l'essence des choses de la foi, c'est l'inconnu et l'indéfini, tandis qu'il en est tout au contraire des choses de la science. On en conclura que la science repose sur la raison et l'expérience, tandis que la foi a pour base le sentiment et la raison. En d'autres termes, la pierre philosophale, c'est la vrai certi— \ tude que la prudence humaine assure aux recher\ elles consciencieuses et au doute modeste, tandis que l'enthousiasme religieux la donne exclusivement à la foi. Or, elle n'appartient ni à la raison sans aspirations ni aux aspirations déraisonnables; la vraie certitude, c'est l'acquiescement réciproque de la raison qui sait au sentiment qui croit, et du sentiment qui croit à la raison qui sait. L'alliance définitive de la . raison et de la foi résultera non de leur distinction et de leur séparation absolues, mais de leur contrôle mutuel et de leur fraternel concours. Tel est le sens des deux colonnes du portique de Salomon, dont l'une s'appelle Jakin et l'autre Bohas, dont l'une est blanche et l'autre noire. Elles sont distinctes et séparées, elles sont même contraires en apparence; mais, si la force aveugle veut les réunir en les rapprochant, la voûte du temple s'écroulera : car,

LA PIERRE DES PHILOSOPHES. -7- .ELAgAIIALE.

séparées, elles ont une même force; réunies, elles sont deux forces qui se détruisent mutuellement. C'est pour la même raison que le pouvoir spirituel s'affaiblit dès qu'il veut usurper le temporel, et que le pouvoir temporel périt victime de ses empiétements sur le pouvoir spirituel. Grégoire VII a perdu la papauté, et les rois schismatiques ont perdu et perdront la monarchie. L'équilibre humain a besoin de deux pieds, les mondes gravitent SUI' deux forces, la génération exige deux sexes. Tel est le sens de l'Arcane de Salomon, figuré par les deux colonnes du temple, Jakin et Bohas. Le soleil et la lune des alchimistes correspondent au même symbole et concourent au perfectionnement et à la stabilité de la pierre philosophale. Le soleil est le signe hiéroglyphique de la vérité, parce que c'est la source visible de la lumière, et la pierre brute est le symbole de la stabilité. C'est pourquoi les anciens mages prenaient la pierre Elagabale pour la figure même du soleil, et c'est pour cela aussi que les alchimistes du moyen âge indiquaient la pierre philosophale comme le premier moyen de faire l'or philosophique, c'est—àdire de transformer toutes les puissances vitales figurées par les six métaux en soleil, c'est—à—dire

340 DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

en vérité et en lumière, première et indispensable opération du grand oeuvre, qui conduit aux adaptations secondaires, et qui fait, par les analogies de la nature, trouver l'or naturel et grossier aux créateurs de l'or spirituel et vivant, aux possesseurs du vrai sel, du vrai mercure et du vrai soufre philosophiques. Trouver la pierre philosophale, c'est donc avoir découvert l'absolu, comme le disent d'ailleurs tous les maîtres. Or, l'absolu, c'est ce qui n'admet plus d'erreurs, c'est le fixe du volatil, c'est la règle de l'imagination; c'est la nécessité même de l'être, c'est la loi immuable de raison et de vérité ; l'absolu, c'est ce qui est. Or ce qui est est en quelque sorte avant celui qui est. Dieu même n'est pas sans raison d'être et ne peut exister qu'en vertu d'une suprême et inévitable raison. C'est donc cette raison qui est l'absolu ; c'est à elle que nous devons croire, si nous voulons que notre foi ait une base raisonnable et solide. On a pu dire de nos jours que Dieu n'est qu'une hypothèse, mais la raison absolue n'en est pas une : elle est essentielle à l'être. Saint Thomas a dit : «Une chose n'est pas juste parce que Dieu la veut, mais Dieu la veut parce

LA PIERRE DES PHILOSOPHES. - ELAGABALE.

qu'elle est juste. » Si saint Thomas avait déduit logiquement toutes les conséquences de cette belle pensée, il eût trouvé la pierre philosophale, et, au lieu de se borner à être l'ange de l'école, il en eût été le réformateur. Croire à la raison de Dieu et au Dieu de la raison, c'est rendre l'athéisme impossible. Ce sont les idolâtres qui ont fait les athées. Lorsque Voltaire disait : « Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer, » il sentait plutôt qu'il ne comprenait la raison de Dieu. Dieu existe-t-il réellement? Nous n'en savons rien, mais nous désirons que cela soit, et c'est pour cela que nous le croyons. La foi formulée ainsi est la foi raisonnable, car elle admet le doute de la science; et en effet, nous ne croyons qu'aux choses qui paraissent probables, mais que nous ne savons pas. Penser autrement, c'est délirer; parler autrement, c'est s'exprimer en illuminés ou en fanatiques. Or, ce n'est pas à de pareilles gens que la pierre philosophale est promise. Les ignorants qui ont détourné le christianisme primitif de sa voie en substituant la foi à la science, le rêve à l'expérience, le fantastique à la réalité; les inquisiteurs qui ont fait pendant tant .

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

de siècles à la magie une guerre d'extermination, sont parvenus à couvrir de ténèbres les anciennes découvertes de l'esprit humain; en sorte que nous tâtonnons aujourd'hui pour retrouver la clef des phénomènes de la nature. Or, tous les phénomènes naturels dépendent d'une seule et immuable loi, représentée aussi par la pierre philoSophale et surtout par sa forme symbolique, qui est le cube. Cette loi, exprimée dans la cabale par le quaternaire, avait fourni aux Hébreux tous les mystères de leur tétragramme divin. On peut donc dire que la pierre philosophale est carrée en tous sens, comme la Jérusalem céleste de saint Jean, et qu'elle porte écrit d'un côté le nom de rint7t2, de l'autre celui de DIEU ; sur. une de ses faces celui d'ADAM, sur l'autre celui d'HÉvA, puis ceux d'Azur et INRI sur les deux autres côtés. En tête d'une traduction française d'un livre du sieur de Nuisement sur le sel philosophique, on voit l'esprit de la terre debout sur un cube que parcourent des langues de feu; il a pour phallus un caducée, et le soleil et la lune sur la poitrine, à droite et à gauche; il est barbu, couronné, et tient un sceptre à la main. C'est l'Azoth des sages sur son piédestal de sel et de soufre. On donne quelquefois à cette image la tête sym-

LA PIERRE DES PHILOSOPHES. ---- ELAGABALE.

bolique du bouc de Mendès; c'est le Baphomet des Templiers, le bouc du sabbat et le verbe des gnostiques ; images bizarres qui ont servi d'épouvantails au vulgaire après avoir servi aux méditations des sages, hiéroglyphes innocents de la pensée et de la foi qui ont servi de prétexte aux fureurs des persécutions. Combien les hommes sont malheureux dansleur ignorance, mais combien ils se mépriseraient eux-mômes s'ils parvenaient à la connaître !

MIL

DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

20 U LA MÉDECINE UNIVERSELLE. CAPUT. RESURRECTIO.

clacutus.

La plupart de nos maladies physiques viennent de nos maladies morales, suivant le dogme magique unique et universel, et en raison de la loi des analogies. Une grande passion à laquelle on s'abandonne correspond toujours à une grande maladie qu'on se prépare. Les péchés mortels sont ainsi nommés parce qu'ils font physiquement et positivement mourir. Alexandre le Grand est mort d'orgueil. Il était naturellement tempérant , et s'abandonna par orgueil aux excès qui lui donnèrent la mort. François r est mort d'un adultère. Louis XV est mort de son Parc-aux-Cerfs. Quand Marat fut assassiné, il se mourait de colère et d'envie. C'était un monomane d'orgueil qui se croyait seul juste, et aurait voulu tuer tout ce qui n'était pas Marat.

LA MÉ DECINE UNIVERSELLE.

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Plusieurs de nos contemporains sont morts d'ambition déçue après la révolution de février. Dès que votre volonté est irrévocablement confirmée dans une tendance à l'absurde, vous êtes mort, et l'écueil où vous vous briserez n'est pas loin. Il est donc vrai de dire que la sagesse conserve et prolonge la vie. Le grand Maître a dit : « Ma chair est une nourriture et mon sang un breuvage. Mangez ma chair et buvez mon sang, vous aurez la vie. » Et comme le vulgaire murmurait, il ajouta : « La chair n'est pour rien ici; les paroles que je vous dis sont esprit et vie. » Il voulait donc dire : Abreuvez-vous de mon esprit et vivez de ma vie. Et, lorsqu'il allait mourir, il attacha le souvenir de sa vie au signe du pain et celui de son esprit au signe du vin, et institua ainsi la communion de la foi, de l'espérance et (le la charité. C'est dans le même sens que les maîtres hermétiques ont dit : Rendez l'or potable, et vous aurez la médecine universelle; c'est-à-dire : Appropriez la vérité à vos usages, qu'elle devienne la source

à laquelle vous vous abreuverez tous les jours, et vous aurez en vous-mêmes l'immortalité des sages.

8/16 DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

La tempérance, la tranquillité d'âme, la simplicité de caractère, le calme et la raison de la volonté, rendent l'homme non-seulement heureuX , mais bien portant et fort. C'est en se rendant raisonnable et bon que l'homme se rend immortel. Nous sommes les auteurs de nos destinées, et Dieu ne nous sauve pas sans notre concours. La mort n'existe pas pour le sage : la mort est un fantôme rendu horrible par l'ignorance et la faiblesse du vulgaire. Le changement atteste le mouvement, et le mouvement ne révèle que la vie. Le cadavre môme ne se décomposerait pas s'il était mort : toutes les molécules qui le composaient restent vivantes ét se meuvent pour se dégager. It vous penseriez que l'esprit s'est dégagé le premier pour ne plus vivre ! vous croiriez que la pensée et l'amour peuvent mourir quand la matière ,même la plus grossière ne meurt pas! Si le changement doit être appelé la mort, nous mourons et nousrenaissons tous les jours, car tous les jours nos formes changent. Craignons donc de salir et de déchirer nos vêtements, mais ne craignons pas de les quitter quand vient l'heure du repos. .

347 L'embaumement et la conservation des cadavres sont une superstition contre nature. C'est un essai de création de là mort; c'est l'immobilisation forcée d'une substance dont la vie a besoin. Mais il rie faut pas non plus trop se hâter de détruire ou de faire disparaître les cadavres ; car rien ne s'accomplit brusquement dans la nature, et l'on ne doit pas risquer de rompre violemment les liens d'une âme qui se détache. La mort n'est jamais instantanée ; elle s'opère par degrés, comme le sommeil. Tant que le sang n'est pas complétement refroidi, tant que les nerfs peuvent tressaillir, l'homme n'est pas complétément mort, et, si aucun des organes essentiels à la vie n'est détruit, l'âme peut étre rappelée, soit par I accident, soit par une volonté forte. LA MÉ DECINE UNIVERSELLE.

• Un philosophe a dit qu'il douterait du témoignage universel plutôt que de croire à la résurrection d'un mort, et en cela il a parlé témérairement ; car c'est sur la foi du témoignage universel qu'il croyait à l'impossibilité d'une résurrection. Qu''une résurrection soit prouvée, qu'en résulterat-il? qu'il faudra nier l'évidence ou renoncer à la raison ? Ce serait absurde de le supposer. Il faudra conclure tout simplement qu'on avait cru à

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DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

tort le résurrectionnisme impossible. Ab actu ad posse valet consecutio.

Osons affirmer maintenant que la résurrection est possible, et qu'elle arrive même plus souvent qu'on ne croit. Combien de personnes dont la mort a été juridiquement et scientifiquement constatée ont été retrouvées mortes, il est vrai, dans leur bière, mais ayant revécu, et s'étant rongé les poings pour s'ouvrir les artères et échapper par une nouvelle mort à d'horribles souffrances. Un médecin nous dira que ces personnes n'étaient pas mortes, mais en léthargie. Mais qu'est-ce que la léthargie? C'est le nom que vous donnez à la mort commencée qui ne s'achève pas, à la mort que vient démentir un retour à la vie. On se tire toujours facilement d'affaire avec des mots, quand il est impossible d'expliquer les choses. L'âme tient au corps par la sensibilité, et, dès . que la sensibilité cesse, c'est un signe certain que l'âme s'éloigne. Le sommeil magnétique est une léthargie ou une mort factice, et guérissable à volonté. L'éthérisation ou la torpeur produite par le chloroforme est une léthargie véritable qui

finit quelquefois par une mort définitive, quand l'âme, heureuse de son dégagement passager, fait

LA MÉDECINE UNIVERSELLE. 3119

effort de volonté pour s'en aller définitivement: ce qui est possible chez ceux qui ont vaincu l'enfer, c'est-à-dire dont la force morale est supérieure à celle de l'attraction astrale. Aussi la résurrection n'est-elle possible que pour les âmes élémentaires, et ce sont elles surtout qui sont exposées à revivre involontairement dans la tombe. Les grands hommes et les vrais sages ne sont jamais enterrés vivants. Nous donnerons dans notre Rituel la théorie et la pratique du résurrectionnisme, et, à ceux qui me demanderont si j'ai ressuscité des morts, je répondrai que, si je le leur disais, ils ne me croiraient pas. Il nous reste à examiner ici si l'abolition de la douleur est possible, et s'il est salutaire d'employer le chloroforme ou le magnétisme pour les opérations chirugicales. Nous pensons, et la science le reconnaîtra plus tard, qu'en diminuant la sensibilité on diminue la vie, et que tout ce qu'on ôte à la douleur en pareilles circonstances tourne au profit de la mort. La douleur atteste la lutte de la vie ; aussi remarque-t-on que, chez les personnes opérées en léthargie, les pansements sont excessivement douloureux. Si l'on réitérait à chaque panse.

D9Pee E 14 okuirg MACLE.

ment l'engourdissement par le chloroforme, arriverait de deux choses l'une : ou que le malade mourrait, ou qu'entre les pansements la douleur reviendrait et serait continue. On ne violente pas impunément la nature.

LA. DIVINATION.

3M

21 ve X. LA DIVINATION. • DENTES.

FUECA. MIENS.

L'auteur de ce livre a beaucoup osé dans sa vie, et jamais une crainte n'a retenu sa pensée captive. Ce n'est pourtant pas sous une légitime terreur qu'il arrive à la fin du dogme magique. Il s'agit maintenant de révéler ou plutôt de revoiler le grand Arcane, ce secret terrible, ce secret de vie et de mort exprimé dans la Bible par ces formidables et symboliques paroles duserpent symbolique lui-môme : I NEQUAQUAM MORIEMINI, II SED ERITIS, III SICUT DII, IV SCIENTES BONUM ET MALUM.

L'un des priviléges de l'initié au grand Arcane, et celui qui résume tous les autres, c'est la Divination. Suivant le sens vulgaire du mot, deviner sigpifie conjecturer ce qu'on ignore; mais le vrai sens du mot est ineffable à force d'être sublime. Devi-, •

352 DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

ner (divinari), c'est exercer la divinité. Le mot divinus, en latin, signifie plus et autre chose que le mot divus, dont le sens est l'équivalent de l'hommedieu. Devin, en français, contient les quatre lettres du mot DIEU, plus la lettre N, qui correspond, par sa forme, à l'aleph hébreux , et qui exprime cabalistiquement . et hiéroglyphiquement le grand Arcane, dont le symbole, dans le Tarot, est la figure du bateleur. Celui qui comprendra parfaitement la valeur numérale absolue d' tt multiplié par N, avec la force grammaticale de I N finale dans les mots qui expriment science, art ou puissance, puis qui additionnera les cinq lettres du mot DEVIN, de manière à faire rentrer cinq dans quatre, quatre dans trois, trois en deux et deux en un, celui-là, en traduisant lé nombre qu'il trouvera en lettres hébraïques primitives, écrira le nom occulte du grand Arcane, et possédera un mot dont le saint tétragramme lui-même n'est que l'équivalent et comme l'image. Étre devin, suivant la force du mot, c'est donc être divin, et quelque chose de plus mystérieux encore.

Les deux signes. de la divinité humaine, ou de

353 l'humanité divine, sont les prophéties et les miracles. 1tre prophète, c'est voir d'avance les effets qui existent dans les causes, c'est lire dans la lumière astrale; faire des miracles, c'est agir sur l'agent universel et le soumettre à notre volonté. On demandera à l'auteur de ce livre s'il est prophète et thaumaturge. Que les curieux recherchent et lisent tout ce qu'il a écrit avant certains événements qui se sont accomplis clans le monde. Quant à ce qu'il a pu dire et faire, s'il le racontait, et qu'il y eût réellement quelque chose de merveilleux, voudrait-on le croire sur parole ? D'ailleurs, une des conditions essentielles de la divination, c'est de n'être jamais forcée et de ne se soumettre jamais à la tentation, c'est-à-dire à l'épreuve. Jamais les maîtres de la science n'ont cédé à la curiosité de personne. Les sibylles brûlent leurs livres quand Tarquin refuse de les apprécier à leur juste valeur; le grand Maître se tait lorsqu'on lui demande des signes de sa mission divine; Agrippa meurt de misère plutôt que d'obéir à ceux qui exigent de lui un horoscope. Donner des preuves de la science à ceux qui doutent de la LA DIVINATION.

T. I.

23

DOGME 1:1É LA HAM% MAGIE.

seietice Méme, c'est initier des indignes, c'est profaner l'or du sanctuaire, c'est mériter l'excomniunication des sages et la mort des révélateurs. L'essence de la divination, c'est-à-dire le grand Arcane magique, est figurée par tous les symboles de la science, et se lie étroitement au dogme unique et primitif d'Hermès. En philosophie, il donne la certitude absolue; en religion, le secret universel de la foi; en physique, la composition, la décomposition, la recomposition, la réalisation et l'adaptation du mercure philosophai, nommé azoth par les alchimistes; en dynamique, il multiplie nos forces par celles du mouvement perpétuel; il est à la fois mystique, métaphysique et matériel, avec correspondances d'effets dans les trois mondes; il procure charité en Dieu, vérité en science et or en richesse ; car la transmutation métallique est à la fois une allégorie et une réalité, comme le savent bien tous les adeptes de la vraie science. Oui, l'on peut réellement et matériellement faire de l'or avec la pierre des sages, qui est un amalgame de sel, de soufre et de mercure combinés trois fois en azoth par une triple sublimation et une triple fixation. Oui, l'opération est souvent facile et peut se faire dans un jour, dans un in-

LA inviNAtioN.

856

gant; d'autres fois elle demande des mois et da années. Mais, pour réussir dans le grand oeuvres il faut être divines, ou devin, dans le sens cabalistique du mot, et il est indispensable d'avoir renoncé, pour son intérêt personnel , à l'avantage des richesses dont on devient ainsi le dispensateur. Raymond Lulle enrichissait des souverains, semait l'Europe de ses fondations et restait pauvre ; Nicolas Flamel, qui est bien mort , quoi qu'en dise sa légende, n'a trouvé le grand oeuvre qu'après être parvenu par l'ascétisme à un détachement complet des richesses. Il fut initié par l'intelligence qu'il eut soudainement du livre d' A eh Mezareph, écrit en hébreu par le cabaliste Abraham, le même peutêtre qui a rédigé le Sepher Jésirah. Or cette intelligence fut, chez Flamel, une intuition méritée ou plutôt rendue possible par les préparations personnelles de l'adepte. Je crois en avoir dit assez. La divination est donc une intuition, et la clef de cette intuition est le dogme universel et magique des analogies. C'est par les analogies que le mage interprète les songes, comme nous voyons dans la Bible que le patriarche Joseph le faisait autrefois en Égypte : car les analogies dans les reflets de la lumière astrale sont rigoureuses comme les nuances ;

356

D O G M E D E L A H A U T E MA G I E .

des couleurs dans la lumière solaire, et peuvent être calculées et expliquées avec une grande exactitude. Il est seulement indispensable de connaître le degré de vie intellectuelle du rêveur, et on le révélera à lui-même tout: entier par ses propres songes jusqu'à le jeter dans un profond étonnement. Le somnambulisme, les pressentiments et la seconde vue ne sont qu'une disposition, soit accidentelle, soit habituelle, à rêver dans un sommeil volontaire ou tout éveillé, c'est-à-dire à percevoir les reflets analogiques de la lumière astrale. Nous expliquerons tout ceci jusqu'à l'évidence dans notre Rituel, lorsque nous donnerons le moyen tant cherché de produire et de diriger régulièrement les phénomènes magnétiques. Quant aux instruments divinatoires, ils sont simplement un moyen de communication entre le devin et le consultant, et ne servent souvent qu'à fixer les deux volontés sur un même signe; les figures vagues, compliquées, mobiles, aident à rassembler les reflets du fluide astral, et c'est ainsi qu'on voit dans le marc de café, dans les nuages, dans le blanc d'oeuf, etc.,

des formes fatidiques, et existant seulement dans le translucide, c'est-à-dire dans l'imagination des

357 opérateurs. La vision dans l'eau s'opère par éblouissement et fatigue du nerf optique, qui cède ses fonctions au translucide et produit une illusion du cerveau qui prend pour des images réelles les reflets de la lumière astrale; aussi les personnes nerveuses, ayant la vue faible et l'imagination vive, sont-elles plus propres à ce genre de divination, qui réussit surtout lorsqu'elle est faite par des enfants. Or, qu'on ne se méprenne pas ici sur la fonction que nous attribuons à l'imagination dans les arts divinatoires. On voit par l'imagination sans doute, et c'est là le côté naturel du miracle, mais on voit des choses vraies, et c'est en cela que consiste le merveilleux de l'oeuvre naturelle. Nous en appelons à l'expérience de tous les véritables adeptes. L'auteur de ce livre a experimenté tous les genres de divination, et a obtenu des résultats toujours proportionnels à l'exactitude de ses opérations scientifiques et à la bonne foi de ses consultants. Le Tarot, ce livre miraculeux, inspirateur de tous les livres sacrés des anciens peuples, est, à cause de la précision analogique de ses figures et de ses nombres, l'instrument de divination le plus parfait qui puisse être employé avec une entière LA. DIVINATION.

858 D O G M E D E L A H A U T E M A G I E . confiance. En effet, les oracles de ce livre sont toujours rigoureusement vrais, au moins dans un sens, et, lorsqu'il ne prédit rien, il révèle toujours des choses cachées et donne aux consultants les plus sages conseils. Alliette, qui de perruquier devint cabaliste au siècle dernier, après avoir passé trente ans à méditer sur le Tarot, Alliette, qui s'appelait cabalistiquement Etteilla, en lisant son nom comme on doit lire l'hébreu, a été bien près de retrouver tout ce qui était caché dans ce livre étrange ; mais il n'arriva qu'à déplacer les clefs du Tarot, faute de les comprendre, et il a interverti l'ordre et le caractère des figures sans en détruire entièrement les analogies, tant elles sont sympathiques et correspondantes les unes avec les autres. Les écrits d'Etteilla, devenus assez rares, sont obscurs, fatigants, et d'un style vraiment barbare; tous n'ont pas été imprimés, et des manuscrits de ce père des tireurs de cartes modernes sont encore entre les mains d'un libraire de Paris, qui a bien youlu nous les montrer. Ce qu'on y peut voir de plus remarquable, ce sont les études opiniâtres et la bonne foi incontestable de l'auteur, qui a pressenti toute sa vie la grandeur des sciences occultes, et a dû mourir à la porte du sanctuaire sans avoir pu jamais

359 pénétrer au delà dg voile. 11 estimait peu Agrippa, faisait grand cas de Jean Belot, et ne connaissait rien à la philosophie de Paracelse; mais il avait une intuition très exercée, une volonté très persévérante, et plus de rêverie que de jugement : c'était trop peu pour faire un mage, mais c'était plus qu'il ne fallait pour faire un devin vulgaire très habile, et par conséquent très accrédité. Aussi Etteilla eut-il un succès de vogue auquel un magicien plus savant aurait peut-être tort de ne pas prétendre, mais ne prétendrait certainement pas. En disant, à la fin de notre Rituel, le dernier mot du Tarot, nous indiquerons la manière complète de le lire, et par conséquent de le consulter, non-seulement sur les chances probables de la destinée, mais aussi et surtout sur les problèmes de la philosophie et de la religion, dont il donne une solution toujours certaine et de la plus admirable précision, si on l'explique dans l'ordre hiérarchique de l'analogie des trois mondes avec les trois couleurs et les quatre nuances qui composent le septénaire sacré. Tout ceci appartient à la pratique positive de la magie, et ne peut être que sommairement indiqué et établi seulement en principe dans cette première partie qui contient excluLA DIVINATION.

'

360 DOGME DE LA HAUTE MAGIE. sivement le dogme de la haute magie et la clef philosophique et religieuse des hautes sciences, ' connues ou plutôt ignorées sous le nom de sciences occultes.

RÉSUMÉ. GÉNÉRAL.

361.

22 si Z. RÉSUMÉ ET CLEF GÉNÉRALE DES QUATRE SCIENCES OCCULTES. SIGNA. THOT. PAN.



Résumons maintenant toute la science par des principes. L'analogie est le dernier mot de la science et le premier mot de la foi. L'harmonie est dans l'équilibre, et l'équilibre subsiste par l'analogie des contraires. L'unité absolue, c'est la raison suprême et dernière des choses. Or cette raison ne peut être ni une personne ni trois personnes : c'est une raison, et c'est la raison par excellence. Pour créer l'équilibre il faut séparer et unir : séparer par les pôles, unir par le centre. Raisonner sur la foi, c'est détruire la foi; faire du mysticisme en philosophie, c'est attenter à la raison. .

362

DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

La raison et la foi s'excluent mutuellement par leur nature et s'unissent par l'analogie. L'analogie est le seul médiateur possible entre le visible et l'invisible, entre le fini et l'infini. Le dogme est l'hypothèse toujours ascendante d'une équation présumable. Pour l'ignorant, c'est l'hypothèse qui est l'affirmation absolue, et l'affirmation absolue qui est l'hypothèse. Il y a dans la science des hypothèses nécessaires, et celui qui cherche à les réaliser agrandit la science sans restreindre la foi : car de l'autre côté de la foi il y a l'infini. On croit ce qu'on ignore, niais ce que la raison veut qu'on admette. Définir l'objet de la foi et le circonscrire, c'est donc formuler l'inconnu. Les professions de foi sont les formules de l'ignorance et des aspirations de l'homme. Les théorèmes de la science sont les monuments de ses conquôtes. L'homme qui nie Dieu est aussi fanatique que celui qui le définit avec une prétendue infaillibilité. On définit ordinairement Dieu en disant tout ce qu'il n'est pas. L'homme fait Dieu par une analogie du moins au plus : il en résulte que la conception de Dieu

.1

RÉSUMÉ GÉNÉRAL.

363

chez l'homme est toujours celle d'un homme infini qui fait de l'homme un Dieu fini. L'homme peut réaliser ce qu'il croit dans la mesure de ce qu'il sait en raison de ce qu'il ignore, et fait tout ce qu'il veut dans la mesure de ce qu'il croit et en raison de ce qu'il sait. L'analogie des contraires, c'est le rapport de la lumière à l'ombre, de la saillie au creux, du plein au vide. L'allégorie, mère de tous les dogmes, est la substitution des empreintes aux cachets, des ombres aux réalités. C'est le mensonge de la vérité et la vérité du mensonge. On n'invente pas un dogme, on voile une vérité, et il se produit une ombre en faveur des yeux faibles. L'initiateur n'est pas un imposteur, c'est un révélateur; c'est-à—dire, suivant l'expression du mot latin revelare, un homme qui voile de nouveau. C'est le créateur d'une nouvelle ombre. L'analogie est la clef de tous les secrets de la nature et la seule raison d'être de toutes les révélations. Voilà pourquoi les religions semblent être écrites dans le ciel et dans toute la nature; cela doit être :

car l'oeuvre de Dieu est le livre de Dieu, et dans ce qu'il écrit on doit voir l'expression de sa pensée,

36/1. DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

et par conséquent de son être, puisque nous ne le concevons que comme la pensée suprême. Dupuis et Volney n'ont vu qu'un plagiat dans cette splendide analogie qui aurait dû les amener à reconnaître la catholicité, c'est-à-dire l'universalité du dogme primitif, unique, magique, cabalistique et immuable de la révélation par l'analogie. L'analogie donne au mage toutes les forces de la nature; l'analogie est la quintessence de la pierre philosophale, c'est le secret du mouvement perpétuel, c'est la quadrature du cercle, c'est le temple qui repose sur les deux colonnes JAKIN et BORAS, c'est la clef du grand arcane, c'est la racine de l'arbre de vie, c'est la science du bien et du mal. Trouver l'échelle exacte des analogies dans les choses appréciables par la science, c'est fixer les bases de la foi et s'emparer ainsi de la baguette des miracles. Or, il existe un principe et une formulè rigoureuse, qui est le grand arcane. Que le sage ne cherche pas, il a déjà trouvé; mais que le vulgaire cherche toujours, il ne trouvera jamais. La transmutation métallique s'opère spirituelle-

ment et matériellement par la clef positive des analogies.

RÉSUMÉ GÉNÉRAL.

365

La médecine occulte n'est que l'exercice de la volonté appliquée à la source même de la vie, à. cette lumière astrale dont l'existence est un fait, et dont le mouvement est conforme aux calculs dont l'échelle ascendante et descendante est le grand arcane magique. Cet arcane universel, dernier et éternel secret de la haute initiation, est représenté dans le Tarot par une jeune fille nue qui ne touche la terre que d'un pied, tient une baguette aimantée de chaque main, et semble courir dans une couronne que supportent un ange, un aigle, un boeuf et un lion. Cette figure est analogue quant au fond des choses au cherub de Jekeskiel, dont nous donnons la figure, et au symbole indien d'Addhanari, analogue à l'Ado-naï de Jekeskiel, que nous nommons vulgairement Ezéchiel. L'intelligence de cette figure est la clef de todtes les sciences occultes. Les lecteurs de mon livre doivent déjà la comprendre philosophiquement, s'ils se sont un peu familiarisés avec le symbolisme de la cabale. Il nous reste maintenant à réaliser; ce qui est la seconde et la plus importante opéra-

tion du grand oeuvre. Trouver la pierre philosophale, c'est quelque chose sans doute ; mais com-

866

DOGME DB LA HAUTE MAGIE.

ment doit-on la triturer pour en faire la poudre de projection? Quel est l'usage de la baguette magique ? Quelle est la puissance réelle des noms divins de la cabale ? Les initiés le savent, et les initiables le sauront si, par les indications si nul= tipliées et si précises que nous venons de leur donner, ils découvrent le grand arcane. Pourquoi ces vérités si simples et si pures sont— elles toujours et nécessairement cachées aux hommes? C'est que les élus de l'intelligence sont en petit nombre sur la terre, et ressemblent, au milieu des sots et des méchants, à Daniel dans la fosse aux lions. D'ailleurs l'analogie nous enseigne les lois de la hiérarchie, et la science absolue, étant une toute -puissance, doit être le partage exclusif des plus dignes. La confusion de la hiérarchie est la véritable déchéance des sociétés, car alors les aveugles conduisent les aveugles, suivant la parole du Mattre. Que l'initiation soit rendue aux prêtres et aux rois, et l'ordre se fera de nouveau. Aussi, en faisant appel aux plus dignes, et, en m'exposant à tous les dangers et à toutes les malédictions qui entourent les révélateurs, je crois faire une chose utile et grande : je dirige sur le chaos social le

367

RÉSUMÉ GÉNÉRAL.

souffle de Dieu vivant dans l'humanité, et j'évoque des prêtres et des rois pour le mondeà venir Une chose n'est pas juste parce que Dieu la veut, a dit l'ange de l'école ; mais Dieu la veut parce qu'elle est juste. C'est comme s'il avait dit: L'absolu, c'est la raison. La raison est par elle-même; elle est parce qu'elle est, et non pas parce qu'on la suppose ; elle est où rien n'existe ; et comment voulez—vous qu'il existe quelque chose sans raison? La folie même ne se produit pas sans raison. La raison, c'est la nécessité, c'est la loi, c'est la règle de toute liberté et la direction de toute initiative. Si Dieu est, c'est par la raison. La conception d'un Dieu absolu en dehors ou indépendamment de la raison, c'est l'idole de la magie noire, c'est le fantôme du démon. Le démon c'est la mort qui se déguise avec les vêtements usés de la vie ; c'est le spectre d'Hirrenkesept trônant sur les décombres des civilisations ruinées et cachant sa nudité horrible avec les défroques abandonnées des incarnations de Wischnou. .

FIN DU DOGME DE LA HAUTE MAGIE.

DOGME ET RITUEL DE LA

HAUTE MAGIE PAR

ÉLIPHAS LÉVI

NOUVELLE EDITION Avec94 ligures'

TOME SECOND Rituel

PARIS LIHMIRIE GÉNÊRALE DES SCIENCES OCCULTES ÇHACORNÀC FRÈRES 11, QUAI SAINT-MICHEL, 11 1930

INTRODUCTION.

Connaissez-vous la vieille souveraine du monde, qui marche toujours et ne se fatigue jamais? Toutes les passions déréglées, toutes les voluptés égoïstes, toutes les forces effrénées de l'humanité et toutes ses faiblesses tyranniques précèdent la propriétaire avare de notre vallée de douleurs, et, la faucille à la main, ces ouvrières infatigables font une éternelle moisson. La reine est vieille comme le temps, mais elle cache son squelette sous les débris de la beauté des femmes qu'elle enlève à leur jeunesse et à leurs amours. Sa tète est garnie de cheveux froids qui ne sont pas à elle. Depuis la chevelure de Bérénice, toute brillante d'étoiles, jusqu'aux cheveux blanchis avant l'âge que le bourreau coupa sur la tête de Marie-Antoinette, la spoliatrice des fronts couronnés s'est parée de la dépouille des reines. T.

u.

2

R I T U E L D E LA HAUTE MAGIE.

Son corps pâle et glacé est couvert de parures flétries et de suaires en lambeaux. Ses mains osseuses et chargéés de bagues, tiennent des diadèmes et des fers, des sceptres et des ossements, des pierreries et de la cendre. Quand elle passe, les portes s'ouvrent d'ellesrhèmes; elle entre à travers les murailles,. elle pénètre jusqu'à l'alcove des rois, elle vient surprendre les spoliateurs du pauvre dans leurs plus secrètes orgies, s'assied à leur table et leur verse à boire, ricane à leurs chansons avec ses dents dégarnies de gencives, et prend la place de la courtisane impure qui se cache sous leurs rideaux. Elle aime rôder autour des voluptueux qui s'endorment; elle cherche leurs caresses comme si elle espérait se réchauffer dans leurs étreintes, mais elle glace tous ceux qu'elle touche et ne se réchauffe jamais. Parfois cependant on la dirait prise de vertige; elle ne se promène plus lentement, elle court; et si ses pieds ne sont pas assez rapides, elle presse les flancs d'un cheval pâle et le lance tout essoufflé à travers les multitudes. Avec elle galope le meurtre sur un cheval roux ; l'incendie, déployant sa chevelure de fumée, vole devant elle en balançant ses ailes rouges et noires,

INTRODUCTION.

et la famine avec la peste la suivent pas a pas sur des chevaux malades et décharnés, glanant les rares épis qu'elle oublie pour lui compléter sa moisson. Après ce cortége funèbre, viennent deux petits enfants rayonnants de sourire et de vie, l'intelligence et l'amour du siècle à venir, le double génie de l'humanité qui va naître. Devant eux, les ombres de la mort se replient comme la nuit devant les étoiles de l'aurore ; ils effleurent la terre d'un pied léger et y sèment à pleines mains l'espérance d'une autre année. Mais la mort ne viendra plus impitoyable et terrible, faucher comme de l'herbe sèche les épis mûrs du siècle à venir; elle cédera la place à l'ange du progrès qui détachera doucement les âmes de leur chaîne mortelle, pour les laisser monter vers Dieu. Quand les hommes sauront vivre, ils ne mourront plus; ils se transformeront comme la chrysalide qui devient un papillon brillant. Les terreurs de la mort sont filles de notre ignorance, et la mort elle-même n'est si affreuse que par les débris dont elle se couvre et les .couleurs sombres dûnt ou entoure ses images. La

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RITUEL LE LA HAUTE MAGIE.

mort, c'est véritablement le travail de la vie. 11 est dans la nature une force qui ne meurt pas, et cette force transforme continuellement les êtres pour les conserver. Cette force, c'est la raison ou le verbe de la nature. H existe aussi dans l'homme une force analogue à celle de la nature, et cette force, c'est la raison ou le verbe de l'homme. Le verbe de Phomnie est l'expression de sa volonté dirigée par la raison. Ce verbe est tout-puissant lorsqu'il est raisonnable, car alors il est analogue au verbe même de Dieu. Par le verbe de sa raison l'homme devient le conquérant de la vie et peut triompher de la mort. La vie entière de l'homme n'est que la parturition ou l'avortement Cie son verbe. Les êtres humains qui meurent sans avoir compris et sans avoir formulé la parole de raison, meurent sans espérance éternelle. Pour lutter avec avantage contre le fantôme de la mort, il faut s'être identifié aux réalités de la vie.

INTRODUCTION-

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Qu'importe à Dieu un avorton qui meurt, puisque la vie est éternelle ? Qu'importe à la nature une déraison qui périt, puisque la raison toujours vivante conserve les clefs (le la vie? La force terrible et juste qui tue éternellemeth les avortons a été nommée, par les Hébreux , Samaël ; par les Orientaux, Satan ; et par les Latins, Lucifer. Le Lucifer de la cabale n'est pas un ange maudit et foudroyé, c'est l'ange qui éclaire et qui régénère en brûlant ; il est aux anges de paix ce que la çomète est aux paisibles étoiles des constellations du printemps. L'étoile fixe est belle, radieuse et calme; elle boit les célestes aromes et regarde ses soeurs avec amour; revêtue de sa robe splendide et le front paré de diamants, elle sourit en chantant son cantique du matin et du soir; elle jouit d'un repos éternel que rien ne saurait troubler, et elle marche solennellement sans sortir du rang qui lui est assigné parmi les sentinelles de la lumière. La comète errante cependant, toute sanglante et tout échevelée, accourt des profondeurs du ciel ; elle se précipite à travers les sphères paisibles,

6 RITUEL• DE LA IIAUTE MAGIE. connue un char de guerre entre les rangs (l'une procession de vestales; elle ose affronter le glaive brillant des gardiens du soleil, et, comme une épouse éperdue qui cherche l'époux rêvé par ses nuits veuves, elle pénètre jusque dans le tabernacle du roi des jours, puis elle s'échappe, exhalant les feux qui la dévorent et traînant après elle un long incendie; les étoiles peilissent à son approche, les troupeaux constelles qui paissent des fleurs de luul ière dans les vastes campagnes du ciel, semblent fuir son souffle terrible. Le grand conseil des astres est assemblé, et la consternation est universelle : la plus belle des étoiles fixes est chargée enfin de parler au nom de tout le ciel , et de proposer la paix à la courrière vagabonde. Ma soeur, lui dit-elle, pourquoi troubles-tu l'harmonie de nos sphères? quel mal t'avons-nous fait, et pourquoi, au lieu d'errer au hasard, ne te fixes-tu pas comme nous à ton rang dans la cour du soleil? Pourquoi ne viens-tu pas chanter avec nous l'hymne du soir, parée comme nous d'une robe blanche, qui se rattache sur la poitrine par une agrafe de diamant? pourquoi laisses-tu flotter, à travers les vapeurs de la nuit, ta chevelure qui ruisselle d'une sueur de feu ? Oh! si tu prenais

7 une place parmi les filles du ciel, combien tu paraîtrais plus belle ! Ton visage ne serait plus enflammé par la fatigue de tes courses inouïes; tes yeux seraient purs, et ton visage souriant serait blanc et vermeil comme celui de tes heureuses soeurs; tous les astres te connaîtraient, et, loin de craindre ton passage, ils se réjouiraient ton approche; car tu serais unie à nous par les liens indestructibles de l'harmonie universelle, et ton existence paisible ne serait qu'une voix de plus dans le cantique de l'amour infini. Et la comète répond à l'étoile fixe : Ne crois pas, Ô ma soeur! que je puisse errer à l'aventure et troubler l'harmonie des sphères; Dieu m'a tracé mon chemin comme à toi, et si ma course te paraît iocertaine et vagabonde, c'est que tes rayons ne sauraient s'étendre assez loin pour embrasser le contour de l'ellipSe qui m'a été donnée pour carrière. Ma chevelure enflammée est le fanal de Dieu ; je suis la messagère des soleils, et je me retrempe dans leurs feux pour les partager sur ma route aux jeunes mondes qui•font pas encore assez de chaleur, et aux astres vieillissants qui ont froid dans leur solitude. Si je me fatigue dans files longs voyages, si je suis d'une beauté moins douce I N T R O D U C T I O N .

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

que la tienne, si nia parure est moins virginale, je n'en suis pas moins, comme toi , une noble fille du ciel. Laissez-moi le secret de ma destinée terrible, laissez—moi l'épouvante qui m'environne, maudissez-moi si‘vous ne pouvez me comprendre ; je n'en accomplirai pas moins l'oeuvre qui m'est imposée, et je continuerai nia course sous l'impulsion du souille de Dieu ! Heureuses les étoiles qui se reposent et qui l3rillent comme de jeunes reines dans la société paisible (les univers ! Moi, je suis la proscrite qui voyage toujours et qui ai l'infini pour patrie. On m'accuse d'incendier les planètes que je réchauffe, et d'effrayer les astres que j'éclaire ; on nie reproche de troubler l'harmonie des univers parce que je ne tourne pas autour de leurs centres particuliers, et que je les rattache les uns aux autres en•fixant mes regards vers le centre unique (le tous les soleils. Sois donc rassurée, belle étoile fixe, je • ne veux pas t'appauvrir (le ta lumière paisible; je m'épuiserai au contraire, pour toi, de ma vie et de ma chaleur. Je puis disparaître' du ciel quand je me serai consumée; mon 'sort aura été assez beau ! Sachez que dans le temple de Dieu brûlent des feux différents, qui tous lui rendent gloire ; vous êtes la lumière des chandeliers d'or, et

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INTRODUCTION.

moi la flamme du sacrifice : accomplissons nos destinées. En achevant ces paroles, la comète secoue sa chevelure, se couvre de son bouclier ardent, et se plonge dans les espaces infinis où elle semble disparaître pour toujours. C'est ainsi qu'apparaît et disparaît Satan dans les récits allégoriques de. la Bible. Un jour, dit le livre de Job, les fils de Dieu étaient venus pour. se tenir en la présence du Seigneur, et parmi eux se trouva aussi Satan. A qui le Seigneur dit : D'où viens—tu ? Et lui répondit : J'ai fait le tour de la terre et je l'ai parcourue. Voici comment un évangile gnostique, retrouvé en Orient par un savant voyageur de nos amis, explique, au profit du symbolique Lucifer, la genèse de la lumière : « La vérité qui se connaît est la pensée vivante. La vérité est la pensée qui est en elle -même; et la pensée formulée, c'est la parole. Lorsque la pensée éternelle a cherché une forme, elle a dit Que la lumière soit. » Or, cette pensée qui parle, c'est le Verbe ; et le Verbe dit : « Que la lumière soit parce que ,

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

le Verbe lui-même est la lumière des esprits. » La lumière incréée, qui est le Verbe divin, rayonne parce qu'elle veut être vue ; et lorsqu'elle dit : « Que la lumière soit ! ,» elle commande à des yeux de s'ouvrir; elle crée des intelligences. Et lorsque Dieu a dit : « Que la lumière soit ! » l'Intelligence a été faite et la lumière a paru. Or, l'Intelligence que Dieu avait épanchée du souffle de sa bouche, comme une étoile détachée du soleil, prit la forme d'un ange splendide et le ciel le salua du nom de Lucifer. L'Intelligence s'éveilla et se comprit tout entière en entendant cette parolé du Verbe divin : G Que la lumière soit ! » Elle se sentit libre, parce que Dieu lui avait commandé d'être; et elle répondit, en relevant la tête et en étendant ses ailes : — Je ne serai pas la servitude ! —Tu seras donc la douleur? lui dit la voix incréée. — Ji> serai la Liberté! répondit la lumière. — L'orgueil te séduira, reprit_la voix suprême, et tu enfanteras la mort. -- J'ai besoin de lutter contre la mort pour conquérir la vie, dit encore la lumière créée.

INTRODUCTION.

Dieu alors détacha de son sein le fil de splendeur qui retenait l'ange superbe, et en le regardant s'élancer dans la nuit qu'il sillonnait de gloire, il aima l'enfant de sa pensée, et souriant d'un ineffable sourire, il se dit à lui-même : «Que la lumière était belle! » Dieu n'a pas créé la douleur ; c'est l'Intelligence qui l'a acceptée pour être libre. Et la douleur a été la condition imposée à l'être libre, par celui qui, seul, ne peut se troniiiiir, parce qu'il est infini. Car l'essence.de l'intelligence, c'est le jugement; et l'essence du jugement, c'est la liberté. L'ceit ne possède réellement la lumière que par . la faculté de se fermer ou de s'ouvrir. S'il était forcé d'être. toujours ouvert, il serait l'esclave et la victime de la lumière ; et, pour fuir ce supplice, il cesserait (le voir. Ainsi, l'Intelligence créée n'est heureuse d'affir' mer Dieu, que par la liberté qu'elle a de nier Dieu. -

Or, l'Intelligence qui nie, affirme toujours quelque chose, puisqu'elle affirme sa liberté.. C'est pourquoi le blasphème glorifie Dieu; et c'est pourquoi l'enfer était nécessaire au bonheur (lu ciel.

1.2

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

Si la lumière n'était pas repoussée par l'ombre, il n'y aurait pas de formes visibles. Si le premier des anges n'avait pas affronté les profondeurs (le la nuit, l'enfantement de Dieu n'eût pas été complet et la lumière créée n'eût pu se séparer de la lumière par essence. Jamais l'Intelligence n'aurait su combien Dieu est bon, si jamais elle ne l'avait perdu ! Jamais l'amour infini de Dieu n'eût éclaté dans les joies de sa miséricorde, si l'enfant prodigue du ciel fût resté dans la maison de son père. Quand tout était lumière, la lumière n'était nulle part, elle remplissait dans le sein de Dieu qui était en travail pour l'enfanter.Et lorsqu'il dit : « Que la lumière soit ! » il permit à la nuit (le repousser la lumière, et l'univers sortit du chaos. La négation de l'ange qui, en naissant, refusa d'être esclave, constitua l'équilibre du monde, et le mouvement des sphères commença. Et les espaces infinis admirèrent cet amour de la liberté, assez immense pour remplir le vide de la nuit éternelle, et assez fort pour porter la haine de Dieu. Mais Dieu ne pouvait haïr le plus noble de ses

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INTRODUCTION.

enfants, et il ne répmtivait par sa colère que pour le confirmer dans. sa puissance. Aussi le Verbe de Dieu lui-même, comme s'il eût été jaloux de Lucifer, voulut-il aussi descendre du ciel et traverser triomphalement les ombres de l'enfer. Il voulut être proscrit et. condamné; et il médita d'avance l'heure terrible où il crierait, à l'extrémité de son supplice : « Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m'as—tu abandonné ? » Comme l'étoile du matin précède le soleil, l'insurrection de Lucifer annonça à la nature naissante la prochaine incarnation de Dieu. Peut-être Lucifer, en tombant dans la nuit, entraîna-t-il une pluie de soleils et d'étoiles par l'attraction de sa gloire ! Peut—être notre soleil est—il un démon parmi les astres, comme Lucifer est. un astre parmi les anges. C'est pourquoi, sans doute, il reste calme en éclairant les horribles angoisses de l'humanité et la lente agonie de la terre, parce qu'il est libre dans sa solitude et qu'il possède sa lumière. Telles étaient les tendances des hérésiarques des premiers siècles: Les uns, comme les Ophites, .

Ii

RITUEL DE LA- HAUTE MAGIE.

adoraient le démon sous la figure du serpent; d'autres; comme les Caïnites, justifiaient la révolte du premier des anges comme celle du premier des meurtriers. Toutes ces erreurs, toutes ces ombres, toutes ces idolei monstrueuses de l'anarchie que l'Inde oppose dans ses symboles à la magique trimourti, avaient retrouvé dans le christianisme des prétres et des adorateurs. Nulle part il n'est parlé du démon clans la Genèse. C'est un serpent allégorique qui trompe nos premiers parents. Voici ce que la plupart des traducteurs font dire au texte sacré : « Or, le serpent était plus subtil qu'eucune bote » dû champ que le Seigneur Dieu eût faite. » Et voici ce que dit Moïie crntnc rtni, `tep 1vK nyr Lob on) Wha-Nahàsh haiah hàroum mi-chol hedath ha-shadeh asher ficIshah Jhôah

C'est-à-dire en français, suivant Fabre d'Oliliet « Or, l'attract originel (la cupidité) était la pas» sion entratnante de toute vie élémentaire (le » ressort intérièur) de la nature, ouvrage de Jhôah, » I'Etre des étres. »

I N TROD UC TION .

(5

Mais ici, Fabre d'Olivet est à côté de la véritable interprétation, parce qu'il ignoràit les grandes clefs de la cabale. Le mot Nahasch, expliqué par les lettres symboliques du Tarot; signifie rigoureusement : 14 Nur,— La

force qui produit les mélanges.

5 rs He. — Le récipient et le producteur passif des formes. 21 y Schin. — Le -feu naturel et central équilibré par la double polarisation. •

Le mot employé par Moïse, lu cabalistiquement, nous donne donc la description et la définition de cet agent magique, universel, figuré dans toutes les théogonies par le serpent et auquel les Hébreux donnaient aussi le nom d'OD, quand il manifeste sa force active ; le nom d'Os, quand il laisse apparaître sa force passive, et celui d'AouR, quand il se révèle tout entier dans sa puissance équilibrée, productrice de la lumière dans le ciel et de l'or parmi les métaux. C'est done là cet ancien serpent qui enveloppe le monde et qui apaise sa tête dévorante sous le

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RITUEL DE' LA HAUTE MAGIE.

pied d'une Vierge, figure de l'initiation de cette Vierge, qui présente un petit enfant nouveau-né à l'adoration des rois mages et reçoit d'eux, en échange de cette faveur, de l'or, de la myrrhe et de l'encens. Le dogme sert ainsi dans toutes les religions hiératiques à voiler le secret des forces de la nature dont peut disposer l'initié, les formules religieuses sont les résumés de ces paroles pleines de mystère et de puissances qui font descendre les dieux du ciel et les soumettent à la volonté des hommes. La Judée en a emprunté les secrets à l'Égypte, la Grèçe envoya ses hiérophantes et plus tard ses théosophes à l'école des grands prophètes ; la Rome des 'Césars minée par l'initiation chrétienne des catacombes s'écroula un jour dans l'Église et l'on refit un symbolisme avec les débris de tous les cultes qu'avait soumis . la reine du Inonde. . Selon le récit de l'Évangile, 'l'inscription par laquelle était déclarée la royauté spirituelle du Christ était écrite en hébreu, en grec et en latin ; c'était l'eipression de la synthèse universelle. L'hellénisme, en effet, cette grande et belle religion de la forme, • n'avait pas moite annoncé la venue du Sauveur que les prophètes-du judaïsme ;

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4 7

la fable de Psyché est une abstraction plus que chrétienne, et le culte des panthées, en réhabilitant Socrate, préparait les autels à cette unité de Dieu, dont Israël avait été le mystérieux conservateur. Mais la synagogue renia son Messie, et les lettres hébraïques furent effacées , du moins aux yeux aveuglés des juifs. Les persécuteurs romains déshonorèrent l'hellénisme, quene put réhabiliter la fause modération de Julien le philosophe, surnommé peut-êire injustement l'Apostat, puisque son christianisme n'avait jamais été sincère. L'ignorance du moyen âge vint ensuite opposer les saints et les Vierges aux dieux, aux déesses et aux nymphes; le sens profond des symboles helléniques fut plus incompris que jamais; la Grèce elle-même, non-seulement perdit les traditions de son ancien culte, mais elle se sépara de l'Église latine; et ainsi, pour les yeux latins, les lettres grecques furent effacées, comme les lettres latines disparurent aux yeux des Grecs. Ainsi, l'inscription de la croix du Sauveur disparut entièrement, et il n'y resta plus que des initiales mystérieuses. Mais, lorsque la science et la philosophie, réconciliées avec la foi, réuniront en un seul tous les .

7. R.

2

18 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

différents symboles, .alors toutes les magnificences des cultes antiques refleuriront dans la mémoire des hommes, en proclamant le progrès de l'esprit humain dans l'intuition de la lumière de Dieu ; Mais de tous les progrès le plus grand sera celui qui, remettant les clefs de la nature entre les mains de la science, enchaînera pour jamais le hideux fantôme de Satan et en expliquant tous les phénomènes exceptionnels de la nature, détruira l'empire de la superstition et de la sotte crédulité. C'est à l'acomplissement de ce progrès que nous avons consacré notre vie et que nous passons nos années dans les recherches les plus laborieuses et les plus difficiles. Nous voulons affranchir les autels en renversant les idoles, nous voulons que l'homme d'intelligence redevienne le prêtre. et le roi de la nature et nous voulons conserver en les expliquant toutes les images du sanctuaire universel. Les prophètes ont . parlé en paraboles et en images, parce que le langage abstrait leur a manqué, et parce que la perception prophétique, étant le sentiment de l'harmonie ou des analogies universelles, se traduit naturellement par des images. Ces images, prises matériellement par le vul-

INTRODUCTION:

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gaire, sont devenues des idoles ou des mystères impénétrables. L'ensemble et la succession de ces images et de ces mystères sont ce qu'on appelle le symbolisme. Le symbolisme vient donc de Dieu, quoiqu'il soit formulé par les hommes. La révélation a accompagné l'humanité dans tous ses âges, et elle s'ést transfigurée avec le génie humain ; mais elle a toujours exprimé la même vérité. La vraie religion 'est une, et ses dogmes sont simples et à la portée de ions. Toutefois, la multiplicité des symboles n'a été qu'un livre de poésie nécessaire à l'éducation du génie humain. L'harmonie des beautés extérieures et la poésie de la forme devaient révéler Dieu à l'enfance humaine ; mais Vénus eut bientôt Psyché pour rivale, et Psyché séduisit l'Amour. C'est ainsi que le culte de la forme devait céder à ces rêves ambitieux de l'âme qu'embellissait déjà l'éloquente sagesse de Platon. La venue du Christ était ainsi préparée, et c'est pourquoi elle était attendue ; il vint parce que le

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

monde l'attendait, et la philosophie se transforma en croyance pour se populariser. Mais, affranchi par cette croyance même, l'esprit humain protesta bientôt contre l'école qui voulait en matérialiser les signes, et l'oeuvre du catholicisme romain fut uniquement de préparer à son insu l'émancipation des consciences, et de jeter les bases de l'association universelle. Toutes ces choses ne furent que le développement régulier et normal de la vie divine dans l'humanité ; car Dieu est la grande âme de toutes les âmes, il est le centre immuable autour duquel gravitent tontes les intelligences, comme une poussière d'étoiles. L'intelligence humaine a eu son matin ; son plein midi viendra, puis ensuite son déclin, et Dieu sera toujours le même. Mais il semble aux habitants de la terre que_ le soleil se lève jeune et timide, qu'il brille au milieu du jour dans toute sa force, et qu'il se couche fatigué le soir. C'est pourtant la terre qui tourne, et le soleil est immobile. Ayant donc foi dans le progrès humain et dans la stabilité de Dieu, l'homme libre respecte la reli-

I N T R o D U C T I O N .

2 1

gion dans ses formes passées, et ne blasphèmerait pas plus Jupiter que Jéhova ; il salue encore avec amour la rayonnante image de l'Apollon Pythien, et lui trouve une ressemblance fraternelle avec le visage glorieux du Rédempteur ressuscité. Il croit à la grande mission.de la hiOrarchie catholique, et se platt à voir les pontifes du moyen âge opposer la religion pour digue au pouvoir absolu des rois ; mais il proteste avec les siècles révolution-. naires contre l'asservissement de la conscience que voulaient emprisonner les clefs pontificales : il est plus proteàtant que Luther, car il ne croit pas méme à l'infaillibilité de la confession d'Augsbourg et plus catholique quele pape, car il n'a pas peur que l'unité religieuse soit brisée par la malveillance des cours. Il se confie à Dieu plus qu'à la politique de Rouie pour le salut de l'idée unitaire; il respecte la vieillesse de l'Église; mais il ne craint pas qu'elle meure; il sait que sa mort apparente sera une transfiguration et une assomption glorieuse. L'auteur de ce livre fait un nouvel appel aux mages de l'Orient pour qu'ils viennent reconnaître encore une fois le Maitre divin dont ils ont salué le berceau, le grand initiateur de tous les âges.

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

Tous ses ennemis sont tombés; tous ceux qui le condamnaient sont morts; ceux qui le persécutaient sont couchés pour toujours, et lui, il. est toujours debout! Les hommes d'envie se sont coalisés contre lui, ils se sont accordés sur un seul point; les hommes de division se sont unis pour le détruire, ils se sont faits rois, et ils l'ont proscrit ; ils se sont faits hypocrites, et ils l'ont accusé; ils se sont faits juges, et ils lui ont lu sa sentence de mort ; ils se sont faits bourreaux, et ils l'ont exécuté; ils lui ont fait boire la ciguë, ils l'ont crucifié, ils l'ont lapidé, ils l'ont brillé et ont jeté ses cendres au vent; puis ils ont rugi d'épouvante : il était debout devant eux, les accusant par ses blessures, et les foudroyant par l'éclat de ses cicatrices. On croit l'égorger au berceau à Bethléem, il est vivant en Égypte! On le traîne sur la montagne pour le précipiter; la foule de ses assassins l'entoure et triomphe déjà de sa perte certaine : un cri se fait entendre ; n'est-ce pas lui qui vient de se briser sur les rochers du précipice ? Ils pâlissent et ils se regardent ; niais lui, calme et souriant de pitié, il passe au milieu d'eux et s'en va. Voici une autre montagne qu'ils viennent de

23 teindre de son sang ; voici une croix et un sépulcre ; des soldats gardent sou tombeau. Insensés ! le tombeau est vide, et celui qu'ils croyaient mort, chemine paisiblement, entre deux voyageurs, sur la route d'Emmaüs. Où est—il ? où va-t-il? Avertissez les maîtres de la terre ! dites aux césars que leur puissance est menacée ! Par qui ? Par un pauvre qui n'a pas une pierre où reposer sa tète, par un homme du peuple condamné à la mort des esclaves. Quelle insulte ou quelle folie ! n'importe, les césars vont déployer toute leur puissance : de sanglants édits proscrivent le fugitif,. partout des échafauds s'élèvent , des cirques s'ouvrent tout garnis de lions et de gladiateurs, des bûchers s'allument, des torrents de sang ont coulé, et les césars, qui se croient victorieux, osent ajouter un nom à ceux dont ils rehaussent leurs trophées, puis ils meurent, et leur apothéose déshonore les dieux qu'ils ont cru défendre. La haine du monde confond, dans un môme mépris, Jupiter et Néron ; les temples, dont l'adulation a fait des tombeaux, sont renversés sur des cendres proscrites, et sur les débris des idoles, sur les ruines de l'empire , lui seul, celui que proscrivaient les césars, celui que poursuivaient tant de I N T R O D U C T I O N .

2h.

RITUEL DE LA IISUTE MAGIE.

satellites, celui que torturaient tant de bourreaux, lui seul est débout, lui seul règne, lui seul triomphe ! Cependant ses disciples mêmes abusent bientôt de son nom. l'orgueil envahit le sanctuaire ; ceux qui devaient annoncer sa résurrection, veulent immortaliser sa mort, afin de se repaître, comme des corbeaux, de sa chair toujours renaissante. Au lieu de l'imiter dans son sacrifice et de donner leur sang pour leurs enfants dans la foi, ils l'enchaînent sur le Vatican, comme sur un nouveau Caucase, et se font les vautours de ce divin Prométhée. Mais que lui importe leur mauvais rêve ? Ils n'ont enchaîné que son image; pour lui, il est toujours debout, et il marche d'exil en exil et de conquête en conquête. C'est qu'on peut enchaîner un homme, mais on ne retient pas captif le Verbe de Dieu. La parole est libre et rien ne peut la comprimer. Cette parole vivante est la condamnation des méchants, et c'est pourquoi ils voudraient la faire mourir ; mais ce sont eux enfin qui meurent, et la parole de vérité reste pour juger leur mémoire ! Orphée a pu être déchiré par les bacchantes, Socrate a bu la coupe de poison, Jésus et ses apôtres ont péri du dernier supplice, Jean Hus, Jérome de

25 Pragues et tant d'autres ont été brûlés, la Saint— Barthélemy et les massacres de septembre ont fait tour à tour des martyrs.; l'empereur de Russie a encore à sa disposition des cosaques, des knouts et les déserts de la Sibérie ; mais l'esprit d'Orphée, . de Socrate, de Jésus et de tous les martyrs restera toujours vivant au milieu des persécuteurs morts à leur tour ; il reste debout au milieu des institutions qui tombent et des empires qui se renversent ! C'est cet esprit divin, l'esprit du Fils unique de Dieu, que saint Jean représente, dans son Apocalypse debout, au milieu des chandeliers d'or, parce qu'il est le centre de toutes les lumières, tenant sept étoiles dans sa main, comme la semence de tout un ciel nouveau, et faisant descendre sa parole sur la terre sous la figure d'une épée à deux tranchants. • Quand les sages découragés s'endorment dans la nuit du doute, l'esprit du Christ est debout et il veille. Quand les peuples, las du travail qui délivre, se couchent et s'assoupissent sur leurs fers, l'esprit du Christ est débout et il proteste. Quand les sectateurs aveugles des religions devenues stériles, se prosternent dans la poussière I N T R O D U C T I O N .

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

des vieux temples et rampent servilement dans une crainte superstitieuse, l'esprit du Christ reste debout et il prie. Quand les forts s'affaiblissent, quand les vertus se corrompent, quand tout se plie et s'amoindrit pour chercher une vile pâture, l'esprit du Christ reste debout en regardant le ciel et il attend l'heure de son Père. Christ veut dire prêtre et roi par excellence. Le Christ initiateur des temps modernes est venu pour former par la science et surtout par la charité de nouveaux rois et de nouveaux prêtres. Les anciens mages étaient des prêtres et des rois. La venue du Sauveur avait été annoncée aux anciens mages par une étoile. Cette étoile, c'était le pentagramme magique qui porte à chacune de ses pointes une lettre sacrée. Cette étoile est la figure de l'intelligence qui régit, par l'unité de force, les quatre puissances élémentaires. C'est le pentagramme des mages. C'est l'étoile flamboyànte des enfants d'Hiram. C'est le prototype de la lumièreéquilibrée, vers -

27 chacune de ses pointes un trait de lumière remonte. De chacune de ses pointes un trait de lumière descend. Cette étoile représente le grand et suprême athanor de nature qui est le corps de l'homme. L'influence magnétique part en deux rayons de la tète, de chaque main et de chaque pied. Le rayon positif est équilibré par un rayon négatif. La tête correspond avec les deux pieds, chaque main avec une main et un pied, les deux pieds chacun avec la tête et une main. Ce signe régulier de la lumière équilibrée représente l'esprit d'ordre et d'harmonie. C'est le signe de la toute—puissance du mage. Aussi ce même signe, brisé ou irrégulièrement tracé, représente-t-il l'ivresse astrale, les projections anormales et déréglées du grand agent magique, par conséquent les envoûtements, la perversité, la folie, et c'est ce que les magistes nomment la signature de Lucifer. Il existe une autre signature qui représente aussi les mystères de la lumière ; C'est la signature de Salomon. INTRODUCTION.

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RITUEL DE LA. HAUTE MAGIE.

Les talismans de Salomon portaient, d'un côté, l'empreinte de son sceau dont nous avons donné la figure dans notre Dogme De l'autre côté était la signature dont voici la forme :

Cette figure est la théorie hiéroglyphique de la composition des aimants et représente la loi circulatoire de la foudre. On enchaîne les esprits déréglés en leur mon(4) Page 70.

INTRODUCTION.

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train, soit l'étoile flamboyante du pentagramme, soit la signature de Salomon, parce qu'on leur fait voir ainsi la preuve de leur folie en même temps qu'on les menace d'une puissance souveraine capable. de les tourmenter en les rappelant à 1 'ont re. Rien ne tourmente les méchants comme le bien. Rien n'est aussi odieux à la folie que la raison. Mais si un opérateur ignorant se sert de ces signes.sans les connaître, C'est • un aveugle qui parle de lumière aux aveugles; C'est un âne qui veut apprendre à lire aux enfants. Si l'aveugle conduit l'aveugle, a dit le grand et divin Hiérophante, ils. tombent tous deux dans la fosse. Un dernier mot pour résumer toute cette introd iiction Si vous êtes aveugle comme Samson lorsque vous secouez les colonnes du temple, les ruines vous écraseront. Pour commander à la nature, il faut s'être fait supérietir'àla nature par la résistance et ses entraînements. -

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

Si votre esprit est parfaitement libre de tout préjugé, de toute superstition et de toute incrédulité, vous commanderez aux esprits. Si vous n'obéissez pas aux forces fatales, les • forces fatales vous obéiront. Si vous êtes sage comme Salomon, vous ferez les oeuvres de Salomon. Si vous êtes saint comme le Christ, vous ferez les oeuvres du Christ. Pour diriger les courants de la lumière mobile, il faut être fixé dans une lumière immobile. Pour commander aux éléments, il faut avoir dompté leurs ouragans, leurs foudres, leurs abîmes et leurs tempêtes. Il faut SAVOIRpour osER. Il faut OSERpour VOULOIR. Il faut VOULOIR pour avoir l'Empire. Et pour régner, fi faut SE TAIRE. -

RITUEL DE

LA HAUTE MAGIE CHAPITRE PREMIER. LES PRÉPARATIONS.

Toute intention qui ne se manifeste pas par des actes est une intention vaine, et la parole qui l'exprime est une parole oiseuse. C'est l'action qui prouve la vie, et c'est aussi l'action qui prouve et constate la volonté. Aussi est-il dit dans les livres symboliques et sacrés que les hommes seront jugés, non pas selon leurs pensées et leurs idées, mais selon leurs oeuvres. Pour être il faut faire. Nous avons donc à traiter maintenant la grande et terrible question des oeuvres magiques. II ne s'agit plus ici de théories et d'abstractions ; nous arrivons aux réalités, et nous allons mettre entre les mains de l'adepte la baguette des miracles, en lui disant : Ne t'en rapporte pas seulement à nos. paroles ; agis toi-même.

82 R I T U E L D E L A H A U T E M A G I E . Il s'agit ici des oeuvres d'une toute-puissance relative, et du moyen de s'emparer des plus grands secrets de la nature et de les faire servir à une volonté éclairée et inflexible. La plupart des. Rituels magiques connus sont ou des mystifications ou des énigmes, et nous allons déchirer Mur la première fois, après tant de siècles, le voile du sanctuaire occulte. Révéler la sainteté des mystères, c'est remédier à, leur profanation. Telle est la,pensée qui soutient notre courage et nous fait affronter tous les périls de cette oeuvre, la plus hardie peut-être qu'il ait été donné à l'esprit humain de concevoir et d'accomplir. Les opérations magiques sont l'exercice cl' u tfpouvoir naturel, mais supérieur aux forces ordinaires de la nature. Elles sont le résultat d'une science et d'une habitUde qui exaltent la volonté humaine au-dessus de ses limites habituelles. Le surnaturel n'est que le naturel extraordinaire ou le naturel exalté : un miracle est un phénomène qui frappe la multitudp parce qu'il est inattendu ; le merveilleux est ce qui émerveille, ce sonfdes effets qui surprennent ceux qui en ignorent les causes ou qui leur assignent des causes non proportionnelles à de pareils résultats. Il n'y a de miracles que pour -

33 les ignorants; mais, comme il n'existe guère de science absolue parmi les hommes, le miracle peut encore exister, et il existe pour tout le monde. 'Commençons par dire que nous croyons à tous les miracles, parce que nous sommes convaincu et certain, même par notre propre expérience, de leur entière possibilité. Il en est que nous n'expliquons pas, mais que nous n'en regardons pas moins comme explicables. Du plus au moins et du môins au plus les conséquences sont identiquement relatives et les proportiens progressivement rigoureuses. Mais, pour faire des miracles, il faut être en dehors des conditions communes de l'humanité; il faut être ou abstrait par la sagesse, ou exalté par la folie, au-dessus dètoutes les passions ou en dehors des passions par l'extase ou la frénésie. Telle est la première et la plus indispensable des préparations de l'opérateur. Ainsi, par une loi providentielle ou fatale, le magicien ne peut exercer la toute-puissance qu'en raison inverse de son intérêt matériel; l'alchimiste fait d'autant plus d'or qu'il se résigne davantage aux privations et estime plus la pauvreté, protectrice des secrets du grand-oeuvre. LES

T. Il.

PRÉ PARATIONS.

3

8/1 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

L'adepte au coeur sans passion disposera seul de l'amour et de la haine de ceux dont il voudra faire les instruments de sa science : le mythe de la Genèse est éternellement vrai, et Dieu ne laisse approcher de l'arbre de la science que les hommes assez abstinents et assez forts pour n'en pas convoiter les fruits. Vous donc qui cherchez dans la magie le moyen de satisfaire vos passions, arrètez-vous dans cette voie funeste : vous n'y trouveriez que la folie ou la mort. C'est ce qu'on exprimait autrefois par cette tradition vulgaire, que le diable finissait tôt ou tard par tordre le cou aux sorciers. Le magiste doit donc être impassible, sobre et chaste, désintéressé, impénétrable et inaccessible à toute Espèce de préjugé ou de terreur. Il doit être sans défauts corporels et à l'épreuve de toutes les contradictions et de toutes les peines. La première et la plus importante des oeuvres magiques est d'arriver à cette rare supériorité. Nous avons dit que l'extase passionnée peut produire les mêmes résultats que la supériorité absolue, et cela est vrai quant à la réussite, mais non quant à la direction des opérations magiques. La passion projette avec force la lumière vitale

LES PRÉPARATIONS.

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et imprime des mouvements imprévus à l'agent universel ; mais elle ne peut retenir aussi facilement qu'elle a lancé, et sa destinée alors est de . ressembler à Hippolyte traîné par ses propres chevaux, ou à Phalaris, éprouvant lui-même l'instrument de supplice qu'il avait inventé pour d'autres. La volonté humaine réalisée par l'action est semblable au boulet de canon qui ne recule jamais devant l'obstacle. Elle le traverse, ou elle y entre et s'y perd, lorsqu'elle est lancée avec violence; mais, si elle maréhe avec patience et persévérance, elle ne se perd jamais, elle est comme le flot qui revient toujours et finit par ronger le fer. L'homme peut être modifié par l'habitude, qui devient, suivant le proverbe, une seconde nature en lui. Au moyen d'une gymnastique persévérante et graduée, les forces et l'agilité du corps se développent ou se créent dans une proportion qui étonne. Il en est de même des puissances de l'âme. Voulez-vous régner sur vous-mêmes et sur les autres? Apprenez à vouloir. Comment peut-on apprendre à vouloir? Ici est le premier arcane de l'initiation magique, et c'est pour faire comprendre le fond même (le cet arcane

36 R I T U E L D E L A H A U T E M A G I E . que les anciens dépositaires de l'art sacerdotal environnaient les accès du sanctuaire de tant de terreurs et de prestiges. Ils ne croyaient à une volonté que lorsqu'elle avait fait ses preuves, et ils avaient raison. La force ne peut s'affirmer que par des victoires. La paresse et l'oubli sont les ennemis de la volonté, et c'est pour cela que toutes les religions ont multiplié les pratiques et rendu leur culte minutieux et difficile. Plus on se gêné pour une idée, plus on acquiert de force dans le sens de cette idée. Les mères ne préfèrent—elles pas ceux de leurs enfants qui leur ont causé le phis de douleur et leur ont coûté le plus de soins ? Aussi la force des religions est-elle tout entière dans l'inflexible volonté de ceux qui pratiquent. Tant qu'il y aura un fidèle croyant au saint sacrifice de la messe, il y aura un prêtre pour la lui dire, et tant qu'il y aura un prêtre disant tous les jouis son bréviaire, il y aura un pape dans le monde. Les pratiques les plus insignifiantes en apparence et les plus étrangères en elles-mètnes au but qu'on se propose, conduisent néanmoins à ce but par l'éducation et l'exercice de la volonté. Un paysan qui se lèverait tous les matins à deux ou trois

37 heures et qui irait bien loin de chez lui cueillir tous les jours un brin de la même herbe avant le soleil levé pourrait, en portant sur lui de cette herbe, opérer un grand nombre de prodiges. Cette herbe serait le signe de sa volonté et deviendrait par cette volonté même tout ce qu'il voudrait qu'elle devînt dans l'intérêt de ses désirs. Pour pouvoir il faut croire qu'on peut, et cette foi doit se traduire immédiatement par des actes. Lorsqu'un enfant dit : Je ne peux pas, sa mère lui répond : Essaye. La foi n'essaye même pas; elle commence avec la certitude d'achever, et elle travaille avec calme comme ayant la toute-puissance à ses ordres et l'éternité devant elle. Vous donc qui vous présentez devant la science des mages, que lui demandez—vous ? Osez formuler votre désir, quel qu'il soit, puis mettez—vous immédiatement à l'oeuvre, et ne cessez plus d'agir dans le même sens et pour la même fin : ce que vous voulez se fera, et c'est déjà commencé pour vous et par vous. Sixte—Quint, en gardant ses bestiaux, avait dit : Je veux être pape. Vous êtes besacier et vous voulez faire de l'or : mettez-vous à l',ceuvre et ne cessez plus. Je vous LES PRÉ PARATIONS.

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

promets au nom de la science tous les trésors de Flamel et de Raymond Lulle. Que faut-il faire d'abord ? — Il faut croire que vous pouvez, puis agir. — Agir comment? —Vous lever tous les jours à la même heure et de bonne heure; vous laver en toute saison avant le jour à une fontaine ; ne porter jamais de vêtements sales, et pour cela les nettoyer vous-même s'il le faut; vous exercer aux privations volontaires, pour mieux supporter les involontaires ; puis imposer silence à tout désir qui n'est pas celui de l'accomplissement du grand-oeuvre. — Quoi ! en me lavant tous les jours à une fontaine, je ferai de l'or? — Vous travaillerez pour en faire. — C'est une moquerie. — Non, c'est un arcane. — Comment puis-je me servir d'un arcane que je ne saurais comprendre ? — Croyez et faites ; vous comprendrez ensuite. Une personne me disait un jour : Je voudrais être une fervente catholique, mais je suis voltairienne. Combien ne donnerais-je pas pour avoir la foi ! — Eh bien ! lui ai-je répondu, ne dites plus : Je voudrais ; dites : Je veux, et faites les oeuvres de la foi ; je vous assure que vous croirez. Vous êtes voltairienne, dites-vous, et parmi les différentes manières de comprendre la foi, celle des jésuites

LES PRÉPARATIONS.

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vous est la plus antipathique et vous semble pourtant la plus désirable et la plus flirte.... Faites, et recommencez sans vous décourager, les exercices de saint Ignace, et vous deviendrez croyante comme un jésuite. Le résultat est infaillible, et, si vous avez alors la naïveté de croire que c'est un miracle, vous vous trompez déjà en vous croyant voltairienne. Un paresseux ne sera jamais magicien. La magie est un exercice de toutes les heures ét de tous les instants. Il faut que l'opérateur des grandes oeuvres soit maître absolu de lui-môme ; qu'il sache vaincre l'attrait du plaisir, et l'appétit et le.sommeil ; qu'il soit insensible au succès comme à l'affront. Sa vie doit être une volonté dirigée par une pensée et servie par la nature entière, qu'il aura assujettie à l'esprit dans ses propres organes, et par sympathie dans toutes les forces universelles qui leur sont correspondantes. Toutes les facultés et tous les sens doivent prendre part à l'oeuvre, et rien dans le prêtre d'Hermès n'a le droit de rester oisif ; il faut formuler l'intelligence par des signes et la résumer par des caractères ou des pantacles ; il faut déterminer la volonté par des paroles et accomplir les paroles par

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

des actes ; il faut traduire l'idée magique en lumière pour les yeux, en harmonie pour les oreilles, en parfums pour l'odorat, en saveurs pour la bouche, et en formes pour le toucher ; il faut, en un mot, que l'opérateur réalise dans sa vie entière ce qu'il veut réaliser hors de lui dans le. monde ; il faut qu'il devienne un aimant pour attirer la chose désirée ; et, quand il sera suffisamment aimanté, qu'il sache que la chose viendra sans qu'il y songe et d'elle-mème. Il est important que le mage sache les secrets de la science ; mais il peut les connaître par intuition et sans les avoir appris. Les solitaires, qui vivent dans la contemplation habituelle de la nature, devinent souvent sesharmonies et sont plus instruits dans leur simple bon sens que les docteurs, dont le sens naturel est faussé par les sophismes des écoles. Les vrais magiciens pratiques se trouvent presque toujours à. la campagne, et ce sont souvent des gens sans instruction et de simples bergers. ,

Il existe aussi certaines organisations physiques mieux disposées que d'autres aux révélations du « monde occulte ; il est des natures sensitives et sympathiques auxquelles l'intuition dans la lumière

LES PRÉPARATIONS.

astrale est pour ainsi dire innée; certains chagrins et certaines maladies peuvent modifier le système nerveux, et en faire, sans le concours de la volonté, un appareil de divination plus ou moins parfait; mais ces phénomènes sont exceptionnels, et généralement la puissance magique doit et peut s'acquérir par la persévérance et le travail. Il est aussi des substances qui produisent l'extase et disposent au sommeil magnétique ; il en est qui mettent auservice de l'imagination tous les reflets les plus vifs et les plus colorés de la lumière élémentaire ; mais l'usage de ces substances est dangereux, parce qu'elles:produisent en général la stupéfaction et l'ivresse. On les emploie toutefois, mais dans des proportions rigoureusement calculées, et dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. Celui qui veut se livrer sérieusement aux oeuvres magiques, après avoir affermi son esprit contre tout danger d'hallucination et d'épouvante , doit se purifier extérieurement et intérieurement pendant quarante jours. Le nombre quarante est sacré, et sa figure môme est magique. En chiffres arabes, il se compose du cercle, image de l'infini , et du qui résume le ternaire par l'unité. En chiffres romains, disposés de la manière suivante, -

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

il représente le signe du dogme fondamental d'Hermès et le caractère du sceau de Salomon :

XX X

X XX -N. I X

.

Là purification du mage doit consister dans l'abstinence des voluptés brutales, dans un régime. végétal et doux, dans la privation des liqueurs fortes, et dans le règlement des heures du sommeil. Cette préparation a été indiquée et représentée dans tous les cultes par un temps de pénitence et d'épreuves• qui précède, les fêtes symboliques du renouvellement de la vie. Il faut, comme nous l'avons déjà dit, observer pour l'extérieur la propreté la plus scrupuleuse : le plus pauvre peut trouver de l'eau aux fontaines. Il faut aussi nettoyer ou faire nettoyer avec soin les vêtements, les meubles et les vases dont on fait usage. Toute malpropreté atteste' une négligence, et en magie la négligence est mortelle.

Il faut purifier l'air en se levant et en se cou-

LES PRÉPARATIONS.

chant avec un parfum composé de séve de lauriers, de sel, de camphre, de résine blanche et de soufre, et dire en même temps les quatre mots sacrés, en se tournant vers les quatre parties du monde. Il ne faut parler à personne des oeuvres qu'on accomplit; et, comme nous l'avons assez dit dans le Dogme, le mystère est la condition rigoureuse et indispensable de toutes les opérations de la science. Il faut dérouter les curieux en supposant d'autres occupations et d'autres rechqches, comme des expériences chimiques pour des résultats industriels, des prescriptions hygiéniques, la recherche de quelques secrets naturels, etc.; mais le mot décrié de magie ne doit jamais être prononcé. Le magiste doit s'isoler en commençant, et se montrer très difficile en relations pour concentrer en lui sa force et choisir les points de contact; mais autant il sera sauvage et inabordable dans les premiers temps, autant on le verra plus tard entouré et populaire, quand il aura aimanté sa chaîne et choisi sa place dans un courant d'idées et de lumière. Une vie laborieuse et pauvre est tellement favo-

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

rable à l'initiation par la pratique, que les plus grands mattres l'ont cherchée, mème alors qu'ils pouvaient disposer des richesses du monde. C'est alors que Satan, c'est-à-dire l'ésprit d'ignorance, qui ricane, qui doute, et qui hait la science parce qu'il la craint, vient tenter le futur mattre du monde en lui disant : Si tu es le fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent du pain. Les hommes d'argent cherchent alors à humilier le prince de la science en entravant, en dépréciant ou en exploitant tnisérablement son travail; on lui rompt en dix morceaux, afin qu'il tende la main dix fois, le morceau de pain dont il veut bien parattre avoir besoin. Le mage ne daigne pas 'Mme sourire de cette ineptie, et poursuit son oeuvre avec calme. Il faut éviter, autant qu'on le pourra, la vue des choses hideuses et des personnes laides, ne pas Manger chez les personnes qu'on n'estime pas, éviter tous les excès, et vivre de la manière la plus uniforme et la plus réglée. _ Avoir le plus grand respect de soi—même et se regarder comme un souverain méconnu qui consent à l'être pour reconquérir sa couronne. Être doux et digne avec tout le monde; mais, dans les

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PRÉ PARATIONS.

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rapports sociaux, ne se laisser jamais absorber, et se retirer des cercles où l'on n'aurait pas une initiative quelconque. On peut enfin et l'on doit môme accomplir les obligations et pratiquer les rites 'du culte auquel on appartient. Or,-de tous les cultes, le plus magique est celui qui réalise le plus de miracles, qui appuie sur les plus sages raisons les plus inconcevables mystères, qui a des lumières égales à ses ombres, qui popularise les miracles et incarne Dieu • dans les hommes par la foi. Cette religion a toujours existé, et a toujours été dans le monde, sous divers noms, la religion unique et dominante. Elle a maintenant, chez les peuples de la terre, trois formes hostiles en apparence l'une à l'autre, qui se réuniront bientôt en une seule pour constituer une Église universelle. Je veux parler de l'orthodoxie russe, du catholicisme romain, et d'une transfiguration dernière de la religion de Bouddha. . Nous croyons avoir assez fait comprendre par ce qui précède que notre magie est opposée à celle des Goaiens et des Nigromans. Notre magie est à la fois une science et une religion absolue, qui doit, non pas détruire et absorber toutes les opinions et tous les cultes, mais les régénérer et les diriger, en

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

reconstituant le cercle des initiés, et en donnant ainsi aux masses aveugles des conducteirs sages et clairvoyants. Nous vivons dans un siècle où il n'y a plus rien à détruire ; mais tout est à refaire, puisque tout est détruit. Refaire quoi? le passé ? — On ne refait pas le passé. — Reconstruire quoi? un temple et un trône ? — A quoi bon, puisque les anciens sont tombés ? — C'est comme si vous disiez : Ma maison vient de tomber de vieillesse, à quoi bon en construire une autre? — Mais la maison que vous allez bâtir sera-t-elle pareille à celle qui est tombée ? — Non : celle qui est tombée était vieille, et celleci sera neuve. — Mais enfin, ce sera toujours une maison? — Que voulez-vous donc que ce soit?

L'ÉQUILIBRE MAGIQUE.

CHAPITRE IL L'ÉQUILIBRE MAGIQUE.

L'équilibre est la résultante de deux forces. Si les deux forces sont absolument et toujours égales, l'équilibre sera l'immobilité, et par conséquent 'la négation de la vie. Le mouvement est le résultat d'une prépondérance alternée. L'impulsion donnée à l'un des plateaux d'une balance détermine nécessairement le mouvement de l'autre. Les contraires agissent ainsi sur les contraires, dans toute la nature, par correspondance • et par connexion analogique. La vie entière se compose d'une aspiration et d'un souffle; la création est la supposition d'une ombre pour servir de limite à la lumière, d'un vide pour servir d'espace à la plénitude de l'être, d'un principe passif fécondé pour appuyer et réaliser% puissance du principe actif générateur. Toute la nature est bissexuelle, et le mouvement qui produit les apparences de la mort et de la vie est une continuelle génération. Dieu aime le vide qu'il a fait, pour l'emplir; la

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

science aime l'ignorance, qu'elle éclaire ; la force aime la faiblesse, qu'elle soutient ; le bien aime le mal apparent, qui le glorifie ; le jour est amoureux ' de la nuit et 14a poursuit sans cesse en tournant autour du monde; l'amour est à la fois une soif et une plénitude qui a besoin d'épanchement. Celui qui donne reçoit, et celui qui reçoit doline; lè mouvement c'est un échange perpétuel. Connaître la loi de cet échange, savoir la proportion alternative ou simultanée de ces forces, c'est posséder les premiers principes du grand arcane magique, qui constitue la vraie divinité humaine. Scientifiquement on peut apprécier les diverses manifestations du mouvement universel par les phénomènes électriques ou magnétiques. Les appareils électriques surtout révèlent matériellement et positivement les affinités et les antipathies de certaines substances. Le mariage du cuivre avec le zinc, l'action de tous les métaux dans la pile galvanique, sont des révélations perpétuelles et irrécusables. Que les physiciens cherchent et découvrent : les cabalistes expliqueront les décou.vertes de la science. Le corps humain est soumis, comme la terre, à

49 une doublé loi : il attire et il rayonne; il est aimanté d'un magnétisme androgyne et réagit sur les deux puissances de l'âme, l'intellectuelle et la sensitive, en raison inverse, niais proportionnelle des prépondérances alternées des deux sexes dans son organisme physique. L'art du magnétiseur est tout entier dans la connaissance et l'usage (le cette loi. Polariser l'action et donner à l'agent une force bissexuelle et alternée, c'est 16 moyen encore inconnu et vainement cherché de diriger à vMonté les phénomènes du magnétisme ; mais il faut un tact très exercé et une grande précision dans les mouvements intérieurs pour ne pas confondre les signes de l'aspiration magnétique avec ceux de la respiration ; il faut aussi connaître parfaitement l'anatomie occulte et lé tempérament spécial des personnes sur lesquelles on agit. L'ÉQUILIBRE MAGIQUE.

Ce qui apporte le plus grand obstacle à la direction du magnétisme, c'est la mauvaise foi ou la mauvaise volonté des sujets: Les femmes surtout, qui sont essentiellement et toujours comédiennes; les femmes qui aiment à s'impressionner en impressionnant les autres, .et qui parviennent à se tromper les premières lorsqu'elles jouent leurs T. Il.

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

mélodrames nerveux ; les fefnmes sont la vraie magie noire du magnétisme. Aussi sera—t—il impossible à des magnétiseurs non initiés aux suprêmes arcanes et non assistés des lumières de la cabale de dominer jamais cet élément réfractaire et fugitif. Pour être maitre de la femme, il faut la distraire et la tromper habilement en lui laissant supposer que c'est elle—même qui vous trompe. Ce conseil, que nous donnons ici spécialement aux médecins magnétiseurs, pourrait peut—être trouver aussi sa place et son application dans la politique conjugale. L'homme peut produire à son gré deux souffles, l'un chaud et l'autre froid ; il peut également projeter à son gré la lumière -active ou la lumière passive; mais il faut qu'il acquière la conscience de cette force par l'habitude d'y penser. Un' même geste de la main peut alternativement respirer et aspirer ce qu'on est convenu d'appeler le fluide; et le magnétiseur lui-même sera averti du résultat de son intention par une sensation alternative de chaud et de froid dans la main, ou dans les deux mains s'il opère des deux mains à la fois, sensation que le sujet devra éprouver en même temps, mais en .sens contraire, c'est-à—dire avec une alternative tout à fait opposée.

L'É QUILIBRE MAGIQUE.

Le pentagramme, ou le signe de microcosme, représente, entre autres mystères magiques, la double sympathie des extrémités humaines entre elles et la circulation de la lumière astrale dans le corps humain. Ainsi, en figurant un homme dans l'étoile du pentagramme, comme on peut le voir dans la philosophie occulte d'Agrippa, on doit remarquer que la tête correspond en sympàthie masculine avec le pied droit et en sympathie féminine avec le pied gauche ; que la main -droite correspond de même avec la main et le pied gauche, et la main gauche réciproquement : ce qu'il faut observer dans les passes magnétiques, si l'on veut arriver à dominer tout l'organisme et à lier tous les membres par leur propres chaînes d'analogie et de sympathie naturelle. Cette connaissance est nécessaire pour l'usage du pentagramme dans lés conjurations des esprits, et dans les évocations des formes errantes dans • la lumière astrale, appelées vulgairement nécromancie, comme nous l'expliquerons au cinquième chapitre' de ce Rituel; mais il est bon d'observer ici que toute action provoque une réaction, et qu'en magnétisant eu'influençant magiquement les autres, nous établissons d'eux à nous un courant -

52 R I T U E L D E L A H A U T E M A G I E . d'influence contraire, mais analogue, qui peut nous soumettre à eux au lieu de les soumettre à nous, comme il arrive assez souvent dans les opérationQ qui ont pour objet la sympathie d'amour. C'est pourquoi il est essentiel de se défendre en même temps qu'on attaque, afin de ne pas aspirer à gauche en même temps qu'on souffle à droite. L'androgyne magique (voir la figure en tète du Rituel) porte écrit sur le bras droit SOLVE, et sur le bras gauche COAGULA, ce qui correspond à la figure symbolique des travailleurs du second temple,_ qui tenaient d'une main l'épée et de l'autre la truelle. En même temps qu'on bâtit il faut défendre son oeuvre en dispersant les ennemis: la nature ne fait pas autre chose lorsqu'elle détruit en même temps qu'elle régénère. Or, suivant l'allégorie du calendrier magique de Duchenteau, l'homme, c'est-àdire l'initié, est le singe de la nature, qui le tient à la chaîne, mais qui le fait agir sans cesse en imitation des procédés et des oeuvres de sa divine maîtresse et de son impérissable modèle. L'emploi alterné des forces contraires, le chaud après le froid, la douceur après la sévérité, l'amour après la colère, etc., est le secret du mouvement perpétuel et de la prolongation de la puissance ;

L EQUILIBRE MAGIQUE.

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c'est ce que sentent instinctivement les coquettes, qui font passer leurs adorateurs de l'espérance à lâ crainte et de la joie à la tristesse. Agir toujours dans le môme sens et de la môme manière, c'est surcharger un seul plateau d'une balance, et il en résultera bientôt la destruction absolue de l'équilibre. La perpétuité des caresses engendre vite la satiété, le dégoût et l'antipathie, de même qu'une froideur on une sévérité constante éloigne à la longue et décourage l'affection. En alchimie un feu toujoursje môme et continuellement ardent calcine la matière première et fait parfois éclater le vase hermétique; il faut substituer, à des intervalles réglés, à la chaleur du feu celle de la chaux ou du fumier minéral. C'est ainsi qu'il faut, en magie, tempérer les oeuvres de colère ou de rigueur par des opérations de bienfaisance et d'amour, et que, si l'opérateur tient sa volonté toujours' tendue de la môme manière et dans le même sens, il en résultera pour lui une grande fatigue et bientôt une sorte d'impuissance morale. Le magiste ne doit donc pas vivre exclusivement dans son laboratoire, entre son Athanor, ses élixirs et ses pentacles. Quelque dévorant que soit le

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

regard de cette Circé qu'on appelle la puissance occulte, il faut savoir lui présenter à propos le glaive d'Ulysse et éloigner à temps de nos lèvres la coupe qu'elle nous présente. Toujours une opération magique doit être suivie d'un repos égal à sa durée et d'une distraction analogue, mais contraire à son objet. Lutter continuellement contre la nature pour la dominer et la vaincre, c'est exposer sa raison et sa vie. ParacelSe a osé le faire, et toutefois dans cette lutte même il employait des forces équilibrées et opposait l'ivresse du vin à celle de l'intelligence ; puis il domptait l'ivresse par la fatigue corporelle, et la fatigue corporelle par un nouveau travail de l'intelligence. Aussi Paracelse était-il un homme d'inspiration et de miracles ; mais il a usé sa vie dans cette activité dévorante, ou plutôt il en a rapidement fatigué et déchiré le vêtement: car les hommes semblables à Paracelse peuvent user et abuser sans rien craindre : ils savent bien qu'ils ne sauraient pas plus mourir qu'ils ne doivent vieillir ici-bas. Rien ne dispose mieux à la joie que la douleur, et rien n'est plus voisin de la douleur que la joie. Aussi l'opérateur ignorant est-il .étonné d'arriver toujoUrs à' des résultats contraires à ceux qu'il se

L ÉQUILIBRE MAGIQUE. '

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propose, parce qu'il ne sait ni croiser ni alterner son action ; il veut envoûter son ennemi, et il devient lui-même malheureux et malade ; il veut se faire aimer, et il se passionne misérablement pour des femmes qui se moquent de lui; il veut faire de l'or, et il épuise ses dernières ressources : son supplice est éternellement celui de Tantale, l'eau se retire toujours lorsqu'il veut boire. Les anciens, dans leurs symboles et dans leurs opérations magiques, multipliaient les signes du binaire, pour n'en pas oublier la loi, qui est celle de l'équilibre. Dans leurs évocations, ils construisaient toujours deux autels différents et immolaient deux victimes, une blanche et une noire; l'opérateur, ou l'opératrice, tenant d'une main l'épée et de l'autre la baguette, devait avoir un pied chaussé et l'autre nu. Toutefois, comme le binaire serait l'immobilité et la mort sans le moteur équilibrant, on ne pouvait être qu'un ou trois dans les oeuvres de la magie ; et quand un homme et une femme prenaient part à la cérémonie, l'opérateur devait être une vierge, un androgyne ou un enfant. On me demandera si la bizarrerie de ces rites est arbitraire et si elle a uniquement pour but d'exercer la volonté en multipliant à plaisir les difficultés de

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

l'oeuvre magique. de répondrai qu'en magie il n'y a rien d'arbitraire, parce que tout est réglé et déterminé d'avance par le dogme unique et universel d'Hermès, celui de l'analogie dans les trois mondes. Tout signe correspond à une idée et à la forme spéciale d'une idée ; tout acte exprime une volonté correspondante à une pensée et formule les analogies de cette pensée et de cette volonté. Les rites sont donc déterminés d'avance par la science ellemême. L'ignorant, qui n'en sait pas la triple puissance, en subit la fascination mystérieuse; le sage les comprend et en fait l'instrument de sa volonté; mais, lorsqu'ils sont accomplis avec exactitude et avec foi, ils ne sont jamais sans effet. Tous les instruments magiques doivent être doubles; il faut avoir deux épées, deux baguettes, deux coupes, deux réchauds, deux pantacles et deux lampes ; porter deux vêtements superposés et de deux couleurs contraires, comme le pratiquent encore les prêtres catholiques; il faut n'avoir sur soi aucun métal, ou en avoir au moins deux. Les couronnes de laurier, de rue, d'armoise ou de verveine, doivent également être doubles; dans les évocations , on garde l'une des couronnes et l'on brûle l'autre, en observant comme

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un augure le bruit qu'elle fait en pétillant et les ondulations de la fumée qu'elle produit. cette observance n'est pas vaine, car, dans l'ceuvre magique, tous les instruments de l'art sont magnétisés par l'opérateur , l'air est chargé de ses parfums, le feu consacré par lui est soumis à sa volonté , les forces de la nature semblent l'entendre et lui répondre ; il lit dans toutes les formes les modifications et les compléments de sa pensée. C'est alors qu'on voit l'eau se troubler et comme bouillonner d'elle—même, le feu jeter une grande lumière ou s'éteindre, les feuilles des guirlandes s'agiter, la baguette magique se mouvoir d'ellemême, et qu'on entend passer dans l'air des voix étranges et inconnues. C'est dans de pareilles évocations que Julien vit aPparattre les fantômes trop aimés de ses dieux déchus, et s'épouvanta malgré lui de leur décrépitude et de leur pâleur. Je sais que le christianisme a supprimé pour toujours la magie cérémonielle et proscrit sévèrement les évocations et les sacrifices de l'ancien monde : aussi notre intention n'est-elle pas de leur donner une nouvelle raison d'être en venant après tant de siècles en révéler les antiques mystères. •

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RITUEL. DE LA HAUTE MAGIE.

Nos expériences, même dans cet ordre de faits, ont été des recherches savantes, et rien de plus. Nous avons constaté des faits pour apprécier des causes, et jamais nous n'avons eu la prétention de renouveler des rites a jamais détruits. L'orthodoxie israélite, cette religion si rationnelle, si divine et si peu connue, ne réprouve pas moins que le christianisme les mystères de la magie cérémonielle. Pour la tribu de Lévi, l'exercice même de la haute magie devait être considéré comme une usurpation de sacerdoce, et c'est la même raison qui fera proscrire par tous les cultes officiels la. magie opératrice, divinatrice et miraculeuse. Montrer le naturel du merveilleux et le produire à volonté, c'est anéantir pour le vulgaire la preuve concluante des miracles que chaque religion revendique comme sa propriété exclusive et son argument définitif. Respect aux religions établies, mais place aussi à la science. Nous ne sommes plus, grâce à Dieu, au temps des inquisiteurs et des bûchers ; l'on n'assassine plus de malheureux savants sur la foi de quelques fanatiques aliénés ou de quelques filles hystériques. il soit d'ailleurs bien entendu que nous faisons des études curieuses,

59 et non une propagande impossible, insensée. Ceux qui nous blâmeront d'oser nous dire magicien n'ont rien, à craindre d'un tel exemple, et il est plus que probable qu'ils ne deviendront jamais sorciers. L'ÉQUILIBRE MAGIQUE.

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

CHAPITRE III. LE TRIANGLE DES PANTACLES.

L'abbé Trithème, qui fut en magie. le maitre de Cornélius Agrippa, explique dans sa Stéganographie le secret des conjurations et des évocations d'une manière très philosophique et très naturelle, mais peut-être, _pour cela même, trop simple et trop facile. Évoquer un esprit, dit—il, c'est entrer dans la pensée dominante de cet esprit, et, si nous nous élevons moralement plus haut dans la même ligne, nous entraînerons cet esprit avec nous et il nous servira; autrement il nous entrainera dans son cercle et nous le servirons. Conjurer, c'est opposer à un esprit isolé la résistance d'un courant et d'une chaîne: cum jurare, jurer ensemble, c'est-à-dire faire acte d'une foi commune. Plus cette foi a d'enthousiasme et de puissance, plus la conjuration est efficace. C'est pour cela que le christianisme naissant faisait taire les oracles : lui seulalors possédait l'inspira,

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61 tion et la force. Plus tard, lorsque saiut Pierre eut vieilli, c'est—à-dire lorsque le monde crut avoir des reproches légitimes à faire à la papauté, l'esprit de prophétie vint remplacer les oracles; et les Savonarole, les Joachim de Flore, les Jean Hus et tant d'autres, agitèrent tour à tour les esprits et traduisirent en lamentations et en menaces les inquiétudes et les révoltes secrètes de tous les &eu rs. On peut donc ètre seul pour évoquer un esprit, mais pour le conjurer il faut parler au nom d'un cercle ou d'une association; et c'est ce que représente le cercle hieroglyphique tracé autour du mage pendant l'opération, et dont il ne doit pas sortir s'il ne veut perdre à l'instant méme toute sa puissance. Abordons nettement ici laquestion principale, la question importante : l'évocation réelle et la conjuration d'un esprit sont-elles possibles, et cette possibilité peut—elle étre scientifiquement démontrée ? A la première partie de la question on peut d'abord répondre que toute chose dont l'impossibilité n est pas évidente peut et doit ètre admise provisoirement comme possible. A la seconde partie LE T RI A NG LE DE S PE N TA C LES .

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62 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. nous disons qu'en vertu du grand dogme magique de la hiérarchie et de l'analogie universelle, on peut démontrer cabalistiquement la possibilité des évocations réelles ; quant à la réalité phénoménale du résultat des opérations magiques consciencieusernent accomplies, c'est une question d'expérience; et, comme nous l'avons déjà dit, nous avons constaté par nous-même cette réalité, et nous mettrons par ce Rituel nos lecteurs à même de renouveler et de confirmer nos expériences. Rien ne périt dans la nature, et tout ce qui a vécu continue à vivre toujours sous des formés nouvelles; mais les formes mêmes antérieures ne sont pas détruites, puisque nous les retrouvons dans notre souvenir. Ne voyons-nous pas en imagination l'enfant que nous avons connu et qui maintenant est un vieillard ? Les traces mêmes que nous croyons effacées dans notre souvenir ne le sont pas réellement, puisqu'une circonstance fortuite les évoque et nous les rappelle. Mais comment les voyons-nous? Nous avons déjà dit que c'est dans la lumière astrale qui les transmet à notre cerveau par le mécanisme de l'appareil nerveux. D'une autre part, toutes les formes sont proportionnelles et analogiques à l'idée qui les a détermi-

LE TRIANGLE DES PENTACLES.

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nées; elles sont le caractère naturel, la signature de cette idée , comme disent les magistes, et dès qu'on évoque activement l'idée, la forme se réalise et se produit. Schrcepffer, le fameux illuminé de Leipsik, avait jeté par ses évocations la terreur dans toute l'Allemagne, et son audace dans les opérations magiques avait été si grande, que sa réputation lui devint un insupportable fardeau; puis il se laissa entraîner par l'immense courant d'hallucinations qu'il avait laissé se former; les visions de l'autre monde le dégoûtèrent de celle—ci, et il se tua. Cette histoire doit rendre circonspects les curieux de magie cérémonielle. On ne violente pas impunément la nature, et l'on ne joue pas sans danger avec des forces inconnues et incalculables. C'est par cette considération que nous nous sommes refusé, et que nous nous refuserons toujours, à la vaine curiosité de ceux qui demandent à voir pour croire ; et nous leur répondons ce que nous disions à un personnage éminent d'Angleterre qui nous menaçait de son incrédulité : « Vous avez parfaitement le droit de ne pas croire; nous n'en serons pour notre part ni plus découragé, ni moins convaincu. »

6h • RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

A ceux qui viendraient nous dire qu'ils ont scrupuleusement et courageusement accompli tous les rites et que rien ne s'est produit, nous dirons qu'ils feront bien de s'en tenir là, et que c'est peut—être un avertissement de la nature qui se refuse pour eux à ces oeuvres excentriques, mais que, s'ils persistent dans leur curiosité, ils n'ont qu'à recommencer. Le ternaire, étant la base du dogme magique, doit nécessairement être observé dans les évocations; aussi est—il le nombre symbolique de la réalisation et de l'effet. La lettre y est ordinairement tracée sur lés pantacles cabalistiques qui ont pour objet l'accomplissement d'un désir. Cette lettre est aussi la marque du bouc émissaire dans la cabale mystique, et. Saint-Martin observe que cette lettre, intercalée dans l'incommunicable tétragramme, en a fait le nom du Rédempteur des hommes num. C'est ce que représentaient les mystagogues du moyen âge, lorsque, dans leurs assemblées nocturnes, ils exhibaient un bouc symbolique portant sur la tête entre les deux cornes un flambeau allumé. Cet animal monstrueux, dont nous décrirons au quinzième chapitre de ce Rituel les formes allégoriques et le culte bizarre, représentait la

LE TRIANGLE DES PANTACLES.

nature vouée à l'anathème, mais rachetée par le signe de la lumière. Les agapes gnostiques et les priapées païennes qui se succédaient en son honneur révélaient assez la conséquence morale que les adeptes voulaient tirer de cette exhibition. Tout ceci sera expliqué avec les rites, décriés et regardés maintenant comme fabuleux, du grand sabbat de la magie noire. Dans le grand, cercle des évocations on trace ordinairement un triangle, et il faut bien observer de quel côté on doit en tourner le sommet. Si l'esprit est supposé venir du ciel, l'opérateur doit se tenir

au sommet et placer l'autel des fumigations à la base; s'il doit Monter de l'abîme, l'opérateur sera à la base et le réchaud placé au sommet. Il faut 1. 11.

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

en outre avoir sur le front, sur la poitrine et sur la main droite le symbole sacré des deux trian-. gles réunis, formant l'étoile à six rayons dont nous avons déjà reproduit la figure, et qui est connue en magie sous le nom de pantacle ou de sceau de Salomon. Indépendamment de ces signes, les anciens faisaient usage dans leurs évocations des combinaisons mystiques des noms divins que nous avons donnés dans le dogme d'après les cabalistes hébreux. Le triangle magique des théosophes païens est le célèbre ABRACADABRA, auquel ils attribuaient des vertus extraordinaires, et qu'ils figuraient ainsi : ABRACADABRA ABRACADABR ABRACADAB ABRACADA. ABRACAD ABRACA ABRAC ABRA ABR AB A Cette combinaison de lettres est une clef du

LE TRIANGLE DES PANTACLES.

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peutagramme. L'A principiant y est répété cinq fois et reproduit trente fois, ce qui donne les éléments et les nombres de ces deux figures.

AA P>

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V

XX

L'A isolé représente l'unité du premier principe ou de l'agent intellectuel ou actif. L'A uni au B représente la fécondation du binaire par l'unité. L'R est le signe du ternaire, parce qu'il représente hiéroglyphiquement l'effusion qui résulte de l'union des deux principes. Lé nombre 1l. des lettres du mot ajoute l'unité de l'initié au dénaire de Pythagore; et le nombre 66, total de toutes les lettres additionnées, forme cabalistiquement le nombre 12, qui est le carré du ternaire et par conséquent la quadrature mystique du cercle. Remarquons en passant que l'auteur de l'Apocalypse, cette clavicule de la cabale chrétienne, a composé le nombre de la

68 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. bête, c'est-à-dire de l'idolâtrie, en ajoutant un 6 au double senaire de l'ABRACADABRA : ce qui donne cahalistiquement 18, nombre assigné dans le Tarot au_signe hiéroglyphique de la nuit et des profanes, la lune avec les tours, le chien, le loup et l'écrevisse ; nombre mystérieux et obscur, dont la clef cabalistique est 9, le nombre de l'initiation. Le cabaliste sacré dit expressément à ce sujet : Que celui qui a l'intelligence (c'est-à-dire la clef des nombres cabalistiques) calcule le nombre de la bête, car c'est le nombre (le l'homme, et ce nombre est 666. C'est en effet la décade de Pythagore multipliée par elle-même et ajoutée à la somme du Pantacle triangulaire d'Abracadabra ; c'est donc le résumé de toute la magie de l'ancien monde, le programme entier du génie humain, que le génie divin de l'Évangile voulait absorber ou supplanter. Ces combinaisons hiéroglyphiques de lettres et de nombres appartiennent à la partie pratique de la cabale, qui, sous ce point de vue, se subdivise en gématrie et en témurah. — Ces calculs, qui nous paraissent maintenant arbitraires ou sans intérêt, appartenaient alors au symbOlisme philosophique de l'Orient, et avaient la plus grande • importance dans l'enseignement des choses saintes

69 émanées dès sciences occultes. L'alphabet cabalistique absolu, qui rattachait les idées premières aux allégories, les allégories aux lettres et les lettres aux nombres, était ce qu'on appelait alors les clefs de Salomon. Nous avons déjà vu que ces clefs, conservées jusqu'à nos jours, mais complétement méconnues, ne sont autre chose que le jeu du Tarot, dont les allégories antiques ont été remarquées et appréciéeS pour la première fois, de nos jours, par le savant archéologue Court de Gébelin. Le double triangle de Salomon est expliqué par saint Jean, d'une manière remarquable. Il y a, dit-il, trois témoins dans le ciel : le Père, le Logos et le Saint-Esprit, et trois témoins sur la terre : le souffle, l'eau et le sang. Saint Jean est ainsi d'acCord avec les me•es de philosophie hermétique, qui donnent à leur soufre le nom d'éther, à leur mercure le nom d'eau philosophique, à leur sel la qualification de sang du dragon ou de menstruc de la terre : le sang ou le sel correspond par opposition avec le Père, l'eau azotique ou mercurielle avec le Verbe ou Logos, et le souffle avec le Saint-Esprit. Mais les choses de haut .symbolisme ne peuvent être bien entendues que par les vrais enfants de la s,.iettee. LE TRIANGLE DES I'ANTACLES.

-

70 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

Aux combinaisons triangulaires on unissait dans les cérémonies magiques, les répétitions des noms par trois fois, et avec des intonations différentes. La baguette magique était souvent surmontée d'une petite fourche aimantée, que Paracelse remplaçait par un trident dont nous donnons ici la figure :

Ô

B I

poosEL-f\gp. -

VLIEDOX. F'Keo

IMO xs\._ -

Le trident de Paracelse est un pantacle exprimant le résumé du ternaire dans l'unité, qui complète ainsi le quaternaire sacré. Il attribuait à cette figure toutes les vertus que les cabalistiques hébreux attribuent au nom de Jéhova, et les propriétés thaumaturgiques de l'Abracadabra des hiérophantes d'Alexandrie, Reconnaissons ici que c'est un pantacle, et par conséquent un signe concret et absolu de toute une doctrine qui a été celle d'un cercle magnétique immense, tant pour

LE TRIANGLE DES PANTACLES.

71

les philosophes anciens que pour les adeptes du moyen âge. En lui rendant, de nos jours, sa valeur primitive par l'intelligence de ses mystères, ne pourrait-on pas lui rendre toute sa vertu miraculeuse et toute sa puissance contre les maladies humaines? Les anciennes sorcières, lorsqu'elles passaient la nuit dans un carrefour de trois chemins, hurlaient trois fois en l'honneur de la triple Hécate. Toutes ces figures, tous ces actes analogues aux figures, toutes ces dispositions de nombres et de caractères, ne sont, comme nous l'avons déjà. dit, que des instruments d'éducation pour la volonté, dont ils fixent et déterminent les habitudes. Ils servent en outre à rattacher ensemble, dans l'action, toutes les puissances de l'âme humaine, et à augmenter la force créatrice de l'imagination. C'est la gymnastique de la pensée qui s'exerce à la réalisation : aussi l'effet de ces pratiques est-ii infaillible comme la nature lorsqu'elles sont faites avec une confiance absolue et une persévérance inébranlable. Avec la foi, disait le grand Maitre, on transplanterait des arbres dans la mer et l'on déplacerait des montagnes. Une pratique, mème superstitieuse,

72

RITUEL, DE LA HAUTE MAGIE.

même insensée, est efficace, parce que c'est une réalisation de la volonté. C'est pour cela qu'une prière est plus puissante si on va la faire à l'église que si on la fait chez soi, et qu'elle obtiendra des miracles si, pour la faire dans un sanctuaire accrédité, c'est-à-dire magnétisé à grand courant par l'affluénee des visiteurs, on fait cent lieues ou deux cents lieues en demandant l'aumône et les pieds nus. On rit de la bonne femme qui se prive d'un sou de lait le matin, et qui va .porter aux triangles magiques des chapelles un petit cierge d'un sou qu'elle laisse brôler. Ce sont les ignorants qui rient, et la bonne feMme ne paye pas trop cher ce qu'elle achète ainsi de résignation et de courage. Les grands esprits sont bien fiers de passer en haussant les épaules, ils s'insurgent contre les superstitions avec un bruit qui fait trembler le monde: qu'en résulte-t-il? Les maisons dés grands esprits s'écroulent, et les débris en sont revendus aux fournisseurs et aux acheteurs de petits cierges, qui laissent crier volontiers partout que leur règne est à jamais fini, poiirvu qu'ils gouvernent toujours. Les grandes religions n'ont jamais eu à craindre -

LE TRIANGLE DES PANTACLES. 73 qu'une rivale sérieuse, et cette rivale, c'est la magie. La magie a produit les associations occultes, qui ont amené la révolution nommée renaissance; mais il est arrivé à l'esprit humain, aveuglé par les folles amours, de réaliser en tout point l'histoire allégorique de l'Hercule hébreu : en ébranlant les colonnes du temple il s'est enseveli lui-même sous les ruines. Les sociétés maçonniques ne savent pas plus maintenant la haute raison de leurs symboles que les rabbins ne comprennent le Sepher Jesirah et le Sohar sur l'échelle ascendante des trois degrés; avec la progression transversale de droite à gauche et de gauche à droite du septénaire cabalistique. Le compas (lu G. -.A. -. et l'équerre de Salomon sont devenus le niveau grossier et matériel du jacobinisme inintelligent réalisé par un triangle d'acier : voilà pour le ciel et pour la terre. Les adeptes profanateurs auxquels, l'illuminé Cazotte avait prédit une mort sanglante ont surpassé de nos jours le !péché d'Adam après avoir cueilli témérairement les fruits de l'arbre de la science, dont ils n'ont pas su se nourrir, ils les ont jetés aux animaux et aux reptiles de la terre. Aussi .

74

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

le règne de la superstition a- -il commencé et doit-

il durer jusqu'au temps où la vraie religion se reconstituera sur les bases éternelles. de la hiérarchie à trois degrés èt du triple pouvoir que le ternaire exerce fatalement ou providentiellement dans les trois mondes.

LA CONJURATION DES QUATRE.

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CHAPITRE IV. LA CONJURATION DES QUATRE.

Les quatre formes élémentaires séparent et spécifient par une sorte d'ébauche les esprits créés que le mouvement universel dégage du feu central. Partout l'esprit travaille et féconde la matière par la vie; toute matière est animée; la pensée et l'âme sont partout. En s'emparant de la pensée, qui produit les diverses formes, on devient le maître des formes et on les fait servir à ses usages. La lumière astrale est saturée d'âmes, qu'elle dégage dans la génération incessante des êtres. Les âmes ont des volontés imparfaites qui peuvent être dominées et employées par des volontés plus puissantes ; elles forment alors de grandes chaînes invisibles et peuvent occasionner ou déterminer de grandes commotions élémentaires. Les phénomènes constatés dans les procès de magie, et tous récemment encore par M. Eudes de Mirville, n'ont pas d'autres causes.

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RITUEL. DE LA HAUTE MAGIE.

Les esprits élémentaires sont coin me les enfants : ils tourmentent davantage ceux qui s'occupent d'eux, à moins qu'on ne les domine par une haute raison et une grande sévérité. Ce sont ces esprits que nous désignons sous le nom d'éléments occultes. Ce sont eux qui déterminent souvent pour nous les songes inquiétants ou bizarres, ce sont eux qui produisent les mouvements de la baguette divinatoire et les coups frappés contre les murailles ou contre les meubles; mais ils ne peuvent jamais manifester une autre pensée que la nôtre, et si nous ne pensons pas, ils nous-parlent avec toute l'incohérence des rèves. Ils reproduisent indifféremment le bien et le niai, parce qu'ils sont sans libre arbitre et par conséquent n'ont point de responsabilité ; ils se montrent aux extatiques et aux somnambules sous des formes incomplètes et fugitives. C'est ce qui a donné lieu aux cauchemars de saint Antoine et très probablement aux visions de Svvedenborg ; ils ne sont ni damnés ni coupables, ils sont curieux et innocents. On peut user ou abuser d'eux comme des animaux ou des enfants. Aussi le magiste qui emploie leur concours assume-t-il sur lui une responsabilité terrible, car il devra expier

LA CONJURATION DES QUATRE.

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tout le mal qu'il leur fera faire, et la grandeur de ses tourments sera proportionnée à l'étendue de la puissance qu'il aura exercée par leur entremise. Pour dominer les esprits élémentaires et devenir ainsi le roi des éléments occultes, il faUt avoir subi d'abord les quatre épreuves des anciennes initiations, et, comme ces initiations n'existent plus, avoir suppléé par des actions analogues, comme de s'exposer sans frayeur dans un incendie, de traverser un gouffre sur un tronc d'arbre ou sur une planche ; d'escalader une montagne à pic pendant un orage ; de se tirer à la nage d'une cascade ou d'un tourbillon dangereux. L'homme qui a peur de l'eau ne régnera jamais sur les ondins ; celui qui craint le feu n'a rien à commander aux salamandres; tant qu'on peut avoir le vertige il faut laisser en paix les sylphes et ne pas irriter les gnomes, car. les esprits inférieurs n'obéissent qu'à une puissance qu'on leur prouve en se montrant leur maître jusque dans leur propre élément. • Lorsqu'on a acquis par l'audace et l'exercice cette puissance incontestable, il faut imposer aux éléments le verbe de sa volonté par des consécrations spéciales de l'air, du feu, de l'eau et de la

78 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. terre, et c'est ici le commencement indispensable de toutes les opérations magiques. On exorcise l'air en soufflant du côté des quatre points cardinaux et eu disant : Spiritus Dei ferebatur super aquas, et inspiravit in faciem hominis spiraculum vitoe. Sit Michael dux meus, et Sabtabiel servus meus, in lute et per lucem. Fiat verbum halitus meus; et imperabo spiritibus aeris hujus, et refrtenabo equos solis voluntate cordis mei, et cogitatione mentis mea3 et nutu oculi dextri. Exorciso igitur te, creatura aeris, per Pentagrammaton et in nomine Tetragrammaton, in quibus surit voluntas firma et fides recta. Amen. Sela, fiat. Qu'il en soit ainsi. Puis on récite l'oraison des sylphes, après avoir tracé en l'air leur signe avec une plume d'aigle. ORAISON DES SYLPHES.

Esprit *de lumière, esprit de sagesse, dont le souffle donne et reprend la forme de toute chose ; toi devant' qui la vie des êtres est une ombre qui change et une vapeur qui passe ; toi qui montes

79 les nuages et qui marches sur l'aile des vents; toi qui respires, et les espaces sans fin sent peuplés; toi qui aspires, et tout ce qui vient de toi retourne à toi : mouvement sans fin dans la stabilité éternelle, sois éternellement béni. Nous te lotions et nous te bénissons dans l'empire changeant de la lumière créée, des ombres, des reflets et des images, et nous aspirons sans cesse à ton immuable et impérissable clarté. Laisse pénétrer jusqu'à nous le rayon de ton intelligence et la chaleur de ton amour: alors ce qui est mobile sera fixé, l'ombre sera un corps, l'esprit de l'air sera une âme, le rêve sera une pensée. Et nous ne serons plus emportés par la tempête, mais nous tiendrons la bride des chevaux ailés du matin et nous dirigerons la course des vents du soir pour voler au-devant de toi. 0 esprit des esprits, ô âme éternelle des âmes, ô souffle impérissable de la vie, ô soupir créateur, ô bouche qui aspirez et qui respirez l'existence de tous les êtres dans le flux et le reflux de votre éternelle parole, qui est l'océan divin du mouvement et de la vérité. LA CONJURATION DES QUATRE. -

Amen.

On exorcise l'eau par l'imposition des mains, par le souffle et par la parole en y mêlant le sel con-

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

sacré avec un peu de cendre qui reste dans la cassolette des parfums. L'aspersoir se fait avec des branches de verveine, de pervenche, de Sauge, de menthe, de valériane> de frêne et de basilic, liées par un fil sorti de la quenouille d'une vierge, avec un manche de noisetier qui n'ait pas ,encore porté de fruits, et sur lequel vous graverez avec le poinçon magique les caractères des sept esprits. Vous bénirez et consacrerez séparément le sel et la cencire des parfums en disant : -

SUR LE SEL.

In isto sale sit sapientia, et ab omni corruptione servet mentes uostras et corpora nostra, per Rochmet et in virtute Ruach-Hochmaël, recedant ab isto fantasmata hylœ ut sit.sal coelestis, sal terra et 'terra salis, ut nutrietur bos triturans et addat spei nostrœ cornua tauri volantis. Amen. SUR LA CENDRE.

Revertatur cinis ad fontem aquarum viventium, et fiat terra fructificans, et germinet arborem vitae per tria Domina, quœ sunt Netsah, Md et Jesod, in principio et in fine, per Alpha et Omega qui sunt in spiritu AZOTH. Amen.

LA CONJURATION DES QUATRE.

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EN MÊLANT L'EAU, LE SEL ET LA CENDRE.

In sale sapientiœ œternœ, et in aqua regenerationis, et in cinere germinante terram novam , omnia fiant per Eloïm Gabriel Raphael et Uriel , in sœcula et œonas. Amen. ;

EXORCISME DE L EAU. '

o

Fiat firmamentum in medio aquarum et separet aquas ab aquis, que superius sicut que inferius, et que inferius sicut que superius, ad perpetranda miracula rei unius. Sol ejus pater est, luna mater et ventus banc gestavit in utero suo, ascendit a terra ad co3lum et rursus a ccelo in terram descendit. Exorciso te, creatura aquœ, ut sis mihi speculum Dei vivi in operibus ejus, et Fons vite, et ablutio peccatorum. Amen. ORAISON DES ONDINS.

Roi terrible de la mer, vous qui tenez les clefs des cataractes du ciel et qui renfermez les eaux souterraines dans les cavernes de la terre ; roi du déluge T. II.

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

et des pluies du printemps; vous qu i ouvrez les sources des fleuves et des fontaines; vous qui commandez à l'humidité, qui est comme le sang de la terre, de devenir la séve des plantes, nous vous adorons et nous vous invoquons. Nous, vos mobiles et changeantes créatures, parlez-nous dans les grandes commotions de la mer, et nous tremblerons devant vous; parlez-nous aussi dans le murmure des eaux limpides, et nous désirerons votre amour. 0 immensité dans laquelle vont se perdre tous les fleuves de l'ètre, qui renaissent toujours en vous I 0 océan de perfections infinies ! hauteur, qui vous mirez dans la profondeur ; profondeur, qui vous exhalez dans la hauteur, amenez-nous à la véritable vie par l'intelligence et par l'amour I Amenez-nous à l'immortalité par le sacrifice, afin que nous soyons trouvés dignes de vous offrir un jour l'eau, le sang et les larmes, pour la rémission des erreurs. Amen. On exorcise le feu en y jetant du sel, de l'encens, de la résine blanche, du camphre et du soufre, et en prononçant trois fois les trois noms des génies du feu : MICHAEL, roi du soleil et de la foudre; SAMAEL, roi des volcans, et ANAEL, prince de la lumière astrale; puis en récitant l'oraison des salamandres.

LA CONJURATION DES QUATRE.

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ORAISON DES SALAMANDRES.

Immortel, éternel, ineffable et incréé, père de toutes choses , qui es porté sur le chariot roulant sans cesse des mondes qui tournent toujours; dominateur des immensités éthérées, où est élevé le trône de ta puissance, du haut duquel tes yeux redoutables déc ouvrent tout. et tes belles et saintes oreilles écoutent tout, exauce tes enfants, que tu as aimés dès la naissance des siècles ; car ta dorée et grande et éternelle majesté resplendit au—dessus du monde et du ciel des étoiles ; tu es élevé sur elles, ô feu étincelant; là, tu t'allumes et t'entretiens toi-même par ta propre splendeur, et il sort de ton essence des ruisseaux intarissables de lumière qui nourrissent ton esprit infini. Cet esprit infini nourrit toutes choses, et fait ce trésor inépuisable de substance toujours prête pour la génération qui la travaille et qui s'approprie les formes dont tu l'as imiwégnée dès le principe. De cet esprit tirent aussi leur origine ces rois très saints qui sont autour de ton trône, et qui composent ta cour, ô père universel ! ô unique! ô père des bienheureux mortels et immortels.

8h RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. Tu as créé en particulier des puissances qui sont merveilleusement semblables à ton éternelle pensée et à ton essence adorable ; tu les as établies supérieures aux anges. qui annoncent au monde tes volontés; enfin tu nous as créés au troisième rang dans notre empire élémentaire. La, notre continuel exercice est de te louer et d'adorer tes désirs; là, nous brûlons' sans cesse en aspirant à te posséder. 0 père! ô mère, la plus tendre des mères! ô archetype admirable de la maternité et du pur amour ! ô fils, la fle' ur des fils! ô forme de toutes les formes, âme, esprit, harmonie et nombre de toutes choses! Amen !



On exorcise la terre par l'aspersion de l'eau, par le souffle et par le feu, avec les parfums propres pour chaque jour, et l'on dit l'oraison des gnomes. o ORAISON DES GNOMES.

Roi invisible, qui avez pris la terre pour appui et qui en avez creusé les abîmes pour les remplir de votre toute—puissance; vous dont le nom fait trembler les voûtes du monde, vous qui faites cou-

LA CONJURATION DES QUATRE. 85

1er les sept métaux dans les veines de la pierre , monarque des sept lumières, rémunérateur des ouvriers souterrains, amenez-nous à l'air désirable et au royaume de la clarté. Nous veillons et nous travaillons sans relâche, nous cherchons et nous espérons, par les douze pierres de la cité sainte, par les talismans qui sont enfouis, par le clou d'aimant qui traverse le centre du monde. Seigneur, Seigneur, Seigneur, ayez pitié de ceux qui souffrent, élargissez nos poitrines, dégagez et élevez nos tètes, agrandissez-nous. 0 stabilité et mouvement, jour enveloppé de nuit, 8 obcursité voilée de lumière ! ô maître, qui ne retenez jamais par devers vous le salaire de vos travailleurs ! A blancheur argentine, 49 splendeur dorée ! 8 couronne de diamants vivants et mélodieux! vous qui portez le ciel à votre doigt comme une bague de saphir, vous qui cachez sous la terre dans le royaume des pierreries la semence merveilleuse des étoiles,. vivez, régnez et soyez l'éternel dispensateur des richesses dont vous nous avez fait les gardiens. Amen. Il faut observer que le royaume spécial des gnomes est au nord, celui des salamandres au midi,

86 RITUEL. DE LA HAUTE MAGIE. celui des sylphes à l'orient, et celui des ondins à • l'occident. Ils influent les quatre tempéraments de l'homme, c'est-à-dire les gnomes sur les mélancoliques, les salamandres sur les sanguins, les ondins sur les flegmatiques et les sylphes sur les bilieux. Leurs signes sont : les hiéroglyphes du taureau pour les gnomes, et on leur commande avec l'épée ; du lion pour les salamandres, et on leur commande avec la baguette fourchue ou le trident magique; de l'aigle pour les sylphes, et on leur commande avec les saints pantacles ; enfin du verseau pour les ondins, et on les évoque avec la coupe des libations. Leurs souverains respectifs sont Gob pour les gnomes, IblIn pour les salamandres, Paralda pour les sylphes, et Nicksa pour' les ondins. Lorsqu'un esprit élémentaire vient tourmenter ou du moins inwliéter les habitants de ce monde, il faut le conjurer par l'air, par l'eau, par le feu et par la terre, en soufflant, en aspergeant, en brûlant des parfums , et en traçant sur la terre l'étoile de Salomon et le pentagramme sacré. Ces figures doivent être parfaitement régulières et faites soit avec les charbons du feu consacré, soit avec un roseau trempé dans diverses couleurs

LA CONJURATION DES QUATRE.

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qu'on mélangera d'aimant pulvérisé. Puis, en tenant à la main le pantacle de Salomon, et prenant tour à tour l'épée, la baguette et la coupe, ou prononcera en ces termes et à voix haute la conjuration des quatre : Caput tnortuum, imperet tibi Dominus per vivum et devotum serpentent. Cherub, imperet tibi Dominus per Adam dotchavah ! Aquila errans, imperet tibi Dominus per alas Tauri. Serpens, imperet tibi Dominus tetragrammaton per angelum et leonem ! Michael, Gabriel, Raphael, Anael ! FLUAT UDOR per spiritum ELOïrd. MANEAT TERRA per Adam IOT-CHAVAII. FIAT FIRMAMENTUM per IARUVEHU-ZEBAOTH. FLAT JUDICIUM per ignem in virtute MICHAEL. Ange aux yeux morts, obéis, ou écoule-toi avec cette eau sainte. Taureau ailé, travaille, ou retourne à la terre si tu ne veux pas que je t'aiguillonne avec cette épée. Aigle enchatné,' obéis à ce signe; ou retire-toi deVant ce souffle. Serpent mouvant, rampe à mes pieds, ou sois

88 RITUEL DI LA HAUTE MAGIE. tourmenté par le feu sacré et évapore-toi avec les parfums que j'y brûle. Que l'eau retourne à l'eau ; que le feu brûle; que l'air circule ; que la terre tombe sur la terre par la vertu du pentagramme, qui est l'étéile du matin, et au nom du tétragramnic qui est écrit au centre de la croix de lumière. Amen. • Le signe de la croix adopté par les chrétiens ne leur appartient pas exclusivement. Il est aussi cabalistique, et représente les oppositions et l'équilibre quaternaire des éléments. Nous voyons par le verset occulte du Pater que nous avons signalé dans notre Dogme qu'il y avait primitivement deux manières de le faire, ou du moins deux formules bien différentes pour le caractériser : l'une réservée aux prêtres et aux initiés ; • l'autre accordée aux néophytes et aux profanes. Ainsi, par exemple, l'initié, en portant la main à son front, disait : A toi; puis il ajoutait : appartiennent; et continuait en portant la main à sa poitrine : le royaume; puis à l'épaule gauche, la justice ; à l'épaule droite, et la miséricorde. Puis on joignait les deux mains en ajoutant : dans les cycles générateurs. Tibi sunt Malch ut et Geburah et Chesed per œonas. — Signe de croix absolument et magnifiquement

89 cabalistique, que les profanations du gnosticisme ont fait perdre complétement à l'Église militante et officielle. Ce signe fait de cette manière doit précéder et terminer la conjuration des quatre. Pour dompter et asservir les esprits élémentaires, il ne faut jamais s'abandonner aux défauts qui les caractérisent. Ainsi jamais un esprit léger et capricieux ne gouvernera les sylphes. Jamais une nature molle, froide et changeante ne sera • maîtresse des ondins ; la colère irrite les salamandres, et la grossièreté cupide rend ceux qu'elle asservit les jouets des gnomes. Mais il faut être prompt et actif comme les sylphes, flexible et attentif aux images comme les ondins, énergique et fort comme les salamandres, laborieux et patient comme les gnomes; en un mot, il faut les vaincre dans leur forçe sans jamais se laisser asservir à leurs faiblesses. Lorsqu'on sera bien affermi dans cette disposition, le monde entier sera au service du sage opérateur. Il passera pendant l'orage, et la pluie ne touchera pas sa tête ; le vent ne dérangera pas même un pli 'de son vêtement; il traversera le feu sans être brûlé ; il marchera sur l'eau, et il verra les diamants à travers LA CONJURATION DES QUATRE. •

90 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. l'épaisseur de la terre. Ces promesses, qui peuvent sembler hyperboliques, ne le sont que dans l'inintelligence du vulgaire ; car, si le sage ne fait pas matériellement et précisément les choses que ces paroles expriment, il en fera de bien plus grandes et de plus admirables. Cependant il est indubitable qu'on peut par la volonté diriger les éléments dans une certaine mesure, et en changer ou en arrêter réellement les effets. Pourquoi, par exemple, s'il est constaté que des personnes, dans l'état d'extase, perdent momentanément leur pesanteur, ne pourrait-on pas marcher ou glisser sur l'eau? Les convulsionnaires de Saint-Médard ne sentaient ni le feu ni le fer, et sollicitaient comme des secours les coups les plus violents et les tortures les plus incroyables. Les étranges ascensions et l'équilibre prodigieux de certains somnambules ne sont-ils pas une révélation de ces forces cachées de la nature? Mais nous vivons dans un siècle où l'on n'a pas le courage d'avouer les miracles dont on est témoin, et si quelqu'un vient dire : J'ai vu ou j'ai fait moi-même les choses que je vous raconte, on lui dira : Vous voulez vous amuser à nos dépens, ou vous êtes malade. Il vaut mieux se taire et agir.

91 Les métaux qui correspondent aux quatre formes élémentaires sont l'or et l'argent pour l'air, le mercure pour l'eau, le fer et le cuivre.pour le feu, et le plomb pour la terre. On en compose des talismans relatifs aux forces qu'ils représentent et aux effets qu'on se propese d'en obtenir. La divination par les quatre formes élémentaires, qu'on nomme aéromancie, hydromancie, pyromancie et géomancie, se fait de diverses manières, qui toutes dépendent de la volonté et du translucide ou imagination de l'opérateur. En effet, les quatre éléments ne sont que des instruments pour aider la seconde vue. La seconde vue est la faculté de voir dans la lumière astrale. Cette seconde vue est naturelle comme la première vue ou vue sensible et ordinaire; mais elle ne peut s'opérer que par "abstraction des sens. Les somnambules et les extatiques jouissent naturellement de la seconde vue ; mais cette vue est plus lucide quand l'abstraction est plus complète. L'abstraction se produit par l'ivresse astrale, c'est-à-dire par une surabondance de lumière qui L A C O NJ U R A TI ON D E S Q U A T R E .

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

sature complétement et rend par conséquent inerte l'instrument nerveux. Les tempéraments sanguins sont plus disposés à l'aéromancie, les bilieux à la pyromancie, les pituiteux à l'hydromancie, et les mélancoliques à la géomancie. L'aéromancie se confirme par l'onéiromancie ou divination par lés songes; on supplée à la pyromancie par le magnétisme, à l'hydromancie par la cristallomancie, et à la géomancie par la cartomancie. Ce sont des transpositions et des perfectionnements de méthodes. Mais la divination, de quelque manière qu'on puisse l'opérer, est dangereuse, ou tout au moins inutile, car elle décourage la volonté, entrave, par conséquent, la liberté, et fatigue le système nerveux.

LE PENTAGRAMME FLAMBOYANT.

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CHAPITRE V. LE PENTAGRAMME FLAMBOYANT.

Nous arrivons à l'explication et à la consécration du saint et mystérieux pentagramme. Ici, gué) l'ignorant èt que le superstitieux ferment le livre : ils n'y verront que ténèbres, ou seront scandalisés. Le pentagramme, qu'on appelle dans les écoles gnostiques l'étoile flamboyante, est le signe de la toute-puissance et de l'autocratie intellectuelles. C'est l'étoile des mages; c'est le signe« du Verbe fait chair; et, suivant la direction de ses rayons, ce symbole absolu en magie représente le bien ou le mal, l'ordre ou le désordre, l'agneau béni d'Ormuz et de saint Jean ou le bouc maudit de Mendès. C'est l'initiation ou la profanation; c'est Lucifer ou Vesper, l'étoile du matin ou du soir. C'est Marie ou Lilith ; c'est la victoire ou la mort; c'est la lumière ou la nuit. Le pentagramme élevant en l'air deux de ses

94 RITUE L DE LA HAUTE MAGIE. pointes représente Satan ou le bouc du sabbat, et il représente le Sauveur lorsqu'il élève en l'air un seul de ses rayons. Le pentagramme est la figure du corps humain avec quatre membres et une pointe unique qui doit représenter la tète. Une figure humaine la tète en bas représente naturellement un démon, c'est-à-dire la subversion intellectuelle, le désordre ou la folie. Or, si la magie est une réalité, si cette science occulte est la loi véritable des trois mondes, ce signe absolu, ce signe ancien comme l'histoire et plus que l'histoire, doit exercer et exerce en effet une influence incalculablesur les esprits dégagés de leur enveloppe matérielle. Le signe du pentagnmune s'appelle aussi le signe du microcosme, et il repréSente ce que les cabs— listes du livre de Sohar appellent le microprosope. L'intelligence complète du pentagramme est la clef des deux mondes. C'est la philosophie et la science naturelle absolues. Le signe du pentagramme doit se composer des sept métaux, ou du moins être tracé en or pur sur du marbre blanc. On peut aussi le dessiner avec du vermillon_sur ,

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LE.PBNTAGRÂMMEFLAMBOYANT.

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unepeand'agneausansdéfautsetsanstaches,-symbole d'intégrité et de lumière. Le marbre doit être vierge, c'est-à-dire n'avoir jamais servi à d'autres usages; la peau d'agneau doit être préparée sous les auspices du soleil. L'agneau doit avoir été égorgé au temps de Pâques avec un couteau neuf, et la peau doit avoir été salée avec le sel consacré par les opérations magiques. La négligence d'une seule de ces cérémonies difficiles et arbitraires en apparence fait avorter tout le succès des grandes oeuvres de la science. On consacre le pentagramme avec les quatre éléinents ; on souffle cinq fois sur la figure magique; on l'asperge avec l'eau consacrée; on la sèche à la fumée des cinq parfums, qui sont l'encens, la myrrhe, l'aloès, le soufre et le camphre, auxquels on peut joindre un peu de résine blanche et d'ambre gris; on souffle cinq fois, en prononçant les noms des cinq génies, qui sont Gabriel, Raphael, Anael, Samael et Oriphiel ; puis on pose alternativement le pantaele sur la terre au nord, au midi, à l'orient, • à l'occident et au centre de la croix astronomique, et l'on prononce l'une après l'autre les lettres du tétragramme sacré; puis on dit tout bas les noms

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

bénis de l'Aleph et du Thau mystérieux réunis dans le nom cabalistique d'AzoTH. Le pentagramme doit être placé sur l'autel des parfums et sous le trépied des évocations. L'opérateur doit aussi en porter sur lui la figure avec celle du macrocosme, c'est-à-dire de l'étoile à six rayons, composée de deux triangles croisés et superposés. Lorsqu'on évoque un esprit de lumière, il faut tourner la tète de l'étoile, c'est-à-dire une de ses pointés, vers le trépied de l'évocation et les deux pointes inférieures du côté de l'autel des parfums. C'est le contraire s'il s'agit d'un esprit de ténèbres; mais il faut alors que l'opérateur ait soin de tenir le bout de la baguette ou la pointe de l'épée sur la tête du pentagramme. Nous avons déjà dit que les signes sont le verbe actif de la volonté. Or la volonté doit donner son verbe complet pour le transformer en action; et une seule négligence, représentant une parole oiseuse ou un doute, frappe toute l'opération de mensonge et d'impuissance, et retourne contre l'opérateur toutes les forces dépensées eu vain. 11 faut donc s'abstenir absolument des cérémo-

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LE PENTAGRAN1ME FLAMBOYANT.

nies magiques, ou les accomplir scrupuleusement et exactement toutes! Le pentagramme tracé en lignes lumineuses sur du verre au moyen de la machine électrique exerce aussi une grande influence sur les esprits et terrifie les fantômes. Les anciens magiciens traçaient le signe du pentagramme sur le seuil de leur porte pour empêcher les mauvais esprits d'entrer et empêcher les bons de sortir. Cette contrainte résultait de la. direction des rayons de l'étoile. Deux pointes en dehors repoussaient les mauvais esprits, deux pointes en dedans les retenaient prisonniers ; une seule pointe en dedans captivait les bons esprits. Toutes ces théories magiques, baséesSur le dogme unique d'Hermès et sur les inductions analogiques de la science, ont toujours été confirmées par les visions des extatiques et par les convulsions (les cataleptiques se disant possédés des esprits. Le G que les francs-maçons placent au milieu de l'étoile flamboyante signifie GNOSE et GÉNÉRAVON, les deux mois sacrés de l'ancienne Kabbale. 11 veut dire aussi GRAND ARCUITECTE, car le pentagramme, de quelque côté qu'on le regarde, représente un A. -

T.U.

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98 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. En le disposant de manière que deux de ses pointes soient en haut et une seule pointe en bas , on peut y voir les cornes, les oreilles et la barbe du bouc hiératique de Mendès, et il devient le signe des évocations infernales. L'étoile allégorique des mages n'est autre chose que le mystérieux pentagramme; et ces trois rois, enfants de Zoroastre , conduits par l'étoile flamboyante au berceau du Dieu microcosmique, suffiraient pour prouver les origines toutes cabalistiques et véritablement magiques du dogme chrétien. Un de ces rois est blanc, l'autre est noir, et le troisième est brun. Le blanc offre de l'or, symbole de vie et de lumière ; le noir de la myrrhe, image de la mort et de là nuit; le brun présente l'encens, emblème de la divinité du dogme conciliateur des deux principes; puis ils retournent dans leur pays par un autre chemin, pour montrer qu'un cUlte nouveau n'est qu'une nouvelle route pour conduire l'humanité à la religion unique, celle du ternaire sacré et du rayonnant pentagramme, le seul catholicisme éternel. Dans l'Apocalypse, saint Jean voit cette lierne étoile tomber du ciel sur la terre. Elle se nomme alors absynthe ou amertume, et toutes les eaux .

LE PENTAGRAMME FLAMBOYANT.

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deviennent amères. C'est une image saisissante de la matérialisation du dogme, qui produit le fanatisme et les amertumes de la controverse. C'est au christianisme lui-mème qu'on peut alors adresser cette parole d'Isaïe : Comment es-tu tombée du ciel, étoile brillante, qui étais si splendide à ton matin ? Mais le pentagramme, profané par les hommes, brille toujours sans ombre dans la main droite du Verbe de vérité, et la voix inspiratrice promet à celui qui vaincra de le remettre en possession de l'étoile du matin : réhabilitation solennelle promise à l'astre de Lucifer. Comme on le voit, tous les mystères de la magie, tous les symboles de la gnose, toutes les figures de l'occultisme, toutes les clefs cabalistiques de la prophétie, se résument dans le signe du pentagramme, que Paracelse proclame le plus grand et' le plus puissant de tous les signes. Faut-il s'étonner après cela de la confiance des magistes et de l'influence réelle exercée par ce signe sur les esprits de toutes les hiérarchies ? Ceux qui méconnaissent le signe de la croix tremblent à l'aspect de l'étoile du microcosme. Le mage, au contraire, lorsqu'il sent sa volonté faiblir, porto ,

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

les yeux vers le symbole, le prend dans la main droite, et se sent armé de la toute-puissance intellectuelle , pourvu qu'il soit vraiment un roi digne d'être conduit par l'étoile au berceau de la réalisation divine; pourvu qu'il sache, qu'il ose, qu'il veuille et qu'il se taise ; pourvu qu'il connaisse les usages du pentacle, de la coupe, de la baguette et de l'épée; pourvu enfin que les regards intrépides de son âme correspondent à ces deux yeux que la pointe supérieure de notre pentagramme lui présente toujours ouverts.

LE MÉDIUM ET LE MÉDIATEUR.

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CHANTRE VI. LE MÉDIUM ET LE MÉDIATEUR.

Nous avons dit que pour acquérir la puissance magique il faut deux choses: dégager la volonté de toute servitude et l'exercer à la domination. La volonté souveraine est représentée dans nos symboles par la femme qui écrase la tète du serpent, et par l'ange radieux qui réprime et contient le dragon sous son pied et sous sa lance. Déclarons ici sans détours que le grand agent magique , le double courant de lumière, le feu vivant et astral de là terre, a été figuré par le serpent à tète de taureau, de bouc ou de chien, dans les anciennes théogonies. C'est le double serpent du caducée, c'est l'ancien serpent de la Genèse ; mais c'est aussi le serpent d'airain de Moïse, entrelacé autour du tau, c'est-à-dire du lingam générateur; c'est aussi le bouc du sabbat et le Baphomet des templiers; c'est l'Hylé des Gnostiques; c'est la double queue du serpent qui forme les jambes du coq solaire des 'Abraxas; c'est enfin le diable de M. Eudes de Mir-

102 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. ville, et c'est réellement la férce aveugle que. les âmes ont à vaincre pour s'affranchir des chaînes de la terre ; car, si leur volonté ne les détache pas de cette aimantation fatale, elles seront absorbées dans le courant par la force qui les a produites, et retourneront au feu central et éternel. Toute l'oeuvre magique consiste donc à se dégager des replis de l'ancien serpent, puis à lui mettre le pied sur la tète et à le conduire où l'on voudra. Je te donnerai, dit-il dans le mythe évangélique, tous les royaumes de la terre si tu tombes et si tu m'adores. L'initié doit lui répondre: Je ne tomberai pas, et tu ramperas à mes pieds; tu ne me don-• ncras rien, mais je me servirai de toi et je prendrai ce que je voudrai : car je suis ton seigneur et maître ! Réponse qui est comprise, mais voilée, clans celle que lui fait le Sauveur. Nous avons déjà dit que le diable n'est pas une personne. C'est une force dévoyée, comme son nom l'indique d'ailleurs. Un courant odique ou magnétique, formé par une chaîne de volontés perverSes, constitue ce mauvais esprit, que l'évangile appelle légion, et qui précipite les pourceaux clans la mer : nouvelle allégorie de l'entraînement des êtres bassement instinctifs par les forces aveu-

LÉ MEDIUM ET LE MÉDIATEUR.

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gles que peuvent mettre en mouvement la mauvaise volonté et l'erreur. On peut comparer ce symbole à celui des compagnons d'Ulysse changés en pourceaux par la magicienne Circé. Or, voyez ce que fait Ulysse pour se préserver lui-même et délivrer ses compagnons : il refuse la coupe de l'enchanteresse et lui commande avec l'épée. Circé, c'est la nature avec toutes ses voluptés et ses attraits; pour jouir d'elle il faut la vaincre : tel est le sens de la fable homérique, car les poèmes d'Homère, véritables livres sacrés de l'ancienne Hellénie, contiennent tous les mystères des hautes initiations de l'Orient. Le medium naturel, c'est donc le serpent, toujours actif et séducteur, des volontés paresseuses, auquel il faut toujours résister en le domptant. Un mage amoureux, un mage gourmand, un mage en colère, un mage paresseux, sont des monstruosités impossibles. Le mage pense et veut; il n'aime rien avec désir, il ne repousse rien avec passion : le mot passion représente un état passif, et le mage est toujours actif et victorieux. Le plus difficile dans les hautes sciences, c'est d'en arri-

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

ver à cette réalisation ; aussi, quand le mage s'est créé 'lui-même, le grand oeuvre est-il accompli, du moins dans son instrument et dans sa cause. Le grand agent ou médiateur naturel de la toutepuissance humaine ne peut être asservi et dirigéque par un médiateur extra-naturel, qui est une volonté affranchie. Archimède demandait un point d'appui hors du monde pour soulever le monde. Le point d'appui du mage, c'est la pierre cubique intellectuelle, la pierre philôsophale d'Azoth«, c'està-dire le dogme de l'absolue raison et des harmonies universelles par la sympathie des contraires. Un de nos écrivains les plus féconds et les moins fixés dans leurs idées, M. Eugène Sue, a bâti toute une épopée romanesque sur une invididualité qu'il s'efforce de rendre odieuse et qui devient intéressante malgré lui, tant il lui accorde de puissance, de patience, d'audace, d'intelligence et de génie! Il s'agit d'une espèce de Sixte-Quint,, pauvre, sobre, sans colère, qui tient le monde entier enlacé dans le réseau de ses combinaisons savantes. Cet homme excite à sa volonté les passions de

105 ses adversaires, les détruit les unes par les autres, arrive toujours où il veut arriver, et cela sans bruit, sans éclat, sans charlatanisme. Son but, c'est de délivrer le monde d'une société que l'auteur du livre croit dangereuse et perverse, et pour, cela rien ne lui coûte : il est mal logé, mal vêtu, nourri comme le dernier des pauvres, mais toujours attentif à son oeuvre. L'auteur, pour rester dans son intention, le représente pauvre, sale, hideux, dégoûtant à toucher, horrible à voir. Mais, si cet extérieur môme est un moyen de déguiser l'action et d'arriver plus sûrement, n'est-ce pas la preuve d'un courage sublime? Quand Rodin sera pape, pensez-vous qu'il sera encore mal vêtu et crasseux? M. Eugène Sue a donc manqué son but; il veut flétrir le fanatisme et la superstition, et il s'attaqué à l'intelligence, à la force, au génie, à toutes les grandes vertus humaines! S'il y avait beaucoup de Rodins chez les jésuites, s'il y en avait môme un seul, je ne donnerais pas grand'chose de la succession du LE MÉDIUM ET LE MÉDIATEUR.

parti contraire, malgré les brillants et maladroits plaidoyers de ses illustres avocats. Vouloir bien , vouloir longtemps, vouloir toujours, mais ne jamais rien convoiter, tel eut le

106 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. secret de la. force; et c'est cet arcane magique que le Tasse met en action dans la personne des deux chevaliers qui viennent délivrer Renaud et détruire les enchantements d'Armide. Ils résistent aussi bien aux nymphes les plus charmantes qu'aux animaux féroces les plus terribles ; ils restent sans désirs et sans crainte, et ils arrivent à leur but. Il résulte de ceci qu'un vrai magicien est plus redoutable qu'il ne peut être aimable. Je n'en disconviens pas, et, tout en reconnaissant combien sont douces les séductions de la vie, tout en rendant justice au génie gracieux d'Anacréon et à toute l'efflorescence juvénile de la poésie des amours, j'invite sérieusement les estimables amis du plaisir à ne considérer les hautes sciences que comme un objet de curiosité, mais à ne s'appro—,\ cher jamais du trépied magique : les grandes oeuvres de la science sont mortelles à la volupté. L'homme qui s'est délivré de la chaîne des instincts s'apercevra d'abord de sa toute—puissance par la soumission des animaux. L'histoire de Daniel dans la fosse aux lions n'est pas une fable, et plus d'une fois, pendant les persécutions du christianisme naissant, ce phénomène se renouvela en

LE MÉDIUM ET LE MÉDIATEUR.

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présence de tout le peuple romain. Rarement un homme a quelque chose à craindre d'un animal dont il n'a pas peur. Les balles de Gérard, le tueur de lions, sont magiques et intelligentes. Une fois seulement il courut un véritable danger : il avait laissé venir avec lui un compagnon qui eut peur, et alors, regardant cet imprudent comme perdu d'avancé, il eut peur aussi, lui, mais pour son camarade. Beaucoup de personnes diront qu'il est difficile et même impossible d'arriver à une résolution pareille, que la force de volonté et l'énergie de caractère sont des dons de la nature, etc. de n'en disconviens pas, mais je reconnais aussi que l'habitude peut refaire la nature ; la volonté peut être perfectionnée par l'éducation, et, comme je l'ai dit, tout le cérémonial magique, semblable en cela au cérémonial religieux, n'a pour but que d'éprouver, d'exercer et d'habituer ainsi la volonté à la persévérance et à la force. Plus les pratiques sont difficiles et assujettissantes, plus elles ont d'effet : on doit maintenant le comprendre. S'il a été jusqu'à présent impossible de diriger les phénomènes du magnétisme, c'est qu'il ne s'est pas encore trouvé de magnétiseur initié et vérita-

1 08 RITUEL. DE LA HAUTE MAGIE. blement affranchi. Qui peut en effet se flatter de l'être? et n'avons-nous pas toujours à faire de nouveaux efforts sur nous-mêmes? 11 est toutefois certain que la nature obéira au signe et à la parole de celui qui se sentira assez fort pour ne pas douter. Je dis que la nature obéira, je ne dis pas qu'elle se démentira ou qu'elle troublera l'ordre de ses possibilités. Les guérisons des maladies nerveuses par une parole, un souffle ou un contact; les résurrections dans certains cas; la résistance aux volontés mauvaises capable de désarmer et de renverser des meurtriers; la faculté même de se rendre invisible en troublant la vue de ceux auxquels il est important d'échapper: tout cela est un effet naturel de la projection ou du retrait de la lumière astrale. C'est ainsi que Valens fut frappé d'éblouissement, de terreur, en entrant dans le temple de Césarée, 'somme autrefois Héliodore, foudroyé par une démence subite dans le temple de Jérusalem, s'était cru fouetté et foulé au pieds par des anges. C'est ainsi que l'amiral de Coligny imposa le respect à ses assassins, a ne put être tué que par un homme furieux qui se jeta sur lui en détournant la tète. Ce qui rendait Jeanne d'Arc toujours victorieuse, c'était le prestige de sa foi et le mer- .

109 veineux de son audace : elle paralysait les bras qui voulaient la frapper, et les Anglais ont pu sérieusement la croire magicienne ou sorcière. Elle était en effet magicienne sans le savoir, car elle croyait elle—même agir surnaturellement , tandis qu'elle disposait d'une force occulte, universelle et toujours soumise aux mêmes lois. LE MEDIUM ET LE MÉDIATEUR.

• Le magiste magnétiseur doit commander au medium naturel, et par conséquent au corps astral qui fait commùniquer notre âme avec nos organes; il peut dire au corps matériel : Dormez! et au corps sidéral: Rêvez ! Alors les choses visibles changent d'aspect, comme dans les visions d u hatsch ich . Cagliostro possédait, dit-on, cette puissance, et en aidait l'action par des fumigations et des parfums; mais la vraie puissance magnétique doit se passer de ces auxiliaires plus ou moins vénéneux pour la raison et nuisibles à la santé. M. Ragon, dans son savant ouvrage sur la maçonnerie occulte, donne la recette d'une série de médicaments propres à exalter le somnambulisme. C'est une connaissance qui n'est sans doute pas à rejeter, tuais dont les magistes prudents doivent bien se garder de faire usage. La lumière astrale se projette par le regard, par

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

la voix, par le's pouces et la paume des mains. La musique est un puissant auxiliaire de la voix, et de. là est venu le mot d'enchantement. Nul instrument de musique n'est plus enchanteur que la voix humaine, mais les sons lointains du violon ou de l'harmonica peuvent en augmenter la puissance. On prépare ainsi le sujet qu'on veut soumettre; puis, quand il est à demi assoupi et comme enveloppé de ce charme, on étend la main vers lui et on lui commande de dormir ou de voir, et il obéit malgré lui. S'il résistait, il faudrait, en le regardant fixement, poser un pouce sur son front entre les yeux, et l'autre pouce sur sa poitrine, en le touchant légèrement d'un seul et rapide contact ; puis aspirer lentement, respirer doucement uri souffle chaud, et lui répéter à voix basse: Dormez ou Voyez.

LE SEPTÉNAIRE DES TALISMANS.

CHAPITRE VII. LE SEPTÉNAIRE DES TALISMANS.

Les cérémonies, les vètements, les parfums, les caractères et les figures étant, comme nous l'avons dit , nécessaires pour employer l'imagination à l'éducation de la volonté, le succès des oeuvres magiques dépend dé la fidèle observation de tous • les rites. Ces rites, comme nous l'avons dit, n'ont rien de fantastique ni d'arbitraire; ils nous ont été transmis par l'antiquité, et subsistent toujours par les lois essentielles de la réalisation analogique et du rapport qui existe nécessairement entre les idées et les formes. Après avoir passé plusieurs années à consulter et à comparèr tous les grimoires et tous les rituels magiques les plus authentiques, nous sommes parvenu, non sans travail, à reconstituer le cérémonial de la magie universelle et primitive. Les seuls livres sérieux que nous ayons vus sur ce sujet sont manuscrits, et tracés en caractères de convention, que nous avons déchiffrés à l'aide de la polygraphie de Trithème ; d'autres sont tout entiers

1i2 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. dans les hiéroglyphes et les symboles dont ils sont ornés, et déguisent la vérité de leurs images sous les fictions superstitieuses d'un texte mystificateur. Tel est , par exemple , l'Enchiridion du pape Léon III, qui n'a jamais été imprimé avec ses vraies figures, et que nous avons refait pour notre usage particulier d'après un ancien manuscrit. Les rituels connus sous le nom de Clavicules de Salomon sont en grand nombre. Plusieurs ont été imprimés, d'autres sont restés manuscrits et ont été copiés avec un grand soin. Il-en existe un bel exemplaire, fort élégament calligraphié, à la Bibliothèque impériale; il est orné des pentacles et de caractères qui se retrouvent, pour la plupart, dans les calendriers magiques de Tycho-Brahé et de Duchenteau. Il existe enfin des clavicules et des grimoires imprimés qui sont des mystifications et des spéculations honteuses de basse librairie. Le livre si connu et si décrié de nos pères sous le nom du Petit' Albert appartient par tout un côté de sa rédaction à cette dernière catégorie ; il n'a de sérieux que quelques calculs empruntés à Paracelse et quelques figures de talismans. Lorsqu'il s'agit de réalisation et de rituel, Paracelse est, en magie, une imposante autorité. Per-

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LE SEPTÉNAIRE DES TALISMANS.

sonne n'a accompli de plus grandes oeuvres que les siennes, et pour cela même il cache la puissance des cérémonies, et enseigne seulement dans la philosophie occulte l'existence de l'agent magnétique de la toute—puissance de la volonté ; il résume aussi toute la science des caractères en deux signes, qui sont les étoiles macro et microcosmiques C'était assez dire pour les adeptes, et il importait de ne pas initier le vulgaire. Paracelse donc n'enseignait pas le rituel, mais il pratiquait, et sa 'pratique était une suite de miracles. Nous avons dit quelle importance ont en magie le ternaire et le quaternaire. De leur réunion se compose le grand nombre religieux et cabalistique qui repréSente la synthèse universelle et qui çonstitue le septénaire sacré. Le monde, à ce que croyaient les anciens, est gouverné par sept causes secondes, comme les appelle Tritheme, secundcei, et ce sont les forces universelles désignées par MoïSe sous le nom pluriel d'Eloïm, les dieux. Ces forces, analogues et contraires les unes aux autres, produisent l'équilibre par leurs contrastes et règlent le mouvement des sphères. Les Hébreux les appellent les sept grands archanges, et leur donnent les noms de Michael, T II.

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I I ti

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Gabriel, Raphael, Anael, Sainael, Zadkiel et Oriphiel. Les gnostiques chrétiens nomment les quatre derniers Uriel, Barachiel, Sealtiel et Jéhudiel. Les autres peuples ont attribué àces esprits le gouvernement des sept planètes principales, et leur ont donné les noms de leurs grandes divinités. Tous ont cru à leur influence relative, et l'astronomie leur a partagé le ciel antique et leur a attribué successivement le gouvernement des sept jours de la semaine. -

Telle est la raison des diverses cérémonies de la semaine magique et du culte septénaire des planètes. Nous avons déjà observé que les planètes, ici, sont -des signes, et pas autre chose; elles ont Pin' fluence que la foi universelle leur attribue, parce qu'elles sont plus réellement encore (les astres de l'esprit humain que des étoiles du ciel. Le soleil, que la magie antique a toujours regardé comme fixe, ne pouvait être une planète que pour le vulgaire; aussi représente-t-il dans la semaine le jour du repos, que nous appelons, on ne sait pourquoi, dimanche, et que les anciens nommaient le jour du soleil. *. Les sept planètes magiques correspondent aux

LE SEPTÉNAIRE DES TALISMANS.

sept couleurs du prisme et aux sept notes' de l'octave musical; elles représentent aussi les sept vertus, et, par opposition, les sept vices, de la morale chrétienne. Les sept sacrements se rapportent également à. ce grand septénaire universel. Le baptême, qui consacre l'élément de Peau, se rapporte à la lune; la pénitence rigoureuse est sous les auspices de Samael, l'ange de Mars; la confirmation, qui donne l'esprit d'intelligence et communique au vrai croyant le don des langues, est sous les auspices de Raphael, l'ange de Mercure; l'eucharistie substitùe la réalisation sacramentelle de Dieu fait homme à l'empire de Jupiter; le mariage est consacré par l'ange Anael, le génie purificateur de Vénus; l'extrême-onction est la sauvegarde des malades prêts à tomber sous la faux de Saturne, et l'ordre, qui consacre le sacerdoce de lumière, est plus spécialement marqué des caractères du soleil. Presque toutes ces analogies ont été remarquées par le savant Dupuis, qui en a conclu à la fausseté de toutes les religions, au lieu de reconnaître la sainteté et la perpétuité d'un dogme unique, toujours reproduit dans le symbolisme universel des formes religieuses successives. Iln'a pas compris la révé..

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lation permanente transmise au génie de l'homme par les harmonies de la nature, et n'a vu qu'une série d'erreurs dans cette chatne d'images ingénieuses et d'éternelles vérités. Les oeuvres magiques sont aussi au nombre de sept : 1° oeuvres de lumière et richesse, sous les auspices du soleil; 2° oeuvres de divination et de mystères., sous l'invocation de la lune; 3° oeuvres d'habileté, de science et d'éloquence, sous la protection de Mercure; oeuvres de colère et de châtiment, consacrées k Mars; 5° oeuvres d'amour, favorisées par Vénus; 6° oeuvres d'ambition et de politique, sous les auspices de Jupiter; 7° oeuvres de malédiction et de mort, sous le patronage de Saturne. En symbolisme théologique, le soleil représente le verbe de vérité; la lune représente la religion elle-mème ; Mercure, l'interprétation et la science des mystères; Mars, la justice; Vénus, la miséricorde et l''amour ; Jupiter, le Sauveur ressuscité et glorieux; Saturne, Dieu le père, ou le Jéhova de Moïse. Dans le corps humain, le soleil est analogue au coeur, la lune au cerveau, Jupiter à la main droite, Saturne à la main gauche, Mars au pied gaiiche et Vénus au pied droit, Mercure aux parties sexuelles, ce qui a fait représenter parfois .

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le génie de cette planète sous une figure androgyne. Dans la face humaine, le soleil domine le front, Jupiter l'oeil droit, Saturne l'oeil gauche; la lune règne entre les deux yeux, à la racine du nez, dont Mars et Vénus gouvernent les deux ailes; Mercure enfin exerce son influence sur la bouche et sur le ,menton. Ces notions formaient chez les anciens la science occulte de la physionomie, retrouvéê imparfaitement depuis par Lavater. Le mage qui veut procéder aux oeuvres de lumière doit opérer le dimanche, de minuit à huit heures du matin, ou de trois heures de l'après-midi jus• qu'à dix heures du soir. Il sera revêtu d'une robe de pourpre, avec une tiare et des bracelets d'or. L'autel des parfums et le trépied du feu sacré seront entourés de guirlandes de laurier, d'héliotropes et tournesols; les parfums serontle ci nname, l'encens mâle, le safran et le sandal rouge; l'anneau sera d'or, avec une chrysolithe ou un rubis; les tapis seront des peaux de lions ; les éventails seront de plumes d'épervier. Le lundi on portera une robe blanche lamée d'argent, avec un triple collier de perles, de cristaux et de sélénites ; la tiare sera couverte de soie

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jaune, avec des caractères d'argent formant en hébreu le monogramme de Gabriel, tels qu'on les trouvedans la philosophie occulte d' Agrippa; les par- • fums seront le sandal blanc, le camphre, l'ambre, l'aloès et la semence de concombre pulvérisée; les guirlandes seront d'armoise, de sélénotropes et de • renoncules jaunes. On évitera les tentures, les vêtements ou les objets de couleur noire, et l'on n'aura sur soi aucun autre métal que l'argent. Le mardi, jour des opérations de colère, la robe sera couleur de feu, nu de rouille, ou de sang, avec une ceinture et des bracelets d'acier la tiare sera cerclée de fer, et l'on ne se servira pas de la baguette, mais seulement du stylet magique etde l'épée; les guirlandes seront d'absinthe etde rue, et l'on aura au doigt une bague d'acier avec une améthyste pour pierre précieuse. Le mercredi, jour favorable à la haute science, la robe sera verte ou d'une étoffe à reflets et de différentes couleurs : le collier sera de perles en verre creux contenant dt.i• mercure ; les parfums seront le benjoin, le macis et le storax; les fleurs, le narcisse, le lys, la mercuriale, la fumeterre etla marjolaine; la pierre précieuse sera l'agate. Le jeudi, jour des grandes oeuvres religieuses et

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politiques, la robe sera d'écarlate, et l'on aura sur le front une lame d'étain avec le caractère de l'esprit de Jupiter et ces trois mots : GEARAR, BÉTHOR, SAMGABIEL ; les parfums seront l'encens, l'ambre gris, le baume, la graine de paradis, le macis et le safran ; l'anneau sera orné d'une émeraude ou d'un saphir; les guirlandes et les couronnes seront de chène, de peuplier, de figuier et de grenadier. Le vendredi, jour des opérations amoureuses, la robe sera d'un bleu azuré ; les tentures seront vertes et roses, les ornements de cuivre poli; les couronnes seront de violettes; les guirlandes, de roses, de myrte et d'olivier ; l'anneau sera orné d'une turquoise; le lapis-lazuli et 13 béryl serviront pour la tiare et les agrafes; les éventails seront de plumes de cygne, et l'opérateur aura sur la poitrine un talisman de cuivre avec le caractère d'Anael et ces paroles: AVEEVA Le samedi, jour des oeuvres funèbres, la robe sera noire ou brime, avec (les caractères brodés en soie, de couleur orangée; on portera au cou une médaille de plomb avec le caractère de Saturne et ZARAMEL ; les parces paroles: ALMALEC, funis seront le diagridium, la scammonée, le soufre et l'assa foetida; la bague aura une

190 R I T U E L D E L A H A U T E M A G I E . pierre d'onyx ; les guirlandes seront de frêne, de cyprès et d'ellébore noir; sur l'onyx de la bague on gravera avec le poinçon consacré et aux heures de Saturne une double tête de Janus. Telles sont les antiques magnificences du culte secret des mages. C'est avec un semblable appareil que les grands magiciens du moyen pige procédaient à la consécration quotidienne des pentacles et des talismans relatifs aux sept génies. Nous avons déjà dit qu'un pentacle est un ,caractère synthétique résumant tout le dogme magique dans une de ces conceptions spéciales. C'est donc la véritable expression d'une pensée el, d'une volonté complètes; c'est la signature d'un esprit. La consécration cérémonielle de ce signe y attache plus fortement encore l'intention de l'opérateur, et établit entre lui et le pentacle une véritable chaîne magnétique. Les pentacles peuvent être indifféremment tracés sur le parchemin vierge, sur le papier ou sur leS métaux. On appelle talisman une pièce de métal portant soit des pentacles, soit des caractères, et ayant reçu une consécration spéciale pour une intention déterminée. Gaffarel, dans un savant ouvrage sur les antiquités magiques, a démontré, par la science, le pouvoir réel des talismans, et la confiance en leur

LE SEPTENAIRE DES TALISMANS.

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vertu est d'ailleurs tellement dans la nature, qu'on porte volontiers sur soi des souvenirs de ceux qu'on aime, avec la persuasion que ces reliques nous préserveront du danger et devront nous rendre plus heureux. On fait les talismans avec les sept métaux cabalistiques, et l'on y grave, aux jours et aux heures favorables, les signes voulus et déterminés. Les figures des sept planètes, avec leurs carrés magiques, se trouvent dans le Petit Albert, d'après Paracelse, et c'est un des rares endroits sérieux de ce livre. de magie vulgaire. Il faut remarquer . que Paracelse remplace la figure de Jupiter par celle d'un prêtre, substitution qui n'est pas sans une intention mystérieuse bien marquée. Mais les figures allégoriques et mythologiques des sept esprits sont devenues de nos jours trop classiques et trop vulgaires pour qu'on puisse encore les tracer avec succès sur les talismans; il faut recourir à des signes plus savants et plus expressifs. Le pentagramme doit être toujours gravé sur l'un des côtés du talisman, avec un cercle pour le soleil, un croissant pour la lune, un caducée ailé pour Mercure, une épée pour Mars, un G pour Vénus, une couronne pour Jupiter et une faucille pour Saturne. L'autre côté du talisman doit porter le signe de

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

Salomon, c'est-à-dire l'étoile à six rayons faite de deux triangles superposés; et au centre on mettra une figure humaine pour les talismans du soleil, une coupe pour ceux de la lune, une tète de chien pour ceux de Mercure, une tête d'aigle pour ceux de Jupiter, une tète de lion pour ceux de Mars, une colombe pour-ceux de Vénus, une tête de taureau ou de bouc pour ceux de Saturne. On y joindra les noms des sept anges, soit en hébreu, soit en arabe, soit en caractères magiques semblables à ceux des alphabets de Trithème. Les deux triangles de Salomon peuvent être remplacés par la double croix des roues d'Ezéchiel , qu'on retrouve sur un grand nombre d'anciens pantacles, et qui est, comme nous l'avons fait observer dans notre Dogme, la clef des trigrammes de Fohi. On peut aussi employer les pierres précieuses pour les amulettes et les talismans ; mais tous les objets de ce genre, soit en métal, soit en pierreries, doivent être enveloppés avec soin dans des sachets de soie de la couleur,analogue à l'esprit de la planète, parfumés avec les parfums du jour correspondant, et préservés de tous regards et de tous contacts impurs. Ainsi, les pentacles et les talis-

123 maris du soleil ne doivent êtres vus ni touchés par les gens difformes et contrefaits ou par les femmes sans moeurs ; ceux de la lune sont profanés par les regards et par les mains des hommes débauchés et des femmes ayant leurs mois; ceux de Mercure perdent leur vertu s'ils sont vus ou touchés par des prêtres salariés; ceux de Mars doivent être cachés aux poltrons; ceux de Vénus aux hommes dépravés et à ceux qui ont fait voeu de célibat; ceux de Jupiter aux impies; et ceux de Saturne aux vierges et aux enfants, non que les regards ou les contacts de ces derniers puissent jamais êtres impurs, mais parce que le talisman leur porterait malheur et perdrait- ainsi toute sa force. Les croix d'honneur et autres décorations de ce genre sont de véritablés talismans qui augmentent la valeur ou le mérite personnels. Les distributions solennelles qu'on en fait en sont les consécrations. L'opinion publique peut leur donner une prodigieuse puissance. On n'a pas assez remarqué l'influence réciproque des signes sur les idées et des idées sur les signes; il n'en est pas moins vrai que l'oeuvre révolutionnaire des temps modernes, par exemple, a été résumée symboliquement tout entière LE SEPTÉNAIRE DES TALISMANS.

s2G RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. par la substition napoléonienne de l'étoile de l'hon neur à la croix de saint Louis. C'est le penta, gramme substitué au labarum, c'est la réhabilitation du symbole de la lumière, c'est la résurrection maçonnique d'Adonhiram. On dit que Napoléon croyait à son étoile, et, si on eût pu lui faire dire ce qu'il entendait par cette étoile, on eût trouvé que c'était son génie : il devait donc adopter pour signe le, pentagram me, ce symbole de la souveraineté humaine par l'initiative intelligente. Le grand soldat de la révolution savait peu ; mais il devinait presque tout : aussi a-t-il été le plus grand magicien instinctif et pratique des temps modernes. Le monde est encore plein de ses miracles et le peuple des campagnes ne croira jamais qu'il soit mort. Les objets bénis et indulgenciés, touchés par de saintes images ou par des personnes vénérables, les chapelets venus de Palestine, les agnus Dei composés avec la cire du cierge pascal, et les restes annuels du saint chrême, les scapulaires, les médailles, sont de véritables talismans. Une de ces médailles est devenue populaire de notre temps, et ceux même qui n'ont aucune teligion la mettent au cou'de leurs enfants. Aussi les figures en sont-

125 elles si parfaitement cabalistiques que cette médaille est vraiment un double et merveilleux pentacle. D'un côté on voit la grande initiatrice, la mère céleste du Sohar, l'Isis de l'Égypte, la Vénus Uranie des Platoniciens, la Marie du christianisme, debout sur le monde et posant un pied sur la tête du serpent magique; Elle étend_ les deux mains de manière qu'elles fasseni, un triangle dont la tête de la femme est le sommet; ses mains sont ouvertes et rayonnantes, ce qui en fait un double pentagramme, dont les rayons se dirigent tous vers la terre, ce qui représente évidemment l'affranchissement de l'intelligence pur le travail. De'l'autre côté on voit le double Tau des hiérophantes, le Lingam au double Ctéis ou au triple Phallus, supporté, avec entrelacement et double insertion par l'M cabalistique et . maçonnique représentant l'équerre entre les deux colonnes JAKIN et BOHAS ; au-dessus son t placés, sous un même niveau, deux coeurs aimants et souffrants, et autour, douze pentagrammes. Tout le monde vous dira que les' porteurs de cette médaille n'y attachent pas cette signification ; mais elle n'en est, par cela même, que plus parfaitement magique, ayant un double sens, et, par conséquent, une double vertu. L'extatique sur les révélations de laquelle LE SEPTÉNAIRE DES TALISMANS.

;

126 RITUEL' DE LA HAUTE MAGIE. ce talisman fut gravé l'avait vu déjà. existant et parfait dans la lumière astrale, ce qui démontre une fois de plus l'intime connexion des idées et des signes, et donne une nouvelle sanction au symbolisme de la magie universelle. Plus on met d'importance et de solennité à la confection et à la consécration des talismans et des pentacles, plus ils acquièrent de vertu, comme on doit le comprendre d'après l'évidence des principes que nous avons établis. Cette consécration doit se faire aux jours spéciaux que nous avons marqués, avec l'appareil dont nous avons donné les détails. On les consacre par les quatre éléments exorcisés, après avoir conjuré les esprits de ténèbres par la conjuration des quatre; puis on prend le pentacle dans sa main, et l'on dit en y jetant quelques goutte,s.d'eau magique : ,

In nomine Eloim et per spiritum aquarum vive*. tium, sis mihi in signum lucis et sacramentum voluntatis.

En le présentant à la fumée des parfums on dit: Per serpentera ceneum sub quo cadunt serpentes ignei, fis mihi (etc.),

LE SEPTÉNA1RE DES TALISMANS.

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En soufflant sept fois sur le pentacle ou sur le talisman on dit :

Per firmamentum et spiritum vocis, sis mihi (etc.). Enfin, en y plaçant triangulairement quelques grains de terre purifiée ou de sel, il faut dire: /n sale terrce et per virtutem vitce ceternc e , sis mihi (etc.). Puis on fait la conjuration des sept de la ma nière suivante : On jette alternativement clans le feu sacré une pastille des sept parfums et l'on dit : Au nom de Michael, que Jéhovah te commande et t'éloigne d'ici, Chavajoth ! Au nom de Gabriel, qu'Adonaï te commande et t'éloigne d'ici, Bélial ! Au nom de Raphael, disparais devant Elchim, Sachabiel ! Par Samael Zébaoth et au nom d'Eloïm Gibor, éloigne-toi, Adraméleck! Par Zachariel et Sachiel-Méleck, obéis à Elvah, amgabiel ! Au nom divin et humain de Schaddaï et par le signe du pentagramme que je tiens dans nia main

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RITUEL HE LA HAUTE MAGIE.

droite, au nom de l'ange Anael, par la puissance d'Adam et d'Héva, qui sont dotchavah, retire-toi, Lilith; laisse-nous en paix, Nahémah ! Par les saints Eloïm et les noms des génies Cashiel, Séhaltiel, Aphiel et Zarahiel, au commandement d'Orifiel, détourne-toi de nous, Moloch! nous ne te donnerons pas nos enfants à dévorer. Pour ce qui est des instruments magiques, les principaux sont: la baguette, l'épée, la lampe, la £oû pe, l'autel et le trépied. Dans les opérations de la haute et divine magie on se sert de la lampe, de la baguette et de la coupe ; dans les oeuvres de la magie noire on remplace la baguette.. par l'épée et la lampe par la chandelle de Cardan. Nous expliquerons cette différence à l'article spécial de la magie noire. Venons à la description et à la consécration des instruments. La baguette magique, qu'il ne faut pas confondre avec la simple baguette divinatoire, ni avec la fourche des nécromans ou le trident de Paracelse; la vraie et abSolue baguette magique doit être d'un seul jet, parfaitement droit, d'amandier ou de noisetier, coupé d'un seul coup avec la serpette magique ou la faucille d'or, avant le lever dû soleil

129 et au moment où l'arbre est prêt à fleurir. Il faut la perforer clans toute sa longueur sans 14 fendre ni la rompre, et y introduire une longue aiguille de fer aimanté qui en occupe toute l'étendue; puis on adapte à l'une de ses extrémités un prisme polyèdre taillé triangulairement, et à l'autre bout une figure pareille en résine noire. Au milieu de la baguette on placera deux anneaux, l'un de cuivre rouge, l'autre de zinc; puis la baguette sera dorée du côté de- la résine et argentée du côté du prisme jusqu'aux anneaux du milieu, et on la revê, tira de soie jusqu'aux extrémités exclusivement. Sûr l'anneau de cuivre il faut graver ces caractères rtv-tprvtnerit et sur l'anneau de zinc rd 7z7 15011 . La consécration de la baguette doit durer sept jours, en commençant à la nouvelle lune, et doit être faite par un initié possesseur des grands arcanes et ayant lui-mèrne une baguette consacrée. C'est la transmission du sacerdoce magique, et cette transmission n'a pas cessé depuis les ténébreuses origines de la haute science. La baguette et les autres instruments mais la baguette surtout doivent être cachés avec soin, et sous aucun prétexte le magiste ne doit les laisser voir ou toucher aux profanes; autrement ils perdraient toute leur vertu. LE SEPTÉNAIBE DES TALISMANS.

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Le mode de transmission de la baguette est un des arcanes de la science qu'il n'est jamais permis de révéler. La longueur de la baguette-magique ne doit pas excéder celte du bras de l'opérateur. Le magicien ne doit s'en servir que lorsqu'il est seul, et ne doit même jamais la toucher sans nécessité. Plusieurs anciens magistes la faisaient seulement de la longueur de l'avant-bras et la cachaient sous de longues manches, montrant seulement en public la simple baguette divinatoire, ou quelque sceptre allégorique fait d'ivoire ou d'ébène, suivant la nature des oeuvres. Le cardinal de Richelieu, qui ambitionnait toutes les puissances, chercha toute sa vie, sans pouvoir la trouver, la transmission de la baguette. Son cabaliste Gaflarel ne put lui donner que l'épée et les talismans tel fut peut-être le motif secret de sa haine contre Urbain Grandier, qui savait quelque chose des faiblesses du cardinal. Les entretiens secrets et prolongés de Laubardemont avec le malheureux prêtre quelques heures encore avant son dernier supplice, et les paroles d'un ami et d'un confident de ce dernier lorsqu'il allait à la mort «Monsieur, vous êtes habile homme, ne vous per-

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LE SEPTÉNAIRE DES TALISMANS.

(lez pas» , donnent beaucoup penser sur ce sujet. La baguette magique est le V erendum du mage; il ne doit pas môme en parler d'une manière claire et précise ; personne ne doit se vanter de la posséder, et l'on ne doit en transmettre la consécration que sous les conditions d'une disci.étion et d'une confiance. absolues. L'épée est moins occulte, et voici comment il faut la faire: Il faut qu'elle soit de pur acier, avec une poignée de cuivre faite en forme de croix avec trois pommeaux, comme elle est représentée dans l'Euchiridion de Léon III, ou ayant pour garde deux croissants, comme dans notre figure. Sur le noeud central de la garde, qui doit être revêtu d'une plaque d'or, il faut graver d'un côté le signe du macrocosme et de l'abtre celui du microcosme. Sur le pommeau il faut graverle monogramme hébreu de Michael, tel qu'on le voit dans Agrippa, et sur la lame, d'un côté ces caractères lu= mrt o5tia , et de l'autre le monogramme du labarum de Constantin, suivi de ces paroles : V ince in hoc, Deo duce, ferro comite. (Voir pour l'authenticité et l'exactitude de ces figures les meilleures éditions anciennes de l'Enchiridion.) ,

,

,

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La consécration de l'épée doit se faire le dimanche, aux heures du soleil, sous l'invocation de Michael. On mettra la lame de l'épée dans un feu de laurier et de cyprès ;,puis on en essuiera et or en polira la lame avec les cendres du feu sacré, humectées de sang de taupe ou de serpent, et l'on dira: Sis mihi gladius Michaelis, in virtute Eloïm Sabaoth fugiant a te spiribus tenebrarum et reptilia terre; puis on la parfumera avec les parfums du soleil, et on la renfermera dans de la soie avec des branches de verveine qu'il faudra briller le septième jour. La lampe magique doit être faite de quatre métaux : l'or, l'argent, l'airain et le fer. Le pied sera de fer, le noeud d'airain, la coupe d'argent, le triangle du milieu en or. Elle aura deux bras, composés de trois métaux tordus ensemble, de manière toutefois à laisser pour l'huile un triple conduit. Elle aura neuf mèches, trois au milieu et trois à chaque bras. ( Voir la figure. ) Sur le pied on gravera le sceau d'Hermès et au-dessus l'Androgyne à deux têtes de Khunrath. La bordure inférieure du pied représentera un serpent qui se mord la queue.

Sur la coupe ou récipient de l'huile on gravera

LE SEPTÉNAIRE DES TALISMANS

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le signe de Salomon. A cette lampe s'adapteront deux globes l'un orné de peintures transparentes, • représentant les sept génies, l'autre plus grand et double, pouvant contenir dans quatre compartiments; entre deux verres, de l'eau teinte en diverses couleurs. Le tout sera renfermé dans une colonne de bois tournant sur elle-même et pouvant laisser échapper à volonté un des rayons de la lampe qu'on dirigera sur la fumée de l'autel au moment des invocations. Cette lampe est d'un grand secours pour aider les opérations intuitives des imaginations lentes, et pour créer immédiatement devant les personnes magnétisées des formes d'une réalité effrayante, qui, étant multipliées par les miroirs, agrandiront tout à coup et changeront en une seule salle immense remplie d'àmes visibles le cabinet de l'opérateur; l'ivresse des parfums et l'exaltation des invocations transformeront bientôt cette fantasmagorie en un rêve réel : on reconnaîtra les personnes qu'on a connues, les fantômes parleront; puis, si l'on referme la colonne de la lampe en redoublant le feu des parfums, il se produira quelque chose d'extraordinaire et d'inattendu.

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CHAPITRE VIII. AVIS AUX IMPRUDENTS.

Comme nous l'avons déjà dit plusieurs fois, les opérations de la science ne sont pas sans danger. Elles peuvent conduire à la folie ceux qui ne sont pas affermis sur la base de la suprême, absolue et infaillible raison. Elles peuvent surexciter le système nerveux et produire de terribles et incurables maladies. Elles peuvent, lorsque l'imagination se frappe et s'épouvante, produire l'évanouissement et même la mort par congestion cérébrale. Nous ne saurions donc trop en détourner les personnes nerveuses et naturellement exaltées, les femmes, les jeunes gens, et tous ceux qui ne sont 'pas dans l'habitude de se maîtriser parfaitement et de commander à la crainte. Rien n'est plus dangereux également que de faire de la magie un passe-temps, comme certaines personnes qui en font l'agrément de leurs soirées. Les expériences magnétiques même, faites dans de pareilles conditions, ne peuvent que fatiguer les

AVIS AUX IMPRUDENTS.

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sujets, égarer les opinions et dérouter la science. On ne joue pas impunément avec les mystères de la vie et de la mort, et les choses qu'on doit prendre au sérieux doivent être traitées sérieusement et avec la plus grande réserve. Ne cédez jamais au désir de convaincre par des effets. Les effets les plus surprenants ne seraient pas des preuves pour des personnes non convaincues d'avance. On pourrait toujours les attribuer à des prestiges naturels, et regarder le mage comme un concurrent plus ou moins adroit de Robert Houdin ou d'Hamilton. Demander des prodiges pour croire à la science, c'est se montrer indigne ou incapable de la science. SANCTA SANCTIS.

Ne vous vantez jamais non plus des oeuvres que vous avez opérées, eussiez-vous ressuscité des morts. Craignez la persécution. Le grand maître recommandait toujours le silence aux malades qu'il guérissait; et si ce silence eût été fidèlement gardé, on n'eût pas crucifié l'initiateur avant l'achèvement de son oeuvre. Méditez sur la douzième figure des clefs du Tarot; songez au grand symbole de Prométhée, et taisezvous.

4 36 R I T UE L D E L A HA U T E M A GI E , Tous les mages qui on t divulgué leurs oeuvres sont morts de mort violente, et plusieurs ont été réduits au suicide, comme Cardan , Schroeppfer, Cagliostro, et tant d'autres. Le mage doit vivre dans la retraite et se laisser • approcher difficilement. C'est ce que représente le symbole de la neuvième clef du. Tarot, où l'initié est figuré par un ermite enveloppé tout entier dans son manteau. Cependant cette retraite ne doit pas être de l'isolement. H lui faut des dévouements et des amitiés; mais il doit les choisir avec soin et les conserver à tout prix. Il doit avoir une autre profession que celle de magicien : la magie n'est pas un métier. Pour se livrer à la magie cérémonielle, il faut être sans préoccupations inquiétantes; il faut pouvoir se procurer tous les instruments de la science et savoir au besoin les confectionner soi-même ; il faut enfin s'assurer un laboratoire inaccessible, où l'on n'ait pas à craindre d'être jamais surpris ou dérangé. Puis, et c'est ici la condition essentielle, il faut savoir équilibrer les forcés et contenir les élans de sa propre initiative. C'est ce que représente la

137 huitième figure des clefs d'Hermès, où l'on voit une femme assi,se entre deux colonnes, tenant d'une main une épée droite et de l'autre une balance. Pour équilibrer les forces, il faut les maintenir simultanément et les faire agir alternativement, double action qui est représentée par l'usage de la balance. Cet arcane est également représenté par la double croit des pentacles de Pythagore et d'Ézéchiel (voir la figure de la page 255 du Dogme), où les croix sont équilibrées l'une à l'autre et où les signes planétaires sont toujours en opposition. Ainsi, Vénus est l'équilibre des oeuvres de Mars, Mercure tempère et accomplit les œuvres du Soleil et de la Lune, Saturne doit balancer Jupiter. C'est par cet antagonisme des anciens dieux que Prométhée, c'est-à;dire le génie de la science, parvint à s'int r o d u i r e dans l'Olympe et à dérober le feu du ciel. Faut-il parler plus clairement? Plus vous serez doux et calme, plus votre colère aura de puissance ; plus vous serez énergique, plus votre douceur aura de prix ; plus vous serez habile, mieux vous profiterez de votre intelligence, et même de vos vertus; plus vous serez 'différent, plus il vous sera facile de vous faire a mer. Ceci est d'exp'i AVIS AUX IMPRUDENTS.

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138 R I T U E L D E L A H A U T E M A G I E . nonce dans l'ordre moral et se réalise rigoureusement dans la sphère de l'action. Les passions humaines produisent fatalenlent, lorsqu'elles ne sont pas dirigées, les effets contraires à leur désir effréné. L'amour excessif produit l'antipathie ; la haine aveugle s'annule et se punit elle-même ; la vanité conduit à l'abaissement et aux plus cruelles humiliations. Le grand maître révélait donc un mystère de la science magique positive lorsqu'il a dit : Voulez-vous accumuler des charbons ardents sur la tète de celui qui vous a fait du mal, pardonnez-lui et faites-lui du bien. On dira peut-être qu'un semblable pardon est une hypocrisie et ressemble fort,à une vengeance raffinée. Mais il faut se rappeler que le mage est souverain. Or un souverain ne se venge jamais, puisqu'il a le droit de punir. Lorsqu'il exerce ce droit il fait son devoir, et il est implacable comme la justice. Remarquons bien d'ailleurs, pour que personne ne se méprenne au sens de mes paroles, qu'il s'agit de châtier le mat par:4,bien et d'opposer la douceur à la violence. Si l'exercice de la vertu est une flagellation pour le vice, personne n'a droit de demander qu'on la lui épargne ou qu'on prenne pitié te ses hontes et de ses douleurs.

i39 Celui qui se livre aux oeuvres de la science doit prendre chaque jour un exercice modéré, s'abstenir des veilles tropprolongées et suivre un régime sain et régulier. Il doit éviter les émanations cadavériques, le voisinage de l'eau croupie, les aliments indigestes ou impurs. Il doit surtoùt se distraire tous les jours des préoccupations magiques par des soins matériels, ou des travaux soit d'art, soit d'industrie, soit même de métier, Le moyen de bien voir, c'est dé ne pas regarder toujours, et celui qui passerait sa. vie à viser toujours au même but finirait par ne plus jamais l'atteindre, Une précaution dont il ne faut également jamais se départir, c'est de ne jamais opérer lorsqu'on est malade, Les céré.Monies étant, comme nous l'avens dit, les moyens. artificiels de créer les habitudes de volonté, cessent d'être nécessaires quand ces habitudes sont prises. C'est dans ce sens et en s'adressant seulement aux adeptes parfaits que Paracelse en proscrit l'usage dans sa Philosophie occulte. Il faut les simplifier progressivement, avant de les omettre tout à fait, suivant l'expérience qu'on peut faire des forces acquises et de l'habitude établie dans l'exercice du vouloir extra-naturel. AVIS AUX. IMPRUDENTS.

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RITUEL DE LA DACE MAGIE.

IX.

CHAPITRE

LE CÉRÉMONIAL DES INITIÉS.

. La science se conserve par le silence et se perpétue par l'initiation. La loi du silence n'est donc absolue et inviolable que relativement à la multitude non initiée. La science ne peut se transmettre que par Id parole. Les sages doivent clone quelquefois parler. Oui, les sages doivent parler, non pas pour dire, mais pour amener les autres à trouver. Noli ire, Tac venire, c'était la devise de Rabelais, qui, possédant toutes les sciences de son temps, ne pouvait ignorer la magie. Nous avons donc à révéler ici les mystères de l'initiation. La destinée de l'homme est, comme nous l'avons dit, de se faire ou de se créer lui-même ; il est et sera le fils de ses oeuvres pour le temps et pour l'éternité. Tous les hommes sont appelés à concourir; mais le nombre des élus, c'est-à-dire de ceux qui réussissent, est toujours petit ; en d'autres termes, les

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tri

hommes désireux d'être quelque chose sont en grand nombre, et les hommes d'élite sont toujours rares. Or, le gouvernement du monde appartient- de droit aux hommes d'élite, et quand un mécanisme ou une usurpation quelconque empêche qu'il ne leur appartienne de fait , il s'opère un cataclysme politique ou social. Les hommes qui sont maîtres d'eux-mêmes se rendent facilement maîtres des autres; mais ils peuvent mutuellement se faire Obstacle s'ils ne reconnaissent pas les lois d'une discipline et" d'une hiérarchie universelle. Pour se soumettre à une même discipline, il faut être en communion d'idées et de désirs, et l'on ne peut parvenir à cette communion que par une religion commune fondée-sur les bases mêmes de l'intelligence et de la raison. Cette religion a toujours existé dans le monde, et c'est la Seule qui puisse être appelée und, infaillible , indéfectible et véritablement catholique, c'est -à-dire universelle. Cette religion, dont toutes les autres ont été successivement les voiles et les ombres, c'est celle qui démontre l'être par l'être, la vérité par la rai.

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RITUEL. RE LA HAUTE MAGIE.

son, la raison par l'évidence et le sens commun. C'est celle qui prouve par les réalités la raison d'être des hypothèses, et qui ne permet pas de rai. sonner sur les hypothèses indépendamment et en dehors des réalités. C'est celle qui a pour base le dogme des analogies universelles, mais qui ne confond jamais les choses de la science avec celles de la foi. Il ne peut jamais être de foi 'que deux et un fassent plus ou moins de trois; que le contenu en physique soit plus grand que le contenant; qu'un corps solide, en tant que solide, puisse se comporter comme un corps fluide ou gazeux; qu'un corps humain, par exemple, puisse-passer à travers une porte fermée sans opérer ni solution ni ouverture. Dire qu'on croit une pareille chose, c'est parler comme un_ enfant ou comme mi fou ; mais il n'est pas moins insensé de définir l'inconnu et de raisonner, d'hypothèses en hypothèses, jusqu'à nier à priori l'évidetice pour affirmer des suppositions téméraires. Le sage affirme ce qu'il sait,' et ne croit à ce qu'il ignore que suivant la mesure des nécessités raisonnables et connues de l'hypothèse. , Mais cette religion raisonnable ne saurait être celle de la multitude, à laquelle il faut des fables,

LE CÉRÉMONIAL DES INITIÉS.

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des mystères, des espérances définies et des terreurs matériellement motivées. C'est pour cela que le sacerdoce s'est établi dans le monde. Or , le sacerdoce se recrute par l'initiation. Les formes religieuses périssent quand l'initiation cesse dans le sanctuaire, soit par la ulgafion, soit par la négligence et l'oubli des mystères sacrés. Les divulgations gnostiques, par exemple, ont éloigné l'église chrétienne des hautes vérités de la Kabbale, qui contient tous les secrets de la théologie transcendante. Aussi, les aveugles étant devenus les conducteurs des autres aveugles, il s'est produit de grands obscurcissements, de grandes ch utes et de déplorables scandales; puis les livres sacrés, dont les clefs sont toutes cabalistiques, depuis la Genèse jusqu'à l'Apocalypse, sont devenus si peu intelligibles aux chrétiens, que les pasteurs ont, avec raison, jugé nécessaire d'en interdire la lecture aux simples fidèles. Pris à la lettre et compris matériellement , ces liirres ne seraient, comme l'a trop bien démontré l'école de Voltaire, qu'un inconcevable tissu d'absurdités et de scandales.

ifat R I T UE L 1 W L A H A U T E M AG IE . Il en est de même de tous les dogmes anciens, avec leurs brillantes théogonies et leurs poétiques légendes. Dire que les anciens croyaient, en Grèce, aux amours de Jupiter, ou adoraient, en Égypte, le cynocéphale et l'épervier comme les dieux vivants et réels, c'est être aussi ignorant et d'aussi mauvaise foi qu'on le serait en soutenant que les chrétiens adorent un triple Dieu, se composant d'un vieillard, d'un supplicié et d'un pigeon. L'inintelligence des symboles est toujours calomniatrice. C'est pourquoi il faut bien se garder de se moquer tout d'abord des choses qu'on ne sait pas, lorsque leur énoncé semble supposer une absurdité ou même une singularité quelconque; ce serait aussi peu sensé que de les admettre sans discussion et sans examen. Avant qu'il y ait quelque chose qui nous plaise ou qui nous déplaise, il y a une vérité, c'est—à-dire une raison, et c'est par cette raison que nos actions doivent être réglées plutôt que par notre plaisir, si nous voulons créer, eu nous l'intelligence,, qui est la raison d'être de l'immortalité, et la justice, qui en est la loi. L'homme vraiment homme ne peut vouloir que ce qu'il doit raisonnablement et justement faire ;

LE CÉRÉMONIAL DES INITIÉS. 145 aussi impose-t-il silence aux convoitises et à la crainte, pour n'écouter que la raison. Un pareil homme est un roi naturel et un prêtre spontané pour les multitudes errantes. C'est pour cela que l'objet des initiations antiques s'appelait indifféremment art sacerdotal et art royal. Les anciennes associations magiques étaient des séminaires de prêtres et de rois, et l'on ne parvenait à y être admis que par des oeuvres vraiment sacerdotales et royales, c'est-à-dire en se mettant au-dessus de toutes les faiblesses de la nature. Nous ne répéterons pas ici ce qui se trouve partout sur les initiations égyptiennes, perpétuées, en s'affaiblissant, dans les sociétés secrètes du moyen âge. Le radicalisme chrétien , fondé sur la fausse intelligence de cette parole: Vous n'avez qu'un père et qu'un maître, et vpus êtes tous frères, a porté un coup terrible à la hiérarchie sacrée. Depuis ce temps, les dignités sacerdotales sont devenues le résultat de l'intrigue ou du hasard ; la médiocrité active est parvenue à supplanter la supériorité modeste, et par conséquent méconnue, et cependant, l'initiation étant une loi essentielle de la vie religieuse, une société instinctivement magique r. u. to

146 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. s'est formée au déclin de la puissance pontificale, et a bientôt concentré en elle seule toute la puissance du christianisme, parce que seule elle a compris vaguement, mais exercé positivement, le pouvoir ,hiérarchique par les épreuves de l'initiation et la toute-puissance de la foi dans l'obéissance passive. Que faisait, en effet, le récipiendaire dans les anciennes initiations? 11 abandonnait entièrement sa vie et sa liberté aux maîtres des temples de Thébès ou de Memphis; il s'avançait résolument à travers des épouvantes sans nombre qui pouvaient lui faire supposer un attentat prémédité contre luimême; il traversait les bfichers , passait à la nage les torrents d'eau noire et bouillante, se suspendait à des bascules inconnues, sur des précipices sans fond... N'était-ce pas là de l'obéissance aveugle dans toute la force du terme? Abjurer momentanément sa liberté pour parvenir à une émancipation, n'est-ce pas l'exercice le plus parfait de la liberté? Or, voilà ce que doivent faire et ce qu'ont toujours fait ceux qui aspirent au sanctuni regnum de la toute-puissance magique. Les disciples de Pythagore se condamnaient à un silence rigoureux de plusieurs années; les sectateurs môme d'Epicure

/17 ne comprenaient la souveraineté' du plaisir que par la sobriété acquise et la tempérance calculée. La vie est une guerre où il faut faire ses preuves pour monter en grade: la force ne se donne pas; il faut la prendre. L'initiation par la lutte et par les épreuves est donc indispensable pour arriver à la science pratique de la magie. Nous avons déjà dit comment on peut triompher des quatre formes élémentaires : nous n'y reviendrons pas, et nous renvoyons ceux de nos lecteurs qui voudraient connattre les cérémonies des initiations anciennes aux ouvrages du baron de Tschoudy, auteur de l'Étoile flamboyante de la. maçonnique adonhiramite et de plusieurs autres opuscules maçonniques très estimables. Nous devons insister ici sur une réflexion : c'est que le chaos intellectuel et social au milieu duquel nous périssons a pour cause la négligence de l'initiation, de 'ses épreuves et de ses mystères. Des hommes en qui le zèle était plus fort que la science, impressionnés par les maximes populaires de PEvangile, ont cru à l'égalité primitive et absolue des hommes. Un halluciné célèbre, l'éloquent et infortuné Rousseau, a propagé•avec toute la magie de son style ce paradoxe que la société seule déprave LE CÉRÉMONIAL DES INITIÉS. I

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

les hommes, comme si l'on disait que la concurrence et l'émulation du travail rendent les ouvriers paresseux. La loi essentielle de la nature, celle de l'initiation par les oeuvres et du progrès laborieux et volontaire a été fatalement méconnue; la maçonnerie a eu ses déserteurs, comme le catholicisme avait eu les siens. Qu'en est-il résulté '? Le niveau d'acier substitué au niveau intellectuel et symbolique. Prêcher l'égalité à ce qui est en bas sans lui dire comment on s'élève, n'est-ce pas s'engager soi-même à descendre? Aussi est-on descendu, et l'on a eu le règne de la carmagnole, des sansculottes et de Marat. Pour relever la société chancelante et déchue, il faut rétablir la hiérarchie et l'initiation. La tâche est difficile, mais tout le monde intelligent sent déjà la nécessité de l'entreprendre. Faudra-t-il pour cela que le monde passe par un nouveau déluge? Nous désirons vivement qu'il n'en soit pas ainsi; et • ce livre, la plus grande peut-être, mais non la dernière de nos audaces, est" un appel à tout ce qui est vivant encore, pour reconstituer la vie au milieu même de la décomposition et de la mort.

LA CLEF DE L'OCCULTISME.

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CHAPITRE X. LA CLEF DE L'OCCULTISME.

Approfondissons maintenant la question des pentacles, car là est toute la vertu magique, puisque le secret de la force est dans l'intelligence qui la dirige. Nous ne reviendrons pas sur les pentacles de Pythagore et d'Ezéchiel, dont nous avons déjà donné l'explication et la figure; nous prouverons dans un autre chapitre que tous les instruments du culte hébraïque étaient des pentacles, et que Moïse avait écrit en or et en airain dans le tabernacle et tous ses accessoires le premier et le dernier mot de la Bible. Mais chaque magiste peut et doit avoir son pentacle particulier , car un pentacle bien entendu , c'est le résumé parfait d'un esprit. C'est pour cela qu'on trouve dans les calendriers magiques de Ticho-Brahé et de Duchenteau les pentacles d'Adam, de Job, de Jérémie, d'Isaïe et de tous les autres grands prophètes qui ont été, cha-

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

cun à son époque, les rois de la Kabbale et les grands rabbins de la science. Le pentacle, étant une synthèse complète et parfaite, exprimée par un seul signe, sert à rassembler toute la force intellectuelle dans un regard, dans un souvenir, dans un contact. C'est comme un point d'appui pour projeter la volonté avec force. Les nigromans et les goétiens traçaient leurs pentacles infernaux sur la peau des victimes qu'ils immolaient. On trouve dans plusieurs clavicules et grimoires les cérémonies de l'immolation, la manière d'écorcher le chevreau, puis de saler, de sécher et de blanchir la peau. Quelques cabalistes hébreux sont tombés dans les mêmes folies, sans se rappeler les malédictions prononcées dans la Bible contre ceux qui sacrifient sur les hauts lieux ou dans les cavernes de la terre. Toutes les effusibns de sang opérées cérémoniellement sont abominables et impies, et depuis la mort d'Adonhiram la Société des vrais adeptes a horreur du sang, Ecclesia abhorret a sanguine. Le symbolisme initiatique des pentacles adopté dans tout l'Orient est la clefde toutes les mythologies anciennestmodernes.So il'nne 'n-connaîtpas l'alphabet hiéroglyphique, on se perdra dans les

L A C L E F D E L ' O C C U L T I S M E . 1 51.

obscurités des Védas, du Zend-Avesta et de la Bible. L'arbre générateur du bien et du mal, source unique des quatre fleuves, dont l'un arrose la terre de l'or, c'est-à-dire de la lumière, et l'autre coule dans l'Ethiopie ou dans le royaume de la nuit; le serpent magnétique qui séduisit la femme, et la femme qui séduit l'homme, révélant ainsi la loi de l'attraction ; puis le Cherub ou Sphinx placé à la porte du sanctuaire édénique avec l'épée flamboyante des gardiens du symbole, puis la régénération par le travail, et l'enfantement par la douleur, loi des initiations et des épreuves; la division de Caïn et d'Abel identique au symbole de la lutte d'Autéros et d'Eros; l'arche portée sur les eaux du déluge comme le coffre d'Osiris, le corbeau noir qui ne revient pas, et la colombe blanche qui revient, nouvelle émission du dogme antagonique et équilibré : toutes ces magnifiques allégories cabalistiques de la Genèse, qui, prises à la lettre et acceptées pour des histoires réelles, méritaient encore plus de risée et de mépris que ne leur en a prodigué Voltaire, deviennent lumineuses pour l'initié, qui salue alors avec enthousiasme et arimur la perpétuité du vrai dogme et l'universalité de la même initiation dans tous les sanctuaires du monde.

152 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. Les cinq livres de Moïse, la prophétie d'Ezéchiel et 1' Apocalypse pocalypse de saint Jean, sont les trois clefs cabalistiques de tout l'édifice biblique. Les sphinx d'Ézéchiel identiques avec ceux du sanctuaire et de l'arche, sont une quadruple reproduction du quaternaire égyptien ; ses roues, qui tournent les unes dans les autres, sont les sphères harmonieuses de Pythagore; le temple nouveau dont il donne le plan sur des mesures toutes cabalistiques est le type des travaux de la; maçonnerie primitive. Saint Jean, dans son Apocalypse, reproduit leS mêmes images et les mêmes nombres, et reconstitue idéalement le monde édénique dans la nouvelle Jérusalem ; mais à la source des quatre fleuves, l'agneau solaire a remplacé l'arbre mystérieux. L'initiation par le travail et par le sang est accomplie, et il n'y a plus de temple parce que la lumière de la vérité est universellement répandue et que le monde est devenu le temple de la justice. Ce beau rêve final des saintes Ecritures, cette utopie divine dont l'Église a renvoyé avec raison la réalisation kune vie meilleure, ont été l'écueil de tous les hérésiarques anciens et d'un grand nombre d'idéologues modernes.. L'émancipation simultanée et l'égalité absolue de tous les hommes suppose la .

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LA CLEF DE L'OCCULTISME.

153 cessation du progrès, et par conséquent de la vie : sur la terre des égaux, il ne peut plus y avoir d'enfants ni de vieillards; la naissance et la mort ne sauraient donc y être admises. C'en est assez pour prouver que la nouvelle Jérusalem n'est pas plus de ce monde que le paradis primitif, où l'on ne devait connaître ni le bien ni ie mal, ni la liberté, ni la génération, ni la mort; c'est donc, dans l'éternité que commence et que finit le cycle de notre symbolisme religieux. Dupuis et Volney ont dépensé une grande érudition pour découvrir cette identité relative de tous les symboles, et en ont conclu à la négation dé toutes les religions. Nous arrivons par la même voie à une affirmation diamétralement opposée, et nous recopnaissons avec admiration qu'il n'y a jamais eu de fausses religions dans le monde civilisé; que la lumière divine, cette splendeur de la raison suprême du Logos, du Verbe, qui illumine tout homme venant dans le monde, n'a pas plus manqué aux enfants de Zoroastre qu'aux fidèles brebis de saint Pierre; que la révélation permanente, unique et universelle, est écrite dans la nature visible, s'explique dans la raison et se complète par les sages analogies de la foi; qu'il n'y a enfin qu'une vraie reli-

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RITUEL DE' LA HAUTE MAGIE.

gion, qu'un dogme et qu'une croyance légitime, comme il n'y a qu'un Dieu, qu'une raison et qu'un univers; que la révélation n'est obscure pour personne, puisque tout le monde comprend peu ou beaucoup la vérité et la justice, et puisque tout ce qui peut être ne doit être qu'analogiquement à ce qui est. L'ÊTRE EST LÊTRE rPrtm nem mi. Les figures, si bizarres en apparence, que présente l'Apocalypse de saint Jean , sont hiéroglyphiques, comme celles de toutes les mythologies orientales, et peuvent se renfermer dans une suite de pentacles. L'initiateur vêtu de blanc, debout entre les sept chandeliers d'or et tenant dans sa main sept étoiles, représente le dogme unique d'Hermès et les analogies universelles de la lumière . La femme revêtue du soleil et couronnée de douze étoiles, c'est l'Isis céleste, c'est la gnose dont le serpent de la vie matérielle veut dévorer l'enfant.; mais elle prend les ailes d'un aigle et s'enfuit au désert, protestation de l'esprit prophétique contre le matérialisme de la religion officielle. L'ange colossal dont le visage est un soleil, l'auréole un arc-eu-ciel, le vêtement un nuage, les '

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LA CLEF DE L'OCCULTISME. 155

jambes des colonnes de feu, et qui pose un pied sur la terre et l'autre sur la mer, est un véritable Panthée cabalistique, Ses pieds représentent l'équilibre de Briah ou du monde des formes; ses jambes sont les deux cOlonnes du temple maçonnique JAKIN et BOIIAS son corps, voilé de nuages, d'où sort une main qui tient un livre, est la sphère de Jezirah ou des épreuves initiatiques; la tete solaire, couronnée du septénaire lumineux, est le monde d'Aziluth ou de la révélation parfaite, et l'on ne saurait trop s'étonner de ce que les cabalistes hébreux n'ont pas reconnu et divulgué ce symbolisme, qui rattache si étroitement et si inséparablement les plus hauts mystères du christianisme au dogme secret, mais invariable, de tous les maîtres en Israël. La bète à sept tètes est, dans le symbolisme de saint Jean, la négation matérielle et antagonistique du septénaire lumineux, la prostituée fie Babylone correspond de la mème manière à la fernmerevétue du soleil; les quatre cavaliers sont anegues aux quatre animaux allégoriques; les sept anges avec leurs sept trompettes, leurs sept coupes et leurs sept épées caractérisent l'absolu de la. lutte du bien contre le mal par la parole, parl'association reli;

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

gieuse et par la force. Ainsi, les sept sceaux du livre occulte sont levés successivement et l'initiation universelle s'accomplit. Les commentateurs qui ont cherché autre chose dans ce livre de haute Kabbale ont perdu, leur temps et leur peine pour arriver à se rendre ridicules. Voir Napoléon dans l'ange Apollyon, Luther dans l'étoile qui tombe, Voltaire et Rousseau dans les sauterelles armées en guerre c'est de la haute fantaisie. Il en est de même de toutes les violences faites à des noms de personnageg célèbres pour leur faire renfermer en chiffres quelconques le fatal 666 que nous avens suffisamment expliqué; et quand on pense que des hommes nommés Bossuet et Newton se sont amusés à ces chimères, on comprend què l'humanité n'est pas aussi malicieuse dans son génié qu'on pourrait le supposer à l'aspect de ses vices. s

LA TRIPLE CHAINI3i

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CHAPITRE XI. LA TRIPLE CHAINE.

Le grand oeuvre, en magie pratique, après l'éducation de la volonté et la création personnelle du mage, c'est la formation de la chaîne magnétique, et ce secret est véritablement celui du sacerdoce et de la royauté. Former la chaîne magnétique, c'est-faire naître un courant d'idées qui pl'oduise la foi et qui entraîne un grand no.nbre de volontés dans un cercle donné de manifestations par les actes. Une chaîne bien formée est comme un tourbillon qui entraîne et absorbe tout. -

On peut établir la chaîne de trois manières: par les signes, par la parole et par le contact. On établit la chaîne par les signes en faisant adopter un signe par l'opinion comme représentant une force. C'est ainsi que tous les chrétiens communiquent ensemble par le signe de la croix , les maçons par celui dé l'équerre sous le soleil, les magistes par celui du microeosme qui se fait avec les cinq doigts étendus (etc.).

(58 R IT U EL D E LA HA UT E MA G IE . Les signes, une fois reçus et propagés, acquièrent de la force par eux-mêmes. La vue et l'imitation du signe de la croix suffisaient dans les premiers siècles pour faire des prosélytes au christianisme. La médaille dite miraculeuse a opéré encore de nos jours un grand nombre de conversions par la même loi magnétique. La vision et l'illumination du jeune israéliteAlphonse de Ratisbonne ont été le fait de ce genre le plus remarquable. L'imagination est créatrice, non-seulement en nous, mais hors de nous, par nos projections fluidiques, et il ne faut sans doute pas attribuer à d'autres causes les phénomènes du labarum de Constantin et de la croix de N'igné. La chaîne magique par la parole était représentée, chez les anciens, par ces chaînes d'or qui sortent de la bouche d'Hermès. Rien n'égale l'électricité de l'éloquence. La parole crée l'intelligence la plus haute au sein, des masses les plus grossièrement composées. Ceux même qui sont trop loin pour entendre comprennent par commotion et sont entraînés comme la foule. Pierre l'Hermite a ébranlé l'Europe en criant : Dieu le veut ! Un seul mot de l'Empereur électrisait son armée et rendait la France invincible. Proudhon a tué le socialisme

LA TRIPLE C1UNE. 159

par son paradoxe • célèbre : La propriété, c'est le vol. ll,suffit souvent d'un mot qui court pour renverser une puissance. Voltaire le savait bien, lui qui a bouleversé le monde par des sarcasmes. Aussi lui, qui ne craignait ni papes, ni rois, ni parlement, ni bastilles, avait-il peur d'un calembour. On est bien près d'accomplir les volontés .de l'homme dont on répète les mots. La troisième manière d'établir la chaîne magique, c'est par le contact. Entre personnes qui se voient souvent, la tète du courant se révèle bientôt, et la plus forte volonté ne tarde pas à. absorber les autres; le contact direct et-positif de la main à la main complète l'harmonie des dispositions; et c'est pour cela que c'est une marque de sympathie et d'intimité. —Les enfants, qui sont guidés instinctivement par la nature, font la chaîne magnétique soit en jouant aux barres, soit en jouant en rond. Alors la gaîté circule et le rire s'épanouit. Les tables rondes sont plus favorables aussi aux joyeux banquets que cellês de toute autre forme. La grande ronde du sabbat qui terminait les réunions mystérieuses des adeptes du moyen âge était une chaîne magique qui les unissait tous dans les mêmes volontés et dans les mêmes oeuvres; ils fa formaient

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R I T UEL DE L A HA UT E MAG IE .

en se plaçant dos à dos et en se- tenant par les mains, le visage en dehors du cercle , à l'imitation de ces antiques danses sacrées dont on retrouve encore des images sur les bas-reliefs des anciens temples. Les fourrures électriques de lynx, de panthère et même de chat domestique, étaient, à l'imitation des anciennes bacchanales, attachées à leurs vêtements. De là est venue cette tradition que les mécréants, au sabbat, portent chacun un chat pendu à leur ceinture, et qu'ils dansent dans cet appareil. Les phénomènes des tables tournantes et parlantes ont été une manifestation fortuite de la cominunication fluidique au moyen de la chaîne circulaire; puis la mystification s'en est mêlée, et des personnages. même instruits et intelligents se sont passionnés pour cette nouveauté au point de se mystifier eux-mêmes et de devenir dupes de leur engouement. Les oracles des tables étaient des réponses suggérées plus ou moi us volontairement ou tirées au sort ; elles ressemblaient aux discours qu'on tient bu qu'on entend clans les rêves. Les autres phénomènes plus étranges pouvaient être des produits extérieurs de l'imagination commune. Nous ne nions pas, sans doute, l'intervention possible

LA TRIPLE CHAIN&

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des esprits élémentaires dans ces manifestations comme dans celles de la divination par les cartes ou par les songes; mais nous ne croyons pas qu'elle soit prouvée en aucune manière, et que rien par conséquent puisse nous obliger à l'admettre. Un des pouvoirs les plus étranges de l'imagination humaine, c'est celui de la réalisation des désirs de la volonté, ou même de ses appréhensions et de ses craintes. On croit aisément ce qu'on craint ou ce qu'on désire, dit le proverbe, et l'on a raison, puisquele désir et la crainte donnentà l'imagination une puissance réalisatrice dont les effets sont incalculables. Comment est-on atteint, par exemple, de la maladie dont on a peur? Nous avons déjà rapporté les opinions de Paracelse à ce sujet, et nous avons établi dans notre dogme les lois occultes constatées par l'expérience; mais, dans les courants magnétiques et par l'entremise de la chaîne, les réalisations sont d'autant plus étranges, qu'elles sont presques toujours inattendues quand la chaîne n'est pas formée par un chef intelligent, sympathique et fort. Elles résultent en effet de combinaisons purement fatales et fortuites. La frayeur vulgaire des convives superstitieux lorsqu'ils se trouvent

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R IT U EL D E LA HA UT E MA G IE .

treize à tables, et la conviction où ils sont qu'un malheur menace le plus jeune et le plus faible d'entre eux, est, comme la plupart des superstitions un reste de science magique. Le duodénaire, étant un nombre complet et cyclique dans les analogies universelles de la nature, entraîne toujours et absorbe le treizième, nombre regardé comme malheureux et superflu. Si le cercle d'une meule de moulin est représenté par douze, le nombre treize sera celui du grain qu'elle doit broyer. Les anciens avaient établi sur de semblables considérations la distinction des nombres heureux et malheureux, d'où s'ensuivait l'observance des jours de bon et de mauvais augure. C'est en pareille matière surtout que l'imagination est créatrice, et les nombres et les jours ne manquent guère d'ètre favorables ou funestes à ceux qui croient à leur influence. C'est donc avec raison que le christianisme a proscrit les sciences divinatoires, car, en diminuant ainsi le nombre des chances fatales, il a donné plus de ressources et plus d'empire à la liberté. L'imprimerie est un admirable instrument pour former la chaîne magique par l'extension de la parole. En effet, pas un ,livre n'est perdu : les éCrits vont toujours où ils doivent aller, et les aspirations

LA TRIPLE GRAINE.

1.63

• de la pensée attirent la parole. Nous l'avons éprouvé cent fois pendant-le cours de notre initiation magique: les livres lés plus ràres s'offraient toujours à nous sans recherches de notre part dès qu'ils nous devenaient indispensables. C'est ainsi que nous ayons retrouvé intacte cette science universelle que bien des érudits ont cru ensevelie sous plusieurs cataclysmes successifs; c'est ainsi que nous sommes entré dans la grande chaîne magique qui commence à Hermès ou à Hénoch pour ne plus finir qu'avec le monde. Alorsno us avons pu évoquer et nous rendre présents les esprits d'Apollonius, de Plotin, de Synésius, de Paracelse, de Cardan, de Cornelius Agrippa, et de tant d'autres moins connus ou plus connus, mais trop religieusement célèbres pour qu'on les nomme à la légère. Nous continuerons leur grand oeuvre, que d'autres reprendront après nous. Mais à qui sera-t-il donne de l'achever?

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

CHAPITRE XII. LE GR A ND OE UV RE .

litre toujours riche. toujours jeune et ne jamais mourir : tel a été de tout temps le rêve des alchimistes. Changer en or le plomb, le mercure et tous les autres métaux, avoir la médecine universelle et l'élixir de vie : tel est le problème à résoudre pour accomplir ce souhait et réaliser ce rêve. Comme tous les mystères magiques, les secrets du grand oeuvre ont une triple signification : ils sont religieux, philosophiques et naturels. L'or philosophai, en religion, c'est la raison absolue et suprême; en philosophie, c'est la vérité; dans la nature visible, c'est le soleil ; dans le monde souterrain et minéral, c'est l'or le plus parfait et le plus pur. C'est pour cela qu'on appelle la recherche du grand oeuvre la recherche de l'absolu , et qu'on désigne cet oeuvre même par le nom d'ceuvre du soleil. Tous les maitre de la science reconnaissent

LE GRAND OEUVRE.

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qu'il est impossible d'arriver aux résultats matériels si l'on n'a pas trouvé dans les deux degrés supérieurs toutes les analogies de la médecine universelle et de la pierre philosophale. Alors, disent-ils, le travail est simple , facile et peu dispendieux; autrement, il consume infructueusement la fortune de la vie des souffleurs. La médecine universelle, pour l'itme, c'est la raison suprême et la justice absolue; pour l'esprit, c'est la vérité mathématique et pratique; pour le corps, c'est la quintessence, qui est une combinaison de lumière et d'or. La matière première du grand oeuvre, dans le monde supérieur, c'est l'enthousiasme et l'activité; dans le monde intermédiaire, c'est l'intelligence et l'industrie; dans le monde inférieur, c'est le travail ; et dans la science, c'est le soufre, le mercure et le sel, qui, tour à tour volatilisés et fixés, composent l'azoth des sages. Le soufre correspond à la forme élémentaire du feu, le mercure à l'air et à l'eau, et le sel à la Terre. Tous les maîtres en alchimie qui ont écrit sur le grand oeuvre ont employé des expressions symboliques et figurées, et ils ont dû le faire. tant pour • •

1 66 RITUEL DE 'LA HAUTE MAGIE. eloigner les profanes d'un travail dangereux pour eux que pour se faire bien entendre des adeptes en leur révélant le monde entier des analogies que régit le dogme unique et souverain d'Hermès. Ainsi, pour eux, l'or et l'argent sont le roi et la reine, ou la lune et le soleil; le soufre, c'est l'aigle volant; le mercure, c'est Pandrogyne'ailé et barbu monté sur un cube et couronné de flammes ; la matière ou le sel, c'est le dragon ailé; les métaux en ébullition sont des lions de diverses couleurs; enfin l'oeuvre tout entière a pour symbole le pélican et le phénix. L'art hermétique est donc en méme temps une religion, une philosophie et une science naturelle. Comme religion, c'est celle des anciens mages et des initiés de tous les temps; comme philosophie, on peut en retrouver les principes dans l'école d'Alexandrie et dans les théories de Pythagore; comme la science, il faut en demander des procédés à Paracelse, à Nicolas Flamel et à Raymond Lulle. La science n'est réelle que pour ceux qui admettent et Comprennent la philosophie et la religion, et ses procédés ne peuvent réussir qu'à l'adepte

LE 'GRAND OEUVRE.

1.67

parvenu à la volonté souveraine, et devenu ainsi le roi du monde élémentaire; car le grand agent de l'opération du soleil, c'est cette force décrite dans le symbole d'Hermès de là table d'émeraude; c'est la puissance magique universelle; c'est le moteur spirituel igné; c'est l'od, selon les Hébreux, et la lumière astrale, suivant l'expression que nous avons adoptée dans cet ouvrage. C'est là le feu secret, vivant et philosophal, dont tous les philosophes hermétiques ne parlent qu'avec les plus mystérieuses réserves ; c'est là le sperme ,universel dont ils ont gardé le secret, et .qu'ils représentent seulement sous la figure du caducée d'Hermès. Voici donc le grand arcane hermétique, et nous le révélons ici pour la première fois clairement et sans figures mystiques : ce que les adeptes appellent matières mortes ce sont les corps tels qu'ils se trouvent dans la nature; les matières vives sont des substançes assimilées et magnétisées par la science et la volonté de l'opérateur. En sorte que le grand oeuvre 'est quelque chose de plus qu'une opération chimique : c'est une véritable création du verbe humain initié à la puissance du verbe de Dieu même.

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. : 13K1r1 , LUI 3 rurt rn'm volterl n'Unit >MT 17 Imr-irrntrm n,zeorr 1>tilrl i /775 ?min l naa or-,n -

mon Inte nim te

t=r Inymo one, m-1 r 1 11111CI1 r-nb—tin Ce texte, hébreu, que nous transcrivons comme preuve de l'authenticité et de la réalité de notre découverte, est du rabbin juif Abraham, le maître de Nicolas Flamel, et se trouve dans son commentaire occulte sur le Sepher-Jezirah, le livre sacré de la Cabale. Ce commentaire est fort rare; mais les puissances sympathiques de notre chaîne nous en ont fait trouver un exemplaire qui a été conservé. jusqu'en 16113 dans la bibliothèque de l'église protestante de Rouen. On y lit, écrit sur la première page : Eau dono; puis un nom illisible: Dei -

magni.

La création de l'or dans le grand oeuvre se fait par transmutation et par multiplication. Raymond Lulle dit que, pour faire de l'or, il faut de l'or et du mercure ; que, pour faire de l'argent, il faut de l'argent et du mercure. Puis il ajoute : « J'entends par le mercure cet esprit minéral si fin et si épuré qu'il dore Mile la semence de l'or et

LE GRAND OEUVRE.

169 argente celle de l'argent. » Nul doute qu'il ne parle ici de l'od ou lumière astrale. Le sel et le soufre ne servent dans l'ceuvre qu'a la préparation du mercure, et c'est au mercure surtout qu'il faut assimiler et comme incorporer l'agent magnétique. Paracelse, Raymond Lulle et Nicolas Flamel paraissent seuls:avoir connu parfaitement ce mystère. Basile Valentin et le Trévisan l'indiquent d'une manière imparfaite et qui peut être interprétée autrement. Mais les choses les plus curieuses que nous ayons trouvées à ce sujet sont indiquées par les figures mystiques et les légendes magiques d'un livre d'Henri Khunrath intitulé: A mphitheaGrum sapienlice (derme.

Khunrath représente et résume les écoles gnostiques les plus savantes, et se rattache dans la symbolique au mysticisme de Synésius. Il affecte le christianisme dans les expressions et dans les signes; mais il est facile de reconnattre que son Christ est celui des Abraxas, le pentagramme lumineux rayonnant sur la croix astronomique, l'incarnation dans l'humanité du roi-soleil célébré par l'empereur Julien; c'est la manifestation lumineuse et vivante de ce Ruach-Elhoim qui, suivant Moïse, couvrait et travaillait la surface des eaux à la nais-

'170 RITUEL. DE LA HAUTE MAGIE. sauce du monde; c'est l'homme-soleil, c'est le roi de lumière, c'est le mage suprême, maître et vainqueur du serpent, et il trouve dans la quadruple légende des évangélistes la clef allégorique du grand oeuvre. Dans un des pantacles de son livre magique, il représente la pierre philosophale debout au milieu d'une forteresse entourée d'une enceinte à vingt portes sans issues. Une seule conduit au sanctuaire du grand oeuvre. Au-dessus de la pierre est un triangle appuyé sur un dragon ailé, et sur la pierre gravé le nom du Christ qu'il qualifie d'image Symbolique de la nature entière. « C'est par lui seul, ajoute-t-il, que vous pouvez parvenir à la médecine universelle pour les hommes, pour- les animaux, pour les végétaux et pour les minéraux. » Le dragon ailé, dominé par le triangle, représente donc le Christ de Khunrath, c'est-à-dire l'intelligence souveraine de la lumière et de la vie : c'est le secret du pentagramme, c'est le plus haut mystère dogmatique et pratique de la magie traditionnelle. De là au grand et à jamais incommunicable arcane il n'y a qu'un pas. Les figures cabalistiques du juif Abraham, qui donnèrent à Flamel l'initiative de la science, ne sont autres que les vingt-deux clefs du Tarot, imi-

171 tées et résumées d'ailleurs clans les douze clefs, de Basile Valentin. Le soleil et la lune y reparaissent sous les figures de l'empereur et de l'impératrice; Mercure est le bateleur; le grand Hiérophante , c'est l'adepte ou l'abstracteur de quintessence; la mort, le jugement, l'amour, le dragon ou le diable, l'ermite ou le vieillard boiteux, et enfin tous les autres symboles s'y retrouvent avec leurs principaux attributs et presque dans le même ordre. 11 n'en saurait être autrement, puisque le Tarot est le livre primitif et la clef de voûte des sciences occultes : il doit être hermétique comme il est cabalistique, magique et théosophique. Aussi trouvons—nous dans la réunion de sa douzième et de sa vingt-deuxième clef, superposées l'une à l'autre, la révélation hiéroglyphique de notre solution des mystères du grand oeuvre. La douzième clef représente un homme pendu par un pied à•un gibet composé de trois arbres ou bâtons formant la figure de la lettre hébraïque n' les bras de l'homme forment un triangle avec sa tête, et sa forme hiéroglyphique tout entière est celle d'un triangle renversé surmonté d'une croix, symbole alchimique connu de tout les adeptes et qui représente l'accomplissement du grand œuvre. LE GRAND OEUVRE.

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172 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. La vingt-deuxième clef, qui porte le nombre 21 parce que le fou qui la précède dans l'ordre cabalistique ne porte point de numéro, représente une jeune divinité légèrement voilée et courant dans une couronne fleurissante supportée aux quatre coins par les quatre animaux de la cabale. Celte divinité tient une baguette de chaque main dans le tarot italien, et dans le tarot de Besançon, elle réunit dans une seule main deux baguettes et pose l'autre main sur sa cuisse, symboles également remarquables de l'action magnétique, soit alternée dans sa polarisation, soit simultanée par opposition et par transmission. Le grand oeuvre d'Hermès est donc une opération essentiellement magique, et la plus haute de toutes, car elle suppose l'absolu en science et en volonté. Il y a de la lumière dans l'or, de l'or dans la lumière, et de la lumière en toutes choses. La volonté intelligente qui s'assimile la-lumière dirige ainsi les opérations de la forme substantielle, et ne se sert de la chimie que comme d'un instrument très secondaire. L'influence de la volonté et de l'intelligence humaines sur les opérations de la nature, dépendantes en partie de son travail est d'ailleurs un fait si réel que tous les alchimistes sérieux ont

GRANA OEUVRE. 173 'réussi en raison de leurs connaissances et de leur foi et ont reproduit leur pensée dans le phénomène de la fusion, de la salification et de la recomposition des métaux. Agrippa, homme d'une immense érudition et d'un beau génie, mais pur philosophe et sceptique, n'a pu dépasser les limites de l'analyse et de la synthèse dés métaux. Eteilla, cabaliste confus, embrouillé, fantasque, mais persévérant, reproduisait en alchimie les bizarreries de son tarot mal compris et défiguré ; les métaux prenaient dans ses creusets des formes singulières qui excitaient la curiosité de tout Paris, sans autre résultat pour la fortune de l'opérateur que les honoraires qu'il exigeait de ses visiteurs. Un souffleur obscur de notre temps, qui est mort fou, le, pauvre Louis Cambriel, guérissait réellement ses voisins, et ressuscita, au dire de tout son quartier, un for. geron de ses amis. Pour lui l'oeuvre métallique pre • uait les formes les plus inconcevables et les plus illogiques en apparence. Il vit un jour dans son creuset la figure de Dieu même incandescent comme le soleil, transparent comme le cristal, et ayant un corps composé d'assemblages triangulaires que Cambriel compare naïvement à des tas de petites poires. LE

RITUEL DE LA HA UTE MA GIE.

Un cabaliste de nos amis qui est savant, mais qui appartient à une initiation que nous croyons erronée, a fait dernièrement les opérations chimiques du grand œuvre; il est arrivé à s'affaiblir les yeux par l'incandescence de l'athanor, et a créé un nouveau métal qui ressemble à l'or, mais qui n'est pas de "or, et n'a par conséquent aucune valeur.. Raymond Lulle, Nicolas Flamel, et très probablement Henri Khunrath, ont fait de. l'or véritable et n'ont pas emporté leur secret avec eux, puisqu'ils l'ont consigné dans leurs symboles et ont indiqué les sources où ils ont puisé pour le découvrir et en réaliser les effets. C'est ce môme secret que nous publions aujourd'hui.

LA NÉCROMANCIE.

i 75

CHAPITRE XIII.

-

LA NÉCROMANCIE.

Nous avons énoncé hardiment notre pensée ou plutôt notre conviction sur la possibilité du résurrectionisme en certain cas; il faut ici compléter la révélation de cet arcane et en exposer la pratique. La mort est un fantôme de l'ignorance ; elle n'existe pas :•tout est vivant dans la nature, et c'est parce que tout est vivant que tout se meut et change incessamment de formes. La vieillesse est le commencement de la régénération ; c'est le travail de la vie qui se renouvelle, et le mystère de ce que nous appelons la mort était figuré chez les anciens par cette fontaine de Jouvence où l'on décrépit et d'où l'on sort enfant. Le corps est un vêtement -de l'âme. Lorsque ce vêtement est completeinent usé ou gravement et irréparablemént déchiré , elle le quitte et ne le reprend plus. Mais lorsque, par un accident quelconque,. ce • vêtement-lui échappe sans être ni usé ni détruit, elle peut, en certains tas, lereprendre,

4.76 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. soit par son propre effort, soit avec l'assistance d'une autre volonté plus forte et plus active que la sienne. La mort n'est ni la fin de la vie ni le commencement de l'immortalité; c'est la continuation et la transformation de la vie. Or, une transformation étant toujours un progrès, il est peu de morts apparents qui consentent à revivre, c'est-à-dire à reprendre le vêtement qu'ils viennent de quitter. C'est ce qui rend la résurrection une des œuvres les plus difficiles de la haute initiation. Aussi le succès n'en est-il jamais infaillible et doit-il être regardé presque toujours comme accidentel et inattendu. Pour ressusciter un mort, il faut resserrer subitement et énergiquement la plus' forte des chaînes d'attraction qui puissent le rattacher à la forme qu'il vient de quitter. 11 est donc nécessaire de connaître d'abord cette chaîne, puis de s'en emparer, puis de produire un effort de volonté assez grand pour la resserrer instantanément et avec une puissance irrésistible. Tout cela, disons-nous, est extrêmement difficile, mais n'a rien qui soit absolument impossible. Les préjugés de la science matérialiste n'admettant pas de nos jours la ré surrection dans l'ordre naturel,

177 on est disposé à expliquer tous les phénomènes de cet ordre par les léthargies plus ou moins compliquées des symptômes de la mort et plus ou moins longues. Lazare ressusciterait aujourd'hui devant nos médecins, qu'ils constateraient simplement dans leur rapport aux académies compétentes le cas étrange d'une léthargie accompagné d'un commencement apparent de putréfaction et d'une odeur cadavéreuse assez forte ; on donnerait un nom à cet accident exceptionnel, et tout serait dit. • Nous n'aimons à froisser personne, et, si par respect pour les hommes décorés qui représentent officiellement la science, il faut appeler nos théories résurrectionistes l'art de guérir les léthargies exceptionnelles et désespérées, rien ne nous en empêchera, je l'espère, de leur faire cette concession. Si jamais une résurrection s'est faite dans le monde, il est incontestable que la résurrection est possible. Or, les corps constitués protégent la relipion; la religion affirme positivement le fait des résurrections : donc les résurrections sont possibles. Il est difficile de sortir de là. Dire qu'elles sont possibles en dehors des lois de LA NÉCROMANCIE.



T. u.

12

178

R I T U E L DE L A H A U T E M AG I E .

la nature et par une influence contraire à l'harmonie universelle, c est affirmer que l'esprit de désordre, de ténèbres et de mort, peut être l'arbitre souverain de la vie. Ne disputons pas avec les adorateurs du diable, et passons. Mais ce n'est pas la religion seule qui atteste les faits de résurrection : nous en avons recueilli plusieurs exemples. Un fait qui avait frappé l'imagination du peintre Greuze a été reproduit par lui dans un de ses tableaux les plus remarquables: un fils indigne, près du lit de mort de son père, surprend et déchire un testament qui ne lui était pas favorable ; le père se ranime, s'élance, maudit son fils, puis il se recouche et meurt une seconde fois. Un fait analogue et plus récent nous a été attesté par des témoins oculaires : un ami, trahissant la confiance de son ami qui venait de 'mourir, reprit et déchira une attestation de fidéicommis souscrite par lui; à cette vue , le mort ressuscita et resta vivant pour défendre les droits des héritiers choisis que cet infidèle ami allait frustrer; le coupable devint fou, et le mort ressuscité fut assez compatissant pour lui faire une pension. Lorsque lé Sauveur ressuscite la fille de Jair, il entre seul avec ses trois disciples affidés et favoris ;

LA NÉCROMANCIE.

179

il éloigne ceux qui faisaient du bruit et qui pleuraient, en leur disant : « Cette jeune fille n'est pas morte, elle dort. » Puis, en présence seulement du père, de la mère et des trois disciples, c'est-à-dire dans un cercle parfait de confiance et de désir, il prend la main de l'enfant, la soulève brusquement et lui crie : « Jeune fille, levez—vous I » La jeune fille, dont l'âme indécise errait sans doute auprès de son corps, dont elle regrettait peut-être l'extrême jeunesse et la beauté; surprise par les accents de cette voix , que son pèreet sa mère écoutent à genoux et avec des frissons d'espérance, rentre dans son corps, ouvre les yeux, se lève, et le Maltre ordonne aussitôt qu'on lui donne à manger, pour que les fonctions de la vie recommencent un nouveau cycle d'absorption et de régénération. ,

L histoire d'Élisée, ressuscitant le fils de la Sunamite, et de saint Paul, ressuscitant Eutyque,• sont des faits du même ordre; la résurrection de Dorcas par saint Pierre, racontée avec tant de simplicité dans les Actes des aeres, est également une histoire dont la vérité ne saurait guère être raisonnablement contestée. Apollonius de Thyanes parait aussi avoir accompli de semblables merveilles. -

80 RITUEL DE LA HAUTE• MAGIE. Nous avons été nous-même témoin de faits qui ne sont pas sans analogie avec ceux-là, mais l'esprit du siècle dans lequel bous avons de vivre nous impose à ce sujet la plus discrète réserve, les thaumaturges étant exposés de nos jours • à un assez médiocre accueil devant le bon public : ce qui n'empêche pas la terre de tourner, et Galilée d'être un grand homme. La résurrection d'un mort est le chef-d'oeuvre du magnétisme, parce qu'il faut, pour l'accomplir, exercer une sorte de toute-puissance sympathique. Elle est possible dans les cas de mort par congestion, par étouffement, par lugeur, par hystérisme. Eutyque, qui fut ressuscité par saint Paul, après être tombé du troisième étage, n'avait sans doute rien de brisé intérieurement, et avait succombé sans doute soit à l'asphyxie occasionnée par le mouvement de l'air pendant la chute, soit au saisissement et à la frayeur. Il faut, en pareil cas, et lorsqu'on se sent la force et la foi nécessaires pour accomplir une pareille oeuvre, pratiquer, comme l'apôtre, l'insufflation bouche contre bouche, en y joignant le contact des extrémités pour y rappeler h chaleur. S'il se fût agi tout simplement de ce que les ignorants appellent un miracle, Élie et

LA NECROMANCIE.

I Si

saint Paul, dont les procédés, en pareil cas, ont. été les Mmes, eussent simplement parlé au nom de Jehovah ou du Christ. Il peut suffire quelquefois de prendre la personne par la main et de la soulever vivement en I'dppelant d'une voix forte. Ce procédé, qui réussit d'ordinaire dans les évanouissements , peut avoir de l'action même sur . la mort, quand le magnétiseur qui l'exerce est doué d'une parole puissamment sympathique et possède ce qu'on pourrait appeler l'éloquence de la voix. Il faut aussi qu'il soit tendre ment aimé ou respecté de la personne sur laquelle il veut agir, et qu'il fasse son oeuvre par un grand élan de foi et de volonté, qu'on ne trouve pas toujours en soi-même dans le premier saisissement d'une grande douleur. Ce qu'on appelle vulgairement nécromancie n'a rien de commun avec' la résurrection, et il esta u moins fort douteux que, dans les opérations relatives à cette application du pouvoir magique, ou se mette réellement en rapport avec les âmes des morts qu'on'évoque. Il y a deux sortes de nécromancies.: la nécromancie de lumière .et la nécromancie des ténèbres, l'évocation par la prière, le pantacle et les parfums, et l'évocation par le sang, les .

182

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

imprécatio ns et les sacrilèges. C'est la première seulement que nous ayons pratiquée, et nous ne conseillons à personne de s'adonner à la seconde. Il est certain que les images des morts apparaissent aux personnes magnétisées qui les évoquent; . il est certain aussi qu'elles ne leur révèlent jamais rien des mystères de l'autre vie. On les revoit telles qu'elles peuvent être encore dans le souvenir de ceux qui les ont connues, telles que leurs reflets sans doute les ont laissées empreintes dans la lumière astrale. Quand les spectres évoqués répondent aux questions qu'on leur adresse, c'est toujours par les signes ou par impression intérieure et imaginaire, jamais avec une voix qui frappe réellement les oreilles; et cela se comprend assez : comment une ombre parlerait-elle? avec quel instrument feraitelle vibrer l'air en le frappant de manière à faire distinguer les sons? On éprouve çependant des contacts électriques lors des apparitions, et ces contacts semblent quelquèfois produits par la main même du fantôme ; mais ce phénomène est tout intérieur et doit avoir pour cause unique la puissance de l'imagination et les affluences locales de la force occulte que nous appelons lumière astrale. Ce qui le prouve, c'est

183 que les esprits, ou du moins les spectres prétendus tels, nous touchent bien parfois, mais qu'on ne saurait les toucher, et c'est une des circonstances les plus effrayantes des apparitions, car les visions ont parfois une apparence si réelle, qu'on ne peut sans être ému sentir que la main passe à travers ce qui nous semble un corps sans pouvoir rien toucher ni rencontrer. On lit dans les historiens ecclésiastiques queSpiridion, évêque de Trémithonte qui fut depuis invoqué comme saint, évoqua l'esprit de sa fille Irène pour savoir d'elle où se trouvait caché un dépôt d'argent qu'elle avait reçu d'un voyageur. Swedenborg communiquait habituellement avec les prétendus morts dont les formes lui apparaissaient dans la lumière astrale. Nous avons connu plusieurs personnes dignes de foi qui nous ont assuré avoir revu pendant des années entières des défunts qui leur étaient chers. Le célèbre athée Sylvain Maréchal apparut à sa veuve et à une amie de cette dernière pour leur donner connaissance d'une somme de 1500 francs en or qu'il avait cachée dans un tiroir secret d'un meuble. Nous tenons cette anecdote d'une ancienne amie de la famille. Les évocations doivent toujours être motivées et LA NÉ CROMANCIE.

18 h

RITUEL DF LA HAUTE MAGIE.

av5ir un but louable; autrement, se sont des opérations de ténèbres et de folie, très dangereuses pour la raison et pour la santé. Évoquer par pure curiosité et pour savoir si l'on verra quelque chose, c'est être dis' osé d'avance à se fatiguer en pure perte. Les hautes sciences n'admettent ni le doute ni les puérilités. Le motif louable d'une évocation peut être ou d'amour ou d'intelligence. Les évocations d'amour exigent moins d'appareil et sont de toutes manières plus faciles. Voici comment il faut y procéder: On doit d'abord recueillir avec soin tous les souvenirs de celui ou de celle qu'on désire revoir, les ob;ct qui lui ont servi et qui ont gardé son empreinte, et meubler soit une chambre où la personne ait demeuré de son vivant, soit un local sem.blable, où l'on mettra son portrait, voilé de blanc, au milieu des fleurs que la personne aimait et que l'on renouvellera tous les jours. Puis il faut observer une date précise, un jour de l'annee qui ait été, soit sa fête, soit le jour le plus heureux pour notre aeection et pour la sienne, un jour dont nous supposons que son âme, quelque heureuse qu'elle soit d'ailleurs, n'a pu perdre le souve-

185 nit. : c'est ce jour-là même qu'il faut choisir pour l'évocation, à laquelle on se préparera pendant quatorze jours. Pendant ce temps, il faudra observer de ne donner à personne les mêmes preuves d'affection que le défunt ou la défunte avait droit d'attendre de nous; il faudra observer une chasteté rigoureuse, vivre dans la retraite et ne faire qu'un modeste repas et une légère collation par jour. Tous les soirs, à la même heure, il faudra s'enfermer avec une seule lumière peu éclatante, telle qu'une petite lampe funéraire ou un cierge, dans la chambre consacrée au souvenir de la personne regrettée ; on placera cette lumière derrière soi et l'on découvrira le portrait, en présence duquel on restera une heure en silence ; puis on parfumera la chambre avec un peu de bon encens, et l'on en sortira à reculons. Le jour fixé pour l'évocation, il faudra se parer dès le matin comme pour une fête, n'adresser le premier la parole à personne de la journée, ne faire qu'un repas composé, de pain, de vin et de racines ou de fruits; la nappe devra être blanche ; on mettra deux couverts et l'on rompera une part du p lin, qui devra être servi entier; on mettra aussi I.A. NÉCROMANCIE.

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486

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

quelques gouttes de vin dans le verre de la personne qu'on veut évoquer. Ce repas doit étre fait en silence, dans la chambre des évocations, en présence du portrait voilé; puis on emportera tout ce. qui aura servi pour cela, excepté le verre du défunt et sa part de pain qui seront laissés devant son portrait. Le soir, à l'heure de la visite habituelle, on se rendra dans la chambre en silence; on y allumera un feu clair avec du bois de cyprès, et l'on y jettera sept fois de l'encens en prononçant le nom de la personne qu'on veut revoir ; on éteindra ensuite la lampe et on laissera le feu mourir. Ce jour-là on ne dévoilera pas le portrait. Quand la flamme sera éteinte, on remettra de l'encens sur les charbons, et l'on invoquera Dieu suivant les formules de la religion à laquelle appartenait la personne décédée et suivant les idées qu'elle avait elle—méme de.Dieu. • Il faudra , en faisant cette prière , s'identifier à la personne évoquée, parle comme elle parlerait, se croire en quelque sorte elle—même; puis, après un quart d'heure de silence, lui parler comme si elle était présente, avec affection et avec foi, en la priant de se montrer à nous; renouveler cette

187 prière mentalement et en couvrant soir visage de ses deux mains, puis appeler trois fois et à haute voix la personne; attendre à genoux et les yeux fermés ou couverts pendant quelques minutes en lui parlant mentalement ; puis l'appeler trois fois encore d'une voix douce et affectueuse, et ouvrir lentement les yeux. Si l'on ne voyait rien, il faudrait renouveler cette expérience l'année suivante et ainsijusqu'à trois fois. Il est certain qu'au moins la troisième fois on obtiendra l'apparition désirée, et, plus elle aura tardé, plus elle sera visible et saisissante de réalité. Les évocations de science et d'intelligence se font avec des cérémonies plus solennelles. S'il s'agit d'un personnage célèbre, il faut méditer pendant vingt et un jours sa vie et ses écrits, se faire une idée de sa personne, de sa contenance et de sa voix; lui parler mentalement et s'imaginer ses réponses, porter sur soi son portrait ou au moins son nom, s'assujettir à un régime végétal pendant les vingt et un jours, et à un jeûne sévère pendant les sept derniers; puis construire l'oratoire magique tel que nous l'avons décrit au chapitre treizième de notre dogme. L'oratoire doit être entièrement fermé ; mais, si l'on doit opérer de jour, on peut laisser une LA NÉCROMANCIE.

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

étroite ouverture du côté oit doit donner le soleil à l'heure. de l'évocation, et. placer devant cette ouverture un prisme triangulaire, puis devant le prisme un globe de cristal rempli d'eau. Si l'on doit opérer de nuit, on disposera la lampe magique de manière à faire tomber son unique rayon sur la fumée de l'autel. Ces préparatifs ont pour but de fournir à l'agent magique des éléMents d'une apparence corporelle, et de soulager d'autant la tension de notre imagination, qu'on n'exalterait pas sans danger jusqu'à l'illusion absolue du rêve. On comprend assez, d'ailleurs, qu'un rayon de soleil ou de lampe diversement coloré et tombant sur une fumée mobile et irrégulière ne peut en aucune façon créer une image parfaite. Le réchaud du feu sacré doit être au centre de l'oratoire, et l'autel des parfums à peu de distance. L'opérateur doit se tourner vers l'orient pour prier, et vers l'occident pour évoquer; il doit être seul ou assisté de deux personnes qui observeront le plus rigoureux silence; il aura les vétementsinagiques tels que nous les avons décrits au chapitre septième, sera couronné de verveine et d'or. Il aura dû se baigner avant l'opération,.et tous ses vêtements de dessous devront être d'une intacte et rigoureuse propreté.

189

LA NÉCROMANCIE. •

On commencera par une prière appropriée au génie de l'esprit qu'on veut évoquer, et qu'il pourrait approuver lui-même s'il vivait encore. Ainsi l'on n'évoquerait jamais Voltaire, par exemple, en récitant des oraisons clans le goût de celles de sainte Brigitte. Pour les grands hommes des temps antiques, on dira les hymnes de Cléanthe ou d'Orphée, avec le serment qui termine les vers dorés de Pythagore. Lors de notre évocation d'Apollonius, nous avions pris pour rituel la magie philosophique de Patricius, contenant les dogmes de Zoroastre et les ouvrages d'Hermès Trismégiste. Nous lûmes à haute voix le Nuctéméron d'Apollonius en grec, et nous y ajoutâmes la conjuration suivante : BoulU

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N Teno, (ha? Orixit-

ILS te

Pour l'évocation des esprits appartenant aux reli-

190 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. gions émanées du judaïsme, il faut dire l'invocation cabalistique de Salompn, soit en hébreu, soit eu toute autre langue qu'on sait avoir été familière à l'esprit qu'on évoque Puissances du royaume, soyez sous mon pied gauche et dans ma main droite; Gloire et Éternité, touchez mes deux épaules et dirigez-moi dans les voies de la victoire; Miséricorde et Justice, soyez l'équilibre et la splendeur de ma vie; Intelligence et Sagesse, donnez-moi la couronne; esprits de MALCHUTR, conduisez-moi entre les deux colonnes sur lesquelles s'appuie tout l'édifice du temple; anges de NETSAH et de HOD, affermissez-moi sur la pierre cubique de JESOD. O GÉDULAEL 1 ô GEBURAEL ! ô TIPBERETR1 BINAEL,

sois mon amour;RUACHHOCLIMAEI.,sois ma lumière; sois ce que tu es et ceque tu seras, ô KÉTRERIEL! ischitn,-assistez-moi au nom de SADDAï. Cherubim, soyez ma force au nom d'AnoNAï. Beni-Elohim, soyez mes frères au nom du fils et par les vertus de ZÉBAOTH. Elam, combattez pour moi au nom de TETRA-

GRAMMATON.

Malachim, protégez-moi au nom de mn. Seraphim, épurez mon amour au nom d'ELvoa. ,

LA NICROMANCIE.

491

Hasmalim , éclairez-moi avec les splendeurs d'Epaï et de Schechinah. Aralim, agissez; Ophanim, tournez et resplendissez: Hajoth a Kadosh, criez, parlez, rugissez, mugissez : Kadosh, Kadosh , Kadosh , SADD/if•, ADONAÏ , JOTCHAVAH, EIEAZEREIE. Hallelu-jah, Hallelu-jah, Hallelu-jah. Amen. Tm Il faut bien se rappeler surtout, dans les conjurations, que les noms de Satan, de Beelzebub, d'Adramelek, et les autres, ne désignent pas des unités spirituelles, mais des légions d'esprits impurs. Je me nomme légion, dit dans l'Évangile l'esprit de ténèbres, parce que nous sommes en grand nombre. En enfer, règne de l'anarchie, c'est le nombre qui fait la loi et le progrès s'y accomplit en sens inverse, c'est4dire que les plus avancés en développement satanique, les plus dégradés par conséquent, sont les moins intelligents et les plus faibles.. Ainsi, une loi fatale pousse les démons à descendre, lorsqu'ils croient et veulent monter. Aussi ceux qui se diseht les chefs sont-ils les plus impuissants et les plus méprisés de tous. Quant àla foule des esprits pervers, 'elle tremble devant un -chef inconnu, invisible, incompréhensible, capricieux, implacable, qui n'ex,

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

plique jamais ses lois, et qui a toujours le bras étendu pour frapper ceux qui n'ont pu le deviner. Ils donnent à ce fantôme les noms de Baal, de Jupiter, ou d'autres même plus vénérables, et qu'on ne prononce pas en enfer sans les profaner; mais .ce fantôme n'est que l'ombre et le souvenir de Dieu, défigurés par leur perversité volontaire, et restés dans leur imagination comme une vengeance de la justice et un remords de la vérité. Lorsque l'esprit de lumière qu'on a évoqué se montre avec un visage triste ou irrité, il faut lui offrir un sacrifice. moral, c'est-à-diré être intérieurement disposé à renoncer à ce qui l'offense; puis il faut, avant de sertir de l'oratoire, le congédier en lui disant : Que la paix soit avec toi ! Je n'ai pas voulu te troubler, ne me tourmente pas; je travaillerai à me réformer en tout ce qui t'offense; je prie et je prierai avec toi et pour toi; prie avec moi et pour moi et retourne à ton grand sommeil, en attendant le jour où nous nous réveillerons ensemble. Silende et adieu! Nous ne terminerons pas ce chapitre sans ajouter, pour les curieux, quelques détails sur les cérémonies de la nécromancie noire. On trouve dans plusieurs anciens auteurs commentla pratiquaient

193 les sorcières de Thessalie et les Cauidies de Rome. • On creusait une fosse, au bord de laquelle on égorgeait une brebis noire; puis on éloignait avec l'épée magique les psylles et les larves qui étaient supposées présentes et empressées à boire le sang; on invoquait la triple Hécate et les dieux infernaux, et on appelait trois fois l'ombre qu'on voulait voir apparaître. Au moyeu âge, les nécromans profanaient les tombeaux, composaient des philtres et des oniuenis avec la graisse et le sang des cadavres; ils y mêlaient l'aconit, la belladone et le champignon vénéneux; puis ils recuisaient et écumaient ces affreux mélanges sur des feux composés d'ossements humains et de crucifix dérobés aux égliSes; ils y mêlaient des poudres de crapauds desséchées et de la cendre d'hosties consacrées; puis ils se frottaient les tempes, les mains et la poitrine de l'onguent •nfernal traçaient le pantacle diabolique, évoquaient les morts sous les gibets ou dans les cimetières abanLA NÉCROMANCIE.

donnés. On entendait de loin leurs hurlements, et les voyageurs attardés croyaient voir sortir de terre des légions de fantômes; les arbres mêmes prenaient à leurs yeux des figures qui faisaient peur; on voyait scintiller des yeux de feu dans les

194 R I T U E L D E L A H A U T E M A G I E . buissons, et les grenouilles des marais semblaient répéter d'une voix rauque les paroles mystérieuses du sabbat. C'était le magnétisme de l'hallucination et la contagion de la folie. Les procédés de la magie noire ont pour but de troubler la raison et de produire toutes les exaltations fiévreuses qui donnent le courage des grands crimes. Les grimoires que l'autorité autrefois faisait saisir .et brûler partout où elle les rencontrait n'étaient certes pas des livres innocents. Le sacrilége, le meurtre et le vol sont indiqués ou sous-entendus comme moyens de réalisation dans presque V toutes ces oeuvres. C'est ainsi que dans le Grand Grimoire et dans le Dragon rouge, contrefaçon moderne du Grand Grimoire, on lit une recette intitulée : Composition de mort, ou pierre philosophale. C'est une espèce de consommé d'eau-forte, de cuivre, d'arsenic et vert' de gris. On y trouve aussi des procédés de nécromancie qui consistent à fouiller la terre des tombeaux avec ses ongles, à en retirer des ossements qu'on tiendra en croix sur sa poitrine, à assister ainsi à la messe de minuit, la nuit de Noël, dans une église, et au moment de l'élévation se lever et s'enfuir en crient : Que les morts sortent de leurs tombeaux ! puis retour-

LA NÉCROMANCIE.

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lier au cimetière , prendre une poignée de terre (1W touche du plus près un cercueil, revenir en courant à la porte de l'église qu'on aura épouvantée de sa clameur y déposer les deux os en croix en criant encore : Que les morts sortent de leurs tombeaux ! et, s'il ne se trouve là personne pour vous arrêter et vous conduire à la maison des fous, s'éloigner à pas lents et compter quatre mille cinq cents pas sans se détourner ce qui fait supposer ou que vous suivrez une grande route ou que vous escaladerez les murailles, Au bout de ces quatre mille cinq cents pas, vous vous coucherez pariterre ; après avoir semé en croix la terre que vous tenez dans la main, vous vous placerez comme on est dans le cercueil, et vous répéterez encore d'une voix lugubre: Que les morts, etc., et vous appellerez trois fois celui que vous voudrez voir paraître. II ne faut pas douter que la personne assez folle et assez perverse pour se livrer à. de pareilles oeuvres soit disposée déjà à. toutes les chimères et à tous les fantômes. La recette du Grand Grimoire est donc certainement très efficace, mais nous ne conseillons aucun de nos lecteàrs d'en faire usage,

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

CHAPITRE XIV. LES

TRANSMUTATIONS.

Saint Augustin, avons-nous dit, se demande si Apulée a pu être changé en âne, puis rendu à sa • première forme. Le même docteur pouvait se préoccuper également de l'aventure des compagnons d'Ulysse changés en pourceaux par Circé. Les transmutations et les métamorphoses ont toujours été,

LES TRANSMUTATIONS. 197 dans l'opinion du vulgaire, l'essence même de la magie. Or, le vulgaire qui se fait l'écho de l'opinion, reine du monde, n'a jamais ni parfaitement raison ni entièrement tort. La magie change réellement la nature des choses, ou plutôt modifie à son gré leurs apparences, suivant la force de volonté de l'opérateur et la fascination des adeptes aspirants. La parole crée sa forme, et, quand un personnage réputé infaillible a nommé une chose d'un nom quelconque, il transforme réellement cette chose en la substance signifiée par le nom qu'il lui donne. Le chef-d'oeuvre de la parole et de la foi, en ce genre, c'est la transmutation réelle d'une substance dont les apparences ne changent pas. Si Apollonius avait dit à ses disciples en leur donnant une coupe pleine de vin : Voici mon sang que vous boirez à jamais pour perpétuer ma vie en voustet si ses disciples avaient pendant des siècles cru continuer cette transformation en répétant les mêmes paroles, et pris le vin, malgré son odeur et sa saveur, pour le sang réel, humain et vivant d'Apollonius, il faudrait reconnaître ce maître en théurgie pour le plus habile des fascinateurs et le plus puissant de tous les mages. Il nous resterait à l'adorer.

9fi R I T U E L D E L A H A U T E M A G I E ,

On sait que les magnétiseurs donnent à l'eau pour leurs somnambules toutes les saveurs qui leurs plaisent et si l'on suppose un magiste assez puissant sur le fluide astral pour magnétiser en même temps toute une assemblée de gens préparés d'ailleurs au magnétisme par une surexcitation suffisante, on expliquera facilement, non pas le miracle évangélique de Calia, mais des oeuvres du même genre. Les fascinations de l'amour, qui résultent de la magie universelle de la nature, ne sont-elles pas véritablement prodigieuses et ne transforment-elles pas réellement les personnes et les choses? L'amour est un rêve d'enchantements qui transfigure le monde : tout devient musique et parfums, tout devient ivresse et bonheur. L'être aimé est beau, il est bon, il est sublime, il est infaillible, il est resplendissant, rayonne la santé et le bien- être.... ; et, quand le rêve se dissipe, on croit tomber des nues ; on regarde avec dégoût la sorcière immonde qui a pris la place de la belle Mélusine, le Thersite qu'on prenait pour Achille ou pour Nérée. Que ne ferait-on pas croire à la personne dont on est aimé? mais aussi quelle raison et quelle justice peut-on faire comprendre à celle qui ne nous aime plus?

LES TRANSMUTATIONS.

199.

L'amour commence par être magicien, il finit. par être sorcier. Après avoir créé les mensonges du ciel sur la terre, il y réalise ceux de l'enfer sa haine est aussi absurde que son enthousiasme, parce qu'il est passionnel, c'est-à-dire soumis à des influences fatales pour lui. C'est pour cela que les sages l'ont proscrit en le déclarant ennemi de la raison. Les sages étaient-ils à envier ou à plaindre lorsqu'ils condamnaient ainsi sans l'avoir entendu , sans doute, le plus séduisant des coupables? Tout ce qu'on peut dire c'est. que , lorsqu'ils parlaient ainsi, ils n'avaient pas encore aimé ou n'aimaient plus. Les choses sont pour nous ce que notre verbe intérieur les fait être. Se croire heureux, c'est. être heureux; ce qu'on estime devient précieux en proportion de l'estime même : voilà comment on peut. dire que la magie change la nature des choses. Les Métamorphoses (l'Ovide sont vraies, mais elles sont allégoriques comme l'âne d'or du bon Apulée. La vie des êtres est une transformation progressive dont on peut déterminer, renouveler, conserver plus longtemps ou détruire plus tôt les formes. Si l'idée de la métempsycose était vraie, ne pou irait-on pas dire que la uh figurée par Circé change .

200 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. réellement et matériellement les hommes en pourceaux, car les vices dans cette hypothèse auraient pour châtiment la rechute dans les formes animales qui leur sont correspondantes ?Or, la métempsycose, qui a été souvent mal comprise, a un côté parfaitement vrai : les formes animales communiquent leurs empreintes sympathiques au corps astral de l'homme, et ce reflètent bientôt sur ses traits, suivant la force de ses habitudes. L'homme d'une douceur intelligente et passive prend les allures et la physion omie inerte d'un mouton ; mais, dans le somnambulisme, ce n'est plus un homme à physionomie moutonne, c'est un mouton qu'on aperçoit, comme l'a mille fois expérimenté l'extatique et savant Swedenborg. Ce mystère est exprimé dans le livre cabalistique du voyant Daniel par la légende de Nabuchodonosor changé en bête, qu'on a eu le tort de prendre pour une histoire réelle comme il est arrivé de presque toutés les allégories magiques. Ainsi, on peut réellement changer les hommes en animaux et les animaux en hommes; on peut métamorphoser les plantes et en changer la vertu ; on peut donner a"ux minéraux des propriétés idéales : il ne s'agit que de vouloir. On peut également, à volonté, se rendre visible

201 ou invisible, et nous expliquerons ici les mystères de l'anneau de Gygès. Éloignons d'abord de l'esprit de nos lecteurs toute supposition de l'absurde, c'est—à—dire d'iln effet sans cause ou contradictoire à sa cause. Pour se rendre invisible de trois choses l'une est nécessaire : ou interposer un milieu opaque quelconque entre la lumière et notre corps, ou entre notre corps et les yeux des assistants, ou fasciner les yeux des assistants de telle manière qu'ils ne puissent pas faire usage de leur vue. Or, de ces trois manières de se rendre invisible, le troisième seulement est magique. N'avons—nous pas remarqué souvent que, sous l'empire d'une forte préoccupation nous regardons sans voir, et que nous allons nous heurter contre dês objets qui étaient devant nos yeux « Faites qu'en voyant ils ne voient pas » , a dit le grand initiateur ; et l'histoire de ce grand maitre nous apprend qu'un jour, se voyant sur le point d'être lapidé dans le temple, il se rendit invisible et sortit. Nous ne répéterons pas ici les mystifications des grimoires vulgaires sur l'anneau d'inyisibilité. Les uns le composent de mercure fixé et veulent qu'on LES TRANSMUTATIONS.

202 R I T U E L D E L A H A U T E M A G I E . le garde dans une boîte de même métal, après 3 avoir enchâssé une petite pierre qui doit infailliblement se trouver dans le nid de la huppe (au lieu de huppe, c'est dupe qu'il faudrait lire). L'auteur du Petit Albert veut qu'on fasse cet anneau avec des poils arrachés sur le front d'une hyène furieuse : c'est à peu près l'histoire du grelot de Rodilard. Les seuls auteurs qui aient parlé sérieusement de l'anneau de Gygès sont Jamblique Porphyre et Pierre d'Apono. Ce qu'ils en disent est évidemment allégorique, et la figure qu'ils en donnent, ou qu'on peut en faire d'après leur description, prouve que par l'anneau de Gygès ils n'entendent et ne désignent autre chose que le grand arcane magique. L'une de ces figures représente le cycle du mouve-. ment universel harmonique et équilibré dans l'être impérissable; l'autre, qui doit être fait de dgame des sept métaux, mérite une description particulière. Il doit avoir un double chaton et deux pierres précieuses, une topaze constellée au signe du soleil, et une émeraude au signe de la lune: intérieurement, il doit porter les caractères occultes des planètes et extérieurement leurs signes connus, répé-

LES TRANSMUTATIONS.

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tés deux fois et en opposition cabalistique les uns avec les autres, c'est-à-dire cinq à droite et cinq à gauche, les signes du soleil et de la lune résumant les quatre intelligences diverses des sept planètes. Cette configuration n'est autre chose qu'un pan— tacle exprimant tous les mystères du dogme magique, et le sens symbolique de l'anneau, c'est que, pour exercer la toute-puissance dont la fascination oculaire est une des pretives les plus difficiles à donner, il faut posséder 'toute la science et savoir en faire usage. La fascination s'Opère par le magnétisme. Le magiste ordonne intérieurement à toute une assemblée de ne point le voir, et l'assemblée ne le voit pas. Il entre ainsi par des portes gardées ; il sort des prisons devant ses geôliers stupéfaits. Ou éprouve alors une sorte d'engourdissement étrange • et l'on se rappelle avoir vu le magiste commè'en rêve, mais seulement après qu'il est passé. Le secret d'invisibilité est donc tout entier dans un pouvoir qu'on pourrait définir : celui de détourner ou de paralyser l'attention, en sorte que la lumière arrive à l'organe visuel sans exciter le regard de l'âme. Pour exercer cette puissance, il faut avoir 'ne

20h R I T U E L D E L A D A L I T E M A G I E . volonté habituée aux actes énergiques et soudains. une grande présence d'esprit, et. une non moins grande habileté à faire naître des distractions dans la fouie. Qu'un homme, par exemple, poursuivi par des meurtriers, après s'être jeté dans une rue de traverse, se retourne .tout à coup, et vienne, avec un visage calme, au devant de ceux qui courent après lui , ou qu'il se mêle avec eux et paraisse occupé de la même poursuite, il se rendra certainement invisible. Un prêtre, qu'on poursuivait en 93 pour l'accrocher à la lanterne, tourne rapide, ment une rue, et là il met habit bas et se penche au coin d'une borne dans l'attitude d'un homme affairé. La multitude de ceux qui le poursuivaient arrive immédiatement : pas un ne le voit, ou plutôt pas un ne s'avise de le reconnaître : il était si peu probable que ce rôt lui ! La personne qui- veut être vue se fait toujours . remarquer, et celle qui veut rester inaperçue s'efface et disparaît. La volonté est le véritable anneau de Gygès; c'est aussi la baguette des transmutations, et c'est en se formulant nettement et fortement qu'elle crée le verbe magique. Les paroles toutespuissantes des enchantements sont celles qui expri-

LES TRANSMUTATIONS. 205 nient ce pouvoir créateur des formes. Le tétragramme, qui est le mot suprême, de la magie, signifie : Il est ce qu'il sera ; et, si on l'applique à quelque transformation que ce soit avec une pleine intelligence, il rénouvellera et modifiera toutes choses, en dépit même de l'évidence et du sens commun. Le hoc est du sacrifice chrétien est une traduction et une application du tétragramme ; aussi cette simple parole opère-t-elle la plus complète, la plus invisible, la plus incroyable et la plus nettement affirmée de toutes les transformations. Un mot dogmatique plus fort encore que celui de transformation a été jugé nécessaire par les conciles pour exprimer cette merveille : c'est celui de

transsubstantiation.

Les mots hébreux rtrr, ttimre, rttrut, tom, ont été regardés par tous les cabalistes comme les clefs de la transformation magique. Les mots latins est, sit, esto, flat, ont la même force quand on les prononce avec une pleine intelligence. M. de Montalembert raconte sérieusement, dans sa légende de sainte Elisabeth de Hongrie, qu'un jour cette pieuse daine, surprise par son noble époux, auquel elle voulait cacher ses bonnes oeuvres, au moment où elle portait aux pauvres des pains dans sou tablier, lui

9,06

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

dit qu'elle portait des roses, et, vérification faite, il se trouva qu'elle n'avait pas menti : les pains s'étaient changés en roses. Ce conte est un apologue magique des plus gracieux, et signifie pie le vrai sage ne saurait mentir, que le verbe de sagesse détermine la forme (les choses, ou même leur substance indépendamment de leurs formes. Pourquoi par exemple, le noble époux de sainte Elisabeth, bon et solide chrétien comme elle, et qui croyait fermement à lit présence réelle du Sauveur en vrai corps humain sur un autel où il ne voyait qu'une hostie de farine, n'aurait-il pas cru à la présence réelle des roses dans le tablier de sa femme sous leS apparences du pain? Fille lui montra du pain, sans doute ; niais comme elle avait dit : Ce sont des roses, et qu'il la croyait incapable du plus léger mensonge, il ne vit et ne voulut voir que,des roses. Voilà le secret du miracle. Une autre légende rapporte qu'un saint dont le nom m'échappe, ne trouvant à manger qu'une volaille,. en carême ou un vendredi, commanda à cette volaille d'être un poisson et en fit un poisson. Cette parabole n'a pas besoin de commentaire, et nous rappelle un beau trait de saint Spiridion de

Trémithonte, le même qui évoquait l'âme de sa fille

LES TRANSMUTATIONS. 207 Irène. Un voyageur arriva le jour même du vendredi saint chez ce bon évêque, et, comme en ce temps-là les évêques, prenant le christianisme au sérieux, étaient pauvres, Spiridion, qui jeûnait régulièrement,, n'avait chez lui que du lard salé qu'on préparait d'avance pour le temps pascal. Toutefois, comme l'étranger était exténué de fatigue et de faim, Spiridion lui présenta de cette viande, et, pour l'encourager à en manger, il se mit à table avec lui et partagea ce repas de la charité, transformant ainsi la chair même que les israélites regardaient comme la plus impure en agapes de pénitence, se mettant au-dessus du matériel de la loi par l'esprit de la loi même et se montrant un. vrai et intelligent disciple de l'homme— Dieu, qui a établi ses élus rois de la nature dans les trois inondes.

208

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

CHAPITRE XV. LE SABBAT DES SORCIERS.

Nous voici revenus à ce terrible nombre quinze, qui, dans la clavicule du tarot, présente pour symbole un monstre debout sur un autel, portant une • mitre et des cornes, ayant un sein de femme et les parties sexuelles d'un homme, une chimère, un sphinx difforme, une synthèse de monstruosités; et, au—dessous de cette figure, nous lisons en inscription toute franche et toute naïve : LE DIABLE. Oui, nous abordons ici le fantôme de toutes les épouvantes, le dragon de toutes les théogonies, l'Arimane des Perses, le Typhon des Égyptiens, le Python des Grecs, l'antique serpent des Hébreux, la vouivre, le graouilli, la tarasque, la gargouille, la grande bête du moyen âge; pis encore que tout cela, le Baphomet des templiers, l'idole barbue des alchimistes, le dieu obscène de Mendès, le bouc du sabbat. Nous donnons en tète de ce Rituel la figure exacte de ce terrible empereur de la nuit avec tous ses attributs et tous ses caractères.

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LE SABBAT DES SORCIERS.

Disons maintenant, pour l'édification du vulgaire, pour la satisfaction de M. !e comte de Mirville, pour la justification de Bodin le démonomane, pour la plus grande gloire [le l'Église, qui a persécuté les templiers, brûlé les magiciens, excommunié les francs-maçons, etc., etc.; disons hardiment et hautement que tous les initiés aux sciences occultes (je parle des initiés inférieurs et profanateurs du grand arcane) ont adoré, adorent encore et adoreront toujours ce qui est signifié par cet épouvantable symbole. Oui, dans notre conviction profonde, les grands maîtres de l'ordre des templiers adoraient le Baphomet et le faisaient adorer à leurs initiés ; oui, il a existé et il peut exister encore des assemblées pré- sidées par cette figure, assise sur un. trône avec sa torche ardente entre les cornes; seulement les adorateurs de ce signe ne pensent pas comme nous, que ,ce soit la représentation du diable, mais bien celle du dieu Pan, le dieu de nos écoles de philosophie moderne, le dieu de théurgistes de l'école d'Alexandrie et des mystiques néoplatoniciens de nos jours. le dieu de Lamartine et de M. Victor Cousin, -le dieu de Spinosa et de Platon, le dieu des écoles . gnostiques primitives; le Christ même du sacerdoce -

T. Il.

1

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

dissident; et cette dernière qualification donnée au bouc de la magie noire n'étonnera pas ceux qui étudient les antiquités religieuses et qui ont suivi dans leurs diverses transformations les phases du symbolisme et du dogme soit dans l'Inde, soit dans l'Égypte, soit dans la Judée. Le taureau, le chien et le bouc, sont les trois animaux symboliques de la magie hermétique dans laquelle se résument toutes les traditions de l'Égypte et de l'Inde. Le taureau représente la terre ou le sel des. philosophes; le chien, c'est Hernya- • nubis, le Mercure des sages, le fluide; l'air et l'eau le bouc représente le feu, et il est en même temps le symbole de la génération. En Judée on consacrait deux boucs, l'un pur, . l'autre impur. Le pur était sacrifié en expiation des péchés; l'autre, chargé par imprécation de ces ménies péchés, était envoyé en liberté dans le désert. Chose:étrange, mais d'un symbolisme profond! la réconciliation par le dévottment et l'expiation par la liberté 1 Or, tous les pères qui se sont occupés du symbolisme juif ont reconnu dans le bouc immolé la figuré de celui quia pris, disentils, la forme même du péché. Donc les gnostiquc, n'étaient pas en dehors des traditions symboliqr

LE SABBAT DES SORCIERS.

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lorsqu'ils donnaient au Christ libérateur la figure mystique du bouc. Toute la kabbale et toute la magie separtagent en effet entre le culte du bouc sacrifié et celui du bouc einisaire.11 y a donc la magie du sanctuaire et celle du désert, l'église blanche et l'église noire, le sacerdoce des assemblées publiques et le sanhédrin du sabbat. Le bouc qui est représenté dans notre frontispice poite sur le front le signe du pentagramme, la pointe eu haut, ce qui suffit pour en faire un symbole de lumière ; il fait des deux mains le signe de l'occultisme, et montre en haut la lune blanche de Chesed, et en bas la lune noire de Géburah. Ce signe exprime le parfait accord de la miséricorde avec la justice. L'un de ses hrasest féminin, l'autre masculin, comme dans l'androgyne de Khunrath dont nous avons dû réunir les attributs à, ceux de notre bouc, puisque c'est un seul et même symbole. Le flambeau de l'intelligence qui brille entre ses cornes, est la lumière magique de l'équilibre universel ; c'est aussi la figure de l'âme élevée audessus de la matière, bien que tenant à la matière même, comme la flamme tient au flambeau. La tête hideuse de l'animal exprime l'horreur du pé-

'21 2 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. 4

ché, dont l'agent- matériel, seul responsable, doit seul et à jamais porter la peine: car l'âme est impassible de sa nature, et n'arrive à souffrir qu'en se matérialisant.Le caducée, qui tient lieu de l'organe générateur, représente la vie éternelle; le ventre couvert d'écailles c'est l'eau ; le cercle qui est au-. dessus, c'est l'atmosphère; les plumes qùi viennent ensuite sont l'emblème du volatile; puis Phu Inanité est représentée par les deux mamelles et les bras androgynes de ce sphinx des sciences occultes. " Voilà les ténèbres du sanctuaire infernal dissipées, voilà le sphinx des terreurs du moyen âge deviné et ,

précipité de son trône: quomodo cecidisti, Lucifer? Le terrible Baphomet n'est plus, comme toutes les idoles monstrueuses énigmes de la science antique et de ses rêves qu'un hiéroglyphe innocent et même pieux. Comment l'homme adorait-il la bête, puisqu:il exerce sur elle un souverain empire? Disons, pùur l'honneur de l'humanité, qu'elle n'a jamais 'ddoré les chiens et les boucs plus que les agneaux et les pigeons. En fait d'hiéroglyphe, pourquoi pàs un bouc aussi bien qu'un agneau ? Dans les pierres sacrées des chrétiens gnostiques de la secte de Basilidès, oit voit des représentations du Christ sous

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LE SABBAT DES SORCIERS.

les diverses figures des animaux de la Kabbale : tantôt c'est un taureau, tantôt un lion, tantôt un serpent à tête,de lion ou de taureau ; partout il porte en même temps les attributs de la lumière comme notre bouc que son signe du pentagramme défend de prendre pour une des images fabuleuses de Satan. Disons bien haut, pour combattre des restes. de manichéisme qui se révèlent encore tous les jours chez nos chrétiens, que Satan, comme personnalité supérieure et comme puissance n'existe pas. Satan c'est la personnification de toutes les erreurs, de tourtes les perversités, et par conséquent aussi de toutes les faiblesses. Si Dieu peut être défini celui qui existe nécessairement, ne peut-on pas définir son antagoniste et son erdemi, celui qui nécessairement n'existe pas? L'affirmation absolue du bien iplique,la négation absolue,du mal; aussi dans la lumière l'ombre elle-même est lumineuse. C'est ainsi que les esprits égarés. sont bons par tout -ce qu'ils ont d'être et de vérité. H n'y a pas d'ombres sans reflets ni de nuits sans lune, sans phosphores et sans étoiles. Si l'enfer est une justice, c'est un bien. Personne n'a jamais blasphémé Dieu. Les injures et les moque.

21h

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

ries qu'on adresse a ses images défigurées ne l'atteignent pas. Nous venons de nommer le manichéisme, et c'est par cette monstrueuse hérésie que nous expliquerons les aberrations de la magie noire. Le dogme de Zoroastre mal compris, la loi magique des deux forces qui constituent l'équilibre universel, ont fait imaginer à quelques esprits illogiques une divinité négative, subordonnée mais hostile à la divinité active. C'est ainsi que se forma le binaire impur. On eut la folie de scinder Dieu ; l'étoile de Salomon fut séparée en deux triangles, et les manichéens imaginèrent une trinité de la nuit. Ce Dieu mauvais, né dans l'imagination des sectaires, devint l'inspirateur de toutes les folies et de tous les crimes. On lui offrit de sanglants sacrifices; l'idolâtrie monstrueuse remplaça la vraie religion; la magie noire fit 'calomnier la haute et lumineuse magie des vrais Ideptes, et il y eut dans les cavernes et dans les lieux déserts d'horribles conventicules de sorciers. dç goules et (le stryges : car la démence se change bientôt en frénésie, etdes sacrifices 'humains à l'anthropophagie il n'y a qu'un pas. Les mystères du sabbat ont été diversement ra-

LE SABBAT DES SORCIERS.

contés, mais ils figurent toujours dans les grimoires et dans les procès de magie. Ou peut diviser toutes les révélations qui ont été faites à ce sujet en trois séries : r celles qui se rapportent à un sabbat fantastique et imaginaire ; 2" celles qui trahissent les secrets des assemblées occultes de. vrais adeptes; ; 3° les révélations d'assemblées folles et criminelles ayant pour objet les pratiques de la magie noire. Pour un grand nombre de malheureux et de malheureuses adonnés à de folles et abominables pratiques, le sabbat n'était qu'un long cauchemar dont les rêVes leur semblaient des réalités, et qu'ils se procuraient au moyen de breuvages, de fumigations et de frictions narcotiques. Porta, que nous avons déjà signalé comme un mystificateur, donne dans sa Magie naturelle la prétendue recette de l'onguent des sorcières, au moyen duquel elles se font transporter au sabbat. ll le compose de graisse d'enfant, d'aconit bouilli avec des feuilles de peuplier et quelques autres drogues; puis il veut qu'on Y mêle de la suie de cheminée, ce qui doit rendre peu attrayante la nudité des sorcières qui vont au sabbat frottées de cette pommade. Voici une autre recette plus sérieuse donnée également par Porta.

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RITUEL. DE LA HAUTE MAGIE.

et que nous transcrivons en latin pour lui laisser tout son caractère de grimoire : Recipe acorum vulgare, pentaphyllon, verspertillionis sanguinen; solanum somniferum et oleum, le tout bouilli et incorporé ensemble jusqu'à consistance d'onguent. Nous pensons que les compositions opiacées, la moelle de chanvre vert, le datura stram.onium, le laurier-amande, entreraient avec non moins de succès dans de semblables compositions. La graisse ou le sang des oiseaux de nuit, joints à ces narcotiques avec des cérémonies de magie noire, peuvent frapper l'imagination et déterminer la direction des rêves. C'eà à des sabbats rêvés de cette manière qu'il faut rapporter les histoires de boucs qui sortent d'une cruche et y rentrent après la cérémonie, de poudres infernales recueillies derrière le même bouc, appelé maître Léonard, de festins où l'on mange des avortons bouillis sans sel avec des serpents et des crapauds, de danses où figurent des animaux monstrueuxou des hommes et des femmes à formés impossibles,, de débauches effrénées où les incubes donnent un sperme froid. Le cauchemar seul peut produire de pareilles choses et seul peut les expliquer. Le malheureux curé Gaufridy et sa

217 pénitente dAbauchée, Madeleine de la Palud, devinrent fous de pareilles rêveries, et• se compromirent pour les soutenir jusqu'au bûcher. Il faut lire dans leur procès les dépositions de ces pauvres malades pour comprendre jusqu'à quelles aberrations peut s'emporter une imagination blessée. Mais le sabbat n'a pas toujours été un rêve, et il a existé réellement; il existe même encore des assemblées secrètes et nocturnes où l'on a pratiqué et où l'on pratique les rites de l'ancien monde, et de ces assemblées les unes ont un caractère religieux et un but social, les autres sont des conjurations et des orgies. C'est sous ce doublé point de vue que nous allons considérer et décrire le vrai sabbat, soit de la magie lumineuse, soit de la magie de ténèbres. Lorsque le christianisme proscrivit l'exercice public des anciens cultes, il réduisit les partisans des religions à se réunir en secret pour la célébration de leurs mystères: A ces réunions présidaient des initiés qui établirent bientôt parmi les diverses nuances de ces cultes persécutés une orthodoxie que la vérité magique les aidait à établir avec d'alitant plus de facilité, que la proscription réuni; le volontés et resserre les liens de la fraternité entre les hommes. Ainsi, les mystères d'Isis, de Cérès LE SABRAI DES SORCIERS.

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9;18

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Eleusine, de Bacchus, se réunirent à ceux de la bonne déesse et du druidisme primitif. Les assemblées se tenaient ordinairement entre les jours de Mercure et de Jupiter, ou entre ceux de Vénus et de Saturne; on s'y occupait des rites de l'initiation, on échangeait les signes mystérieux, on chantait. les hymnes symboliques, on s'unissait par des banquets, et l'on formait successivement la chaîne magique'par la table et par la danse ; puis on se séparait après avoir renouvelé les serments entre les mains des chefs et reçu leurs instructions. Le récipiendaire du sabbat devait être amené ou plu'tôt apporté à l'assemblée les yeux couverts par le manteau magique, 'sont on l'enveloppait tout entier; on le faisait passer sur de grands feux et l'o faisait autour de lui des bruits épouvantables. Lorsqu'on lui découvrait le visage, il se voyait entouré de monstres infernaux et en présence d'un bouc colossal et monstrueux qu'on lui enjoignait d'adorer. Toutes ces cérémonies étaient des épreuves de sa force de carat 'cm et de sa confiance en ses iniiateurs. La dernière épreuve surtout était décisive , parce qu'elle présentait d'abord à l'esprit du récipiendaire quelque chose d'humiliant. et de ridicule : il s'agissait de baiser respectueusement le

9 derrière du bouc, et l'ordre en étaitdonné sans ménagement mu néophyte. S'il refusait, on lui revoilait la tête et ou le transportait loin de l'assemblée avec une telle 'rapidité, qu'il croyait avoir été voituré par les nuages; s'il acceptait, on le faisait tourner autour de l'idole symbolique, et LE SABBAT DES SORCIERS. '21

trouvait, non un objet repoussalt et obscène, mais le jeune etgracieux visage d'une prêtresse d'Isis ou-.de Maïa, qui lui donnait un baiser maternel ; pnis il était admis au banquet. Quant aux orgies qui, dans plusieurs assemblées de ce genre, suivaient le banquet, il faut bien se garder de croire qu'elles • aient été généralement admises dans ces agapes secrètes ; mais on sait que plusieurs sectes gnostiques les pratiquaient dans leurs conventiculesdès les premiers siècles du chris• tianisme. Que la chair ait eu ses protestants dans les siècles d'ascétisme et de compression des sens, cela devait être et n'a rien qui nous étonne ; mais il ne faut pas accuser la haute magie de dérèglements qu'elle n'a jamais autorisés. Isis est chaste dans son veuvage ; la Diane Panthée est vierge ; Hermanuhis, ayant les deux sexes, ne peut en satisfaire aucun; l'Hermaphrodite hermétique estchaste. A pollonius de Tyaiie ne s'abandonna jamais aux

'2,20

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

séductions du plaisir; l'empereur Julien était d'une chasteté sévère ; Plotin d'Alexandrie était rigoureux dans ses moeurs comme un ascète; Paracelse était si étranger aux folles amours, qu'on le crut d'un sexe douteux ; Raymond Lulle ne fut initié aux derniers secrets de la science qu'après un désespoir d'amour qui le yendait chaste à jamais. C'est aussi une tradition de la haute magie que les pantacles et les talismans perdent toute leur vertu qiiand celui qui les porte entre dans une maison de prostitution ou commet un adultère. Le sabbat orgiaque ne doit donc pas être considéré comme Mill des véritables adeptes. Quant au nom même du sabbat , on a voulu le faire venir du nom de Sabasius ; d'autres ont imaginé d'autres étymologies. La plus simple, selon nous, c'est celle qui fait venir ce mot du sabbat judaïque; puisqu'il est certain que les juifs, dépositaires plus fidèles des secrets de la kabbale, ont été presque toujours. en magie les grands maîtres du moyen âge. Le sabbat était donc le dimanche des cabalistes, le jour de leur fête religieuse ou plutôt la nuit de leur assemblée régulière. Cette fête, environnée de mystères, avait pour sauvegarde l'épouvante même du -

LE SABBAT DES SORCIERS.

vulgaire et échappait à.Ja persécution par la terreur. Quant au sabbat diabolique des néeromanCiens, c'était une contrefaçon de celui des mages et une assemblée de malfaiteurs qui. exploitaient des idicits 81, des fous. On y pratiquait d'horribles rites, et l'on y composait d'aborninables mixtions. Les sorciers et les sorcières y faisaient leur police et se renseignaient les uns les autres pour soutenirmu triellerpent leur réputation de prophétie et de divination car les devins alors étaient généralement. consultés, et faisaient un métier lucratif tout eu exerçant une véritable puissance. Ces assemblées de sorciers .et de sorcières n'a. vaient d'ailleurs et ne pouvaient pas avoir de rites réguliers: tout y dépendait du caprice des chefs ut des vertiges de l'assemblée. Ce qu'en racontaient ceux qui avaient pu y assister servait de type à tous les cauchemars des rêveurs, et c'est du mélange .de ces réalités impossibles et de ces rêves démoniaques que sont issues les dégoûtantes et sottes histoires du sabbat qui figurent dans les procédures • de magie et dans les livres des Spranger, des pelai> cre, des Delrio et. de,s-Bodin. Les rites du .sabbat gnostique se sont transmis en Allemagne, à. une association qui a pris le nom :

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222

RITUEL DE LA. HAUTE MAGIE.

de Mopses ; on y a remplacé le bouc cabalistique par le chien hermétique, et, lors de la réception d'un candidat ou d'une candidate (car l'ordre admet les dames), on l'amène les yeux bandés;. on fait autour de lui ou d'elle ce bruit infernal qui a fait donner le nom de sabbat à toutes les inexplicables rumeurs ; on lui demande s'il a peur ou si elle a peur du diable, puis on lui propose brusquement le choix entre baiser le derrière do grand maitre et baiser celui du Mopse; qui est une petite figure de chien recouverte de soie, et substituée à l'ancienne grande idole du bouc de Mendès. Les Mopses out pour signe de reconnaissance une grimace ridicule qui rappelle les fantasmagories de l'ancien sabbat et les masques des assistants. Du reste leur doctrine se résume dans le culte de l'amour et .de la liberté. Cette association se produisit quand l'Église romaine persécuta la franc-maçonnerie. Les Mopses affectaient .de ne se recruter que dans le catholicisme, et l'on avait substitué au serinent de réception un solennel engagement sur l'honneur de ne rien révéler des secrets de l'association. C'était plus qu'un serment, et la religion n'avait plus rien à dire. Le Baphomet des templiers, dont le nom doit -

9`)3 s'épeler cabalistiquement en sens inverse, se coin. pose de trois abréviations : TEM OHP AB, Templi omnium hominem pacis abbas, le père du temple, paix universelle des hommes ; le Baphomet était, suivant les uns, une tète monstrueuse; suivant d'autres, un démon en forme de bouc. Un coffret sculpté a été déterré dernièrement dans les ruines d'une ancienne commanderie du temple, et les antiquaires y ont observé une figure baphométique conforme, quant aux attributs, à notre bouc de Mendès et à l'androgyne de Khunrath. Cette figure est barbue avec un corps entier de femme ; elle tient d'une main le Soleil, et de l'autre la Lune, attachés à des chaînes. C'est une belle allégorie que cette tête virile qui attribue à la pensée seule le principe initiateur et créateur. La tête, ici, représente l'esprit, et le corps de femme la matière. Les astres enchaînés à la forme humaine et dirigés par cette nature dont l'intelligence est la tête, offrent aussi la plus belle allégorie. Le signe, dans son ensemble, n'en a pas moins été trouvé obscène et diabolique par les savants qui l'ont examiné. Qu'on s'étonne, après cela, de voir s'accréditer de nos jours toutes les superstitions du moyen âge ! Une seul chose me surprend, c'est que, LE SABBAT• DES SORCIERS.

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`2'211

RITUEL DE LA DAUM MAGIE.

croyant au diable et à ses suppôts, on ne rallume pas les bûchers. M. Veuillot le voudrait, et c'est chez lui de la logique : il faut toujours honorer les hommes qui ont le courage de leurs opinions. Poursuivons nos recherches curieuses et arrivons aux plus horribles myStères du grimoire, ceux qui se rapportent à l'évocation des diables et aux pactes avec l'enfer. Après avoir attribué une existence réelle à la négation absolue du bien , après avoir intronisé l'absurde et créé un dieu du mensonge, il restait à la folie humaine d'invoquer cette idole ipossible, et .c'est ce que les insensés ont fait. Ou nous écrivait dernièrement que le très respectable père Ventura, ancien supérieur des théatins, examinateur des évêques, etc. , etc. , après avoir lu notre dogme, avait déclaré que la Kabbale, à ses yeux, était une invention du diable, et que l'étoile de Salomon était une autre ruse du mêmediable po; persuader au monde que lui, diable, ne fait qu'un avec Dieu. Et voilà ce qu'enseignent sérieusement ceux qui sont maîtres en Israël ! L'idéal du néant et des tenèbre inventant une sublime philosophie qui est- la base universelle de la foi et la clef de voûte de tous les temples ! le démon apposant sa

9.25

LE SABBAT DES SORCIERS.

signature à côté de celle de Dieu ! Mes vénérables mattres en théolôgie, vous êtes plus sorciers qu'on ne pense et que vous ne pensez vous-mêmes; et celui qui a dit : Le diable est menteur ainsi que son père, aurait peut-être bien quelques petites choses à redire aux décisions de vos paternités. Les évocateurs du diable doivent avant toute chose être de la religion qui admet un diable créateur et rival de Dieu. Pour s'adresser à une puissance, il faut y croire. Étant donc donné un ferme croyant à la religion du diable, voici comment il devra procéder pour correspondre avec son pseudo-dieu : -

AXIOME MAGIQUE.

Dans le cercle de son action, tout verbe crée ce qu'il affirme. CONSÉ QUENCE DIRECTE.

Celui. qui affirme le diable crée ou fait le diable. Ce qu'il faut avoir pour réussir dans les évocations infernales. I. Un entêtement invincible ; 2Œ Une conscience à la fois endurcie au crime et très accessible au remords et à la peur ; T. Il•

I:;

226 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. 3° Une ignorance affectée ou naturelle ; ii° Une foi aveugle en tout ce qui n'est pas croyable; 5° Une idée empiétement fausse de Dieu. Il faut ensuite : Premièrement, profaner les cérémonies du culte auquel on croit, et en fouler aux pieds les signes les plus sacrés ; Secondement, faire un sacrifice sanglant ; Troisièmement, se procurer la fourche magique. C'est une branche d'un .seul jet de noisetier ou . d'amandier qu'il faut couper d'un seul coup avec le couteau neuf qui aura servi au sacrifice ; la baguette doit se terminer en fourche ; - il faut ferrer cette fourche de bois avec une fourche de fer ou d'acier faite de la lame même du couteau avec lequel son l'aura coupée. Il faut jeûner pendant quinze jours, ne faisant qu'un repas sans sel après le soleil couché; ce repas sera de pain noir et de sang assaisonné avec des épices sans sel ou de fèves noires, et d'herbes laiteuses et narcotiques ; Tous les cinq jours s'enivrer, après le soleil couché, de vin dans lequel on aura fait infuser pendant cinq heures cinq tètes de pavots noirs et

LE SABBAT DES SORCIERS.

227

cinq onces de chènevis trituré : le tout contenu dans un linge qui.ait été filé par une femme prostituée (à la rigueur, le premier linge venu pourra servir s'il a été filé par une femme). L'évocation peut se faire soit dans la nuit du lundi au mardi, soit dans celle du vendredi au samedi. Il faut choisir un endroit solitaire et décrié, tel qu'un cimetière hanté par les mauvais esprits, une ruine redoutée dans la campagne, la cave d'un couvent abandonnée, la place où s'est commis un assassinat, un , autel druidique ou un ancien temple d'idoles. Il faut se pourvoir d'une robe noire sans coutures et sans manches, dune calotte de plomb constellée aux signes de la lune, de Vénus et de Saturne, de deux chandelles de suif humain plantées dans des chandeliers de bois noir taillés en forme de croissant, de deux couronnes de verveine, d'une épée magique à manche noir, de la fourche magique, d'un vase de cuivre contenant le sang de la victime, d'une navette contenant les parfums, qui seront de l'encens, du camphre, de l'aloès, de l'ambre gris, du storax, incorporés et pétris avec du sang de bouc, de taupe et de chauve-

228 R I T UE L D E L A H A UT E MAG IE . souris ; il faudra aussi avoir quatre clous arrachés au cercueil d'un supplicié, la tète d'un chat noir nourri de chair humaine pendant cinq jours, une chauve-souris noyée dans le sang, les cornes d'un bouc cum quo paella concubuerit, et le crâne d'un parricide. Tous ces objets horribles et assez difficiles à rassembler étant réunis, voici comment on les dispose: On trace un cercle parfait avec l'épée en réservant toutefois une rupture ou un chemin de sortie; dans le cercle on inscrit un triangle, on colore avec le sang le pantacle que l'épée a tracé; puis, à l'un des angles du triangle, on place le réchaud à trois pieds, que nous aurions pu compter aussi parmi les objets indispensables; à la base opposée du triangle on fait trois petits cercles pour l'opérateur et ses deux assistants, et derrière le cercle de l'opérateur on trace, non pas avec le sang de la victime, mais avec le sang même de l'opérateur, le signe du labarum, ou le monogramme de Constantin. L'opératenr ou ses acolytes doivent avoir les pieds nus et la tète couverte. On aura aussi apporté la peau de la victime immolée; cette.peau, découpée en bandes, sera placée dans le cercle, et formera un autre cercle intérieur

LE SABBAT DES SORCIERS,

')D1

qu'on fixera aux quatre coins avec les quatre clous du supplicié ; près des quatre clous et en dehors du cercle ou placera la tète de chat, le crâne humain ou plutôt inhumain , les cornes de bouc et la chauve-souris; on les aspergera avec un rameau de bouleau trempé dans le sang de la victime, puis on allumera un feu. de bois d'aune et de cyprès ; les deux chandelles Magiques seront placées à droite et à gauche de l'opérateur dans les couronnes de verveine. (Voir la figure en tète de ce chapitre.) On prononcera alors les formules d'évocation qui se trouvent dans les éléments magiques de Pierre d'Apono ou dans les grimoires, soit manuscrits, soit imprimés. Celle du Grand Grimoire, répétée dans le vulgaire Dragon rouge, a été volontairement altérée à l'impression. La voici telle qu'il faut la lire : « Per Adonaï Eloïm , Adonaï .lehova, Adonaï Sabaoth, Metraton On Agla Adonaï Maillon, verhum pythonicum, mysterium salarnandrw, conventus sylphorum , entra gnomorunt , &moula .

. Cœli Gad, Almonsin, GiborJehosua, Evam, Zariatnatm ik veni, veni, veni. La grande appellation d'Agrippa consiste seule,

9.30

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

ment dans ces paroles : DIES MIES JESCHET BOENE DOESEP DOUVEMA ENITEMAUS. Nous ne nous flattons pas de comprendre le sens de ces paroles qui peutêtre n'en ont aucun, et ne doivent en avoir du moins aucun qui soit raisonnable, puisqu'elles ont la puissance d'évoquer le diable, qui est la souveraine déraison: Pic de la Mirandole, sans doute par le même • motif, affirme qu'en magie noire les mots les plus barbares et les plus absolument inintelligibles sont les plus efficaces et les meilleurs. Les conjurations se.répètent en haussant la voix et avec des imprécations, des menaces, jusqu'à ce que l'esprit réponde. Il est ordinairement précédé, lorsqu'il va paraître, d'un vent violent qui semble faire hurler toute la campagne. Les animaux domestiques tremblent alors et se cachent ; les assistants sentent un souffle devant leur visage, et leurs cheveux humectés d'une sueur froide se dressent sur leur tête. La grande et suprême appellation, suivant Pierre d'Apono, est celle-ci : « Hernen-Étan! Hemen-Étan! Hemen-Élan ! El* ATI* TITEIP* AZIA* HYN* TEU* MINOSEL* ACHADON* vay* vaa* Eye* Aaa* Eie* Exe* A EL EL EL A;

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LiY! HAU ! HAU ! HAU ! HAU ! VA! VA! VA! VA! CHAVAJOTH. Aie Saraye, aie Saraye, aie Saraye! per Eloym, , Archima, Rabur, BATHAS super ABRAC ruens super-• veniens ABEOR SUPER ABERER Chavajoth! Chavajoth! Chavajoth! impero tibi per clavent SALOMONIS et. nomen magnum SEMHAMPHORAS. » Voici maintenant les signes et signatu res ordinaires des démons :

Ce sont là les signatures des simples démons; voici les signatures officielles des princes de l'enfer, signatures constatées juridiquement (juridiquement ! ô M. le comte de Mirville I), et conservées dans les archives judiciaires comme pièces de con-

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

Nichon pour le procès du malheureux Urbain Grand ier.

Ces signatures sont apposées au bas d'un pacte dont M. Colin de Plancy a donné le fac-simile dans l'atlas de son Dictionnaire infernal, et qui porte en apostille: «La minute est en enfer, dans le cabinet de Lucifer » , renseignement assez précieux sur une localité fort mal connue et sur une époque si voisine encore de nous, antérieure pourtant au procès des jeunes Labarre et d'Étalonde, qui, comme tout le monde le sait, furent contemporains de Voltaire.

LE SABBAT DES SORCIERS.

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Les évocations étaient souvtnt suivies de pactes, qu'on écrivait sur du parchemin de peau (le bouc avec une plume de fer et une goutte de sang qu'on devait se tirer du bras gauche. La cédule était double : le malin en emportait une, et le réprouvé volontaire avalait l'autre. Les engagements réciproques étaient,pour le démon, de servir le sor cier pendant un certain nombre d'années, et, pour le sorcier, d'appartenir au démon après un temps déterminé. L'Église, dans ses exorcismes, a consacré la croyance à toutes ces choses, et l'on peut dire que la magie noire et son prince ténébreUx sont une création réelle, vivante, terrible, du catholicisme romain ; qu'ils en sont même l'oeuvre spéciale et caractéristique, car les prêtres n'inventent pas Dieu. Aussi les vrais catholiques tiennent-ils du fond de leur coeur à la conservation, à la régénération même_de ce grand oeuvre qui est la pierre philosophale du culte officiel et positif. On dit que, dans la langue des bagnes, les malfaiteurs appellent le diable le boulanger : tout notre désir, et nous parlons ici non plus en magiste, mais en enfant dévoué du christianisme et de l'Église; à laquelle nous devons notre première éducation et nos premiers enthousiasmes, tout notre désir, disons-nous, est ,

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234 RITUEL. DE 'LA HAUTE MAGIE.

que le fantôme de Satan ne puisse plus être appelé aussi le boulanger des ministres de la morale et des représentants de la plus haute vertu. Comprendrat-on notre pensée, et nous pardonnera-t-on la hardiesse de nos aspirations en faveur de nos intentions dévouées et de la sincérité de notre foi ? La magie créatrice du démon, cette magie qui a dicté le Grimoire du pape Honorius, l'Enchiridion de Léon III, les exorcismes du Rituel, les sentences des inquisiteurs, les réquisitoires de Laubardemont, les articles de MM. Veuillot frères, les livres de MM. de Falloux, de Montalembert, de Mirville, la magie des sorciers et des hommes pieux qui ne le sont pas est quelque chose de vraiment condamnable chez les uns, et d'infiniment déplorable chez les autres. C'est surtout pour combaitre, en les dévoilant, ces tristes aberrations de l'esprit humain, que nous avons publié ce livre. Puisse-t-il servir au succès de cette oeuvre sainte !Mais nous n'avons pas encore montré ces oeuvres impies dans toute leur turpitude et dans toute leur montrueuse folie; il faut remuer la boue sanglante des superstitions passées, il faut compulser les annales de la démonomanie, pour concevoir certains forfaits que l'imagination seule n'inventerait pas.

LE SABBAT DES SORCIERS.



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Le cabaliste Bodin, israélite de conviction acat holigue par nécessité, n'a eu d'autre intention, dans sa Démonomanie des sorciers, que d'atteindre le catholicisme dans ces oeuvres, et de le saper dans le plus grand de tous les abus de sa doctrine. L'oeuvre de Bodin est profondément machiavélique et frappe au coeur les institutions et les hommes qu'il semble_ défendre. On s'imaginerait difficilement, sans l'avoir lu, tout ce qu'il a ramassé et entassé de choses sanglantes et hideuses, d'actes de superstition révoltante, d'arrêts et cl'exécutions d'une férocité stupide. Brûlez tout ! semblaient dire les inquisiteurs, Dieu reconnaîtra bien les siens! De pauvres fous, des femmes hystériques, des idiots, étaient brûlés sans miséricorde pour crime de magie ; mais aussi que de grands coupables échappaient à cetteinjuste et sanguinaire justice ! C'est ce que Bodin nous fait entendre lorsqu'il nous raconte des anecdotes du genre de celle qu'il place à la mort du roi Charles IX. C'est une abomination peu connue et qui n'a encore, que nous sachions, même aux époques de la plus fiévreuse et de la plus désolante littérature, tenté la verve d'aucun romancier. Atteint d'un mal dont aucun médecin ne pouvait

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RITUEL. DE LA HAUTE MAGIE.

découvrir la cause ni expliquer les effrayants symptômes, le roi Charles IX allait mourir. La reinemère, qui le gouvernait entièrement et qui pouvait tout perdre sous un autre règne ; la reine-mère, qu'on a soupçonnée de cette maladie, contre se intérêts mêmes, parce qu'on supposait toujours à cette femme, capable de tout, des ruses cachées et des intérêts inconnus, consulta d'abord ses astrologues pour le roi, puis eut recours à la plus détestable des magies., L'état du malade empirant de jour en jour et devenant désespéré, on voulut consulter l'oracle de la tete sanglante, et voici comment on procéda à cette infernale opération : On prit un enfant, beau de visage et innocent de moeurs ;, on le fit préparer en secret à. sa première communion par un aumônier du palais ; puis, le jour venu, ou plutôt la nuit du sacrifice arrivée, un moine, jacobin apostat et adonné aux oeuvres occultés de la magie noire, commença à minuit, dans la chambre du malade, et en présence seulement de Catherine de Médicis et de ses affidés, ce qu'on appelait alors la messe du diable. A cette messe, célébrée devant l'image du démon, ayant sous ses pieds une croix renversée, le sorcier consacra deux hosties, une noire et une

237 blanche. La blanche fut donnée à l'enfant, qu'on amena vêtu comme pour le baptême, et qui fut égorgé sur les marches mêmes de •'autel aussitôt après sa communion. Sa tète, détachée du tronc d'un seul coup; fut placée, toute palpitante, sur la grande hostie noire qui couvrait le fond de la patène, puis apportée sur une table où brûlaient des lampes mystérieuses. L'exorcisme alors comihença, • et le démon fut mis en demeure de prononcer un oracle et de répondre par la bouche de 'cette tête il une question secrète que le roi n'osait faire tout haut, et n'avait même confiée à personne. Alors une voix faible, une voix étrange et qui n'avait plus rien d'humain, se fit entendre dans cette pauvre petite tête de martyr. « J'y suis forcé », disait cette voix • en latin : Vim patior. A cette réponse, qui annonçait sans doute au malade que l'enfer ne le protégeait plus, un tremblement horrible le saisit, ses bras se roidissent... Il crie d'une voix rauque : « Eloignez cette tête ! éloignez cette tète ! » et jusqu'à son dernier soupir on ne l'entendit plus dire autre chose. Ceux qui le servaient, et qui n'étaient pas dans la confidence de cet affreux mystère , crurent qu'il était poursuivit par le fantôme de Coligny, et qu'il croyait revoir devant lui la tête LE SABBAT DES SORCIERS.

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

de l'illustre amiral ; mais ce qui agitait le mourant, ce n'était déjà plus un remords, c'était une épouvante sans espoir et un enfer anticipé. Cette noire légende magique de Bodin rappelle les abominables pratiques et le supplice bien mérité de ce Gilles de Laval, seigneur de Raiz, qui passa de l'ascétisme à la magie noire, et. se livra, pour se concilier les bonnes gelées de Satan, aux plus révoltants sacrifices. Cet aliéné déclara dans son procès que Satan lui était souventes fois apparu, mais rayait toujours trompé en lui promettant des trésors qu'il ire lui donnait jamais. ll résulta des informations juridiques sue plusieurs centaines de malheureux enfants avaient été les victimes de la cupidité et des imaginations atroces de cet assassin .

LES ENVOUTEMENTS ET LES SORTS.

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CHAPITRE XVI. LES ENVOUTEMENTS ET LES SORTS.

Ce que les sorciers et les nigromans cherchaient surtout dans leurs évocations de l'esprit impur, c'était cette puissance magnétique qui est le partage du véritable adepte, et qu'ils voulaient usurper pour en abuser indignement. La folie des sorciers étant une folie méchante, un de leurs buts surtout, c'était le pouvoir des en. voûtements ou des influences délétères. Nous avons dit dans notre Dogme ce que nous pensons des envoûtements, et combien cette puissance nous paraît dangereuse et réelle. Le vrai magiste envoûte sans cérémonie et par sa seule réprobation ceux qu'il réprouve et qu'il croit nécessaire de punir ; il envoûte même par son pardon ceux qui lui font du mal, et jamais les ennemis des initiés ne portent loin l'impunité de leurs injustices. Nous avons constaté par nous-mêmes de nombreux exemples de cette loi fatale. Les bourreaux des martyrs périssent toujours malheureu-. .

240 RITUEL DE LA. HAUTE MAGIE.

serrent, et les adeptes sont les martyrs de l'intelligence; mais la Providence semble mépriser ceux qui les méprisent et fait mourir ceux qui cherchent à les empêcher de vivre. La légende du Juif-Errant est la poésie populaire de cet arcane. Un peuple a envoyé un sage au supplice; il lui a dit: « Marche ! » lorsqu'il voulait se reposer un instant. Eh bien ! ce peuple va subir une condamnation pareille, il va être proscrit tout entier, et pendant des siècles on lui dira : « Marche ! marche ! » sans qu'il puisse trouver ni pitié ni repos. Un savant avait une femme qu'il aimait passionnément et follement dans l'exaltation de sa tendresse, et il honorait cette femme d'une confiance aveugle, et se reposait de tout sur elle. Vaine de sa beauté et de son intelligence, cette femme devint envieuse de la supériorité de son mari, et le prit eu haine. A quelque temps de là, elle le quittait en se compromettant elle-même pour un homme vieux, laid, sans esprit et immoral. C'était son premier châtiment, mais là ne devait pas se borner la peine. 'Le savant prononça contre elle seulement cette sentence.: « Je vous reprends votre intelligece et votre beauté. » Un au après, ceux qui la rencontraient ne la reconnaissaient déjà plus; l'em-

LES ENVOUTEMENtS ET LES SORTS. 2/11

bonpoint commençait à la défigurer ; elle reflétait sur son visage la laideur de ses nouvelles affections. • Trois ans après, elle était laide... ; sept ans après, elle était folle. Ceci est arrivé dè notre temps, et nous avons connu les cieux personnes. Les. mages condamnent à la manière des médecins habiles, et c'est pourquoi on n'appelle pas de leurs sentences lorsqu'ils ont prononcé un arrêt contre un coupable. Ils n'ont .ni cérémonies, ni invocations à faire ; ils doivent seulement s'abstenir de manger à la même table que le condamné, et, s'ils sont forcés de s'y asseoir, ils ne doivent ni accepter de lui ni lui-offrir le sel. Les envoûtements des sorciers sont d'une autre sorte, • et peuvent être comparés à de véritables empoisonnements d'un courant de lumière astrale. Ils exaltent leur volonté par des cérémonies au point de la rendre venimeuse à distance ; mais, comme nous • rayon§ fait observer dans notre Dogme, ils s'exposent le plus souvent à être tués les premiers par leurs machines infernales. Dénonçons ici quelques-uns de leurs coupables procédés. Ils se procurent soit des cheveux, soit des vêtements, de la personne qu'ils veulent maudire ; puis ils .choisissent un animal qui soit à leurs yeux le symbole T. n.

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eqr2 RITUEL DI LA HAUTE MAGIE.

de cette personne : ils mettent au moyen des cheveux ou des vêtements cet animal en rapport magnétique avec elle ; ils lui donnent son nem, puis ils le tuent d'un seul coup du couteau magique, lui ouvrent la poitrine, lui arrachent le coeur, enveloppent ce coeur palpitant dans les objets magnétisés, et pendant trois jours, à toutes les heures, ils enfoncent dans ce coeur des clous, des épingles rougies au feu ou de longues épines, en prononçant des malédictions sur le nom de la personne envoûtée. Ils sont persuadés alors (et souvent c'est avec raison) que la victime de leurs infâmes manoeuvres éprouve autant • de tortures que si elle avait en effet • toutes ces pointes enfoncées dans le coeur. Elle commence à dépérir, et , au bout de quelque tempS, elle . meurt d'un mal inconnu. Un autre envoûtement usité dans les campagnes consiste à consacrer des clous pour les oeuvres de haine avec les fumigations puantes de saturne et des invocations aux mauvais génies, puis à suivre les traces de la personne qu'on veut tourmenter, •et à enclouer en forme de croix toutes les empreintes de ses pas qu'on pourra retrouver sur la terre ou sur le sable.

LES ENVOUTEMENTS ET LES SORTS.

9113

Un autre plus abominable so pratique ainsi : on prend un gros crapaud, et on lui administre le baptême en lui donnant les nom et prénoms de la personne qu'on veut maudire ; on lui fait avaler ensuite une hostie consacrée sur laquelle on a prononcé des formules d'exécration, puis on l'enveloppe dans les objets magnétisés, on le lie avec les cheveux de la victime, sur lesquels l'opérateur aura (l'abord craché, et on enterre le tout soit sous le seuil de la porte du maléficié, soit à un endroit où il soit obligé de passer tous les jours. L'esprit élémentaire de ce crapaud deviendra pour ses songes un cauchemar et un vampire, à moins qu'il ne sache le renvoyer au malfaiteur. Viennent ensuite les envoûtements par les images de cire. Les nigromans du moyen àge, jaloux de plaire par des sacriléges à celui qu'ils regardaient comme leur maitre, mêlaient à cette cire de l'huile baptismale et des cendres d'hosties brûlées. Des prêtres ap6stats se trouvaient toujours pour leur livrer les trésors de l'Église. On formait avec la cire maudite une image aussi ressemblante • que possible de celui qu'on voulait envoûter ;.on revêtait cette image de vêtements semblables aux iens, on lui donnait les sacrements que lui—même

s

24h RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. avait réçus, puis on prononçait sur la tète de l'image toutes les malédictions qui exprimaient la haine du sorcier, et on infligeait chaque jour à cette figure maudite des tortures imaginaires, pour atteindre et tourmenter par sympathie celui ou celle que la figure représentait. L'envoûtement est plus infaillible si l'on peut se procurer des cheveux, du sang, et surtout une dent de la per-sonne envoûtée. C'est ce qui a donné lieu à cette façon de parler proverbiale : Vous avez une dent contre moi. On envoûte aussi par le regard, et c'est ce qu'on appelle en Italie la jettatura, ou le mauvais ceil. Du temps de nos discordes civiles, un homme en boutique avait eu le malheur de dénoncer ûn de ses voisins. Le voisin, après avoir été détenu quelque temps, fut mis en liberté, mais sa position était perdue. Pour toute vengeance , il passait deux fois par jour devant la boutique de son dénonciateur, le regardait fixement, lé saluait et passait. A quelque temps de là , le boutiquier, ne pouvant plus supporter le supplice de ce regard, vendit son fonds à perte et changea de quartier en ne laissant pas son adresse; en un mot, il fut ruiné.

2/15 Une menace est un envoûtement réel, parce qu'elle agit vivement sur l'imagination, surtout si cette imagination accepte facilement la croyance d'un pouvoir occulte et illimité. La terrible menace de l'enfer, cet envoûtement de l'humanité pendant plusieurs siècles, a créé plus de cauche— mars, plus de maladies sans nom, plus de folies furieuses, que tous les vices et tous les excès réunis. C'est ce que figuraient les artistes hermétiques du moyen âge par les monstres incroyables et inods qu'ils incrustaient au portail de leurs basiliques. Mais l'envoûteMent par la menace produit un effet absolument contraire aux intentions de l'Opérateur, quand la menace est évidemment vaine, quand elle révolte la fierté légitime de celui qui est menacé, et provoque par conséquent sa résistance,. enfin quand elle est ridicule à force d'être atroce. Ce sont les sectateurs de l'enfer qui ont discrédité le ciel. Dites à un homme raisonnable que l'équilibre est la loi du mouvement et de la vie et que l'équilibre moral, la liberté, repose sur une dis, tinction éternelle et immuable entre le vrai et le faux, entre le bien et le mal ; dites-lui que, doué LES ENVOUTEMENTS ET LES SORTS.

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`.i G RIT U EL D E LA HAU T E MA G IE . d'une volonté libre, il doit se faire place par ses oeuvres dans l'empire de la vérité et du bien, ou retomber éternellement, comme le rocher de Sysiplie dans le chaos du mensonge et du mal : il comprendra ce dogme, et, si vous appelez la vérité et. le bien ciel, le mensonge et le mal enfer, il croira à votre ciel et à votre enfer, au-dessus desquels l'idéal divin reste calme, parfait et inaccessible à la colère comme à l'offense, parce qu'il comprendra que, si l'enfer eu principe est éternel. comme la liberté,, il ne saurait être en fait qu'un tourment passager pour les âmes, puisque c'est une expiation , et que l'idée d'expiation suppose nécessairement celle de réparation et de destruction .du mal. Ceci dit, non pas dans des intentions dogmatiques qui ne sauraient être de notre ressort, mais pour indiquer le remède moral et raisonnable à l'envoûtement des consciences par les terreurs de l'autre vie, parlons (les moyens de se soustraire aux influences funestes de la colère humaine. Le premier de tous, • c'est d'être raisonnable et juste, et de ne jamais donner de prise ni de raison à la colère. Une colère légitime est fort à craindre. C'est pourquoi hâtez-vous de reconnaître et d'ex-

L E S E N V O U TE M E N TS E T L E S S O R TS . 2 4 7

pier vos torts. Si la colère persiste après cela. elle procède certainement d'un vice : che reliez, à savoir quel est ce vice, et unissez-vous fortement aux courants magnetiques de la vertu contraire. L'envoûtement alors n'aura plus de pouvoir sur vous. Faites laver avec soin avant de les donner. ou brillez les linges et les vêtements qui ont été à votre usage ; ne faites jamais usage d'un vêtement qui ait servi à un inconnu sans avoir purifié ce vêtement par l'eau, par le soufre et par les aromates , tels que le camphre l'encens . l'ambre, etc. Un grand moyen de résister à l'envoûtement, c'est de ne le pas craindre : l'envoûtement agit à la manière des maladies contagieuses. Eu temps de peste, ceux qui ont peur sont frappés les premiers. Le moyen de ne pas craindre le mal, c'est de ne pas s'en occuper , et je conseille avec un grand désintéressement, puisque c'est dans un livre de magie dont je suis l'auteur que je place un pareil conseil, je conseille fortement aux personnes nerveuses, faibles, crédules, hystériques, supersti-

liepses, dévotes, sottes, sans énergie, sans volonté, de ne jamais ouvrir un livre de magie, ile fermer celui-ci si elles l'ont ouvert, de ne pas écouter Ceux

2 1 18

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

qui parlent des sciences occultes, de s'en moquer, de n'y jamais croire et de boire frais, comme le disait le grand magicien pantagruéliste, l'excellent . curé de Meudon. Pour ce qui est des sages (et il est temps de nous occuper d'eux après avoir fait la part des fous), pour ce qui est donc des sages, ils n'ont guère d'autres maléfices à craindre que ceux de la fortune ; mais comme ils sont prêtres et médecins, ils peuvent être appelés à guérir des maléficiés, et voici comment ils devront s'y prendre : Il faut engager la personne maléficiée à faire un bien quelconque à l'envoûteur, à lui rendre un service qu'il ne puisse pas refuser, et à tâcher de l'amener, soit directement, soit indirectement, à la communion du sel. La personne qui se croira envoûtée par l'exécration et l'enterrement du crapaud devra porter sur elle un crapaud vivant dans une botte de corne. Pour l'envoûtement par le coeur percé, il faudra faire manger à la personne malade un coeur d'agneau assaisonné avec• de la sauge et de la verveine, et lui faire porter un talisman de Vénus bu de la lune contenu dans un sachet plein de camphre et de sel. .

21t9 Pour l'envoûtement par la figure de cire, il faut faire une figure plus parfaite, lui mettre de la personne même tout ce qu'elle pourra dobner, lui attacher au cou les sept talismans, la placer au milieu d'un grand pantacle représentant le pentagramme, et la frotter légèrement tous les jours d'un mélange d'huile et de baume, après avoir prononcé la conjuration des quatre pour détourner l'influence des esprits élémentaires. Au bout de sept jours,- il faudra brûler l'image dans le feu consacré, et l'on pourra:être sûr que la statuette fabriquée par l'envoûteur perdra au . môme moment toute sa vertu. Nous avons déjà parlé de la médecinesympathique de Paracelse, qui médicamentait des membres de ciré et opérait sur le sang rendu par les plaies pour guérir les plaies elles-mêmes. Ce système lui permettait l'emploi des remèdes les plus violents ; aussi avait-il pour spécifiques principaux le sublimé et le vitriol. Nous croyons que Phommopathie est une réminiscence des théories de Paracelse et un retour à ses pratiques savantes. Mais nous aurons à revenir sur ce sujet dans un traité tout spécial qui sera consacré exclusivement ,à la médecine occulte. LES ENVOUTEUENTS ET LES SORTS.

250 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. Les voeux des parents engageant l'avenir de leurs enfants sont des envoûtements qu'on ne saurait trop condamner : les enfants voués au blanc, par exemple, ne prospèrent prescitie jamais; ceux qu'on vouait autrefois au célibat tombaient ordinairement clans la débauche, ou tournaient au désespoir et à la folie. Il n'est pas permis à l'homme de violenter la destinée, encore moins d'imposer des entraves au légitime usage de la liberté. Nous ajouterons ici , en manière de supplément et d'appendice à ce chapitre , quelques mots sur les mandragores et les androïdes, que plusieurs magistes confondent avec les figurines de cire qui servent aux pratiques des envoûtements. La mandragore naturelle est une racine chevelue qui présente plus ou moins, dans son ensemble, soit la figure d'un homme, soit celle des parties viriles de la génération. Cette racine est légèrement narcotique, et les anciens lui attribuaient une vertu aphrodisiaque qui la faisait rechercher par les sûrcières•de la Thessalie pour la composition des philtres. Cette racine est-elle, comme le suppose un cet-

LES ENVOUTEMENTS

Er LES SORTS.

251

tain mysticisme magique, le vestige ombilical de• notre origine terrestre? C'est ce que nous n'oserions sérieusement affirmer. Il est certain cependant que l'hoMme est sorti du limon de la terre : il a donc dû s'y former en première ébauche sous la forme d'une racine. Les analogies de la nature exigent absolument qu'on admette cette notion, au moins comme une possibilité. Les premiers hommes eussent donc été une famille de gigantesques mandragores sensitives que le soleil eilt animées, et qui. d'elles-mêmes se seraient détachées de la terre, ce qui n'exclut en rien et suppose même, au contraire, d'une manière pôsitive, la vo. lonté créatrice et la coopération providentielle. de la première cause, que nous avons RAISON d'appes

ler DIEU. Quelques anciens alchimistes, frappés de cette idée, ont rêvé là culture de la mandragore, ont cherché à reproduire artificiellement une bourbe assez féconde et un soleil assez actif pour humaniser de nouveau cette racine et créer ainsi des hommes sans le concours de femmes. D'autres, qui croyaient voir dans l'humanité la synthèse des animaux, ont désespéré d'animer

252

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

la mandragore ; mais ils ont croisé les accouplements monstrueux, et ont jeté la semence humaine en terre animale, sans produire autre chose que des crimes honteux et des monstres sans postérité. La troisième manière de former l'androïde, c'est par le mécanisme galvanisé: On attribue à Albert le Grand un de ces automates presque intelligent, et l'on ajoute que saint Thomas le brisa d'un seul coup de bâton, parce qu'il était embarrassé de ses réponses. Ce conte est une allégorie. L'androïde d'Albert le Grand, c'est la théologie aristotélicienne de la scolastique primitive, qui fut brisée par la Somme de saint Thômas, ce hardi novateur qui substitua le premier la loi absolue de la raison à l'arbitraire divin, en osant formuler cet axiome, que nous ne craignons pas de répéter à satiété, puisqu'il émane d'un pareil maître : Une chose n'est pas juste parce que Dieu le veut; mais Dieu le veut parce qu'elle est juste. L'androïde réel, l'androïde sérieux des anciens, était un secret qu'ils cachaient à tous les regards, et que Mesmer le premier a osé divulguer de nos jours : c'était l'extensiOn de la volonté du mage -

253 dans un autre corps, organisé et servi par un esprit élémentaire ; en d'autres termes plus mo— dernes et plus intelligibles, c'était un sujet magnétique. LES ENVOUTEMENTS ET LES SORTS.

25h.

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

CHAPITRE XVII. L 'É C R I T U R E D E S É T O I L E S .

Nous en avons fini avec 'l'enfer, et nous respirons à pleine poitrine en revenant à la lumière après avoir traversé les antres de la magie noire. Retire-toi, Satan ! nous renonçons à toi, à tes pompes, à tes oeuvres, mais encore plus à tes laideurs, à tes misères, à ton néant, à tes mensonges! Le grand initiateur t'a vu tomber du ciel comme la foudre. La légende chrétienne te convertit en te faisant poser doucement la tète de dragon sous le pied de la mère de Dieu. Tu es pour nous l'image de l'inintelligence et du mystère; tu es la déraison et le fanatisme aveugle ; tu es l'inquisition et son enfer ; tu es le dieu de Torquemada et d'Alexandre VI; tu es devenu le jouet de nos enfants, et ta dernière place est fixée à côté de Polichinelle ; tu n'es plus rien maintenant qu'un personnage grotesque de nos théâtres forabas, et un motif d'enseigne pour quelques boutiques soi-disant religieuses. Après la seizième clef du. Tarot, qui représente

L'ÉCRITURE DES' É COLLES.

l55 -a5

la ruine du temple de Satan, nous trouvons à la dix-septième page un magnifique et gracieux emblème. Une femme nue, une jeune immortelle, épanche sur la terre la séve de la vie universelle qui coule de deux vases, l'un d'or, l'autre d'argent ; près d'elle est un arbuste en fleurs sur lequel se pose le papillon de Psyché; au-dessus d'elle, une étoile brillante à huit rayons, autour de laquelle sont rangées sept autres étoiles. Je crois à la vie éternelle ! Tel est le dernier article du symbole des chrétiens, et cet article à lui seul est toute une profession de foi. Les anciens, en comparant la calme et paisible immensité du. ciel, toute peuplée d'immuables lutniè.res'aux agitations et aux ténèbres de ce monde, ont cru trouver dans ce beau livre aux lettres d'or le dernier mot de l'énigme des destinées ; ils ont tracé , par l'imagination, des lignes de correspondance entre ces points brillants de l'écriture divine, et l'on dit que les premières constellations arrêtées par les pasteurs de la Chaldée furent aussi les premiers caractères de l'écriture cabalistique. Ces caractères, exprimés d'abord par des lignes, puis renfermés dans des figures hiéroglyphiques,

256 R I T UE L D E L A HAU T E MA G IE . auraient, suivant M. Mdreau de Dammartin, auteur d'un traité fort curieux sur l'origine des caractères alphabétiques, déterminé des anciens mages dans le choix des figures du Tarot, que ce savant reconnaît cômme nous pour un livre essentiellement hiératique et primitif. Ainsi, dans l'opinion de ce savant, le tseu chinois, l'aleph des Hébreux et l'alpha des Grecs, exprimé, hiéroglyphiquement par la figure du bateleur, seraient empruntés à la constellation de la grue voisine du poisson astral de la sphère orientale. • Le tcheou chinois, le beth hébreu et le B latin, correspondant à la papesse eu à Junon, ont été formés de la tète du bélier; le yn chinois, le ghimel 'hébreu et le G' latin, figurées par l'impératrice, seraient empruntés à ta Constellation de la grande Ourse, etc. Le cabaliste Gaffarel, que nous avons déjà cité plus d'une' fois, a dressé un planisphère où toutes les constellations forment des lettres hébraïques; mais nous avouerons que la configuration nous en' semble souvent plus qu'arbitraire, et que nous ne comprenons pas pourquoi, sur l'indication d'une seule étoile par exemple, Gaffarel trace plu'

.

257

L É CRITURE DES ÉTOILES.. '

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tôt un-, qu'un 1 ou qu'un Z ; quatre étoiles également donnent aussi bien un n , ou un n , ou- un n qu'un ti C'est ce qui nous a détourné de don.

ner ici une copie du planisphère de Gaffarel, dont les ouvrages ne sont d'ailleurs pas extrêmement rares. Ce planisphère a été reproduit dans l'ouvrage du Père Montfaucon sur .les religions et les. superstitions du monde, et l'on en trouve également une copie dans l'ouvrage sur la magie publié par le mystique Eckarlshausen. Les savants, d'ailleurs, ne sont pas d'accord sur la configuration des lettres de l'alphabet primitif. Le Tarot italien, dont il est bien à désirer que les types gothiques soient conservés, se rapporte, par la disposition de ses figures, à l'alphabet hébreu qui a été en usage depuis la captivité, et qu'on appelle alphabet assyrien.; mais il existe des fragments d'autres Tamis antérieurs à .celui-là où la disposition n'est plus la même. Comme il ne faut rien hasarder en matière d'érudition, nous attendrons, pour fixer notre jugement, de nouvelles et plus concluantes découvertés. Pour ce qui est de l'alphabet des étoiles, nous croyons qu'il est facultatif, comme la configuration des nuages, qui semblentprendre toutes les formes T. n.

17

258

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

que notre imagination leur prête. Il en est des groupes d'étoiles comme des points de la géomancie et de l'assemblage des cartes dans la moderne cartomancie. C'est un prétexte pour se magnétiser soimême et un instrument qui peut fixer et déterminer l'intuition naturelle. Ainsi un cabaliste habitué aux hiéroglyphes mystiques verra dans les étoiles des signes que n'y découvrira pas un simple berger; mais le berger, de son côté, y trouvera des combinaisons qui échapperaient au cabaliste. Les gens de la campagne voient un rateau clans la ceinture et l'épée d'Orion ; un cabaliste hébreu verrait dans le même Orion, considéré en son entier, tous les mystères d'Ézéchiel, les dix sephiroh disposés en ternaire, un triangle central formé de quatre étoiles puis une ligne Aie trois formant le jod, et les deux figures ensemble exprimant tous les mystères du Bereschit, puis quatre étoiles formant les roues de Mercavah et complétant le chariot divin. En regardant d'une autre manière et en disposant d'autres lignes idéales, il y verra un 2 , ghimel, parfaitement formé et placé au-dessus d'un , jod, dans un grand 1 , daleth, renversé ; figure qui représente la lutte du bien et du mal, avec le triomphe définitif du bien: En effet, le a , fondé sur le jod, c'est -

L'ÉCRITURE

DES

ÉTOILES.

2b9

le ternaire produit par l'unité, c'est la manifestation divine du Verbe, tandis que le daleth renversé c'est le ternaire composé du mauvais binaire multiplié par lui—même. La figure d'Orion, considérée

ainsi, serait donc identique avec celle de l'ange -ORION Michael luttant contre le dragon, et l'apparition de ce signe, se présentant 'sous cette forme, serait,

A

260

RITUEL DE L i t HAUTE MAGIE.

pour le cabaliste, un présage de victoire et de bonheur. Une longue contemplation du ciel exalte l'imagination ; les étoiles alors répondent à nos pensées. Les lignes tracées mentalement de l'une à l'autre par les premiers contemplateurs ont dû donner aux hommes les premières idées de la géométrie. Suivant que notre âme est agitée ou paisible, les étoiles semblent rutillantes de menaces ou scintillantes d'espérances. Le ciel est ainsi le miroir de l'âme humaine, et lorsque nous croyons lire dans les astres, c'est en nous-mêmes que nous lisons. Gaffarel. appliquant aux destinées des empires _ les présages de l'Écriture céleste, dit que les anciens n'ont pas vainement figuré dans la partie septentrionale du ciel tous les signes de mauvais augure, et qu'ainsi de tout temps, les calamités ont été regardées comme devant venir du nord pour se répandre sur la terre en envahissant le midi. C'est pour cela, dit—il, que « les anciens ont » figuré à ces parties septentrionales du ciel ea » serpent ou dragon tout auprès de deux ourses, » puisque ces animaux sont les vrais hiéroglyphes » de tyrannie, de saccagement et de toute sorte

261 d'oppression. Et de fait, parcourez les annales, et vous verrez que toutes les grandes désolations qui sont jamais arrivées sont venues des parties du septentrion. Les Assyriens ou Chaldéens, animés par Nabuchodonosor et Salmanasar, ont assez fait voir cette vérité à l'embrasement d'un tempie et d'une ville, les plus somptueux et les plus saints de l'univers, et à l'entière ruine d'un peupie dont Dieu même avait pris la singulière protection, et dont il se disait particulièrement le père. Et l'autre Jérusalem, l'heureuse Rome, n'at-elle pas encore souvent éprouvé les furies de cette mauvaise race du septentrion, lorsque, par la cruauté d'Alaric, Genseric, Attila, et le reste des princes goths, hues, vandales et alains, elle a vu ses autels renversés et les sommets de ses superbes édifices égalés au niveau des chardons ... Très bien donc, dans les secrets de cette écriture céleste, on lit du côté du septentrion les malheurs et les infortunes, puisque a septentrione pandetur omne malum. Or le verbe rine, que nous traduisons par pandetur , signifie aussi bien depingetur ou scribetur, et la prophétie signifie également : Tous les malheurs du monde sont écrits dans le ciel du côté, du nord. » L'ÉCRITURE DES ÉTOILES.

» » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » »

-

262

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.



Nous avons transcrit en entier ce passage de Gaffarel, parce qu'il n'est pas sans actualité dans notre temps, où le nord semble menacer encore toute l'Europe (1) ; mais il est aussi dans les destinées des frimas d'être vaincus par le soleil, et les ténèbres doivent se dissiper d'elles-mêmes en arrivant à la lumière. Voilà pour nous le dernier mot de la prophétie et le secret de l'avenir. Gaffarel ajoute encore quelques pronostics tirés des étoiles, celui par exemple de l'affaiblissement progressif de l'empire ottoman ; mais, comme nous l'avons déjà dit, ses figures de lettres constellées sont assez arbitraires. Il déclare, du reste, avoir emprunté ces prédictions à un cabaliste hébreu nommé Rabbi Chomer, qu'il ne se flatte pas lui— même de bien comprendre. Voici le tableau des caractères magiques qui ont été tracés par les anciens astrologues d'après les constellations zodiacales; chacun de ces caractères représente le nom d'un génie, bon ou mauvais. On sait que les signes du Zodiaque oc rapportent à diverses influences célestes, et par conséquent expriment une alternative annuelle de bien et de mal. (1) Ce passage a été écrit avant la guerre de Crimée. (Note de la seconde édition)

263

L'ÉCRITURE DES ÉTOILES.

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Les noms des génies désignés par ces caractères sont : Pour le Bélier, SATAARAN et Sarahiel ; Pour le Taureau, BAGDÀL et Araziel ; Pour les Gémeaux, SAGRAS et 5'w-dei; Pour l'Edrevisse, RAHDAR et Phakiel; Pour le Lion, SAGIIAM et Seratiel ; .

-

26h

RITUEL DE LÀ HAUTE MAGIE.

Pour la Vierge, IADARA et Schaltiel ; Pour la Balance, GRASGARBEN et Hadakiel ; Pour le Scorpion, RIEHOL et Saissaiel Pour le Sagittaire, VHNORI et Saritaiet ; Pour le Capricorne, SAGDALON et Sein Pour le Verseau, ARCHER et Ssakmakiel ; Pour les Poissons, RASAMASA et Vacabicl. ;

Le sage qui veut lire dans le ciel doit observer aussi les jours de la lune, dont l'influence est très grande en astrologie. La lune attire et repousse successivement le fluide magnétique de la terre, et c'est ainsi qu'elle produit le flux et le reflux de la

mer :

e faut donc en bien connaître les phases et

savoir en discerner les jours et les heures. La nouvelle lune est favorable au commencement de toutes les oeuvres magiques : depuis le premier quartier jusqu'à la pleine lune , son influence est chaude ; de la pleine lune au dernier quartier, elle est sèche ; du dernier quartier jusqu'à la fin, elle est froide. Voici maintenant les caractères spéciaux de tous les jours de la lune, marqués par les vingt— deux clefs (lu Tarot et par les signes des sept planètes:

L'ÉCRITURE DES ÉTOILES.

265

4. Le bateleur ou le mage. Le premier jour de la lune est celui de la création de la lune elle-même. Ce jour est consacré aux initiatives de l'esprit, et doit être propice aux innovations heureuses. 2. La papesse, ou la science occulte. Le second jour, dont le génie est Énédiel, fut le cinquième de la création, puisque la lune fut faite au quatrième jour. Les oiseaux et les poissons, qui furent créés en ce jour, sont les hiéroglyphes vivants des analogies magiques et du dogme universel d'Hermès. L'eau et l'air, qui furent alors remplis des formes du Verbe, sont les figures élémentaires du Mercure des sages, c'est-à-dire de l'intelligence et de la parole. Ce jour est propice aux révélations, initiations et aux grandes découvertes de la science. 3. La mère céleste ou l'impératrice. Le troisième jour fut celui de la création de l'homme. Aussi la lune; en cabale, est-elle appelée MÈRE,lorsqu'on la représente accompagnée

266

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

du nombre 3. Ce jour est favorable à la génération et généralement à toutes les productions, soit du corps, soit de l'esprit. . L'empereur, ou le dominateur. Le quatrième jour est funeste: ce fut celui de la naissance de Caïn ; mais il est favorable aux entreprises injustes et tyranniques. 5. Le pape, ou r hiérophante.

Le cinquième est heureux : ce fut celui de la naissance d'Abel. 6. L'amoureux, ou la liberté.

Le sixième est un jour d'orgueil : ce fut celui de la naissance deLameth, celui qui disait à ses femmes.: J'ai tué un homme qui m'avait frappé et un jeune homme qui m'avait blessé. Maudit soit qui prétendra m'en punir ! CO jour est propice aux conspirations et aux révoltes. 7. Le chariot. Au septième jour naissance d'Hébron, celui qui donna son nom à la première des villes saintes d'Israël. Jour de religion, de prières et de succès.

L'ÉCRITURE DES ÉTOILES.

267

8. La justice.

Meurtre d'Abel. Jour d'expiation. 9. Le vieillard ou l'ermite. Naissance de Mathusalem. Jour de bénédiction pour les enfants. 10. La roue de fortune d'Ézéchiel.

Naissance de Nabuchodonosor. Règne de la bête. Jour funeste. 11. La force.

Naissance de Noé. Les visions de ce jour-là sont trompeuses, mais c'est un jour de santé et de longévité pour les enfants qui naissent. 1.2. Le sacrifié, ou le pendu. Naissance de Samuel. Jour prophétique et cabalistique, favorable à l'accomplissement 'du grand oeuvre. 13. La mort.

Jour de la naissance de Chanaan, le fils, maudit de Cham. Jour funeste et nombre fatal.

268

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

tempérance.

I h. L'ange de

Bénédiction de Noé, le quatorzième jOur de la lune. A ce jour préside l'ange Cassiel de la hiérarchie d'Uriel. 15. Typhon ou le diable.

Naissance d'Ismaël. ,Jour de réprobation et d'exil. 16. La tour foudroyée.

Jour de la naissance de Jacob et d'Ésaü et de la prédestination de Jacob pour la ruine d'Ésaü. 17. L'étoile mutante.

Le feu du ciel brûle Sodome et Gomorrhe. Jour de salut pour les bons et de ruine pour les méchants, dangereux s'il tombe un samedi. Il est sous le règne du Scorpion. 18. La lune.

Naissance d'Isaac, triomphe' de l'épouse. Jour d'affection conjugale et de bonne espérance. 19. Le soleil.

Naissance de Pharaon. Jour bienfaisant ou fatal pour les grandeurs du monde, suivant les différents mérites des grands.

L'ÉCRITURE DES ÉTOILES

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20. Le jugement. Naissance de Jonas, l'organe des jugements de Dieu. Jour propice aux révélations divines. 21. Le monde. Naissance de Saül, royauté matérielle. Danger pour l'esprit et la raison. 22. Influence de Saturne.

Naissance de Job. Jour d'épreuve et de douleur. 23. Influence de Vénus.

Naissance de Benjamin. Jour de préférence et de tendresse. 24. Influence de Jupiter.

Naissance de Japhet. 25. Influence de Mercure.

Dixième plaie d'Égypte. 26. Influence de Mars. Délivrance des Israélites et passage de la mer Rouge.

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

27. Influence de Diane ou d'Hécate. Victoire éclatante remportée par Juda Machabée. 28. Influence du soleil. Samson enlève les portes de Gaza. Jour de force et de délivrance. 29. Le fou du Tarot. Jour d'avortement et d'insuccès en toutes choses. Par cette table rabbinique, que Jean Belot et d'autres ont empruntée aux cabalistes hébreux, on peut voir que ces anciens maîtres concluaient a posteriori des faits aux influences présumables, ce qui est complétement dans la logique des sciences occultes. On voit aussi combien de significations diverses sont renfermées dans ces vingt-deux clefs qui forment l'alphabet universel du Tarot, et la vérité de nôs assertions, quand nous prétendons que tous les secrets de la cabale et de la magie, tous les mystères de l'ancien monde, toute la science des patriarches, toutes les traditions historiques, des temps primitifs, 'sont renfermés dans ce livre

271 hiéroglyphique de Thot, d'Hénoch ou de Cadmus. Un moyen fort simple de trouver les horoscopes célestes par onomancie est celui que nous allons dire ; il concilie Gaffarel avec nous et peut donner des résultats fort étonnants d'exactitude et de profondeur. Ayez une carte noire dans laquelle vous découperez à jour le nom de la personne pour laquelle vous consultez ; placez cette carte au bout d'un tube aminci du côté de l'oeil de l'observateur, et plus large du côté de la carte; puis vous regarderez vers les quatre points cardinaux alternativement, en commençant par l'orient et en finissant par le nord. Vous prendrez note de toutes les étoiles que vous verrez à travers les lettres, puis vous convertirez les lettres en nombres, et, avec la somme de l'addition écrite de la même manière, vous renouvellerez l'opération ; vous compterez combien vous avez d'étoiles ; puis, ajoutant ce nombre à celui ' du nom, vous additionnerez encore et vous écrirez le total des deux nombres en caractères hébraïques. Vous renouvellerez alors l'opération, et vous inscrirez à part les étoiles que vous aurez rencontrées; puis vous chercherez dans le planisphère L'ÉCRITURE DES ÉTOILES.

272 RITUEL DR LA HAUTE MAGIE. céleste les noms de toutes les étoiles; vous en ferez la classification suivant leur grandeur et leur éclat, vous choisirez la plus grande et. la plus bril lante pour étoile polaire de votre opération astrologique; vous cherchez ensuite dans le planisphère égyptien (il s'en trouve un. assez Complet et bien gravé dans l'atlas du grand ouvrage de Dupuis), vous cherchez les noms et la figure des génies auxquels appartiennent les étoiles. Vous connaîtrez alors quels sont les signes heureux ou malheureux qui entrent dans lei nom de la personne et quelle sera leur influence, soit dans l'enfance (c'est le nom tracé à l'orient), soit dans la jeunesse (c'est le nom du midi), soit dans l'âge mûr (c'est le nom de l'occident), soit dans la vieillesse (c'est le nom du nord), soit enfin dans toute la vie (ce sont les étoiles qui entreront dans le nombre entier formé par l'addition des lettreà et des étoiles). Cette opération astrologique est simple, facile, et demande peu de calculs ; elle nous reporte à la plus haute antiquité,ét appartient évidemment, comme on pourra s'en convaincre en étudiant les ouvrages de • Gaffarel et de son maître Rabbi Chomer, à la magie primitive des patriarches. Cette astrologie onomantique était celle de tous -

-

L'ÉCRITURE DES ÉTOILES

9.73

anciens cabalistes hébreux, comme le prouvent leurs observations conservées par Rabbi Chomer, Rabbi Kapol, Rabbi Abjudan et autres maîtres en cabale. Les menaces des prophètes aux divers empires du monde étaient fondées sur les caractères des étoiles qui se trouvaient verticalement au- dessus d'eux dans le rapport habituel de la sphère céleste à la sphère terrestre. C'est ainsi qu'en écrivant dans le ciel même de la Grèce son nom en hébreu p', ou et en le traduisant eu nombres, ils avaient trouvé le mot 11n, qui signifie détruit, désolé.

les

22

8

CHARAB.

Détruit , Désolé.

Somme 42. • 1e

56 3AVÀN.

Grèce. Somme 42.

Ils eu conclurent qu'après un cycle de douze périodes la Grèce serait désolée et détruite. 7. H.

18

274

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

Un peu avant l'incendie et la destruction du temple de Jérusalem par Nabuzardau, les cabalistes avaient remarqué verticalement au—dessus du temple onze étoiles ainsi disposées :

***

*

** et qui entrèrent toutes dans le mot n'Iran, écrit du septentrion à l'occident : Hibschich, ce qui signifie réprobation et abandon sans miséricorde. La somme du nombre des lettres est 1123, juste le temps de la durée du temple. Les empires de Perse et d'Assyrie étaient menacés de destruction par quatre étoiles verticales qui entrèrent dans ces trois lettres mi, Rob, et le nombre fatal indiqué par les lettres était 208 ans. Quatre étoiles annoncèrent aussi aux rabbins cabalistes de ce temps-là la chute et la division de l'empire d'Alexandre , en se rangeant dans le mot parad, diviser, dont le nombre 28k indique la durée entière de ce royaume, soit dans sa racine, soit dans ses branches. Suivant Rabbi Chomer, les destinées de la puis-

L ' É C R I T UR E D ES É T O I L E S .

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sance ottomane à Constantinople seraient fixées d'avance et annoncées par quatre étoiles qui, rangées dans le mot roc, caah, signifient être faible, malade, tirer à sa fin. Les étoiles qui, dans la lettre K, .2, étaient plus brillantes, indiquent un grand tic et donnent à cette lettre la valeur de mille. Leà trois lettres réunies font 1025, qu'il faut compter à partir de la prise de Constantinople par Mahomet II, calcul qui promet encore plusieurs siècles d'existence à l'empire affaibli des sultans, maintenant soutenu par toute l'Europe réunie. Le MANS THECEL PHARES que Balthasar , dans son ivresse, vit écrit sur le mur de son palais par le rayonnement des flambeaux, était une intuition onomantique du genre de celle des rabbins. Balthasar, initié sans doute par ses devins hébreux à la lecture des étoiles, opérait machinalement et instinctivement sur les lampes de sa fête nocturne comme il eût pu faire sur les étoiles du ciel. Les trois mots qu'il avait formés dans son imagination devinrent bientôt ineffaçables à ses yeux et firent pâlir toutes les lumières de sa fête. Il n'était pas difficile de prédire à un roi qui, dans une ville assiégée, s'abandonnait à desorgies une fin semblable à celle de Sardanapale. Nous avons dit et nous

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RITUEL DE LA HAUTE. MAGIE.

répétons pour conclusion de ce chapitre que les intuitions magnétiques donnent seules de la valeur et de la réalité à tous ces calculs cabalistiques et astrologiques, puérils peut-être et complètement arbitraires si on les faisait sans inspiration , par curiosité froide et sans une puissante volonté.

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CHAPITRE XVIII. PHILTRES ET MAGNÉTISME.

Voyageons maintenant dans la Thessalie au pays des enchantements. C'est ici qu'Apulée fut trompé comme les compagnons d'Ulysse, et subit une honteuse métamorphose. Ici tout est magicien, les oiseaux qui volent, les insectes qui bruissent. dans l'herbe, et jusqu'aux arbres et aux fleurs; ici se composent au clair de. la lune les poisons qui font aimer ; ici les stryges inventent des charmes qui les rendent jeunes et belles comme les Charites. Jeunes hommes, prenez garde à vous. L'art des empoisonnements de la raison ou des philtres semble en effet, suivant les traditions, avoir développé avec plus de luxe en Thessalie que partout ailleurs soli efflorescence venimeuse ; mais là encore le magnétisme a joué le rôle le plus important, car les plantes excitantes ou narcotiques, les substances animales maléficiées et maladives, tiraient toute leur force des enchantements, c'est—à—dire des sacrifices accomplis par les sorcières et des paroles qu'elles prononçaient -

278 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. en préparant' leurs philtres et leurs breuvages. Les substances excitantes et celles qui contiennent le plus de phosphore sont naturellement aphrodisiaques. Tout ce qui agit vivement sur le système nerveux peut déterminer la surexcitation passionnelle, et si une volonté habile et persévérante sait diriger et influencer ces dispositions naturelles, elle se servira des passions des autres au profit des siennes, et réduira bientôt les personnalités les plus fières à devenir, dans un temps donné, les instruments de ses plaisirs. C'est d'une pareille influence qu'il importe de se préserver et c'est pour donner des armes aux faibles que nous écrivons ce chapitre. Voici d'abord quelles sont les pratiques de l'ennemi : Celui qui veut se-faire aimer (nous attribuons à un homme seulement toutes ces manoeuvres illégitimes, ne supposant pas qu'une femme en ait jamais besoin), celui donc qui veut se faire aimer doit d'abord se faire remarquer et produire une impression quelconque sur l'imagination de la personne qu'il désire. Qu'il la frappe d'admiration, d'étonnement ou de terreur, d'horreur môme, s'il n'a que cette ressource; mais il faut à tout prix que pour elle il

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sorte du rang des hommes ordinaires et qu'il prenne de gré ou de force une place dans ses souvenirs, dans ses appréhensions et dans ses rêves. Le Lovelace n'est certes pas l'idéal avoué des Clarisses ; mais elles y pensent sans cesse pour les réprouver, pour les maudire, pour plaindre leurs victimes, pour désirer leur conversion et leur repentir ; puis elles voudraient les régénérer par le dévouement et le pardon ; puis la vanité secrète leur dit qu'il serait beau de fixer l'amour d'un Lovelace, de l'aimer et de lui résister. Et voilà ma Clarisse qui se surprend à aimer le Lovelace ; elle s'en veut de l'aimer, elle en rougit, elle y renonce mille fois et ne Uaime que mille fois davantage; puis, quand vient le moment suprême, elle oublie de lui résister. Si les anges étaient aussi femmes que les représente le mysticisme moderne, Jehovah eût agi en père bien prudent et bien sage lorsqu'il a mis Satan à la porte du ciel. Une grande déception pour l'amour—propre de certaines femmes honnêtes, c'est de trouver bon et irréprochable au fond l'homme dont elles s'étaient éprises en le prenant pour un brigand. L'ange alorg quitte le bonhomme avec mépris en lui disant : Tu n'es pas le diable 1

280 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. Grimez-vous donc en diable le plus parfaitement possible, vous qui voulez séduire un ange. On ne permet rien à un homme vertueux. Pour qui , en effet, cet homme—là nous prend—il ? disent les femmes; croit-il qu'on ait moins de mœurs que lui ? Mais on pardonne tout à un vaurien : que voulez—vous attendre de mieux d'un pareil être? Le rôle d'homme à grands principes et d'un caractère rigide ne peut être une puissance que près des femmes qu'on n'a jamais besoin de séduire ; toutes les autres sans exception adorent les mauvais sujets. C'est tout le contraire chez les hommes, et c'est ce contraste qui a fait de la pudeur l'apanage des femmes: c'est chez elles la première et la plus naturelle des coquetteries. Un des médecins les plus distingués et un des plus aimables savants de Londres , le docteur Ashburner, me contait, l'année dernière, qu'un de ses clients; en sortant de chez une grande dame, lui avait dit un jour : « Je viens de recevoir un étrange compliment. Lamarquise de m'a dit en me regardant en face: Monsieur, vous ne me ferez pas baisser les yeux avec votre affreux regard ;

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vous avez les yeux de Satan. —Eh bien ! lui répondit le docteur eu souriant, vous Vous êtes sans doute jeté immédiatement à son cou et vous l'avez embrassée ? — Mais non : je suis resté tout étonné de cette brusque apostrophe. — Eh bien ! mon cher, ne retournez plus chez elle ; vous devez être perdu dans son esprit. » On dit assez ordinairement que les offices de bourreau se transmettent de père en fils. Les bourreaux ont clone des fifs? Sans doute, puisqu'ils ne manquent jamais de femmes. Marat avait une maîtresse dont il était tendrement aimé, lui, l'horrible' lépreux ; mais aussi c'était le terrible Marat, qui faisait trembler tout le monde. On pourrait dire que l'amour, surtout chez la femme, est une véritable hallucination. A défaut d'un autre motif insensé, elle se déterminera souvent pour l'absurde. Tromper Joconde pour un magot, quelle horreur ! — Eh bien ! si c'est une horreur, pourquoi ne pas le faire ? Ce doit être si agréable de faire, de temps en temps une petite horreur. Étant don née cette connaissance transcendentale de la femme, il 3 a une seconde manoeuvre à opérer pour attirer son attention : c'est de ne pas s'oc-

282 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. cuper d'elle, ou de s'en occuper d'une manière qui humilie son amour-propre, en la traitant comme un enfant et en rejetant bien loin l'idée de lui faire jamais la cour. Alors les rôles changeront: elle fera tout pourvous tenter, elle vous initiera aux secrets que les femmes se réservent, elle s'habillera - et se déshabillera devant vous en vous disant des choses comme celles-ci : Entre femmes — entre vieux amis — je ne vous crains pas— vous n'êtes pas un homme pour moi, etc., etc. Puis elle observera vos regards, et si elle les trouve calmes, indifférents, elle sera outrée ; elle se rapprochera de vous sous un prétexte quelconque, vous effleurera avec ses cheveux, laissera son peignoir s'entr'ouvrir On en a vu même, en pareille circonstance, risquer elles-mémes un assaut, non par tendresse, mais par curiosité, par impatience, et parce qu'elles sont agacées. Un magicien qui a de l'esprit n'a pas besoin d'autres philtres que ceux-là; il dispose aussi des paroles flatteuses, d es souffles n lagnétiqu es, des contacts légers, mais voluptueux, avec une sorte d'hypocrisie, comme si l'on n'y songeait pas. Les donneurs de breuvages doivent être vieux, sots, laids, impuissants ; et alors à quoi bon le philtre? Tout

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homme qui est vraiment un homme a toujours à sa disposition les moyens de se faire aimer, tant qu'il ne cherchera pas à occuper une place déjà prise. Il serait souverainement maladroit de tenter la conquête d'une jeune mariée par amour pendant les premières douceurs de sa lune de miel, ou d'une Clarisse renforcée ayant déjà un Lovelace qui la rend très malheureuse ou dont elle se reproche amèrement l'amour. Nous ne parlerons pas ici des saletés de la magie noire au sujet des philtres ; nous en avons fini avec les cuisines de .Canidie, On peut voir dans les Épodes d'Horace comment cette abominable sorcière de Rome composait les poisons, et l'on peut, pour les sacrifices et les enchantements d'amour, relire les É glogues de Théocrite et de Virgile, où les cérémonies de ces sortes d'oeuvres magiques sont minutieusement décrites. Noui ne transcrirons pas ici les recettes des grimoires ni du Petit Albert, que tout le monde peut consulter. Toutes ces différentes pratiques tiennent au magnétisme ou à la magie empoisonneuse , et sont ou naïves ou criminelles. Les breuvages qui affaiblissent l'esprit et troublent la raison peuvent assurer l'empire déjà conquis par une volonté mauvaise, et c'est .

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ainsi que l'impératrice Césonie fixa, dit-on, l'amour féroce de Caligula. L'acide prussique est le plus terrible agent de ces empoisonnements de la pensée. C'est pourquoi faut se garder de toutes les distillations ayant le goût d'amande, éloigner de sa chambre à coucher les lauriers-amandes et les daturas, les savons d'amandes, les laits d'amandes, et en général toutes les compositions de parfumerie où l'odeur des amandes dominerait, surtout si son action sur le cerveau était secondée par celle de l'ambre. Diminuer l'actionde l'intelligence, c'est augmenter d'autant les forces d'une passion insensée. L'aMour, tel que veulent l'inspirer les malfaiteurs dont nous parlons ici, serait un véritable hébétement et la plus honteuse de toutes les servitudes morales. Plus on énerve un esclave, plus on le rend incapable de s'affranchir, et c'est là véritablement le secret de la magicienne d'A.pulée et des breuvages de Circé. L'usage du tabac, soit à priser, soit à fumer, est un auxiliaire dangereux des philtres stupéfiants et des empoisonnements de la raison. La nicotine, comme on sait, .n'est pas un poison moins violent que l'acide prussique, et se trouve en plus -

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grande quantité dans le tabac que cet acide dans les amandes. L'absorption d'une volonté par une autre change souvent toute une série de destinées, et ce n'est pas seulement pour nous-mêmes que nous devons veiller sur nos relations et apprendre à discerner les atmosphères pures des atmosphères impures : car les véritables philtres, les philtres les plus dangereux, sont invisibles; ce sont les courants de lumière vitale rayonnante qui, en se mêlant et en s'échangeant, produisent les attractions et les sympathies, comme les expériences magnétiques ne laissent pas lieu d'en douter. Il est parlé dans l'histoire.de l'Église d'un hérésiarque nommé Marcos, qui rendait folles de lui toutes les femmes en soufflant sur elles ; mais son pouvoir fut détruit par une courageuse chrétienne qui souffla sur lui la première, en lui disant : Que Dieu te juge ! Le curé Gaufredy, qui fut brûlé comme sorcier, prétendait rendre amoureuses de lui toutes les femmes que touchait son souffle. Le trop célèbre Père Girard, jésuite, fut accusé par une demoiselle Cadière, sa pénitente, de lui avoir complétement fait perdre le jugement en

286 R I T U E L D E L A H A U T E M A G I E . soufflant sur elle. Il lui fallait bien cette excuse pour atténuer l'horreur et le ridicule de ses accusations contre ce Père dont la culpabilité d'ailleurs n'a jamais été bien prouvée, mais qui, bon gré mal gré, avait certainement inspiré une bien honteuse passion à cette misérable fille. « Mademoiselle Ranfaing, étant devenue veuve en 16.., dit dom Calmet dans son Traité sur les apparitions, fut recherchée en mariage par un médecin nommé Poirot. N'ayant pas été écouté dans ses poursuites, il lui donna d'abord des philtres pour s'en faire aimer, ce qui causa d'étranges dérangements dans la santé de mademoiselle Banfaing. Bientôt des choses si extraordinaires arrivèrent à cette dame, qu'on la crut ,possédée, et que les médecins, déclarant ne rien comprendre à son état, la recommandèrent aux exorcismes de l'Église. ». Après quoi, par l'ordre de M. de Porcelets, évèque de Toul , on lui nomma pour exorcistes M. Viardin docteur en théologie, conseiller d'État du duc de Lorraine, un jésuite et un capucin; mais dans le cours de ces exorcismes, presque tous les religieux de Nancy, ledit seigneur évèque, l'évêque de Tripoli , suffragant de Strasbourg ,

287 M. de Sancy, ci-devant ambassadeur du roi très chrétien à Constantinople, et alors prêtre de l'Oratoire, Charles de Lorraine, évêque de Verdun, deux docteurs de Sorbonne envoyés exprès pour assister aux exorcismes, l'ont souvent exorcisée en hébreu, en- grec et en latin, et elle leur •a toujours répondu pertinement, elle qui à peine savoit lire le latin. »On rapporte le certificat donné par M. Nicolas de Harlay, fort habile en langue hébraïque qui reconne que mademoiselle Ranfaing étoit réellement possédée, et lui avoit répondu au seul mouvement, de ses lèvres, sans qu'il prononçât aucunes paroles,' et lui avoit donné plusieurs preuves de sa possession. Le sieur Garnier, docteur de Sorbonne, lui ayant aussi fait plusieurs commandements . en langue hébraïque, elle lui a de même répondu pertinement, mais en françois, disant que le pacte était qu'il ne parleroit qu'en langue ordinaire. Le démon ajouta : N'est-ce pas assez que je te montre que j'entends ce que tu dis ? Le même M. Garnier lui parlant grec, mit par mégarde un cas pour un • autre. La possédée, ou plutôt le diable, lui dit : Tu as failli. Le docteur lui dit en grec : Montre ma faute. Le diable répondit : Contente-toi que je te PHILTRES ET MAGNÉTISME.

288 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. montre la faute ; je ne t'en dirai pas davantage. Le docteur lui disant en grec de se taire, il lui répondit : Tu me commandes de me taire, et moi je ne veux pas me taire. » Ce remarquable exemple d'affection hystérique portée jusqu'à l'extase et la démonomanie à la suite d'un philtre administré par un homme qui se croyait sorcier, prouve mieux que tout ce que udus pourrions dire la toute-puissance de la volonté et de l'imagination réagissant l'une sur l'autre, et l'étrange lucidité des extatiques ou somnambules, * qui comprennent la parole en la lisant dans la pensée sans avoir la science des mots. Je ne révoque pas un instant en doute la sincérité des témoins nommés par dom Calmet ; je m'étonne seulement que des hommes aussi graves n'aient pas remarqué cette difficulté qu'éprouvait le prétendu démon à leur répondre dans une langue étrangère à la malade. Si leur interlocuteur eût été ce qu'ils entendaient par un démon, il eût non-seulement compris le grec, mais il eût aussi parlé grec : l'un ne °tinterait pas plus que l'autre à un esprit aussi savant et aussi malin. Dom Calmet ne s'en tient pas là sur l'histoire de mademoiselle Ranfaing ; il raconte toute une suite

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de questions insidieuses et d'injonctions peu graves de la part (les exorcistes, et une série de réponses plus ou moins congrues de la pauvre malade, toujours extatique et somnambule. Ce bon Père ne manque pas d'en tirer les conclusions lumineuses de cet autre bon M. de Mirville. Les choses qui se passaient étant au-dessus de l'intelligence des assistants , on doit en conclure que tout cela était l'oeuvre de l'enfer. Belle et savante conclusion ! Le plus sérieux de l'affaire, c'est que le médecin Poirot fut mis en jugement comme magicien, confessa comme toujours, à la torture, et fut brûlé. S'il avait réellement, par un philtre quelconque, attenté à la raison de cette femme, il méritait d'être puni comme empoisonneur: c'est tout ce que nous en pouvons dire. Mais les philtres les plus terribles, ce sont les e xaltations mystiques d'une dévotion mal entendue. Quelles impuretés égaleront jamais les cauchemars de saint Antoine et les tourments de sainte Thérèse et de sainte Angèle de Foligny ? Cette dernière appliquait un fer rouge à sa chair révoltée et trouvait que le feu matériel était un rafraîchissement pour ses ardeurs cachées. Avec quelle violence la nature ne demande-t-elle pas ce qu'on lui ;

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290 R I T UE L D E L A H AU T E MA G I E . refuse en y pensant continuellement pour le détester ! C'est par le mysticisme qu'ont commencé les ensorcellements prétendus des Magdeleine Bavan, des demoiselles de la Palud et de la Cadière. La crainte excessive d'une chose la rend presque toujours inévitable. En suivant les deux courbes d'un cercle on arrive et l'on se rencontre au même point. Nicolas Rémigius, juge criminel en Lorraine, qui fit brûler vives huit cents femmes comme sorcières, voyait de la magie partout : c'était son idée fixe, sa folie. Ii voulait prêcher une croisade contre les sorciers, dont il voyait l'Europe remplie; désespéré de n'être pas cru sur parole quand il affirmait que presque tout le monde était coupable de magie, il finit par se déclarer sorcier lui-même et fut brûlé sur ses propres aveu Pour se .préserver des mauvaises influences, la première condition serait donc de défendre à l'imagination de s'exalter. Tous les exaltés sont plus ou moins fous, et l'on domine toujours un fou en le prenant par sa folie. Mettez-vous donc au-dessus des craintes puériles et des désirs vagues; croyez à la sagesse suprême, et soyez convaincus que cette sagesse, vous ayant donné l'intelligence pour unique moyen de la connattre, ne-peut vouloir tendre

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des piéges à votre intelligence ou à votre raison. Vous voyez partout autour de vous des effets proportionnés aux causes; vous voyez les causes dirigées et modifiées dans le domaine de l'homme par l'intelligence ; vous voyez en somme le bien être plus fort et plus estimé que le mal : pourquoi supposeriez-vous dans l'infini une immense déraison, puisqu'il y a de la raison dans le fini ? La vérité ne se cache à personne. Dieu est visible dans ses œuvres, et il ne demande rien aux êtres contre les lois de leur nature, dont il est lui-même l'auteur. La foi, c'est la confiance ; ayez confiance, non dans les hommes qui vous disent du mal de la raison, car ce sont des fous ou des imposteurs, mais dans l'éternelle raison qui est le verbe divin, cette lumière véritable offerte comme le soleil à l'intuition de toute créature humaine venant en ce monde. Si vous croyez à la raison absolue et si vous 'désirez plus que toute chose la vérité et la justice, vous ne devez craindre personne, et vous n'aimerez que ceux qui sont aimables. Votrelumière naturelle repoussera instinctivement celle des méchants parce qu'elle sera dominéepar votrevolonté. Ainsi les substances même vénéneuses qui pourraient vous être

292 R I T U E L D E L A H A U T E M A G I E . administrées n'affecteront pasvotre intelligence. On pourra vous rendre malades, on ne vous rendra jamais criminels. Ce qui contribue à rendre les femmes hystériques, c'est leur éducation molle et hypocrite. Si elles faisaient plus d'exercice, si ou leur enseignait les choses du monde franchement et libéralement, elles seraient moins capricieuses, moins vaines, moins futiles, et par conséquent moins accessibles aux mauvaises séductions. La faiblesse sympathise toujours avec le vice, parce que le vice est une faiblesse qui se donne l'apparence d'une force. La folie a la raison en horreur et se complaît en toutes choses aux exagérations du mensonge. Guérissez donc d'abord votre intelligence malade. La cause de tous les envoûtements, le venin de tous les philtres, la puissance de tous les sorciers, sont là. Quant aux narcotiques ou autres poisons qui vous auraient été administrés, c'est l'affaire de la médecine et de la justice ; mais nous ne pensons pas que de pareilles énortnités se reproduisent beaucoup de nos jours. Les Lovelaces n'endorment plus les Clarisses autrement que par leurs galanteries, et les breuvages, comme les enlèvements par des hommes masqués et les captivités dans des souter-

'293 raies, ne seraient plus de mise même dans nos romans modernes. Il faut reléguer tout cela dans le côdessionnal des pénitents noirs ou dans les ruines du château d'Udolph PHILTRES ET MAGNÉTISME.

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

CHAPITRE XIX. LE MAGISTÈRE DU SOLEIL.

Nous arrivons au nombre qui dans le Tarot est marqué au signe du soleil. Le denaire de Pythagore et le ternaire multiplié par lui-même représentent en effet la sagesse appliquée à l'absolu. C'est donc de l'absolu que nous allons parler ici. Trouver l'absolu dans l'infini, dans l'indéfini et dans le fini, tel est le grand oeuvre des sages, ce qu'Hermès appelle l'oeuvre du soleil. Trouver les bases inébranlables de la vraie foi religieuse de la vérité philosophique et de la transmutation métallique, c'est le secret d'Hermès tout entier, c'est la pierre philosophale. Cette pierre est une et multiple; on la décompose par l'analyse on la recompose par la synthèse. Dans l'analyse, c'est une poudre, la poudre de projection des alchimistes; avant l'analyse et dans la synthèse, c'est une pierre. La pierre philosophale, disent les maîtres, ne doit pas être exposée à l'air ni aux regards des pro-

295 fanes; il faut la tenir cachée et la conserver avec soin dans l'endroit le plus secret de son laboratoire, et porter toujours sur soi la clef du lieu où elle est renfermée. Celui qui possède le grand arcane est un roi verttable et plus qu'un roi, car il est inaccessible à toutes les craintes et à toutes les espérances LE MAGISTÈRE DU SOLEIL.

vaines. Dans toutes les maladies de l'âme et du corps, une seule parcelle détachée de la précieuse pierre, un seul grain de la divine poudre, sont plus que suffisants pour le guérir. Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre ! comme disait le Maître. Le sel , le soufre et les mercure ne sont que des éléments accessoires et des instruments passifs du grand ceuvre.Tout dépend, comme nous l'avons dit, du magnès intérieur de Paracelse. L'ceuvre est tout entière dans la projection, et la projection s'accomplit parfaitement par l'intelligence effective et réalisable d'un seul mot. Il n'y a qu'une seule opération importante dans • l'oeuvre : elle consiste dans la sublimation, qui n'est autre chose, selon Geber, que l'élévation de la chose sèche par le moyen du feu, avec adhérence à son propre vase.

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Celui qui veut parvenir.à l'intelligence du grand mot et à la possession du grand arcane doit, après avoir médité les principes de notre dogme, lire avec attention les philosophes hermétiques, et il parviendra sans doute à l'initiation comme d'autres y sont parvenus ; mais il faut prendre pour clef de leurs allégories le dogme unique d'Hermès, contenu dans sa table (l'émeraude, et suivre, pour classer les connaissances et diriger l'opération, l'ordre indiqué dans l'alphabet cabalistique du Tarot, dont nous donnons l'explication entière et absolue au dernier chapitre de cet ouvrage, Parmi les livres rares et précieux qui contiennent les mystères du grand arcane, il faut compter au premier rang le Sentier chimique ou illanuel de Paracelse. qui contient tous les mystères de la physique démonstrative et de la plus secrète cabale. Ce livre manuscrit, précieux et original, ne se trouve que dans la bibliothèque du Vatican. Sendivogius en a tiré une copie dont le baron de Tschoudy s'est servi pour composer le catéchisme hermétique contenu dans son ouvrage intitulé : L'Étoile flamboyante. Ce catéchisme, que nous indiquons aux sages cabalistes comme pouvant tenir lieu du traité incomparable de Paracelse, contient tous les priu—

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cipes.véritables du grand oeuvre d'une manière si satisfaisante et si claire, qu'il faut manquer absolument de l'intelligence spéciale de l'occultisme pour ne pas arriver à la vérité absolue en le méditant. Nous allons en donner une analyse succincte avec quelques mots de commentaire. Raymond Lulle, un des grands et sublimes maîtres de la science, a dit que pour faire de l'or il faut d'abord avoir de l'or. On ne fait rien de rien ; on ne crée pas absolument la richesse : on l'augmente et on la multiplie. Que les aspirants à la science comprennent donc bien qu'il ne faut demander à l'adepte ni tours d'escamotage ni miracles. La science hermétique, comme toutes les sciences réelles, est mathématiquement démontrable. Ses résultats, même matériels, sont aussi rigoureux que celui d'une équation bien faite. L'or hermétique n'est pas seulement un dogme vrai, une lumière sans ombre, une vérité sans alliage de mensonge ; c'est aussi un or matériel, réel, pur, et le plus précieux qui se puisse trouver dans les mines de la terre. Mais l'or vif, le soufre vif ou le vrai feu des philosophes, doit se chercher dans la maison du mercure. Ce feu s'alimente de l'air ; pour exprimer sa

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

puissance attractive et expansive, on ne peut donner une meilleure comparaison que celle de la fou dre, qui n'est d'abord qu'une exhalaison sèche et terrestre unie à la vapeur humide, mais qui, à force de s'exalter, venant à, prendre la nature ignée, agit sur l'humide qui lui est inhérent, qu'elle attire à soi et transmue en sa nature ; après quoi elle se précipite avec rapidité vers la terre, où elle est attirée par une nature fixe semblable à la sienne. Ces paroles énigmatiques pour la forme, mais claires pour le fond, expriment nettement ce que les philosophes entendent par leur mercure fécondé par le soufre, qui devient le maître et le régénérateur du sel : c'est l'Azoni, la magnésie universelle, le grand agent magique, la lumière astrale, la lumière de vie, fécondée par la force animique, par l'énergie intellectuellé, qu'ils comparent au soufre à cause de ses affinités avec le feu divin. Quant au sel, c'est la matière absolue. Tout ce qui est matière contient du sel, et tout sel peut ètre converti en or pur par l'action combinée du soufre et du mercure, qui parfois agissent si rapidement, que la transmutation peut se faire en un instant, dans une heure, sans fatigue pour l'opérateur et. presque

299 sans frais, d'autres fois, et suivant les dispositions plus contraires des milieux atmosphériques, l'opé ration demande plusieurs jours, plusieurs mois, et parfois même plusieurs années. Comme nous l'avons déjà. dit, il existe dans la nature deux lois premières, deux lois essentielles qui produisent, en se contre-balançant l'équilibre universel des choses : c'est la fixité et le mouvement, analogues, en philosophie, à. la vérité et à. l'invention, et, en conception absolue, à la nécessité et à, la liberté, qui sont l'essence même de Dieu. Les philosophes hermétiques donnent le nom de fixe à tout ce qui est pondérable, à tout ce qui tend par sa nature au•repos central et l'immobilité; ils nomment volatil tout ce qui obéit plus naturellement et plus volontiers à, la loi du mouvement, et ils forment leur pierre de l'analyse, c'est-à,-dire de la volatilisation du fixe, puis de la synthèse, c'està-dire de la fixation du volatil, ce qu'ils opèrent en appliquant au fixe, qu'ils nomment leur sel, le mercure sulfuré ou la lumière de vie dirigée et rendue toute-puissante par une opération secrète. Ils s'emparent ainsi de toute la nature et leur pierre se trouve partout où il y a du sel, ce qui fait dire qu'aucune substance n'estétrangère au grand oeuvre LE MA.GISTÈRE DU SOLEIL.

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et qu'on peut changer en or les matières même les plus méprisables et les plu§ viles en apparence, ce qui est vrai dans ce sens que, comme nous l'avons dit, elles contiennent toutes le sel principiant, représenté dans nos emblèmes par la pierre cubique elle-même, comme on le voit dans le frontispice symbolique et universel des clefs de Basile Valentin. Savoir' extraire de toute matière le sel pur qui y est caché c'est avoir Te. secret de la pierre. Cette pierre est donc une pierre saline que l'oc/ ou lumière universelle astrale décompose ou recompose; elle est unique et multiple, car elle peut se dissoudre comme le sel ordinaire et s' incorporer à d'autres substances. Obtenue par l'analyse, on pourrait la nommer le sublimé universel; retrouvée par voie de synthèse, c'est la véritable panacée des anciens, car elle guérit toutes les maladies, soit de l'âme, soit du corps, et a été appelée par excellence la médecine de toute la nature. Lorsqu'on dispose par l'initiation absolue des forces de l'agent universel, on a toujours cette pierre à sa disposition car l'extraction de la pierre est alors une opération simple et facile bien distincte de la projection ou *réalisation métallique. Cette pierre, à l'état de sublimé, ne doit pas être laissée en contact avec l'air

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atmosphérique, qui pourrait la dissoudre en partie et lui faire perdre sa vertu. Il ne serait pas sans danger d'ailleurs d'en respirer lès émanations Le sage la conserve plus volontiers dans ses enveloppes naturelles, assuré qu'il est de l'extraire par un seul effort de sa volonté et une seule application de l'agent universel aux enveloppes, que les cabalistes nomment les écorces. C'est pour exprimer hiéroglyphiquement cette loi de prudence qu'ils donnaient à leur mercure, personnifié en Égypte par Hermanubis, une tête de chien, et à leur soufre, représenté par le Baphomet du temple, ou le prince du sabbat, cette tète de bouc qui a tant fait décriertes associations occultes du moyeu âge (1). (I) Pour l'oeuvre minérale, la matière première est exclusivement minérale, mais ce n'est pas un métal. C'est un sel métallisé. Cette matière est appelée végétale,"parce qu'elle ressemble à un fruit, et animale, parce qu'elle donne une sorte de lait et une sorte de sang. Elle contient seule• le feu qui doit la dissoudre. (Note importante de la seconde édition).

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CHAPITRE XX. -LA THAUMATURGIE.

Nous avons défini les miracles les effets naturels des causes exceptionnelles. L'action immédiate de la volonté humaine sur les corps, ou du moins cette action exercée sans moyen visible, constitue un miracle dans l'ordre physique. L'influence exercée sur les volontés ou sur les intelligences soit soudainement, soit dans un temps donné, et capable de captiver les pensées, de changer les résolutions les mieux arrétées, de paralyser les passions les plus violentes, cette influence constitue un miracle dans l'ordre moral. L'erreur commune, relativement aux miracles, c'est de les regarder comme des effets sans causes, comme des contradictions de la nature, comme des fictions soudaines de l'imagination divine ; et l'on ne songe pas qu'un seul miracle de cette sorte briserait l'harmonie universelle et replongerait l'univers dans le chaos.

LA THAUMATURGIE.

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Il y a des miracles impossibles à Dieu même : ce sont les miracles absurdes. Si Dieu pouvait être absurde un seul instant, ni lui ni le monde n'existeraient plus l'instant d'après. Attendre de l'arbitraire divin un effet dont on méconnaît la cause ou dont la cause même n'existe pas, c'est ce qu'on appelle tenter Dieu ; c'est se précipiter dans le vide. Dieu agit par ses œuvres : dans le ciel il opère par les anges et sur la terre par les hommes. Donc, dans le cercle d'action des anges, les anges peuvent tout ce qui est possible à Dieu, et dans le cercle d'action des hommes, les hommes disposent également de la toute—puissance divine. Dans le ciel des conceptions humaines, c'est l'humanité qui crée Dieu, et les hommes pensent que Dieu les a faits à. son image parce qu'ils le font à la leur. Le domaine de l'homme, c'est toute la nature corporelle et visible sur la terreret, s'il ne régit ni les grands astres ni les étoiles, il peut du moins en calculer le mouvement, en mesurer la distance et identifier sa volonté à leur influence ; il peut modifier l'atmosphère, agir jusqu'à un certain point sur les saisons, guérir et rendre malades ses sem-

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3011 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. blables, conserver la vie et donner la mort, et par la conservation de la vie nous entendons même, comme nous l'avons dit, la résurrection en certains cas. L'absolu en raison et en volonté est la plus grande puissance qu'il soit adonné à l'homme d'atteindre, et c'est au moyen de cette puissance qu'il opère ce que la multitude admire sous le nom de miracles. La plus parfaite pureté d'intention est indispensable au thaumaturge, puis il lui faut un courant favorable et une confiance illimitée. L'homme qui est parvenu à ne rien convoiter et à ne rien craindre est le maître de tout. C'est ce qui est exprimé par cette belle allégorie de l'avangile où l'on voit le Fils de Dieu, trois fois victorieux de l'esprit impur, être servi dans le désert par les anges. Rien ne résiste sur la terre à une volonté raisonnable et libre. Quand le sage dit : joyeux, c'est Dieu même qui veut, et tout ce qu'il ordonné s'accomplit. C'est la science et la confiance du médecin qui font la vertu des remèdes, et il n'existe pas d'à.utre médecine efficace et réelle que la thaumaturgie.

305 Aussi, la thérapeutique occulte est-elle exclusive de toute médicamentation vulgaire. Elle emploie surtout les paroles, les insu fflations, et communique par la volonté une vertu variée aux substances les plus simples : l'eau, l'huile, le vin, le camphre, le sel. L'eau des homeeopathes est véritablement une eau magnétisée et enchantée qui opère par la foi. Les substances énergiques qu'on y ajoute en quantités pour ainsi dire infinitésimales sont des consécrations et eom me des signes de la volonté du médecin. LA THAUMATURGIE.

Ce qu'on. appelle vulgairement le charlatanisme est un grand moyen de succès réel en médecine, si ce • charlatanisme est assez habile pour inspirer une grande confiance et former un cercle de foi. En médecine surtout , c'est la foi qui sauve. Il n'y a guère de village qui n'ait son faiseur ou sa faiseuse de médecine occulte, et ces gens-là ont presque partout et toujours tin succès incomparablement plus grand que celui des médecins approuvés par la Faculté. Les remèdes qu'ils prescrivent sont souvent ridicules ou bizarres, et n'en réussissent que mieux, parce qu'ils exigent et réalisent plus de foi de la part des sujets et des opérateurs. T. II.

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

Un ancien négociant de nos amis, homme d'un caractère bizarre et d'un sentiment religieux très exalté, après s'être retiré du commerce, s'est à exercer gratuitemet et par charité chrétienne la médecine occulte dans un département de la France. Il n'emploie pour tous spécifiques que l'huile, les insufflations et les prières. Un procès qui lui a été intenté pour exercice illégal de la médecine a mis.le public à même de constater que dans l'espace d'environ cinq ans on lui attribuait dix mille guérisons, et que le nombre des croyants augmentait sans cesse dans des proportions capables d'alarmer sérieusement tous les médecins du pays. Nous avons vu au Mans une pauvre religieuse qu'on disait un peu folle, et qui guérissait tous les malades des campagnes voisines avec un élixir et un sparadrap de son invention. L'élixir était pbur l'intérieur, le sparadrap pour l'extérieur, et de cette manière rien n'échappait à cette panacée universelle. L'emplâtre ne s'attachait jamais à la peau qu'aux endroits où son application était nécessaire ; partout ailleurs il se roulait sur lui-même et tombait ; du moins c'est ce que prétendait la bonne soeur et ce qu'assuraient ses malades. Cette thaumaturge

307 eut aussi des procès de concurrence, car elle appauvrissait la clientèle de tous les médecins du pays. Elle fut étroitement cloîtrée, mais bientôt il fallut la rendre au moins une fois par semaine à l'empressement et à la foi des populations. Nous avons vu, le jour des consultations de la soeur Jeanne— Françoise, des gens de la campagne, arrivés de la veille, attendre leur tour couchés à la porte du couvent ; ils y avaient dormi sur la dure, et n'atten. daient pour s'en retourner que l'élixir et l'emplâtre de la bonne soeur. Le remède étant le même pour toutes lés maladies, il semblerait que la bonne soeur n'avait pas besoin de connaître les souffrances de ses malades. Elle les écoutait toutefois avec une grande attention, et ne leur confiait son spécifique qu'avec con• naissance de cause. Là était le secret magique. La direction d'intention donnait au remède sa vertu spéciale. Ce remède était insignifiant par lui-même. L'élixir était de l'eau-de-vie aromatisée et mêlée à des sucs d'herbes amères; l'emplâtre était fait d'un mélange assez analogue à la thériaque pour la couleur et pour l'odeur : c'était peut-être de la poix de Bourgogne opiacée. Quoi qu'il en soit, le spécifique faisait merveille, et, l'on se fût attiré des LA THAUMATURGIE.

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

affaires parmi les gens de la campagne si l'on avait révoqué en doute les miracles de la bonne soeur.

Nous avons connu près de Paris un vieux jardinier thaumaturge qui faisait aussi des cures merveilleuses et qui mettait dans ses fioles le suc de toutes les herbes de la Saint-Jean. Ce jardinier avait un frère esprit fort qui se moquait du sorcier. Le pauvre jardinier, ébranlé par les sarcasmes de ce mécréant, se mit alors à douter de lui-mème : les miracles cessèrent; les malades perdirent leur confiance, et le thaumaturge, déchu et désespéré, mourut fou. L'abbé Thiers, curé de Vibraie, dans son curieux Traité des superstitions, rapporte qu'une femme, atteinte d'une ophthalmie désespérée en apparence, ayant été soudainement et mystérieusement guérie, vint se confesser à un prêtre d'avoir rc recours à la magie. Elle avait longtemps importuné un clerc qu'elle supposait magicien pour qu'il lui donnât un caractère à porter sur elle, et le clerc lui avait remis un parchemin roulé, en lui recommandant de se laver trois fois par jour avec de l'eau fraîche. Le prêtre se fit remettre le parchemin, et y trouva ces paroles : Eruat diabolus oculos tuos et repleat ster-

309 coribus loca vacantia. Il traduisit ces paroles à la bonne femme, qui resta stupéfaite ; mais elle n'en était pas moins guérie. L'insufflation est une des plus importantes pratiques de la médecine occulte, parce que c'est un signe parfait de la transmission de la vie. Inspirer en effet veut dire souffler sur quelqu'un ou sur quelque chose, et nous savons déjà, par le dogme unique d'Hermès, que la vertu des choses a créé les mots et qu'il existe une proportion exacte entre les idées et les paroles, qui sont les formes premières et les réalisations verbales des idées. uivant que le souffle est chaud ou froid, il est attractif ou répulsif. Le souffle chaud correspond à l'électricité positive, et le souffle froid à l'électricité négative. Aussi les animaux électriques et nerveux craignent-ils le souffle froid, comme on peut en faire l'expérience en soufflant sur un chat dont les familiarités sont importunes. En regardant fixement un lion ou un tigre et en leur soufflant à la face, on les stupéfierait au point de les forcer à se retirer et à reculer devant nous. L'insufflation chaude et prolongée rétablit la circulation du sang, guérit les douleurs rhumatismales et goutteuses, l'établit l'équilibre dans les humeurs 1.1 THAUMATURGIE.

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

et dissipe la lassitude. De la part d'une personne sympathique et bonne, c'est un. calmant universel. L'insufflation froide apaise les douleurs qui ont pour principes les congestions et les accumulations fluidiques. 11 faut donc alterner ces deux souffles, en observant la polarité de l'organisme humain, et en agissant d'une manière opposée sur les pôles, qu'on soumettra, l'un après l'autre, à un magnétisme contraire. Ainsi, pour guérir un oeil malade par inflammation, il faudra insuffler chaudement et doucement l'oeil sain, puis pratiquer sur l'oeil échauffé des insufflations froides à distance et en proportions exactes avec les souffles chauds. Les passes magnétiques elles-mêmes agissent comme le souffle, et sont un souffle réel par transpiration et rayonnement d'air intérieur, tout phosphorescent de lumière vitale; les passes lentes sont un souffle chaud qui rassemble et exalte les esprits ; les passes rapides sont un souffle froid qui disperse les forces et neutralise le,s tendances à la congestion. Le souffle chaud doit se faire transversalement ou de bas eu haut; le souffle froid a plus de force s'il est dirigé de haut en bas. Nous ne respirons pas seulement par les.narines et par la bouche : la porosité universelle de notre

3t1. corps est un véritable appareil respiratoire, insuffisant, sans doute, mais très utile à la vie et à la santé. Les extrémités des doigts, auxquelles aboutissent tous les nerfs, font rayonner la lumière astrale ou l'aspirent suivant notre volonté. Les passes magnétiques sans contact sont un simple et léger souffle; le contact ajoute au souffle l'impression sympathique équilibrante. Le contact est bon et même nécessaire pour prévenir les hallucinations dans le commencement du somnambulisme. C'est LA THAUMATURGIE.

une communion de réalité physique qui avertit le cerveau et rappelle l'imagination qui s'égare ; mais il ile doit pas être trop prolongé lorsqu'on veut magnétiser seulement. Si le contact absolu et prolongé est utile dans certain cas, l'action qu'on doit exercer alors sur le sujet se rapporterait plutôt à. l'incubation ou au massage qu'au magnétisme proprement dit. Nous avons rapporté des exemples d'incubation tirés du livre le plus respecté parmi les chrétiens ; ces exemples se rapportent tous à la guérison des léthargies réputées incurables, puisque nous sommes convenu d'appeler ainsi les résurrections. Quant au massage, il est encore en grand usage chez les Orientaux, qui le pratiquent dans les bains publics

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

et s'en trouvent fort bien. C'est tout un système de frictions, de tractions, de pressions, exercées longuement et lentement sur tous les membres et sur tous les muscles, et dont le résultat est un équilibre nouveau dans les forces, un sentiment complet de repoà et de bien-ètre avec un renouvellement très sensible d'agilité et de vigueur. Toute la puissance du médecin occulte est dans la conscience de sa volonté, et tout son art consiste à produire la foi dans son malade. Si vous pouvez croire, disait le Maitre , tout est possible à celui . qui croit. Il faut dominer son sujet par la physionomie, par lé ton, par le geste, lui inspirer de la confiance par quelques manières paternelles, le dérider par quelque bon et joyeux discours. Rabelais, qui était plus magicien qu'il en avait l'air, avait pris pour panacée spéciale le pantagi uélisme. Il faisait rire ses malades, et tous les remèdes qu'ils faisaient ensuite leur réussissaient mieux; il établissait entre eux et lui une sympathie magnétique au moyen de laquelle il leur communiquait sa confiance et sa bonne humeur; il les flattait dans ses préfaces, en les appelant ses malades très illustres et très précieux, et leur dédiait ses ouvrages. Aussi sommesnous convaincu que le Gargantua et le Pantagruel

LA THAUMATURGIE.

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ont guéri plus d'humeurs noires, plus de dispositions à la folie, plus de manies atrabilaires, à cette époque de haines religieuses et de guerres civiles, que la Faculté de médecine tout entière n'eût pu alors eu constater et en étudier. La médecine occulte est essentiellement sympathique. Il faut qu'une affection réciproque ou tout au moins tin bon vouloir réel s'établisse entre le médecin et le malade. Les sirops et les juleps n'ont guère de vertu par eux-mêmes ; ils sont ce que les fait l'opinion commune à l'agent et' au patient : aussi la médecine homceopathique les suprimetelle sans de graves inconvénients. L'huile et le vin combinés, soit avec le sel, soit avec le camphre, pourraient suffire au pansement de toutes les plaies et à toutes les frictions extérieures ou applications calmantes. L'huile ït, le vin sont les médicaments par excellence de la tradition évangélique. C'est le baume du Samaritain, et dans l'Apocalypse, le pro. phète, en décrivant de grandes exterminations, prie les puissances vengeresses d'épargner l'huile et le vin, c'est-à-dire de laisser une espérance et un remède pour tant de blessures. Ce qu'on appelle parmi nous l'extrême-miction était, chez les premiers chrétiens et dans l'intention de l'apôtre

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

saint Jacques, qui a consigné le précepte dans son Épître aux fidèles du monde entier, la pratiqué pure et simple de la médecine traditionnelle du Maître. Si quelqu'un est malade parmi vous, écrit-il, qu'il fasse venir les anciens de l'Église, qui prieront sur lui et lui feront des onctions d'huilé en invoquant le nom du Maître. Cette thérapeutique divine s'est progressivement perdue, et l'on a pris l'habitude de regarder l'extrême-onction comme une formalité religieuse nécessaire avant de mourir. Cependant la vertu thaumaturgique l'huile sainte ne saurait être mise complétement en oubli par le dogme traditionnel, et l'on en fait mémoire dans le passage du catéchisme qui se rapporte à l'extrême-onction . Ce qui guérissait surtout parmi les premiers chrétiens, c'était la foi et la charité. La plupart des maladies prennent leur source dans des désordres moraux : il faut commencer par guérir l'âme et le corps ensuite sera facilement guéri.

LA SCIENCE DES PROPHÈTES.

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CHAPITRE XXI. LA SCIENCE DES PROPHÈTES.

Ce chapitre est consacré à la divination. La divination, dans son sens le plus large et suivant la signification grammaticale du mot, est l'exercice du pouvoir divin et la réalisation de la science divine. C'est le sacerdoce du mage. Mais la divination, dans l'opinion générale, se rapporte plus spécialement à la connaissance des choses cachées. Connaître les pensées les plus secrètes des hommes, pénétrer les mystères du passé et de l'avenir, évoquer de siècle en siècle la révélation rigoureuse des effets par la science exacte des causes, voilà ce qu'on appelle universellement divination. De tous les mystères de la nature, le plus profond, c'est celui du coeur de l'homme; et pourtant la nature ne permet pas que la profondeur en soit inaccessible. Malgré la dissimulation la plus pro-

316 R I T U E L D E L A ' H A U T E M A G I E . fonde, malgré la politique la plus habile, elle trace elle-même et laisse observer dans les formes du corps, dans la lumière des regards, dans les mouvements, dans la démarche, dans la voix, mille indices révélateurs. L'initié parfait- n'a pas même besoin dé ces indices; il voit la vérité dans la lumière, il ressent une impression qui lui manifeste l'homme entier, il traverse les coeurs de son regard, et doit même feindre d'ignorer, pour désarmer ainsi la peur ou la haine des méchants qu'il connaît trop. L'homme qui a mauvaise conscience croit toujours qu'on l'accuse ou qu'on le soupçonne ; s'il se reconnaît dans un trait d'une satire collective, il prendra pour lui la satire tout entière et dira bien haut qu'on le calomnie. Toujours défiant, mais aussi curieux que craintif, il est devant le mage comme le Satan de la parabole ou comme ces scribes qui l'interrogaient pour le tenter. Toujours opiniâtre et toujours faible, ce qu'il craint par-dessus tout, c'est de reconnaître ses torts. Le passé l'inquiète, l'avenir l'épouvante ; il voudrait transiger avec lui-même et se croire un homme de bien à des conditions faciles. Sa vie est une lutte continuelle entre de bonnes aspirations et de man,

L A S C I E N C E D E S P R O P HÈ TE S .

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valses habitudes; il se croit philosophe à la manière d'Aristippe où d'Horace en acceptant toute la corruption de son siècle comme une nécessité qu'il doit subir; puis il se distrait avec quelque passetemps philosophique, et se donne volontiers le sourire protecteur de Mécène, pour se persuader qu'il n'est pas tout simplement un exploiteur de la famine en complicité avec Verrès ou un complaisant de Trimalcion. De pareils hommes sont toujours exploiteurs, même lorsqu'ils font de bonnes oeuvres. Ont-ils résolu de faire un don à l'assistance publique, Is ajournent leur bienfait pour en retenir l'escompte. Ce type, sur lequel je 'appesantis à desein, n'est pas celui d'un particulier : c'est celui de toute une classe d'hommes, avec lesquels le mage est exposé, surtout dans notre siècle, à se trouver souvent en rapport. Qu'il sdtienne dans la défiance dont euxmêmes lui donneront l'exemple, car il trouvera toujours en eux ses amis les plus compromettants et ses plus dangereux ennemis. L'exercice public de la divination ne saurait, notre époque, convenir au caractère d'un véritable adepte, car il serait souvent obligé de recourrir à la jonglerie et aux tours d'adresse pour conserver

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

sa clientèle et émerveiller son public. Les devins et les devineresses accrédités ont toujours une police secrète qui les instruit de certaines choses relatives à la vie intime ou aux habitudes des consultants. Une télégraphie de signaux est établie entre l'antichambre et le cabinet ; on donne un numéro au client qu'on ne connaît pas et _qui vient pour la première fois ; on lui indique un jour et on le fait suivre; on fait causer les portières, les voisines et les domestiques, et l'on arrive ainsi à ces détails qui bouleversent l'esprit des simples et leur donnent pour un charlatan l'estime qu'il faudrait réserver à la science sincère et à la divination consciencieuse. La divination des événements à venir n'est possible que pour ceux dont la réalisation est déjà en quelque sorte contenue dans leur cause. L'âme, en regardant par l'appareil nerveux tout entier dans le cercle de la lumière astrale qui influence un homme et reçoit une influence de lui, l'âme du divinateur, disons-nous, peut embrasser dans uue seule intuition tout ce que cet homme a soulevé autour de lui d'amours ou de haines; elle peut lire ses intentions dans sa pensée , prévoir les obstacles qu'il va rencontrer sur son chemin, la mort vio-

LA SCIENCE DES PROPHÈTES.

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lente peut-être qui l'attend; mais elle ne peut prévoir ses déterminations privées, volontaires, capricieuses, de l'instant qui suivra la consultation, à moins que la ruse du devin ne prépare elle-même l'accomplissement de la prophétie. Exemple: vous dites à une femme sur le retour et qui désire un mari : Vous irez ce soir ou demain soir à tel spectacle, et vous y verrez un homme qui vous plaira. Cette homme ne sortira pas sans vous avoir remarquée, et, par un concours bizarre de circonstances, il en résultera plus tard un mariage. Vous pouvez être sûr que, toute affaire cessante, la dame irtvau spectacle indiqué, y verra un homme dont elle se croira remarquée, et espérera un prochain mariage. Si le mariage ne se fait pas, elle ne s'en prendra pas à vous, car elle ne voudra pas perdre l'espoir d'une nouvelle illusion, et elle reviendra, au contraire, assidûment vous consulter. Nous avons dit que la lumière astrale est le grand livre de la divination; ceux qui ont l'aptitude pour lire dans ce livre l'ont naturellement ou l'ont acquise. Il y a donc deux classes de voyants, les instinctifs et les initiés. C'est pour cela que les enfants, les ignorants, les bergers, les idiots mérneS, ont plus

de dispositions à la divination naturelle que les sa-

320 R I T U E L D E L A H A U T E M A G I E . vants et les penseurs. David, simple pasteur, était prophète comme l'a été depuis Salomon, le roi des ca balistes et des mages. Les aperçus de l'instinct sont souvent aussi sûrs que ceux de la science ; les moins clairvoyants en lumière astrale sont ceux qui raisonnent le plus. Le somnambulisme est un état d'instinct pur : aussi les somnambules ont-ils besoin d'ètre dirigés par un voyant de la science; les sceptiques etles raisonneurs ne peuvent que les égarer. La vision divinatrice ne s'opère que dans l'état d'extase, et pour arriver à cet état il faut rendre le doute et l'illusion impossibles en enchaînant ou en endormant la pensée. Les instruments de divination ne sont donc que des moyens de se magnétiser soi—mêm'e et de se distraire de la lumière extérieure pour se rendre uniquement attentif à la lumière intérieure. C'est pour cela q te A pollon i us s'enveloppait tout entier dans un manteau de laine, et fixait, dans l'obscurité, ses regards sur son ombilic. Le miroir magique de Du Potet est un moyen analogue à celui d'Apollonius. L'hydromancie et la vision dans l'ongle du pouce bien égalisé et noirci sont des variétés de miroir magique. Les parfums et les -

LA SCIENCE DES PROPHÈTES.

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évocations assoupissent la pensée ; l'eau ou la couleur noire absorbe les rayons visuels : il se produit alors un éblouissement, un vertige, qui est suivi de la lucidité dans les sujets qui ont pour cela une aptitude naturelle ou qui sont convenablement disposés. La géomancie et la cartomancie sont d'autres moyens pour arriver aux mêmes fins : les combinaisons des symboles et des nombres, étant tout à la fois fortuites et nécessaires, donnent une image • assez vraie des chances de la destinée pour que l'imagination puisse voir. les réalités-à l'occasion des symboles. Plus l'intérêt est excité, plus le désir de voir est grand, plus la confiance dans l'intuition est complète, et plus aussi la vision est claire. Jeter au hasard des points de géomancie ou tirer les cartes à la légère, c'est jouer comme les enfants qui tirent à la plus belle lettre. Les sorts ne sont (les oracles que lorsqu'ils sont magnétisés par l'intelligence et dirigés par la foi. De tous les oracles, le Tarot est le plus surprenant dans ses réponses, parce que toutes les combinaisons possibles de cette clef universelle de la cabale donnent pour soliitions desorades de science et de vérité. Le Tarot était le livre unique des an-

329. RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. tiens mages; c'est la Bible primitive, comme nous le prouverons dans le chapitre suivant, et les anciens le consultaient, comme les premiers chrétiens consultèrent plus tard les Sorts des saints, c'està— dire des versets de la Bible tirés au hasard et déterminés par la pensée d'un nombre. Mademoiselle Lenormand , la plus célèbre de nos devineresses modernes, ignorait la science du Tarot , ou ne le connaissait guère que d'après Eteilla, dont les• explications sont des obscurités jetées sur la lumière. Elle ne savait ni la haute magie, ni la Cabale, et avait la tète farcie d'une érudition mal digérée ; mais elle était intuitive par instinct, et cet instinct la trompait rarement. Les ouvrages qu'elles a laissés sont un galimatias légitimiste émaillé de citations classiques; mais ses oracles inspirés par la présence et par le magnétisme des consultants, avaient souvent de quoi sur- prendre. C'était une femme chez (qui l'enflure de l'imagination et la divagation de l'esprit se substituèrent toujours aux affections naturelles de son sexe. Elle a vécu et est morte vierge, comme les anciennes druidesses de l'Île de Sayne. Si la nature l'eût douée de quelque beauté, elle eût facilement, à des époques plus reculées, joué

LA SCIENCE DES PROPHÈTES.

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dans les Gaules le rôle d'une Mélusine ou d'une Velléda. Plus on emploie de cérémonies dans l'exercice de la divination, plus on excite l'imagination de ses consultants et la sienne. La conjuration des quatre, la prière de Salomon, l'épée magique pour écarter les fantômes, peuvent alors être employées avec succès ; on doit aussi évoquer le génie du jour et de l'heure où l'on opère et lui offrir son parfum spécial; Ois on se met en rapport magnétique et intuitif avec la personne qui consulte, en lui demandant quel animal lui est sympathique et quel autre lui est antipathique, quelle fleur elle aime et quelle couleur elle préfère. Les fleurs, les couleurs et les animaux se rapportent en classification analogique aux sept génies de la cabale. Ceux qui aiment le bleu sont idéalistes et rêveurs ; ceux qui aiment le rouge, matérialistes et colères; ceux qui aiment le jaune, fantastiques et capricieux; les amateurs du vert ont souvent un caractère mercantile ou rusé ; les amis du noir sont influencés par Saturne ; le rose est la couleur de Vénus, etc. Ceux qui aiment le cheval sont laborieux, nobles de caractère, et pourtant flexibles et dociles ; les amis du chien sont aimants et fidèles; .

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RITUEL. DE LÀ HAUTE MAGIE.

ceux du chat sont indépendants et libertins. Les personnes franches ont peur surtout des araignées ; les âmes fières sont antipathiques au serpent; les personnes probes et délicates ne peuvent souffrirles rats et les souris; les voluptueux ont en horreur le crapaud, parce qu'il est froid, solitaire, hideux . et triste. Les fleurs ont des sympathies analogues à celles des animaux et des couleurs, et comme la matie est la science des analogies universelles, un seul goût, une seule disposition d'une personne, fait deviner toutes les autres. C'est une application aux phénomènes de l'ordre moral de l'anatomie analogique de Cuvier. La physionomie du visage et du corps, les rides du front, les lignes de la main, fournissent également aux plagistes des indices précieux. La métaposcopie et la chiromançiesont devenuesdes sciences à part, dont les observations, risquées et purement conjecturales, ont été comparées, discutées, puis. réunies en un corps de doctrine par Goglenius, Romphile, Indagine et Taisnier. L'ouvrage de ce dernier est le plus considérable et le plus complet; il réunit et commente les observations et

le conjectures de tous les autres. Un observateur moderne, le chevalier d'Arpen-

LA SCIENCE DEN PROPIIETEN.

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tigny, a donné à la chiromancie un nouveau degré de certitude. par ses remarques sur les analogies qui existent réellement entre les caractères des personnes et la forme, soit totale, soit détaillée, de leurs mains. Cette science nouvelle a été développée et précisée depuis par un artiste qui est en même temps un littérateur plein d'originalité et de finesse. Le disciple a surpassé le maître, et l'on cite déjà comme un véritable magicien en chiroMancie l'aimable et spirituel Desbarrolles, l'un des • voyageurs dont aime à s'entourer dans ses romans cosmopolites notre grand conteur Alexandre Dumas. . Il faut aussi interroger le consultant sur ses songes habituels : les songes sont les reflets de la vie, soit intérieure, soit extérieure. Les philosophes anciens y faisaient une grande attention ; les patriarches y voyaient des révélations certaines , et la plupart des révélations religieuses se sont faites en rêve. Les monstres de l'enfer sont les cauchemars dti christianisme, et, comme le remarque spirituellement l'auteur de Smarra, jamais le pinceau ou le ciseau n'eût reproduit de pareilles laideurs si elles n'eussent été vues eu rêve.

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

Il faut se défier des personnes dont l'imagination reflète habituellement des laideurs . Le tempérament se manifeste aussi par les songes, et comme le tempérament exerce sur la vie une influence continuelle, il est. nécessaire de le bien connaître pour conjecturer avec certitude les destinées d'une personne. Les rêves de sang, de plaisir, et de lumière, sont les indices d'un tempérament sanguin ; les rêves d'eau, de boue, de pluie, de larmes, sont.les résultats d'une disposition plus flegmatique; le feu nocturne, les ténèbres, les terreurs, les fantômes, appartiennent aux bilieux et aux mélancoliques. Synésius, l'un des plus grands évêques chrétiens des premiers siècles, disciple de la belle et pure Hypathie, qui fut massacrée par des fanatiques après avoir été glorieusement la maîtresse de cette belle école d'Alexandrie, dont le christianisme devait partager l'héritage ; Syttésins, poète lyrique comme Pindare et Callimaque, religieux comme Orphée , chrétien comme Spiridion de Trémithonte, a laissé un traité des songes qui a été comenté par Cardan. On ne s'occupe plus guère de nos jours de ces magnifiques recherches de l'esprit, par-

LA SCIENCE DES PROPHÈTES.

ce que les fanatismes successifs ont presque forcé le monde à désespérer du rationalisme scientifique et religieux. Saint Paul a brûlé Trismégiste ; Omar a brûlé les disciples de Trismégiste et de saint Paul. 0 persécuteurs! ô incendiaires! ô moqueurs! quand chine aurez-vous fini votre oeuvre de ténèbres et de destruction? Trithèrn e, l' un des plus grands magistes de la période chrétienne, abbé irréprochable d'un monastère de bénédictins, théologien savant et maitre de Cornelius Agrippa, a laissé, parmi ses ouvrages inappréciés et inappréciables, un traité intitulé : De septem secUnded, id est intelligentiis sive spiritibus orbes post Deum moventibus. C'est une clef de toutes les prophéties anciennes et nouvelles, et un moyen mathématique, historique et facile, de surpasser Isaïe et Jérémie dans la prévision de tous les grands événements à venir. L'auteur esquisse à grands traits la philosophie de l'histoire, et partage l'existence du monde entier entre les sept génies de la cabale. C'est. la plus grande et la plus large interprétation qui ait jamais été faite de ces sept anges de l' Apocalypse qui apparaissent tour à tour avec des trompettes et des coupes pour répandre le verbe et la réalisation du verbe sur le monde.

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Le régne de chaque ange est de 35h ans et h mois. Le premier est °rifle', l'ange de Saturne, qui a commencé son règne le 13 mars, l'an premier du monde (car le monde, suivant Trithème, a été créé le 13 Mars) : son règne a été celui de la sauvagerie et clé la nuit primitive. Puis est venu l'empire d'Anaèl, l'esprit de Vénus, qui a commencé le 24 juin l'an du monde 354. ; alors l'amour commença à être le précepteur des hommes ; il créa la famille, et la famille conduisit à l'association et à la cité primitive. Les premiers civilisateurs furent les poètes inspirés par l'amour, puis l'exaltation de la poésie produisit la religion, le fanatisme et la débauche, qui amenèrent plus tard le déluge. Et tout cela dura jusqu'à l'an du monde 708 au huitième mois, c'est-à-dire jusqu'au 25 octobre ; et alors commença le règne de Zachariel, l'ange de Jupiter, sous lequel les hommes commencèrent à connaître et à se disputer la propriété des champs et des habitations. Ce fut l'époque de la fondation des villes et de la circonscription des empires ; la civilisation et la guerre en furent les conséquences. Puis le besoin du commerce se fit sentir, et c'est alors que, l'an du monde 1063, le 2h février, commença le règne de Raphaël, l'ange de .

LA SCIENCE DES PROPHÈTES.

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Mercure, l'ange de la science et du verbe, l'ange de l'intelligence et de l'industrie. Alors les lettres furent inventées. La première langue fut hiéroglyphique et universelle, et le monument qui nous en reste est le livre d'Hénoch, de Cadrans, de Thot ou de Palamède, la clavicule cabalistique adoptée plus tard par Salomon, le livre mystique des Theraphim, de l'Urim et du Thumim, la Genèse primitive du Sohar et de Guillaume Postel, la roue mystique d'Ezéchiel, le rota des cabalistes, le Tarot des magistes et des bohémiens. Mors furent inventés les arts, et la navigation fut essayée pour la . première foi:,; les relations s'étendirent, les besoins se multipliArent, et arriva bientôt, c'est-à-dire le 26 jui:. de l'an du monde MO , le règne de Samaël, l'ange de Mars, époque de la corruption de tous les hommes et du déluge universel. Après une longue défaillance, le monde s'efforça de renaître sous Gabriel, l'ange de la lune, qui commença son règne le 28 mars l'an du monde 1771 : alors la famille de Noé se multiplia et repeupla toutes les parties de la terre, après la confusion de Babel, jusqu'au règne de Michaël, l'ange du soleil, qui commença le 211 février l'an du monde 2126 ; et c'est à cette époque qu'il faut rapporter l'ori-

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RITUEL DE LA HA UTE MA GIE.

gine des premières dominations, l'empire des enfants de Nemrod, la naissance des sciences et des religions sur la terre, et les premiers conflits du despotisme et de la liberté. Trithème poursuit cette curieuse étude à travers les âges, et montre aux mèmes épèques le retour des ruines, puis la civilisation renaissante parla poésie et par l'amour,les empires rétablis par la famille, agrandis «par le commerce, détruits par la guerre, réparés par la civilisation universelle et progressive, puis absorbés par de grands empires, qui sont les synthèses de l'histoire. Le travail de Trithème 'est, à ce point de vue, plus universel et plus indépendant que celui de Bossuet, et c'est une clef absolue de la philosophie de l'histoire. Ses calculs rigoureux le conduisent jusqu'au mois de novembrede l'année 1879, époque du règne de Michaël et de la fondation d'un nouveau royaume universel. Ce royaume aura été préparé par trois siècles et demi d'angoisses et trois siècles et demi d'espérances: époques qui coïncident précisément avec les seizième, dix-septième, dix-huitième et le demi dix-neuvième pour le crépuscule lunaire et l'espérance ; avec les quatorzième, treizième douzième et demi-onzième pour les épreuves, l'ignorance, les angoisses et les fléaux de toute

LA SCIENCE DES PROPHÈTES.

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nature. Nous voyons donc, d'après ce calcul, qu'eu 1879, c'est-à-dire dans 2h. ans, un empire universel sera fondé et donnera la paix au monde. Cet empire sera politique et religieux ; il donnera une solution à tous les problèmes agités de nos jours et durera 351i ans et li mois ; puis reviendra le règne d'Orifiel,_ c'est-à-dire une époque de silence et de nuit. Le prochain empire universel, étant sous le règne du soleil, appartiendra à celui qui tiendra les clefs de l'Orient, que se disputent en ce moment les princes des quatre parties du monde ; mais l'intelligence et l'action sont, dans les royaumes supérieurs, les forces qui gouvernent le soleil , et la nation qui sur la terre a maintenant l'initiative de l'intelligence et de la vie aura aussi les clefs de l'Orient et fondera le royaume universel. Peut-ètre aura-t-elle à subir pour cela une croix et un martyre analogues à ceux de l'homme-Dieu ; mais, morte ou vivante parmi les nations , son esprit triomphera, et tous les peuples du monde reconnaîtront et suivront dans 2h ans l'étendard de la France victorieuse toujours ou miraculeusement ressuscitée. Telle est la prophétie de Trithème, confirmée par toutes nos prévisions et appuyée par tous nos voeux.

332

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

CHAPITRE XXII. LE LIVRE D HERMÉS. t

Nous arrivons à la fin de notre oeuvre, et c'est ici que nous devons en donner la clef universelle et en dire le dernier mot. La clef universelle des arts magiques, c'est la clef de tous les anciens dogmes religieux, la clef de la cabale et dé la Bible, la clavicule de Salomon. Or, cette clavicule ou petite clef, qu'on croyait perdue depuis des siècles , nous l'avons retrouvée, et nous avons pu ouvrir tous les tombeaux de l'ancieii inonde, faire parler les morts, revoir dans toute leur splendeur les monuments du passé, comprendre les énigmes de tous les sphinx et pénétrer dans tous les sanctuaires. L'usage de cette clef, chez les anciens, n'était permis qu'aux seuls grands prêtres, et on n'en confiait pas même le secret à l'élite des initiés. Or, voici ce que c'était que cette clef : C'était un alphabet hiéroglyphique et numéral

333 exprimant par des caractères e par des nombres une série d'idées universelles et absolues ; puis une échelle de dix nombres multipliés par quatres symboles et reliés ensemble par douze figures représentant les douze signes du zodiaque, plus quatre génies, ceux des quatre points cardinaux. Le quaternaire symbolique, figuré dans les mystères de Memphis et de Thèbes par les quatre formes du sphinx, l'homme, l'aigle, le lion et le taureau, correspondait avec les quatre éléments du monde antique figurés : l'eau, par la coupe que tient l'homme ou le verseau ; l'air par le cercle ou nimbe qui entoure la tète de l'aigle céleste; le feu, par le bois qui l'alimente, par l'arbre que la chaleur de la terre et celle du soleil font fructifier, par le sceptre enfin de royauté, dont le lion est l'emblème; la terre, par le glaive de Mithra, qui immole tous les ans le taureau sacré et fait couler avec son sang la séve qui gonfle tous les fruits de la terre. Or, ces quatre signes, avec toutes leurs analogies, sont l'explication du mot unique caché dans tous les sanctuaires, du mot que les bacchantes semblaient deviner dans leur ivresse lorsqu'en célébrant les fêtes d'Iacchos elles s'exaltaient jusqu'au LE LIVRE D HERMÈS. '

334 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. délire pour Io EVOHÉ ! Que signifiait donc ce mot mystérieux? C'était le nom des quatre lettres primitives de la langue mère : le ion, symbole du cep de vigne ou du sceptre paternel de Noë ; le nÉ, image de la coupe des libations, signe de la maternité divine ; le VAU, qui unit ensemble les deux signes précédents, et avait pour figure dans l'Inde le grand et mystérieux lingam. Tel était, dans le mot divin, le triple signe du ternaire; puis la lettre maternelle paraissait une seconde fois pour exprimer la fécondité de la nature et de la femme, pour formuler aussi le dogme des analogies universelles et progressives descendant des causes aux effets et remontant des effets aux causes. Aussi le mot sacré ne se prononçait-il pas; il s'épelait et se disait en quatre mots, qui sont les quatre mots sacrés : JOD HÉ VAU HÉ. Le savant Gaffarel ne doute pas que les theraphim des Hébreux, au moyen desquels ils consultaient les oracles de l'urim et du thumim n'aient été, les figures des quatre animaux de la cabale, dont les symboles étaient résumés, comme nous le dirons bientôt, par les sphinx ou chérubins de l'arche. Mais il cite à propos des thérapIim usurpés de Michas, un curieux passage de Philon le Juif

335 qui est toute une révélation sur l'origine ancienne et sacerdotale de nos Tarots. Voici comment Gaffarel s'exprime : « Il dit donc (Philon le Juif), par» lant de l'histoire cachée dans le chapitre susdit » des Juges', que Michas fit de fin or et argent trois » figures de jeunes garçons et trois jeunes veaux, » autant d'un lion, d'un aigle, d'un dragon et d'une » colombe : de façon que si quelqu'un l'allait trou» ver pour savoir quelque secret touchant sa femme, » il interrogeait la Colombe ; si touchant ses en» fants, par le jeune garçon; si pour des richesses, » par l'aigle ; si pour la force et la puissance, par » le lion; si pour la fécondité, par le chérub ou veau; » si.pour la longueur des jours et des ans, par le » dragon. » Cette révélation de Philon, bien que Gaffarel en fasse peu de cas, est pour nous de la plus haute importance. Voici en effet notre Clef du . quaternaire, voici les images des quatre animaux symboliques qui se trouvent à la vingt et unième clef du Tarot, c'est-à-dire au troisième septénaire, répétant ainsi trois et résumant tout le symbolisme qu'expriment les trois septénaires superposés; puis l'antagonisme des couleurs, exprimé par la colombe et le dragon ; le cercle ou ROTA, formé par le dragon ou le serpent pour exprimer la longueur LE LIVRE D'HERMÈS.

.

33t • RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. des jours; enfin la divination cabalistique du Tarot tout entière, telle que la pratiquèrent plus tard les Égyptiens bohèmes, dont les secrets furent devinés et retrouvés imparfaitement par Etteilla. On voit dans la Bible que les grands prêtres consultaient le Seigneur sur la table d'or de l'arche sainte, entre les chérubs ou sphinx à corps de taureau et à ailes d'aigle, et qu'ils consultaient à l'aide des théraphim, par l'urim, par le thumim et par l'éphod. L'éphod était, comme on sait, un carré magique de douze nombres et de douze mots gravés sur des pierres précieuses. Le mot théraphim, en hébreu, signifie hiéroglyphes ou signes figurés; Purim et le thumim, c'était le haut et le bas, l'orient et l'occident, le oui et le non, et ces signes correspondaient aux deux colonnes du temple JAKIN et BORAS. Lors donc que le grand prêtre voulait faire parler l'oracle, il tirait au sort les théraphim ou lames d'or qui portaient les images des quatre mots sacrés, et les plaçait trois par trois autour du rational ou éphod, entre l'urim et le thumim, c'està-dire entre les deux onyx qui servaient d'agrafes aux chaînettes de l'éphod. L'onyx de droite signifiait Gédulah ou miséricorde et magnificence ; l'onyx de gauche se rapportait à Géburah et sigui-

337 fiait justice et colère, et si, par exemple, le signe du lion se trouvait près de la pierre où était gravé le nom de la tribu de Juda du côté gauche, le grand-prêtre lisait ainsi l'oracle : La verge du Seigneur est irritée contre Juda. Si le théraphim représentait l'homme ou la coupe et qu'il se trouvât également à gauche, près de la pierre de Benjamin, le grand-prêtre lisait : La miséricorde du Seigneur est lasse des offenses de Benjamin, qui l'outrage dans son amour. C'est pourquoi il va épancher sur lui la coupe de sa colère, etc. Lorsque le souverain sacerdoce cessa 'en Israël, quand tous les oracles du monde se turent en présence du Verbe fait hoMme et parlant par la bouche du plus populaire et du plus doux des sages, quand l'arche fut perdue, le sanctuaire profané et le temple détruit, les mystères de l'éphod et des théraphim, qui n'étaient plus tracés sur l'or et les pierres précieuses, furent écrits ou plutôt figurés par quelques sages cabalistes sur l'ivoire, sur le parchemin,'sur le cuir argenté et doré, puis enfin sur de simples cartes, qui furent toujours suspectes à l'Église officielle, comme renfermant une clef dangereuse de ses mystères. De là sont venus ces tarots dont l'antiquité, révélée au savant Court de Gébelin par la science LE LIVRE D'HERMÈS.

T.

338 RITUEL DE LA IIAUTE MAGIE. même des hiéroglyphes et des nombres, a tant exercé, plus tard, la douteuse perspicacité et la tenace investigation l'Etteilla. Court de Gébelin, dans le huitième volume de son Monde primitif, donne la figure des vingt-deux clefs et des quatre as du Tarot, et en démontre la . parfaite analogie avec tous les symboles de la plus haute antiquité ; il essaye ensuite d'en donner l'explication et il s'égare naturellement, parce qu'il ne prend pas pour point de départ le tétragramme universel et sacré, le Io EVOIIE des bacchanales, le JOD 11E VAU du sanctuaire, le mn de la cabale. Etteilla ou Alliette, préoccupé uniquement de son système de divination et du profit matériel qu'il pouVait en tirer, Alliette, ancien coiffeur, n'ayant jamais appris ni le français, ni même l'orthographe, prétendit. réformer et s'approprier ainsi le livre deTHOT. Sur le tarot qu'il &graver, et qui • est devenu fort rare, on lit à la carte vingt-huitième (le huit de bâtons) cette réclame naïve : « Etteilla, » professeur d'algèbre, rénovateur de la cartoman» cie et rédacteurs (sic) des modernes incorrec» tions de cet ancien livre de Thot, demeure rue de » l'Oseille, n° 48, à Paris. » Etteilla eût certaine,

339 ment mieux fait de ne pas rédiger les incorrections dont il parle : ses travaux ont fait retomber clans le. domaine de la magie vulgaire et des tireuses de cartes lelivre antique découvert par Court de Gébelin . Qui veut trop prouver ne prouve rien, dit un axiome de logique ; Etteilla en fournit un exemple de plus, et pourtant ses efforts l'avaient amené à une certaine connaissance de la cabale, comme on peut le voir dans quelques rares passages de ses illisibles ouvrages. Les véritables initiés contemporains d 'Etteilla, les roses-croix, par exemple, et les martinistes qui étaient en possession du vrai Tarot, comme le prouvent un livre de Saint-Martin, dont les divisions sont celles du Tarot, et ce passage d'un ennemi des roses-croix « Ils prétendent qu'ils ont un vo» lume dans lequel ils peuvent apprendre tout ce » qui est dans les autres livres qui sont ou qui » pourraient jamais être. Ce vorume est leur rai» son datis laquelle ils trouvent le prototype de tout » ce qui existe par la facilité d'analyser, de faire » des abstractions, de former une espèce de monde » intellectuel et de créer tous les êtres possibles. » Voyez les cartes philosophiques, théosophistes, » _microcosmites, etc. » Conjuration contre la reliLE LIVRE D'HERItIES.

-

.

340

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

gion catholique et les souverains, par l'auteur du rode levé pour les curieux. Paris, Crapard, 1792. Les véritables initiés, disons-nous, qui tenaient le secret du tarot parmi leurs plus grands mystères, se gardèrent bien de protester contre les erreurs d'Etteilla, et le laissèrent non pas révéler, mais revoiler l'arcane des vraies clavicules de Salomon. Aussi n'est-ce pas sans un profond étonnement que nous avons retrouvé intacte et ignoré encore cette clef de tous les dogmes et de toutes les philosophies de l'ancien monde. Je dis une clef, et c'en est véritablement une, ayant le cercle des quatre décades pour anneau, et pour tige ou pour corps l'échelle des 22 caractères, puis pour tournant les trois degrés du ternaire, comme l'a compris et figuré Guillaume Postel dans sa Clef des choses cachées depuis le commencement du monde, clef dont il indique ainsi le nom occulte et connu des seuls initiés :

LE LIVRE D'HERMÈS.

341

11 mot qui peut se lire ROTA, et qui signifie la roue d'Ezéchiel, ou TAROT, et alors il est synonyme de l'AzoTH des philosophes hermétiques. C'est un mot qui exprime cabalistiquement l'absolu dogmatique et naturel ; il est formé des caractères du monogramme de Christ, suivant les Grecs et les Hébreux. L'R latine ou le P grec se trouve au milieu, entre l'alpha et l'oméga de l' Apocalypse ; puis le Tau sacré, image de la croix, enferme le mot tout entier, comme nous l'avons représenté à la page 95 de notre Rituel. Sans te tarot, la magie des anciens est un livre

-

342

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

fermé pour nous, et il est impossible de pénétrer aucun des grands mystères de la cabale. Le tarot seul donne l'interprétation des carrés magiques d'Agrippa et de Paracelse, comme on peut s'en convaincre en formant ces mêmes carrés avec les clefs du tarot et en lisant les hiéroglyphes qui se trouveront ainsi rassemblés. Voici les sept carrés magiques des génies planétaires suivant Paracelse : SATURNE.

JUPITER.

642 12 40 5 40 41 14 6

7 42 4

MARS. 14 10 22 22 48 26

Ti

7 `20 2

12 3 9 526 11 23 8 6441

LE LIVRE D'HERMÈS.

3113

LE SOLEIL.

32 258 A9 9 7 14 27 48 3 46 45 49 24 48 20 21 47 3 22 29 26 42 40 36 5 35 6 42 3

VÉNUS. 22 47 48 44 25 23 47 40 6 44 3 34 A6 38 21 46

35

8

47 42 14 9 48 36 42 25 43 T9 37 26 44 20 34 45 33 22 27

32 39 8 15 40 T9 24 03 27

MERCURE. 8 52 395 15 4452 43 14 34 35 49

441 0

33 17 6 27 59 47 9 55 28 5 1 53

24 T2 12 15 -

52 61 45 20 31 25 3

.

6 1 1.66 11 12;10 56 '19118 38139 95 3 01 31 33

1 51100 16 ti1 .--T-7 47

3!i4

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. LA LUNE.

37 70 29 70 21 62 12 4,1 46'28 70 30 74 53 44 46 47 2044 7 34 72 22 35 45 46 48 68 40 81 32 62 25 56 57 17 49 29 7 66 43 65 25 26 58 40 56 34 42 74 34 66 53 27 59 40 51 44 35 36 68 49 60 43 65 44 76 77 28 20 6961 42 25 60 5 En additionnant chacune des colonnes de ces carrés, vous obtenez invariablement le nombre caractéristique de la planète, et, en trouvant l'explication.de ce nombre par les hiéroglyphes du Tarot, vous cherchez le sens de toutes les figures, soit triangulaires, soit carrées, soit cruciales, que vous trouverez formées par les nombres. Le résultat de cette opération sera une connaissance complète et approfondie de toutes les allégories et de tous les mystères cachés par les anciens sous le symbole de chaque planète, ou plutôt de chaque personnification des influences, soit célestes, soit humaines, sur tous les événements de la vie. Nous avons dit que les 22 clefs du tarot sont les 22 lettres de l'alphabet cabalistique primitif. Voici

345 une table des variantes de cet alphabet suivant les divers cabalistes hébreux. LE LIVRE D'HERMÈS.

bt L'être, l'esprit, l'homme ou Dieu ; l'objet compréhensible ; l'unité mère des nombres, la substance première.

Toutes ces idées sont exprimées hiéroglyphiquemetit par la figure du BATELEUR. Son corps et ses bras forment la lettre ci; il porte _autour de la tète un nimbe en forme de oo , symbole de la vie et de l'esprit universel ; devant lui sont des épées, des coupes et des pantacles, et il élève vers le ciel la baguette miraculeuse. Il a une figure juvénile et des cheveux bouclés, comme Apollon ou Mercure ; il a le sourire de l'assurance sur les lèvres et le regard de l'intelligence dans les yeux. 3 La maison de Dieu et de l'homme, le sanctuaire, la loi, la

gnose, la cabale, l'église occulte, le binaire, la femme, la mère.

Hiéroglyphe du tarot, LA PAPESSE : une femme couronnée d'une tiare, ayant les cornes de la lune ou d'Isis la tète environnée d'un voile, la croix solaire sur la poitrine, et tenant sur ses genoux un livre qu'elle cache avec son manteau. L'auteur protestant d'une prétendue histoire de

366 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

'la papesse Jeanne a retrouvé et fait servir, tant bien que mal, à sa thèse, deux curieuses et anciennesfigures qu'il a trouvées de la papesse ou souveraine prêtresse du Tarot. Ces deux figures donnent à la papesse tous les attributs d'Isis: dans l'une, elle tient et caresse son fils Horus ; dans l'autre, elle a les cheveux longs et épars ; elle est assise entre les deux colonnes du binaire, porte sur la poitrine un soleil à quatre rayons, pose une main sur un livre, et fait de l'autre le signe de l'ésotérisme sacerdotal, c'est-à-dire qu'elle ouvre seulement trois doigts et tient les autres repliés en signe de mystère ; derrière sa tète est le voile; et de chaque côté de son siége une mer sur laquelle s'épanouissent des fleurs de lotus. Je plains fort le malencontreux érudit qui n'a voulu voir dans ce symbole antique qu'un portrait monumental de sa prétendue papesse Jeanne. 3 Le verbe, le ternaire, la plénitude, la fécondité, la nature, la

génération dans les trois mondes.

Symbole, LIMPÉRATRICE : une femme ailée, couronnée, assise et tenant au bout de son sceptre le globe du monde ; elle a pour signe un aigle, image de l'àme et de la vie. '

LE LIVRE D'HERMÈS.

Cette femme est la' Vénus-Uranie des Grecs et a été représentée par saint Jean, dans son Apocalypse, par la femme revêtue du soleil, couronnée de douze étoiles et ayant la lune sous les pieds. C'est la quintessence mystique du ternaire, c'est la spiritualité, c'est l'immortalité, c'est la reine du ciel. 1La porte ou le gouvernement chez les Orientaux, l'initiation, le pouvoir, le tétragramme, le quaternaire, la pierre cubique ou sa base.

Hiéroglyphe, LEMPEREUR : un souverain dont le corps représente un triangle droit, et les jambes une croix, image de l'Athanor des philosophes. '

iT Indication, démonstration, enseignement, loi, symbolisme,

philosophie, religion.

Hiéroglyphe, LE PAPE ou le grand hiérophante. Dans les Tarots plus modernes, ce signe est remplacé par l'image de Jupiter. Le grand hiérophante, assis entre les deux colonnes d'Hermès et de Salomon, fait le signe de l'ésotérisme et s'appuie sur la croix à. trois traverses d'une forme triangulaire. Devant lui, deux ministres inférieurs sont à genoux, de sorte qu'ayant au-dessus de lui les chapiteaux des deux colonnes et au-dessous les deux

348 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

têtes:des ministres, il est le centre du quinaire et représente le divin pentagramme dont il donne ainsi le sens complet. En effet, les colonnes sont la nécessité ou la loi; les têtes sont la liberté ou l'action. De chaque colonne à. chaque tête on peut tirer une ligne, et deux lignes de chaque colonne à chacune des deux têtes. On obtiendra ainsi un carré coupé en quatre triangles par une croix, et au milieu de cette croix sera le grand hiérophante, nous dirions presque comme l'araignée des jardins au centre de sa toile, si cette image pouvait convenir à des choses de vérité, de gloire et de lumière. 1 Enchatnement, crochet, lingam, enchevêtrement, union, embrassement, lutte, antagonisme, combinaison, équilibre.

Hiéroglyphe, l'homme entre le Vice et la Vertu. Au—dessus de lui rayonne le soleil de la vérité, et dans ce soleil l'Amour tendant S011 arc et menaçant le Vice de sa flèche. Dans l'ordre des dix séphiroth, ce symbole correspond à TINIERETH , c'est-à-dire à l'idéalisme et à la beauté. Le nombre six représente l'antagonisme des deux ternaires, c'est-à-dire de la négation _absolue et de l'absolue affirmation. C'est donc le nombre du travail ,et de la li\

LE LIVRE D'HERMÈS.

3119

berté ; c'est pourquoi il se rapporte aussi à la beauté morale et à la gloire. f Arme, glaive, épée flamboyante du chérub, septénaire

sacré, triomphe, royauté, sacerdoce.

Hiéroglyphe, un char cubique à quatre colonnes, avec une draperie azurée et étoilée. Dans le char; entre les quatre colonnes, un triomphateur couronné d'un cercle sur lequel s'élèvent et rayonnent trois pentagrammes d'or. Le triomphateur a sur sa cuirasse trois équerres superposées; il y a sur les épaules l'urim et le thumin de la souveraine sacrificature, figurés par les deux croissants de la lune en Gédulah et en Géburah ; il tient à la main un sceptre surmonté d'un globe , d'un carré et d'un triangle; sou attitude est fière et tranquille. Au char est attelé un double sphinx ou deux sphinx qui se tiennent par le bas-ventre; ils tirent l'un d'un côté, l'autre de l'autre; niais l'un des deux tourne la tète, • et ils regardent du mémo côté. Le sphinx qui tourne la tète est noir, l'autre est blanc. Sur le carré qui fait le devant du chariot, on voit le lingam indien surmonté de la sphère volante des Égyptiens. Cet hiéroglyphe, dont nous donnons ici la figure exacte, est le plus beau peut-être et le plus com-

350

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

plet de tous ceux qui composent la clavicule du Tarot. il Balance, attrait et répulsion, vie, frayeur, promesse et menace.

Hiéroglyphe, LAJUSTICE avec son glaive et sa balance. t Le bien, l'horreur du mal, la moralité, la sagesse.

Hiéroglyphe, un sage appuyé sur son bâton et portant devant lui une lampe; il s'enveloppe entièrement dans son manteau. Son ifiscription est L'ERMITE OU LE CAPUCIN, à cause du capuce de son manteau oriental; mais son vrai nom c'est LA PRUDENCE, et il complète ainsi les quatre vertus cardinales, qui ont paru dépareillées à Court de Gébelin et à Etteilla. Principe, manifestation, louange, honneur viril, phallus, fécondité virile, sceptre paternel.

Hiéroglyphe, LA ROUE DE FORTUNE, c'est-à-dire la roue cosmogonique d'Ezéchiel, avecun Hermanubis ascendant à droite, un Typhon descendant à gauche, et un sphinx au-dessus en équilibre et tenant l'épée entre ses griffes de lion. Symbole ad-

LE LIVRE D HERMÈ S. '

3M

rnirable, défiguré par Etteilla, qui a remplacé Typhon par un homme, Hermanubis par une souris, et le sphinx par un singe, allégorie bien digne de la cabale d'Etteilla. La main dans l'acte de prendre et de tenir.

Hiéroglyphe, LA FORCE, une femme couronnée du oo vital et qui ferme paisiblement et sans efforts la gueule d'un lion furieux. Exemple, enseignement, leçon publique.

Symbole, un homme qui est pendu par un pied et dont les mains sont liées derriere le dos, en sorte que son corps fait un triangle la pointe en bas, et ses jambes une croix au-dessus du triangle. La potence a la forme d'un tau hébreu ; les deux arbres qui la soutiennent ont chacun six branches coupées. Nous avons expliqué ailleurs ce symbole du sacrifice et de l'oeuvre accomplie; nous n'y reviendrons pas ici. D Le ciel de Jupiter et de Mars, domination et force, renaissance, création et destruction.

Hiéroglyphe, LA MORT qui fauche des tètes cou-

852

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

ronnées, dans une prairie où l'on voit pousser des hommes. à Le ciel du Soleil, températures, saisons , mouvement, changements de la vie toujours nouvelle et toujours la même.

Hiéroglyphe, LA TEMPÉRANCE, un ange, ayant le signe du soleil sur le front, et sur la poitrine le carré et le triangle du septénaire, verse d'une coupe dans l'autre les deux essences qui composent l'élixir de vie. Le ciel de Mercure, science occulte, magie, commerce, éloquence, mystère, force morale.

Hiéroglyphe, LE DIABLE, le bouc de Mendès ou le Baphomet du temple avec tous ses attributs panthéistiques. Cet hiéroglyphe est le seul qu'•tteilla ait parfaitement compris et convenablement interprété. I? Le ciel de la Lune, altérations, subversiods, changements, faiblesses.

Hiéroglyphe, une tour frappée de la feudre, probablement celle de Babel. Deux personnages, Nemrod sans doute et son faux prophète ou son ministre, sont précipités du haut en bas des ruines.

353 L'un des personnages, en tombant, représente parfaitement la lettre Y , gnain. LE LIVRE D'HERMÈ S.

a Le ciel de l'Arne, effusions de la pensée, influence morale de l'idée sur les formes, immortalité.

Hiéroglyphe, l'étoile brillante et la jeunesse éternelle. Nous avons donné ailleurs la description de cette figure. Y Les éléments, le monde visible, la lumière reflétée, les

formes matérielles, le symbolisme.

Hiéroglyphe, la lune, la rosée, une écrevisse clans l'eau remontant vers la terre, un chien et un loup hurlant à la lune et arrêtés au pied de deux tours, un sentier qui se perd à l'horizon et qui est parsemé de gouttes de sang.

p Les mixtes, la tète, le sommet, le prince du ciel. Hiéroglyphe, un soleil radieux et deux enfants nus se donnent la main dans une enceinte fortifiée. Dans d'autres Tarots, c'est une fileuse dévidant les destinées ; dans d'autres enfin, un enfant nu monté sur un cheval blanè et déployant un étendard écarlate. 1 Le végétatif, la vertu génératrice de la terre, la vie éternelle. T. u. 23

35Û

RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

Hiéroglyphe, LE JUGEMENT. Un génie sonne de la trompette et les morts sortent de leurs tombeaux; ces morts redevenus vivants sont un homme, une femme et un enfant: le ternaire de la vie humaine. V Le sensitif, la chair, la vie éternelle.

Hiéroglyphe, LE FOU : un homme habillé en fou, marchant au hasard, chargé d'une besace qu'il porte derrière lui, et qui est sans doute pleine de ses ridicules et de ses vices; ses vêtements en désordre laissent à découvert ce qu'il devrait cacher, et un tigre qui le suit le mord sans qu'il songe à l'éviter ou à s'en défendre. n te microcosme, le résumé de tout en tout.

Hiéroglyphe, le kether, ou la couronne cabalistique entre les quatre animaux mystérieux ; au milieu de la couronne, on voit la Vérité tenant de chaque main une baguette magique. Telles sont les 22 clefs du Tarot, qui en expliquent tous les nombres. Ainsi le bateleur, ou clef des unités, explique les quatre as avec leur qua• druple signification progressive dans les trois mondes et dans le premier principe. Ainsi l'as de

355 denier ou de cercle, c'est l'âme du monde; l'as d'épée, c'est l'intelligence militante ; l'as de coupe, c'est l'intelligence aimante; l'as du bâton, c'est l'intelligence créatrice ; ce sont aussi les principes du mouvement, du progrès, de la fécondité et de la puissance. Chaque nombre, multiplié par une clef, donne un autre nombre qui, expliqué à son tour par les clefs, complète la révélation philosophique et religieuse contenue dans chaque signe. Or, chacune des 56 cartes peut se multiplier par les 22 clefs tour à tour ; il en résulte une série de combinaisons donnant tous les résultats les plus surprenants de révélation et de lumière. C'est une véritable machine philosophique qui empêche l'esprit de s'égarer, tout en lui laissant son initiative et sa liberté ; ce sont les mathématiques appliquées à l'absolu, c'est l'alliance du positif à l'idéal, c'est une loterie de pensées toutes rigoureusement justes comme les nombres, c'est enfin peut-être ce que le génie humain a jamais conçu tout à la fois de plus simple et de plus grand. La manière de lire les hiéroglyphes du Tarot, c'est de les disposer soit en carré, soit en triangle, en plaçant les nombres pairs en antagonisme et en les conciliant par les impairs. Quatre signes expriLE LIVRE D'HF:RIRES.

356 R I T U E L D E L A H A U T E M A G I E . ment toujours l'absolu dans un ordre quelconque et s'expliquent par un cinquième. Ainsi la solution de toutes les questions magiques est celle du pentagramme, et toutes les antinomies s'expliquent par l'harmonieuse unité. Disposé ainsi, le Tarot est un véritable oracle, et répond à toutes les questions possibles avec plus de netteté et d'infaillibilité que l'Androïde d'Albert le Grand : en sorte qu'un prisonnier sans livres pourrait, en quelques années, s'il avait seulement un Tarot dont il saurait se servir, avoir acquis une science universelle, et parlerait de tout avec une doctrine sans égale et une éloquence inépuisable. Cette roue, en effet, est la véritable clef de l'art oratoire et du grand art de Raymond Lulle ; c'est le véritable secret de la transmutation det ténèbres en lumière, c'est le premier et le .plus important de tous les arcanes du grand oeuvre. Au moyen de cette clef universelle du symbo. lisme, toutes les allégories de l'Inde, de l'Égypte et • de la Judée deviennent claires ; l'Apocalypse de saint Jean est un livre cabalistique dont le sens est rigoureusement indiqué par le figures et par les nombres de Purim du Ilium in des théraphim et de ,

357 l'éphod, tous résumés et complétés parle Tarot ;les sanctuaires antiques n'ont plus de mystères, et l'on comprend pour la première fois la signification des objets du culte des Hébreux. Qui ne voit en effet dans la table d'or, couronnée et supportée par des chérubins, qui couvrait l'arche d'alliance et servait de propitiatoire, les mômes symboles que dans la vingt et unième clef du Tarot ? L'arche était un résumé hiéroglyphique de tout le dogme cabalistique, elle contenait le jod ou le bâton fleuri d'Aaron, le hé ou la coupe, le goum', contenant la manne, les deux tables de la loi, symbole analogue à celui du glaive de justice, et la manne contenue dans le gomor, quatre choses qui traduisent merveilleusement les lettres du tétragramme divin. LE LIVRE D HERMÈS. '

Gaflarel a prouvé savamment que les chérubins ou chérub de l'arche étaient en figures de veaux ; mais ce qu'il a ignoré, c'est qu'au lieu de cieux il y en avait quatre, deux à chaque extrémité, comme le dit expressément le texte, mal entendu à cet endroit par la plupart des commentateurs. Ainsi, aux versets 18 et 19 de l'Exode, il faut traduire de cette manière le texte hébreu : .« Tu feras cleux.veaux ou sphinx d'or travaillés au marteau de chaque côté de l'oracle.

358 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. « Et tu les placeras l'un tourné d'un côté, l'autre de l'autre. » Les chérub ou sphinx étaient en effet accouplés par deux de chaque côté de l'arche, et leurs têtes se retournaient aux quatre coins du propitiatoire , qu'ils couvraient de leurs ailes arrondies en voûte, ombrageant ainsi la couronne de la table d'or, qu'ils soutènaient sur leurs épaules, et se regardant l'un l'autre par les coupes et regardant le propitiatoire. (Voyez la figure.)

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11111111111.111MUNIUMMUIIIIiIIMI _

luntutiiiituiticiellgumffinifiœntifimuniamilmmail

L'arche ainsi avait trois parties ou trois étages, représentant Aziluth, Jezirali et Briah, les trois mondes de la cabale: la base du coffre, à laquelle étaient adaptés les quatre anneaux des deux leviers analogues aux colonnes du temple JANIN et RODAS;

LE LIVRE D'HERMÈS.

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le corps d u coffre, sur lequel ressortait en relief celui des sphinx, et le couvercle, ombragé par les ailes des sphinx. La base représentait le royaume du sel, pour parler le langage des adeptes d'Hermès ; le coffre le royaume du mercure ou de l'azoth, et le couvercle le royaume du soufre ou du feu. Les autres objets cl u culte n'étaient pas moins allégoriques, mais il faudrait un ouvrage spécial .pour les décrire et les expliquer. Saint-Martin,. dans son Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l'homme et la nature a suivi, comme nous l'avons (lit, la. division du Tarot, et donne sur les 2'2 clefs un commentaire mystique assez étendu ; mais il se garde bien de dire où il a pris le plan de sou livre et de révéler les hiéroglyphes qu'il commenté. Postel a eu la même discrétion, et, en nommant seulement le Tarot dans. la figure de sa clef des arcanes. il le désigne dans le reste du livre sous le nom Genèse d'Hénoch. Le personnage d'Hénoch, auteur du premier livre sacré, est en effet identique avec celui de Thot chez les Égyptiens, de Cadmus chez les Phéniciens , et de Palamède chez les Grecs. . Nous avons trouvé d'une manière assez extraordinaire une médaille du xvc siècle qui est une

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

clef du Tarot. Nous ne savons trop s'il faut dire que cette médaille et le lieu où nous devions la trouver nous avaient é montrés en songe par le divin Paracelse : quoi qu'il en soit., la médaille est eu notre possession. Elle représente, d'un côté, le bateleur en costume allemand du xvie siècle, tenant d'une main sa ceinture et de l'autre le pentagramme ; il a devant lui, si' sa table, entre un livre ouvert et une bourse fermée, dix deniers ou talismans disposés en deux lignes de trois chacune et en un carré de quatre; les pieds de la table forment deux n , et ceux du bateleur-deux -1 renversés de cette manière JL . Le revers de la médaille contient les lettres de l'alphabet, disposées en carré magique de cette façon : A B C D E F G H 1 1: LNMOp X -

ZN

Ou peut remarquer que cet alphabet n'a que 22 lettres, le V et l'N y étant répétés deux fois, et qu'il est disposé par quatre quinaires et un quaternaire pour clef et pour hase. Les quatre lettres finales

LE LIVRE D'HERMÈ S.

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sont cieux combinaisons du binaire et du ternaire, et, lues cabalistiquement, elles forment le mot A zoTH , en rendant aux configurations de lettres leur valeur en hébreu primitif et en prenant N pour N Z pour ce qu'il est en latin, V pour le van "1 hébreu, quise prononce 0 entre deux voyelles ou lettres qui en ont la valeur, et l'X pour le tau primitif, qui en avait exactement la figure. Le Tarot tout entier est donc expliqué dans cette merveilleuse médaille, digne en effet de Paracelse, et que nous tenons à la disposition des curieux. Les lettres, disposées par quatre fois cinq, ont pour résumé le mot , analogue à ceux de mir, d'INRI, et contenant tons les mystèresde la cabale. Le livre du Tarot ayant une si haute importance scientifique, il est bien à esirer qu'on ne l'altère plus. Nous avons parcouru à la Bibliothèque impé-. riale la collection des anciensTarots, et c'est là que nous en avons recueilli tous les hiéroglyphes dont nous donnons la description. Il reste une ce uvre importante à faire: c'est de faire graver et de publier un Tarot rigoureusement complet et soigneuseent exécuté. Peut-étre l'entreprendrons-nous I „ientAt Outrouve des vestiges du Tarot chez tous les peu-

-

.

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

pies du monde. Le Tarot italien est, comme nous l'avons dit, le mieux conservé et le plus fidèle ; niais on pourrait le perfectionner encore avec de précieux renseignements empruntés aux jeux espagnols : le deux de coupes, par exemple, dans les IVaïbi, est complétement égytien, et l'on y voit deux vases antiques dont des ibis forment les anses, superposés au-dessus d'une vache ; ou trouve daus les mêmes cartes une licorne au milieu du quatre de deniers; le trois de coupes présente la figure d'Isis sortant d'un vase, et (les deux autres vases sortent deux ibis portant, l'un une couronne pour la déesse, l'autre une fleur de lotus qu'il semble lui offrir. Les quatre as portent l'image du serpent hiératique et sacré, et, dans certains jeux, au milieu du quatre de deniers, au lieu (le la licorne symbolique, on trouve le, double triangle (le Salomon. Les Tarots allemands sont plus altérés, et l'on • n'y trouve plus guère que les nombres des clefs, surchargées de figures bizarres ou pantagruéliques. Nous avons entre les mains un Tarot chinois, et il se trouve à la Bibliothèque impériale quelques échantillons d'un jeu semblable. M. Paul Boileau, dans son remarquable ouvrage sur les cartes à jouer, en a donné des spécimens fort bien faits.

LE LIVRE D'HERMÈS.

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Le Tarot chinois conserve encore plusieurs des emblèmes primitifs : on y distingue très bien les deniers et les épées, mais il serait plus difficile d'y retrouver les coupes et les bâtons. C'est aux époques des hérésies gnostiques et manichéennes que le Tarot a dé se perdre pour l'Église, et c'est à la tnême époque que le sens de la divine Apocalypse a été également perdu. On n'a plus compris que les sept sceaux de ce livre Cabalistique sont sept pantacles dont nous donnons la figure, et qui s'expliquent par les analogies des nombres, des caractères et des figures du Tarot. Ainsi la tradition universelle de la religion unique a été un instant interrompue, les ténèbres du doute se sont répandues sur toute la terre, et il a semblé à l'ignorance que le vrai catholicisme, la révélation universelle, avait un instant disparu. L'explication du livre de saint Jean par les caractères de la cabale sera toute une révélation nouvelle, qu'ont pressentie déjà plusieurs magistes distingués. Voici comment s'exprime l'un d'entre eux, M. Augustin Chaho : « Le poiiMe der./ pocalypse suppose clansle jeune évangéliste un système complet et des traditions développées à lui seul.

361i RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. «Il est écrit en forme de vision, et resserre dans un cadre éblouissant de poésie toute l'érudition, toute la pensée de l'Africain civilisateur. « Barde inspiré, l'auteur parcourt une série de faits do minants; il trace à grands traits l'histoire de la société l'un cataclysme à l'autre et nième au delà. « Les vérités qu'il révèle sont des prophéties venues de haut et de loin dont il se fait l'écho sonore. « Il est la voix qui crie, la voix qui chante les harmonies du désert et prépare les voies à la lumière. « Sa parole éclate avec empire et commande la foi, car il vient apporter aux barbares les oracles du lao et dévoiler à l'admiration des civilisations futures le premier- né des soleils. « La théorie des quatre âges se retrouve dans l'Apocalypse comme clans lés livres de Zoroastre et la Bible. « Le rétablissementgraduel des fédérations primitives et du règne de Dieu parmi les peuples affranchis du joug des tyrans et du bandeau de l'erreur est clairement prophétisé pour la fin du quatrième âge et la rénovation du cataclysme montrée,

LE LIVRE D'HERMÈS.

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d'abord dans le lointain, à la consomMation du temps. « La description du cataclysme et sa durée ; le monde nouveau, dégagé de l'onde et apparu sous le ciel avec tous ses charmes; le grand serpent, lié par un ange au fond du puits de l'abîme pour un temps; l'aurore enfin de ce temps à venir prophétisée par le verbe, qui apparaît à l'apôtre dès le début de son - poème : « Sa tète et ses cheveux étaient blancs, ses yeux « étincelaient, ses pieds étaient semblables à l'ai« rain fin quand il est dans la fournaise, et sa voix « égalait le bruit des grandes eaux. «Il avait en sa main droite sept étoiles, et de sa « bouche sortait un glaive à deux tranchants bien « affilé. Sou visage était aussi brillant que le soleil « dans sa force. » « Voilà Ormusd, Osiris, Chourien, l'agneau, le Christ, l'ancien des jours, l'homme du temps et du fleuve chanté par Daniel. « Il est le premier et le dernier, celui qui a. été et qui doit être, l'alpha et l'oméga, le commencement et la fin. « Il tient dans sa main la clef des mystères ; il ouvre le grand abîme du feu central où repose la

366 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. mort sous une tente de ténèbres, où dort le grand serpent en attendant le réveil des siècles. » L'auteur rapproche de cette allégorie de saint Jean celle de Daniel, où les quatre formes du sphinx sont appliquées aux grandes périodes de l'histoire, et où l'homme-soleil, le verbe lumière, console et instruit le voyant. « Le prophète Daniel vit une mer agitée en sens contraire par les quatre vents du ciel. « Et des bétes fort différentes les unes des autres sortirent des profondeurs de l'Océan. « L'empire de tout ce qui est sur la terre leur fut accordé jusqu'à un âge, deux âges et la moitié du quatrième âge. « Et il en sortit quatre. « La pPemière bête, symbole de la race solaire _ des voyants, vint du côté de l'Afrique; elle ressemblait à un lion et portait des ailes d'aigles: il lui fut donné un coeur d'homme. « La seconde bête, emblème des conquérants du nord qui régnèrent par le fer durant le second âge, était semblable à un ours. « Elle avait dans la gueule trois rangées de dents aiguës, images des trois grandes familles conqué-

LE LIVRE D HERMES. 36.7 rantes, et il lui fut dit: Levez-vous et rassasiezvous de carnage. « Après l'apparition de la quatrième bête, des trônes furent élevés, et l'ancien des jours, le Christ des voyants, l'agneau du premier âge, se montra assis. « Son vêtement était d'une éblouissante blancheur, sa tête rayonnait; son trône, d'où jaillissaient des flammes vives, était porté sur des roues brûlantes; une flamme de feu très vive sortait de son visage, des myriades d'anges ou d'étoiles brillaient autour de lui. « Le jugement se tint; les livres allégoriques furent ouverts. « Le Christ nouveau vint dans une nuée pleine d'éclairs et s'arrêta devant l'ancien des jours; il obtint en partage la puissance, l'honneur et le règne sur tous les peuples, toutes les tribus, toutes les langues. «Daniel s'approcha alors de l'un de ceux qui étaient présents et lui demanda la vérité des choses. « Et il lui est répondu que les quatre animaux sont quatre puissances qui règneront successive ment sur la terre. » '

368 R I T U E L D E L A H A U T E M A G I E . M. Chaho explique ensuite plusieurs images dont les analogies sont frappantes, et qui se retrouvent dans presque tous les livres sacrés. Ses paroles sont très remarquables. Dans tout verbe primitif, le parallélisme des rapports physiques et des relations morales s'établit sur les mêmes radicaux. « Chaque mot porte avec lui sa définition matérielle et sensible, et ce langage vivant est aussi parfait et vrai qu'il est simple et naturel dans l'homme créateur. «Que le voyant exprime avec le même mot, légèrement modifié, le soleil, le jour, la lumière, la vérité, et qu'appliquant une même épithète au blanc soleil et à un agneau, il dise agneau ou Christ au lieu de soleil, et soleil au lieu de vérité, lumière, civilisation, il n'y a point d'allégorie, niais des rapports vrais, saisis et exprimés avec inspiration. « Mais quand les enfants de la nuit disent dàns leur dialecte incohérent et barbare, soleil, jour, lumière, venté, agneau, le rapport savant si nettement exprimé par le verbe primitif s'efface et dis— parait, et, par la simple traduction, l'agneau et le soleil deviennent des êtres allégoriques, des symboles.

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« Remarquez, en effet, que le mot allégorie lui même signifie èn définition celtique changement de discours, traduction. « L'observation que nous venons de faire s'appli• que rigoureusement à tout le langage cosmogonique des barbares. « Les voyants se servaient du même radical inspiré pour exprimer la nourriture et l'instruction. La science de la vérité n'est-elle pas la nourriture de l'âme ! « Ainsi, le rouleau de papyrus ou de biblos dévoré par le prophète Ézéchiel ; le petit livre qu'un ange fait manger à l'auteur de l'Apocalypse ; lesfestins du palais magique d'Asgard auxquels Gangler est convié par Har le Sublime; la multiplication merveilleuse de sept petits pains, racontée par les évangélistesdu Nazaréen; le pain vivant que JésusSoleil fait manger à ses disciples, en leur disant : Ceci est mon corps; et une foule d'autres traits semblables, sont une répétition de la même allégorie : la vie des âmes, qui se nourrissent de vérité ; la vérité, qui se multiplie, sans diminuer jamais et qui, au contraire, augmente à mesure qu'on s'en nourrit. .

« Qu'exalté par un noble sentiment de nationaT. u.

24

370 RITUEL DE LA HAUTE MAGIE. lité, ébloui par l'idée d'une révolution immense, s'érige un révélateur de choses cachées et qu'il cherche à populariser les découvertes de la science antique chez les hommes grossiers, ignorants, dépourvus des notions élémentaires les plus simples. « Qu'il dise, par exemple : La terre tourne, la terre est ronde comme un oeuf. « Que peut faire le barbare qui écoute, si ce n'est croire! N'est-il pas évident que toute proposition de Ce genre devient pour lui un dogme d'en haut, un article de foi ? «.Et le voile d'une allégorie savante Ir suffit-il pas pour en faire un mythe? « Dans les écoles des voyants le globe terrestre était représenté par un oeuf de carton ou de bois peint, et quand on demandait aux petits enfants : Qu'est-ce que cet oeuf? Ils répondaient : C'est la terre. « Grands enfants, les barbares ayant entendu cela, répétèrent après les petits enfants des voyants : Le monde est un oeuf. «Mais ils comprenaient par là le monde physique, matériel, et les voyants le inonde géographique, idéal, le monde image, créé par l'esprit et le verbe.

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« En effet, les prêtres de l'Égypte représentaient l'esprit, Kneph, avec un oeuf posé sur les lèvres, pour mieux exprimer que l'oeuf n'était là qu'une comparaison, une image, une façon de parler. « Choumountou, le philosophe de l'Ézour-Vedam, explique de la même manière au fanatique Blache ce qu'il faut entendre par l'oeuf d'or de Brahma. » Il ne faut pas désespérer complétement d'une époque où l'on s'occupe encore de ces recherches sérieuses et raisonnables : aussi est-ce. avec un grand soulagement d'esprit et une profonde sympathie que nous venons de citer les pages de M. Chaho. Ce n'est déjà plus ici la critique négative et désespérante de Dupuis et de Volney. C'est une tendance à une seule foi, à un seul culte qui doit rattacher tout l'avenir à tout le passé ; c'est la réhabilitation de tout les grands hommes accusés faussement de superstition et d'idolâtrie ; c'est enfin la justification de Dieu même, ce soleil des intelligences qui n'est jamais voilé pour les âmes droites et pour les coeurs purs. « Il est grand, le voyant, l'initié, l'élu de la nature et de la suprême raison, s'écrie encore, en concluant, l'auteur que nous venons de citer.

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lui seul cette faculté d'imitation qui est le principe de son perfectionnement et dont les inspirations, rapides comme l'éclair, dirigent les créations et les découvertes. «A lui seul un Verbe parfait de convenance, de propriété, de flexibilité, de richesse, créé par réaction physique harmonie de la pensée; de la pensée, dont les aperçus, encore indépendants du langage, reflètent toujours la nature exactement reproduite dans ses impressions, bien jugé, bien exprimé dans ses rapports. « A lui seul la lumière, la science, la vérité, parce que l'imagination, bornée à son rôle passif secondaire, ne domine jamais la raison, la logique naturelle qui résulte de la comparaison des idées; qui naissent, s'étendent dans la mème proportion que ses besoins, et que le cercle de ses connaissances s'élargit ainsi par degréssans mélange de jugements faux et d'erreurs. « A lui seul une lumière infiniment progressive parce que la multiplicatioil rapide de la population, après les rénovations terrestres, combine en peu de siècles la société nouvelle daUs tous les rapports imaginables de destinée, soit moraux, soit politiques. «À

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«Et nous pourrions ajouter, lumière absolue. « L'homme de notre temps est immuable en soi il ne change pas plus que la. nature dans laquelle il est ordonné. « Les conditions sociales où il se trouve placé déterminent seules le degré de sou perfectionnement, qui a pour limites la vertu, la sainteté (le l'homme et sa félicité dans la loi. » Nous demandera-t-on encore après de pareils aperçus à quoi servent les sciences occultes ? Traitera-t-on avec dédain de mysticisme et d'illuminisme ces mathématiques vivantes, ces proportions (les idées et des formes, cette révélatiOn permanente dans la raison universelle, cet affranchissement de l'esprit, cette base inébranlable donnée à la foi, cette toute puissance révélée à la volonté? Enfants qui cherchiez desprestiges, êtes-vous désappointés parce que nous vous donnons des merveilles ! Un homme nous disait un jour: Faites ap paraître le diable, et jevous croirai. Nous lui avons ° répondu: Vous demandez peu de chose ; nous voulons faire, non pas apparaître, mais disparaître le diable du monde entier, nous voulons le chasser de vos rêves ! Le diable, c'est l'ignorance, ce sont les ténèbres, ce sont les incohérences de la pensée, .

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c'est la laideur ! Réveillez-vous donc, dormeur du moyen âge ! Ne voyez-vous pas qu'il fait jour ? Ne • voyez-vous pas la lumière de Dieu qui remplit toute la nature ? Où clone ose maintenant se montrer le prince déchu des enfers? ;

Il nous reste • à donner nos conclusions et à déterminer le but et la portée de cet ouvrage dans l'ordre religieax, dans l'ordre philosophique et dans l'ordre des réalisations matérielles et positives. Dans l'ordre religieux d'abord, DOUS avons démoufté que les pratiques des cultes ne sauraient êtres indifférentes, que la magie 'les religions est dans leurs rites, que leur Torée morale est dans la hiérarchie ternaire, et que la hiérarchie a pour l'ose, pour principe et pour synthèse, l'unité. Nous avons démontré l'unité et l'orthodoxie universelles dullogme, revètu successivement de plusieurs voiles allégoriques, et nous avons suivi la vérité sauvée par Moïse, des profanations de l'Égypie, conservé dans la cabale des prophètes, émancipée par l'école chrétienne de la servitude des pharisiens, attirant à elle toutes les aspirations poéIiiples et généreuses des civilisations grecque et ro-

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maine, protestant contre un nouveau phariséisme plus corrompu que • le premier, avec les grands saints du moyen âge et les hardis penseurs de la renaissance. Nous avons montré, dis-je; cette vérité toujours universelle, toujours une, toujours vivante, qui seule concilie la raison et la foi, la science et la soumission ; la vérité de l'être démontré par l'être, de l'harmonie démontrée par l'harmonie, de la raison manifestée par la raison. En révélant pour la première fois au monde les mystères de la magie, nous n'avons pas voulu ressusciter des pratiques ensevelies sous les ruines des anciennes civilisations, mais nous disons à l'humanité de nos jours qu'elle est appelée aussi à se créer immortelle et toute-puissante par ses oeuvres. La liberté ne se donne pas, ellcse prend, adit un écrivain moderne ; il en est de même de la science, et c'est pour cela que la divulgation de .la vérité absolue n'est jamais utile au vulgaire. Mais à une époque où le sanctuaire a été dévasté et est tombé en ruines, parce qu'on en a jeté la clef à travers champs sans profit pour personne, j'ai cru devoir ramasser cette clef, et je l'offre à qui saura la prendre : car celui-là sera à sors tour un docteur des nations et un libérateur (lu monde. -

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Il faut et il faudra toujours des fables et des fi. sières aux enfants ; mais il ne•faut pas que ceux qui tiennent les lisières soient aussi des enfants et des écouteurs de fables. Que la science la plus absolue, que la plus haute raison redevienne le partage des chefs du peuple; que l'art sacerdotal et .l'art royal reprennent le double sceptre des antiques initiations, et le monde sortira encore une fois du chaos. • Ne brillons plus les saintes images, ne démolissons plus les temples: il faut aux hommes des tern pies et des images ; niais chassons les vendeurs de la maison de prières; ne laissons plus les aveugles se faire les conducteurs des aveugles ; reconstituons la hiérarchie d'intelligence et de sainteté, et reconnaissons seulement ceux qui savent pour les docteurs de ceux qui croient. Notre livre est catholique ; et si les révélations qu'ils contient sont de nature à alarmer la conscience des simples, notre consolation est de penser qu'ils ne le liront pas. Nous écrivons pour les hommes sans préjugés et nous ne voulons pas plus flatter l'irréligion que le fanatisme. Mais, s'il est quelque chose au monde d'essentiellement libre et d'inviolable, c'est la croyance.

377 Il faut, par la science et par la persuasion, détourner de l'absurde les imaginations dévoyées; mais ce serait donner à leurs erreurs toute la dignité et toute la vérité du martyre que de les menacer ou de les contraindre. La foi n'est qu'une superstition et une folie si elle n'a la raison pour base, et l'on ne peut supposer ce qu'on ignore que par analogie avec ce qu'on sait. Définir ce qu'on ne sait pas, c'est une ignorance présomptueuse ; affirmer positivement ce qu'on ignore, c'est mentir, Aussi la foi est-elle une aspiration et un désir. Ainsi soit-il, je désire qu'il en soit ainsi, tel est le dernier mot de toutes les professions de foi. Là foi, l'espérance et la charité sont trois sieurs tellement inséparables, qu'on peut les prendre l'une pour l'autre. Ainsi, en religion, orthodoxie universelle et hiérarchique, restauration de temples dans toute leur splendeur, rétablissement de toutes les cérémonies dans leur pompe primitive, enseignement hiérarchique du symbole, mystères, miracles, légendes pour les enfants, lumière pour les hommes faits qui se garderont bien de scandaliser lès petits dans la simplicité de leur croyance. Voilà en religion LE LIVRE D HERMÈS. '

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

toute notre utopie, et c'est aussi le désir et le besoin de l'humanité. • Venons à la philosophie. La nôtre est celle du réalisme et du positivisme. L'être est en raison de l'être dont personne ne doute. Tout existe pour nous par la science. Savoir, c'est être. La science et son objet s'identifient dans la vie intellectuelle de celui qui sait. Douter, c'est ignorer. Or, ce que nous ignorons n'existe pas encore pour nous. Vivre intellectuellement, c'est apprendre. L'être se développe et s'amplifie par la science. La première conquête de la science est le premier • résultat des sciences exactes, c'est le sentiment de la raison. Les lois de la nature sont de l'algèbre. Aussi la seule foi raisonnable est-elle l'adhésion de l'étudiant à des théorèmes dont il ignore toute la justesse en elle-même, mais dont les applications et les résultats lui sont suffisamment démontrés. Ainsi le vrai philosophe croit à ce qui est , et n'admet a posterior'i que tout est raisonnable. Mais plus de charlatanisme en philosophie, plus d'empirisme, plus de système ; l'étude de l'être et de ses réalités comparées! une métaphysique de la

LE LIVRE D'HERMÈS.

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nature! Puis arrière le mysticisme ! Plus de rêv'es en philosophie : la philosophie n'est pas une poésie; ce sont les mathématiques pures des réalités, soit physiques, soit morales. Laissons à la religion la liberté de ses aspirations infinies, mais qu'elle laisse à la science les conclusions rigoureuses de l'expérimentalisme absolu. L'homme est fils de ses oeuvres : il est ce qu'il veut être; il est l'image du Dieu qu'il se fait; il est la réalisation de son idéal. Si son idéal manque de hase, tout l'édifice de son immortalité s'écroule. La philosophie n'est pas l'idéal, mais elle doit servir de base à l'idéal. Le connu est pour nous la mesure de l'inconnu ; le visible nous fait apprécier l'invisible les sensations sont aux pensées comme les pensées aux aspirations. La science est une trigonométrie céleste : un des côtés du triangle absolu, c'est la nature soumise à nos investigations; l'autre c'est notre âme qui embrasse et reflète la nature ; le troisième, c'est l'absolu dans lequel s'agrandit notre âme! Plus d'athéisme possible désormais, car nous n'avons plus la prétention de définir Dieu. Dieu est pour nous le plus parfait et le meilleur des êtres intelligents, et la hiérarchie ascendantedes êtres nous démontre assez qu'il existe. N'en deman-

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RITUEL DE LA HAUTE MACLE.

dons pas davantage; mais, pour le comprendre toujours mieux, perfectionnons-nous en montant vers lui? Plus d'idéologie; l'être est çe qu'il est et ne se perfectionne que suivant les lois réelles de l'être. Observons, ne préjugeons pas; exerçons nos facultés, ne les faussons pas; agrandissons le domaine de la vie dans la vie; voyons la vérité dans la vérité ! Tout est possible à celui qui veut seulement ce qui est vrai. Restez dans la nature, étudiez, sachez, puis osez ; osez vouloir, osez agir, et taisezvous ! Plus de haine contre personne. Chacun moissonnera ce qu'il sème. Le résultat des oeuvres est fatal, et c'est à la raison suprême de juger etde chàtier les méchants. Celui qui va dans une voie sans issue reviendra sur ses pas ou sera brisé. Avertissez-le doucement, s'il peut encore vous entendre ; puis laissez faire: il faut que la liberté humaine ait son cours. Nous ne sommes pas juges les uns des autres. La vie est un champ de bataille. Ne cessons pas de combattre à cause de ceux qui tombent, mais évitons de marcher sur eux. Puis vienne la victoire, et les blessés de deux partis, devenus frères par la .

38i souffrance et devant l'humanité, seront réunis dans les ambulances dés vainqueurs. Telles sont les conséquences du dogme philosophique d'Hermès ; telle a été de tout temps la morale des-vrais adeptes; telle est la philosophie des roses-croix héritiers de toutes les sagesses antiques ; telle est la doctrine secrète de ces associations qu'on traitait de subversives de l'ordre public, et qu'on a toujours accusées de conspiration coutre les trônes et les autels ! Le véritable adepte, loin de troubler l'ordre public, en est le plus ferme soutien, Il respecte trop la liberté pour désirer l'anarchie; enfant de la lumière, il aime l'harmonie, et il sait que les ténèbres produisent la confusion. Il accepte tout ce qui est, et nie seulement ce qui n'est pas. Il veut la religion vraie, pratique, universelle, croyante, palpable, réalisée dans la vie entière; il la veut avec un sage et puissant sacerdoce, entouré de toutes les vertus et de tous les prestiges de la foi. fi veut l'orthodoxie universelle, la catholicité absolue, hiérarchique, apostolique, sacramentelle, incontestable et incontestée. Il veut une philosophie expérimentale, réelle, mathématique, modeste dans ses conclusions, infatigable dans ses recherches, scientifique dans ses LE LIVRE D'HERMÈS.

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

progrès. Qui donc peut être contre nous, si Dieu et la raison sont avec nous? Qu'importe qu'on nous préjuge et qu'on nous calomnie? Notre justification entière, ce sont nos pensées et nos oeuvres, Nous ne venons pas, comme 0Edipe tuer le sphinx du symbolisme; nous entreprenons, au contraire, de le ressusciter. Le sphinx ne dévore que les interprètes aveugles, et celui qui le tue n'a pas su le bien deviner : il faut le doMpter, l'enchaîner elle forcer à nous suivre. Le sphinx est le palladium vivant de l'humanité, c'est la conquête du roi de Thèbes; c'eût été le salut d'OEdipe, si OEdipe eût deviné son énigme en entier ! Dans l'ordre positif et matériel, que faut-il conclure de cet ouvrage? La magie est-elle une force que la science peut abandonner au plus audacieux et au plus méchant? Est-ce une fourberie et un mensonge du plus habile pour fasciner l'ignorant et le faible? Le mercure philosophai, est-ce l'exploitation de la crédulité par l'adresse? Ceux qui nous ont compris savent déjà comment répondre à ces questions. La magie ne peut plus être de nos jours l'art des fascinations et des prestiges : on ne trompe maintenant que ceux qui veulent être trompés. Mais l'incrédulité étroite et téméraire du siècle

383 dernier reçoit tous les démentis donnés par la nature elle-même. Nous vivons environnés de prophéties et de miracles ; le doute les niait autrefois avec témérité, la science aujourd'hui les explique. Non, monsieur le comte de Mirville, il n'est pas donné à un esprit déchu de troubler J'empire de Dieu! Non, les choses inconnues ne s'expliquent pas par les choses impossibles; non, il n'est point donné à des êtres invisibles de tromper, de tourmenter, de séduire, de tuer même les créatures vivantes de Dieu, les hommes, déjà si ignorants et si faibles, et qui ont tant de peine à se défeiidre contre leurs propres illusions. Ceux qui vous ont dit cela dans votre enfance vous ont trompé, monsieur le comte, et si vous avez été assez enfant pour les écouter, soyez assez homme maintenant pour ne plus les croire. L'homme est lui-même le créateur de sou ciel et de son enfer, et il n'y a pas d'autres démons que nos folies. Les esprits que la vérité châtie sont corrigés par le châtiment, et ne songent plus à troubler le monde. Si Satan existe, ce ne peut être que le plus malheureux, le plus ignorant, le plus humilié et le plus impuissant des êtres. L'existence d'un agent universel de la vie, d'un feu vivant, d'une lumière astrale, nous est démonLE LIVRE D HERMÈS. '

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RITUEL DE LA HAUTE MAGIE.

trée par des faits. Le magnétisme nous fait comprendre aujourd'hui les miracles de l'ancienne magie: les faits de seconde vue, les aspirations, les guérisons soudaines, les pénétrations des pensées, sont maintenant des choses avérées et familières, même à nos enfants. Mais on avait perdu la tradition des anciens, on croyaità des découvertes nouvelles, on cherchait le dernier mot des phénomènes observéS, les têtes s'échauffaient devant des manifestations sans portée, on subissait des fascinations sans les comprendre. Nous sommes venu dire aux tourneurs de tables : Ces prodiges ne sont pas nouveaux; vous pouvez en opérer même de plus grands si vous étudiez les lois secrètes de la nature. Et que résultera-t-il de la connaissance nouvelle de ces pouvoirs? Une nouvelle carrière ouverte à l'activité et à l'intelligence de l'homme, le combat de la vie organisé de nouveau avec des armes phis parfaites, et la possibilité rendue aux intelligences d'élite de redevenir maîtresses de toutes les destinées, en donnant au monde à venir de véritables prêtres et de grands rois ! FIN DU RITUEL.

SUPPLÉMENT AU RITUEL.

LE NUCTEMERON D'APOLLONIUS DE TIIVANE. Publié en grec d'après un ancien manuscrit , par Gilbert Gautrinus De vita et morte dfoysis, livre III, page 206, reproduit par Laurent Moshé-tnius dans ses observations sacrées et historico-critiques. Amsterdam

IIDCCXXI

,

traduit et expliqué

pour la première fois, par Eliphas Lévy.

Nuctéméron veut dire le jour de la nuit ou la nuit éclairée par le jour. C'est un titre analogue à celui de la lumière sortant des ténèbres, titre d'un ouvrage hermétique assez connu; on pourrait aussi . le traduire ainsi : L:% LUMIÈRE DE L'OCCULTISME.

Ce monument de la haute magie des Assyriens est assez curieux pour que nous Soyons dispensé d'eu faire ressortir l'importance. Nous n'avons pas seulement évoqué Apollouius, nous sommes parvenu peut-être à le ressusciter. T. II.

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SUPPLÉMENT AU RITUEL. DE LA HAUTE MAGIII.

LE NIJCTÉMÉRON.

PREMIÈRE HURE: (I.) Év alvoilcrev acdpovtç etvoOvrtç (lege ;.biavolarrvtvel aven«) sèv que( ictexovacv, Zust xoleotwev.

Dans l'unité, les démons chantant les louangea de Dieu, ils perdent leur malice et leur colère. SECONDE HEURE. (Il.) Èv ;le:domroto oc ixOutç 'no Hiov, mec tic TOGorupèç adtenc,

iv eptatt ototxtiovaeat ectrozatopocea el; apc'ciovraç xcic Par le binaire, les poissons du Zodiaque chantent les louanges de Dieu, les serpents de feu s'enlacent autour du caducée et la foudre devient harmonieuse. TROISIÈME HEURE.

(III.) Év ctivolacv b'eptcç xeci x) Aussi, Jésus ne mitil rien par écrit et laissa-t-il à ses apôtres ses traditions et sa méthode d'enseignement. Or, voici quel était le fond du dogme chrétien:

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— âl — L'intelligence est éternelle ; elle est expansive parce qu'elle est vivante. La vie de l'intelligence, son expansion, c'est la parole, le Verbe ; le Verbe est donc éternel comme l'intelligence, et ce qui est éternel, c'est Dieu. Le Verbe se manifeste par l'action créatrice qui produit la forme, il s'est revêtu • de la forme humaine, et la chair devenue le vêtement du Verbe a été le Verbe même quand elle en a été l'expression exacte : ainsi le Verbe s'est fait chair. Le Verbe parfait, c'est l'unité divine, exprimée dans la vie humaine. L'homme véritable, c'est notre Seigneur, le chef dont tous les fidèles sont les membres. L'humanité, constituée sur une échelle hiérarchique et progressive, a pour chef celui qui est Dieu, parce qu'il est en même temps le meilleur des hommes, celui qui est mont pour les autres afin de revivre dans tous. Nous ne sommes donc tous qu'un même corps dont l'âme doit être celle de Jésus—Christ, notre prototype et notre modèle, le Verbe fait chair, l'Homme-Dieu. Tout doit donc en principe être commun entre nous comme entre les membres d'un même corps; mais, en fait, chaque membre doit se contenter du

— 5e — rang qu'il occupe, et l'ordre hiérarchique est sacré comme la volonté de Dieu. Le Christ, en révélant la loi d'unité, qui est la loi d'amour, a armé l'esprit de puissance pour vaincre l'égoïsme de la chair, qui est la division et la mort, et il institua un signe nommé Com— munion, pour l'opposer à l'égoïsme, qui est l'esprit de division et de partage. Or, la communion n'était autre chose que la charité figurée par une table commune, et comme le Christ avait livré sa chair à la douleur et à la mort pour léguer à ses fidèles le pain fraternel auquel il attachait dans l'avenir sa pensée persé— vérante et sa vie nouvelle, il leur disait : Mangezen tous, ceci est ma chair ! comme il disait du vin de la fraternité : Buvez en tous, ceci est mon sang, car je le répandrai tout entier pour vous assurer à jamais la réalité de ce signe. La communion, c'était donc la fraternité divine et humaine, et par conséquent aussi la liberté ; car où peut être l'oppresseur parmi des frères dont le père est Dieu même? Le christianisme était donc le changement le plus radical et venait bouleverser le vieux monde. Cela explique assez la nécessité des mystères, car

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le monde, il y a dix-huit cents ans, devait être encore moins disposé qu'aujourd'hui à se laisser détruire : il avait plus longtemps à vivre. Toutefois, le Christ ne voulait accomplir de révolutions que par la force morale, sachant bien qu'il n'y a que celle—là qui ne soit point aveugle : il avait planté le grain de sénevé, et il disait à ses disciples d'attendre l'arbre ; il avait caché le levain dans la pâte et il voulait qu'on la laissât fermenter. La vie du Christ était toute dans sa doctrine, et, pour ses disciples surtout, son existence devait être toute morale. Ce qu'il disait, il le faisait dans le domaine de l'esprit ; c'est pourquoi les livres évangéliques contiennent le dogme et la morale en paraboles, et souvent le Maître lui—même est le sujet des récits allégoriques de ses apôtres. Nous avons à chercher les preuves de ceci dans les évangiles apocryphes seulement, des raisons de haute convenance nous empêchant d'aborder les évangiles consacrés. Nous n'approuvons ni ne blâmons, toutefois, les travaux du docteur Strauss, n'étant pas juges en Israël. Commençons par le récit de quelques légendes empruntées à ces anciens livres trop peu étudiés de nos jours.

- S4 PREMIERE LÉGENDE. COMMENT UNE FEMME PLEURAIT DE NITRE DOM MÈRE ET COMMENT ELLE BUT UNE FILLE QUI DEVINT Lk MÈRE DE DIEU.

Il y avait une femme nommée Hanna.h qui était stérile parce que son époux s'était éloigné d'elle. Cette femme était donc triste et désolée comme la Synagogue lorsqu'elle attendait le Messie. Vint le temps des nouvelles pâques et elle n'osa se revêtir de ses habits de fête, parce qu'elle n'était pas mère et que ses servantes mêmes lui reprochaient d'être stérile. Elle s'en alla donc et se laissa tomber sous un laurier. C'était du temps que Rome venait de sou-mettre le monde. Et sur les branches de ce laurier elle vit un nid de moineaux, et elle pleura amèrement en répétant : Je ne suis point mère.

Alors l'Esprit du Seigneur lui parla et lui dit : Je suis touché de ta doulete, et je te ramènerai ton époux ; Car mon oreille est toujours inclinée vers les lèvres de ceux qui pleurent. Tu dis : Je n'ai point mis un homme au monde, et moi je te promets quelque chose de plus heureux : car tu enfànteras la fetüme sans péché ; Celle à qui je dirai, par la bouche de l'hurnanité : Vous êtes ma mère I La Synagogue enfantera l'Église d'où sortira le principe de l'esociation catholique ; la servitude engendrera la liberté; la femme esclave mettra au monde la femme pure et libre. A ces paroles Hannah sentit ses larmes s'arrêter : elle se leva et elle courut, car elle pressentait que son époux n'était pas loin. Elle le rencontra qui ramenait son troupeau et qui revenait des champs en disant : Je dormirai cette nuit dans ma maison. Et elle l'embrassa, puis elle lui dit : Demain, j'aurai cessé .d'être stérile. 11 lui fut fait selon ce qu'elle avait cru, et après le terme accompli elle devint mère.

Mais ses compagnes, qui la félicitaient, lui di-. rent, comme pour tempérer sa joie : Ce n'est qu'une fille. — Qu'elle soit nommée Marie, répondit Hann ah, et que le monde espère, car ma fille aura un fils : Marie sera mère de Dieu. Ses compagnes ne comprirent pas ce qu'elle voulait leur dire«, mais elles enveloppèrent l'enfant dans des linges blancs et la posèrent dans son berceau neuf, en admirant combien elle était belle. Quand la petite fille Marie eut trois ans, ses parents la portèrent au temple, et, comme ils l'avaient posée à terre, elle monta toute seule les degrés de l'autel. Ainsi, dans un âge si tendre, sa religion fut déjà libre et ses croyances ne lui furent point imposées. Elle resta dans le temple jusqu'à l'âge de quatorze ans et se prit d'amour pour la beauté éternelle. C'est pourquoi elle dit : Je suis la servante du Seigneur. C'est pourquoi elle ne fut jamais servante d'un homme.

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L'esprit d'amour alors n'était point encore descendu sur la terre, et la génération était regardée comme une souillure. L'homme était enfant de la chair, et le christianisme ne l'avait pas fait encore enfant de Dieu.

DEUXIÈME LÉGENDE. COMMENT DIEU VOULUT QU'UN VIEUX COMPAGNON CHARPENTIER . ÉPOUSÂT UNE VIERGE DU SANG ROYAL.

Il y avait alors, dans la tribu de Juda, un bon vieillard nommé Joseph, charpentier de son état, homme veuf et père de plusieurs enfants, grand travailleur, bien que médiocrement habile, simple dans ses pensées, mais équitable dans ses jugements, ce qui l'avait fait surnommé le Juste, le véritable modèle de l'homme du peuple, le type du vrai prolétaire. C'est à lui que devait être confiée la Vierge, parce que le pauvre peuple sait ce que coûte la famille et comprend mieux que personne la sainteté du foyer, la pureté de la jeune fille, et la dignité de la mère.

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Joseph donc, ayant entendu sonner les trompettes du Temple, qui annonçaient la quatorzième année depuis la naissance de Marie, jeta sa hache et vint à Jérusalem. Là se trouvaient des jeunes gens de tontes les tribus qui désiraient la beauté de Marie; tous songeaient à la joie qu'ils auraient de la posséder; Joseph pensait au bonheur d'être son ami et de travailler pour la nourrir en la laissant maîtresse • d'elle-même. Le grand-prêtre dit anx jeunes gens : Prenez en main des baguettes, et celui dont la baguette fleurira et sur la tête duquel la colombe se reposera, celui-là sera l'époux de Marie. Mais, lorsque Marie regarda, elle ne trouva fleurie la baguette d'aucun de ces prétendants, qui voulaient devenir ses maîtres, et la colombe ne trouva pas où se reposer. On appela alors, par dérision, le vieux Joseph qui se tenait à l'écart, et ce fut lui qui eut la baguette fleurie. Alors la colombe se reposa et Marie lui tendit la main. Joseph lui dit : — Comment le Seigneur choisi Mur

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être votre époux? car je suis vieux d j'ai de grands enfants. Marie lui dit — Vous êtes juste et vous n'opprimerez pas la vierge que Dieu vous confie. J'ai promis à Dieu que je ne serais pas la servante d'un homme, servez-moi de père. Car tous ces jeunes gens qui sont ici me désirent sans m'aimer, et je ne consentirai jamais à l'outrage de leurs désirs. Joseph lui dit : — Qu'il en soit ainsi, et il l'emmena dans sa maison à Nazareth, où il la laissa et retourna travailler à Capharnatim. Or, Marie était de race royale et sacerdotale, et elle apporta en dot, à l'ouvrier Joseph, l'hérédité de la royauté et du sacerdoce. Ainsi, pour avoir compris la dignité de la Vierge, et s'en être fait le protecteur, le simple ouvrier devint prêtre et roi, et le monde changea de maîtres. Car Marie n'avait choisi, pour son gardien, ni un prêtre, ni un roi, mais un pauvre vieux charpentier nommé Joseph, et cela parce qu'il était juste.

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Et ce fut là le commencement de ce royaume de la justice qui, malgré tous les efforts des méchants, s'établira enfin sur la terre.

TROISIÈME LÉGENDE. COMMENT LA VIERGE DEVINT MÈRE SANS PÉCHÉ, ET DES ANXIÉTÉS DE JOSEPH.

En ce temps-là, Marie étant sortie pour puiser de l'eau , un jeune homme d'une grande beauté l'aborda près de la fontaine et lui dit : Je vous salue, pleine de grâce. Marie se troubla et rentra précipitamment chez glle, mais elle y retrouva le même jeune homme qui la salua encore en lui disant : Ne craignez rien, je suis un ange du Seigneur, et c'est lui qui m'envoie vers vous. Ce qu'il lui dit encore se trouve rapporté dans les Évangiles, où l'on voit que ce jeune homme était l'ange Gabriel. Mais les Juifs, dans leur malice, prétendirent que c'était un soldat nommé Panther, et que,

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pendant plusieurs jours, il revint voir Marie chez elle. Six mois après Joseph revint à Nazareth et fut consterné en voyant que la Vierge était en— ceinte. Il lui demanda comment cela avait pu lui arriver, et elle répondit en pleurant : Je n'ai point failli à mes promesses et je ne suis infidèle ni de— vant Dieu ni devant vous. Joseph savait bien qu'il ne l'avait point tou— chée et ne s'arrogeait aucun droit sur elle, puis— qu'elle l'avait choisi seulement pour son ami et Fini gardien. Cependant il eut le coeur triste et ne l'interrogea plus, mais il songeait à la renvoyer. Une nuit qu'il s'était endormi dans cette pen— sée, une main le toucha et une voix lui parla. Ouvrant alors les yeux, il vit devant lui le même ange qui était apparu à Marie. Père Joseph, lui dit-il, tu as promis de protéger Marie, pourquoi veux-tu l'abandonner lors— qu'elle a le plus besoin des soins d'un père et d'un ami? Elle n'est point à toi, c'est toi qui es à elle ; pourquoi veux-tu l'abandonner?

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Tu as promis de respecter les secrets de sa pudeur; tu l'as laissée vierge et tu la retrouves prête à devenir mère. Honore-la toujours comme une vierge et protége-la comme une mère. Pourquoi proscrirais-tu l'enfant dont tu ne connais pas le père? Ne sais-tu pas que toujours le père d'un enfant, c'est Dieu ? Aime-le donc à cause de Marie qui s'est confiée à toi, et garde-le à cause de Dieu, son père. Ainsi vous échapperez tous à la méchanceté des hommes, et ta maison sera bénie. Joseph médita ces paroles pendant le reste de la nuit, et, le matin venu, il vint trouver Marie et lui dit : Pardonnez-moi, car je vous ai fait rougir moi qui suis votre père; je suis votre ami et je vous ai fait pleurer. Je pensais à vous renvoyer quand vous allez devenir mère, et qui donc vous aurait reçue si votre vieux Joseph vous avait abandonnée? Gardez votre secret qui est celui de Dieu ; moi je garderai votre enfant qui est aussi celui de Dieu , et que je tiendrai à honneur de pouvoir soigner comme le mien.

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— Marie lui répûudit : Soyez béni, parce que la vérité éternelle a parlé à votre coeur. Vous pouviez me déshonorer, et vous ne l'avez pas fait. C'est pour cela que vetre nom sera vénérable. Et quand les générations à venir m'appelleront Marie la hienheireuse, elle vous appelleront Joseph le juste. Et le Fils de Dieu vous appellera son père, parce que vous ressemblez à Dieu qui est juste et bon, et il vous assistera à votre dernier jour, parce que vous aurez été le Bdèle gardien de sa naissance,

QUATRIÈME LÉGENDE. POURQUOI RIAIT ET PLEURAIT MARIE EN SE RENDANT A BETHLÉEM, ET DE SES DEUX SAGES-PENNI:ES, ZELOMI ET SALOMÉ.

Après cela, Joseph fut obligé de se rendre à Bethléem avec Marie pour obéir à l'édit de César Auguste. Et, comme ils étaient en chemin, JosepM, regardant Marie qui était assise sur son âne, la vit

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qui pleurait et lui dit : Pourquoi pleurez-vous? Marie lui dit : Je vois un grand peuple qui pleure, et mon enfant se tourmente dans mon sein. Car ils sont là, couchés sur la terre nue, comme des brebis maigres et tondues jusqu'à la peau, et, pour pasteurs, ils ont des bouchers. Joseph regarda autour de lui et ne voyait rien. Il pensa que Marie était souffrante à cause de soi, état de grossesse avancée. L'instant d'après il la regarda encore et la vit qui souriait, bien que ses yeux fussent encore humides de larmes. Vous souriez donc maintenant? lui dit-il. — Oui, répondit Marie, car je vois une multitude qui est dans la joie parce que mon enfant est venu briser leurs chaînes. — Soyez calme, dit Joseph avec bonté, j'espère que nous arriverons bientôt et que vous pourrez vous reposer ; ne vous fatiguez point par des rêveries et des paroles inutiles. Alors, un ange se présenta et dit à Joseph : Pourquoi appelles-tu inutiles les paroles que tu ne comprends pas ? Fais descendre Marie, car le temps presse, et

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c'est ici qu'elle doit enfanter, et il lui montrait du doigt l'entrée d'une caverne. Marie entra donc dans la caverne, qui fut toute remplie de lumière lorsqu'elle mit seule et sans douleurs son enfant au monde. Cependant, Joseph était sorti pour aller chercher du secours, et il ramena deux sages- femmes, la première nommée Zélomi et la seconde Salomé, en leur disant: Une vierge vient d'enfanter, et elle reste vierge. Zélomi vit la lumière céleste et crut à la parole de Joseph, parce qu'elle comprit qu'il avait parlé suivant l'Esprit du Seigneur. Mais Salomé fut incrédule, et parce qu'elle avait voulu toucher Marie, sa main et son coeur se desséchèrent. Marie alors eut pitié d'elle et lui dit: C'est ainsi -que la vaine curiésité dessèche ceux qui veulent juger des choses de l'esprit par le témoignage des Sens. Zélomi représente la foi, et toi tu représentes la raison; elle sait parce qu'elle croit, et toi tu ignores parce que tu doutes; elle est saine et agissante, et toi te voici malade et paralysée ; mais si tu embrasses mon enfant tu seras guérie, car tu 5

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deviendras simple comme lui si tu veux consentir à l'aimer. Salomé crut à la parole de la mère : elle se prosterna devant le petit enfant, le prit dans ses bras et le berça doucement en l'embrassant avec respect. Alors elle se sentit guérie, et elle s'attacha avec Zélomi au service de Marie et de Jésus. Jésus fut ensuite porté dans une étable et couché dans une crèche, comme on lit au livre des Évangiles, et les pauvres bergers des campagnes environnantes vinrent saluer cet enfant du peuple nouveau, dont la naissance faisait déjà trembler les rois de l'ancien monde.

CINQUIÈ ME LÉ GENDE. COMMENT L'ENFANT DU CHARPENTIER ADOUCISSAIT LE FIEL DES SERPENTS.

En ce temps-là le roi Hérode, ayant peur de l'enfant du pauvre ouvrier, fit massacrer tous les enfants de Bethléem. Car l'égoïsme usurpateur de la terre ne

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veut pas qu'il y ait place pour tout le monde, et il a mis la mort en sentinelle aux portes de la vie. Joseph alors fut forcé de s'enfuir avec Marie et son fils. Or, comme ils étaient sur les confins de la Judée, ils s'assirent à l'ombre, près d'une caverne près de laquelle aussi jouaient quelques enfants. Tout à coup deux énormes serpents sortirent en sifflant de la caverne, et les enfants se mirent à fuir en poussant de grands cris. Mais le petit enfant Jésus fit un signe, et les serpents s'arrêtèrent devant lui comme pour l'adorer, et vinrent en rampant lentement, comme s'ils se fussent assoupis, par degrés, poser leurs têtes aux pieds de sa mère. Joseph voulait alors les frapper de son M— ton. Mais Marie l'en empêcha, en lui disant Laissez-les vivre, car leur venin s'est changé en douceur, et du moment qu'ils ont cessé de nuire vous n'avez plus le droit de les faire mourir. Il est écrit de moi 'que la femme écrasera la

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tête du serpent : mais si le serpent pouvait cesse d'être méchant et d'empoisonner ses morsures pourquoi n'aurais—je pas pitié de lui comme de: autres êtres vivants ? Dieu n'a rien créé d'inutile, et lorsque toute les créatures seront dans l'ordre qui leur a étE assigné, elles cesseront de se nuire les unes au3 autres. N'est—il pas écrit que les dragons mêmes et les serpents de la terre doivent louer Dieu ? Ne détruisez pas , mais instruisez et dirigez les êtres vivants. Les enfants, qui avaient fui d'abord, voyant que les serpents ne faisaient point de mal à Jésus et à Marie, revinrent pas à pas et s'enhardirent enfin jusqu'à jouer avec ces reptiles, et les serpents se jouaient avec eux sans les blesser et sans s'irriter, car d'un seul regard de ses yeux si doux et d'un geste de sa main si tendre, Jésus les avait désarmés de tout leur venin et de toute leur colère. '

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SIXIÈME LÉGENDE. DU GRAND ET MERVEILLEUX TROUPEAU QUI SE RÉUNIT AUTOUR DE L'ENFANT DE LA CRÈCHE.

Lorsque Jésus, dans les bras de sa mère, traversait le désert pour aller en Egypte, les tigres et les lions sortirent de leurs antres et le suivirent ; les panthères se couchaient aux pieds de Marie pour lui servir de coussin lorsqu'elle se reposait ; les licornes creusaient la terre pour en faire jaillir des sources ; les léviathans lui prêtaient leur ombre; les cerfs et les gazelles se mêlaient sans crainte aux lions et aux tigres ; car Jésus venait donner la paix au monde et répandre sa douceur dans toute la nature. Cet innombrable troupeau de tous les animaux de la terre, symboles de toutes les passions humaines, marchait autour de la divine mère, et un petit enfant les conduisait.

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SEPTIÈME LÉGENDE.

LE PALMIER DU DÉSERT.

Ils vinrent dans une solitude où il n'y avait ni animaux vivants , ni sources , ni fontaines, et comme ils y cherchaient de l'ombre, ils ne trouvèrent qu'un seul palmier. Marie descendit de sa monture et vint s'asseoir à l' ombre de ce palmier, et voyant qu'il était chargé de fruits, elle dit à Joseph : — Je voudrais goûter de ces fruits, car la chaleur est excessive. Joseph lui répondit : — L'arbre est trop élevé, et je ne suis plus jeune. Jésus dit alors au palmier : Incline-toi et présente tes fruits à ma mère. Le palmier alors s'inclina et vint présenter ses fruits à la main de Marie, qui en cueillit et en offrit à Jésus et à Joseph. Puis, comme il restait ainsi replié sur sa tige et incliné, Jésus lui dit : Relève-toi Et le palmier se releva.

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Jésus lui dit — Donne-nous de l'eau de la source cachée qui alimente tes racines. Et aussitôt d'entre les racines du palmier une source limpide jaillit. Et Jésus dit encore au palmier : — Tu ne mourras point, et tu fructifieras de nouveau dans le jardin de mon père. Car toutes les créatures ont été données aux hommes pour leur usage, et ils doivent soumettre toute la nature par le travail ; alors ils diront aux montagnes : Aplanissez-vous, et les montagnes s'aplaniront ; et aux arbres : Donnez vos fruits, et les arbres s'inclineront ; et aux sources : Montez et jaillissez de la terre, et les sources monteront et jailliront; et les fils de la femme consoleront leur mère et lui diront : Repose-toi et rafratchistoi, car c'est pour te servir que la nature nous obéit. Un ange alors parut sur la cime du palmier ; il en cueillit une branche et reprit son essor vers le ciel pour replanter le palmier du désert dans les campagnes de l'avenir, qui sera le royaume de Dieu. Cette terre, où le génie de la fraternité accomplira les miracles du travail, où la mère ne sera

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plus la servante de ses enfants, où les justes ne seront plus exilés, où la vérité aura une patrie ; La terre alors ne sera plus une marâtre, parce qu'elle sera libre, et un antagonisme impie ne la forcera plus d'être stérile. L'homme alors disposera de la toute-puissance de Dieu, et il parlera à la nature, et la nature obéira. C'est ce qu'a voulu dire Jacques le Mineur, apôtre du saint Évangile, par cette légende du palmier.

HUITIÈME LÉGENDE. LES TROIS MALFAITEURS.



Nous avons écrit plus au long cette légende : la voici dans toute sa simplicité, et telle que nous la trouvons dans les évangiles de la SainteEnfance. La sainte famille du Sauveur, proscrit par Hérode, rencontra deux voleurs dans le désert. Ces voleurs se nommaient, selon les uns, Titus et

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Dumachus, selon d'autres, Dismas et Gestas, et nous avons suivi l'usage des Hébreux en les appelant, dans notre légende, Johanan et Oreb, c'està-dire le Miséricordieux et l'Homme de sang. L'un, c'était Oreb , voulut égorger la sainte famille. Mais Johanan s'y opposa, et, servant lui-même de guide aux trois voyageurs, il leur donna l'hospitalité dans sa caverne. Or, Dieu se souvint de la miséricorde et de l'hospitalité du voleur : Jésus, sur la croix, lui pardonna tous ses péchés et lui promit de lui donner à son tour le jour même l'hospitalité dans le ciel. Ainsi les pharisiens devaient un jour crucifier trois malfaiteurs, et parmi ces trois devaient se trouver le juste par excellence et le coupable repentant. Afin qu'on sache que la justice des hommes ne sera qu'un fléau tant qu'elle frappera pour punir et non pour guérir, que tout pécheur qui coopère à un arrêt de mort accepte peut-être la responsabilité du déicide. Vous tous donc qui êtes sans doute exempts de péché, puisque vous osez jeter la première pierre

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au coupable, souvenez-vous des trois malfaiteurs, et prenez garde de frapper au milieu ou à droite, quand vous voulez frapper à gauche 1

NEUVIÈME LÉGENDE.

COMMENT , A L'ARRIVÉE DU SAUVEUR EN ÉGYPTE , TOMBÈRENT LES IDOLES D'OR ET D'ARGENT , ET DES ÈTRES DÉPRAVÉS QUI MOURURENT.

Il est écrit dans les évangiles de l'Enfance et dans les chroniques anciennes qu'à la naissance du Sauveur plusieurs miracles s'étaient accomplis. Ainsi, premièrement, les oracles se turent à Delphes et par toute la terre, ce qui signifie que les anciennes religions avaient fait leur temps, et que le Verbe divin, ayant pénétré plus avant dans l'humanité et s'étant résumé en Jésus, les anciens oracles n'avaient plus rien à dire, si ce n'est pour lui rendre témoignage, comme il arriva en Egypte et ailleurs.

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Le second miracle symbolique de l'avénement du Sauveur fut la mort de tous les êtres dépravés qui outrageaient la nature dans l'égarement de leurs désirs ; ce qu'il faut entendre au moral seulement, parce que la pureté et la chasteté venaient de se révéler au monde et de réhabiliter la génération humaine. On ajoute aussi que toutes les eaux amères devinrent douces et potables, pour faire entendre que la doctrine de fraternité devait adoucir toutes les pensées et servir comme de rafratchissement aux âmes fatiguées de haine et de colère. Les anciens évangélistes disent encore que Jésus, lorsque ses parents se levèrent de dessous le palmier miraculeux de la légende précédente, leur abrégea le reste du voyage, et qu'ils se trouvèrent aux portes de Memphis ; alors toutes les idoles de l'Egypte tombèrent prosternées, et la statue d'Isis, laissant échapper de ses bras le simulacre d'Horus, descendit de son piédestal. Toutes ces images poétiques sont faciles à comprendre. La doctrine du Christ abrége, pour l'humanité, les longueurs de l'exil, les cultes sont finis dès qu'ils sont remplacés par un culte plus parfait, et les images confuses cèdent la place aux images plus

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exactes, comme ces dernières céderont enfin la place à la réalité.

DIXIÈME LÉGENDE. COMMENT, LORSQUE JÉSUS REVENAIT D'ÉGYPTE, LES CAPTIFS BRISÈRENT LEURS LIENS.

Les vérités naissantes ne trouvent d'asile assuré nulle part. Jésus avait dû quitter la Judée pour échapper aux soupçons meurtriers d'Hérode, et voilà que le ressentiment des prêtres allait le poursuivre en Égypte. Joseph apprit qu'Hérode était mort, et il partit avec Marie et son enfant pour revenir à Nazareth. On lit, au chapitre treizième de l'évangile de l'Enfance, un des plus anciens parmi les évangiles apocryphes, que la sainte famille, à son retour d'Égypte, passa près d'une caverne où des voleurs retenaient leurs captifs.

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A l'approche du saint enfant les voleurs crurent entendre le bruit d'une grande armée et les trompettes des hérauts qui annonçaient l'approche d'un grand roi : alors ils s'enfuirent épouvantés. Les captifs, demeurés seuls, brisèrent les liens les uns des autres et reprirent tout ce qui leur avait été dérobé; puis, sortant pour venir audevant du grand roi et de son armée, ils ne virent qu'un enfant, une jeune femme et un vieillard, et ils leur demandèrent : Où donc est le grand roi qui a épouvanté nos ennemis et nous a fait briser nos chatnes ? — Il vient après nous, répondit Joseph. En effet, l'idée chrétienne épouvante les voleurs du vieux monde. On ne les chasse pas, ils s'enfuient devant la lumière du christianisme qui s'avance, et les pauvres captifs brisent mutuellement leurs chalnes. Le grand roi et la grande armée que les voleurs ont entendus, c'est le peuple juste dont le règne doit venir après celui du christianisme symbolique, et c'est pourquoi Joseph disait : Il viendra après nous.

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Il est étrange de trouver de pareilles idées dans de si anciennes légendes. Mais nous savons que, dans l'humanité , le sentiment précède toujours la conception , et c'est pourquoi la religion se formule avant la philosophie. Les fables précèdent les dogmes, puis , aux dogmes succèdent les principes ; et c'est toujours la même vérité qui germe, fleurit et fructifie , en se développant successivement sous l'influence de ses différentes saisons.

oNziPmn LÉGENDE. LES APOLOGUES DE Là SAINTE-ENFANCE.

I JÉSUS ET LES PETITS OISEAU'.

Un jour, l'enfant Jésus se jouait avec d'autres enfants; ils faisaient des petits oiseaux avec de l'argile, et chacun préférait son ouvrage à celui des autres.

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Mais Jésus, ayant béni les petits oiseaux qu'il venait de faire, leur dit : Allez ! et ils s'envolèrent. Il en est ainsi des systèmes religieux aux époques de doute : chacun préfère le sien, mais le meilleur sera celui qui vivra. II JÉSUS ET L'ENFANT PRÉCIPITÉ.

Une autre fois, Jésus jouait encore sur une terrasse avec des enfants de son âge. L'un d'eux se laissa tomber du haut de cette terrasse et mourut. Ce que voyant, tous les autres s'enfuirent, excepté Jésus. Alors les parents de l'enfant mort accoururent avec de grands cris et accusaient Jésus de l'avoir précipité. Jésus , sans faire attention à leurs discours , descendit tranquillement, prit l'enfant par la main, et le ressuscita. C'est ainsi qu'on accuse l'idée chrétienne des maux qu'elle vient réparer.

- 80 III JÉSUS ET LE GIME DE BLÉ.

Un jour, l'enfant Jésus prit un grain de blé, et, l'ayant béni, il le mit en terre. Ce grain germa et produisit seul de quoi nourrir tous les pauvres du pays, et Joseph en eut encore de reste. Cette légende, rapportée par Thomas l'Israélite, semble être la première idée du miracle allégorique de la multiplication des pains. Le grain que Jésus a semé, c'est cette parole : Vous êtes frères, associez—vous. L'association centuplera les ressources de l'humanité, et l'on peut dire en vérité que le pain se multipliera.

DOUZIÈME LÉGENDE LA MORT DU GUIRPENTIER JOSEPH.

Quand vint le temps où le bon vieillard Joseph devait se reposer, ses facultés s'affaiblirent, sa

mémoire s'obscurcit et son intelligence baissa. Marie le soignait avec tendresse et patience, comme elle avait soigné son enfant. Vint le moment de l'agonie, et Joseph commença à se tourmenter , en disant : Malheur , malheur à moi ! car j'ai péché durant le cours de ma longue vie, et que deviendra ma pauvre âme si Dieu la juge avec rigueur ? Les terreurs de l'enfer m'assiégent. Malheur à moi, car j'ai beaucoup travaillé durant ma vie, et ma mort est pleine d'effroi. Jésus alors s'approcha du lit du malade, et lui dit : Joseph, mon père, homme juste et laborieux, repose en paix. L'enfer du pauvre travailleur est sur la terre, et comment Dieti pourrait—il , après une vie si pénible et si laborieuse , le tourmenter encore après sa mort ? Puis , levant les yeux, Jésus vit s'avancer les fantômes de la nuit éternelle, les squelettes aux yeux ardents, les démons horribles aux membres velus et monstrueux , les larves gémissantes et pâles, les griffons noirs aux ailes de chauve-souris, et l'enfer tout entier se mouvant sur des flots d'ombres épaisses comme la baleine de Jonas et 6

ouvrant une gueule immense comme pour engloutir le monde. Jésus souffla sur ces hideuses chimères, et elles s'évanouirent comme le souvenir d'un rêve. Et Joseph ne vit près de lui que Jésus et Marie qui soulevaient sa tête entre leurs mains et essuyaient la sueur gluée de son front, pendant que l'ange de la mort touchait ses yeux avec une branche do lis, dont le parfum semblait répandre sur tous ses traits le repos et le sourire éternels. Les anges de la foi, de l'espérance et de la charité reçurent son âme, et son corps fut rendu à la terre. Mais Jésus ordonna qu'il fût préservé de la corruption, car, dit-il, sa mort n'est qu'un sommeil en attendant que le règne des mauvais soit passé, , Alors viendra mon règne, celui de la justice et de la fraternité, et je me souviendrai de mon père, le vieux et courageux travailleur. Je le réveillerai de son sommeil de mort, et il viendra s'asseoir auprès de moi au banquet de la communion universelle. Que le tombeau lui soit donc comme la chrysalide pour l'insecte laborieux qui file son lincepl

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et attend une autre vie plus libre et plus brillante. Dors, Joseph, dors, pauvre ouvrier 1 Quand tu t'éveilleras, tu seras héritier du ciel, et, par le travail, tu pourras conquérir le monde.

TREIZIÈME LÉGENDE. LE SERMON SUR LA MONTAGNE.

Après que Jésus, dans une vision, eut repoussé du pied toutes les couronnes de la terre que lui • offrait le génie du mal à qui elles appartiennent, et qui lui proposait d'acheter la tyrannie au prix de la servitude, comme cela était dans la loi du vieux monde ; Après avoir triomphé de la faim, de l'orgueil et de l'ambition du pouvoir, Jésus, le conquérant pacifique, monte sur la montagne, et, entouré de pâtres et de pêcheurs, il commence son premier discours : Bienheureux ceux qui sont pauvres par l'esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient ! Ce qui voulait dire : Malheur aux esclaves de

la richesse égoïste, car ils n'amasseront qu'une misère éternelle ! Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre! C'est comme s'il disait Malheur à ceux qui veulent régner sur la terre par la violence, car le pouvoir leur échappera ! Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés! Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés! Pauvres et déshérités, espérez donc ! le christianisme vous ouvre la porte d'un heureux avenir! Bienheureux les miséricordieux, parce qu'ils obtiendront miséricorde ! Comprenons que cela veut dire aussi : Malheur aux hommes sans pitié, car il n'y aura pas de pitié pour eux ! Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu ! Dieu, c'est la vérité et la justice. Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés les fils de Dieu ! Un de nos poètes l'a dit : l'amour est plus fort que la guerre. La force brutale passera et s'usera,

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mais la raison calme et mattresse d'elle-même triomphera et prendra toujours une nouvelle puissance! Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, car le règne du ciel est à eux! C'est en pardonnant que les martyrs prouvent leur royauté. Qui persécute abdique, et qui souffre résiste. Résister, c'est pouvoir, et pouvoir, c'est régner. Je ne viens pas détruire, mais accomplir, disait encore le fils du charpentier, se déclarant ainsi l'initiateur du progrès: et ce qu'il disait alors au judaïsme nous pouvons le dire au catholicisme, nous, les hommes du progrès religieux ; nous, ses disciples et les continuateurs de son oeuvre! Si votre justice, disait-il, n'est pas plus abondante que celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux, et nous pouvons dire: Si vous n'êtes pas meilleurs et plus justes que les plus fervents de l'ancien monde et du moyen âge, vous n'entrerez pas dans l'association universelle du christianisme accompli. Le Christ a dit : Celui qui injuriera son frère méritera condamnation ; et nous disons : Celui

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qui n'aura pas pris soin de son frère, et qui aura traité comme un étranger un seul membre de la famille humaine, méritera d'être renié par la famille et aura part au jugement des fratricides. Le Christ a dit : Pardonnez toujours, et nous disons : Ne vous offensez même pas du mal qu'on peut vous faire. Les méchants sont des malades, soignez-les, et ne vous irritez pas contre eux. Il a dit : Songez, avant votre sacrifice, si votre frère n'a pas quelque chose contre vous, et allez vous réconcilier avec lui avant votre prière. Et nous disons : Avant de vous asseoir à table, demandez-vous si votre frère ne manque de rien ; portez d'abord une part de votre pain à celui qui en manque, puis venez vous asseoir au banquet de la communion, et Dieu vous reconnattra pour ses enfants. Il a dit : Celui qui abandonne sa femme est un adultère, et celui qui repousse sa compagne la pousse dans la prostitution. Et nous disons : Celui qui prostitue une femme, outrage sa mère, et celui qui marie sa fille pour de l'argent, vend sa fille, et celui qui achète ou vend une femme, la prostitue ; car l'essence du mariage, c'est l'a-

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mour (I), et des relations conjugales sans amour, c'est l'impureté. Le Christ a dit : Ne jurez point, mais que votre parole soit sacrée. Et nous disons : Pour que la parole soit sacrée, il faut qu'elle soit libre. Affranchissons ; ne fermons la bouche qu'au mensonge. Celui qui étouffe la parole vraie est un déicide. Condamner, ce n'est pas répondre. Persécuter une idée, c'est la sanctionner. Un homme intelligent qui parle hors de saison peut avoir tort, pour en juger il faut l'entendre. Celui qu'on force à se taire a toujours raison. Quant à la perversité et à la sottise, le bon sens lui-méme leur impose silence: Il a dit : Tends la joue gauche, si l'on te frappe sur la droite ; et si l'on te prend ta tunique, abandonne aussi ton manteau. Et nous disons à nos frères : Lorsqu'on vous a calomniés pour avoir dit vrai, exposez-vous encore à l'injustice, et quand vous aurez souffert l'injure et la calomnie, exposez-vous avec joie à la misère et à mourir dans le (i) Par amour nous n'entendons pas la loi physique des sexes ; l'amour, c'est l'absolu des sentiments et des affections humaines ; nos affections sont régies par la loi dritienne et doivent être une faenarcAfe.

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mépris. Plus vos ennemis vous frappent, plus ils s'affaiblissent ; plus vous souffrez, plus vous êtes forts. Le Christ a dit : Ne soyez pas hypocrites. Et nous disons : Rendez l'honnêteté possible pour tous, parlez moins de morale, et soyez moins infâmes. Soyez franchement et modestement des hommes, et ne cherchez pas à voiler les turpitudes de la brute sous les ailes d'un ange. Il a dit : On ne peut servir Dieu et l'argent. Et nous disons : La propriété ne se fait pas respecter, quand elle n'a pas pour origine le travail, et pour règle la fraternité dans l'association. Il a dit : Ne jugez point, et vous ne serez point jugés. Et nous disons : Opérez la transformation de la pénalité en hygiène morale, relevez celui qui tombe et ne le frappez pas ; donnez aux maladies morales des soins moraux, et non des châtiments impies ; ne tournez pas dans un cercle sanglant en punissant le. meurtre par le meurtre, car en agissant ainsi vous donnez une sorte de raison aux assassins et vous perpétuez une guerre de cannibales. Si vous voulez que l'homicide soit vraiment un crime, faites qu'il ne soit jamais un droit, et sou.

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venez-vous de ce condamné, qui disait : En assassinant, j'ai joué ma tête ; vous gagnez, je paie : nous sommes quittes. Et dans sa pensée, il ajoutait : Nous sommes égaux. Le Christ a dit : Cherchez d'abord le règne de Dieu et sa justice, et le reste vous sera ajouté par surcrott Et nous disons : Le règne de Dieu, ce n'est pas le règne de la famine pour Lazare et des orgies du mauvais riche. Le règne de Dieu, c'est le soleil pour tous, et la terre pour tous, c'est la fraternité du travail, c'est la prostitution rendue impossible par le respect de la femme, c'est l'échelle sociale accessible dans tous ses degrés au travail et au mérite de tous. C'est le travail pour tous ; c'est la famille pour tous, c'est la propriété pour tous, c'est la royauté de la raison, c'est le sacerdoce de l'amour, c'est la communion de chacun à tous et de tous à chacun, c'est l'unité divine et humaine, Dieu vivant dans l'humanité, le Christ ressuscité et vivant dans le grand corps du peuple chrétien, la liberté progressive et soumise à l'ordre, l'égalité relative dans l'ordre de la hiérarchie, et la fraternité distribuant tout à tous,

— on selon les lois de l'harmonie, qui est l'éterrtelle sagesse.

QUATORZIÈME LÉGENDE. QUELQUES PAROLES DE àsus-CHRIST QUI Ex SONT PAS DANS LESÉVANGILESCANONIQITESETQUINOUSONTÉTÉCONSERVÉES PAR LA TRADITION DES PREMIERS SIÈCLES.

Jésus était un jour avec ses disciples sur les confins de la Judée qui avoisinent le désert, et ils s'égarèrent dans les montagnes. Ils rencontrèrent un berger qui était couché à l'ombre d'un sycomore et lui demandèrent leur route. Le berger, qui était nonchalant, ne prit la peine ni de se lever, ni de leur répondre, mais étendit seulement le pied dans la direction où ils devaient aller, puis ne les regarda même plus. Comme ils s'en allaient, ils rencontrèrent une jeune fille qui revenait de la fontaine, portant sur sa tête une cruche d'eau: Ils lui demandèrent aussi leur chemin, et nonseulement la jeune fille le leur indiqua, mais, toute





chargée qu'elle était, elle se mit à marcher devant eux et ne les quitti qu'après les avoir remis dans leur mute. Maitre, dit saint Pierre, quelle sera la récompense de cette jeune fille si diligente et si charitable? — Elle épousera le berger paresseux, répondit Jésus. Et, comme les disciples étaient étonnés, il leur dit : Le bonheur de la femme est d'étre mère, et, lorsqu'elle sauve, par son amour, l'homme à qui elle fait partager ses propres vertus, elle est mère deux fois, car son époux, et l'enfant que lui donne son époux, ont également besoin d'elle. Tout sacrifice fait par amour augmente l'amour, et tout ce qui augmente l'amour augmente le bonheur. Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre. Alors Jean, le disciple bien-aimé, s'étant approché du Maitre, lui dit : Je crois à votre parole et je sais qu'il en sera ainsi dans votre royaume. Le bonheur du dévouement y sera le premier prix du sacrifice, et l'on y récompensera celui qui fera le bien en lui fournissant l'occasion de faire plus de bien encore.

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Mais dites-moi quand viendra votre règne, et à quel signe les hommes le reconhattront. Jésus répondit : Quand deux ne seront qu'un, quand ce qui est au dedans sera au dehors, et quand l'homme avec la femme ne seront plus ni homme ni femme; C'est-à-dire quand l'antagonisme aura cessé entre l'intelligence et l'amour, entre la raison et la foi, entre la liberté et l'obéissance ; Quand la pensée évangélique, qui est la fraternité, sera réalisée par les formes politiques et sociales; Et quand la femme sera la soeur pure et l'épouse bien-aimée de l'homme, devant la société comme devant Dieu, sans qu'il y ait d'antagonisme ou de rivalité entre les deux sexes. Cette parole, rapportée par le pape saint Clément, auteur contemporain des Apôtres, est tout le programme du renouvellement social opéré par l'idée chrétienne. Jésus dit encore : La vie est une banque; soyez d'habiles changeurs. Celui qui donne gagne plus que celui qui reçoit. Si donc vous tenez à vous enrichir, donnez.

QUINZIÈME LÉGENDE. LA DROITE ET LA GAUCHE DE JÉsus, LE THABOR ET LE DÉSERT, LE PEUPLE ORGANISÉ PAR GROUPES.

Jésus se révéla à ses trois disciples les plus intelligents, comme le centre de l'humanité, se plaçant, dans le passé, entre Moïse, l'homme d'ordre et de doctrine, et Élie, l'homme de la protestation et de la prophétie insoumise. Telle est la signification de cette transfiguration du Thabor où Pierre voulait bâtir trois tabernacles, un pour Moïse, un pour le Christ, et le troisième pour Élie : mais le temps de la synthèse n'était pas encore arrivé. N'oublions pas que les évangélistes ont mis en action toute la partie ésotérique ou cachée de l'Évangile, et que pour dire : Jésus éleva l'esprit de ses disciples à une grande hauteur et leur fit concevoir toute la vérité de sa doctrine, ils disent : Jésus les conduisit sur une montagne et, se transfigurant devant eux, il leur apparut tout resplendissant de lumière, en sorte que son visage était

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brillant comme le soleil, et ses vêtements éblouissants comme la neige. Jean et Jacques lui dirent alors : Maitre, faites-nous asseoir l'un à votre droite, l'autre à votre gauche, quand votre royaume sera venu. Jésus leur dit : Je puis vous donner part à mon calice et à mon baptême; mais de s'asseoir à ma droite ou à ma gauche, ce n'est point à moi de vous l'accorder, cette place étant réservée à ceux qui sont prédestinés de mon Père. Ainsi, Jésus attendait encore deux hommes pour compléter sa doctrine et achever son oeuvre : l'homme de la droite, c'est-à-dire l'homme d'ordre et d'organisation ; et l'homme de la gauche, c'est-à-dire l'homme d'expansion, d'amour et d'harmonie. Quant à l'organisation sociale, Jésus l'a sommairement indiquée dans la parabole de la multiplication des pains, où nous lisons que Jésus divisa le peuple par groupes de cent et de cinquante, secundum contubernia, selon qu'ils demeuraient ou pouvaient demeurer ensemble. Puis il partagea à tous les cinq pains et les deux poissons qui représentent la première avance de la pauvreté croyante à l'association, et l'association

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multiplia tellement ces faibles ressources que, de ce qui resta, on put emplir douze corbeilles. Ici, ce que nous affirmons sur le symbolisme des miracles évangéliques est assez prouvé par l'absurdité de la lettre et l'impossibilité matérielle du fait, comme le docteur Strauss s'est donné trop de peine à le démontrer. Mais le sens de la parabole est admirable, la parabole est nécessaire quand la vérité est dangereuse ou inutile à dévoiler. Aussi Jésus avait—il dit : J'ai encore beaucoup de choses à vous enseigner, mais vous ne pourriez pas les porter à présent. L'esprit d'intelligence viendra et vous enseignera la vérité tout en— tière. D'abord tout le vieux monde devait s'en aller en dissolution et périr; puis cet esprit devait ve— nir et renouveler la face de la terre. Nous sommes peut—être à l'heure de la disso— lution universelle, mais nous rassurons notre coeur et nous espérons : car, sur les rtiines, nous voyons déjà planer la céleste colombe, et le souffle de la révélation renouvelée soulève déjà les nua— ges de l'Orient.

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SEIZIÈME LÉGENDE.

CE QUE C'EST QUE LI COMMUNION.

Pour montrer que tous ont droit au pain qui nourrit et au vin qui fortifie, Jésus, parlant au nom de l'humanité, a dit du pain : Ceci est ma chair, et du vin : Ceci est mon sang. Et le pain est vraiment la chair de l'humanité, comme le vin est véritablement le sang de ceux qui en boivent; car le pain renouvelle la chair, et le vin réchauffe le sang. Or, Jésus, parlant au nom de l'humanité même, a dit : Le pain que j'ai conquis par mes travaux et par ma mort, c'est ma chair, et je la donne à tous, afin que tous en mangent ; le vin est à moi, c'est mon sang, et je le répandrai pour tous, afin que tous en boivent et vivent de ma vie. C'est ainsi que le Christ constituait l'unité divine et humaine, en lui donnant pour base la communion du pain et du vin, à laquelle tous sont appelés de la part de Dieu et qu'on ne peut efuser à personne.

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Ainsi, celui qui prive injustement son frère de sa part à la communion du pain, déchire et s'approprie un lambeau de la chair du Christ ; il mange ainsi ce qui devait être la chair de son frère, et par cette anthropophagie déicide, au lieu de communier avec l'humanité, il communie avec ses bourreaux. Mais pour que la communion du pain soit possible en réalité et sans figures, il faut qu'il n'y ait plus de paresseux. « Celui qui ne travaille pas ne doit pas manger. » Et pour que la communion du vin ne soit pas un désordre, il faut qu'il n'y ait plus d'ivrognes. Avis au peuple !

DIX-SEPTIÈME LÉGENDE. LE JUGEMENT DE JÉSUS.

Nous ne répéterons pas ici les faits rapportés par les quatre évangélistes, parce qu'ils sont connus de tout le monde. Le grand drame de la passion est, depuis dixhuit siècles et demi, le jugement écrit des prêtres

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et des rois la sanglante condammation'des lois du vieux monde, et la protestation immortelle des condamnés contre une société déicide. Un seul des évangiles apocryphes ou secrets, celui de Nicodème; ajoute au récit des quatre quelques circonstance très—remarquables ; les voici»: • Lorsque Nate fit entrer Jésus dans le prétoire pearrinterroger, les aigles de Rome et lesimages des dieux que portaient lés vexillairess'inclinèrent delles—mêMes devant le rci de l'avenir. Les Juifs irrités s'écrièrent : César est trahi. Voici qu'on rend à cet homme les honneurs de l'empire. Pilate lui—même fut étonné, et demanda aux vexillaires ce que signifiait ce qui venait d'arriver : ceux-ci protestèrent que c' était contre leur volonté, et qu'ils n'y pouvaient rien. Pilate fit venir les hommes les plus robustes du prétoire et les plus hostiles à Jésus (car ce furent eux qui, une heure plus tard, le flagellèrent et le couronnèrent d'épines), puis il leur confia les enseignes, en leur recommandant de les tenir ferme; et les simulacres divins s'inclinèrent une seconde fois devant Jésus, à la vue de tout le monde, et

9(t— fut fut prouvé que la force des hommes ne peut .. rien contre lé changement des idées, et pie les signes religieux les mieux protégés par' le pouvoir• ?

tombent d'eux-mêmes et s'inclinent devant les symboles proscrits que le progrès révèle, protestent contre le jugement des hommes et sympathisent avec l'agonie des martyrs. Jésus fut donc interrogé en secret par Pilate, puis il fut ramené devant les Juifs, et ses accusateurs furent entendus ; c'étaient, comme on sait, les princes des prêtres, les anciens du peuple, les pharisiens', les scribes et les docteurs, c'est-à-dire tout ce qu'il y avait de considérable et de respecté dans la nation juive. Pilate demanda s'il n'y avait pas aussi quelques témoins à décharge. D'abord, il se fit un grand silence' , car les rares amis de Jésus avaient peur. Enfin Zachée, le publicain, éleva timidement la voix pour dire que Jésus avait bu et mangé dans sa Maison, puis lui avait touché le coeur par la sagesse de ses discours. Les rires et les huées de la foule ne le laissèrent pas achever, car les publicains étaient regardés comme des hommes infâmes, et les pharisiens firent valoir le témoignage de Zachée comme une preuve de plus coutre Jésus.

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• e• Après Zachée, ce fut une femme toute éplorée qui se jeta aux pieds du proconsul; on ne lui laissa pas même proférer une seule parole : un cri de réprobation s'éleva de toute la foule: C'est Magdeleine la prostituée, c'est celle qui répand sur les pieds de ce vagabond les parfums précieux qu'elle paie de sa personne ; elle est digne de lui, et il n'est pas indigne d'elle ! Anathème sur les infâmes! Cependant, l'aveugle de Jéricho venait de percer la foule et criait en étendant les mains pour se faire écouter : J'étais né aveugle, et Jésus m'a rendu la vue ! — C'est un raca ! crièrent les prêtres; ne l'écoutez pas, il ne mérite aucune croyance : nous l'avons chassé de la Synagogue. — J'étais mort, et il m'a ressuscité, dit alors un homme de Béthanie nommé Lazare. — Pilate et les Romains se mirent à rire : les Juifs sadducéens poussèrent des cris sauvages, et Lazare fut chassé par les licteurs. Alors une dame riche et considérée s'avança et dit : Je suis veuve, je me nomme Séraphia, et j'étais affligée d'un flux de sang qui me faisait lentement mourir.

-Un jour, Jésus passait, accompagné d'une foule de pauvres qu'il instruisait, de femmes du peuple qu'il consolait, et de malades qu'il avait guéris. Je m'approchai de lui sans rien dire, et je touchai seulement la frange de son vêtement : alors, je fus frappée de vénération et d'épouvante, car je me sentais guérie. A ces paroles, les Juifs commencèrent à murmurer; toutefois ils contenaient leurs clameurs, parce que Séraphia était riche et généralement respectée. Pilate alors prit la parole et dit : Faites retirer cette dame, elle ne peut être admise à témoigner dans cette affaire, car, selon vos lois, qui sont celles de tout l'Orient, le témoignage d'une femme est nul en justice. Après Séraphia, personne n'osa plus élever la voix en faveur de Jésus ; ceux qu'on regardait comme les honnêtes gens l'accusaient, et il n'avait pour le défendre que des personnes sans aveu, des gens suspects de lèpre ou de débauche, de la populace et des femmes. Il fut donc condamné, et l'on ne trouva pas d'expression pour résumer ses crimes ; on écrivit par dérision : C'est le roi des Juifs.

— in(2 tSéraphia, qui fut depuis nommée V,éronique, voyant que son témoignage n'avait pu sauver son Sauveur, alla en pleurant l'attendre au passage lorsqu'il sortait de la ville, chargé de sa croix, et malgré les cris des bourreaux et les bourrades des soldats, elle. s'approcha ,çle lui et lui essuya le vi– sage avec un linge fin qui garda r empreinte san– glante des traits de Jésus. Et les' martyrs des premiers siècles n'eurent point d'autre image de leur maitre que les traces de sang qui marquaient la place des traits de Jésus sur le linge de Séraphia.

DIX-HUITIÈME LÉGENDE. PIERRE ET JEAN.

Jésus avait un disciple peu intelligent, mais dont il se savait aimé, et qui croyait vaillamment en lui. C'était le caractère simple et ardent du travailleur ; il avait toutes les vertus et tous les défauts du peuple, aussiprompt au découragement qu'à l'entreprise, mais, au demeurant, toujours

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ami idesonenatire et disposé Ittonmer sa vie pour lui. .Ce disciple était un homme du port, nommé Simon. Jésusale prit pour le type vivant du travail courageux, .et lui dit : Tu es la pierre sur laquelle je a rai mon association (ecclesiara), et les portes (t) de l'enfer, c'est-à-dire les puissances de ce anende, ne prévaudront jamais contre elle. La pierre brute qui a été rejeléée par les -architectes de la société présente deviendra la pierre angulaire d'-une société nouvelle: je te 'donnerai les dés du royaume de t'intelligence et de l'amour, qui est le royaume des cieux, et c'est toi qui réaliseras les volontés de Dieu sur la terre. Ceux-lit seuls seront enchalnés , que tu tuchalneras, et ceux-là seront 'libres, que tu auras délivrés, car tu es l'homme du travail, et' je te Fais mon représentant devant revenir. L'Église , avant la venue de l'esprit d'intelligence, a cru voir dans ces paroles la consécration du pouvoir absolu et infaillible des papes, et un Alexandre VI s'est prétendu l'héritier légitime des promesses faites à Pierre, l'homme de foi, le ,

,

,

(4) g Porte » veut dire « puissante, gouvernement, » ete., dans Je style oriental. On dit encore « la porte ottomane » pour désigner le gouvernement turc.

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travailleur et le martyr. Toutefois, les premiers papes n'étaient que les représentants du peuple devant Dieu, et, pour cela même, de Dieu devant le peuple, puisque c'était le peuple qui les choisissait; et c'est pour cela que les grands pontifes des beaux temps du catholicisme ont été des tribuns qui résistaient aux empereurs, châtiaient les crimes des grands, et défendaient les peuples contre les vices de leurs maîtres. Tant que la papauté a régné, elle a été sainte; la corruption pour elle devait être la déchéance. Quand tu seras vieux, dit Jésus à Pierre, un autre te ceindra et te fera aller où tu ne voudras pas. Triste tableau de la servitude temporelle où est tombée la papauté déchue ! Cependant, la papauté est un principe, c'est la première monarchie chrétienne, et le christianisme ne se régénérera point sans elle. L'apôtre Pierre fut jusqu'au bout l'image du génie laborieux et méconnu ; on le crucifia comme son maitre, et on lui mit la tête en bas, tant les bourreaux avaient peur de le voir debout. Jésus le lui avait miraculeusement prédit, à ce que raconte la légende, car lorsque Pierre sortait de Rome pour fuir la persécution de Néron, le Sau-

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veur lui apparut, portant sa croix, et lui dit : Je vais à Rome, où je dois être crucifié une seconde fois. Pierre comprit que le christianisme devait conquérir sa délivrance par le martyre, il retourna donc sur ses pas et revint mourir. Jésus avait un autre disciple qui est appelé le disciple de l'amour, et qu'on représente toujours jeune parce que, suivant la légende, il ne devait pas mourir. Jean est l'évangéliste de la synthèse, et il rattache au christianisme tout le génie de Platon, dans la philosophie du Verbe. Jésus avait résumé toute la loi en deux paroles : Aimez Dieu, aimez—vous les uns les autres. Saint Jean fait tenir l'amour de Dieu dans l'amour du prochain, et affirme que personne n'a jamais vu Dieu, mais que nous voyons les hommes, et qu'en eux nous devons aimer la divinité qui les anime. Aimer Dieu dans l'humanité, telle est donc toute la ; notre siècle, en adoptant cette formule, n'a fait que résumer la doctrine de saint Jean. Saint Paul dit que la foi et l'espérance passeront, mais que la charité ne passera point. Cette parole est la promesse du règne de la fraternité, et c'est parce que l'avenir appartient à l'amour que le personnage mystique de saint Jean est sup-



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posé immortel par les légendaires. Il dormait, disait—on, dans son cercueil, et son souffle agitait doucement la poussière de sa tombe. Il attendait le retour de son maître, semblable aux vierges sages qui ont eu soin de se pourvoir de l'huile de la charité pour rallumer leur lampe, quand il plaira à Dieu de se manifester de nou— veau. On disait en effet qu'une huile merveilleuse suintait du tombeau de saint Jean et rendait la santé aux malades. C'est ainsi que la légende fait suite à l'Evangile et en adopte les images, comme l'Evangile reproduit, enlesexpliquant, les grandes figures de la Bible. Mais dans tout l'ensemble des livres sacrés et de la tradition mystique, un apôtre prend soin de nous en prévenir, la lettre tue, et l'esprit vivifie. C'est pourquoi, lorsque les cultes doivent mourir, ils se matérialisent en s'attachant à la lettre de la parole, et l'esprit leur échappe en agrandissant son expansion, comme l'homme fait abandonne les vêtements de son enfance. Le signe caractéristique de saint Jean, le dernier des évangélistes, est un aigle, symbole de liberté, d'intelligence et de souveraineté, parce que le règne de l'amour, en facilitant le progrès, doit rendre tous les hommes affranchis pour leur tra—

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vail et leur vertu, tour i tour, files aînés .de faar mille humaine, prêtres, rois et propriétaire du utonde .

Fecisti nos reps et sacerdotes «t regnabimus super terra,m. Vous nous avez fait prêtres et rois, et nous re . gnerous sur la terre. (Sainit JEAN.) C'est pour cela que, dans ces derniers temps, l'aigle a reparu dans le monde. C'est pour cela que la guerre ne sera que la préparation de l'empire universel. Le véritable empire, c'est la paix ; l'aigle vainqueur se reposera sur le tonnerre et fixera le soleil. Ce ne sera plus l'aigle du conquérant, ce sera l'aigle de l'évangéliste. l

DIX-NEUVIÈME LÉGENDE. LA VISION WAASWERUS.

Marche I avait dit le Juif Aaswerus au Christ accablé sous sa croix. Marche 1 lui a répondu

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le Sauveur du monde, jusqu'à ce que je revienne ici, et que je te dise : Repose-toi! Depuis ce temps, Aaswerus fait sans cesse le tour du monde ; et tous les ans, vers la Pâque, il revient où fut sa maison maudite, pour voir s'il n'y rencontrera pas Jésus. 11 marche, il marche, il arrive, brisé, haletant, prêt à tomber mort de fatigue ; il arrive, et ne trouve personne. 11 lève les yeux et voit dans le ciel toujours implacable une main qui lui montre l'Occident ! Marche ! lui crie une voix qui semble être un éternel écho de la sienne au jour du crime, et le vieil Aaswerus courbe la tête ; le sanglot de délivrance qui se gonflait déjà dans son coeur retombe silencieux et sans larmes ; il recommence son voyage éternel. A l'époque où les croisés prirent Jérusalem, le Juif Errant avait entendu dire que le Christ était revenu sur la montagne sainte ; il n'y trouva qu'un prêtre entouré de soldats. — Un Juif! un Juif! crièrent quelques hommes aux mains sanglantes... Marche ! marche ! dirent les soldats en frappant le vieillard de leurs bâtons et en l'aiguillonnant avec la pointe de leurs lances. --

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Aaswerus secoua la tête et se remit en route au milieu des malédictions de la foule. Hélas ! murmura-t-il, la croix ne peut encore m'absoudre, puisqu'elle n'a pas encore enseigné le pardon à ses défenseurs ! Les hommes ne l'adorent que comme un instrument de supplice et un souvenir de vengeance ! Les insensés, ils veulent venger celui qui les sauvait en pardonnant, et ils ne sentent pas qu'ils se condamnent eux-mêmes en anéantissant le pardon de l'Homme-Dieu! Ils ne savent pas que la persécution exercée par des chrétiens est le reniement des martyrs et la réhabilitation de leurs bourreaux ! Aussi, lorsque Aaswerus rencontra depuis les Juifs persécutés par les chrétiens, il les engageait à mourir plutôt que d'abjurer les croyances de leurs pères, et lui-même, son bâton séculaire à la main, la barbe et les cheveux hérissés au vent, il les conduisait d'exil en exil 1... Et pourtant mieux que personne il comprenait que Jésus est le fils unique de Dieu ! Plus tard, il vit tomber les croix et se dresser les échafauds, il entendit parler de la sainte guillotine, et n'en fut pas étonné ; les inquisiteurs n'avaient-ils pas inauguré déjà les fêtes de la

— 41Ô — mort au nom 'dé la Croix sainte? Le culte était lé même, et l'autel seul était changé. On Parlait alors aussi d'humanité et de progrès; c'était juste : la haché est plus expéditive et moins crliéllé que le sanglant pilori du Golgotha. Il vit ensuite recommencer rés sbiânitéi dit Veau d'or : depuis longtemps, il sait comment se terminent de pareilles orgies, et quand on lui demande: Que fait à cette heure le fils du charpentier ?'— il répond, en branlant la tête : Un cercueil! Car il sent que le temps est proche, et sa marche semble se ralentir; il regardé à son tour le siééle qui passe et les événements qui se précipitent. Le jour où le successeur de Pierre tomba pour s'être appuyé sur un sceptre, et sortit de la ville éte'râefie maudit et exilé à son tour, Aaswerus entra: dans le Vatican désert, et, le coude appuyé sui; l siége vide des papes, il laissa tomber sa tête sur sa main et parut sommeiller un instant. Il revit en songe la campagne de Jérusalem, revêtue de sa fertilité première ; la vigne aux gigantesques raisins de la Terre promise, les oliviers, chargés de fruits, couvraient les collines,

— lit — et les vallées étaient pleines de lauriers-roses et de rosiers en fleurs. La montagne de Moria était couverte d'un peuple innombrable , formé des députés de tons les peuples de la terre, et sur la cime du mont sacré s'élevait un autel immense. Au milieu de l'autel, montait jusqu'aux nuages un gigantesque chandelier d'or, surmonté d'un soleil radieux, et au milieu de ce soleil apparaissait, blanche et transparente, la divine hostie du sacrifice de l'amour, la synthèse du froment, le symbole de l'unité divine et humaine, le pain de l'union sociale et de la communion universelle. Devant l'autel', un vieillard était debout, tenant' d'une main un pain blanc et léger, semblable à celui de l'ostensoir, et de l'autre main un calice. Une musique céleste se fit entendre, et du front de toutes les phalanges s'élevèrent des nuages d'encens. Plusieurs hommes, revêtus d'habits splendides, apportèrent une table qu'ils couvrirent d'un linge blanc. L'un de ces hommes portait le costume des souverains pontifes de la loi chrétienne, un autre, celui du chef dés imans, un téoisième était vêtu

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— comme les grands-prêtres de la loi judaïque, un quatrième portait les ornements du grand Lama, et tous les quatre agissaient et priaient de concert, et semblaient s'aimer comme des frères. C'était le jour où le Christ sbrtit autrefois du tombeau, et déjà plus de deux mille fois le monde en avait célébré l'anniversaire, mais aucun n'avait été aussi splendidement solennel que celui-là. La musique cessa ; le silence se fit dans la foule, et tous les yeux se tournèrent vers l'Occident. Alors, on vit paraître un autre vieillard, dont les cheveux et la barbe couvraient la poitrine et les épaules; il jeta son bâton de voyage, se redressa avec un long soupir et se laissa revêtir d'une robe blanche en levant vers le ciel des yeux pleins de larmes. Il regarda l'hostie, et s'écria en pleurant : C'est lui! Il regarda le prêtre qui, choisi par le suffrage de tous, faisait, ce jour-là, l'office de pontife universel, et répéta : C'est lui! Il regarda la foule silencieuse et recueillie, et étendit les bras en action.de grâces, en disant encore : C'est lui ! c'est lui vivant dans tous, c'est lui seul partout et toujours! Alors, le prêtre du peuple descendit de l'autel,

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Int siége fut placé devant la Table sainte, sur laquelle on déposa l'hostie et Id calice, et le pasteur dit , en s'adressant au vieillard : Repose-toi , Aaswerus ! Puis, les pontifes de tous les cultes passés vinrent, après le sacrificateur de l'association universelle, donner le baiser de paix à la barbe blanche du maudit réconcilié. Puis, tous se tenant debout autour de la table, communièrent avec lui. . Aaswerus alors se sentit vivre d'une vie nouvelle, il lui sembla qu'il était lui-même le Christ et que, rompant lui-même des pains qui se multipliaient sur la Table sainte, il les partageait à la multitude. Ainsi finit le rève du Juif Errant; un bruit d'armes et des cris d'angoisse le réveillèrent : c'étaient les brigands des nations qui se partageaient la ville sainte. Il sortit du palais des papes qui chancelait sur des tombeaux entr'ouverts, et se remit en marche pour continuer le tour du monde que, peut-être bientôt, il ne recommencera plus. Ne le plaignez pas, vous tous qui le rencontrerez courbé, haletant et poudreux ; il est plus heu-

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reux que tous les grands politiques de notre sièdle et que les derniers' rois de ce monde ; il sait où il va.

VINGTIÈME LÉGENDE. LE RÈGNE DU MESSIE.

Lorsque l'esprit d'intelligence se sera répandu sur la terre, il viendra un temps où l'esprit de l'Evangile sera la lumière des nations. On comprendra que le principe de la puissance est la souveraine raison, comme il est dit au commencement, si longtemps mal compris, de l'évangile selon saint Jean. Alors, le Christ renattra tous les jours, non plus symboliquement sur les autels, mais réellement et corporellement sur toute la surface de la terre. N'a-t-il pas dit que le moindre d'entre nous c'est lui ? Ainsi, alors la naissance de tout enfant sera un Noël, et tous les hommes respecteront le Sauveur les uns dans les autres. Le Christ alors ne sera plus seulement pauvre,

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affamé , proscrit , sans épouse et sans enfants , poursuivi et crucifié ; il sera riche comme Job après son épreuve, il sera dans l'abondance de toutes choses, il sera époux, il sera père, il régnera et pardonnera souverainement à ceux qui l'auront persécuté. Car, un jour, toutes les nations ne seront qu'une nation, tous les trônes seront soumis à un seul trône, et sur ce trône s'asseoira un juste qui aura l'esprit de Jésus—Christ, et qui sera ainsi Jésus— Christ lui-même. comme nous pouvons tous être lui, lorsqu'il est en nous. Ce roi réconciliera l'Orient avec l'Occident et le Nord avec le Midi. Il donnera aux peuples la vraie liberté, parce qu'il rendra inébranlables les bases de la justice. En réprimant la licence, il supprimera la misère. Tous auront le droit et les moyens de bien faire ; nul n'aura le droit de s'abrutir et d'être vicieux. La pénalité sera remplacée par l'hygiène mo-; rale, les coupables seront regardés comme des malades et soumis au traitement des aliénés. La grande expiation de la Croix suffit à toutes les offenses humaines, et supprimera un jour l'écha«

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faud, devenu exécrable du moment qu'il est inutile. On n'accordera plus d'existence Mena. l'erreur, car le vrai seul existe, et le mensonge est fugitif comme le rêve. Il n'y aura donc plus qu'une religion dans le monde, et le pontife universel déclarera, du haut de la suprême autorité, que les juifs, les mahométans, les bouddhistes, etc., sont des chrétiens mal instruits, dont il est le chef et le père. Il les bénira et les convoquera au grand concile des nations. Il ouvrira pour eux le trésor inépuisable des indulgences et des prières, et donnera réellement et en vérité sa bénédiction à la ville et au monde. Ce sera alors l'époque du retour de l'enfant prodigue ; il n'a plus rien, mais son frère lui prêtera, et il travaillera pour reconquérir sa richesse. Ce sera l'heure où les vierges folles, ayant enfin de l'huile dans leurs lampes, reviendront frapper à la porte, et si l'époux refuse de leur ouvrir, les vierges sages leur tendront la main et les feront entrer par la fenêtre; car le dernier mot du chris tianisme, c'est solidarité, reversibilité , charité universelle ; et je vous dis en vérité qu'il n'est pas un saint dans le ciel qui ne soit prêt à des-

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cendre dans l'enfer, pour en délivrer les pauvres âmes,falltit-il ensuite y rester seul à leur place et en fermer à jamais les portes sur lui. Concevezvous un ciel superposé à un enfer ? un banquet éternel en face d'un éternel bicher, une maison de paix et de prières sur une cave pleine de sanglots et de tortures? Un seul rêve doit remplir le sommeil éternel de chaque juste : la délivrance d'un réprouvé; et si ce rêve était sans espérance, il deviendrait un cauchemar, plus terrible que les supplices mêmes de l'enfer. C'est ainsi que les gnostiques, c'est-à-dire ceux qui savaient, en d'autres termes, les initiés du christianisme primitif, interprétaient les oracles rendus par l'esprit de Jésus-Christ ; ils furent suivis par les disciples d'Origène , mais l'Eglise les condamna, et eut raison de les condamner, car ils divulguaient les doctrines secrètes et profanaient les mystères du Mattre. Il ne faut pas, en exagérant l'espérance du vulgaire, ôter à la loi sa sanction terrible, et le dogme de l'éternité de l'enfer n'exprime, après tout, que le divorce éternel entre le bien et le mal. Les apocryphes, c'est le côté révolutionnaire de l'esprit de Jésus ; son côté hiérarchique, édifiant

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et constituant, appartient de droit à l'Église enseignante, dont il ne nous appartient pas d'usurper les fonctions. A la suite de ces légendes si naïvement orientales, nous pourrions ranger les récits, évidemment symboliques, de la légende dorée, les actes apocryphes des apôtres, l'histoire du géant Christophore plié en deux sous le poids mystérieux d'un enfant, le martyre de sainte Foi, de sainte Espérance et de sainte Charité, et tant d'autres inspirées par le même esprit et toutes brillantes des mêmes merveilleuses couleurs. Un souffle d'inspiration nouvelle avait passé sur le monde, et ce souffle était celui de Jésus-Christ. Ce qui distingue les évangiles apocryphes des évangiles canoniques, c'est peut-être plus d'audace dans les fictions et moins de prudence dans l'indication des tendances révolutionnaires et radicales; mais c'est partout le même génie émancipateur du pauvre, protecteur du faible, la mêmetendresse maternelle pour les orphelins de la société, la même foi, humaine parce qu'elle est divine , et divine parce qu'elle est humaine. Les histoires merveilleuses varient, parce que la forme de la parabole

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est arbitraire. C'est l'esprit seul qui vivifie. Ces histoires, d'ailleurs, sont essentiellement juives, et on peut les comparer avec les apologues du Talmud; on peut les taxer d'un mysticisme et d'un idéalisme exagérés ; mais quels rêves magnifiques, si on les prend seulement pour des rêves ! Ce sont des photographies d'aspirations collectives; ce sont les • parabolesposthumes de Jésus, revivant tout entier dans ses disciples; ce sont les oracles, non pas des tables tournantes, mais des tables eucharistiques, et voilà comment les esprits divins parlent après leur mort, si tant est qu'ils puissent mourir. Mais non, les grandes pensées ne meurent pas et n'ont pas besoin, pour se transmettrè, de coups frappés contre les murs. Elles remuent les âmes et non les meubles, elles frappent les coeurs et non les pierres ou les planches ; elles sont comme des arbres qui jettent leur semence et reproduisent des forêts. En vain, on veut les captiver et les circonscrire, elles ont une séve qui fait éclater les barrières et qui renverse les prisons; elles courent comme l'incendie dans les bois morts. Ne cher• chez plus Jésus dans le tombeau où les prêtres l'avaient mis, il est ressuscité; il n'est plus ici, ne cherchez pas le vivant parmi les morts !

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Que nous veulent donc ces larves et ces vampires qui, dans des cercles de prétendus spirites, essaient d'amoindrir l'Homme-Dieu ! Qu'avonsnous à faire d'un Jésus sans divinité et sans miracles ? Ses plus grands miracles ne sont-ils pas ceux de son esprit ? Voulez-vous écrire son histoire ? Écrivez l'histoire du monde transfiguré par son génie. Sa vie, c'est sa doctrine, et sa doctrine vit encore. Je vous donne un Jésus de marbre, a dit Renan. Eh! qu'avons-nous affaire de votre marbre ? nous avons un Jésus d'esprit et de chair , son esprit est partout. Sa chair palpite dans la poitrine innocente de nos enfants, son sang réchauffe et rajeunit le coeur de nos vieillards. Philosophe de marbre , gardez votre statue sans âme, et laissez-nous notre Homme-Dieu ! Alfred de Vigny a écrit que la légende est souvent plus vraie que l'histoire, parce que la légende raconte, non les actes souvent incomplets et avortés, mais le génie même des grands hommes et des nations. C'est à l'Evangile surtout qu'il faut rapporter cette belle pensée. L'Evangile n'est pas simplement le récit de ce qui a été, c'est la révélation sublime de ce qui est et de ce qui sera tou-

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jours. Toujours le Sauveur du monde sera adoré par les rois de l'intelligence, figurés par les mages; toujours il multipliera le pain eucharistique, pour nourrir et consoler les âmes; toujours, quand nous l'invoquerons dans la nuit et dans la tempête, il viendra à nous en marchant sur les flots, il nous tendra la main et il nous sauvera en nous faisant passer sur la tête des vagues; toujours il guérira nos langueurs et rendra la lumière à nos yeux; toujours il apparaftra à ses croyants lumineux et transfiguré sur le Thabor, expliquant la loi de Moïse et réglant le zèle d'Élie. Les miracles de l'Éternel sont éternels. Admettre le symbolisme des merveilles de l'Evangile, c'est en agrandir la lumière, c'est en proclamer l'universalité et la durée. Non, ces choses ne se sont point passées telles qu'on les raconte, elles ne se passeront jamais, elles restent éternellement. Les choses qui se passent sont des accidents qui passent, les choses que le génie divin révèle par le symbolisme sont d'immuables vérités. Lisez les Pères des premiers siècles, passez aux grandes époques du christianisme, écoutez saint

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Augustin aspirant à l'infini, et saint Jérôme songeant au ciel, au bruit de l'empire romain qui s'écroule ; écoutez tonner l'éloquence de saint Jean Chrysostome et de saint Ambroise, puis redescendez de là aux divagations spirites de M. Home, ou aux élucubrations panthéistiques d'Allan Kardec , vous sourirez de pitié et de dégoût. Eh quoi, la mort serait une amère déception ! Les réalités de l'autre vie seraient la dérision de nos aspirations en celle—ci ! Le vrai paradis serait moins resplendissant que celui du Dante, et le véritable enfer moins terrible que son enfer ! Quoi, les esprits désincarnés se promèneraient comme ceux de Swedenborg avec des chapeaux sur la tête, et viendraient obséder les vivants pour leur faire écrire des pauvretés ! Mais vous ne voyez donc pas que l'enfer du moyen âge avec ses horreurs grandioses serait préférable à cette ridicule déchéance des âmes! Que Dieu me torture s'il existe un dieu capable de me torturer, mais qu'il ne me rende pas idiot. J'aimerais mieux le diable et ses cornes que les maisons de Victorien Sardou construites en clefs de sol et en pattes de mouches, et que ces fleurs idéales écloses sous le crayon

— 43 — des Medium, et qui ressemblent à des pustules de lèpre vues au microscope. Réveillez—vous, pauvres spirites, vous ne sentez donc pas que vous avez le cauchemar?

SECONDE PARTIE

ESPRITSHYPOTHÉTIQUES ou THÉ ORIES DES KABBALISTES SUR LES ANGES, LES DÉ MONS, ET LES ÂMES DES MORTS.

Sur les choses que notre science en cette vie ne saurait atteindre on ne peut raisonner que par hypothèses. L'humanité ne peut rien savoir de surhumain, puisque le surhumain est ce qui dépasse la portée de l'homme ; les phénomènes de décomposition qui accompagnent la mort semblent protester au nom de la science contre ce besoin inné de croire à une autre vie qui a enfanté tant de rêves. La science cependant doit tenir compte de ce besoin, car la nature, qui ne fait rien d'inutile, ne donne pas aux êtres des besoins qui ne doivent pas être satisfaits. La science donc, forcée

d'ignorer, doit supposer au moins l'existence de choses qu'elle ne connaît pas, et ne saurait mettre en doute la continuation de la vie après le phé— nomène de la mort, puisque rien de brusquement interrompu ne se fait remarquer dans le grand oeuvre de la nature qui; suivant la philosophie d'Hermès, n'agit jamais par soubresauts. Les choses qui sont au-delà de cette vie peuvent être supposées de deux manières, ou par les calculs del'analogie, ou parles intuitions de l'extase; en d'autres termes, par la raison ou par la folie. Les sages de la Judée avaient choisi la raison, et ils nous ont laissé dans des livres généralement ignorés leurs magnifiques hypothèses. En les lisant, on comprend tout d'abord que nos croyances en sont sorties comme des fragments inexpliqués, et que l'absurdité apparente de nos dogmes disparaît lorsqu'on les complète par les grandes raisons de ces vieux maîtres. On est étonné aussi d'y trouver réalisées et terminées philosophiquement toutes les aspirations les plus belles et les plus grandioses de notre poésie moderne. Goethe avait étudié la Kabbale, et l'épopée de Faust est sortie des doctrines du Sohar. Swedenborg, SaintSimon et Fourier semblent avoir vu la divine

synthèse kabbalistique à travers les ombres et les hallucinations d'un cauchemar plus ou moins étrange, suivant les différents caractères de ces rêveurs. Cette synthèse est en réalité ce que la pensée humaine peut aborder de plus complet et de plus beau. Les livres qui traitent des esprits suivant les kabbalistes sont la Pneumatica kabbalistica qui se trouve dans le Kabbala denudata du baron de Rosenroth, le Liber de revolutionibus animarum par Isaac de Loria, le Sepher Druschim, le livre de Mosché de Corduero; et quelques autres moins célèbres. Nous en donnons ici, non pas l'abrégé seulement , mais en quelque manière la quintessence. Nous y avons joint les trente-huit dogmes kabbalistiques, tels qu'on peut les voir dans la collection des kabbalistes publiée par Pistorius. Ces dogmes résument à peu près toute la science, et si nous nous sommes contenté d'y joindre une rapide explication, c'est que dans nos précédents ouvrages nous avons développé la science dont ces dogmes sont l'expression.

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CHAPITRE ler UNITÉ ET SOLIDARITÉ DES ESPRITS.

Suivant les kabbalistes, Dieu crée éternellement le grand Adam, l'homme universel et complet, qui renferme dans un seul esprit tous les esprits et toutes les âmes. Les esprits vivent donc à la fois de deux vies, l'une générale, qui leur est commune à tous, et l'autre spéciale et particulière. La solidarité et la reversibilité chez les esprits tient donc à ce qu'ils vivent réellement les uns dans les autres, illuminés tous des lumières d'un seul, affligés tous à cause des ténèbres d'un seul. Le grand Adam était figuré par l'arbre de vie, il s'étend au—dessus et en dessous de la terre en branches et en racines; le tronc c'est l'humanité, les diverses races sont les branches, et les individus innombrables sont des feuilles. Chaque feuille a sa forme, sa vie particulière et sa part de séve, mais elle ne vit que par la

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branche, comme la branche ne vit elle-même que par le tronc. Les méchants sont les feuilles sèches et les écorces mortes de l'arbre. Ils tombent, se corrompent et se changent en fumier qui retourne à l'arbre par les racines. Les kabbalistes comparent encore les méchants ou les réprouvés aux excrétions du grand corps de l'humanité. Ces excrétions servent de fumier à la terre qui donne des fruits pour nourrir le corps ; ainsi la mort retourne toujours à la vie, et le mal même sert au renouvellement et à la nourriture du bien. La mort ainsi n'existe pas, et l'homme ne sort jamais de la vie universelle. Ceux que nous appelons morts vivent encore en nous, et nous vivons en eux; ils sont sur la terre parce que nous y sommes, et nous sommes dans le ciel parce qu'ils y sont. Plus on vit dans les autres, moins on doit craindre de mourir. Notre vie, après là mort, se prolonge sur la terre en ceux que nous aimons, et nous puisons dans le ciel pour la leur donner la sérénité et la paix.

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La communion des esprits du ciel à la terre et de la terre au ciel se fait naturellement sans trou— ble et sans prodiges ; l'intelligence universelle est comme la lumière du soleil, qui se repose à la fois sur tous les astres, et que les astres se renvoient pour s'éclairer les uns les autres pendant la nuit. Les saints et les anges n'ont pas besoin de paroles ni de bruit pour se faire entendre; ils pensent dans notre pensée et ils aiment dans notre coeur. Le bien qu'ils n'ont pas eu le temps d'accomplir, ils nous le suggèrent et nous le faisons pour eux, ils en jouissent en nous, et nous en partageons avec eux la récompense, car les récom— penses de l'esprit s'agrandissent lorsqu'on les par— tage, et ce qu'on donne à un autre, on le double en soi-même. Les saints souffrent et travaillent en nous, et ils ne seront heureux que quand l'humanité tout entière sera heureuse, puisqu'ils font partie de l'indivisible humanité. L'humanité a dans le ciel une tête qui rayonne et qui sourit, sur la terre un corps qui travaille et qui souffre, et dans l'enfer, qui pour nos sages

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n'est qu'un purgatoire, des pieds qui sont enchaînés et qui brûlent. Or, la tête d'un corps dont les pieds brûlent ne peut sourire qu'à force de courage, de résignation et d'espérance ; la tête ne peut être joyeuse quand lu pieds brûlent. Nous sommes tous les membres d'un même corps, et 1 homme qui cherche à supplanter et à détruire un autre homme ressemble à la main droite qui, par jalousie, chercherait à couper la main gauche. Celui qui tue se tue, celui qui injurie s'injurie, celui qui vole se vole, celui qui blesse se blesse, car les autres sont en nous et nous sommes en eux. Les riches s'ennuient , se haïssent entre eux M se dégoûtent de la vie ; leur richesse même les torture et les accable, parce qu'il y a des pauvres qui manquent de pain. Les ennuis des riches sont les angoisses des pauvres qui souffrent en eux. Dieu exerce sa justice par l'intermédiaire de la nature, et sa miséricorde par l'entremise de ses élus. Si tu mets ta main au feu, la nature tebrûlera sans pitié; mais un homme charitable pourra

panser et guérir ta brûlure.

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La loi est inflexible, mais la charité est sans bornes. La loi damne, mais la charité pardonne. Par lui-même, le gouffre ne rend jamais sa proie, mais on peut y jeter une corde à celui qui s'est laissé tomber.

CHAPITRE II. LA TRANSITION DES ESPRITS OU LE MYSTÈRE DE Là MORT.

Quand l'homme s'endort du dernier sommeil, il tombe d'abord dans une sorte de rêve avant de se réveiller de l'autre côté de la vie. Chacun voit alors dans un beau songe ou dans un terrible cauchemar le paradis ou l'enfer auxquels il a cru pendant son existence mortelle. C'est pour cela que souvent l'âme épouvantée se rejette violemment dans la vie qu'elle vient de quitter, et que des morts, bien morts lorsqu'en les a ensevelis, se réveillent 'vivants sous la tombe.

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L'âme alors, n'osant plus mourir, se consume en efforts inouïs pour conserver la vie en quel— que sorte légumineuse de son cadavre. Elle aspire pendant leur sommeil la vigueur fluidique des vivants et la transmet au corps enterré dont les cheveux poussent comme une herbe vénéneuse et dont un sang rouge colore les lèvres. Ces morts sont devenus des vampires; ils vivent conservés par une maladie posthume qui a sa crise comme les autres, et qui finit par des convulsions horribles pendant lesquelles le vam— pire, pour tâcher de s'anéantir lui-même, se dévore les bras et les mains. Les personnes sujettes au cauchemar peuvent se faire une idée de l'horreur des visions in— fernales. Ces visions sont le châtiment d'une croyance atroce et assiègent surtout les croyants superstitieux et les ascètes fanatiques : l'imagination s'est créé des tourmenteurs, et ces mons— tres, dans le délire qui suit la mort, apparaissent à l'âme avec une effroyable réalité, l'entourent, l'attaquent, et la déchirent en cherchant à la dévorer. Le sage, au contraire, est accueilli par des

03 visions heureuses, il croit voir ses amis d'autrefois venir au devant de lui et lui sourire. Mais tout cela, avons-nous dit, n'est qu'un rêve, et l'âme ne tarde pas à se réveiller. Alors elle a changé de milieu, elle est audessus de l'atmosphère qui s'est solidifiée sous les pieds de son enveloppe devenue plus légère. Cette enveloppe est plus ou moins lourde, il en est qui ne peuvent s'élever au-dessus de leur nouveau sol; il en est d'autres au contraire qui montent et planent à volonté dans l'espace comme des aigles. Mais des liens de sympathie les rattachent toujours à la terre sur laquelle ils ont vécu, et sur laquelle ils se sentent vivre plus que jamais, parce que, le corps qui les isolait étant détruit, ils ont conscience de la vie universelle et prennent part aux joies et aux souffrances de tous les hommes Ils voient Dieu tel qu'il est, c'est-à-dire présent partout dans la justesse infinie des lois de la nature, dans la justice qui triomphe toujours à travers tout ce qui arrive, et dans la charité infinie qui est la communion des élus. Ils souffrent,

avons-nous dit, mais ils espèrent parcé qu'ils

— 434 aiMent, et ils se trouvent heureux de souffrir. Ils !Murent paisiblement la douce amertume du sacrifice et sont les membres glorieux, mais saignants toujours, de la grande victime éternelle. Les esprits créés à l'image et à la ressemblance de Dieu sont créateurs comme lui, mais, comme lui, ils ne peuvent créer que leurs images. Les volontés audacieuses et déréglées produisent des larves et des fantômes, l'imagination a le pouvoir de former des coagulations aériennes et électromagnétiques qui reflètent un instant les pensées, et surtout les erreurs de l'homme ou du cercle d'hommes qui les met au monde. Ces créations d'avortons excentriques épuisent la raison et la vie de ceux qui les font naître, et ont pour caractère général la stupidité et la malfaisance, parce qu'elles sont les tristes fruits de la volonté déréglée. Ceux qui n'ont pas cultivé leur intelligence pendant leur existence restent, après la mort, clans un état de torpeur et d'engourdissement plein d'angoisses et d'inquiétude; ils ont peine à reprendre conscience d'eux-mêmes, ils sont dans le vide et dans la nuit, ne pouvant ni monter, ni descendre, et incapables de correspondre soit avec

le ciel, soit avec la terre. Ils sont tirés peu à peu de cet état par les élus qui les instruisent, les consolent et les éclairent , puis ils obtiennent d'être admis à de nouvelles épreuves dont la nature nous est inconnue, car il est impossible que le même homme renaisse deux fois sur la même terre. Une feuille d'arbre, une fois tombée, ne se rattache plus à la branche. Là chenille devient papillon, mais le papillon ne redevient jamais chenille. La nature ferme les portes derrière tout ce qui passe et pousse la vie en avant. Le même morceau de pain ne saurait être mangé et digéré deux fois. Les formes passent, la pensée reste et ne reprend plus ce qu'elle a usé une fois.

CHAPITRE III. DE LA HIÉRA,RCHIE ET DE LtA CLASSIFICATION DES ESPRITS.

Il existe des esprits élevés, il en est d'inférieurs, ii en existe aussi des médiocres.

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Parmi les esprits élevés, on peut distinguer aussi les plus élevés, les moins élevés, et ceux qui tiennent le milieu. Il en est de même pour les esprits médiocres et pour les esprits inférieurs. Ceci nous donne trois classes et neuf catégories pour les esprits. Cette hiérarchie naturelle des hommes a fait supposer par analogie les trois rangs et les neuf chœurs des anges, puis, par inversion, les trois cercles et lffl neuf degrés de l'enfer. Voici ce que nous lisons dans une ancienne Clavicule de Salomon, traduite pour la première fois de l'hébreu Je te donnerai maintenant la clé du royaume des esprits. Cette clé est la même que celle des nombres mystérieux de Jézirah. Les esprits sont régis par la hiérarchie naturelle et universelle des choses. Trois commandent à trois par le moyen de trois. Il y a lffl esprits d'en haut, ceux d'en bas, et ceux du milieu ; puis, si vous retournez l'échelle sainte, si vous creusez au lieu de monter, vous

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trouvez la contre-hiérarchie des écorces ou des esprits morts. Sache seulement que les principautés du ciel, les vertus et les puissances ne sont pas des personnes, mais des dignités. Ce sont les degrés de l'échelle sainte le long de laquelle montent et deséendent les esprits. Michaël, Gabriel, Raphaël et les autres ne sont pas des noms, mais des titres. Le premier des nombres, c'est un. La première des conceptions divines nommées Sehiroth, c'est Keter ou la couronne. La première catégorie des esprits est celle d'Hajoth Haccadosch ou es ilntelligences du tétragramme divin dont les lettres sont figurées dans la prophétie d'Ézéchiel par des animaux mystérieux. Leur empire est celui de l'unité et de la synthèse. Ils correspondent à l'intelligence. Ils ont pour adversaires les Thamiel ou bicéphales, démons de la révolte et de l'anarchie, dont les deux chefs toujours en guerre l'un contre l'autre sont Satan et Moloch.

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. Le second nombre est deux, la seconde Séphire est Chocmah ou la sagesse. Les esprits de sagesse sont les Ophamin, nom qui .signifie les roues, parce que tout fonctionne dans le ciel comme d'immenses rouages semés d'étoiles. Leur empire est celui de l'harmonie. Ils correspondent à la raison. Ils ont pour adversaires les Chaigidel ou les écorces qui s'attachent aux apparences matérielles et mensongères. Leur chef ou plutôt leur guide, car les mauvais esprits n'obéissent à personne, est Béelzébub, dont le nom signifie le Dieu des mouches, parce que les mouches fourmillent Sur les cadavres en putréfaction. Le troisième nombre est trois. La troisième Séphire est BINAll ou l'intelligence. Les esprits de Binah sont les Aralim ou les forts. Leur empire est la création des idées; ils correspondent à l'activité et It l'énergie de la pensée. Ils ont pour adversaires les Satarifl ou vélateurs, démons de l'absurdité, de l'inertie intellectuelle et du mystère. Le chef des Satariel est Lueifuge, appelé fans-

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gement et par antiphrase Lucifer, comme les Euménides, qui sont les furies, sont appelées en grec les Gracieuses. Le quatrième nombre est quatre; la quatrième Séphire est GÉDULAH ou Chesed, la magnificence ou la bonté. Les esprits de Gédulah sont les Haschmalim ou les lucides. Leur empire est celui de la bienfaisance; ils correspondent à l'imagination. Ils ont pour adversaires les Gamchicoth ou les perturbateurs des tiThes. Le chef ou le guide de ces démons est Astaroth ou Astarté, la Vénus impure des Syriens , qu'on représente avec une tête d'âne ou de taureau et des mamelles de femme. Le cinquième nombre est cinq, la cinquième Séphire est GÉBURAH ou la justice. Les esprits de Géburah sont les Séraphim ou les esprits brillants de zèle. . Leur empire est celui du châtiment des crimes. Ils 'correspondent à la faculté de comparer et de choisir. Ils ont pour adversaires les Galab ou incendiaires, génies de la colère et des séditions, dont

_ 440 — le chef est Asmodée, qu'on appelle aussi le Sanzaël noir. Le sixième nombre est six ; la sixième Séphire est TIPHERETH, la suprême beauté. Les esprits de Tiphereth sont les Malachim ou les rois. Leur empire est celui de l'harmonie universelle. Ils correspondent au jugement. Ils ont pour adversaires les Tagaririm ou les disputeurs, dont le chef est Belphégor. Le septième nombre est sept ; la septième Séphire est NETSAH OU la victoire ; les esprits de Netsah sont les Eloïm ou les dieux, c'est-à-dire les représentants de Dieu. Leur empire est celui du progrès et de la vie; ils correspondent au sensorium ou à la sensibilité. Ils ont pour adversaires les Harab-Sérapel ou les corbeaux de la mort, dont le chef est Baal. Le huitième nombre est huit; la huitième Séphire est HOD ou l'ordre éternel; les esprits de Hod sont les Beni-Eloïm ou les fils des dieux. Leur empire est celui de l'ordre; ils correspondent au sens intime; ils ont pour adversaires les

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Samoa ou les batailleurs, dont le chef est Adramelech. Le neuvième nombre est neuf ; la neuvième Séphire est Jésod ou le principe fondamental. Les esprits de Jésod sont les Chérubim ou les anges, puissances qui fécondent la terre et qu'on représente dans le symbolisme hébreu sous la figure de taureaux. Leur empire est celui de la fécondité. Ils correspondent aux idées vraies. Ils ont pour adversaires les Gamaliel ou les obscènes, dont la reine Lilith est le démon des avortements. Le dixième.nombre est dix; la dixième Séphire est MALcatrœ ou le royaume des formes. Les esprits de Malchuth sont les ischim ou les virils, ce sont les âmes des saints, dont le chef est Moïse (I ). Ils ont pour adversaires les méchants qui obéissent à Nahéma, le démon de l'impureté. Les méchants sont figurés par les cinq peuples maudits que Josué devait détruire. (1) N'oublions pas que c'est Salomon qui parle.

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Josué ou Jéhosua le sauveur est la figure du Messie. Son nom se compose des lettres du tétragramme divin changé en pentagramme par l'addition de la lettre Schin entirp. Chaque lettre de ce pentagramme représente une puissance du bien attaquée par un des cinq peuples maudits. Car l'histoire réelle du peuple de Dieu est la légende allégorique de l'humanité. Les cinq peuples maudits sont les Amalécites ou les agresseurs, — les Géburim ou les violents, — les Baphdim ou les lâches, — les Néphilim ou les voluptueux, — et les Anacim ou les anarchistes. Les anarchistes sont vaincus par le Jod, qui est le sceptre du père. Les violents sont vaincus par le He, qui est la douceur de la mère. Les lâches sont vaincus par le Vau, qui est le glaive de Michaël et la génération par le travail et la douleur. Les voluptueux sont vaincus par le second He, qui est l'enfantement douloureux de la mère.

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Les agresseurs enfin sont vaincus par le Schin, qui est le feu du Seigneur et la loi équilibrante de la justice. Les princes des esprits pervers sont les faux dieux qu'ils adorent. L'enfer n'a donc d'autre gouvernement que la loi fatale qui punit la perversité et qui corrige l'erreur, car les faux dieux n'existent que dans l'opinion fausse de leurs adorateurs. Baal, Belphégor, Moloch, Adramelech ont été les idoles des Syriens; idoles sans âme, idoles maintenant anéanties et dont le nom seul est resté. Le vrai Dieu a vaincu tous ces démons comme la vérité triomphe de l'erreur. Cela s'est passé dans l'opinion des hommes, et les guerres de Michaël contre Satan sont des figures du mouvement et du progrès des esprits. Le diable est toujours un dieu de rebut. Les idolâtries accréditées sont des religions dans leur temps. Les idolâtries surannées sont des superstitions et des sacriléges. Le panthéon des fantômes à la mode, c'est le ciel des ignorants.

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L'égout des fantômes dont la folie même ne veut plus, c'est l'enfer. Mais tout cela n'existe que dans l'imagination du vulgaire. Pour les sages, le ciel c'est la suprême raison, et l'enfer c'est la folie. On comprend que nous employons ici le mot ciel dans le sens mystique qu'on lui donne en l'opposant au mot enfer. Pôur évoquer les fantômes, il suffit de s'enivrer ou de se rendre fou. Les fantômes sont les compagnons de l'ivresse et du vertige. Le phosphore de l'imagination abandonnée à tous les caprices des nerfs surexcités et malades se remplit de monstres et de visions absurdes. On arrive aussi à l'hallucination en mêlant la veille au sommeil par l'usage gradué des excitants et des narcotiques ; mais de pareilles oeuvres sont des crimes contre nature. La sagesse chasse les fantômes et nous fait communiquer avec les esprits supérieurs par la contemplation des lois de la nature et l'étude des nombres sacrés.)) Ici le roi Schlomoh s'adresse à son fils Roboam.

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Souviens—toi , mon fils Roboam , que la crainte d'Adonaï n'est que le commencement de la sagesse. « Maintiens et conserve ceux qui n'ont pas l'intelligence dans la crainte d'Adonaï , qui te donnera et te conservera ma couronne. « Mais apprends à triompher toi-même de la crainte par la sagesse, et les esprits descendront du ciel pour te servir. « Moi, Salomon, ton père, roi d'Israël et. de Palmyre, j'ai recherché et obtenu en partage la sainte Chocmah qui est la sagesse d'Adonaï. « Et je suis devenu le roi des esprits tant du ciel que de la terre, le maître des habitants de l'air et des âmes vivantes de la mer, parce que je possédais la clé des portes occultes de la lumière. « J'ai accompli de grandes choses par la vertu du Schéma Hamphorasch et par les trente—deux voies de Jézirah. « Le nombre, le poids et la mesure déterminent la forme des choses : la substance est une, et Dieu la crée éternellement. « Heureux celui qui connaît les lettres et les nombres. IO

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« Les lettres sont des nombres, et les nombres des Idées, et les idées des forces, et les forces des Eloïm. La synthèse des Eloïm, c'est le Schéma. « Le Schéma est un, ses colonnes sont deux, sa puissance est trois, sa forme est quatre, son reflet donne huit, qui multiplié par trois vous donne les vingt—quatre trônes de la sagesse. « Sur chaque trône repose une couronne à trois fleurons, chaque fleuron porte un nom, chaque nom est une idée absolue. Il y a soixante—douze noms sur les vingt-quatre couronnes du Schéma. « Tu écriras ces noms sur trente-six talismans, deux sur chaque talisman, un sur chaque côté. « Tu diviseras ces talismans en quatre séries de neuf chacune, suivant le nombre des lettres du Schéma. « Sur la Première série tu graveras la lettre Jod figurée par la verge fleurie d'Aaron, sur la seconde la lettre lie, figurée par la coupe de Joseph. « Sur la troisième, le Vau figuré par l'épée de David, mon père. « Et sur la quatrième, le lie final, figuré par le sicle d'or. « Les trente—six talismans seront un livre qui contiendra tous les secrets de la nature. Et par

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leurs diverses combinaisons tu feras parler les génies et les anges. » (Ici s'arrête le fragment de la Clavicule de Salomon.)

CHAPITRE IV. LES DOGMES KABBALISTIQUES (tirés de la collection des Kabbalistes de Pistorius).

Novera sont hierarchice. Neuf est le nombre hiérarchique.

C'est ce que nous avons expliqué dans le chapitre précédent. t

Schema misericordiam dicit , sed et judicium. Le nom divin signifie miséricorde, parce qu'il veut dire jugement.

L'infini, exerçant sa puissance sur le fini, doit nécessairement punir pour corriger et non pour se venger. Les forces du péché n'excèdent pas celles du pécheur, et si le châtiment était plus grand que l'offense, le punisseur devenu bour-

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reau serait le véritable criminel, tout à fait inex— cusable et digne seulement lui-même d'un éter— nel supplice. Le torturé outre mesure, agrandi par l'infini de la peine, deviendrait Dieu, et c'est ce que les anciens ont figuré par Prométhée qu'immortalisent les morsures de son vautour et qui doit détrôner Jupiter.

Peccatum Adœ fuit truncatio Malchuth ab arbore sephirotica. Le péché d'Adam, c'est Malchuth tombé de l'arbre . séphirotique.

Pour avoir une existence personnelle et indépendante, l'homme a dû se détacher de Dieu. C'est ce qui arrive à la naissance. Un enfant qui vient au monde est un esprit qui se détache du sein de Dieu pour venir goûter le fruit de l'arbre de la science et jouir de la liberté. C'est pourquoi Dieu lui donne une tunique de chair. Il est condamné à mort par sa naissance même qui est son péché; mais, par ce péché qui l'émancipe, il force Dieu à le racheter É il devient le conquérant de la véritable vie qui n'existe pas sans la liberté.

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Cm arbore peccati Deus creavit seculum. L'arbre du péché a été l'instrument de la création du monde.



Les passions de l'homme l'excitent au combat de la vie ; mais elles l'entraîneraient à sa perte s'il n'avait pas la raison pour les vaincre et les asservir. C'est ainsi que se crée en lui la vertu qui est la force morale, et les tentations sont nécessaires pour cela. Car la force ne se produit qu'en raison de la résistance. C'est ainsi que, suivant le Sohar, Dieu pour créer le relatif a fait un trou dans l'absolu. Le temps semble une lacune dans l'éternité, et il est dit dans la Bible que Dieu se repentit d'avoir fait l'homme. Or, on ne se repent que d'une faute, et la création est pour ainsi dire le péché de Dieu même.

Magnus aquilo fora est animarum. Le grand aquilon est la source des times.

La vie a besoin de chaleur. Les peuples émigrent du nord au midi, et les aines inertes ont soif d'activité. C'est peur trouver cette activité

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qu'elles viennent au monde. Elles ont froid dans leur inaction primitive, car leur création est inachevée. L'homme doit coopérer à sa créa— tion. Dieu le commence, mais lui—même il doit se finir. S'il ne devait ni nattre, ni mourir, il dormirait absorbé dans l'éternité de Dieu, et ne serait jamais le conquérant de sa propre iIIIE110Etalité. Ccelum est Keter. Le ciel est Keter (la Couronne).

Les kabbalistes n'ont pas de nom pour dési— gner le monarque suprême, ils ne parlent que de la couronne qui prouve l'existence du roi, et disent ici que cette couronne c'est le ciel.

Anime a tertio lumine ad quartam descendunt, inde ad quintam ascendunt. Dies unus. Post mortem noctem subintrant. Les âmes filles de la troisième lumière descendent jusqu'à la quatrième, puis elles s'élèvent à la cinquième, et c'est un jour. Quand la mort arrive, c'est la nuit.

En Dieu comme dans l'humanité, le nombre trois exprime la génération, l'amour; c'est la

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troisième personne ou conception divine, c'est ce que le kabbaliste veut exprimer par cette troisième lumière, d'où descendent les âmes pour arriver à la quatrième, qui est la vie naturelle et élémentaire. De là elles doivent s'élever à cinq qui est l'étoile pentagrammatique, le symbole de la quintessence, le symbole de la volonté qui dirige les éléments. Puis il compare une existence à un jour suivi d'une nuit pour faire pressentir un réveil suivi d'une existence nouvelle. tit Ses dies geneseos sunt ses littere Bereschith. Les six jours de la Genèse sont les six lettres du mot Il'ettne0

e Paradisus est arbor Sephiricus. In medio magnus Adam est Tiphereth. Le paradis, c'est l'arbre Séphirique ; le grand Adam qu. est au milieu est Tiphereth.

Quatuor flumina ex uno fonte. ln media unius sunt ses et dat decem. Les quatre sources d'Éden sortent d'une source au milieu de laquelle il y en a six, et le tout donne dix.

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Ces trois articles signifient que l'histoire du paradis terrestre est une allégorie. Le paradis terrestre, c'est la vérité sur la terre. La description que donne la Bible de ce jardin contient les nombres sacrés de la Kabbale. L'histoire de la création du monde, qui précède la description d'Eden, est moins un récit qu'un symbole exprimant les lois éternelles de la création, dont le résumé est contenu dans les six lettres hiéroglyphiques du mot rrtmen. 11

Factum fatum quia fatum verbum est. Un fait est une fatalité, parce qu'une fatalité est une raison.

Une raison suprême dirige tout, et il n'y a point de fatalité : tout ce qui est devait être. Tout ce qui arrive doit arriver. Un fait accompli est irrévocable comme le destin; mais le destin, c'est la raison de l'intelligence suprême. 1* Portce jubilceum sunt. Les portes sont un jubilé.

Il y a cinquante portes de la science suivant les kabbalistes, c'est—à—dire une classification

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générale en cinq séries de dix sciences particulières formant ensemble la science générale et universelle. Lorsqu'on a parcouru toutes ces séries, on entre dans la jubilation du vrai savoir, figurée par le grand jubilé qui a lieu tous les cinquante ans. 111

Abraham semper vert itur ad austrum. Abraham se tourne toujours vers le vent du midi.

C'est-à-dire vers le vent qui amène la pluie. Les doctrines d'Abraham, c'est-à-dire de la Kabbalah, sont des doctrines toujours fécondes. Israël est le peuple des idées réelles et du travail productif. Conservant le dépôt de la vérité souffrante avec une admirable patience, travaillant avec une rare sagacité et une infatigable industrie, le peuple de Dieu doit faire la conquête du monde. 14

Per additicmem He Abraham genuit. C'est par l'addition de He qu'Abraham est devenu père.

Abraham se nommait d'abord Abram. Dieu ajouta, dit la Bible, un He à son nom en lui

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annonçant qu'il serait le père de la multitude. Le He est la lettre féminine du tétragramme divin. Il représente le verbe et sa fécondité, il est le signe hiéroglyphique de la réalisation. Le dogme d'Abraham est absolu, et son prinCipe est essentiellement réalisateur. Les juifs en religion ne rêvent pas, ils pensent, et leur action tend toujours à la multiplication, tant de la famille que des richesses qui entretiennent la famille et lui permettent de s'augmenter.

za Omnes ante Mosem per unicornem prophetaverunt. Tous les prophètes qui sont venus avant Moïse n'ont juré que par la licorne.

C'est—à—dire n'ont vu qu'un côté de la vérité. La corne, dans le symbolisme hébreu, signifie la puissance, et surtout la puissance de la pensée. La licorne, animal fabuleux qui n'a qu'une corne au milieu du front, est la figure de l'idéal ; le taureau au contraire ou le chérub est le symbole de la force qui est dans la réalité. C'est pour cela que Jupiter Ammon, Osiris, Isis, sont représentés avec deux cornes au front; c'est pour cela

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que Moïse est aussi figuré avec deux cornes, dont l'une est la trompette du Verbe et l'autre la corne d'abondance. as Mas et fcemina sunt Tiphereth et Malchuth. L'homme et la femme sont la beauté de Dieu et son royaume.

La beauté révèle Dieu. La nature se montre fille de Dieu, parce qu'elle est belle. On a dit que le beau est la splendeur du vrai, et cette splendeur éclaire le monde, elle est sa raison d'être. Ce beau, c'est l'idéal, mais cet idéal n'est vrai qu'autant qu'il se réalise. L'idéal divin est comme le mari de la nature, c'est lui qui la rend amoureuse et qui la fait devenir mère. 17 Copula cum Tiphereth et generatio tua benedicetur. Épouse la suprême beauté, et ta génération sera bénie.

Si le mariage est saint, la postérité sera sainte. Les enfants naissent vicieux, lorsqu'ils sont conçus dans le péché. Il faut relever et ennoblir l'amour pour sanctifier le mariage. Si les êtres humains en se rapprochant cèdent à un instinct qui leur est commun avec les animaux, ils enfan-

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teront des animaux à forme humaine. Le vrai mariage unit à la fois les âmes, les esprits et les corps, et les enfants qui en proviennent seront bénis. iS Dcemon est Deus inversus. Le diable, c'est Dieu retourné.

Le diable n'est que l'antithèse de Dieu, et s'il pouvait avoir une existence réelle, Dieu certainement n'existerait pas. Le diable est menteur comme son père, a dit Jésus. Or, quel est le père du diable? Le père du diable, c'est le mensonge. Le diable nie ce que Dieu affirme. La conséquence de cela, c'est que Dieu nie ce que le diable ose affirmer. Le diable affirme sa propre existence, et Dieu, en faisant toujours triompher le bien, donne à Satan un démenti éternel. 19

Duo erunt unum. Quod intra est fiet extra et nox sicut dies illuminabitur. Deux ne feront qu'un. Ce qui est au dedans se produira au dehors, et la nuit sera éclairée comme le jour.

Dieu et la nature, l'autorité et la liberté, la foi et la raison, la religion et la science, sont des

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principes éternels qu'on n'est pas encore parvenu à concilier. Ils existent pourtant, et puisqu'ils ne peuvent s'entre—détruire, il faut bien qu'ils se concilient. Le moyen de les concilier, c'est de les bien distinguer et de les équilibrer l'un par l'autre. L'ombre est nécessaire à la lumière. Ce sont les nuits qui marquent et mesurent les jours. Que la femme ne cherche pas à se faire homme et que l'homme n'usurpe jamais l'empire de la femme, mais que tous deux ils s'unissent pour se compléter. Plus la femme reste femme, plus elle mérite l'amour de l'homme; plus l'homme est homme, plus il inspire de confiance à la femme. La raison, c'est l'homme; la foi, c'est la femme. L'homme doit laisser à la femme ses mys— tères, la femme doit laisser à l'homme cette indépendance qu'il aime à lui sacrifier. Que le père ne discute jamais les droits de la mère dans son domaine maternel; mais que la mère n'attente jamais à la souveraineté paternelle de l'homme. Plus ils se respecteront l'un l'autre, plus étroitement ils s'uniront. Voilà la solution du problème.

— 158 — *0 Pcenitentia non est verbum.

Se repentir, ce n'est pas agir.

La vraie pénitence ne consiste ni dans les regrets ni dans les larmes. Lorsqu'on s'aperçoit qu'on fait mal, il faut se retourner immédiatement et bien faire. A quoi bon, si j'ai pris une fausse route, me frapper la poitrine et me mettre à pleurer comme un enfant ou comme un lâche? Il faut revenir sur mes pas et courir pour regagner le temps perdu.

el Excelsi sont aqua australis et ignis septemtrionalis et proefecti eorum. Sile.

L'eau est reine dans le Midi, et le feu dans le Nord. Garde le silence sur cet arcane. Gardons le silence, puisque les mattres le commandent. Ajoutons seulement à leur formule celles-ci, qui peuvent servir à l'expliquer : L'harmonie résulte .de l'analogie des contraires; Les, contraires sont gouvernés par les con. traires au moyen de l'harmonie ;



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Le roi des harmonies est le maitre de la nature. se In principio, id est in Chocmah. Au commencement, c'est-à-dire par la sagesse.

La sagesse est le principe de tout ce qui existe éternellement, tout commence et finit par elle, et quand l'Écriture sacrée parle d'un commence— ment, elle désigne la sagesse éternelle. Au commencement était le Verbe, c'est-à-dire dans la sagesse éternelle était le Verbe. Supposer que Dieu, après une éternité d'inaction, s'est décidé à créer, c'est supposer deux énormes absurdités une éternité qui finit; 20 un Dieu qui change. Le mot Bereschith qui commence la Genèse signifie littéralement dans la tête ou par la tête, c'est—à-dire dans la pensée ou par la pensée, qui en Dieu est la sagesse éternelle.

*8 Vice ceternitatis sunt triginta duo. Il y a trente-deux voies qui conduisent à l'Éternel.

Ces trente-deux voies sont les dix nombres 'et les vingt-deux lettres.

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Aux dix nombres se rattachent des idées absolues, comme à l'unité l'être ; à deux, l'équilibre ; à trois, la génération, etc. Les lettres représentent les nombres en hébreu, et les combinaisons de lettres donnent des combinaisons de nombres et aussi d'idées qui suivent avec exactitude les évolutions des nombres; ce qui fait de la philosophie occulte une science exacte qu'on pourrait appeler l'arithmétique de la pensée. Le livre occulte qui sert à ces combinaisons est le Tarot, composé de vingt-deux figures allégoriques des lettres et des nombres et de quatre séries de dix portant les symboles analogues aux quatre lettres du nom divin le Schema tétragrammatique. Ces séries peuvent se réduire chacune à neuf, puisqu'il n'y a, en effet, que neuf chiffres, et que le dénaire est la répétition de l'unité. Quatre fois neuf donne trente-six, nombre des talismans de Salomon, et sur chaque talisman il y avait deux noms mystérieux , ce qui donne les soixante et douze noms du Schemah hamphorasch. M. de Mirville demande à qui nous persuaderons que le Tarot avec ses figures païennes soit

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le Schéma hamphorasch des rabbins. Nous ne voulons le persuader à personne. Nous sommes en mesure de le prouver à qui voudra prendre la peine de l'étudier avec nous. Il est vrai que les figures païennes, égyptien-. nes, etc., n'appartiennent pas au judaïsme orthodoxe. Le Tarot existait dans l'Inde, dans l'Égypte et même dans la Chine, en même temps que chez les Hébreux. Celui qui est venu jusqu'à nous est le Tarot samaritain. Les idées sont juives mais les symboles sont profanes et se rapprochent beaucoup des hiéroglyphes de l'Égypte et du mysticisme de l'Inde. *4 Justi aquce, Deus mare.

Les justes sont les eaux, Dieu est la mer.

Toutes les eaux vont à la mer et toutes eu viennent, mais toutes les eaux ne sont pas la mer. Ainsi, les esprits viennent de Dieu et retournent à Dieu, mais ils ne sont pas Dieu. L'espt it universel, l'univers vivant, l'idole du panthéisme n'est pas Dieu. L'être infini animé d'une vie infinie révèle Dieu et n'est pas Dieu. En tant que principe 11

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de l'être et des êtres, Dieu ne saurait être assimilé ni à l'être ni à aucun des êtres. Qu'est-ce donc que Dieu? C'est l'incompréhensible sans lequél on ne comprend rien. C'est celui que la foi affirme sans le voir, pour donner une base à la science. C'est la lumière invisible dont toute lumière visible est l'ombre. C'est ce que le génie humain rêve éternellement en sentant que lui— même il n'est que le rêve de son rêve. L'homme fait Dieu à. son image et à sa ressemblance, et il s'écrie : C'est ainsi que Dieu m'avait fait. C'est ainsi que Dieu se fait homme. C'est ainsi que l'homme se fait Dieu. Cherchons Dieu dans l'humanité, et nous trouverons l'humanité en Dieu.

*à Angeli apparentiarum sont volatiles cceli et animantia. tes oiseaux du ciel et les animaux de la terre sont les anges de la forme extérieure.

Les animaux sont innocents et vivent d'une vie fatale; ils sont les esclaves de la nature extérieure et inférieure, comme les anges sont les serviteurs de la nature divine et supérieure; ils portent les

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figures analytiques de la pensée qui se synthétise dans l'homme; ils représentent les forces spécifiées de la nature; ils sont venus dans le monde avant l'homme pour annoncer au monde la venue prochaine de l'homme, et sont les auxiliaires de son corps comme les anges du ciel sont les auxiliaires de son âme. Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut. La série distribue l'harmonie, et l'harmonie résulte de l'analogie des contraires. »Ii4

Litterce nominis sunt Danielis regna. Les lettres du tétragramme sont les royaumes de Daniel.

Les animaux d'Ézéchiel figurent les forces célestes, et ceux de Daniel représentent les puissances de la terre. Il y en a quatre, suivant le nombre des éléments et des points cardinaux. L'Éden de Moïse, jardin circulaire divisé en quatre par quatre fleuves qui coulent d'une source centrale, la plaine Circulaire d'Ézéchiel (circum duxit me in gyro) vivifiée par les quatre vents, et l'océan de Daniel dont l'horizon circulaire est

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partagé par quatre animaux, sont des symboles analogues les uns aux autres et contenus dans les quatre lettres hiéroglyphiques qui composent le nom de Jéhovah. »9 Angelus sex alas habens non trans/ormatur. L'ange qui a six ailes ne se transforme jamais.

L'esprit parfaitement équilibré ne change plus. Les cieux symboliques sont au nombre de trois : le ciel divin, le ciel philosophique, et le ciel naturel. Les ailes de la vraie contemplation, celles de la pensée éclairée et celles de la science conforme à l'être, voilà les six ailes qui donnent la stabilité aux esprits et qui les empêchent de se transformer. *fi

Litterce sont hieroglyphiece in omnibus. Les lettres sacrées. sont des hiéroglyphes complets qui expriment toutes les idées.

En sorte que par les combinaisons de ces lettres, qui sont aussi des nombres, on obtient des combinaisons d'idées toujours nouvelles et rigoureu-

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C'est l'usage des Juifs, qui, pour prier avec plus de recueillement, enveloppent leur tête d'un voile qu'ils appellent thalith. Ce voile est originaire de l'Égypte et ressemble à celui d'Isis. Il signifie que les choses saintes doivént être cachées aux profanes, et que chacun ne doit compte qu'à Dieu des pensées secrètes de son coeur. se Nulla res spiritualis descendit sine indumento. L'esprit ne descend jamais sans vêtement.

Les vêtements de l'esprit sont en raison des milieux qu'il traverse. Comme la légèreté ou la pesanteur des corps les fait monter ou descendre, ainsi l'esprit se revêt pour descendre et se dé— pouille pour monter. Nous ne saurions vivre dans l'eau, et les esprits dégagés des corps terrestres

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ne sauraient vivre dans notre atmosphère, comme nous l'avons dit et répété ailleurs. 811 Extrinsecus timor est interior amore, sed intrinsecus superior. Extérieurement la crainte est inférieure à l'amour, mais intérieurement l'amour est inférieur à la crainte.

Il y a deux craintes, la crainte intéressée et la crainte désintéressée, la crainte de la peine et celle du mal. Or, la crainte du mal, étant l'amour de la justice tout pur et désintéressé, est plus noble que l'amour intéressé de ceux qui ne font le bien que par l'attrait des récompenses. se Nases discernit proprietates. Le nez discerne les propriétés.

Dans le symbolisme du Sohar, la longanimité divine est figurée par la longueur du nez qu'on donne à l'image allégorique de Dieu. L'humanité au contraire est représentée avec un nez court,

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parce qu'elle comprend peu et s'irrite facilement. En style vulgaire, avoir du nez signifie avoir de la finesse dans le jugement et du tact dans la çonduite de la vie. L'odorat du chien est une sorte de divination. Pressentir, c'est en quelque manière flairer.

Anima bona, anima nova flua Orientis. L'âme bonne est une âme neuve qui vient de l'orient.

Il y a deux bontés : la bonté originelle qui est l'innocence, et la bonté acquise qui est la vertu. L'âme nouvelle, fille de l'Orient, est pure comme le jour qui se lève, mais elle doit traverser l'épreuve où sa candeur se ternira, puis elle devra se purifier par le sacrifice. Tout cela se fera-t-il dans une seule ou dans plusieurs incarnations? C'est ce qu'il nous est difficile de savoir. Nous avons dit pourquoi les incarnations successives nous semblent impossibles; ajoutons que les kabbalistes du premier ordre ne les ont jamais admises. Au lieu de réincarnation, ils admettent l'embryonnat, c'est-à-dire l'union intime de deux âmes, l'une déjà trépassée, et l'autre encore vi-

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vante sur la terre; celui qui est mort ayant encore des devoirs à accomplir sur la terre et le faisant par l'intermédiaire du vivant. De cette manière les personnalités restent intactes, et Élie, sans cesser d'être Vie, peut revivre dans Jean le baptiseur. C'est ainsi que Moïse et Élie apparaissent sur le Thabor comme assesseurs de Jésus-Christ ; mais dire que Jésus était une réincarnation de Moïse, ce serait anéantir ou la personne de Moïse ou celle de Jésus. 84 Anima plena superiori conjungitur.

Quand une âme est complète, elle s'unit à une âme supérieure.

Les âmes s'unissent par la pensée et par l'amour sans tenir compte des espaces. De soleil à soleil, d'univers à univers, elles peuvent non-seulement correspondre, mais se rendre présentes les unes aux autres. C'est ainsi que s'accomplissent, suivant les rabbins, les deux phénomènes de l'embryonnat et du protectorat. Nous avons dit ce qu'ils entendent par l'embryonnat ; le protectorat est l'assistance d'une àme affranchie qui aide une

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âme en peine, l'assomption d'un esprit militant par un esprit glorieux et triomphant; en d'autres termes l'assistance d'un saint qui se fait l'ange gardien d'un juste. Ces hypothèses sont conso— lantes et belles; c'est tout ce que nous en pou— vons dire, elles se déduisent du dogme de la solidarité des âmes résultant de leur création et de leur existence collectives. Sa Post deos rex verus regnabit super terram. Quand il n'y aura plus de faux dieux, un vrai roi régnera sur la terre.

L'idolâtrie est le culte du despotisme arbitraire, et les rois de ce monde sont faits à l'image des dieux que la terre adore. Un dieu qui punit infi— niment des êtres finis après les avoir créés fragiles et leur avoir imposé une loi qui contrarie tous les penchants de leur nature, sans que cette loi même soit clairement promulguée pour tous, ce Dieu autorise toutes les barbaries des autocrates. Quand les hommes concevront un Dieu juste, ils auront des rois équitables. Les croyances font l'opinion, et c'est l'opinion qui consacre les pou-

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voirs. Le droit divin de Louis XI était bien en rapport avec le Dieu de Dominique et de Pie V. C'est au Dieu de Fénelon et de saint Vincent de Paul que nous devons la philanthropie et la civilisation modernes. Quand l'homme progresse, Dieu marche; quand il s'élève, Dieu s'agrandit ; puis l'idéal que le monde s'est fait réagit sur le monde. Le rayonnement de la pensée humaine s'arrêtant sur l'objectif divin, se reflète sur l'humanité; car cet objectif n'est autre chose qu'un miroir. Ce reflet du monde idéal. devient la lumière du monde réel. Les moeurs se forment d'après les croyances, et la politique est le résultat des moeurs. 36

Linea viridis gyrat universa. La ligne verte circule autour de toutes choses.

Les kabbalistes, dans leurs pantacles , représentent la couronne divine par une ligne verte qui entoure les autres figures. Le vert est l'alliance des deux couleurs principales du prisme, le jaune et le bleu : figures des Eloïm ou grandes puissances qui se résument et s'unissent en Dieu.

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Amen est influxus numerationum. Amen est l'influence des nombres,

Le mot amen, qui termine les prières, est une affirmation de l'esprit et une adhésion du coeur, Il faut donc, pour que ce mot ne soit pas un blas— phème, que la prière ait été raisonnable. Ce mot est comme une signature mentale; par ce mot le croyant s'affirme et se fait lui-même à la ressemblance de sa prière. Amen, c'est l'acceptation d'un compte ouvert entre Dieu et l'homme. Mal— heur à celui qui compte mal, car il sera traité comme un faussaire 1 Dire amen après avoir formulé l'erreur, c'est vouer son âme au mensonge personnifié par Satan. Dire amen après avoir formulé la vérité, c'est faire alliance avec Dieu.

TROISIÈME PARTIE.

ESPRITS PRETENDUS OU FANTONES VISIONS, ÉVOCATIONS, PHÉNOMÈNES DE NÉCROMANCIE DEPUIS L'ANTIQUITÉ JUSQU'À NOS JOURS.

CHAPITRE I". LES ESPRITS :DANS LA BIBLE. L'ESPRIT D'ÉLIPHAS ET L'OMBRE DE SAMUEL ÉVOQUÉE PAR LA prraoRISSE D'EUDOR.

Un jour on comprendra la Bible, on saura quels trésors de science primitive sont cachés sous tant de symboles et de figures; on saura que la Genèse, par exemple, n'est pas seulement l'histoire de la formation d'un monde, mais l'exposé des lois éternelles qui président à la créa— tion incessante et toujours renouvelée des êtres;

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on déchiffrera ces hiéroglyples, qui ont tant fait rire Voltaire ; on saura comment un cherub , c'est-à-dire un taureau (celui d'Europe et de Mithra), peut veiller le glaive au poing à la porte du jardin de la science. Maintenant ces allégories sont voilées, et les grands monuments de l'antiquité hiératique restent debout, enveloppés de leur solitude et de leur silence, comme les grandes pyramides, qui poursuivent l'oeil sans rien dire de précis à. la pensée, et dont on ne sait positivement si elles sont des monuments scientifiques ou des tombeaux. Parmi les livres de la Bible, il en est un qui nous étonne surtout par la magnificence de la forme poétique et par ses mélancoliques profondeurs; nous voulons parler du livre de Job, la plus ancienne peut-être , mais à coup sûr la plus remarquable synthèse qui nous soit restée du dogme philosophique et magique de l'ancienne initiation. Ce livre explique l'origine et la raison d'être du mal, il indique le but de la vie humaine et de ses souffrances. C'est la légende de l'affligé. L'allégorie est transparente, les noms même des personnages révèlent non des individus, mais des

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« Dans l'horreur de la vision nocturne, au mo« ment où le sommeil s'empare ordinairement « des hommes, « La peur m'a pris et le tremblement, et tous « mes os ont été glacés d'épouvante. « Et comme un esprit passait devant moi, tous « les poils de ma chair se sont hérissés. « « petit

Quelqu'un était là dont je ne distinguais pas le visage, et j'ai entendu comme un

souffle qui me parlait. » Remarquons bien toutes les circonstances : c'est au moment où la nuit est la plus profonde, à l'heure où le silence de la nature prépare les âmes à la crainte, et dans ce moment où la veille devient douteuse, où l'âme flotte dans les pre— mières vapeurs du sommeil, quand déjà la raison est enchaînée. Une terreur sans cause apparente saisit alors le visionnaire, son sang s'agite et se retire vers le cœur, les extrémités sont froides, il tremble comme s'il avait la fièvre, le frisson parcourt «

son épiderme, ses cheveux o. sa barbe se héris— sent, et c'est dans cet état précurseur des hal— lucinations qu'il croit voir ou sentir un esprit

passer. .

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Un fantôme se dessine vaguement dans l'ombre, il cherche et ne trouve pas le visage de cette figure , et il entend comme au fond de lui—même une voix qui ressemble à une faible respiration, voilà le phénomène naturel parfaitement caractérisé : c'est un cauchemar du premier sommeil , c'est l'âme du songeur qui se fait peur à ellemême. Il écoute avec effroi l'écho nocturne et affaibli de ses propres pensées , et il les formule avec une pénible attention en paroles de désespoir. L'homme , dit-il, tenterait vainement d'être juste devant Dieu ; Dieu trouve la perversité jusque dans le coeur de ses anges. Troupeau sans intelligence , l'humanité se presse autour de l'abime et tous doivent tomber pour jamais dans la nuit béante de la mort. La créature fait tache dans le ciel et Dieu se hâte de l'effacer ; ils passent tous et meurent sans avoir trouvé la sagesse. C'est ainsi que la nuit prêche la nuit et que la mort annonce la mort. Le cauchemar inconnu ne révèle que l'ignorance et voue son croyant à un cauchemar éternel. Préservez—nous, Seigneur, dit David au livre des Psaumes, de la chose effrayante qui se promène dans la nuit.

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Ce souffle léger, ce râle qu'on entend à peine, ce spectre sans visage caractérisent d'une ma— nière saisissante l'illusion et l'errreur : c'est pres— que le néant et le silence, c'est le vent qui semble parler à voix basse en frôlant les plis raides du linceul, c'est la réminiscence qui s'éteint dans l'onde mobile et envahissante du rêve; et l'homme que le rêve emporte ne sait plus s'il dort ou s'il veille ; il raisonne pendant son sommeil, et, en s'éveillant demain, il parlera comme s'il rêvait encore. On ne saurait trop admirer avec quel art l'au— teur du livre de Job dessine le caractère du su— perstitieux représenté par Eliphaz ; sa science a commencé par une terreur nocturne ; aussi n'estelle que découragement et terreur. Elle est noire comme la nuit, aveugle et sans visage comme le fantôme. C'est l'orgueil d'un aliéné qui se com— plait dans sa démence et qui se console de déses— pérer en se donnant la joie amère de pousser les autres au désespoir. Tous les criminels par religion mal entendue ont été des visionnaires ; Jacques Clément et Ra— vaillac étaient hantés par des ombres inconnues et entendaient pendant leurs insomnies le petit

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souffle d'Eliphaz. La voix qui dit : « Tue » et celle qui dit : « Désespère et meurs » , sortent également du tombeau. Mais ce tombeau, c'est celui de notre raison, et les morts ne reviennent que dans nos rêves ; aussi l'état de médiomanie est-il une extension du rêve, c'est le somnambulisme avec toute la variété de ses extases. Qu'on approfondisse les phénomènes du sommeil, et l'on aura raison de tous les mystères du spiritisme. Voilà pourquoi la loi mosaïque, aussi bien que la loi chrétienne , condamnait les esprits de Python et ceux qui devinent par Ob. Expliquons ces expressions : Python est un mot que les interprètes hébreux ont emprunté pour exprimer le grand serpent astral, le feu vital inintelligent, le tourbillon fatal de la vie physique , celui qui entoure la terre en se mordant la queué et que le soleil perce de tous côtés de ses flèches, c'est-à-dire de ses rayons ; le serpent qui a tenté Ève et qui aplatit sa tête sous le pied de la femme régénérée en cherchant toujours à lui mordre le talon. Ob, c'est la lumière passive, car les kabbalistes hébreux donnent trois noms à cette substance universelle, agent de la création qui prend toutes

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les formes en s'équilibrant par la balance de deux forces. Active, elle se nomme Od ; passive elle se nomme Oh; équilibrée, on l'appelle Aour. Od s'écrit par « van daleth, » ce qui signifie hiéroglyphiquement amour et puissance; Ob, par « vau beth, » signifie amour et faiblesse ou attrait fatal ; Aour, par « aleph-vau-resch, » signifie principe d'amour régénérateur. (Voyez, dans notre Dogme et rituel de la haute magie, les concordances des lettres hébraïques avec les hiéroglyphes et les nombres des grandes clés du Tarot samaritain.) Ceux qui devinent par Ob sont donc les interprètes de la fatalité. Or, on consent à la fatalité lorsqu'on la consulte; on s'abandonne à elle en la choisissant pour oracle. On donne ainsi des arrhes à la mort, on affaiblit son libre arbitre. Ceux qui coopèrent à cette divination ressemblent à des empiriques qui vendraient publiquement des poisons, et Moïse, suivant les mœurs de son pays et de son temps, n'était pas trop sévère lorsqu'il les condamnait à mort. Le chevalier de Richembach , en appelant Od la lumière astrale, a I etrouvé l'un des vrais noms kabbalistiques de la lumière universelle, mais ne l'a pas appliqué avec exactitude en le générali-

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sant. Od, c'est la lumière dirigée ou même directrice; c'est la lumière astrale élevée à l'état de lumière de gloire. Quant au fluide somnambu lique, il faut l'appeler Ob, car c'est son véritable nom, et nous sommes forcés de reconnattre que nos véritables somnambules, lorsqu'elles ne sont pas dirigées par un magnétiseur puissant en Od, sont des devineresses par Ob ou par l'esprit de Python dont parle l'Écriture-Sainte. Ceux qui les consultent commettent donc cette imprudence eu cette impiété qui poussa Saül, abandonné de Dieu, dans l'antre dela pythonisse d'Endor. Quelques commentateurs, parmi lesquels il faut compter saint Méthodius, surnommé Eu— bulius , évêque de Tyr au commencement du we siècle, ont regardé la pythonisse d'En.dor comme une habile intrigante qui trompa la crédulité du roi d'Israël. Elle feint d'abord de ne pas re,connere le roi, puis, tout à. coup, comme si son démon lui révélait la vérité, elle tombe aux genoux de Saül. Ce coup de théâtre lui réus sit, le prince maniaque la rassure et se montre tout disposé à la croire; il lui ordonne d'évoquer Samuel. La pythie alors fait mille contorsions et se laissa tomber lourdement à terre. Que vois-tu? -



lui crie Saül tout tremblant. — Je vois des dieux qui sortent de la terre où je vois monter les puissances de la terre. — Que vois-tu encore? — Je vois un vieillard enveloppé dans un manteau. — C'est Samuel, dit le crédule monarque. Alors la sorcière, sans doute secrètement dévouée à David, fait sortir de son ventre une voix lugubre. C'est Samuel qui éclate en reproches et en menaces. Saül, plus mort que vif, ne veut plus ni boire ni manger , il est vaincu d'avance ; il marche à la bataille comme au supplice; les Philistins l'entourent sur la montagne de Gelboê, et il se laisse tomber sur son glaive au lieu de se défendre. N'a-t-il pas laissé chez la devineresse son libre arbitre et sa raison ? Roi déchu et incapable désormais de régner, homme indigne de conduire des hommes, lui qui avait prononcé la peine de mort contre les sorciers et contre ceux qui les consultent, il se montre roi du moins en mourant, et fait en se tuant lui-même un dernier acte de justice. Il répugnait avec raison au savant évêque de Tyr de penser que la paix d'une tombe e,bmme celle de Samuel pouvait être troublée par les évocations sacriléges d'une femme réprouvée; il

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se souvenait d'ailleurs de cette parole si décisive de l'Évangile dans la parabole du mauvais riche : CHAOS MAGNUM FIRMATUM EST. Le grand chaos s'est affermi, en sorte que ceux qui sont en haut ne peuvent plus redescendre en bas; et à ce sujet notre savant ami, le regrettable M. Louis Lucas, faisait une remarque très—judicieuse. La nature, disait-il, ouvre à la vie toutes ses portes en ayant soin de les refermer derrière elle pour qu'elle ne recule jamais. Voyez la séve dans les plantes, voyez les sucs nourriciers dans l'alambic des en— trailles, voyez le sang dans les veines; un mouvement régulier les pousse toujours en avant, et lorsqu'ils sont passés les conduits se resserrent et s'étranglent. Les vivants d'une sphère supérieure, ajoutait-il, ne peuvent pas plus retomber dans la nôtre que l'enfant déjà né ne peut rentrer au sein de sa mère; nous le pensons comme lui et nous ne croyons pas que l'âme de Samuel ait pu venir de l'autre monde maudire encore une fois le malheureux Saül. Pour nous, la pythonisse d'En— dor était une voyante à la manière des extatiques de Cahagnet, elle se mit par le somnambulisme en communication avec l'âme sombre du roi d'Israël et m'évoqua les fantômes. C'est du fond

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de la conscience du meurtrier des prêtres et des prophètes,. et non pas du creux de la terre que se dressait le spectre sanglant de Samuel, et lorsque la sibylle répétait d'une voix de ventriloque des anathèmes et des menaces, elle les lisait écrits par le remords dans la pensée même de Saifi .

CHAPITRE II. (suite du précédent) LES MORTS RESSUSCITÉS. •—• LE FILS DE IA SUNAMITE. — LE TOMBEAU. D'ÉLISÉE.

Les anciens Hébreux croyaient comme les modernes à l'immortalité de l'âme. Moïse pourtant n'en fait aucune mention dans le Pentateuque. Ce dogme, en effet, était réservé pour les initiés, et pour le retrouver dans toute sa splendeur il faut pénétrer dans les sanctuaires de la Kabbale. Moïse, dont le grand oeuvre était d'éloi-

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gner son peuple de l'idolâtrie, savait que la foi mal éclairée en l'immortalité de l'âme conduit au culte des ancêtres, et il ne voulait pas que les Hébreux fussent des Chinois. Il ne voulait pas que le peuple d'Abraham et de Jacob emportât d'Égypte le fétichisme des cadavres, il ne voulait pas donner au temple du Dieu vivant un sous-sol peuplé de momies. La conservation des cadavres, en effet, est un outrage à la nature, car c'est une prolongation artificielle de la mort. Moïse craignait aussi d'encourager la nécromancie, et semblait prévoir de loin l'épidémie des tables parlantes et des esprits frappeurs. Il est dangereux de surexciter l'imagination des multitudes, et le christianisme plus tard n'a pas échappé à ce danger. Le rêve du ciel a trop fait négliger la terre, et l'on ne s'est pas assez rappelé que, suivant la parole du Maître, la volonté de Dieu doit être faite sur la terre comme au ciel. Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, dit Hermès Trismégiste, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas : quand la barbarie est sur la terre, elle est aussi dans le ciel que se figurent les hommes. J'en prends à témoin le fanatisme du moyen âge et le dieu des inquisiteurs.

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La religion de Moïse est une raison sans tendresse, et le christianisme a été d'abord une tendresse sans raison. Il faut pardonner beaucoup à ceux qui ont beaucoup aimé. Adorer les morts qui nous sont chers, c'est uné erreur sans doute, mais est-ce un crime impardonnable? Il n'y a pas de morts pour nous d'ailleurs, tout est vivant. Nos reliques mêmes, ces débris d'ossements qui font tant d'horreur au puritanisme judaïque, ne sont plus des fragments de cadavres. Ranimées par la foi commune, arrosées des douces larmes de l'espérance, réchauffées par la charité de tous, elles sont des semences de résurrection et des gages de vie éternelle. Israélites, accordez quelque chose à la sainte folie de l'amour et vous nous ramènerez plus aisément à la sévérité du dogme par l'indulgence de la raison ! Croire à la résurrection des morts, c'est croire à l'immortalité de l'âme. Or, les Hébreux croyaient à la résurrection des morts. Élie ressuscite le fils de la veuve de Sarepta, Élisée celui dela Sunamite, et un mort qu'on jette au hasard dans le sépulcre de ce prophète ressuscite au contact de ses ossements. Les deux résurrections du fils de la veuve et de celui de la Sunamite semblent un peu trop

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calquées l'une sur l'autre. Quoi qu'il en soit, le récit de la dernière contient des détails d'opéra— tions magnétiques très—dignes d'être remarqués. L'enfant de la Sunamite est mort d'une conges— tion cérébrale par suite d'une insolation. Élisée envoie d'abord son serviteur Giezi en lui confiant son propre bâton : Tu le dirigeras, lui dit-il, vers le visage de l'enfant et tu le lui feras toucher. Giezi part avec la baguette; mais soit maladresse, soit manque de foi, son opération ne produit rien, et il revient sans avoir réussi. Alors, Élisée se rend lui—même près de l'enfant et entreprend de le réchauffer par incubation et insufflation. Il lui met son visage sur le visage, ses mains sur les mains, ses pieds sous les pieds; puis, sans doute pour reprendre des forces, il s'interrompt et se promène dans la chambre; enfin, il recommence son incubation magnétique, et l'enfant revient à la vie. C'est ce que nous lisons au quatrième livre des Rois. Nous avons dit, dans notre Dogme et Rituel de la haute magie, qu'une résurrection ne nous paraît pas impossible tant que l'organisme vital n'est pas détruit. La nature, en effet, n'accomplit rien par

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soubresaut, et la mort naturelle est toujours précédée d'un état qui tient un peu de la léthargie. C'est une torpeur qu'une grande secousse ou le magnétisme d'une puissante volonté peuvent vaincre, et c'est ce qui explique la résurrection de ce mort jeté sur les os d'Élisée. L'homme était probablement dans cette léthargie qui précède ordinairement la mort. Ceux qui le portaient sont effrayés en voyant venir une horde de brigands du désert, ils jettent au hasard le cadavre dans le sépulcre ouvert du prophète pour le dérober aux infidèles. L'âme du mort planait sans doute dans les basses régions de l'atmosphère, mal détachée encore de sa dépouille mortelle ; la frayeur de sa famille se communiqua sympathiquement à cette âme, elle eut peur que ses restes ne fussent profanés par les incirconcis et rentra violemment dans son corps pour le soulever et le sauver. On attribua sa résurrection au contact des ossements d'Élisée, et le culte des reliques date logiquement de cette époque. /1 est certain que les Hébreux, qui regardent comme sacré le livre où est racontée cette histoire, ne doivent pas trouver mauvais le culte que les catholiques rendent aux ossements et aux autres

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restes de leurs saints. Pourquoi, par exemple, le sang de saint Janvier aurait-il moins de vertu que le squelette d'Élisée?

CHAPITRE III. LES ESPRITS DANS L'ÉVANGILE.-DÉMONS, POSSÉDÉS ET APPARITIONS.

Jésus appelle Satan « le prince de ce monde »; c'est donc une puissance qui exerce son empire sur la terre. Ce n'est pas une puissance spirituelle, car alors elle exclurait celle de Dieu. Jésus dit qu'il l'a vue tomber du ciel comme la foudre ou sous la forme de la foudre. C'est donc une puissance matérielle analogue à l'élec— tricité. Jésus dit que Satan est menteur ainsi que son père, parce que le père de Satan c'est l'esprit de mensonge qui donne une personnalité à l'erreur.

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Se-servir mal des forces de la nature, c'est engendrer Satan. Concevoir tout sans Dieu, c'est concevoir Satan. Le diable, c'est un panthéisme sans tête. C'est l'homme avec une tête de bouc. C'est l'instinct animal mis à la place de la raison régulatrice. C'est l'ombre qui nie le corps. C'est le pot qui nie le potier. C'est le cauchemar, c'est l'absurde de la raison niant l'absurde de la foi. C'est le hasard s'affirmant contre la règle; c'est la grimace insultant à la beauté; -c'est le néant qui dit : de suis Dieu. Satan, c'est la folie, et les possédés du démon, ce sont les fous. L'un est muet, l'autre déchire ses vêtements et se cache dans les tombeaux; un autre se jette tantôt dans le feu, tantôt dans l'eau, et semble atteint de la monomanie du suicide. Qu'est-ce que tout cela? Des maladies mentales, et Jésus, attribuant à Satan, c'est-à-dire à l'électricité dévoyée, la plupart des autres maladies, dit en parlant d'une femme informe et pliée en deux : Voyez cette fille d'Abraham qui a été liée par Satan! On

voit que Satan est ici la personnification du mal même physique. Liée par Satan veut dire évi— demment ici liée par une affection nerveuse ou rhumatismale. D'ailleurs, le serpent de la Genèse ne saurait être le Satan de Milton. C'était le plus insinuant et le plus rusé des animaux, dit le texte sacré, et Dieu, pour le punir, le condamne à ramper sur son ventre et à manger la terre; supplice qui ne ressemble en rien aux flammes tradition— nelles de l'enfer. Il est vrai aussi que le serpent réel et non allégorique rampait avant le péché d'Ève et n'a jamais mangé la terre; il s'agit donc ici d'une allégorie; il s'agit de ce feu astral qui rampe et qui ronge, de ce feu terrestre qui ali— mente la vie physique en donnant la mort. Il en est de même du Satan qui peut rendre infirmes ou paralytiques les vieilles filles d'Abraham. Que penser aussi de cette légion de démons qui, chassés du corps d'un possédé, demandent comme une grâce de se réfugier dans un troupeau de pour— ceaux qui deviennent furieux et courent se noyer dans le lac de Tibériade? N'est-ce pas là évidem— ment une parabole judaïque, dont le but est de montrer combien le pourceau est un animal impur?

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S'il faut prendre à la lettre de pareilles histoires, Voltaire a mille fois raison de s'en moquer. Mais on sait que la lettre tue et que l'esprit seul vivifie. Nous ne disons pas pour cela que le fait en lui-même soit impossible. La rage des chiens se communique aux hommes, pourquoi la rage des hommes ou certaines folies furieuses ne se communiqueraient-elles pas aux animaux? Mais que des anges déchus, que de purs esprits condamnés à l'enfer trouvent du soulagementà se noyer sous des formes de pourceaux; que le Sauveur du monde, la raison suprême incarnée, consente à cette hideuse et ridicule malfaisance, c'est cela que le bon sens le plus vulgaire ne saurait admettre. Il y a évidemment sous ce récit, révoltant en apparence, quelque chose de caché. Quand un esprit immonde est chassé du corps d'un homme, dit le Sauveur, il va parcourant les lieux arides et cherchant le repos qu'il ne peut trouver; alors il dit : Je retournerai dans la maison que j'ai quittée. Il va donc, et, retrouvant cette maison nettoyée et parée, il va prendre sept autres esprits plus méchants que lui, ils rentrent tous ensemble, ils s'établissent, et l'état du ma-

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lade devient pire qu'il n'était d'abord. S'il fallait entendre ce discours symbolique dans le sens des démonomanes, Jésus lui-même en guérissant les possédés aurait fait de mauvaises actions, puisque, suivant sa propre doctrine, il les exposait par là à une obsession sept fois plus cruelle. Mais il s'agit ici des maladies mentales, qu'on empire souvent en voulant les guérir. Si vous chassez une illusion de la tête d'un fou, il en reviendra bientôt sept autres plus insensées que la première. C'est pour cela que Jésus cachait à la Multitude les hautes vérités de sa doctrine et ne les révélait au petit cercle des initiés qu'en les enveloppant de paraboles. Il craignait l'esprit impur qui se nomme légion ou multitude. Je veux, disait-il, que ces gens-là entendent sans entendre, qu'ils voient sans voir, car j'ai peur qu'ils ne se convertissent. Hélas il pressente les guerres de religion, les massacres et les bûchers; il voyait de loin l'empire romain s'écroulant dans le sang des persécutions I et le fanatisme haineux condamnant à mort la piété qui prie et qui pardonne. Il chassait un démon muet, c'était le culte des idoles, et il voyait venir sept démons beards, les sept péchés capitaux érigés en duc13

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leurs de l'Église. C'est pourquoi il engageait â se taire quand lui-même, peut-être, il en avait déjà trop dit. Aussi, quand il est trahi et renié par les siens, calomnié et maudit par les prêtres, accusé devant les juges, livré aux clameurs de la vile multitude qui demande sa mort, il se renferme dans le silence le phis absolu, il ne répond rien à Pilate, il ne veut rien dire à Hérode; que leur dirait-il, et à quoi bon? Ils sont indignes et incapables de l'entendre. Enfin, lorsqu'il a épuisé jusqu'à la lie la coupe de l'ingratitude, lorsqu'il se sent mourir dans un supplice atroce sans avoir pu faire autre chose, pour les hommes qu'il a tant aimés, que de les rendre plus coupables et plus méchants , son coeur se brise, il semble douter de lui-même, et pousse ce cri terrible : Mon Dieu! mon Dieu! pourquoi m'as-tu abandonné! Lorsqu'il expira, dit l'Évangile, la terre trembla, le soleil s'obscurcit , le voile du temple se »OtiYtt depuis le haut jusqu'en bàs, les pierres ae t'eudiveut, les tombeaux s'ouvrirent, les morts t?» s.„„1iivent et apparurent â plusieurs personnes. 8.11 l'adieit prendre ces choses à la lettre, l'histoire r„whdltrment une mention quelconque de emidable événement. Le tremblement dé ,

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terre aurait été universel, et l'obscurcissement du soleil est autre chose qu'une simple éclipse. Quelles sont les pierres qui se fendirent? Toutes les pierres. Les villes alors durent s'écrouler. Quelques pierres? Lesquelles? et pourquoi cellesci plutôt que celles-là? Les morts sortirent de leurs tombeaux? Dans quel état? tels qu'ils y étaient? à l'état de putréfaction et de squelettes, ou avec des corps nouveaux? Ce fut alors une véritable résurrection. Mais l'Ecriture appelle JésusChrist le premier-né d'entre les morts, c'est-àdire le premier des ressuscités, et à ce moment Jésus venait seulement de mourir. La lettre ici, ne soutient donc pas un seul instant l'examen il faut recourir à l'esprit, c'est-à-dire à l'allégorie. Jésus-Christ meurt en effet, et le vieux monde tremble; il ne se remettra pas de cette secousse, et le colosse romain va tomber débris par débris. Le voile du temple se déchire, c'est-à.dire que les plus secrets mystères de la religion judaïque sont dévoilés, c'est l'humanité divine ou la divinité humaine. Le soleil s'obscurcit, c'est-à-dire que les ancièns cultes d'Orient qui prenaient le soleil pour la plus parfaite image de Dieu ont perdtt

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leur vertu. Un soleil vivant vient d'apparaître sur la terre, il disparaît pour renaître, les jours de l'âme ont trouvé leur flambeau. Les pierres se fendent, c'est-à-dire que les coeurs les plus durs ne peuvent résister à la douce violence du grand sacrifice. Les tombeaux s'ouvrent d'eux-mêmes, car la mort vient de laisser échapper les clés des portes éternelles. Les morts se soulèvent et semblent ressusciter d'avance, parce que la mort triomphante de la plus grande des victimes vient de porter un coup mortel à la mort même, et que l'immortalité' de l'âme se rend visible en quelque sorte sur la terre. Tel est le sens, le vrai sens , le seul sens possible et raisonnable des paroles sacrées prises à la lettre par tant d'enfants parmi lesquels il faut ranger les théologiens imbéciles du moyen âge. Pour ce qui est des apparitions de Jésus-Christ lui-même, nous n'y toucherons pas, car elles sont du domaine exclusif de la foi. Nous ferons remarquer seulement qu'elles ne favorisent en rien les idées du spiritisme, car Jésus—Christ apparaît non comme mort, mais comme vivant. Ce n'est pas en esprit, c'est en chair et eu os qu'il se tvouve au milieu de ses disciples, il les

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mange, en effet, et boit au milieu d'eux. saint Thomas le touche et lui trouve un corps palpahie et réel. Cependant ce corps passe à travers les portes fermées. Ce sont là des choses de l'autre monde et que rien certainement ne saurait expliquer en celui-ci. Ce corps palpable et réel, ce corps qui a de la chair et des os, ce corps qui se nourrit de pain et de miel, parait et disparaît comme une fantasmagorie. Il y a là évidemment quelque mystère. Les premiers chrétiens, forcés de se cacher, avaient leurs paraboles et leur occultisme. Ils écrivaient pour être compris seulement des initiés. L'histoire de l'apparition aux voyageurs d'Emmaüs peut jeter quelque jour parmi ces ombres. Deux voyageurs passaient non loin du bourg d'Emmaüs, c'étaient des disciples de Jésus, et ils s'entretenaient tristement de la mort violente de leur maître. Un voyageur inconnu les aborde et leur reproche leur tristesse; il leur explique les écritures, il leur rappelle surtout les paroles du maitre avant de mourir: « Vous ne ferez qu'un avec moi comme je ne fais qu'un avec mon Père. Celui qui me voit voit mon Père, et celui qui vous

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-frra me verra. Celui qui vous écoute m'écoute, et quand vous. serez deux ou trois rassemblés en mon nom, je serai là au milieu de vous. » En parlant ainsi on arrive à l'hôtellerie, le voyageur prend le pain , le bénit et le- partage comme Jésus-Christ avait fait avant la Cène; alors les yeux des deux disciples s'ouvrent, ils reconnaissent que, suivant sa parole, Jésus-Christ est réellement présent au milieu d'eux ; ils le comprennent ressuscité et toujours visible parmi les siens , toujours présent dans son Église. Ils communièrent donc de la main de JésusChrist mê me, et après la communion ils ne le virent plus. Ici est exprimé avec retenue et d'une manière voilée tout le mystère du sacerdoce. Le prêtre qui dit la messe est réellement Jésus-Christ pour la foi des spectateurs, et la preuve de ceci, c'est que le prêtre en prononçant les paroles sacramentelles ne dit pas : Ceci est le corps du Christ, mais bien , comme a dit le Mettre : Ceci est mon corps. Le croyant alors ne voit plus le prêtre, il voit Jésus-Christ lui donnant son corps et il reçoit réellement le corps sacré de JésusChrist; mais, après le sacrifice, Jésus a disparu, et l'on ne s'occupe plus guère du brave curé qui, .

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en débitant tbutbas les versets de son Tei Deuntl sien letourne à la sacristie. Dans l'église de Saint-Gervais à Paris on toit. une peinture Murale de Gigot'', qui représente k mortelle, selon nous, le mystère de la résurrection du Sauveur. Ge n'est .pas un coup de tonnerre, ce n'est pas un sépulcre qui éclate .an milieu des soldats bouleversés, c'est une tombe .qui s'ouvre d'elle-même, D'est une lumière qui. éclot comme une fleur matinale, douce encore comme le crépuscule, mais assez puissante déjà pour éclairer vivement les spectateurs de cette scène. Le Christ ne s'envole pas, il marche en avant avec la placidité du calme éternel. Son geste est celui de l'enseignement des choses divines, on croit voir son auréole s'élargir lentement avec des nuances irisées, et 'autour de lui commence à se dérouler un ciel nouveau. Les gardes ne sont ni foudroyés, ni terrifiés, ils sont saisis et comme paralysés par une stupeur, qui n'est pas sans admiration et peut-être sans une vague espérance, car n'est-ce pas pour eux, les pauvres mercenaires du monde romain, que le Rédempi. leur vient 'de -triompher de: la môrt? Tont est ceinte 'dans citableitu-,:etle peintre est arrivé aux,

— saa plus sublimes effets par la plus grande simplicité. Lorsqu'on a vu ce tableau, on le revoit toujours dans son souvenir , et involontairement on le contemple avec une émotion qui ne se fatigue pas. Le sentiment qu'on éprouve est comme un ravissement pour la pensée, comme une extase pour le coeur. C'est aux arts surtout .qu'il faut demander les révélations du progrès. Ce que le philosophe ne sait pas dire encore, ou n'ose pas dire, rartiste le devine, et il nous fait rêver d'avance ce qu'un jour nous devons savoir.

CHAPITRE IV, HISTOIRE DE SAINT SPIRIDION ET DE SA FILLE IRÈNE.

Vers le milieu du quatrième siècle, à Trémithonte dans l'He de Chypre, vivait le saint évêque Spiridion, l'un des pères du concile de Nicée. C'était un doux et vénérable vieillard.

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pauvre comme le Christ, pénitent comme un ascète, et charitable comme un apôtre. Il avait été marié, et sa femme en mourant lui avait laissé une fille nommée Irène, qui voua son âme à la prière et son corps à la virginité. Il demeurait avec elle, dans une cabane entourée d'un petit jardin que l'évêque cultivait lui-même. Il était le conseil de toute la contrée, Irène en était la providence : elle soignait les malades et visitait les pauvres, les enrichissant de courage et leur faisant l'aumône de tous les trésors de sou cœur. Puis elle priait, elle jeûnait, elle veillait, si bien que sa santé déclinait en même temps que son âme se détachait de plus en plus de la •

terre. A peine sortie des Catacombes, l'Église chré— tienne, que Constantin venait de couvrir de sa pourpre, semblait alors être atteinte du mal qui consuma Hercule lorsqu'il eut touché la robe sanglante de Déjanire; elle se déchirait les entrailles, l'arianisme agressif et une orthodoxie turbulente se la disputaient par lambeaux. L'astucieux et cruel Constance venait de rafratchir avec le sang de sa famille la pourpre du manteau de Constantin. Julien étudiait la philosophie dans Athènes,

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et au milieu du misérable conflit dès théologiens et des rhéteurs, pressentant, sans vouloirs'y résigner, le vaste écroulement de l'empire, tl rêvait les vertus d'un autre âge, et, dans la solitudê des vieux temples abandonnés, il pleurait en songeant b la gloire des anciens dieux. Le christianisme , en effet , vouait lé vieux. monde à la mort, et faisait des saints sans améliorer les moeurs publiques; bien au contraire, la putréfaction se 'hâtait de faire place à la vie nonvelle. L'gglise temporelle avait déjà d'affreux W.* ques, comme Georges de Cappadoce, les saints' croyaient plus que jamais à la fin prochaine du monde et fuyaient au désert. Spiridion et sa fillo étaient des ascètes comme saint Paul l'Ermite et comme saint Antoine, mais ils avaient comeris que toute la vie divine est dans l'esprit de charité. Spiridion était donc resté évêque, et pour faire comprendre à nos lecteurs comment il entendait la charité, nous allons raconter une anecdoté de sa vie. C'était à la fin d'un carême, d'un carême tel' que les faisait Spiridion ; les maigres aliments' de la sainte quarantaine étaient épuisés, on était au jour du Vendredi-Saint. Spiridion devait

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passer cette journée et la suivante sans prendre aucune nourriture, il n'avait donc • rien chez lui, rien qu'un morceau de chair de porc suspendu à la fumée du foyer et réservé pour les fêtes de Pâques, lorsque vient frapper à sa porte un voyageur exténué de fatigue et de besoin. L'évêque de Trémithonte le reçoit avec empres• gement et l'entoure de soins paternels; mais il s'aperçoit bientôt que son hôte va s'évanouir d'inanition. Que faire? il est tard, point d'habitation prochaine, la ville est assez éloignée. Spiridion n'hésite pas. Il coupe un morceau de viande salée, la fait cuire et la présente au voyageur. Celui-ci la repousse avec étonnement et épouvante : Je suis chrétien, mon père, dit-il à l'évêque, comment donc aujourd'hui m'offrezvous de la chair à manger! Me croyez-vous capable d'insulter ainsi par mon intempérance à la mort du Christ, notre maitre? — Je suis chrétien comme vous, mon fils, lui répond doucement Spiridion, et, de plus, je suis évêque, c'est-à-dire pasteur et médecin. C'est comme médecin que je vous présente ces aliments, les seuls qu'il soit en mon pouvoir de vous offrir. Vous êtes épuisé, et demain peut-être

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il serait trop tard pour vous sauver la vie; mangez donc ces aliments que je bénis, et vivez. — Jamais, réplique le voyageur, car vous me conseillez ce que vous ne feriez pas vous-même. — Ce que je ne ferais pas pour moi peut-être, dit le vieillard, mais ce que je ferais certainement pour vous, comme vous allez le faire pour moi qui vous en prie. Tenez, voulez-vous que je porte à ma bouche un peu de cette viande pour vous engager à en faire usage sans scrupule? Et saint Spiridion prit et mangea un peu de viande de porc pour engager son hôte à en faire autant ; car la charité, suivant lui, était une loi plus impérieuse que celle de l'abstinence et du jeûne. Voilà quel était saint Spiridion de Trémithonte, voilà, sans doute quelle était aussi sa fille Irène. Ces deux anges de la terre n'avaient qu'un coeur et qu'une âme. Quand Spiridion allait visiter son diocèse, Irène gardait l'ermitage et y recevait les pauvres, les pèlerins et les chercheurs de bons conseils ; tout ce qu'elle faisait ou disait était approuvé d'avance par son père, et Irène, de son côté, ne disait que les choses que Spiridion .

lui-même eût dites, et faisait avec une merveilleuse divination les bonnes oeuvres qu'il eût faites. Ces deux saints furent momentanément séparés par ce travail de renaissance que nous avons coutume d'appeler la mort. Ce fut la plus jeune qui fut appelée la première à la délivrance. Irène s'éteignit doucement, comme une lampe dont l'huile est épuisée. Spiridion lui rendit les derniers devoirs, mais il ne la pleura point, car elle ne l'avait pas quitté, il la sentait plus que jamais unie à sa pensée et à son cœur. Il lui semblait qu'il avait une double mémoire et une double pensée. Irène avait trouvé peut-être son paradis dans l'âme bienheureuse de Spiri— dion. Ces détails étaient nécessaires pour expliquer l'anecdote qui va suivre. Pendant une absence de Spiridion, un chrétien partant pour un long voyage avait remis entre les mains d'Irène une somme d'argent qui était toute sa fortune. Irène avait enfoui le dépôt et n'en avait parlé à personne. Lorsque le chrétien fut de retour, Irène était, morte, et grand fut l'étonnement du saint évê—

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que en s'entendant réclamer un dépôt dont il n'avait pas connaissance. Il se rendit alors sur le tombeau d'Irène et l'appela trois fois à haute voix. Irène alors répondit du fond de la tombe et dit : Mon père, mon père, que me voulez-vous? C'est du moins ce que rapportent les légendaires. — Qu'as-tu fait de l'argent que notre frère t'avait confié? dit Spiridion. — Mon père, je. l'ai enfoui à telle et telle place. Le père creusa et trouva le dépôt intact. Évidemment cette histoire est controuvée quant aux détails, mais elle peut être vraie quant au fond. Personne ne supposera que l'âme des morts et surtout celle des justes soit enfermée dans la tombe pour y sentir la lente corruption de la chair et des ossements. Irène n'était donc pas dans la terre. Que le saint homme se soit rendu sur la toiribe de sa fille pour évoquer des souvenirs et obtenir par sympathie magnétique une intuition de seconde vue, il n'y a rien là qui nous semble impossible. Nous croyons à l'union intime des Aines saintes

o7 — que la mort ne saurait séparer. Dieu remplit la distance qui sépare le ciel de la terre, et n'y laisse pas de vide entre les coeurs. Les souvenirs d'Irène ont donc pu se communiquer à Spiridion ; et d'ailleurs, qui sait si la sainte fille n'avait pas au. trefois parlé à son père de ce dépôt ? Son grand âge et les soins nombreux de son épiscopat lui avaient peut-être fait oublier cette confidence. Ne nous arrive-t-il pas souvent d'admirer comme une pensée nouvelle ce que nous avons dit ou même écrit autrefois ? De combien de réminiscences vagues ne sommes-nous pàs poursuivis, et qui pourra dire toute la place qu'occupent les souvenirs déjà plusieurs fois effacés dans les rêveries de notre veille et dans les rêves de notre sommeil? Nous rapprocherons de cette révélation d'Irène Spiridion son père, une aventure plus récente et moins connue. Il s'agit de Sylvain Maréchal , un bonhomme excentrique du siècle dernier, qui se croyait po-. sitivement athée. Sylvain Maréchal n'adniettait donc pas l'existence de Dieu, et, pour être logique, il niait éga-; lement l'immortalité de l'âme; il avait fait de

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mauvais vers pour défendre cette mauvaise cause. C'était d'ailleurs un homme honorable, aimé de sa femme et estimé de ses amis. Lorsqu'on lui parlait de la mort, il disait ordinairement que c'était le grand sommeil, et ajou— tait sentencieusement ce distique, l'un de ses péchés contre Apollon : Dormons jusqu'au bon temps, Nous dormirons longtemps.

Lui que le progrès de son siècle n'avait conduit qu'à l'athéisme, il doutait un peu du progrès et ne croyait guère, à ce qu'on voit, à la venue d'un temps meilleur, l'athéisme n'étant ordinai— rement que le désespoir d'une croyance décou— ragée. Les gens qui ne croient pas à l'immortalité de l'âme meurent, hélas! comme les autres. Sylvain Maréchal vit venir l'heure du grand sommeil. Sa femme et une amie nommée madame Dufour veillaient auprès de lui; l'agonie avait commencé. Tout à coup le mourant, comme s'il se rappelait quelque chose, fait un grand effort pour parler. Les deux dames se penchent vers lui Alors, d'une voix si faible qu'on l'entendait à peine, il

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dit ces mots : Il y a quinze et la voix expira. Il essaya de reprendre et murmura encore une fois : Quinze ; mais il fut impossible d'entendre le reste. Ses lèvres remuèrent de nouveau un peu , puis , faisant un grand soupir, il mourut. La nuit suivante, madame Dufour, qui venait de se coucher, n'avait pas encore éteint sa lampe, lorsqu'elle entendit sa porte s'ouvrir doucement. Elle mit la main devant la lumière et regarda. Sylvain Maréchal était 'au milieu de sa chambre, vêtu comme de son vivant, ni plus triste ni plus gai. — Chère dame, lui dit-il, je viens vous dire ce que je n'ai pu achever hier : il y a quinze cents francs en or cachés dans un tiroir secret de mon bureau ; veillez à -ce que cette somme ne tombe pas en d'autres mains que celles de ma femme. Madame Dufour, plus étonnée qu'effrayée de cette pacifique apparition , dit alors au revenant : — Eh bien, mon cher athée, je pense que vous croyez maintenant à l'immortalité de l'âme. Sylvain Maréchal sourit tristement, branla lé.14,

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gèrement la tête, et ne répliqua qu'en -répétant une, deritière fois son distique Dormons jusqu'au bon temps, Nous. dormironslongtemps.

Puis il sortit. La frayeur prit alors madame Dufbur, , ce qui prouve qu'alors seulement elle fut complétement éveillée; elle se jeta hors du lit pour courir à la chambre de son amie, madame Maréchal, qu'elle rencontra venant, de son côté, chez elle, pâle et tout effarée. — Je viens de voir M. Maréchal, dirent en même temps les deux femmes ; et elles se racontèrent les détails à peu près identiques de la 'vision qu'elles venaient d'avoir chacune de son côté. Les quinze cents francs en or furent 'trouvés dans un tiroir secret du'buredu. Nous tenons cette histoire d'une amie commune des deux dames qui la leur avait souvent entendu raconter. Nous la croyons vraie, mais nous pensons que les dames, lorsqu'elles virent le fantôme, étaient déjà tombées dans un état de demisommeil. Préoccupées des dernières paroles de Maréchal, elles les rapprochèrent avec la lucidité particulière aux rêves des personnes affligées de

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mille petites circonstances qu'elles avaient sues sans les remarquer et qui s'étaient gravées dans leur réminiscence involontaire ; le mourant, d'ailleurs, avait projeté avec force sa volonté dans ces deux âmes sympathiques ; ce qu'il voulait leur dire, il leur avait communiqué la force de le deviner. Elles le revirent absolument, comme on voit en rêve, avec ses habits de tous les jours et sa manie de réciter de méchants vers; elles le virent comme on voit toujours les morts, dans aine espèce de miroir rétrospectif; elles le virent comme une somnambule l'aurait vu, ainsi que le secret de sa cachette et de son; or. • Il y a là un phénomène très-remarquable d'hei lucination collective et simultanée , avec identité

de seconde vue,,; ines n'y ,a. rien qui puisse prouver quelque chose en faveur des évocations et du retour des trépassés, Quoi qu'il en soit du fantôme de Sylvaiu Maré chai, son incrédulité posthume.nous rappelle Unt% pensée fort singulière de Swedenborg, La foi, dit-il, étant une grâce qu'il faut mériter, Dieu ne l'impose jamais à personne, même après la mort. Aussi n'estLil pas rare de rencontrer, dans le monde des esprits, des incrédules qui

nient plus que jamais ce qu'ils out toujiMrs nié , et qui échappent à l'évidence de l'immortalité en supposant qu'ils ne sont pas morts, Mais seule-. ment atteints de quelque maladie mentale qui a déplacé le siége de leurs sensations. Ils vivent toujours comme ils vivaient sur la terre, se plaignant seulement de ne plus voir ce qu'ils voyaient, de ne plus entendre ce qu'ils entendaient, de ne plus goûter ce qu'ils goûtaient, de ne plus posséder ce qu'ils possédaient; ils vivent ainsi d'une fausse existence, protestant contre la véritable vie, et toujours trompés dans leur ennui par l'espérance de la mort. Ces imaginations du mystique suédois sont aussi ingénieuses qu'effrayantes et suffiraient pour nous expliquer, sinon le sommeil léger d'Irène dans son tombeau de Trémithonte, du moins la double visite nocturne de Sylvain Maréchal, le lendemain de sa mort, pour des intérêts matériels et mesquins, si, aux suppositions tirées de l'imagination des mystiques, nous ne préférions mille fois les simples hypothèses de la science et de la raison.

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CHAPITRE V.

MYSTÈRES DES INITIATIONS ANTIQUES. --„• LES ÉVO-. CATIONS PAR LE SANG. - LES RITES DE LA THÉITR.61E. LE CHRISTIANISME ENNEMI DU SANG.

Les mystères de la folie sont les mystères du sang. Ce sont les mouvements déréglés du sang qui troublent la raison des gens éveillés, comme ils produisent, pendant la nuit, le déréglement des rêves. La folie et certains vices sont héréditaires, parce qu'ils résident dans le sang : le sang est le grand agent sympathique de la vie; c'est le mo— teur de l'imagination, c'est le substratum animé de la lumière magnétique ou de la lumière as— trale polarisée dans les êtres vivants ; c'est la première incarnation du fluide universel, c'est de la lumière vitale matérialisée. Il est fait à l'image et à la ressemblance de l'infini ; c'est une substance négative dans laquelle nagent et s'agitent des milliards de globules vivants et aimantés, globules gonflés par la vie et tout vermeils de cette insaisissable plénitude. Sa naissance est la plus grande

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de toutes les merveilles de la nature. Il ne vit que pour se transformer; c'est le Protée universel : il sort des principes où il n'était pas côntenu , il devient de la chair, des os, des cheveux, des tissus particuliers et délicats, des ongles, de la sueur, des larmes. 11 ne s'allie ni à la corruption ni à la mort : quand la vie cesse, il se décompose ; qu'on parvienne à le ranimer, à le refaire par une aimantation nouvelle de ses globules, et la vie recommencera. La substance universelle, avec son double mouvement, est le grand arcane de l'être ; le sang est le grand arcane de la vie. Aussi, tous les mystères religieux sont aussi des mystères de sang. Il n'y a pae de cultes sans sacrifices , et le sacrifice non sanglant ne pouvait exister que comme transsubstantiation d'un sang véritable, toujours fumant, toujours parlant, toujours criant, dans sa vertu divinement expiatoire , sur l'autel comme sur le Calvaire. Les dieux de l'antiquité aimaient le sang , et les démons en avaient soif. C'est ce qui a fait penser au comte Joseph de Maistre que le supplice supplie, que l'échafaud est un supplément de l'autel, et que le bourreau est un appendice du prêtre. C'est à la vapeur du sang, dit Paracelse , que

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l'imagination emprunte tous les fantômes qu'elle enfante. Les visions sont le délire du sang agent secret des sympathies, il propage l'hallucination, comme un virus subtil ; lorsqu'il s'évapore, son sérum se dilate, ses globules se gonflent, se déforment et donnent des corps aux fantaisies les plus bizarres ; lorsqu'il monte au cerveau exalté de saint Antoine ou de sainte Thérèse, il leur appert& en réalisant pour eux des chimères plus étranges que celles de Callot, de Salvator ou de Goya. Personne n'inventerait les monstres que sa surexcitation fait éclore : c'est le poête des rêves; c'est le grand hiérophante du délire. Aussi, dans l'antiquité comme au moyen âge, évoquait-on les morts par l'effusion du sang. On creusait un fossé, on y versait du vin, des parfums enivrants et le sang d'une brebis noire; les horribles sorcières de la Thessalie y joignaient le sang d'un enfant. Les hiérophantes de Baal ou de Nisroch, dans une exaltation furieuse, se faisaient des incisions par tout le corps et demandaient soit des apparitions, soit des miracles, aux vapeurs de leur propre sang : alors tout commençait à tourno.yer 'devant leurs yeux égarés et malades; la lune prenait la teinte du sang répandu, et ils croyaient-la

voir tomber du ciel; puis commençaient à sortir de terre , à voltiger , à ramper , à. se traîner des choses hideuses et informes : on voyait se former des larves et des lémures ; des têtes pâles et sordides comme les vieux suaires, et toutes barbues des moisissures de la tombe, venaient se pencher sur la fosse et tiraient leur langue sèche pour boire le sang répandu. Le magicien, tout affaibli et tout blessé, s'escrimait contre elles avec le glaive jusqu'à l'apparition de la forme attendue et de l'oracle. C'était ordinairement.le dernier rêve de 1 épuisement, le paroxysme de la démence ; c'est alors que l'évocateur tombait souvent comme foudroyé, et, s'il était seul, si de prompts secours ne lui étaient administrés, si un puissant cordial ne le rappelait à la vie, le lendemain on le trouvait mort, et l'on disait que les esprits s'étaient vengés. Les mystères de l'ancien monde étaient de deux sortes. Les petits mystères concernaient l'initiation au sacerdoce; les grands étaient l'initiation au grand oeuvre sacerdotal, c'est-à-dire à la théurgie. La théurgie, mot terrible, mot à double sens, qui veut dire création de Dieu. Oui, dans la théurgie on apprenait au prêtre comment il doit créer les dieux à son image et à sa ressemblance,

— 217 — en les tirant de Sa propre chair et en les animant de son propre sang. C'était la science des évbcations par le glaive et la théorie des fantômes selglants. C'est là que l'initié devait tuer l'initiateur; c'est là qu'OEdipe devenait roi de Thèbes en donnant la mort à Laïus. Nous tâcherons d'expliquer ce que ces expressions allégoriques ont d'obscur. Ce qu'on peut entrevoir déjà, c'est qu'il n'y avait pas d'initiation aux grands mystères sans effusion de sang, et sans l'effusion du sang même le plus noble et le plus pur. C'est dans la crypte des grands mystères que Ninyas dut venger sur sa propre mère le meurtre de Ninus. Les fureurs et les spectres d'Oreste furent l'oeuvre de fa théurgie. Les grands mystères étaient la sainte vehme de l'antiquité, où les francs-juges du sacerdoce pétrissaient de nouveaux dieux avec la cendre des anciens rois détrempée dans le sang des usurpateurs ou des assassins. Étaient-ils donc eux-mêmes des assassins, ou du moins des bourreaux? Non; car le droit au sacrifice leur était dévolu par le consentement universel des nations. Le prêtre n'assassine pas, il n'exécute pas, il sacrifie; et c'est pour cela que Moïse, nourri du dogme des grands mystères, choisissait pour tribu sacerdotale celle

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qui avait su le mieux, suivant l'expression même de la Bible, consacrer ses mains dans le sang. Ce n'étaient pas seulement Baal et Nisroch qui demandaient alors des victimes humaines; le Dieu des Juifs aussi avait soif du sang des rois, et Josué lui offrait des hécatombes de monarques vaincus. Jephté sacrifiait sa fille ; Samuel coupait en morceaux le roi Agag sur la pierre sacrée du Galgal. Moïse, comme les anciens initiateurs aux grands mystères, était allé avec Josué, son successeur, dans les cavernes du mont Nébo, et Josué était revenu seul. Jamais on ne retrouva le cadavre, car., dans les grands mystères, on possédait le secret du feu dévorant. Nadab et Abiu, Coré, Dathan et Abiron en firent la triste expérience. Quand Saül fut rejeté de Dieu, c'est-àdire condamné comme usurpateur du sacerdoce et profanateur des mystères, il devint le jouet des hallucinations, car les grands hiérophantes avaient le secret des fantômes. C'est alors qu'Achitophel lui conseilla le massacre de tous les prêtres, comme si l'on pouvait jamais les massacrer tous. Le sang des sacrificateurs est une semence de. nouveaux sacrifices. Vous faites le 2 septembre, et la Saint-Barthélemy est justifiée. Vous

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croyez punir Torquemada, et vous préparez de hautes oeuvres à Trestaillon. Le prêtre qui conduit Louis XVI à l'échafaud, et qui lui dit avec l'autorité suprême du pontife : « Fils de saint Louis, montez au ciel » semble accomplir seul, avec la Convention pour ministre subalterne, le • grand sacrifice de la Révolution. La victime même, en tombant, révèle et consacre le prêtre. Je mettrai sur toi un signe, dit Adonaï à Caïn, pour te rendre inviolable et pour que personne n'ose porter la main sur toi. Abel fut la première victime, Caïn fut le premier prêtre du monde. Abel, pourtant, avait exercé avant Caïn une sorte de sacerdoce, et il avait le premier versé le sang des créatures de Dieu. Il offrait au Sei— gneur, dit la Bible, les prémices de son troupeau; Caïn, au contraire, ne présentait à Dieu que des fruits. Dieu repoussa les fruits et préféra le sang; mais il ne rendit pas Abel inviolable, parce que le sang des animaux est plutôt la figure que la réalisation du véritable sacrifice. C'est alors que l'ambitieux Caïn consacra ses mains dans le sang d'Abel ; puis il bâtit des villes et fit des rois, car il était devenu souverain pontife. Si, plus tard, Judas Iscariote eût fait pénitence au lieu de se

suicider, il dit fait une rude concurrence à saint Pierre. Saint Pierre, en effet, était, après Judas seulement, le plus sanguinaire des apôtres. Est-ce pour cela seulement qu'il méritait d'être le premier pape? Loin de nous l'idée d'une sacrilége ironie ! Nous révélons la grande loi sacerdotale, et nous n'insultons pas pour cela à la pa- • pauté. Nous voulons dire que le sacrificateur assume sur lui et résume en lui tous les crimes du peuple, et qu'il est purifié le premier par le sang tout-puissant de la victime. C'est du moins ce que pensaient les hiérophantes de l'ancien monde, lorsque, dans la crypte des grands mystères, ils venaient s'offrir, la tête couverte d'un voile, au glaive de leurs successeurs. 0Edipe avait tué Laïus sans le connattre, et tous les grands initiés à la science d'OEdipe expiaient à leur tour le meurtre 'symbolique de Laïus. C'est ainsi que, dans la Maçonnerie, qui garde encore de nos jours la tradition symbolique des anciens mystères, on parle toujours de venger la mort du fabuleux Hiram. L'homme qui se sent malheureux sans avoir la conscience d'être juste, se croit facilement puni pour une faute involontaire; il croit avoir tué son propre bonheur : le besoin d'expiation lui fait -

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rêver le sacrifice, et c'est le sacrifice qui fait les prêtres en consacrant l'autel sanguinaire des dieux. Jésus, le seul initiateur qui n'ait tué personne, meurt pour l'abolition des sacrifices sanglants. Il est alors plus grand que tous les pontifes; et que serait—il donc, s'il n'était pas Dieu ? Il s'est fait Dieu sur le Calvaire ; mais ses disciples, en le reniant et en le vendant, se sont faits prêtres, et ils ont continué le vieux monde, qui durera tant que le prêtre aura besoin de vivre de l'autel, c'est—à—dire de manger la chair des victimes. Et il y a de prétendus sages qui vous disent que le christianisme expire et que le monde de JésusChrist s'en va! C'est le vieux monde qui expire, c'est l'idolâtrie qui s'en va. L'Évangile a seule— 'ment été annoncé ; il n'a pas régné sur la terre. La catholicité, c'est-à-dire l'universalité d'une seule religion, n'est encore qu'un principe que bien des gens regardent comme une utopie. Mais les principes ne sont pas des utopies; ils sont plus forts que les peuples et les rois, plus durables que les empires, plus stables que les mondes. Le ciel et la terre peuvent passer, a dit le Christ; mes paroles ne passeront point.

Nous lisons dans les Actes des apôtres que saint Pierre eut une vision. Il voyait une grande nappe couverte d'animaux purs et impurs, et une voix lui disait : Tue et mange ! Ainsi se révéla pour la première fois le mystère de la papauté temporelle. Depuis lors les souverains pontifes ont cru pouvoir tuer pour manger. Jésus—Christ jeûnait et ne tuait pas ; il avait même dit à saint Pierre Remets ton épée dans le fourreau, car celui qui frappe de l'épée périra par l'épée. Mais c'est là une de ces paroles qui ne pouvaient être comprises avant la venue de l'esprit d'intelligence et d'amour qui, comme on le voit bien, n'a pas encore établi son règne définitif en ce monde. Les souverains pontifes des anciens cultes étaient donc tous des sacrificateurs d'hommes, et tous les dieux du sacerdoce ont aimé la chair et le sang. Moloch ne différait de Jéhovah que par défaut d'orthodoxie, et le Dieu de Jephté avait des mystères semblables à ceux de Bélus. Les moines du moyen âge se tiraient régulièrement du sang, comme les prêtres de Baal ; car la continence perpétuelle , cette divinité stérile , est une • idole qui veut du sang : la force vitale qu'on veut soustraire à la nature, il faut la verser sur l'autel

de la mort. Nous avons dit que le sang est le père des fantômes, et c'est par les fantômes du sang que les prêtres de Babel et d'Argos troublèrent la rai— son de Ninyas et d'Oreste. Sémiramis et Clytem— nestre avaient été vouées aux dieux infernaux; et leurs légendes se ressemblent de telle sorte qu'on les croirait calquées l'une sur l'autre. Ninus était le roi des prêtres : Sémiramis voulut être la reine des peuples, et s'assura, par un crime, la possession de la couronne de Ninus. Le monde poli— tique n'avait pas alors de tribunal qui pût juger cette femme, tant elle se justifia par de grandes choses. Elle semait le monde de merveilles. Ses envieux soulevaient contre elle les multitudes elle venait seule, et les révoltes s'apaisaient. Mais elle avait un fils que les prêtres gardaient pour otage : Ninyas était initié aux grands mystères ; et il avait juré de venger Ninus, dont il ne con— naissait pas encore le meurtrier. Sémiramis, de son côté, était obsédée de fantômes et de remords. La femme, chez elle, l'emportait secrètement sur la reine, et souvent elle descendait seule dans la nécropole pour pleurer et frémir sur les cendres de Ninus. C'est là qu'elle rencontra Ninyas, poussé par les hiérophantes : entre le fils et la mère se

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dressa le spectre du roi assassiné. Sémiramis était voilée; le fantôme ordonna de frapper. Le jeune initié s'avance : Sémiramis pousse un cri et lève son voile, elle a reconnu Ninyas : a Non, tu n'es plus Ninyas, dit le spectre, tu es moi-même , tu es Ninus sorti de la tombe ! » Et il sembla absorber le jeune homme en lui-même et se confondre avec lui de telle sorte que la reine ne vit plus devant elle que le spectre de Ninus, pâle et le glaive sacré à la main. Elle retira alors le voile sur sa tête et présenta son flanc, comme devait faire plus tard Agrippine. Quand Ninyas revint à lui , il était couvert du sang de sa mère : « Est-ce donc moi qui l'ai tuée? s'écriait-il avec égarement. — Non, répondait Sémiramis en l'embrassaut pour la dernière fois, nous sommes deux victimes; et le sacrificateur, ce n'est pas toi : je meurs, assassinée par le grand-prêtre de Bélus ! » Tels étaient les prêtres de Babylone, tels furent ceux de Mycènes et d'Argos : Calchas demande le sang d'Iphigénie ; Clytemnestre maudit les prêtres et venge sa fille par le meurtre d'Agamemnon ; Oreste , poussé par les oracles , tue sa mère, et va chercher jusqu'au fond de la Chersonèse Taurique l'idole sanglante de la Diane vengeresse.

Devons-nous être étonnés de ces attentats contre la famille, quand, des siècles plus tard et en plein christianisme, nous voyons un prêtre romain, le terrible Jérôme, écrire à son disciple Héliodore : « Si ton père se couche sur le seuil de la « porte, si ta mère découvre à tes yeux le sein « qui t'a nourri, foule aux pieds le corps de « ton père, marche sur le sein de ta mère, et. « les yeux secs, accours au Seigneur qui t'ap- « pelle ! » Tels sont les sacrifices de la chair et du sang qui consomment le grand œuvre de la théurgie. Le Dieu pour lequel on a marché sur le sein de sa mère, on doit le voir désbrmais l'enfer sous les pieds et le glaive exterminateur à la main Il poursuivra l'ascète comme un remords, il ira savourer dans la solitude les terreurs de l'enfer et les désespoirs de la pensée. Moloch ne brûlait les enfants que pendant quelques secondes; il appartenait aux disciples du Dieu qui meurt pour racheter le monde de créer un Moloch nouveau dont le brasier est éternel ! M. Renan, dont nous ne voudrions pas avoir

écrit le malencontreux ouvrage, y a mis cependant une bonne !parole, qui rachète, à nus yeti X

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bien des défauts. Cette parole, la voici : « Per« sonne ne fut moins prêtre que Jésus. » Distinguons toutefois, car il s'agit du prêtre de l'antiquité, qu'on retrouve malheureusement encore dans les temps modernes. Saint Jérôme était, à son insu, un hiérophante des grands mystères ; saint Vincent de Paul est le type du nouveau prêtre, du véritable prêtre chrétien , cette réincarnation perpétuelle de Jésus-Christ. L'ÉGLISE A HORREUR DU SANG. Dans cette ineffaçable maxime se résume tout l'esprit du christianisme. L'Église a horreur du sang, et repousse loin de son sein tous Ceux qui aiment à le verser. Le prêtre chrétien ne peut exercer les fonctions d'accusateur public, ou de juge, sans devenir irrégulier, c'est-à-dire incapable d'exercer les fonctions saintes. Ainsi donc, les inquisiteurs meurtriers n'étaient pas des prêtres chrétiens, c'étaient des sacrificateurs de l'ancien monde qui mentaient au christianisme. Un pape ne peut condamner personne à mort. Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis, mais il ne sait pas les égorger. Un pape ne saurait faire la guerre. Quand Jules II faisait le soudard, il n'agissait plus

— tit7 en pape, c'était encore un tyranneau du Bas. Empire. Le bon Pie IX, qui a , dit-on , des visions , doit être obsédé par les spectres de Pérouse et de Castelfidardo ; alors il doit avoir horreur de ses propres mains , lui qui est le chef suprême de l'Église, car l'Église a horreur du sang. Sacrifier les autres pour soi, voilà le vieux monde, le monde de Jupiter et de Saturne, le monde des Césars et des augures. Se sacrifier pour les autres, voilà le monde nouveau, le monde du Christ, le monde de l'avenir. Tuer pour vivre, voilà la grande fatalité des grands mystères. Mourir afin que les autres vivent, voilà le droit divin et la liberté de l'initiation humaine au triomphe de la raison. La divinité et l'humanité se sont étroitement unies en Jésus-Christ, et qui frappe l'une blesse l'autre. Juges de la terre, prenez-y garde : tout homme désormais appartient au Christ; il a payé de son sang innocent l'humanité coupable tout entière. Tout coupable est appelé au repentir, et tout homme qui peut encore se re pentir doit être sacré comme Caïn. Savez-vous pourquoi Dieu gardait si précieusement le sang de Caïn? C'est que chacune des gouttes de ete



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sang valait une goutte de sang rédempteur. et, pour que la rançon fût efficace, il ne fallait pas qu'une seule parcelle de la chose rachetable se perdit. Le sang d'Abel criait vers Dieu, dit la Bible. Qui donc pouvait le faire taire? Pour éteindre cette voix il fallait une voix plus puissante, celle du sang de Jésus-Christ. Le sang d'Abel demandait justice : Abel n'était qu'un homme, et le sang de Jésus avait seul assez de force pour crier que la j ustice, chez Dieu, c'est le pardon. Qui donc avait pu lui dire cela? Jésus-Christ seul le savait pour le dire au monde, et, s'il le savait, c'est qu'il était Dieu! Aussi pouvait-il seul abolir le sacerdoce de sang et instituer la prêtrise du sacrifice volontaire. C'est ce qu'il a fait. c'est ce que les martyrs ont compris, c'est ce que les saints comme Vincent de Paul ont essayé, non pas vainement, mais si difficilement encore sur la terre, et vous osez dire que le christianisme s'en va! Je vous demande s'il est venu au monde autrement que comme une parole incomprise et un prodige contesté? Je vous demande si le sang d'Abel a cessé de

couler, et si le sacerdoce a échappé définiti-

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vement aux mains sanglantes des enfants de Caïn? On dit que tous les ans, à Naples, le sang du martyr Gennaro se liquéfie et bouillonne comme s'il ne pouvait se reposer; on dit qu'en plusieurs endroits de la France le vin des calices est redevenu du sang, et que les hosties consacrées sesont rougies d'une sueur semblable à celle de l'agonie au jardin des Oliviers. C'est que les martyrs sont solidaires les uns pour les autres; c'est que le sang non expié crie contre les effusions du sang nouveau. Le sang de saint Janvier proteste contre l'inquisition encore vivante dans la triste cervelle des Gaume et des Veuillot. Le vin de l'Eucharistie redevient du sang pour défendre aux indignes prêtres de le boire, et les hosties s'injectent des nuances du meurtre, comme si le Christ découragé renonçait à la transsubstantiation et redevenait un cadavre. Quand le Christ devient un cadavre, c'est qu'il se prépare à ressusciter, et nous croyons que la résurrection du christianisme est prochaine; mais ce n'est pas ce quà nous avons à prouver ici. Demeurons dans notre sujet et constatons seulement que le règne des dieux de sang est fini. Ne ver-

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sons donc plus le sang, ne l'agitons plus, même pour en faire sortir des dieux. Laissons en paix les morts, car las oracles du sang répandu sont frères des oracles de la tombe. La table tourne parce que le sang s'agite; laissez le sang se calmer, et les prétendus esprits se tairont. Oui, spirites, les esprits qui parlent dans les tables sont les esprits de votre sang. Vous vous épuisez pour animer le bois, comme ces prêtres du Mexique qui croyaient donner une âme à leurs idoles en les barbouillant de sang fraichement répandu. Ce que vous faites, on le faisait avant la venue de Jésus-Christ ; on l'a fait et on le fait peut-être encore dans l'Inde; on le fait surtout chez les sauvages, où les jongleurs entourent de chevelures saignantes l'autel de leurs manitous, qu'ils conjurent et font parler. Le magnétisme. c'est la projection des esprits du sang, et vous-magnétisez vos meubles en appauvrissant votre cerveau et votre coeur.

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CHAPITRE VI. LES DERNIERS INITIÉS DE L'ANCIEN MONDE : APPOLLONIUS DE THYANE, MAXIME D'ÉPHIISE ET JULIEN. LES PAÏENS PIC LA RÉVOLUTION. UN Hutao-

PFIANT$ DE GÉMIS AU DIX...HUITI2AIE SICLE.

Le sacrifice de soi—même pour les autres a quelque chose de si insensé en apparence, mais de si sublime en réalité, que cet antagonisme qu'on y trouve entre la raison égoiste et l'enthousiasme du dévouement justifie complétement le Credo quia absurdum du paradoxal Tertullien. La foi, comme l'antique Minerve, naquit toute armée et se posa tout d'abord en triomphatrice. La nature elle—même, la sainte et immortelle nature, sembla vaincue un instant, parce qu'elle était surpassée. Le jour oh un homme mourut volontairement pour sauver les autres, le surnaturel fut prouvé. Alors les sages de ce monde et les raisonneurs s'étonnèrent ; ils cherchèrent dans l'eangile le

secret de la puissance du christianisme et ne le trouvèrent pas. Ils ne virent qu'une compilation mystique de paraboles juives et d'allégories égyptiennes; ils résolurent d'opposer un livre à ce livre et un homme à Jésus-Christ, et c'est ainsi que fut écrite la vie d'Apollonius de Thyane. Ce monument contemporain des Éyangiles n'a pas été assez étudié : on y trouve des histoires et des symboles; la fable y coudoie la vérité, mais cette fable est toujours une doctrine présentée sous le voile de l'allégorie. C'est ainsi que le voyage d'Apollonius dans l'Inde, et sa visite au roi Hiarchas dans le pays des Sages, figurent le dogme entier d'Hermès et contiennent tous les signes convenus, tout le secret des anciens sanctuaires, c'est-à-dire le grand oeuvre de la science et de la nature. Les dragons de la montagne sont les métalloïdes ignés qui contiennent le mercure philosophique; le puits où se trouvent les réservoirs de la pluie et du vent est le caveau où fermente le feu électromagnétique alimenté par l'air et excité par l'eau. Il en est de même des autres symboles. Le roi Hiarchas ressemble, à s'y tromper, à ce fabuleux Hiram, auquel Salomon demandait les cèdres du Liban et l'or d'Ophir. Remarquons

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que Jésus ne demande rien aux rois de son temps et que lorsque Hérode l'interroge il dédaigne de lui répondre. Apollonius est sobre; il est chaste comme Jésus, et comme lui il se dévoue à une vie errante et austère. La différence essentielle entre l'un et l'autre, c'est qu'Apollonius favorise les superstitions et que Jésus les détruit ; qu'Apollonius excite à verser le sang et que Jésus maudit les oeuvres du glaive. Une ville est affligée de la peste, Apollonius arrive, le peuple, qui le regarde comme un thaumaturge, se presse autour de lui et le conjure de faire cesser le fléau. La peste qui vous afflige, la voilà ! s'écrie le faux prophète en montrant un vieux mendiant. Lapidez cet homme, et la contagion cessera. On sait de quoi est capable une multitude furieuse de superstition et de peur. Le vieillard disparatt sous un monceau de pierres. Philostrate ajoute qu'on déblaya ensuite la place du meurtre et qu'on n'y trouva autre chose que le cadavre d'un gros chien noir ; et ici l'absurde n'arrive pas à justifier l'atroce. Jésus ne faisait lapider personne, pas même la femme adultère ; il ne rejetait pas les fléaux publics sur la tête du pauvre Lazare, que le mauvais riche repoussait

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du seuil de sa porte, et dont les chiens avaient pitié. Pour remède à la misère, cette peste aux yeux des heureux, il donnait le paradis et non le dernier supplice. Apollonius ici n'est qu'un misérable sorcier, et Jésus est le fils de Dieu. Apollonius a des visions; il assiste en esprit au meurtre du tyran de Rome, et il pousse des cris de joie. Courage! dit-il en s'adressant aux assassins; frappez, immolez ce monstre! Jésus n'a pas une parole de malédiction contre Hérode et contre Pilate, et prie même pour eux en même temps que pour ses bourreaux, lorsqu'il dit cette parole sublime : Père, pardonnez-leur; car ils ne savent ce qu'ils font! Le génie d'Apollonius est une brillante folie qui se révolte et qui proteste, celui de Jésus est une raison modeste qui accepte et qui se soumet. Avec Apollonius de Tyane, le vieux monde semblait avoir dit son dernier mot ; mais la Providence, qui est belle joueuse, lui donna encore Julien, afin qu'il pet essayer encore une fois de prendre sa revanche. Julien était un philosophe comme Apollonius et un empereur comme MareAurèle. Mais c'était aussi un sophiste h la me

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nière de Libanius, et il donnait toute sa confiance à des charlatans comme Jamblique et Maxime d'Ephèse. Jamais cet esprit raide et guindé n'avait pu comprendre les doux mystères de la crèche. Julien n'aimait pas les femmes et n'avait pas d'enfants , il était chaste moins par sacrifice que par mépris du plaisir; sa rudesse philosophique allait jusqu'à lui faire négliger les soins les plus vulgaires de la propreté. Il avoue, dans le Misopogon, que ses cheveux et sa barbe étaient hantés par les insectes les plus sordides, et il s'en fait presque un mérite. Ici le César pediculosus devient véritablement grotesque. « Oh ! le beau menton de bouc ! oh ! le barbu mal peigné ! » chantaient les habitants d'Antioche. Julien croit répondre en reprochant aux chanteurs leur mollesse et leurs débauches. Comme si les vices des uns pouvaient autoriser la malpropreté de l'autre. Ce héros crasseux, qui avait reçu malgré lui du christianisme une teinte ineffaçable de philanthropie, était, par religion, amateur des sacrifices et du sang. Quel victimaire que ce grand philosophe ! quel boucher que cet excellent prince ! disaient les prédécesseurs de Pasquino. Aussi le voyait—on toujours les vêtements retroussés et les mains pleines d'en-

trailles fumantes. On n'était plus au temps où les princes grecs, chantés par Homère, égorgeaient et dépeçaient eux-mêmes les victimes. Julien ne comprenait ni son époque ni la dignité de son rang. Néron avait pu se faire histrion parce que, suivant la belle expression de Tacite, la terreur lui faisait raison du mépris; mais Julien, trop bon pour se faire craindre, trop désagréable pour se faire aimer, ne pouvait échapper au ridicule en exerçant les fonctions dégoûtantes des sacrificateurs antiques. On le sacrifia enfin lui-même, et le monde chrétien applaudit. On assure qu'après sa mort on ouvrit les portes d'un petit temple qu'il avait fait murer avant de partir pour son expédition de Perse, et qu'on y trouva le cadavre d'une femme nue suspendue par les cheveux et le ventre ouvert. Est-ce une invention de la haine ou la révélation d'un mystère? Cette femme était-elle une martyre ou une vietime volontaire? Nous penchons vers cette dernière idée. Une jeune fanatique s'était trouvée peutêtre alors qui avait voulu opposer son sacrifice à celui du Christ pou r la p rospérité du règne dein' ien et le retour aux anciens dieux. L'empereur avait fermé les yeux et le grand pontife avait seul assisté

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à l'holocauste. Le temple muré, la victime sanglante suspendue entre le ciel et la terre comme une prière palpitante, tout cela ressemble à une parodie du crucifiement. On sait qu'à une époque toute rapprochée de nous de jeunes filles se faisaient ainsi crucifier pour le triomphe de la protestation janséniste, et, si l'on songe aux rites barbares qui déshonoraient la religion de Julien, on ne rejettera pas immédiatement comme une calomnie posthume l'histoire de la femme sanglante et du temple muré. Julien avait été initié aux grands mystères par Maxime d'Éphèse, et il croyait à la vertu toute-puissante du sang. C'est en effet par un baptême de sang que Maxime d'Éphèse l'avait consacré aux anciens dieux. Julien, conduit dans la crypte du temple de Diane à demi nu et les yeux bandés, reçut des mains de Maxime un couteau, et une voix mystérieuse lui ordonna de frapper une pâle figure humaine qu'on lui laissa seulement entrevoir ; le bandeau fut remis sur les yeux du néophyte, ou conduisit la main de Julien et on lui fit toucher une chair toute chaude et toute vivante ; il y plongea le glaive sacré, puis on le força de se prosterner sous la fontaine qu'il venait d'ouvrir. Une

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aspersion chaude et nauséabonde le fit tressaillir, mais il garda le silence et reçut jusqu'au bout la consécration du sang versé. Par ce sang, disait Maxime, je te lave de la souillure du baptême. Tu es le fils de Mithra e't tu as plongé le glaive dans le flanc du taureau sacré. Que l'ablution du taurobole te purifie! Julien venait-il de sacrifier un homme? n'avait-il immolé qu'un taureau ? c'est ce que lui-même alors devait ignorer; mais que ces rites aient été ceux des grands mystères, nous n'en saurions douter, puisque nous les retrouvons encore dans les traditions de l'illuminisme et dans les anciens rituels de la maçonnerie, héritière, comme le savent tous les érudits en cette spécialité, des doctrines et des cérémonies de l'ancienne initiation. Suivant l'usage des historiens anciens, Ammien Marcellin a composé une belle harangue qu'il met dans la bouche de Julien mourant, comme si un homme qui a le foie traversé par un dard pouvait songer à faire des harangues. Ici nous aimons mieux croire à la tradition chrétienne qu'à l'histoire sophistique. Or, voici ce que dit cette tradition : Lorsqu'on eut retiré le javelot à trois tranchants de la blessure de Julien,

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lorsque son sang coulait à flots et qu'il se sentait défaillir, il remplit ses deux mains de ce sang qu'il perdait et les éleva vers le ciel en prononçant ces mystérieuses paroles : Tu as vaincu, Galiléen ! On a pris ces paroles pour un blasphème, mais n'était-ce pas bien plutôt une rétractation tardive? L'initié du taurobole comprenait trop tard que le sacrifice de soi-même l'emporte sur le sacrifice des autres. 11 sentait qu'en donnant son propre sang pour les hommes, le Christ a pourjamais abrogé les sacrifices sanglants de l'ancien monde. Le souverain pontife de Jupiter donnait sa démission en offrant à son tour au ciel son propre sang au lieu de celui des boucs et des taureaux. Oui, semblait-il dire, toi que par mépris j'appelais Galiléen, tu es plus grand que moi et tu m'as vaincu ! Tiens, voilà mon sang que je te donne comme tu as donné le tien. Je meurs et je reconnais que tu es mon maitre! Tu as vaincu, Galiléen Les mains du malheureux empereur s'affaiblirent, son sang retomba sur sa tête, et l'on crut qu'il Mali voulu les secouer contre le ciel. Il se purifia peut-être ainsi des souillures du taurobole et renouvela les traces effacées de son baptême. Son

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acte de repentir fut méconnu et laissa peser l'anathème sur sa mémoire. Mais il avait été bon et juste, et Dieu ne laisse pas périr à jamais ceux qui ont aimé et cherché le bien même dans les ombres de l'erreur. C'est sur la foi des fantômes évoqués par Maxime d'Ephèse que Julien avait cru à l'existence réelle de ses dieux, et ces fantômes étaient les hallucinations du sang. On assure que Julien, épuisé par les jeûnes préparatoires et tout tiède encore de son baptême de sang, vit passer devant lui toutes les divinités du vieil Olympe. Il les vit non pas tels que les représentent les poètes de l'antiquité, mais tels qu'ils existaient alors dans l'imagination désenchantée des multitudes, vieux, décrépits, misérables, abandonnés. Ce n'étaient plus les grandes divinités d'Homère, c'étaient les dieux grotesques de Lucien, tant il est vrai que les prétendus esprits qu'on évoque sont des mirages ou des reflets d'une imagination collective. Le spiritisme visionnaire , c'est la photographie des rêves. Les photographies mentales sont d'ailleurs plus durables que les photographies solaires, car, si les premières s'effacent, on peut les renouveler

toujours en rejetant son esprit dans les mêmes aberrations. Nous avons vu eu 93 les derniers initiés aux grands mystères, les philanthropes de l'école de Julien, poursuivre à travers un nuage de sang le fantôme de la liberté. Nous avons vu en quelque sorte s'échapper de la tombe des Brutus grotesques et des Publicola sordides qui juraient par la sainte guillotine en invoquant les dieux. Saint— Just rêvait un monde gouverné par des vieillards laboureurs et vertueux décorés d'une ceinture blanche. Robespierre se créa lui—même grandpontife, et, suivant la loi sanglante des antiques mystères, il dut périr sous le couteau de ceux qu'il avait initiés ; tous philosophes et apostats comme Julien, ils périrent comme lui en désespérant de l'avenir. Mais moins généreux que lui, ou peut-être moins sincères, ils périrent sans présenter au ciel l'offrande de leur propre sang et sans avouer qu'encore une fois le Galiléen avait vaincu. Voilà où conduisent les rêves, voilà ce que produit l'évocation des morts. Si l'on avait laissé dormir dans leur tombe les Brutus et les Cassius, si les spectres de l'aréopage et du forum ne s'étaient 16

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pas dressés dans la cervelle échauffée de ces hommes dont la raison était si bien représentée par une femme dissolue, on n'eflt pas jeté par milliers les enfants de la France dans la gueule dévorante du Moloch révolutionnaire. Mais les larves qui nous viennent d'outre-tombe sont toujours froides et altérées ; les fantômes demandent du sang, et quand les têtes se désorganisent au point d'enfanter des visions, les mains sont bien près de commettre des crimes. — Donnez-moi des flèches! s'écriait Quanctius Aucler, qu'un faible hiérophante de Cérès venge la nature outragée ! Il s'agissait de tuer les prêtres; mais notre homme, que l'hallucination révolutionnaire avait rendu conplétement fou, voulait les tuer à coups de flèches, afin de donner à leur supplice une couleur plus antique. Ce Quanctius Aucler, qui se disait hiérophante de Cérès, a laissé un livre curieux intitulé la Pracie, où il demande sérieusement le retour au Culte de Jupiter, puisqu'on ne pouvait pas s'en tenir au règne de Saturne. Mais la Révolution de toulut adorer ni Saturne ni Jupiter ; elle fut elle-nlêrde Saturne, et, suivant la sombre prophétie de Vergniaud, elle dévora tous ses enfants.

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CHAPITRE VII. LES ESPRITS AU MOYEN AGE. •-• LE DIABLE JOUE TOUJOURS LE PREMIER ROLE DANS LA COMÉDIE DES PRODIGES. - L'ARCHEVÊQUE UDON DE MAGDEBOURG. PIRES.

LE DIACRE RAYMOND. - LES VAMLES MAISONS HANTÉES.

Tant que dure cette enfance de la raison moderne qu'on appelle le moyen âge, les forces secrètes de la nature, les phénomènes de magnétisme, les hallucinations surtout, dont les dere sont l'abondante pépinière, font croire à l'influence presque continuelle des esprits. Les fantômes aériens que l'imagination crée et poursuit dans les nuages, deviennent des sylphes, les vapeurs de l'eau sont des ondines, les vertiges du feu sont des salamandres, les émanations enivrantes de la terre sont des gliomes, les lutins dansent avec les fées au elair de la lune. Tout le sabbat est déchalné. La raison sommeille, la critique est absente, la science est muette. Abeilard expie cruellement ses hom

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mages prématurés à l'intelligence et à l'amour. Les morts remuent, les tombeaux parlent, sans qu'on s'avise de soupçonner qu'on a inhumé des vivants. L'Evang'ile seul brille au milieu de ces ténèbres profondes, comme une lampe toujours allumée dans une église pleine d'épouvantes et de mystères. Or, l'Evangile déclare que les morts ne peuvent et ne doivent jamais revenir; que l'ordre de la Providence s'y oppose. Voici le texte qu'on ne saurait trop répéter pour l'opposer aux rêveries des spirites; on le trouve vers la fin du seizième chapitre de saint Luc : « Suivant l'ordre de toutes choses, entre vous et nous le grand chaos s'est affermi, en sorte que, d'ici, ON NE PEUT ALLER VERS VOUS, et que, de là où vous êtes, ON NE PEUT VENIR ICI à (c'est Abraham qui parle au mauvais riche). Le mauvais riche répond : « Je te prie, père, d'envoyer le Lazare dans la maison de mon père. Car j'ai cinq frères, et Lazare les avertira afin qu'ils ne viennnent pas à leur tour dans ce lieu de tourments. Et Abraham lui dit : « Ils ont Moïse et les prophètes, qu'ils les écoutent. » Et lui, il dit : « Non, père Abraham; niais si quelqu'un d'entre les morts va les visiter, ils feront péni-





tence. » Abraham répondit : « S'ils n'écoutent ni Moïse ni les prophètes, ils n'écouteraient pas même un mort qui serait ressuscité. » Ce passage est infiniment remarquable et con— tient toute une révélation sur l'ordre éternel et immuable des destinées de l'homme. Nous y voyons la force de la nature qui pousse la vie en avant et referme les portes derrière elle pou rqu'elle ne recule jamais. Les échelons de l'échelle sainte s'affermissent à jamais sous les pieds de ceux qui montent, et ils nepeuvent plus, entendez-vous bien? ILS NE PEUVENT PLUS redescendre pour revenir. Remarquons encore qu'Abra.ham n'admet la possibilité du retour de Lazare sur la terre que par voie de résurrection et non d'obsession spirite. Car, suivant l'un des grands dogmes de la kabbale, l'esprit se dépouille pour monter, et il faut qu'il se revête pour descendre. Il n'y a qu'un moyen possible pour qu'un esprit déjà affranchi se ma— nifeste da nouveau sur la terre : il faut qu'il reprenne son corps et qu'il ressuscite. Il y a loin de là à se fourrer dans une table ou dans un cha— peau. Voilà pourquoi la nécromancie est horrible. C'est qu'elle constitue un crime contre nature.

— Me — Le nécromancien n'a-t-il pas la témérité de vouloir secouer l'échelle sainte afin de faire tomber les esprits qui montent ? Cela ne se peut pas sans doute, et le sacrilége évocateur ne sera assailli que par ses propres vertiges, Aussi, les meilleurs théologiens du moyen âge ont-ils dit que les morts restent irrévocablement ol la justice de Dieu les a envoyés, et que le démon seul répond à l'appel des magiciens et prend la forme des trépassés qu'on appelle pour égarer la conscience humaine, et faire croire aux sorciers qu'ils peuvent troubler à leur gré l'empire des aines et de Dieu, C'est dire, en termes allégoriques, précisément ce que mous disons dans le langage de la raison et de la science. Le démon, c'est la folie, c'est le vertige, c'est l'erreur ; c'est la personnification de tout ce qui est faux et insensé. Ici, nous tendons à M. de Mirville une main qu'il ne prendra certainement pas. Laissons-lui son diable de carton, qu'il fait jaillir de ses gros livres comme d'un joujou à surprise : M. de Mirville est un enfant. Nous insistons ici sur l'autorité de l'Évangile et des théologiens, parce qu'il s'agit de choses qui sont exclusivement du domaine de la foi. La science n'admet rien qu'elle ne puisse démontrer : or, la

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science ne saurait démontrer la continuation de la vie humaine après la mort. Elle n'admet donc pas les esprits; et le titre de notre livre, la Science des esprits, serait un paradoxe s'il ne. signifiait science des hypothèses relatives aux esprits. La science est purement humaine, et la foi né saurait raisonnablement s'affirmer divine, si elle n'est immensément collective. C'est cette collecti. vité qui mérite aux croyances le nom de religion y c'est—à—dire lien moral qui rattache les hommes les uns aux autres. La science ne saurait nier le besoin qu'ont les hommes de religion, pas plus que le phénomène des grandes associations religieuses. En tant que la religion est dans la nature de l'homme, elle ap. partient à la science qui étudie l'homme; mais cette science doit se borner à constater, sans se laisser influencer par lui, le phénomène de la foi. Une croyance isolée ne mérite pas le nom de foi, car foi signifie confiance : se défier de toute autorité sociale et n'avoir confiance qu'en soi.' même, c'est être fou. Le catholique croit à l'Ém. glise, parce que l'Église représente pour lui l'élite des croyants. Voilà ce qui justifie la foi fin char4 . bonnier. Or, le charbonnier n'est ptts seulement

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croyant en matière de religion, il doit l'être aussi en matière de science : ira -t-il nier.ou contester le génie de Newton , parce qu'il ne comprend rien à ses théorèmes ? Je ne suis pas expert en peinture, mais je m'en rapporterais volontiers à Ingres , à Paul Delaroche, à Gigoux ; et ces grands artistes, qui peuvent n'être pas experts en théologie , en exégèse, en kabbale , ne seraient pas raisonnables s'ils ne s'en rapportaient pas à ceux qui ont spécialement étudié ces hautes sciences. Je ne comprends peut-être pas toujours ce qu'ils peuvent dire sur les arcanes de la peinture , pourquoi se fâcheraient-ils si mes livres ne sont pas pour eux parfaitement clairs? Il me suffit que des hommes de science spéciale et de jugement les comprennent, et il sera très-raisonnable de s'en rapporter à ceux-là. Tel est donc le fond de la foi. C'est la confiance de ceux qui ne savent pas en ceux qui savent; et comme la formule des croyances doit toujours emprunter à la science la base de ses hypothèses, comme on ne peut pas raisonnablement croire ce que la science démontre faux, comme il est nécessaire que la science admette au moins la possibilité des hypothèses, comme les hypothèses de

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la foi sont celles que la science avoue ne pouvoir jamais transformer en axiomes ou en théorèmes, il s'ensuit qu'en matière de foi surtout l'autorité est nécessaire, et que cette autorité doit être collective, hiérarchique et universelle, en d'autres termes, catholique. C'est ce que nous avions à prouver. Au moyen âge la foi est aveugle, parée qu'elle n'admet pas la critique et ne s'appuie pas sur la science, qui fait défaut. Il s'ensuit que le raison— nement est faible et que les rêveries abondent. La médecine, par exemple, n'ose pas s'occuper de l'âme, et c'est à l'âme qu'on attribue les affai— blissements du cerveau. Les hallucinés sont alors des inspirés, soit de Dieu, soit du diable; les femmes hystériques sont des possédées; les ma— niaques sont des âmes que Dieu conduit par des voies mystérieuses. Tout est possible alors, tout est permis dans l'ordre prétendu surnaturel, excepté pourtant les évocations auxquelles l'enfer seul peut obéir, et qui troublent inutilement l'ordre immuable de la nature elle silence éternel des tombeaux. L'Évangile affirme que les âmes du ciel ne

peuvent redescendre et que les âmes de l'enfer

350 ne peuvent remonter. Restent celles du purgatoire. Mais celles—ci, vouées à l'expiation, ne peuvent plus pécher, et n'ont par conséquent pas le pouvoir de tourmenter les vivants et de les induire en erreur. Le purgatoire, disent les théologiens, est un enfer résigné, parce qu'il y reste l'espérance. On y souffre, on y aime, on y prie, mais on ne peiit pas en sortir avant le temps marqué par l'éternelle justice. Que peuvent avoir de com. mun ces reclus de l'expiation et de la prière avec les divagations, tantôt stupides, tantôt grivoises, des tables parlantes? Comment le démon même, cette personnification sauvage et grandiose de l'incurable orgueil et du désespoir sans remède, descendrait-il à des lazzis d'arlequin où à des moralités de M. Prud'homme? Le diable du moyen âge est souvent narquois, nous voulons bien en convenir; mais qui ne voit ici, derrière les cornes du bouc, passer les oreilles de la mère folle, de cette satire gauloise qui parfois"s'en prend à Dieu même des sottises de ses ministres et fait le roman comique de Beelzébuth comme elle a fait le roman du Renard? Le diable, d'ailleurs, n'a jamais cessé de faire sa demeure dans la conscience des mauvais pré.. wal

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tres, et les supercheries des vieux sanctuaires se reproduisaient souvent avec les anciens vices dans les temples du Dieu nouveau. Si des bruits inexpliqués troublaient le silence des campagnes, c'étaient des âmes qui demandaient des prières, et les prières, pour le prêtre, c'est de l'argent. D'autres fois aussi d'invraisemblables récits ne dénonçaient qu'un miracle et servaient à cacher un crime; nous n'en citerons pour exemple que la terrible légende d'Eudes ou Udo, archevêque de Magdebourg. C'était un prélat trop savant pour son siècle, et qui semblait vouloir, avant l'époque marquée par la Providence, commencer la révolution religieuse réservée au génie médiocre, mais opiniâtre, de Luther. Udo de Magdebourg s'était déclaré contre le célibat des prêtres; il avait tiré de son cloltre une abbesse dont il faisait presque publiquement sa concubine, en attendant qu'il pût la nommer sa femme. Le jeune clergé commençait à s'éparpiller dans la voie du scandale; les vieux prêtres étaient sombres et attendaient: Voilà qu'un matin l'archevêque est trouvé sans vie dans le choeur de sa cathédrale; la tête, séparée du tronc, grimaçait dans une mare de sang;

— 25t — le corps était en chemise. Évidemment l'archevêque avait été arraché de son lit et traîné dans l'église, où on l'avait décapité. Quels étaient donc les bourreaux, ou, pour mieux dire, les assassins ? La femme qui partageait la chambre d'Udo raconta en tremblant qu'une voix terrible s'était fait entendre. Elle disait, sur un ton de psalmodie : Cessa de Judo, Lusisii salis Udo ;

rimes barbares qu'on pourrait traduire par celles-ci : Repose toi donc, Assez de plaisir Udon.

Puis une porte secrète de l'appartement s'ouvrit, et des hommes noirs se jetèrent sur l'archevêque, qu'ils arrachèrent du lit et entraînèrent avec eux. La femme n'avait plus rien vu ni rien entendu ; elle s'était évanouie de frayeur. Or il y avait dans le chapitre de la cathédrale de Magdebourg un chanoine nommé Friedrich, qui passait pour un saint et menait la vie d'un ascète.

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Ce chanoine veillait cette nuit-là dans l'église, et priait Dieu de faire cesser les scandales de l'ar— chevêque. La grande nef était silencieuse ; le ciel était sans lune, et le vieux prêtre frissonnait dans la profondeur de la nuit, lorsque tout à coup la porte de la sacristie s'ouvre avec fracas, et l'on entend des hurlements étranges mêlés à des cris étouffés. Un personnage vêtu de blanc, et portant au dos de grandes ailes, vient allumer les cierges du maitre—autel. Friedrich alors put voir un homme que des manières de démons tenaient étroitement garrotté; puis son attention fut attirée de nouveau sur la porte ouverte de la sacristie : une procession singulière entrait dans l'église. En tête marchaient, reconnaissables à leur cosi urne traditionnel et à leurs insignes légendaires, les saints protecteurs de l'église de Magdebourg; puis des anges vêtus de blanc, précédant une femme de haute taille qu'à son manteau bleu et à sa couronne d'or ou devait reconnaltre pour la Vierge; après elle venaient d'autres anges vêtus de noir et de rouge, au milieu desquels saint Mi— chel apparaissait, armé d'un large coutelas; enfin, entouré de céroféraires portant des torches allu— mées, marchait un homme couronné d'épines et

— 954 — portant une longue croix à la main. Tout ce clergé de l'autre. monde prit place dans le choeur. Le Christ, ou du moins celui qui en faisait le personnage, s'assit à la place même et sur le trône de l'archevêque, et les démons commencèrent à accuser Udo, qu'ils tenaient au milieu d'eux lié et probablement bâillonné. Le coupable n'eut rien à répondre. La Mère de Dieu fit mine de prier pour lui ; puis, quand le démon parla des scandales du prélat et de la religieuse séduite, la Vierge abaissa son voile et se retira en faisant un geste de dégoût. Le juge alors fit signe à saint Michel; le coutelas flamboya et s'abattit, puis les cierges et les torches s'éteignirent, et tout disparut dans l'ombre. Le chanoine Friedrich se demanda s'il n'avait pas fhit un rêve, et s'avança en tremblant dans le thteur. Arrivé au pied de l'autel, il sentit que la dalle était humide, et se heurta contre Mie masse Inerte. La lampe même de l'autel était éteinte, et lriedrich dut retourner chez lui pour se procurer de la lumière; mais l'émotion et ('épouvante l'empêchèrent de retourner à l'église, et ce fut seuleinent le matin que les servants de la cathédrale, en ouvrant les portes, virent le cadavre décapités

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Le corps du maudit ne fut pas inhumé en terre sainte; les taches de son sang ne furent pas lavées sur les dalles du choeur : on les couvrit seulement d'un tapis, et lorsqu'on installait un nouvel archevêque de Magdebourg, le chapitre et le clergé le conduisaient solennellement à cette place; on levait le tapis et l'on faisait voir au prélat le sang du sacrilége Udo. Rien dans les sombres légendaires du moyen âge ne nous paratt épouvantable comme cet assassinat attribué à Jésus-Christ ; et, certes, si la séparation des deux mondes n'était pas infranchissable pour ceux qui sont montés plus haut; si le Sauveur lui-même pouvait, sans troubler l'ordre éternel de la Providence, se rendre encore présent parmi nous autrement que dans son Évangile et son Eucharistie, ne serait-il pas venu lui-même paralyser et terrasser les acteurs de cette tragédie infâme? ne serait-il pas venu délier et relever le malheureux Udo en lui disant, comme à la femme adultère : Allez, et ne péchez plus? — Si les esprits de l'autre monde podvaient s'armer d'uii glaive matériel pour atteindre les coupables de la terre, est-ce que Torquemada eût pu achever tranquillement ses auto-da-fé ? Est-ce qu'Alexan-

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dre VI, qui empoisonnait les hosties et se livrait publiquement à des incestes, ne méritait pas bien mieux qu'Udo de Magdebourg d'être décapité par les anges, non pas la nuit et dans le secret d'une église déserte, mais en plein soleil, urbi et orbi, devant Rome tout entière et devant l'univers entier? Mais il n'appartient qu'aux hommes, aux fléaux, à la vieillesse et à la maladie de donner la mort. Dieu est le père de la vie; il ne charge pas plus ses anges d'être les valets de nos échafauds qu'il n'a chargé ses prêtres d'être les pourvoyeurs de l'enfer. Supercherie intéressée d'une part, ignorance de l'autre, phénomènes inexpliqués mais non inexplicables, voilà toutes les causes qui justifient l'intervention prétendue *des esprits pendant tout le cours du moyen âge. L'étude de la nature était alors abandonnée pour une scholastique barbare ; ou jurait sur la foi d'Aristote et du maitre des sentences; la peur de l'enfer empêchait qu'ou ne s'occupât du monde, et la pensée de la mort faisait négliger la vie. On sait l'histoire de ce diacre Raymond, à qui la terreur de l'enfer causa un cauchemar posthume, dont le résultat fut la fondation de la Grande-Chartreuse par saint Bruno;

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contagion de la peur, transmission épidémique du délire. Si la sainteté, dans ce temps-là, consistait en une plus grande frayeur de l'enfer, quel homme fut plus saint que le malheureux diacre Raymond? Tombé dans une léthargie d'épouvante que tout le monde prend pour la mort, il se raidit trois fois dans son suaire et se redresse dans son cercueil en criant : de suis accusé ! — je suis jugé ! —je suis damné! Puis il retombe, vaincu cette fois et véritablement tué par la terreur. On cesse alors la cérémonie funèbre, on éteint les cierges et l'on va jeter le corps dans quelque trou çreusé à la hâte. Qui sait si cette fois c'était bien définitivement la mort et si le malheureux ne se réveilla pas une quatrième fois sous terre pour se sentir enterré vivant et se ronger les poings de désespoir Nous avons admis daus nos précédents ouvrages la possibilité du vampirisme, et nous avons même cherché à l'expliquer. Les phénomènes qui se produisent actuellement en Amérique et en Europe appartiennent certainement à cette horrible maladie. On appelle improprement vampires certains monomanes qui, comme le sergent Bertrand, sont poussés fatalement à se repattre de la i7

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chair des mous; mais les Véritables vampires sont des morts qui aspirent et épuisent le sang des vivants. Les médiums ne mangent pas, il est vrai, la chair des morts, mais ils aspirent par tout leur organisme nerveux le phosphore cadavéreux ou la lumière spectrale. Ils ne sont pas vampires, mais ils évoquent les vampires. Aussi sont-ils tous débiles et malades. faibles d'esprit et de corps et fatalement enclins aux hallucinations et à la folie. Les pratiqUes énervantes de l'évocation les épuisent vite, et ils tombent dans une consomption lente comparable à celle que le docteur Tissot décrit comme une suite des habitudes solitaires. Le spiritisme c'est l'onanisme des âmes. La loi de Moïse veut qu'on mette à mort ceux qui consultent les oboth, c'est-à-dire les fantômes de 1 ob ou de la lumière passive. Ce grand législateur voulait, par de rigoureux exemples, préserver son peuple de la contagion du vampirisme et des abîmes de l'hallucination spectrale. Nous ne croyons pas même que le simple somnambulisme magnétique eût trouvé grâce devant ses yeux. Nous ne sommes plus au temps de Moise, et le Code pénal du prophète hébreu est heureu. semant abrogé comme celui de Dracon. Nous ne 1

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voulons certes pas qu'on tue les somnambules et lés spirites, mais si nos avertissements, fondés sur la science et sur la religion, pouvaient en détourner quelques-uns de se tuer eux-mêmes, nous n'aurions pas perdu nos recherches et notre labeur. Venons maintenant aux lieux fatidiques et aux maisons hantées, et reconnaissons avant tout l'existence et la réalité d'un grand nombre de phénomènes qui, au moyen âge surtout, favorisaient la croyance à ce genre de superstition. M. de Mirville en cite beaucoup : nous renvoyons nos lecteurs à ses ouvrages, et nous nous contenterons d'une citation qu'il emprunte à un auteur estimé du quinzième siècle, Alexander ab Alexandro. Voici comment parle cet auteur : « C'est, dit-il, une chose bien notoire et connue de tout Rome, que je n'y ai pas craint d'habiter plusieurs maisons que tout le monde refusait de louer en raison des manifestations épouvantables de revenants qui s'y passaient toutes les nuits. Là, en outre des tapages, des tremblements et des voix stridentes qui venaient troubler notre silence et notre repos, nous y voyions encore un spectre hideux et entièrement noir, de l'aspect le plus

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menaçant, qui semblait implorer de nous assistance; et pour qu'on ne me soupçonne pas d'avoir voulu forger quelque fable, on me pardonnera d'en appeler au témoignage de Nicolas Tuba, homme de mérite et d'une grande autorité, qui me demanda à venir avec plusieurs jeunes gens de sa connaissance s'assurer de la réalité des choses. Ils veillèrent donc avec nous, et quoique les lumières » fussent allumées, ils virent bientôt, et en même temps que nous, paraître ce même fantôme avec ses mille évolutions, ses clameurs, ses épouvantements, qui firent croire mainte et mainte fois à nos compagnons, malgré tout leur courage, qu'ils allaient en être les victimes. Toute la maison retentissait des gémissements de ce spectre, toutes les chambres étaient infestées à la fois; mais lorsque nous approchions de lui, il paraissait reculer, surtout fuir la lumière que nous portions à la main. Enfin, après un tapage indicible de plusieurs heures, et lorsquela nuit tirait à sa fin, toute la vision s'évanouit. (i De toutes les expériences que je fis alors, une mérite surtout d'être citée, car, à mes yeux, ce fut le plus grand de ces prodiges et le plus effrayant.... La nuit était venue, et, après avoir

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fermé ma porte avec un fort cordon de soie, je m'étais couché. Je n'avais pas encore dormi, et ma lumière n'était pas encore éteinte, lorsque j'entendis mon fantôme faire son tapage ordinaire it la porte, et, peu de temps après, la porte restant fermée et attachée, je le. vis, chose incroyable ! s'introduire dans la chambre.par les fentes et les serrures. A peine entré, il se glisse sous mon lit, et Marc, mon élève, ayant aperçu toute cette manoeuvre, glacé d'épouvante, se mit à pousser des cris affreux et à appeler au secours. Moi, voyant toujours la porte fermée, je persistais à ne pas croire à ce que j'avais vu, lorsque je vis ce terrible fantôme tirer de dessous mon lit un bras et une main avec lesquels il éteignit ma lumière. Celle—ci éteinte, alors il se mit à bouleverser nonseulement tous mes livres, mais tout ce qui se trouvait dans ma chambre, en proférant des sons qui nous glaçaient les sens. Tout ce bruit avant réveillé la maison, nous aperçûmes des lumières dans la chambre qui précède la mienne, et en même temps nous vîmes le fantôme ouvrir la porte et s'échapper par elle. Mais voilà ce qu'il a de plus étonnant : il ne fut aucunement vu

par tous ceux qui apportaient de la lumière!

»

916911— M. de Mirille, qui cite aussi ce fait, ajoute

« On sent combien il est facile d'expliquer en gros les phénomènes qu'on rapporte en quatre lignes, mais nous voyons combien chacune vient ajouter à la difficulté de la solution. Alexandre était fou dans ce moment, soit; mais avec lui, son élève, son domestique, et Tuba, et les jeunes gens, et toute la maisonnée, et toute la ville de Rome qui ne voulait plus de cette maison..., il y avait donc dans cette maison une cause halluci natrice pour tout le monde? Quelle était cette cause?... Une cause qui, ne pouvant ouvrir les portes du dehors, passait par les fentes, maïs ouvrait très-bien de l'intérieur. »

Ce qui caractérise surtout cette histoire, et ce que M. de Mirville ne saurait voir, c'est le défaut absolu de logique et de vraisemblance qui caractérise les hallucinations et les rêves. Une porte fermée par un simple cordon de soie est plus facile à ouvrir du dehors que du dedans, en poussant de manière à rompre le cordon, et c'est le contraire qui arrive; l'Esprit qui est entré par le trou de le serrure n'a pas besoin d'ouvrir la porte pour sortir, et il se donne\ cette peine inutile. Il n'est pas visible pour tout le monde, quoi qu'en dise M. de

Mirville qui, ici, suivant une méthode qui est la sienne, semble n'avoir pas mêmelu la citationdont il fait usage. L'air de cette chambre devait être vicié, puisque la lumière s'y éteignait. Le bras du fantôme était une vision de l'asphyxie ; la porte une fois ouverte et le courant d'air établi, le spectre a disparu. On pourrait rapprocher de cette histoire un fait tout récent que nous avons lu, il y a quelques années, dans les journaux. Il y avait dans un endroit qu'on cite, et chez des personnes qu'on nommerait au besoin, une chambre hantée. Un savant résolut d'y coucher et y coucha. Vers le milieu de la nuit il éprouve une oppression horrible, une douleur d'estomac pleine de déchirements et d'angoisses, et il voit, dans une lueur phosphorescente, un affreux démon vert pomme qui était accroupi sur sa poitrine et qui lui fouillait les entrailles avec ses ongles. Il pousse un râlement qui est entendu, on vient à son secours, on donne de l'air à la chambre, et le savant, revenu à lui, se sent malade et reconnaît les symptômes de l'empoisonnement par l'arsenic. On le tire de la chambre fatale, des réactifs lui sont administrés, il se rétablit et peut se livrer à un examen sérieux et attentif de la chambre hantée.

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Il reconnatt qu'elle est tapissée d'un papier vert

pomme coloré au moyen d'une préparation arsenicale. Alors tout s'explique pour lui. En effet on changea le papier de cette chambre, et le fantôme homicide ne revint plus. C'est en étudiant de près les prodiges qu'on découvre les lois secrètes de la nature. Voilà, par exemple, une maison qui attire les pierres comme un fer aimanté attire la limaille de fer. C'est étrange, n'est-ce pas? mais c'est aussi ce qu'on devait dire lorsqu'on a remarqué, _pour la première fois, les phénomènes de l'aimant. On découvrira bientôt qu'il existe des aimants spéciaux dans les trois règnes de la nature, et que la maison lapidée devait attirer les pierres comme le médium écossais Home ou la jeune paysanne Angélique Cotin attiraient les meubles. La vie de l'homme se répand sur les choses qui sont à son usage, et les prescriptions de la Bible prouvent que la contagion de la lèpre s'attachait aux maisons comme aux hommes. Pourquoi n'y aurait-il pas des maisons malades d'aimantation déréglée comme il y avait alors des maisons lépreuses ? •Ce qui est certain, c'est que la nature est harmopieuse et régulière, c'est qu'elle obéit à des lois ri-

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aoureusement exactes dans le résultat de leur ac— tion et qu'elle ne donne jamais de démentis ni à son auteur, ni à elle-même. Son miracle permanent, c'est l'ordre éternel. Les prodiges passagers sont des accidents prévus par l'harmonie universelle et ne prouvent pas plus l'intervention des esprits que les météores ne prouvent l'existence des astres. La raison suprême est comme le soleil : insensé qui ne la voit pas !

PHÉNOMÈNESMODERNES

CHAPITRE I . er

LES TABLES TOURNANTES ET PARLANTES.

L'existence de l'aimant universel spécialisé dans les métaux, dans les plantes, dans les animaux, dans les hommes, était connue des anciens hiérophantes. C'est à cette force mystérieuse qu'ils dônnaient les noms d'Od, d'Ob et d'Aour, chez les Hébreux. C'est la double vibration de la lumière universelle et vitale. Lumière astrale dans les astres, lumière magnétique dans les pierreries et les métaux, magnétisme animal chez les animaux et chez l'homme Tout, dans la nature, en révèle l'existence.

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Les expériences de Mesmer et de ses successeurs ont prouvé que le magnétisme animal peut com— muniquer aux objets inertes .la vie et la volonté de l'homme. Il n'y avait donc pas lieu de s'étonner du phénomène si multiplié de nos jours des tables tournantes et parlantes; mais l'ignorance aime à s'étonner, parce qu'en s'étonnant elle s'émerveille, et qu'en s'émerveillant elle s'enchante, puis elle ne veut plus être désenchantée, et n'écoute pas les simples diseurs de vérité. La vérité presque tout entière sur les tables mer— veilleuses se trouve très—simplement et très-clairement exprimée dans une lettre d'un savant ano— nyme que cite M. A. Morin. « Croyez bien, dit ce savant, qu'il n'existe, dans les tables, ni esprits, ni revenants, ni anges, ni démons; mais il y a de tout cela si vous voulez, quand vous voulez, et comme vous voulez, puisque cela dépend de votre imaginative, de votre tempérament, de vos croyances intimes, anciennes ou nouvelles. La Meraambulance n'est qu'un phénomène mal ob— servé par les anciens, incompris par les modernes, mais parfaitement naturel, qui touche à la physi. que d'une part et à la psychique de l'autre ; mais il était incompréhensible avant la découverte de

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l'électricité et de l'héliographie, parce que, pour expliquer un fait de l'ordre spirituel, nous sommes obligés de nous appuyer sur le fait correspondant de l'ordre matériel, comme les anciens poiles le faisaient par des comparaisons et les prophètes par des paraboles. « Or, vous savez que le daguerréotype a nonseulement la faculté d'être impressionné par les objets, mais aussi par l'image des objets. Eh bien ! le phénomène en question, qui devrait s'appeler la photographie mentale, ne produit pas seulement les réalités, mais aussi les rêves de notre imagination, avec une telle fidélité que nous y sommes trompés, ne pouvant distinguer une copie prise sur le vif d'une épreuve prise sur l'image. « Cette photographie mentale, direz-vous, est une chose bien extraordinaire, bien merveilleuse. — On en a dit autant de la photographie ordinaire, puis on s'y est familiarisé. Il en sera de même de la nouvelle découverte : on s'habituera, et chacun vérifiera, en faisant des tables comme on fait du daguerréotype, les uns bien, les autres mal, car il faut pour réussir un ensemble de précautions et de conditions indispensables au succès. Le premier maladroit, le premier étourdi venu

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n'est pas plus en état d'obtenir une bonne épreuve d'un côté que de l'autre. «La magnétisation d'un guéridon ou d'une personne est absolument la même chose, et les résultats sont identiques ; c'est l'envahissement d'un corps étranger par l'électricité vitale intelligente ou la pensée du magnétiseur et des assistants. « Rien ne peut donner une idée plus juste et plus facile à saisir que la machine électrique rassemblant le fluide sur son conducteur, pour eu obtenir une force brute qui se manifeste par des éclats de la lumière, etc. Ainsi l'électricité accumulée sur un corps isolé acquiert une puissance de réaction égale à l'action, soit pour aimanter, soit pour décomposer, soit pour enflammer, soit pour envoyer ses vibrations au loin. Ce sont là des effets sensibles de l'électricité brute (1) produite par des éléments bruts; mais il y a évidemment une électricité corespondante produite par la pile cérébrale *de l'homme : cette électricité de l'âme, cet éther spirituel et universel qui est le milieu ambiant de l'univers métaphysique ou in(4) Brute est le nom donné par la table pour la distinguer de l'électricité intelligente.

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corporel, a besoin d'être étudié avant d'être admis par la science, qui ne connattra rien du grand phénomène de la vie avant cela. « L'électricité cérébrale, qui n'est plus pour moi et mes collaborateurs à l'état d'hypothèse, parait avoir besoin, pour se manifester à nos sens, du secours de l'électricité statique ordinaire ; de sorte que si celle-ci manque dans l'atmosphère, quand l'air est très-humide par exemple, on ne peut obtenir aucun mouvement des tables, qui vous disent clairement le lendemain ce qui leur manquait la veille. « L'intelligence d'une table actionnée est le résumé ou, si vous le voulez, le reflet de l'intelligence des personnes• qui l'actionnent, on peut même dire de tout un salon attentif et en harmonie de sentiments et de croyances. D'autres fois, ce n'est que la répercussion des idées d'une seule personne plus influente par sa volonté, qui peut même paralyser ou activer de loin le guéridon et lui imposer tel ordre d'idées qu'il lui plan. « Il n'est nullement besoin que les idées soient nettes dans le cerveau des personnes : la table les découvre et les formule d'elle-même, en prose ou en vers, et toujours en termes propres ; elle

demande souvent du temps pour remplir certains bouts-rimés; elle commence un vers, le rature, le corrige ou le retourne à notre instar ; elle joue, plaisante et rit avec nous comme le ferait un interlocuteur bien élevé. Si les personnes sont sympathiques et bienveillantes les unes pour les autres, elle se met au ton général de la conversation, c'est l'esprit du foyer; mais si on lui demande une épigramme contre une personne absente, elle emporte la pièce. Quant aux choses du monde extérieur, elle en est aux conjectures comme nous ; elle compose ses petits systèmes philosophiques, les discute et les soutient comme un rhéteur des plus retorts. En un mot; elle se fait une conscience et une raison à elle, avec les matériaux qu'elle trouve en nous. « Tout cela vous parera bien bizarre, bien incroyable ; mais, après vérification, vous en arriverez là comme nous. « Les Américains sont persuadés que ce sont des morts qui reviennent ; d'autres, que ce sont des esprits, d'autres des anges, d'autres des démons, et il arrive précisément à chaque groupe le reflet de sa croyance, de sa conviction préconçue : ainsi les initiés des temples de Sérapis,

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de Delphes, des Branchides et autres établissements théurgico-médicaux de ce genre, étaientils bien convaincus d'avance qu'ils allaient entrer en communication avec les dieux adorés dans chaque sanctuaire ; ce qui ne manquait pas d'avoir lieu. « A nous, qui savons la valeur du phénomène, il ue nous arrive aucune chose que nous ne puissions expliquer sans peine d'après nos principes ; nous sommes parfaitement sûrs qu'après avoir chargé un guéridon de notre t'eux magné. tique, nous avons créé une intelligence analogue à la nôtre, qui jouit comme nous de son libre arbitre, et peut converser avec nous, discuter avec 'lotis, avec un degré de lucidité supérieure, attendu que la résultante est plus forte que l'individu, ou le tout plus grand que la partie. « La meilleure condition est de n'avoir pour collaborateurs que des enfants presque sans influence mentale; c'est à peu près comme si vous. étiez seul en présence de votre conscience et eu conversation intime avec vous—même, sauf que le raisonneur éphémère formule ce qui n'était qu'à l'état de chaos ou de nébuleuse dans votre con-

science.

« 11 n'est pas une réponse des oracles anciens qui ne trouve son explication naturelle d'après la théorie dont nous avons la clef. N'accusons plus Hérodote d'avoir radoté dans ses récits les plus étranges que nous tenons pour aussi vrais et sincères que tous les autres faits historiques consignés dans les récits de tous les écrivains du pa— ganisme. « Le christianisme, qui avait pris à tâche de délivrer le monde de ces croyances superstitieu— ses dont il avait reconnu l'inanité et les dangers sans en découvrir les causes, a eu les plus grands combats à livrer pour détruire les oracles et le sibyllisme ; il a dû employer plus que la persuasion, et l'établissement de l'inquisition n'a pas eu d'autre but; lisez Ammien Marcellin et les violences des premiers empereurs chrétiens contre les consulteurs de tables, et les sermons de Ter— tullien contre ceux qui interrogeaient Capellas et Meneas (Chèvres et Tables). « Il n'a pas fallu moins de dix-sept siècles et demi pour avoir raison des sorciers par le fer et le feu; les derniers survivants furent Urbain Grandier et Cagliostro: mais le phénomène étant naturel renaissait tantôt sous la forme des 18 trem-

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bleurs de saint Médard, tantôt sous celle des hallucinés de saint Pâris, dont Talleyrand a constaté la réalité dans sa jeunesse, en crucifiant une sibylle avec l'abbé de Lavauguillon, sans lui faire de mal. Mesmer a ressuscité la chose. « Ce phénomène est aussi ancien que l'homme, puisqu'il lui est inhérent. Les prêtres de l'Inde et de la Chine l'ont pratiqué avant les Égyptiens et les Grecs. Les sauvages et les Esquimaux le connaissent ; c'est le phénomène de la Foi, source de tous prodiges ; quand la foi s'affaiblit , les miracles disparaissent. Celui qui a dit : « avec la foi, on transporte les montagnes, » ne s'étonnerait pas qu'on soulevât un guéridon. Avec la foi, le magnétiseur enlève un rhumatisme, et les bergers de la campagne obtenaient du pied de leur chèvre, comme nous obtenons du pied de nos tables, des réponses analogues aux croyances intimes des interrogateurs, aussi étonnés de voir formuler leurs pensées, leurs instincts et leurs sentiments, que le sauvage est étonné de voir refléter sa figure • dans une glace. Les plus mal partagés sont ceux qui croient causer avec le démon qui répercute leurs rêves et quelquefois l'état de leur conscience.

— 175 — a L'homme, en se regardant au miroir de la table, S'y voit parfois si laid qu'il se prend pour le diable.

« Plus il y a de croyants réunis par une foi quelconque autour d'une table, plus la pile est chargée, plus les résultats en sont puissants et merveilleux. « Les premiers chrétiens rassemblés autour de la sainte table pour communier en Dieu voyaient Dieu, comme ceux qui ont foi en la magie et la sorcellerie voient des enchantements et de la sorcellerie partout. Les hôtes du festin de Balthasar ont vu sur les murailles la menace née dans leur conscience contre l'auteur de pareilles orgies, et rien de plus. Ceux qui croient aux apparitions, à des taches phosphorescentes, à des bruits étranges, sont également servis selon leurs idées; car il est fait à chacun selon sa foi. Celui qui a prononcé ces profondes paroles, était bien le Verbe incarné; il ne se trompait pas et ne voulait pas tromper les autres; il disait la vérité, que nous ne faisons que répéter ici sans plus espérer qu'on l'accepte. a L'homme est un microcosme ou petit monde; il porte en lui un fragment du grand Tout à l'état

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chaotique. La tâche de nos senzidei est de débrouiller la part qui leur est échue par un travail mental et matériel incessant. Ils ont leur corvée à remplir par l'invention perpétuelle de nouveaux produits, de nouvelles moralités, et la mise en ordre des matériaux bruts et informes départis par le Créateur, qui les crée à son image pour créer à leur tour et compléter l'oeuvre de la création, oeuvre immense qui ne finira que quand le tout sera tellement parfait, qu'il sera devenu semblable à Dieu et capable de se survivre à luimême. Nous sommes bien loin de ce moment final, car on peut dire que tout est encore à faire, à refaire et à parfaire ici-bas, institutions, machines et produits. Mens non 'ohm ag itat sed creat molem.

« Nous vivons dans la vie, ce milieu ambiant intellectuel qui entretient dans les hommes et les choses une solidarité nécessaire et perpétuelle; chaque cerveau est un ganglion, une station du télégraphe névralgique universel en rapport constant avec la station centrale et avec toutes les autres, par les vibrations de la pensée.

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« Le soleil spirituel éclaire les Ames comme le soleil matériel éclaire les corps, car l'univers est double et suit la loi des couples. Le stationnaire ignorant interprète mal les dépêches divines et les rend d'une façon souvent fausse et ridicule. Il n'y a donc que l'instruction et la vraie science qui puissent détruire les superstitions et les non-sens répandus par les ignares traducteurs placés aux stations de l'enseignement chez tous les peuples de la terre. Ces aveugles inter— prètes du Verbe ont toujours voulu imposer à leurs élèves l'obligation de jurer sans examen, in verbamagistri.

« Nous ne demanderions pas mieux, hélas! s'ils traduisaient exactement les voix intérieures qui ne trompent que les esprits faux. C'est à nous, disent-ils, à débrouiller les oracles, nous en avons la mission exclusive, spiritus flat ubi vult, et il ne souffle que sur nous, disent-ils. « Il souffle partout, et les rayons de la lu— mière spirituelle éclairent toutes les consciences; mais comme il y a des hiboux qui fuient la lu— mière, il y a aussi des corps réfringents et beau— coup qui sont dénués de la faculté réflectible. C'est la majorité; et quand tous les corps et tous

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les esprits réfléchiront également cette double lumière, on y verra beaucoup plus clair qu'aujourd'hui. » Nous croyons avec le savant de M. Morin que les phénomènes actuels nous mettent sur la voie des plus grandes et des plus importantes découvertes. Cette photographie mentale des idées courantes est quelque chose d'immense qui nous révèle la grande communion de la vie. Une âme unique en effet entretient la vie dans toute la nature, mens agitat molem. Cette âme est active chez les êtres intelligents et passive chez les autres. Or, ce qui est actif agit sur ce qui est passif et lui emprunte même sa force. L'homme peut prendre au lion sa vigueur , au singe son agilité et son adresse , il peut aussi imposer au lion et au singe sa propre pensée , et s'en servir comme d'instruments : tout cela est une question de magnétisme. Croyez—vous que le grand peintre, par exemple, trouve chez le marchand les couleurs dont il fait rayonner sa toile ? Non, sa pensée commande au soleil qui lui abandonne ses reflets. Toute puissance intellectuelle est une magie,

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et la matière mise au service de l'esprit devient intelligence. Le jour pour se manifester a besoin de la nuit, et, comme le dit M. A. Morin dans quelques vers assez heureux dont nous complétons la pensée : Le temps pour Apollon est venu d'abdiquer ; Nous savons à présent quel génie invoquer. Sa force est



TOUT LB BONDE;

Il se nomme — Celui qui ne l'a pas est celui qui le donne ; — Ainsi que dans l'aimant le pôle négatif Est le constant agent de l'effet positif. La nature muette inspire la parole, L'ignorance publique a créé le symbole, Et l'homme de génie est peut. ètre, en deux mots, Celui qui tire à lui l'esprit de tous les sots.

La Fontaine faisait plus : il tirait à lui le génie des bêtes, ou plutôt il leur prêtait le sien, et les faisait parler bien mieux que nos mediums ne font parler les guéridons. Le monde appartient au génie. Il dit à la pierre : sois vivante! et la pierre se lève et s'anime. Le statuaire fait les dieux; puis vient la foi, et les dieux parlent, les statue: roulent

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les yeux, le marbre pleure. Pure imagination, direz-vous : oui , souvent , mais pas toujours ; et la preuve en est que les tables remuent et parlent réellement. On ne sait pas encore de quelles forces peut disposer l'aimantation humaine; et quand les prodiges de la foi deviendront les conquêtes de la science, l'homme, élevé au-dessus de toutes les superstitions, aura pris sa place dans l'univers ; il comprendra qu'il est né pour commander à la nature, et qu'il est ici-bas le plénipotentiaire de Dieu. La photographie est, certes, une des plus belles et des plus curieuses découvertes de ce siècle : mais, dans ce bon temps d'autrefois, que regrettent si sincèrement MM. Veuillot et de Mirville , l'inventeur de cette belle chose n'eût-il pas été accusé de magie, et les masses ignorantes n'eussent-elles pas été persuadées que ces peintures instantanées et merveilleuses étaient l'ouvrage des malins esprits ? Qu'eût-on pensé alors du stéréoscope, cette double lorgnette qui donne du relief à un reflet et change un fantôme en statue ? Un voyageur emporte les Alpes dans sa poche; on met le dôme de Saint-Pierre de Rome dans un étui. Joignez le microscope au stéréoscope , et

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vous verrez se dresser entre vos mains, dans toute leur effrayante hauteur, les colosses des Pyramides, que vous pourrez contempler à votre aise à travers le trou d'une aiguille !... Voyons, notre. cher monsieur de Mirville, est—ce que votre diable ne s'en mêle pas vraiment un peu? Non, n'est—ce pas ? Mais, quant à la photographie mentale des tables parlantes, c'est bien autre chose : oui, c'est autre chose, en effet ; mais c'est une autre chose tout à fait analogue à la première. De même que la photographie solaire repro— duit avec une fidélité désespérante les taches el les verrues d'un visage, la photographie astrale reproduit le néant des vaines conversations, la témérité des conjectures et les faux pas des sot— tes pensées. On conne les prétendues révéla— fions de Victor Rennequin; le medium Rose nous affirme qu'Esc,ousse et Lebras ont été Roméo et Juliette, et rencontre dans Saturne l'infortuné Lesurques, qui est devenu jardinier. Ceci nous rappelle un couplet d'une chanson amphigou— rique de Vadé La reine Clénpatre Rôtissait dans snn âtre

— t82 — Des marrons Que Caron Jette aux poules. Tandis que Zorobabel. Faisait cuire, en Israël, Des moules.

C'est le rêve dans toute son incohérence. Puis il évoque madame Lafarge, et lui fait confesser qu'elle fut coupable : outrage impie à la tombe d'une malheureuse, dont la mémoire, protégée par un doute devant l'opinion publique, touche à l'honneur d'une famille honorable dont quel-. ques membres vivent encore et croient à l'inno— cence de Marie. Un autre medium, jadis savant, depuis tourneur de tables et halluciné, croit recevoir les baisers d'une femme qu'il a aimée ; puis bientôt son amante d'outre-tombe devient jalouse, d'autres lèvres posthumes ont effleuré la bouche flétrie et démeublée du vieux Girard. Et la nou— velle Diane de ce grotesque Endymion ( nous osons à peine le répéter après qu'il n'a pas craint de l'écrire), c'est la mère de Dieu elle—même. A côté de ces énormités, nous voyons sortir du crayon des mediunzs des pages qui peuvent n'être encore écrites nulle part, mais qu'on se souvient d'avoir

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déjà lues partout, tant ces verbiages sont communs et se ressemblent. Parfois le prétendu Esprit copie tout naïvement un auteur qu'il croit sans doute peu connu. Celui qui écrit ce livre fut étonné un jour de relire , sous la signature de Platon , dans un numéro de la Vérité, journal spirite de Lyon, une page de son introduction à l' Histoire de la Magie. Le crayon fait de plates chansons, qu'il signe Béranger , et attribue des capucinades à Lacenaire c'est un tohu-bdhu d'âneries prétentieuses et de réminiscences tronquées ; c'est une lanterne magique sans lumière, c'est le sabbat des plus pauvres diables qu'on puisse imaginer; c'est le chaos des extravagances. Puis, à côté de cela, des aperçus pleins de finesse, des hypothèses hardies et des lambeaux de vraie science, cousus avec les vieilles ficelles de Tabarin ou de Jocrisse. Apollonius de Thyane écrit des tirades saint—simoniennes et les signe « saint Augustin » ; saint Augustin déclame contre l'Église catholique , saint Louis parle comme Jean Journet, saint Vincent de Paul fait des phrases, et le grand saint Eloi n'a plus même le bon esprit de vouloir remettre à l'endroit les chausses du roi Dagobert. C'est le bruit anarchique das foules, c'est le quiproquo des cohues,

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c'est la confusion des masses photographiées pendant qu'elles se meuvent ; c'est l'esprit impersonnel et multiple qui noie bêtement les animaux dans lesquels il se réfugie, l'esprit que chasse de partout la douce influence du Verbe de vérité, et qui se nomme légion.

CHAPITRE II. DERNIER MOT SUR LE SPIRITISME.

Quelque chose d'étrange et d'inouï se passe en ce moment dans le monde. Le christianisme, en mettant toutes nos espérances dans la mort, avait dégoûté les hommes de la vie : et voilà qu'une croyance nouvelle semble vouloir nous rattacher à la vie en anéantissant la mort. Pour la secte spirite, en effet, la mort n'existe plus. La vie présente et la vie à venir, séparées à peine par une mince cloison que peuvent percer les esprits, ne sont plus qu'une seule et même vie. Nous sommes entourés de ceux que nous avons ai-

més, ils nous voient, ils nous touchent, ils nous font signe, ils nous écrivent, ils marchent avec nous et portent la moitié de nos fardeaux. Parfois même, leur main se rend visible et palpable pour s'unir à la nôtre. Le miracle se vulgarise et nous pouvons le reproduire à volonté. Plus de larmes coulant sur les tombes, plus de deuil, plus de couronnes funéraires en mémoire de ceux qui ne sont plus, car, en vérité, loin d'avoir cessé d'être, ceux-là sont plus vivants que nous. Le berceau du petit enfant se soulève de lui-même en se balançant et dit à la pauvre désolée que son pauvre ange est toujours resté près de son coeur. Le vieux mur écroulé qui séparait autrefois pour jamais les deux existences de l'homme est comme la cloison qui séparait les demeures de Pyrame et de Thisbé, il laisse passer les paroles, il n'arrête même pas les baisers. Quel rêve divin, quelle douce folie! Aussi est-ce par milliers qu'il faut compter les adeptes de la science nouvelle. Ne serait—il pas trop cruel de les détromper si toutefois ils se trompent, car ils s'appuient sur des raisonnements auxquels on ne peut rien répondre et marchent entourés de prodiges. Leur morale eu apparence est pure et leur doctrine ne contre-

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dit le dogme catholique que pour opposer d'humbles espérances à de trop excessives rigueurs. Tout cela est si précieux, si surprenant, si beau, qu'on se laisse facilement envahir par une crédulité flatteuse, et l'on ne réfléchit pas assez pour voir que la prétendue religion nouvelle anéantit le culte et la hiérarchie, rend le sacerdoce inutile, détruit le temple au profit de la tombe, substitue aux sacrements des vivants le contact douteux et problématique des morts. Dans ces évocations multipliées, la raison se fatigue, la foi se matérialise, les grandeurs sévères de la théologie se transforment en petitesses romanesques et sentimentales, on y parle d'un Christ presque aussi ridicule que celui de M. Renan et d'une Vierge Marie qui vient tous les soirs donner des baisers sur la bouche au vieux Girard de Caudemberg. D'un autre côté, ce méchant M. de Mirville, qui ne nous pardonne pas de l'avoir appelé bon, embouche la trompe infernale et proclame le règne de Satan. Son bedeau, M. Gougenot Desmousseaux, lui présente le goupillon pour exorciser le prince des ténèbres. Les injures pleuvent au lieu d'eau bénite. Les prud'hommes voltairiens nient bêtement les fai> pour n'avoir pas à se préoccu-

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per des causes. Le respectable M. Velpeau explique par un léger craquement des muscles du mollet des coups qui brisent les tables et semblent démolir les murailles. Pour beaucoup de gens, l'Américain Home n'est qu'un habile jongleur, un plus grand nombre encore rit, hausse les épaules et ne veut pas même entendre parler de tout cela, et au milieu de ce chaos la vraie science, grave, silencieuse et triste, étudie, observe et attend. Elle ne saurait toutefois garder un éternel silence, autrement elle serait la mort. Le temps arrive où il faut nécessairement qu'elle parle pour prendre la défense de cette éternelle raison qui est la base de toute justice. Il faut qu'elle parle pour annoncer au monde la plus grande et la plus nécessaire de ses révolutions, celle qui doit renverser le despotisme de la folie pour fonder l'empire de la sagesse, celle qui doit réconcilier à jamais l'intelligence avec la foi. L'adhésion ferme de l'esprit aux hypothèses nécessaires et raisonnables, c'est la foi, et cette foi, ou peut dire aussi que c'est la raison. L'adhésion obstinée de l'esprit aux hypothèses impossibles et déraisonnables, c'est la superstition, c'est le fanatisme, c'est la folie.

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Le Dieu des sages, c'est la raison vivante et 'universelle; le Dieu des fanatiques et des superstitieux, c'est la folie absolue. Mais la folie absolue, c'est le mensonge absolu, c'est le mal, c'est le diable: les superstitieux adorent le diable. La religion des superstitieux peut donc être rejetée sans examen. Lorsqu'on dit que le vrai chrétien doit sacrifier la raison à la foi, on ne parle pas d'une manière exacte. Sacrifier sa raison à la foi, c'est soumettre en matière de religion son propre jugement à l'autorité universelle, ce qui est très-sage et trèsraisonnable. Saint Paul ne demande-t-il pas une obéissance raisonnable? Tout le monde sait cela, mais personne ne veut le comprendre, et de tout temps les hommes de mauvaise foi, pour avoir le prétexte de se battre entre eux, ont cultivé le malentendu. La foi sans raison, c'est la folie. Tel pensionnaire de Bicêtre croit fermement et opiniâtrement qu'il est le roi de France. Pourquoi est-il fou en croyant cela? Parce qu'il n'a pas raison de le croire, ou parce qu'il le croit sans raison.

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Viutras croit fermement qu'il est le prophète Élie et que l'archange saint Michel, déguisé en vieux mendiant, s'entretient familièrement avec lui. Ses disciples prétendent qu'il a raison de le croire, et ils apportent pour preuves de prétendues prophéties et de prétendus miracles. Or, il se trouve que les prophéties sont des divagations et des déclamations confuses, les miracles des phénomènes dégoûtants et de nature à ridiculiser les choses les plus saintes. Ici la raison publique corrige la raison privée, et l'on trouve que Vintras et ses disciples sont, je ne dirai pas des sectaires qu'il faut combattre, mais des malades qu'il faut soigner. La foi est la confiance de l'âme humaine en une raison plus haute que sa propre raison. La foi élève donc la raison de l'homme, au lieu de l'abaisser ; l'abtme du ciel commence pour nous où finit la hauteur des montagnes, la foi commence nécessairement où la science finit. Je ne puis croire le contraire de ce que je sais, et je ne puis savoir le contraire de ce que je crois sans renoncer immédiatement soit à ma science, soit à ma foi. L'objet de la foi est donc nécessairement l'hypothèse ; mais l'ohIO

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jet de le foi raisonnable c'est l'hypothèse nécessaire. Qu'on ne nous dise pas que la foi est une grâce et non une déduction philosophique : le bon sens aussi est une grâce, et une grâce malheureusement beaucoup plus rare que la fol. Nos mauvais« passions dépravent notre jugement. Un méchant n'est jamais raisonnable, et le ciel n'accorde la véritable raison qu'aux hommes de bonne volonté. Croyez, et vous serez intelligents, disait le Christ aux pauvres d'esprit et aux humbles en les appelant au salut par la foi. soyez vraiment intelligents, et vous croirez, pouvons-nous dire maintenant aux savants et aux penseurs. C'est-à-dire yens «ois"; sagement, au lieu de croire follement, car, bon gré mal gré, il faut toujours que l'homme croie. Providence ou fatalité, il existe une cause première. Ordre ou chaos, il existe quelque chose clans l'infini. Mais l'ordre dans un sent coin de l'univers est la négation du chaos. La vie essentiellement directrice et dirigrSe dans tous ses phénomènes est la négation de la fatalité. Le vrai credo quia absurdum est celui de l'honnie qui nie. En face de l'etre, •





egi oie il faut être fou pour venir &Manier le néaut. L'être, étant infini, peut etre co nnu dans ses manifestations finies. 14e connu conduit par l'hy, pothèse soit nécessaire, soit Seilifflielt raison144e, la divination de l'inconnu relatif; mais, au-delà de toute hypothèse posible, reste tour jours l'inconnu infini, dont on ne peut Film pair ser ni rien dire. C'est dans Let inconnu in.son, dada, indéterminé, indicible, qup les anciens kabbalistes adoraient Dieu sans chercher jamais à le comprendre. Où la science s'arrète, la foi COMIRIMie, et la foi puise ses révélations hypothétiques dans Les aspirations du coeur toujours plus liasatiable e

plus courageux que l'esprit. Or, le cpeur humain peut s'appuver sur une force ou se laisser égarer par une faiblesse. — La force, c'est i.e sentiment héroïque du sacrifice. La faiblesse, c'est le ulve amollissant de l'égoïsme satisfait. Pour suppléer à l'insuffisance de la science, on petit donc faire appel ou à l'exaltation des sentiments généreux, ou à la surexcitation des instincts lâches. L'exaltation des sentiments généseux ,dom la

t9t foi dans le sacrifice et, par conséquent, dans le travail régulier, «dans l'obéissance, dans la hiér— archie, dans l'abnégation du sens propre, pour se soumettre au sens commun. L'Église alors s'élève, la société est une milice, avec ses grades et sa discipline obligatoire pour tous. La plus puissante intelligence alors se manifeste par la plus grande docilité. Rien deplus clairvoyant, en effet, que l'obéissance aveugle, rien de plus digne de la liberté que le sacrifice de la liberté même. Un soldat qui ne peut plus obéir ne peut plus vivre, et lorsque son général lui commande des choses qu'en conscience il ne saurait faire, il ne déserte pas, il meurt. Le sentiment exalté, mais juste, qui crée l'obéissance au drapeau, s'appelle l'honneur. Le sentiment exalté, mais juste, qui crée l'obéissance à l'Église, se nomme la foi. Le rêve égoïste opposé à la foi. c'est l'hérésie. C'est le soldat qui veut vaincre en s'isolant, c'est le croyant excentrique qui veut accaparer pour lui seul les avantages de la société. C'est l'homme qui veut communiquer avec Dieu sans intermé— diaire et qui se fait une révélation pour lui seul. Comme si le Dieu de l'humanité pouvait être ex—

•Pl'elle n'existe

:p— Pé— :nes

qui

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•os les splendeurs des .1)orieuse, mais incom— igues, après les conra— . ,4orme et de la philoso— ..›sources, envoie des tables . en cabriolant le mot grave. assaisonnement obligé d'une couragement à des pratiques

ti!M da. Liner; tlri jar, etit la vigité d'Ob mtptit MIMA il blette, étaitall Mir/ d'est éé qtie le réforthetetit hé saurait dire; il penche à croire toutefois que cei esprit était le diable. Et toilà le diable qui arguinente contre le Meitte, et 'voilà le moine convaincu par les arguments du diable, et c'est ainsi que la réforme et venue au Inonde. Spirites M tourneurs de tables, Voilà toute votre histoire. Une telt( ictus parle, vous ne savez quelle *obi. Plus d'une fois vos prétendues rétélations pul— lulent de getitradictioné et de mensonges. Mais tous voilà délivrés de la hiérarchie; vous en mitez plus long que votre curé et que le pape. L'autre Inonde se révèle à Yods directement ou par l'intermédiaire d'êtres inférieurs à vous, d'é-i fres ignorants M malades, de pauvres aliénés qui dorment ou ne savent pas ce qu'ils écrivent, et vous -voilà comme Israel fbrts contre Dieu. Vous arrangez à votre manière le dogme éternel. Vous niez ceci, ions adniettez bele, vous vous faites des paradis de fantaisie et des enfers très-supportables ; avec cela vouspotivez débiter dela morale, cela fait toujours bon effet, et avec MIS on sait que cela n'oblige à rien. Car: d'une proposition absurde la conséquence

—— ne saurait etre azaaninée, paru qu'elle n'existe pas. Vousdites: Dieu désapprouve la raisin' et enm courage la folie. C'est comme si vous disiez: le diable désap. prouve la folie et encourage la raison; or, le péché c'est la folie, et la vertu c'est la raison. Vertu folle et péché sage sont des termes qui ne s'accordent pas. Comment donc ne voyez-vous pas que vous prenez Dieu pour lé diable, et le diable pour Dieu? Selon vous, le diable serait le dieu de la raison! Et Dieu serait le démon de la folie! Rentrez en vous-mêmes et réfléchissez. Ainsi, après les foudres des prophètes, après l'auréole des apôtres, après les splendeurs des pères, après la patiente, laborieuse, mais incomplète raison des scholastiques, après les courageux désespoirs de la réforme et de la philosophie, Dieu, à bout de ressources, envoie des tables parlantes pour épeler en cabriolant le mot graveleux de Cambronne, assaisonnement obligé d'une doctrine idiote, encouragement à des pratiques

-- 298 -qu'on pourrait appeler l'onanisme de la pensée. Et c'est Dieu, non, c'est votre Dieu à vous, qui est réduit à des expédients pareils ! et vous passez devant Bicêtre sans ôter votre chapeau et sans fre1onner le refrain de Béranger : Salut à ma patrie!

La foi en Dieu est la ferme adhésion de l'esprit aux hypothèses nécessaires de l' intelligence. Saint Paul les formule en ces termes : Accedentem ad Deum oportet credere, quia est et inquirentibus se remunerator sit. Que Dieu est, et qu'il récompense ceux qui le cherchent. La foi en Jésus-Christ et en son Église est la ferme adhésion de l'âme aux hypothèses nécessaires du coeur. Si Dieu est, il est bon; s'il est bon, il nous aime; s'il nous aime, il doit remédier efficacement à nos maux. Il doit venir à nous qui ne pouvons pas aller à lui. L'incarnation, la rédemption, les sacrements, le dogme immuable, la hiérarchie indéfectible deviennent alors nécessaires, et tout cela se prouve encore par l'existence réelle, et toujours présente dans l'Église,

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d'une puissance évidemment divine qui change les ignorants en sages, les faibles en héros, les plus simples femmes, et jusqu'à de pauvres enfants, en véritables anges de la terre. Cette puissance, malheur à qui la méconnatt, honte à qui lui résiste et la nie : C'est l'esprit de charité ! Le foi de l'intelligence qui affirme Dieu seul, est la foi de Moïse. La foi du cœur qui affirme l'Église est la foi de Jésus-Christ. La foi de Moïse, c'est Dieu inaccessible à . l'homme. La foi de Jésus-Christ, c'est Dieu présent dans l'humanité. Inaccessible à la pensée, mais toujOurs présent à l'amour, voilà en effet Dieu tout entier. Le mosaïsme et le christianisme sont inséparables comme l'esprit et le cœur, comme l'intelligence et l'amour. L'Église, c'est l'humanité chrétienne, conséquence nécessaire et complément forcé du judaïsme mosaïque. A côté de cette foi raisonnable a toujours tenté de s'élever la foi folle et imaginaire, anar-

chique comme la folié, Capricieuse comme les rues. C'est là foi des visionnaires qui prennettt Our des révélations divines les fantômes de leur imaginatien; De ceux qui demandent la sagesse à l'extase, à l'ivresse, au sommeil, à la catalepsie, à tous les états enfin qui, supprimant le libre arbitre de l'homme, le rendent plus ou moins aliéné. Et ils ne voient pas que l'aliénation est la déchéance de l'homme. . Et ils ne comprennent pas que l'esprit de vertige, c'est l'esprit du mensonge et du mal. Et ils ne sentent pas qu'en s'abandonnant aux défaillances automatiques du somnambulisme ou de l'hypnotisme, aux impulsions fàtales et douteuses de l'esprit des tables tournantes, ils abandonnent à l'inconnu ténébreux la direction de leur pensée, et deviennent, ce qui est horrible et tout à fait contre nature, des aliénés volontaires. Ils deviennent alors les prophètes du tourbillon, les voyants du vertige, les oracles du grand chaos, les interprètes de la fatalité. Ils se regardent dans un mirôir brisé, et ils croient apercevoir la multitude des esprits cd-

figé lette3 qui ont déjà MAI d'alirneht à %tir esprit, et leurs rêves de doctrine ressemblent aux gauche-4 mars d'une digestion laborieuse. En quoi diffèrent essentiellement nos hypnotisés modernes de ces anciens gnostiques de l'Inde qui, les yeux fixés sur leur nombril, attendaient l'apparition de la lumière incréée? Longtemps avant nous, les brames magnétisaient des tables et les soulevaient de terre en y imposant seulement les mains. La pythonisse d'Endor était ce que vous appelleriez aujourd'hui un puissant medium, et elle évoquait les trépassés; or, l'évocation des trépassés, je suis fâché de vous le dire, mais C'est la nécromancie, la plus noire des sciences de l'abinte, la plus maudite des opérations sacriléges. La nécromancie substituée au christianisme, la lumière des morts remplaçant la parole du Dieu vivant, le fluide spectral descendant sur nous au lieu de la grâce, la communion eucharistique oubliée pour je ne sais quels banquets, où l'âme s'asphyxie en aspirant le phosphore des cadavres; voilà, pauvres insensés, ce que vous prenez pour une rénovation religieuse; voilà votre foi et votre culte, voilà enfin le Dieu noir que vous vibrez!

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M. de Mirville n'a pas tout à fait tort en attribuant au diable les divagations spirites. Mais, si Dieu envoie le diable en mission, le diable est donc forcé d'obéir à Dieu? le diable est donc le serviteur de Dieu? le diable est donc le missionnaire de Dieu ? Alors c'est Dieu qui répond pour le diable. Alors tout ce que vous attribuez au diable, c'est Dieu qui le fait. Le diable n'a plus son libre arbitre, et fait malgré lui tout ce que Dieu lui fait faire. Alors, le diable menteur, c'est Dieu menteur; Le diable bourreau, c'est Dieu bourreau; le diable grotesque, c'est Dieu grotesque. Blasphémateurs que vous êtes ! et vous ne frémissez pas! Ce n'est point à l'imagination malade de l'homme, ce n'est point à sa folie ni à ses rêves, c'est à son intelligence et à sa raison que Dieu se révèle. Si un père de l'Église a écrit le fameux Credo plia absurdum, c'est qu'il voulait indiquer par ce paradoxe le domaine réel de la foi qui commence aux limites extrêmes dela science. Or, à ses

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limites extrêmes la science tombe dans l'absurde si elle veut passer outre; l'âme raisonnable alors • ne peut trouver un refuge que dans la foi. C'est donc en quelque sorte l'absurde qui rend la foi nécessaire : Credo quia absurdum, je crois parce qu'il serait absurde de raisonner sur ce que je puis savoir, je crois surtout parce qu'il serait encore plus absurde de ne pas croire. L'âme adhère invinciblement à ses hypothèses lorsqu'elles sont rigoureusement nécessaires, elle peut les aimer et s'y attacher lorsqu'elles sont raisonnables; mais les âmes insensées se passion-. nent volontiers pour les hypothèses ridicules et impossibles. Je crois à la vie éternelle, voilà l'hypothèse nécessaire; la vie éternelle ne permet pas à nos âmes de s'éteindre lorsque nous mourons, voilà l'hypothèse raisonnable. Mais que deviennent ces âmes dégagées de nos corps? Vous me répondez qu'elles restent dans notre atmosphère brumeuse toutes frissonnantes et toutes nues, ou bien qu'elles se cachent dans nos boiseries qu'elles font craquer, dans nos tables qu'elles font tourner, dans des crayons qui semblent tracer tout seuls tantôt des lieux communs de morale vulgaire, dignes tout au plus du génie de

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Pnidhoinine, tantôt des divagations et des in-

jures ; Yale l'hypothèse ridicule et par cepséquent impossible. Un feit inexplicable pour vous se produit. Votre imagination prévenue l'explique 4 sa mani8re, Ayez-vees tait eets de foi? Non; VOUS avez fait acte detémérité, ou, si vous Foulez même, de puérilité. Une voix sort du mur, elle nous parle : *oies ne savons d'où elle vient. C'est saint Michel. dit ce pauvre Vintras ; c'est le diable I s'écrie ce Méchant M. de Mirville, qui s'indigne d'être appelé bon, et tous deux écrivent de gros livres. Mais eiafin, que disait cette voix? Des pauvrebie, alors Ca n'est pas saint Michel ; des vulgarités, alors ce West pas le diable. Mais enfin, quel qu'un a parlé, car nous mous entendu la voix et nous savons que les murs ne parlent pas. Tes-. bien, mais qu'allons-nous conclure ? Tout simm.. piment aeui : que ce n'est pas le mur qui a parlé, mais alors qui est-ce donc? Je vous le dirais si je le mais : mais si je vous le dis ne le sachant pas, je suis un menteur ou un imbécile. ,

0 simple bon sens, que tu es rares Mais ici

quelqu'un va m'arrêter. Moïse, me dira-t-on, a entendu lee voix eus le Sinaï : comment pu

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savoir si c'était celle de Dieu, celle du diable, celle d'un rêve? C'était peut-être l'âme physique de la terre; c'était peut-être le génie irrité de l'Égypte qui voulait, en trompant les Hébreux, venger les désastres de la mer Rouge. Moïse a cru que d'était Dieu. Mais quelle raison infaillible avait-il de le croire? Pourquoi, en affirmant que c'était Dieu, n'était41 ni un menteur ni un imbécile? Pourquoi? Je vais vous le dire : c'est que leo lois du Sinaï sont l'expression de la raison la plus haute et la plus pure; c'est que le Décalogue était gravé dans la conscience des hommes avant d'être sculpté sur la pierre par les doigts de Dieu, qui, comme on sait, n'a point de doigts; c'est que les éclairs et les tonnerres dont rugissait et s'échevelait la montagne n'étaient, dans cette première mène du gimid drame de la révélation positive, que des décorations et des accessoires. Je vous demande un peu te que peut faire â la proclamation du dogme de l'unité de Dieu une trompette de plus ou de moins? Quand Jésus, per l'héroïsme divin de sa mort, prouve au monde l'immortalité de l'âme, lorsque, victorieux de l'agonie, il pousse un cri de triomphe, puis penche la tète doucement et meurt,

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qu'ai-je besoin que les pierres se fendent et que les tombeaux s'ouvrent? Laissez-moi ignorer ces prodiges; je n'ai pas trop de toute mon âme pour admirer le dernier soupir du juste. Otez-moi ces , fantômes, je n'ai pas le temps de les voir; ma pensée est absorbée tout entière dans une sublime réalité! Je ne cherche pas, comme certains écrivains modernes, à m'expliquer ridiculement les miracles de l'Évangile, je ne m'efforce pas de soupçonner, par exemple, que Lazare, malade, Mt enseveli vivant et abandonné pendant quatre jours dans le tombeau par ses soeurs, afin d'attirer vers ce piège étrange la vanité complice ou naïve de quelque thaumaturge douteux. Histoire ou lé— gende, le récit évangélique m'impose la vénéra— tion, je 'me rappelle le magnifique tableau du prophète Ézéchiel, debout au milieu des ossements. Penses-tu, ô prophète, que ces débris puissent revivre? Et voilà pourtant qu'à la parole de l'homme obéissant à Dieu, la vie frémit et se remue dans toute cette campagne de la mort. L'esprit du Verbe a soufflé, et l'humanité va re— ualire. 11 en est de même de Lazare. Le Lazare, le grand 'lépreux humain, le malade de la terre,

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est mort depuis quatre jours, c'est-à-dire depuis quatre mille ans, car, devant Dieu, dit ailleurs l'Écriture, mille ans sont comme un jour. Il est déjà en putréfaction, ce genre humain que gouverne l'empereur de Caprée. Sauveur du monde, vous arrivez trop tard. Si vous eussiez été là, le Lazare ne serait pas mort. Jésus ne répond rien, mais il pleure, et l'on dit : Voyez comme il l'aimait! Puis il fait ôter la pierre, il appelle le mort à la vie, et le mort se lève, encore garrotté dans son linceul. Voilà les commencements du christianisme. Déliez-le, dit le Sauveur, et laissez-le aller en liberté; en voilà l'accomplissement et la fin. Ceci n'est pas l'histoire d'un homme, c'est la légende prophétique du monde, c'est le complément et l'explication de la vision d'Ézéchiel. On respire dans ce récit le souffle divin à pleine poitrine. On pleure avec Jésus, ou tressaille et on se dresse avec Lazare ; on tend vers le ciel des mains encore captives. Lazare, ce sont les es. claves d'Amérique, ce sont les opprimés de l'Irlande, ce sont les martyrs de la Pologne. Dites, oh! dites, Seigneur, qu'on les délie et qu'on les laisse marcher! 20

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Qu'ai—je besoin de chercher autre chose dans cette page qui m'impressionne si vivement? Je sens qu'elle est vraie, je cède à l'émotion qu'elle m'inspire ; mais est-ce simpleinent une parabole , est-ce le récit d'un événement ? le n'en sais rien, et, par conséquent, je serais téméraire d'affirmer là-dessus quelque chose de contraire à l'enseignement de l'Église. Ici la tradition des pères est avec moi, ils ont compris le symbole comme je le comprends et se sont bien gardés de nier l'histoire qui sert de base à. ce symbole. Je dois imiter leur sagesse, mais la pauvre critique de M. Renan m'inspire une pitié profonde. La force de l'Évangile n'est pas dans les miracles que raconte ce livre sacré, mais dans la raison suprême, dans le LOGOS, qui est la lumière de tout homme venant dans le monde, comme le dit saint Jean. « Vous me demandez qui je suis, disait Jésus, je suis le principe qui parle. » En tant qu'opposé aux lois ordinaires de la nature , le Miracle ressemble à une erreur ; mais la vérité , toujours la même, fait pâlir l'éclat éphémère de tous les prodiges devant les splendeurs de l'or." dre éternel

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On ne saurait enfermer la vérité dans tffie tombe, et ptud conséqüent elle ne sanrait sortir. C'est la vie qui rayonne sur la mort, ce n'est pas la mort qui peut rayonner sut la vie. L'esprit des grands hommes n'a pas besoin de revenir vers nous d'outre-tombe, il reste toujours sur la terre. Constilteurs d'oracles funèbres, volis ressemblez à des hommes qui passeraient leur existence à regarder au fond d'un puits pour apercevoir le soleil. Sacrifier la vie présente à une existence future, c'est l'esprit du christianisme, défini par tous les ascètes. Trouver dans ce sacrifice même le bonheur le plus grand de la vie présente, c'est le génie du christianisme, non moins finement pressenti que .magnifiquement rêvé par l'âme de Chateaubriand : mais le coeur du christianisme; son essence, sa loi fondamentale, c'est la hiérai— chié directement opposée à l'anarchie. Par la hiérarchie, en effet, la société se constitue et s'élève; par l'anarchie, elle se morcelle et se détruit. Là hiérarchie, c'est la communion; l'anarchie, c'est l'excommunication Volontaire. La hié-

rarchie, c'est l'homme dévoué à la société et protégé par elle ; l'anarchie, c'est l'homme pros

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crit par la société et conspirant contre elle. La hiérarchie enfin, c'est l'homme tout-puissantparce qu'il est multiple ; l'anarchie , c'est l'homme impuissant parce qu'il est seul. « Si Dieu a parlé, dit Rousseau, pourquoi n'en ai-je rien entendu ? » — C'est à ta conscience qu'il faut le demander, toi qui veux marcher seul, et qui fais le sourd quand la société parle. Dieu devait-il avoir une rédemption pour l'humanité et une autre rédemption pour Rousseau ? Rousseau est-il plus ou moins qu'un homme ? S'il est plus, où sont ses titres? S'il est moins, où sont ses droits ? . Mais, direz-vous, si la société veut imposer à ma foi des absurdités qui révoltent ma raison , puis-je abjurer ma raison pour y croire ? Non; la société ne te commande pas la foi , mais elle te défend de troubler la paix des croyances communes par les révoltes de ton esprit ou de tes rêves : doute, si c'est ton malheur, mais tais- toi; car c'est ton devoir. Les inspirations personnelles ne sont rien tant qu'elles n'ont pas reçu la sanction sociale. L'homme de génie est celui qui pense mieux que personne ce que tout le monde pense ou voudrait

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penser. Le penseur excentrique, qui ne rencontre la sympathie de personne, n'est pas un homme de génie; et, s'il s'obstine, c'est un fou. Ce n'est ni Luther ni même Savonarole qui peuvent réformer l'Église, tant que l'Église brûle Savonarole et excommunie Luther ': se séparer d'un malade, ce n'est pas le guérir ; et le concile de Trente n'a rien à attendre ni à recevoir des fantaisistes de la Confession d'Augsbourg. La même loi qui oblige le fidèle à marcher avec l'Église, oblige l'Église à marcher avec l'humanité, sous peine de n'être plus l'Église. C'est ainsi que l'Église judaïque n'a plus été que la synagogue, quand elle s'est laissé dépasser par le progrès chrétien. Dieu ne change pas ; mais l'idéal divin peut changer, et nécessairement il change avec le génie des nations. « Quand l'homme grandit, Dieu s'é— lève, » a dit le Psalmiste ; et quand Dieu s'élève, son Église se transfigure ; mais c'est toujours en se rapprochant de la suprême raison. En admet— tant, ce que nous n'admettons pas, que le chris— tianisme ait fait son temps, je comprends le déisme de Voltaire, mais je ne comprends pas la théurgie de Maxime d'Ephèse et de Julien.

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fifqiive.,#n eget, uue visio4, si Pa.l'est qu'il y a t viionnaires? Vous me dites que MeusChrist est dépassé et par qui done? grand Rien i YQUS me mentroz Allah Kardec. Allons dong décidément vous plaisantes, Nous n'admettons pas, disons-rnous , que le çhrigtianisple ait fait son temps et que ee soit an arbre mort, car il n'a pas encore &miné ses fruits. L'Évangile n'a pas été entendu , la vérité n'a pas été enseignée dans son entier; des enfants ont épelé la lettre, mais l'esprit est resté au fond du texte, nomme l'espérance au fond de la botte de Pandore. Nous croyons donc qu'il ne s'agit pas d'enseigner quelque chose de nouveau, mais de mieux expliquer ce qui a été enseigné. Cet *Milgnement meilleur, c'est de l'Église seule que nous l'attendons ; et c'est pour cela que nous déposons à. ses pieds le résultat de nos recherches et de nos études, afin qu'elle lise et qu'elle juge. Approuvés ou non par l'Église, nos travaux seront utiles au monde; car, si l'Église peut défendee au croyant excentrique de dogmatieer, elle ne peut empêcher le savant d'enseigner. Or, ce n'est pas sur la religion , mais bien sur la science des esprits que nous appelons aujourd'hui l'attention

3,11 -

des penseurs. Notre but, en écrivant cet Ouvrage, n'est pas uniquement d'opposer une digue à l'épidémie du spiritisme. Nous ne sommes, de parti pris, les adversaires de personne i nous aimons ceux qui cherchent, ear nous avons longtemps cherché, et c'est à eux surtout que nous voulons faire part de nos curieuses découvertes. La gmnde hypothèse nécessaire des destinées futures a été travaillée et conduite, de déduction en déduction, par les sages de l'ancien monde. La pneumatique kabbalistique est véritablement une science, parce qu'elle procède méthodiquement et exactement, en allant du connu à l'inconnu par la voie des analogies les moins douteuses, parce que les faits lui révèlent des lois, et que sur ces lois elle pose solidement la base da ses hypothèses toujours prudentes. C'est donc la pneumatique kabbalistique que nous avons révélée à nos lecteurs. Nous y joignons l'analyse du profond traité d'Isaac de Loria sur le progrès circulaire des âmes (De .Revolutioni bus anima, rune) ; celle du Sepher Druschim par le même docteur. Nous tirons des ténèbres de l'occultisme ces livres prodigieux dont le monde mo-

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derne n'a plus la clef, et nous croyons avoir bien• mérité de la science et de la raison. Avec le secours de ces puissantes lumières, nous expliquons les phénomènes étranges que les demi-savants trouvent si commode de nier, et qui pourtant les écrasent de leur évidence. Oui, les statues tressaillent, les marbres pleurent, les pains sacrés s'injectent de sang; oui, une main a pu sortir de la muraille pour terrifier par. une inscription menaçante le banquet impie de Balthazar. Nous avons vu, entendu et touché de semblables prodiges; aussi ne dirons-nous pas que nous y croyons, puisque nous savons de science certaine que cela est. Le miracle n'est pas un fait contraire aux lois de la nature; autrement il ne saurait être sans que la nature fût boulevérsée. Mais c'est un fait exceptionnel et en dehors des habitudes de la nature, si l'on veut nous permettre de parler ainsi. Le miracle en un mot, comme tout ce qui existe, ne peut exister sans raison; il ne prouve donc rien contre la raison, et c'est ce que notre livre doit établir clairement, ainsi que nos autres ouvrages. Cette vérité une fois reconnue, la superstition

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devient impossible; le fanatisme s'en va, la vraie religion emprunte tout son éclat à la raison suprême et dédaigne de vains prestiges. La foi ne trouble plus les âmes; elle les soutient et les console pendant que la science les éclaire. L'humanité sort de l'enfance; elle repousse en souriant et replonge dans leurs ténèbres les revenants et les vampires. Les forces secrètes de la nature deviennent les conquêtes de l'intelligence; le symbolisme s'éclaire de lui-même, les allégories parlent, l'histoire se dégage des nuages de la fable. C'est ainsi, disent nos prophètes, qu'un jour le Fils de l'Homme, abaissant les nuées du ciel, paraîtra dans toute la gloire et dans toute la simplicité de son humanité sainte, et, ouvrant le livre des consciences, jugera les vivants et les morts. L'auteur de ce livre ne craint pas d'avouer qu'il a eu lui-même 'les plus étonnantes et les plus formidables visions : il a vu et touché les démons et les anges comme les faisaient voir et toucher à leurs adeptes Maxime d'Éphèse et Schrcepfer de Leipsick. Il a pu comparer les hallucinations de la veille avec les illusions des songes, et de tout cela il a conclu que la raison

— 114 — dirigeant la foi et la foi soutenant la raison sont les seules lumières véritables de nos âmes, que tout le reste n'est que fatigue vaine du cerveau, aberration des sens et délires de la pensée. Il n'écrit donc pas seulement ce qu'il suppose, il enseigne hardiment ce qu'il sait. Aussi son livre est-il intitulé : La science des Esprits, et non pas Conjectures ou Essais sur les esprits. C'est après être descendu de gouffre en gouffre et d'épouvante en épouvante jusqu'au fond du septième cercle de l'abtme, c'est après avoir traversé dans toute sa longueur l'ombre de la cité dolente, que le Dante, en se retournant et en prenant, si je puis parler ainsi, le diable à rebroussepoil, remonte victorieux et consolé vers la lumière. Nous avons fait le même voyage, et nous nous présentons au monde la sécurité sur le front et la paix dans le coeur. Nous venons dire tranquillement aux hommes que l'enfer, que le démon, que le gouffre sans espérance, que les chimères,. les satyres, les goules, les péchés personnifiés, le dragon à trois têtes et tout le reste de la fantasmagorie ténébreuse n'est qu'un cauchemar de la folie, mais que Dieu seul vivant, seul réel, seul

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présent partout, remplit sans y laisser de vides, remplit, dis-je, l'immensité sans bornes des splendeurs et des consolations étçrnelles de la souveraine raison.

DIA LOGUE ENTRE

LE LECTEUR ET L'AUTEUR.

LE LECTEUR.

Ainsi, voilà qui est bien entendu, NOUS rejetez l'autorité de l'Église catholique romaine? L'AUTEUR.

Ai—je dit cela? Je la respecte au contraire, et je crois qu'il faut y revenir comme au seul prin— cipe de hiérarchie et d'unité. LE LECTEUR.

Votre enseignement diffère cependant du sien. Pensez—vous en savoir plus qu'elle? L'AUTEUR.

En matière de science, oui. Car l'Église n'est infaillible qu'en matière de foi.

- 317 LE LECTEUR.

Vous rejetez le diable et l'enfer de M. de Mirville; ne sont-ce pas là des matières de foi? L'AUTEUR.

Le Credo de M. de Mirville pourrait être ce— lui-ci Je crois au diable, le destructeur très-puissant, perturbateur du ciel et de la terre, et en l'ante— christ, son fils unique, notre persécuteur, qui sera conçu du mauvais esprit, nattra d'une vierge sacrilége, sera glorifié, régnera et montera s'asseoir sur l'autel de Dieu le père tout-puissant, d'où il insultera les vivants et les morts. Je crois en l'esprit du mal, la synagogue satanique, la coalition des méchants, la persistance des péchés, la per— dition de la chair et la mort éternelle. Qui osera dire ainsi soit—il ? Qui ne voit pas que le Credo noir est tout l'opposé de celui de l'Église, et que le croyant qui affirme l'un doit nécessairement nier l'autre? LE LECTEUR.

Cependant l'Évangile et l'Église parlent du dia-

ble et de l'enfer?

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Oui, symboliquement, et ce sont ces symboles que je viens expliquer par la science et la raison. LELECTEUR.

Mais enfin, la foi de l'Église... L'AUTEUR.

L'Église n'a jamais pris le diable pour objet de sa foi. LE LECTEUR.

Mais enfin vous affirmez une sorte de catholicité universelle qui exclurait seulement l'Église romaine. L'AUTEUR

J'ai dit positivement le contraire : il serait aussi absurde de mettre Honte hors de l'univers que de prétendre renfermer l'univers dans Fionie, LE LECTEUR.

Vous me permettrez de préférer les croyances de ma grand'mère à toutes vos raisons. L'AUTEUR.

Litre à vous de penser comme les grand'mères, ou même de ne rien penser du tout. Mais le

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monde souffre d'être sets teligion, et j'ai voulu à mes risques et périls montrer la conciliation possible entre la raison et la foi. Laissez-moi espérer que j'aurai un jour des petits-enfants qui penseront comme leur grand-père. LB LECTEUR.

Mais pensez-vous que Rome vous approuvera ? L'AUTEUR.

A-t-elle approuvé Gaulée? La terre touriie cependant. LB LECTEUR.

Maintenant elle ne le condamne plus. L'AUTEUR.

C'était une question de temps. Vous voyez bien que j'ai quelque raison d'espérer. LE LECTEUR.

Mais on vous persécutera. L'AUTEUR.

J'y suis accoutumé. LE LECTEUR.

M. de Mirville dira encore que vos livres sont abominables.

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L'unaus. Je suis trop poli pour lui répondre que les siens sont pitoyables. LE LECTEUR.

On organisera plus que jamais contre vous la conspiration du silence. L'AUTEUR.

On me traitera alors comme Alexandre devant qui la terre se taisait : siluit terra in conspectu eju s. LE LECTEUR.

Adieu, car je vois que vous êtes incorrigible. L'AUTEUR. Au revoir, car j'espère toujours que vous voudrez vous corriger.

SUPPLÉ MENT

PUISSANCE DE L'IDÉ E CATHOLIQUE RATTACHÉE A L'ESPRIT ET NON A LA LETTRE DES LIVRES SAINTS ET COMMENT IL FAUT L'OPPOSER AUX RÊVERIES DES NOVATEURS MODERNES.

Les doctrines spirites ont le tort immense, après celui d'être le résultat du vertige et de l'extase, de rompre la chatne d'or de la tradition, de supprimer le sacerdoce et la hiérarchie, et d'ôter à la morale sa sanction éternelle. Pour nous, tout en admirant la kabbale et ses dogmes secrets si pleins de consolation et d'espérance, nous ne croyons pas qu'une Église nouvelle en puisse faire le sujet d'un enseignement nouveau. Ils appar2t

— at2 — tiennent essentiellement à la philosophie occulte, et deviennent condamnables dès qu'ils sont divulgués. Si nous détestons de tout notre coeur la crasse pharisaïque que les siècles ont laissée s'étendre et s'accumuler sur l'or pur du sanctuaire, nous n'en sommes pas moins partisan dévoué de l'autorité et de la hiérarchie ; et si notre messianisme n'était qu'un essai de secte nouvelle, s'il n'était pas le fond même de la science judaïque et du dogme chrétien, si nous ne le soumettions pas sans restriction au jugement de l'autorité légitime en tout ce qui concerne la portée et le mode des enseignements qu'il contient, nous aurions ajouté un rêve à ceux des Saint-Simoniens et des Fouriéristes ; nous n'aurions pas retrouvé la vraie

seience et l'éternelle 'vérité. Que ce livre reste donc ce qu'il doit être, un recueil de recherches curieuses destinées à éclairer les esprits assez forts pour penser librement et rester soumis. Que les esprits vulgaires l'ignorent, que les hommes à préjugés le condamnent, e est ce que nous avens désiré.. Les révolutionnaires de la pensée'sont coltine ceiik de là politique ils se risquent en avant, on les laisse périr, un tes désavoue,

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et la réaction qui les tue hérite du fruit de leurs travaux. Ce sont les boues émissaires du progrès, es sont les parias de la conquête; leurs corps sers' vent de fascines pour combler l'abîme qui sépare le passé de l'avenir; les souverainetés bigitimes rentrent triomphantes par le chemin qu'ils ont frayé, mais elles rentrent transformées. Les demnés ont travaillé pour les saints, et un jour tar. dif arrive enfin où l'on se hasarde à soupçonner que ces réprouvés, si longtemps dédaignés ou maudits, étaient peut-être des martyrs. Telles ne sont pas sans doute mes prétentions; mais si j'ose tout, c'est que je reconnais une inébranlable autorité, et que je ne crains pas qu'elle s'égare, même en me blâmant. L'autorité absolue, en effet, est nécessaire pour arrête- es divagations de l'erreur. Une autorité. c est une raison collective; les rêves ne sont rien devant elle, et une raison particulière ne peut avoir de plus haute prétention que celle de se faire adopter. Nous avions pensé à faire suivre nos hardies révélations sur le dogme occulte des anciens, d'une large et complète apologie de la catholi-

cité dam le sens du comte Joseph de Maistre; mais ce travail n'est pas fait pour nous, et nous ne nous croyons ni assez digne, ni assez autorisé, pour l'entreprendre. Il nous suffira d'en donner le plan et les principales pensées. D'autres un jour le feront, nous n'en doutons pas. A chacun son oeuvre : la nôtre est celle d'un pionnier et non 'd'un bâtisseur. Voici donc nos quelques pierres et nos ébauches d'architecture.

DE LA VÉRITÉ CATHOLIQUE CONTRE LES SCEPTIQUES, LES SPIRITES ET LES HÉRÉTIQUES MODERNES.

P L A N E T M A TÉ R I A U X . PRÉFACE.

Le seul moyen d'unir à jamais la philosophie et la religion, c'est de reconnattre qu'elles sont opposées l'une à l'autre, mais opposées comme les deux pôles qui soutiennent l'axe de la terre. Dès qu'une religion est expliquée, elle cesse d'être comme religion et devient un système de philosophie. Le Credo quia absurdum est éternel. PREMIER MOT DE LA. RÉVÉLATION.

1. Dieu est

loi naturelle; l'être est l'être.

SECOND MOT DI Li RÉVÉLATION.

2. Dieu est esprit, — loi de Moïse ; l'être est vivant et pensant.

326 TROISIÈME MOT DE LA RÉVÉLATION.

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3. Dieu est esprit de charité, — loi du Sauveur; l'être est bon, 1

Existence du mal. — Existence relative, mais réelle, le mal n'existe que comme abus du bien; c'est une perversion volontaire de l'être, — réelle comme la liberté de l'homme, — irrévocable .comme elle. Le péché mortel est la négation formelle, pratique et confirmée de l'esprit de charité. Cette négation, rendue éternelle par, le suicide de la liberté, c'est l'enfer. L'orgueil, ou le clair injuste de la domination et de l'estime ; la luxure, ou le désir injuste des plaisirs de la chair ; la cupidité, ou le désir injuste des biens de ce monde, sont les trois ennemis de l'homme. L'esprit de charité les terrasse tous les trois. Là. Morale n'est pas une convention entre les hommes; c'est une loi fatale qui vous dirige à

ar — droite ou à gauche, suivant votre eltoii, à tous las instants de votre vie, Le mal est une force d'jnertia, ltibien une fprie. d'action. ..-- L'exercice, ou plutôt l'habitude du

mal, paralyse l'Arne ; l'exercice du hien, au con.traire, la rend capable d'un bien toujours plus sublime et plus élevé, Pour celui qui aime a remplir les devoirs d'un honnête homme, le devoirs d'un chrétien sont une consolation plutôt qu'une surcharge. . Le péché originel a pour peine la mort ct l'exclusion du paradis terrestre. Dieu n'a point menacé Adam des peines de l'enfer; on ne saurait donc dire que les enfants morts sans baptême appartiennent h l'enfer. — Ils ne sauraient entrer en cet état dans le royaume des cieux, voilà ce qui est de foi d'après l'gcriture. Leur destinée est le secret de la miséricorde de Dieu; mais, s'il est permis d'en conjecturer quelque Chose, c'est en esprit de charité. L'esprit de charité ordonne la douceur envers soi-même, et il faut porter, même dans la pénitence, un esprit paisible et bienveillant opposé aux craintes exagérées, aux scrupules, aux ma-

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cérations imprudentes. Rien de plus sage, de plus harmonieux, de plus modéré, de plus aimable que l'esprit de charité. Charitas patiens est, benigna est, non inflatur, non oemulatur, non agit perperam, non gucerit quce sua sunt, non cogitat malum, non Baudet super iniquitatem, congaudet autem veritati Cet esprit existe-t-il dans l'Église catholique? Oui, sans contredit ; et les scandales contraires ne peuvent que faire ressortir cette vérité. — L'esprit de charité est tellement la base des institutions catholiques, que sans cet esprit elles ne subsisteraient pas un jour. On remarque et on enregistre les choses peu charitables de l'Église. C'est une profession dé foi en l'esprit de charité qui doit lui être essentiel, et sans lequel on ne la conçoit pas. Pour sauver le monde, il faut y ranimer l'esprit de charité ; il faut répandre cet esprit, il faut le rendre universel. Pour 'cela, ce ne sont ni des livres ni des discours qu'il faut, mais des efforts de charité, des sacrifices héroïques, des bonnes oeuvres et des prières incessantes.

QUELQUES PENSÉ ES DU COMTE DE MAISTRE.

C'était, ce me semble, une assez belle idée que celle de faire asseoir Bacchus et Minerve à la même table, pour défendre à l'un d'être libertin, et à l'autre d'être pédante. (Soirées de SaintPétersbourg, p. 10.) Si quelquefois la superstition croit de croire, comme on le lui a reproché, plus souvent l'or— gueil croit ne pas croire. (P. 14.) En effet, l'incrédulité est une croyance néga— tive, et la crédulité exclut la foi. Vous ne savez ce que vous dites, » est le compliment qu'un homme sensé aurait droit de faire à la foule qui se mêle de disserter sur les questions épineuses de la philosophie. Croyez—vous qu'il faille être l'égal de Descartes pour avoir droit de se moquer de ses tourbillons? (P. 19.)

390 --

La plus grande masse de bonheur, IDÉE DOMINANTE DE

méme temporel, 4ppartient. non pas à l'homme vertueux, mais à la

L'OUVRAGE.

vertu. ••

„„ • „„ •rearlIMIM.

Le glaive de la justice n'a point de fourreau : toujours il doit menacer ou frapper. (P. 45.)

Nos enfants porteront la peine de nos fautes. Nos pères les ont vengés d'avance. (P. 81.) Qu'est-ce que IOVI, sinon IOVA ? Le sauvage n'est pas l'homme primitif, c'est un homme dégradé. (P. 82). L'aigle enchalné demande-t-il une montgolfière pour s'élever dans les airs? Non, il demande seulement que les liens soient rompus. (P. 104.) Je suis, comme Job, plein de discours : pdenus sum sermonibus . (P. 104.)

L'état de nature, c'est la civilisation, (P. 108.)

Nous sommes k l'homme primitif ce que le sauvage est à nous. (P. 123.) Il n'y a point de vertu proprement dite sans victoire sur nous-mêmes, et ce qui ne nous coûte rien ne vaut rien. 1. Répartition. 2. Déchéance. 3. Providence. 4. Prière. 5. Hiérarchie des êtres, relativement au mal. La matière n'est rien que la preuve de l'esprit. 6. Efficacité de la prière; liberté humaine. Ne craignons jamais de nous élever trop et d'affaiblir les idées que nous devons avoir de l'immensité divine. Pour mettre l'infini entre deux termes, il n'est -pas nécessaire d'abaisser l'un, il suffit d'élever l'autre sans limites. „•••••„•••111.1....„•••••111



Il faut croire ce qui a été cru toujours, partout et par tous. (Vincent de Lérins.)

Mercure a la puissance d'arracher les nerfs de

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Typhon, pour en faire les cordes de la lyre divine. (Plut. de Isi et Os., p. 314.) L'ange exterminateur tourne comme le soleil autour de ce malheureux globe, et ne laisse respirer une nation que pour en frapper d'autres. Entre le blasphème humain qui nie Dieu et le paradoxe prétendu divin qui nie l'homme, l'Évangile nous donne un milieu tout à la fois divin et humain, qui nous fait éviter l'un et l'autre des deux écueils : c'est l'affirmation du Dieu fait homme; c'est le Verbe divin révélé dans l'humanité.

Ponrquoi nous montrer toujours le bourreau où nous avons besoin de trouver surtout le médecin ? Tous les grands hommes ont été intolérants, et il faut l'être. (Citation de Grimm, épigraphe des

Lettres sur I' inquisition.) Jamais les grands maux politiques, jamais surtout les attaques violentes portées contre le corps de 1Stat, ne peuvent être prévenues et repoussées

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que par des moyens pareillement violents. (Première Lettre sur l'Inquisition.) J'honore la sagesse qui propose un nouvel organe autant que celle qui proposerait une nouvelle jambe. (Phil. de Bacon, p. 9.) Bacon, Induction; Condillac, Analyse ; Kant, Critique. Il ne peut y avoir de nouvelle science de l'intelligence, ni surtout de nouvelle méthode pour découvrir. L'orgueil peut seulement donner de nouveaux noms à d'anciennes notions, et l'ignorance et l'inapplication peuvent prendre ces noms pour des choses. (Ibid., p. 12.) C'est en vain que le Créateur a mis dans nos mains le flambeau de l'analogie ; Bacon vient placer son éteignoir poétique sur cette lumière divine. (P. 33.) 11 y a une grande analogie entre la grâce et le génie, car le génie est une grâce. Le véritable homme de génie est celui qui agit par mouvement ou par impulsion, sans jamais se contempler et

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sans jamais se dire : Oui, c'est par mouvement que J aes• Qu'est-ce que Haller n'a pas vu dans un jaune d'ceuf

La rage du leu (Bacon). Horreur du vide ! Têtes stupides, c'est l'amour du piston! — Le coeur du singe est au coeur de l'homme ce que les rêves de la poésie humaine sont à la providence de Dieu.

LES

QUATRE CARACTÈRES DE L'ABSOLU APPLIQUÉS A LA RELIGION. VÉRITÉ. — RÉAIITÉ• — RAISON. — JUSTICE.

DÉMONSTRATION PRÉLIMINAIRE. •

Vérité, identité de l'être avec l'idée. Réalité, — identité de l'être avec la science. Raison, — identité de l'être avec le verbe. Justice, — identité de l'être avec l'action.

PREMIÈRE DÉMONSTRATION.

ffistiTirt Da L'Élu .tmeoLu AVEU DUC TE vus ul DÉFINITLe FOIIIIATROLIQUICa



I. L'idée de Dieu est un rait psychologique, réel, universel, incontestable. 2: Développements réalistes de cette idée:

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3. Influences de la hiérarchie ou de l'anarchie sur cette idée. 4. Catholicité de l'idée divine.

DEUXIÈME DÉMONSTRATION. IDENTITÉ DE L'ÉTRE RELIGIEUX AVEC LA SCIENCE CATHOLIQUE.

1. Comment la vraie religion naturelle doit être une religion divinement révélée. 2. Qu'il n'y a pas de religion où il n'y a que de la science. 3. Accord nécessaire de la religion et de la science résultant de leur antagonisme même. 4. Science religieuse catholique, ou théologie.

TROISIÈME DÉMONSTRATION. RAISON.

1. L'affirmation religieuse n'est raisonnable que dans l'ordre catholique et hiérarchique. 2. Raison profonde des prétendues absurdités religieuses. 3. Déraison évidente de tous les dissidents.

— 337 — 4. Raison de la foi catholique démontrée par l'espérance et la charité. Indifférent en matière de religion veut dire indifférent en matière de morale. Irréligieux veut dire immoral. Les catholiques romains sont une famille spirituelle ayant pour père le Souverain Pontife, et l'Église pour mère. Les chrétiens du rite grec sont une famille à plusieurs pères, et par conséquent à plusieurs mères, à moins que leur église ne soit adultère. C'est une famille sans unité. Les protestants sont une famille sans père ni mère, ce sont des orphelins volontaires qui veu— lent être orphelins pour n'avoir pas à obéir à leurs parents. L'IsLtausu . . . . (Religion de quiétisme et de mort; fatalité et résignation. Ombre du catholicisme esquissée LE BOUDDHISME. . . avec les ténèbres des vieux symboles de l'Inde. t Est au bouddhisme ce que l'Église LE BRAMABISSLE. . . , f grecque est à l'Église latine. 22

— 338 — Est une souche vivante, mais couLE JUDAISME. .

pée, qui ne peut rethfre qu'en se . .

rattachant à sa branche vive, — la catholicité. Égoïsme sensuel, tempéré par des LE SAINT-SIMONISME. habitudes polies et des échanges industriels. Faire de l'ordre avec du désordre, du plaisir avec la peine, de la vertu avec le vice, du bien avec le LE FOURIÉRISME.

mal, de l'harmonie avec Faner.

chie ; abolir la souffrance et par conséquent le plaisir ; détruire les notions du bien et du mal; abrutissement et bestialité. LE SCEPTICISME. . . 1 Rien, — rien, — rien.

La critique de Voltaire est une critique de chicane et de pédanterie. — Il s'agit bien d'un texte ou d'un mot qu'il n'entend pas et que son curé entend mal ! il s'agit de l'esprit de charité, et ce n'était certes pas l'esprit de Voltaire. La vraie religion naturelle, c'est la religion révélée; il est de la nature d'une religion d'être révélée, autrement comment nous rattacheraitelle à un ordre supérieur?

- 33 -

LES MIRACLES. Les miracles sont des effets naturels de l'intervention d'une cause supérieure à celles qui produisent les effets ordinaires. Ils ne sauraient être absurdes, et les supposer tels, c'est faire outrage à la sagesse de Dieu. Le miracle en apparence le plus absurde, celui de l'enfantement de la Vierge, ne choque notre entendement qu'à cause de nos raisonnements indécents et téméraires. La mère de Dieu est immaculée, elle est vierge et mère sans reproche. Voilà le dogme. Sa virginité n'a jamais souffert d'atteinte, c'en est la conséquence. Comment alors a-t-elle pu devenir mère ? C'est le secret de Dieu. Celui qui examine et discute une pareille chose n'est plus chrétien et ne le sera jamais. Celui qui cherche à expliquer est téméraire. C'est le comment qui est absurde, ce n'est pas le fait. L'esprit est la dupe du cœur, on l'a dit, et c'est toujours vrai. Les objections insolubles de l'esprit

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viennent des entraînements du coeur aux aisances de la vie. Le véritable honnête homme, ayant tout à gagner à ce que la religion soit vraie, croit sans peine à la religion. L'inquisition et les guerres de religion ont été des oeuvres humaines. — L'Église a horreur du sang, voilà le principe. Lorsque les faits sont en contradiction avec les principes, c'est aux passions des hommes qu'il faut s'en prendre. L'humanité aussi a horreur du sang, et c'est au nom de l'humanité que la révolution a fait périr tant de victimes ! La peine de mort est contraire au génie de l'Église, qui espère toujours la conversion du pécheur et regarde le temps qui lui est laissé comme un inestimable bienfait du ciel. — Elle ne brise pas le roseau cassé, et elle ne marche pas sur la mèche qui fume encore. La morale catholique n'est pas spéciale à cette communion : c'est la morale universelle, rigoureusement appliquée et sanctionnée par des lois positives. Le détachement catholique ne repousse rien

— 344 —

de beau, de bon, ni d'aimable, il en condamne et en prévient seulement l'abus. La chasteté n'est pas le mépris, mais bien la sanctification de l'amour. Ce qu'on reproche le plus à la religion, c'està-dire à ses ministres, ce sont des actes d'irréligion. Cela ressemble assez à la logique de ceux qui reprochent à Dieu de n'être pas assez Dieu, pour le condamner ensuite à ne plus être Dieu du tout. La religion n'est pas plus difficile à pratiquer que la vraie philosophie : il s'agit d'être ou de ne pas être, de vivre en homme raisonnable ou en brute, il n'y a pas de milieu. Une vie raisonnable exige les plus grands sacrifices, et la religion ne donne que des facilités. Les Catons du christianisme ne s'arrachent pas les entrailles ; ils laissent triompher César et adorent Dieu seul. La tourbe des cupides et des lâches, qu'est-ce que c'est? Est-ce que cela pense? est-ce que cela vit? C'est de la corruption qui grouille. Vivre, c'est vaincre. La religion de Jésus-Christ a subi sa dernière épreuve, la plus terrible de toutes, la plus décisive : la critique et l'indifférence. Mais les multi-

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tudee souffrantes n'ont pas ri avec Voltaire; elles aiment mieux que le Sauveur vienne encore pleurer avec elles. Elles ne raisonnent pas avec Strauss; mieux vaut prier avec les plus humbles fidèles. Personne n'a touché à l'esprit de charité. On ne critique pas celui-là, et devant lui on ne saurait rester indifférent. Croyez vous au sérieux de la vie? à la rigueur des devoirs? à la dignité de la foi conjugale? à la pureté des moeurs? au devoir de la sobriété et de la tempérance? Si c'est non, je ne vous parlerai pas de la religion; vous n'y croyez pas. Si c'est oui, je n'ai que faire encore de vous la recommander; vous y croyez, ou vous y croirez. On se dit : Je ne veux pas me vautrer dans le vice, mais je ne veux pas non plus vivre comme un Caton; je veux mener une existence honnête et commode. Ceci est une illusion : on ne peut pas être à moitié homme et à moitié bête; l'un doit emporter l'autre tôt ou tard. Un moment viendra où vous aurez à opter, et, plus tard vous le ferez, plus la victoire sera douteuse et pénible.

- 343 -

La vile multitude, la masse réprouvée, c'est la masse des tièdes, des gens qui ne savent faire ni bien ni mal. Vivre, c'est agir, c'est penser, c'est vouloir, c'est faire. La grâce peut foudroyer le méchant et lui retourner le coeur; mais que peutelle faire d'un tiède? Aussi le Sauveur déclare aux tièdes qu'il les vomit. Que deviendront les tièdes après la mort? Ils seront chauffés au feu du purgatoire. C'est pour eux et en leur faveur que le purgatoire est fait. Qu'eût-il fallu à Jean Fluss et à Luther pour se soumettre à l'Église, malgré leurs propres raisonnements? — L'esprit de charité. Que fallait-il pour concilier et réconcilier ler mennais avec l'Église? — L'esprit de charité. Qu'est-ce au fond que l'esprit d'obéissance? L'esprit de charité, Il y a un côté de vulgarisation populaire et ridicule des dogmes qu'on affecte de prendre pour les dogmes eux-mêmes. Saint Paul recommande de se tenir en garde contre les légendes absurdes et les contes de vieille femme; mais les ennemis de la religion n'en tiennent comte; ils se-

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raient trop fâchés de perdre cette bonne occasion de rire des choses qu'ils ne comprennent pas. Pas de Dieu sans Jésus—Christ. Pas de Jésus—Christ sans l'Église. Pas d'Église sans un chef visible. L'antechrist , c'est l'esprit de schisme et de division spiritus qui solvit Christum. C'est l'opposé de l'esprit de charité. L'antechrist , c'est l'homme individuel des temps modernes qui se dit Dieu, se fait le centre de toute chose, ne vit que pour le droit sans reconnaître de devoir, et ne connaît d'autre association que la complicité ou la balance des intérêts. • La discession prédite par saint Paul a commencé au seizième siècle, a continué pendant les dix—septième et dix-huitième; elle finira avec le dix—neuvième : puis le retour se fera pendant le vingtième, et le grând triomphe de la religion aura lieu vers l'an deux mil. Supposons un instant que le fouriérisme, ou n'importe quelle rêverie soi—disant religieuse et

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sociale, ait pu prévaloir dans le monde; que l'Évangile soit oublié, et qu'un jour un homme de génie le retrouve et le prêche. Quelle lumière! quel progrès! quelle révolution dans les moeurs! Quand les hommes se fatiguent de la vérité, le faux leur parait vrai un instant; mais quand c'est le mensonge qui les dégoûte et les lasse, avec quel transport ils se jettent vers la vérité !

DIFFICULTÉS DU DOGME EN LUI-MÊME.

LE EMME, TORMULÉ ET »Onu PAS empan DE RBARITÈ, MOIT S'ISTERPRÉTER ÉGALEMENT EN ESPRIT DE quant.

••••

„11.1,1•1„

LE PÉCH ORIGINEL. Injustice apparente. — Les innocents É

condamnés pour le coupable. Dieu s'apaisant soi-même en se saET crifiant à soi-même; virginité maSiESCONSÉQUENCES, térielle de Marie. LA DAMNATION Du plus grand nombre des hommes, L'INCARNATION

TERNELLE ION

rendant presque inutile toute .

conomie du salut. DOUBLE MYSTÈRE. MYSTÈRE D'AMOUR. . j Expliqués et conciliés par — mysMYSTÈRE DE JUSTICE.

tère de charité.

Le dogme, formulé et défini par l'esprit de charité, doit s'interpréter également en esprit de charité. I. Le péché originel ne nous serait pas imputable, si nous en étions innocents. II. Si l'on explique Dieu en le comparant avec l'homme, soit dans ses miséricordes, soit dans ses

— 347 — colères, on tombera nécessairement dans l'ab— surde. III. La damnation éternelle est basée sur un fait, et non sur un nombre. Tous les hommes peuvent l'éviter, voilà le fait, et le nombre de ceux qui ne le veulent pas est inappréciable pour d'autres que pour Dieu, qui seul connaît et juge le fond des coeurs. On se fait une idée fausse de la damnation, en y faisant intervenir Dieu comme vengeur actif, tandis que Dieu laisse venger ses lois par la force même de ses lois, et les pécheurs souffrir par la privation des biens dont ils se sont rendus indignes. Montrer ici combien tout commentaire, soit pour charger, soit pour adoucir ce dogme rigou— reux et terrible, serait déraisonnable et ridicule,

AUTRE OBJECTION. L'ABANDON OU SE TROUVE L'É GLISE.

Abandon prédit, — dùcessao qui doit précéder l'époque du retour des Juifs et du grand triomphe de la foi.

- 348 QUESTION.

Si, suivant la doctrine de l'Église, la majorité des homm,es doit être damnée? Non; il est certain que les vrais justes sont en petit nombre; mais ces élus, ces âmes d'élite entratnent chacune avec elle des multitudes de faibles au ciel. Les prières de l'Église, la com— munion des saints, ont une immense efficacité. Le purgatoire achève ce qui est imparfait sur la terre. L'esprit de charité veut sauver tout le monde et sauve la multitude des fidèles. La souffrance n'affaiblit que les lâches ; elle rend la vertu plus forte. Le corps est une machine dont l'âme doit être le *machiniste, sous peine de devenir elle-même la machine du corps, et c'est ici le sens de cette profonde maxime du Maître: « Si l'aveugle con— duit l'aveugle, tous deux tomberont dans la fosse. » L'empereur Julien n'adorait pas les idoles; il croyait à la lumière suprême. Mais sa lumière était sans chaleur; il n'avait pas compris l'esprit de charité. La charité ne veut pas l'égalité entre les hom-

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mes ; elle veut, au contraire, qu'ils aient besoin les uns des autres. La charité appartient si bien au christianisme catholique, qu'au dehors de cette communion le mot même change de sens. Les rêveurs sont toujours des dormeurs, et l'infortune leur vient en dormant. Il ne faut pas faire de la vie un rêve, si l'on ne veut pas faire de la mort un triste réveil.

Qu'est-ce que Dieu, révélé et expliqué par la , doctrine et les exemples de Jésus-Christ? Quel doit être l'objet de tous nos efforts, et le but de tous nos sacrifices ? Quelle est la preuve de la vraie foi? Qu'est-ce que la catholicité, dans son sens le plus é t e n d u ? Quel est le préservatif de toutes les erreurs de

.4

-g ,,

l'esprit et de tous les égarements du coeur? „ ro Quelle est la marque distinctive et éternelle de in la vraie Eglise? e Quelle est la force la plus irrésistible, la vérité rd la plus irréfragable, la divinité la plus évidente du '-' christianisme ? Qu'est-ce que le devoir, et qui peut le rendre plus nécessaire à notre âme que le droit? Quel est l'accord de l'autorité et de la liberté? Quelle est la paix religieuse? 1

j

380 — Quel est l'accord de la science et de la foi? Quelle doit être la fin de toutes les hérésies? Quelle est la marque de la prédestination? Qu'est-ce que la vie éternelle? Quelle est la raison de l'infaillibilité du Saint5 Siége? Quelle est la conciliation des contradictions apparentes? Quelle force vaincra les moqueries de Voltaire ..›1 et les argumenta de l'École?



SECONDE PARTIE. L ESPRIT DE CHARITÉ. -- PLAN D'UN TRAITÉ '

A FAIRE. INTRODUCTION. LA SAGESSE HUME ET LA ArlIE DE LA CAOLX. Première partie.

' Notions essentielles et absolues. Linz t. LÀ variez Distinction nécessaire. ET LA FOI. L'esprit et le cœur. L'arbre de science et l'arbre de vie. , Caïn et Abel. LIVRE H. LE DROIT ESati et Jacob. ET LE DEVOIR. i Saül et

David.

„ La parabole de l'Enfant prodigue. i Loi naturelle, beauté et bonté de Dieu. Loi anciénne, unité et force de Dieu. c d o tee.AL"", „, ',/:',,„.; d b16' Loi chrétienne

1

LITRE m. Economia DES ARES.

tienne ne& aile :d laÉpoque de ilium e, Did: triomphe. 1 rie.

—— L'esprit de charité traversant les âges. Réponse à toutes les objections contre la foi. LIVRE IV. L'ESPRIT Explication claire et universelle des DECEÂRITÉ. points essentiels de la doctrine. La catholicité nécessaire. Récapitulation et synthèse universelle en deux mots qui n'en font qu'un, l'esprit de charité.

Vaincre la grossièreté dans la recherche des satisfactions naturelles, c'est l'ce uvre d'une bonne éducation. Vaincre les attraits du plaisir et le sacrifier au devoir, c'est tout le mérite de l'honneur. Vaincre l'appréhension de la douleur et même de la mort pour obéir à l'honneur, c'est l'héroïsme, c'est la perfection humaine. On arrive à cette perfection par une éducation progressive de la volonté. L'ascétisme était l'apprentissage du martyre : on ne meurt pas comme Curtius lorsqu'on a vécu comme Natta. - Pour tendre ainsi à la perfection, il faut l'aimer. — L'amour de la perfection, c'est l'esprit de charité. Les expiations sont les reprises d'une éducation manquée; heureux qui sait les reconnaître et les accepter !

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Expier, c'est manger après le dessert le sel qu'on avait négligé de mêler à ses aliments. Un homme bien élevé n'est ni débauché, ni ivrogne, ni glouton. Un homme d'honneur pratique sévèrement la morale humaine; un chrétien seul professe le renoncement et la charité. qui est l'héroïsme de toutes les vertus. L'homme sortant des mains de la nature n'est pas bon, comme l'a prétendu Rousseau, il a l'ins— tinct de l'égoïsme, et ses passions, en se déve— loppant, en feront bientôt une bête féroce. La société, en lui faisant craindre ses châtiments, lui apprendra plutôt l'hypocrisie et la lâcheté, qu'elle ne parviendra à le former à la vertu, si la religion n'intervient; et c'est ce qui arrive pour tous les hommes vraiment vertueux. Le sentiment de l'honneur et du devoir est un sentiment religieux. Sans une foi réelle au principe même de l'honneur et du devoir, il suffirait de paraltre honnête et d'éluder la loi pour vivre tranquille, et il n'y aurait de vertueux que les niais. C'est en ce sens qu'il n'y a réellement pas de probité sans religion. 23

— »54 — L'amour du beau, du bon, de l'honnête, est naturel; mais, c'est un attrait qui doit être développé par l'éducation et vivifié par la foi religieuse. Tout est confUsion de mots. On se fait un Dieu de fantaisie qu'on trouve absurde, et l'on en vient à déclarer que Dieu n'est pas. — On appelle catholiques des pharisiens modernes, et l'on en conclut que le catholicisme n'est qu'ostentation et hypocrisie. On prend les hypocrites pour des dévêts, et l'on eonfond ensuite à plaisir les vrais dévots avec les hypocrites. — On rencontre par hasard un mauvais. prêtre, et l'on rompt en visière pour eela avec tout le clergé. Pont cela est-il juste, tout cela a-t-il même l'ombre de la logique et de la raison ? Personne n'attaque la vraie religion, la vraie piété, le vrai Dieu, mais tout le monde se bat contre des moulins à vent. Nous ne connaissons Dieu que par l'esprit de Jésus-Christ qui est l'esprit de charité manifesté par ses enseignements et par ses oeuvres; en cela consiste toute la révélation, évidemment divine comme la charité est divine. La science conteste

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les miracles et discute les prophéties, mais il y a quelque chose de plus fort que la. science et ès plus merveilleux que les miracles, c'est la charité. (Voir le texte de saint Paul.) L'esprit de Jésus-Christ est toujours vivant sur la terre, autrement tout mourrait; et lb. où se trouve l'esprit de Jésus-Christ, Dieu est présent, agissant, et en quelque sorte visible. Celui qui, sans croire en Jésus-Christ, prononce le mot Dieu, ne sait certainethent pas ce qu'il dit. Il n'existe aucun article de foi concernant le diable. Tout ce qu'on en dit est de croyance et de tradition. Le diable, c'est l'esprit opposé à celui de Dieu, voilà le principe. Que ce malheurenx. esprit exfste,. /es erreurs et les crimes des hommes le démontrent assez. On le représente difforine, bien qu'un esprit soit sans formes, pour faire comprendra que c'est l'esprit de désordre. IL est: éternelle/mit rèpeetreé, parce qua lai mal est à >mais inconciliable avec le bien-

Dire que Dieu est impers...und., c'est en êtar toute idée possible à l'intelligence. Le faire unipersonnel, ce serait en faire quelque chose de li-

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mité et d'incomplet. — Il est tripersonnel, pour être un en plusieurs et tout en tous. L'arianisme tendait à faire de Jésus-Christ une idole vivante, une sorte de sous-dieu; — le monothélisme anéantissait en lui l'humanité. Deux natures distinctes en Jésus-Christ, mais non deux personnes; — deux natures sont en nous tous, spirituelle et corporelle; — deux personnes, ce serait un conflit. La religion est un ensemble de secours organisés pour aider les hommes à vivre suivant la sagesse. L'unité de religion ne peut s'établir que par l'esprit de charité. Ce sera la communion universelle des hommes, et dès que l'esprit de charité aura triomphé dans le sein de l'Église même, de tous les vices qui lui font la guerre. il se répandra dans le monde entier qui l'appelle et qui en a soif.

357 -

Les martyrs des premiers siècles ont prouvé l'esprit de charité par le courage dans les supplices; les témoins du renouvellement de la foi devront faire à leur tour leur preuve dans l'abnégation, la pauvreté, par la résignation aux calomnies, aux mépris, aux abandons, et souvent aux persécutions les plus imméritées et les plus • cruelles. Si l'on ne peut connaltre le bien et le pratiquer qu'en se faisant une juste idée de Dieu, si nous ne pouvons connaltre Dieu que par Jésus-Christ, et Jésus-Christ que par son Église, il est rigoureusement vrai de dire : hors l'Église point de salut. Mais l'Église est universelle, c'est-à-dire qu'elle étend l'influence de ses grâces et la puissance de ses prières sur tous ceux qui lui appartiennent par la bonne volonté, par la rectitude du cœur et des désirs. Sur tous ceux qui seraient à elle, s'ils pouvaient la connaltre, n'y a-t-il pas un baptême de désir? et la lumière de vérité a-t-elle jamais un long chemin à faire pour éclairer une âme et toucher un coeur? Avant la venue de Jésus-Christ, tous ceux qui désiraient la vraie lumière croyaient implicitement en lui. L'âme de l'Église est plus

— 358 —

étendue que son corps, elle remplit le monde et attire à elle tout ce qui est de bonne foi et de bonnes mœurs. Rousseau a ri des anges missionnaires de saint Thomas, parce qu'il n'était pas digne de sentir tout ce qu'il s aide foi et de charité dans cette pensée; il est beau de penser que sur quatre ou cinq cents millions de nos frères ignorant la vraie religion, un nombre incalculable entre en mourant dans le sein de la vraie Église, instruit et baptisé par les anges! Les protestants n'ont plus de raison d'être même apparente. Contre quoi en effet protestent-ils? contre des abus qui n'ont jamais été ou qui ne sont plus? contre des persécutions qui ont cessé? — Non, mais ils protestent contre l'unité hiérarchique qui sanctionne les lois de l'Église. -h- Ils protestent sans le savoir contre l'esprit de charité. L'esprit national des juifs les rapproche devenu tags de cette union. qui est l'âme de l'Église, et ils seront la foroe du sanctuaire quand ils auront tompris : Que les chrétiens n'adorent pas trois dieux; Qu'ils n'attribuent pas à la nature humaine les honneurs divins ;

— 389 — Qu'ils ne détruisent pas la lai de Idoïse4 «mais

qu'ils l'accomplissent; Que le Messie est »Mt, et qite c'est Netre-Seigneur Jésus-Christ, Jésus-Christ, en se montrant à nous, nous a missi montré son père; Dieu est devend évident, palpable: L'Église, en se montrant it nous, doit aussi nous montrer son chef visiblement successeur-de .1é.. sus-Christ, et animé du même mira: (Objection des Illatilrflis papes facile à résoudre t il y a eu de mauvais hommes sur le siége de saint Pierre, Il n'y a jamais eu de mauvais papes.) L'eSprit de charité est unevérité parte que c'est une lumière, une chaleur et une fere°. Le suntaturel visible, c'est l'esprit de charité; les vrais miracles, les miracles Incontestables; Sont ceux de l'esprit de charité. L'esprit de charité donne à la vie une plénitude et une joie bien sdpérieures à tous les plaiairs. de la vie. Ainsi, Dieu est visible aux hommes, la vraie

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religion est évidente et n'a même pas besoin d'être démontrée. Le devoir est clairement tracé, et facile à suivre dans toutes les conditions de la vie. Il est faux que le monde soit sans religion ; la société est plus catholique qu'on ne pense : tout le monde adore, désire et attend l'esprit de charité. Plus les misères sont grandes, plus le renouvellement par cet esprit est proche. Personne n'a aimé la souffrance pour la souffrance même, pas même Notre-Seigneur; on aime la souffrance pour la charité, dont on obtient à ce prix les mérites et les joies. Si l'on veut te prendre ta robe, abandonne ' aussi ton manteau. Le Maitre a dit cela aux individus et non à la société; la propriété est un principe, et les sociétés sont gardiennes des principes sous peine de mort. Le chrétien Mutai doit se laisser dépouiller, mais le pape Pie IX ne doit pas permettre qu'on dépouille l'Église. — Faites des concessions, ou l'on vous prendra tout, dit-on au souverain pontife. Non possumus

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répond le pape, et en disant cela c'est un principe qu'il défend ; il sait qu'il s'expose à tout perdre, et il persiste. Ce n'est certes pas là sacrifier le spirituel au temporel. La justice est éternelle, et le pape défend la justice. Il eût mieux valu mourir sur son siége en disant non possumus, que de laisser çouler le sang (pour ne pas dire plus) à Pérouse et à Castelfidardo. Mais tous les hommes font des fautes, .et les papes aussi sont des hommes. Certaines paraboles de l'Ëvangile ne paraissent pas finies, celle de l'enfant prodigue par exemple. Le voilà rentré chez son père, et l'on a tué le veau gras; mais il n'a plus rien, et son père, qui a partagé son bien entre ses deux enfants, n'a plus rien à donner au prodigue. Qu'arrivera-t-il ? Le frère sage prêtera au prodigue corrigé; ce dernier travaillera et fera valoir, il redeviendra riche grâce à son frère et à ses propres efforts : voilà ce que Jésus-Christ n'a pas voulu dire, sans doute parce qu'il n'était pas encore temps. Un homme est jeté hors de la salle du festin parce qu'il n'a pas de robe nuptiale; mais si un

des convivessort et lui donne la sienne% ne pourra- t-il pat; rentrer? et le père de famille laistera-t-il à là porte celui qui aura été Si géuéreut? de crois au contraire qu'il donnera luimême tue de ses robes au convive charitable Voilà do tes choses qu'on peut eipérer, mais qu'il de faut pas ensei- gner, Si les esprits de l'autre monde peuvent communiquer avec les hommes de celui-ci, pourquoi ne l'ont-ils pas toujours fait? Pourquoi un Christ? pourquoi une Église? pourquoi des conciles? pourquoi nos travaux? pourquoi iit» science? pourquoi notre raison? Mais noue savons qu'il y a eu de tout temps des visionnaires et des imposteurs; tous les hérésiarques se croyaient inspirés. Luther conversait familièrement avec le diable, et ce diable de Luther était un théologien retors et brutal comme son maitre. Qu'est-il sorti de tout cela? confusion, anarchie, et en définitive scepticisme ou démence. Les mêmes causes produiront toujours les mêmes effets. On recomudt l'arbre à ses fruits. Si un ange de Dieu, disait saint Nul, vous

— 383 — annonçait un autre évangile que celui gui mus été annoncé, qu'il soit anathtme I On ne réfléchit pas esses à la profondeur de cette parole. Si Dieu même, no effet, pouvait troubler Tordre tee lui.. même a établi, tout 'nimberait dans la nanfu. sion, et Dieu même ne serait plus Dieu. Tant qu'il y aura des abus dans l'Êglive légion , les protestants auront une raison d'être; mais si les abus Witt supprimés, la protestation tombe d'elle-mémo. Quand les juif pourront comprendre que nous adorons Dieu en Jésus-Christ, et non pas Jésus-. Christ è. la place de Dieu, ils se souviendront que Jésus-Christ a été le plus saint des juifs, ils sep ront chrétiens comme nous, et nous serons juifs comme lai. Quand les enfants seront aussi expérimentés que les pères, quand les hommes naltront tout sages et tout formés, quand il n'y aura plus d'esprits faibles et incrimplets, la hiérarchie, n'existant plus dans la nature, cessera d'étre nécessaire dans l'Iglise. La liberté de conscience sera alors

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seulement une vérité, et l'on pourra se passer de prêtres et. de pape. Mais quel est donc le père de famille qui, sans être un monstre, permettrait à ses enfants de s'empoisonner sous prétexte qu'ils sont libres? Non, celui-là n'est pas libre, qui, si on l'abandonne à lui-même, fera nécessairement le mal. Ne pas empêcher, même par la force, un fou de se tuer, c'est être soi-même un assassin. Savez-vous quel est le crime des chrétiens de nos jours? C'est de n'être pas assez chrétiens. Celui des catholiques est également de n'être pas assez catholiques. Les vrais protestants doivent se croire plus chrétiens et plus catholiques que le pape. Ils sont alors archi-papistes, ou ils ne sont rien. L'homme ne peut se passer d'autorité, et tel qui croit au-dessous de sa raison de consulter l'Église, ira gravement consulter son guéridon ou son chapeau. Le spiritisme est une photographie des idées courantes. Les livres d'Allan Kardec sont farcis de saint-simonisme, de swedenborgisme et de

mormonisme; mais c'est moins savant que SaintSimon, moins élevé que Swedenborg, moins logique que Joê Smith. Il faudrait donc croire qu'on vieillit encore après la mort et qu'on rejette sur la terre les radotages d'outre-tombe. Quelle triste perspective pour les grands hommes! Quelle triste aubaine pour les vivants !

Belle et sainte monarchie du ciel, Jésus homme—Dieu, et Marie mère de Dieu! Anges de fra Angelico, saints de la légende dorée, vierges du paradis de Dante, combien vous êtes plus grands, plus poétiques, plus beaux que les spectres de Cahaguet et les larves errantes d'Allan Kardec! Dogme sévère et incorruptible, belle et sainte charité qui distribuez les élus sur l'échelle d'or de la hiérarchie, doctrine profonde pleine de lumière pour la douceur d'esprit et de ténèbres pour l'orgueil, soleil de gloire et de justice, les hommes ne vous voient plus parce qu'ils ont les yeux malades. Qu'ils reviennent à la raison, et ils reviendront à la foi, car la foi et la véritable raison sont soeurs, et toutes deux sont les filles chéries de Dieu. Malheur à celui qui ne les dis—

— 364 — seulement une vérité, et l'on pourra prêtres et de pape. Mais quel est d ti ; 4 famille qui, sans être un mond./ 1 ses enfants de s'empoisonner F.,'f ; .. 1 sont libres? Non, celui-là ni e" .êd d on l'abandonne à lui-mêu / % .. '1 ! . . t , le mal. Ne pas empêche  i.•• fou de se tuer, c'est être 4 • .i . assez, ce r La synthèse, du Savez-vous quel ae, da eatholicisme nos jours? C'es4 ,elairée. Celui des cath' .dation de la raison jnetaïque assez catholir ,ienne : le retour aurétudies kelàs croire plu 2réparera ce- grand événement prédit pape. Ils /ores, et attend* généralement partons rien ' de l'Église. Les juifs Ms phis êeMirés, Or qui connaissent et qui étudient le %Mar, T _,;eirendeftt à ce rapprochement. M. Franck, ei son livre sur la Kabbale,, parle dune école oharites qui presque tous se sont faits ehrée dens; mals, ajœste-t-il, ils ne- considéraient le christianisme actuel quo comme mie teensitien nécessaire de l'ancien dogme da Moïseà use spithèse religieuse »jumelle, Cette synthèse, toub3s I ittellikenoew éludes i

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"'ressentent. Goethe Fa magninnais voulait la Paire ac-

Ile ; Chateaubriand la de poésie dont il hrétienne prose rhythmée

4 , mais on sent trop en egri contre /e christianisme ,• Lhéologiques du moyen-âge.

oit, la synthèse se 'fait. Michelet ex.ymboles de l'Inde, de /a Perse et de ta , mais il comprend moins ceux de la Borne irétienne, peut-être parce que la Rome chrétienne en est venue à ne plus les comprendre elle-même. L'esprit qui inspirait les évangiles apocryphes s'est perdu avec les mystères du gnosticisme, et la critique ecclésiastique moderne, tyrannisée par la froide et étroite raison protestante, a mieux aimé mutiler les légendes ou les effacer que d'en chercher la portée allégorique. Nous en avons retrouvé une parmi les petits livres de la bibliothèque bleue, et cette légende, évidemment ancienne, paraît remonter jusqu'à l'époque des évangiles gnostiques; elle est pleine d'allégories touchantes et de noms qui viennent

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du grec. C'est la légende de sainte Anne, mère de la sainte Vierge; Anne, dont le nom signifie la gracieuse ou la grdce. Sa naissance est annoncée par un vieillard nommé Archos, nom qui signifie le principe ou le commencement; elle naît d'une dame nommée Émérantiane, ou la dame de nos jours. Sa légende est une véritable épopée allégorique, et nous la donnons ici comme le complément de notre travail sur les évangiles apocryphes, et comme une pièce justificative en faveur de notre opinion sur le génie des premiers âges chrétiens et sur la signification philosophique de nos livres sacrés.

LA

VIE DE SAINTE ANNE MÈ RE DE LA SAINTE VIERGE.

DE QUELS PARENTS EST ISSUE SAINTE ANNE.

Au temps passé, au pays de Judée, en une ville nommée Zéphor, située à deux lieues de Nazareth, il y avait une fille appelée Émérantiane, qui était issue de la lignée de David, laquelle était dévote à Notre-Seigneur. Cette fille proposait en son coeur de vivre en la crainte de Dieu avec pureté corporelle, et seule durant sa vie, en cas qu'elle fût agréable à NotreSeigneur. Elle avait accoutumé de visiter les personnes dévotes, les prophètes Élie â Élisée, lesquels habitaient au mont de Carmel, et conférait avec eux de la vie spirituelle et des choses prodigieuses que Notre-Seigneur a faites au temps passé ès douze lignées d'Israël, semblablement 24

des divers prophètes par lesquels Notre-Seigneur a fait maintes promesses, mêmement comme le Fils de Dieu, pour remédier à la nature humaine, devait naître d'une jeune Vierge, et pourquoi il a si longuement différé à l'accomplir. Quand Émérantiane eut ainsi conféré avec les disciples d'Élie et d'Élisée, advint un jour qu'elle parlait à un desdits disciples, nommé Archos, âgé de cent trente-trois ans, disant : 0 vénérable Père je désire de ta paternité que je te puisse demander une chose dont mon coeur est en doute et en souci. Il répondit : Émérantiane, ma douce fille, demande hardiment et ne me cèle rien, car ta douce parole me plaît fort et me réjouit. Alors elle lui dit : Père vénérable, mon coeur ne peut comprendre si jamais en ce monde transitoire sera trouvé quelque femme en l'état de mariage, de laquelle sera procréée la sainte fille qui méritera d'enfanter le Fils de Dieu, lequel le ciel et la terre ne peuvent environner, et comme elle le portera en corps en son sein et tendre corps. Or, comment cela se peut-il comprendre? car il m'est avis, selon mon entendement, s'il est pos-

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— sible que la sainteté de tous ceux qui ont été depuis le commencement du monde, et seront encore jusqu'à la fin d'icelui, fût accumulée en une seule personne, qu'icelle ne serait pas à comparer à telle femme, de laquelle procédera la Mère future du Fils de Dieu. 0 mon cher père, quand je réfléchis à tout cela, je suis en grande admiration; je ne puis toutefois penser pourquoi est-oe que notre Rédempteur ait attendu à venir plus de quatre Mille ans? Et ainsi que les larmes tombaient des yeux de cette fille, elle parla derechef, et dit : Hélas I je crains que plusieurs années ne s'écoulent encore avant que l'en puisse trouver un si saint mariage sur la terre. Le saint père Arohos , entendant ces paroles, considérant la profonde pensée de cette sainte fille, s'émerveilla ; et, par long espace de temps, la regarda comme s'il avait été ravi, et de grande admiration ne put proférer aucune parole. Peu après la parole lui revint, et dit : 0 Émérantianel très-noble dame, jeune d'ége, mais ancienne de sens et d'entendement, vous me semblez être la racine dudit saint et ineontaminé 1a.m.

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lit du mariage dont vous avez parlé, de laquelle cette sainte fille, mère future, doit naltre le Fils de Dieu. Avant que nous partions de ce monde il procédera; car je te dis eu vérité qu'entre les filles de Jérusalem n'a été semblable à toi, ayant congitation de telle profondité comme tu as eu, pour ce tu t'en dois réjouir; car le Saint-Esprit repose en' toi; en toi seront bénies toutes puis— sances dessus la terre. Émérantiane, entendant cet ancien parler, fut consolée, et, en pleurant, se mit à genoux et dit : 0 Dieu d'Israël! combien sera à nous votre face cachée, et à nos pères constitués aux lim— bes, criant à vous incessamment en grand ennui, attendant de vous ce qui nous« a été promis par les prophètes et saintes Écritures. . Nous avons contracté la tache du péché; qui nous relèvera, sinon vous, Vierge prédite? Quand sera-ce que nous pourrons passer les portes des ténèbres franchement? 0 mon Dieu! quand viendra l'agneau immaculé qui effacera les péchés des hommes et paiera les dettes de nos premiers pères, ce fort lion qui déchirera les portes de métal et rompra les portes de l'enfer? Quand chanterons—nous en jubilation : Notre—Seigneur

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est venu, et toutes obscurités ténébreuses sont éclairées? Je suis pauvre pucelle, bien certaine qu'il nous faudra descendre vers nos pères aux limbes, lesquels toutefois ont été plus parfaits de leur vivant que moi; cependant une chose me réjouit, car j'ai confiance que ceux qui de mon lignage seront procréés, n'approcheront le lieu des ténèbres de l'enfer, d'autant qu'après moi une clarté infaillible s'élèvera, qui éclairera toute obscurité. Quand les disciples d'Élie et d'Élisée, avec l'ancien père Archos, eurent entendu les paroles de la jeune Émérantiane, ils furent fort joyeux avec elle en Jésus-Christ, en lui rendant louange, dont il est fait mention au livre des miracles.

DES MŒURS ET EXERCICES D'ERIÉRÂNTIANE.

Émérantiane était d'une grande beauté et bien formée de corps; elle était aussi fort riche en biens temporels, noble de lignée, mais plus noble de vertus; car avec pénitence elle châtiait son corps, et gardait tel silence que, depuis l'heure de vêpres jusqu'au lendemain à l'heure de

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none, ne voulait parler un seul mot ; trois jours chaque semaine elle s'abstenait de viande, et ne buvait ni mangeait que dures et amères racines d'herbes qui croissaient dans les déserts; elle ne fréquentait nulle personne vicieuse; elle ne cherchait que les personnes vertueuses et spirituelles, fussent hommes ou femmes étant dévots ; elle visitait mêmement les prophètes Élie et Élisée, résidant au mont Carmel, vivant austèrement. Souvent aussi servait et priait Dieu, en la chambre enfermée, et fuyait toute oisiveté, persistant au service divin, assistait les pauvres soigneusement depuis son bas âge qu'elle vint à avoir entendement, jusqu'au temps que, par le conseil de ses parents, elle eut pris mari et n'eût jamais regardé nul homme en face que les personnes pieuses et dévotes, auxquelles elle parlait les yeux baissés vers la terre. C'est pourquoi le bruit de sa sainteté fut répandu par toute la Judée. Il n'est point de merveille que de bon arbre et de bonne racine il ne soit procédé de bon fruit ; car c'est ce qui est dit dans l'Évangile, qu'un

bon arbre ne peut produire de mauvais fruit.

- 375 COlLUE gliÉRADITIA.NE FUT IAILLÉE,

Quand cette fille Émérantiane fut en l'âge de dix-huit ans, ses parents et amis s'assemblèrent et consultèrent de la marier à un honnête homme, laquelle chose ne voulut promettre. Avant d'y consentir, elle requit, par le moyen des serviteurs de Dieu, d'en savoir sa volonté; car elle avait proposé auparavant de demeurer en chasteté sa vie durant ; et parce qu'elle ne savait quel état Dieu voulait qu'elle acceptât, elle s'en alla au mont Carmel consulter les saints personnages, afin qu'ils voulussent prier Dieu, pour qu'il lui vou— lût manifester par quelques signes sa divine volonté. Lors les saints pères le firent et prièrent Dieu, persévérant en continuelles oraisons. Au bout du troisième jour, il leur apparut une grande branche d'arbre, ayant seulement en elle un seul fruit, et sitôt que le fruit en était cueilli, ladite branche séchait. Incontinent après fut vu qu'un fruit très-beau à voir fut mis à ladite branche séchée et environnée de grande clarté divine, lequel fruit semblait, à voir si lucide, que la vue humaine ne pouvait regarder, de laquelle vision

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lesdits saints pères furent émus en admiration ; car en signes miraculeux ne pouvaient nullement entendre le vouloir divin, et ce dont ils avaient fait leurs oraisons, priant Dieu de leur manifester ce que c'était de ce signe. Il arriva encore au troisième jour qu'ils étaient en prières, qu'une voix fut ouïe du ciel, déclarant la signification du signe, en disant : La branche verte signifie le mariage qui sera consommé en Émérantiane ; le fruit en procédant démontre l'enfant qu'en brief jour d'elle naîtra; la sécheresse de la branche dénote la stérilité ; la clarté par laquelle le fruit est attaché à la branche signifie la puissance divine, par laquelle Émérantiane, en sa vieillesse inféconde par-dessus le cours de la nature, concevra et produira un fruit, lequel apportera le sauvement au monde universel, le nom duquel chassera les esprits mauvais, et les bons anges l'auront en grande révérence, sera manifesté et annoncé par tout le monde. Et quand les saints pères eurent ouï cette voix miraculeuse, ils rendirent louange et bénédiction à Dieu le Créateur en pleurant de joie, et donnèrent .à connaître à Émérantiane, comme en peu de temps, par la volonté divine et conseij de sel

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amis, elle prendrait mari, et comme, au moyen de son mariage, il voulait montrer au monde sa grande miséricorde. Emérantiane, voyant cela, rendit grâces à Dieu, le priant très-humblement qu'il plût à sa bénignité la conjoindre par mariage â un bon, juste et loyal mari, qui Mt craignant Dieu, et non autre chose demandait-elle, que ce qu'à l'état de mariage appartient à la louange de Dieu, pour multiplier lignage à l'honneur du Créateur. Enfin, elle se rendit à toutes ces pressantes sollicitations. »II LIGNAGE DE SAINTE ANNE.

En .ce temps-là, il y avait un jeune homme riche et de bonne estime, nommé Stolano, issu du sang royal, noble dès le commencement de son enfance, nourri en la crainte de Dieu, lequel fut donné, par les amis d'Émérantiane à icelle, en légitime mariage, duquel elle eut une fille qui fut appelée Ysnzaria. Quand elle eut quinze ans, elle fut mariée à Élinde, qui eut une fille appelée Élisabeth, qui eut pour mari Zacharie, le souve-

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rein prêtre dont est descendu Jean-Baptiste, et en outre conçut encore Ismaria une fille nommée Enim, mère du saint évêque Servais. Dan la suite, quand Émérantiane eut soixante et un ans, elle pensait pour certain de là en avant, selon le cours de nature, qu'elle n'aurait plus d'enfants ; néanmoins elle était attendant, suivant la promesse qui lui avait été faite par le saint père Archos. Quelques jours après, étant dans la chambre en oraison, elle fut environnée d'une grande clarté, et ouït une voix qui lui dit : Émérantiane, je t'annonce aujourd'hui une grande joie à venir en ce monde, car Dieu tout-puissant veut montrer sa bonté infinie aux enfants du genre humain; le temps est proche qu'il a promis par les prophètes; car la racine de Jessé fleurira,

et la semence d'Abraham recevra bénédiction, le trône de David aura qui en lai s'asseoira. Par quoi, chère amie, écoutez-moi, ber l'esprit de Dieu rivant est en moi. Dl LA KENIVIILLIND314 NATIVITÉ il SAINTE ANNE.

Alors qu'Émérantiane eut vu la grande clarté, elle fut fort épouvantée, elle ouït une voix, lui di-

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sant ainsi Émérantiane, n'aie ni peur ni crainte, mais honore ton Créateur de tout ton pouvoir; car par sa grâce tu concevras par-dessus le cours de nature, de Stolano ton mari, et enfanteras une fille, de laquelle naîtra une fille qui a été prédestinée avant la création du monde, précieuse par-dessus toutes créatures humaines; car Dieu veut opérer en elle des choses incompréhensibles, excédant les entendements angéliques et humains, . par-dessus oeuvre naturelle Lors Émérantiane répondit : le suis hile d'Adam, ancienne d'âge, le fruit de mariage défaut en moi; c'est pourquoi naturellement je ne puis concevoir; néanmoins je sais bien et confesse qu'à Dieu rien n'est impossible. Faites de moi selon votre bon plaisir et selon vos grandes miséricordes; car nos parents et moi nous vous avons grièvement offensé, et ne méritons rien. Lors elle mit derechef la voix, lui disant : Fille, deMeure en paix, car il faut que je flisse savoir ln puissance et volonté divine aussi pareillement à Stolano, ton mari. En ce temps-là, Stolaaao était allé dehors voir ses bestiaux allant pattre aux champs; ainsi comme il était en son oraison, subitement tut environné d'une lumière, et oint une

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voix qui lui dit : Stolâno paix' soit avec toi', lèvetoi, et t'en va en ta maison, et couche avec ta femme Émérantiane, laquelle le nom sera manifesté par le monde universel. ,

Quand Stolano ouït cette voix, il en fut fort épouvanté, et s'étonna beaucoup ; car il était en l'âge de soixante-dix ans, et que tous deux étaient inhabiles pour avoir génération selon le cours de la nature. Lors il ouït derechef la voix, disant : Stolano, ne veuille douter, car il n'est rien d'impossible à Dieu, et pour signe de ce que je dis, quand tu entreras dans ta chambre, là où tu dois coucher, regarde vers le chevet du lit, et tu trouveras en écrit quatre lettres d'or que nulle personne n'a écrites. Et ayant dit cela, la clarté s'évanouit de lui. Quand Stolano eut entendu, il se leva de sa cellule, louant Dieu, puis s'en alla vers sa femme Émérantiane, et se contèrent l'un à l'autre ce qu'ils avaient vu et ouï, allèrent en ladite chambre, et trouvèrent le signe de quatre lettres d'or écrites au chevet du lit, comme deux A et deux /V, lesquelles jointes ensemble font Anna, laquelle Émérantiane concevrait en bref et enfanterait, dont ils louèrent et remercièrent Dieu, attendant la promesse du Créateur

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à eux faite. Peu de temps après, Émérantiane conçut, de Stolano son mari, un fruit par la grâce spéciale de Dieu, et en grand désir attendait le temps de l'enfantement. Quand le temps s'approcha, elle alla vers les disciples, priant très-humblement qu'ils voulussent faire oraison pour elle envers Dieu, afin qu'il lui plût préserver de l'ennemi le fruit qu'elle portait, et qu'en temps et lieu elle pût enfanter salutairement. En ce temps, il y avait un disciple nommé François, lequel, quand il vit Éméranfiane, se mit à genoux, criant à haute voix, et disant : Qui est cette sainte matrone qui est auprès de moi? Émérantiane lui répondit : Très-vénérable père, ne me connais-tu pas? Je suis la vieille Émérantiane, ta très-humble servante. Il lui dit : Émérantiane, je vois en toi grand mystère pardessus le cours de la nature. Je te dis, en vérité, que, comme un cierge ou une lampe rend clarté ès ténèbres, ainsi je pénètre au milieu de ton sein une fille resplendissante en clarté, dont je ne puis assez m'émerveiller, car elle excelle l'entendement humain. Émérantiane lui dit: Révérend Père, les oeuvres de Dieu sont incompréhensibles, et ses raiséri-

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cordes sont impénétrables, et ce qu'il veut montrer dans peu de temps à son peuple. Veuillez prier pour moi; car la bonté divine se veut manifester, laquelle nous est promise depuis longtemps. Quand le bon père François et ses compagnons entendirent cela, ils prièrent avec ferveur pour elle; ils lui dirent : Êmérantiane, réjouis-toi, car ta prière sera exaucée; retourne en ta maison, et fais tes apprêts pour enfanter. EN QUEL TEMPS SAINTE ANNE frr

N.

Quand le temps fut venu qu'Ëmérantiane, suivant la promesse de l'ange, enfanterait une fille, cela arriva ainsi qu'il avait été prédit ; et il parut sur la poitrine dudit enfant quatre lettres d'or, faisant le nom d'Anne. Ce nom était resplendissant comme pierres précieuses. D'UN MIRACLE ARRIVÉ A CAME DUDIT NOM.

Quand ce beau miracle de ce nom fut vu par les femmes qui avaient assisté à l'enfantement, le bruit de cette merveille se répandit de toutes parts,

— 383 — et grand nombre de gens y accoururent pour voir ce prodige; entre autres il y vint un chevalier aveugle, et comme ses yeux ne pouvaient voir le nom de sainte Anne, il demanda de le toucher de ses mains, ce qui lui fut accordé. Emérantiane, considérant qu'il était l'un des bons personnages de Jérusalem, ne lui osa refuser, mais lui accorda. Quand il eut touché son nom, et en grande dévotion le croyait baiser, il arriva que la main d'Anne toucha ses yeux, lesquels soudain s'ouvrirent, et y reçut la vue dont il était privé auparavant, étant né aveugle. Quand il vit le nom de sainte Anne en si grande clarté, de grande joie il s'écria, en disant : Béni soit le Dieu d'Israêl. De ce miracle É mérantiane fut émue, craignant que si le commun peuple était averti de cela, il viendrait en foule voir sa fille, et qu'au moyen de ce, l'enfant pourrait tomber dans quelque inconvénient de maladie, à cause des incommodités de plusieurs personnes; c'est pourquoi elle pria le chevalier qu'il ne publiât pas ce qui lui était arrivé. Quand le chevalier eut entendu cela et voyant Émérantiane en si grand souci, il lui promit de n'en rien dire à personne, il la baisa en grande révérence, tenant les yeux fermés comme s'il eût encore étà

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aveugle; et se fit conduire par son serviteur à Jérusalem, lieu de sa demeure. COMME SAINTE ANNE PUT L'ESPACE DE CINQ ANS SERVANTE AU TEMPLE DE JÉRUSALEM AVEC LES AUTRES FUIES.

Après qu'Émérantiane et Anne sa fille vinrent demeurer en Bethléem, vinrent neuf prêtres au temple de Jérusalem qui reçurent sainte Anne de sa mère en grands honneurs, qui n'avait que trois ans, la menèrent en grande révérence dans le temple de Jérusalem, pour y servir les autres dévotes qui y demeuraient, entre lesquelles Anne profitait et croissait en l'amour de Dieu et en toutes sortes de vertus; jour et nuit dévote en toutes ses prières, elle était aussi diligente aux oeuvres manuelles qui lui étaient ordonnées, car les jeunes filles servant au temple, devaient laver, coudre et nettoyer les ornements du temple. Lorsqu'elle se trouvait seule, elle se jetait à genoux pour prier Dieu en grande dévotion, ce qu'un des prêtres du temple s'apercevant, s'é— tonna de la grande dévotion de cette jeune fille. Afin d'en être encore mieux informé, il se cacha secrètement en la chambre où il avait accoutumé

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de faire cette dévotion , afin qu'il pût voir et ouïr la manière de ses prières. Et quand se vint à minuit , Anne se leva de son S lit à la manière accoutumée, priant à mains jointes, les genoux en terre, les yeux fixés vers le ciel, et disant : 0 Dieu d'Israël 1 ma conscience me donne témoignage que nous vous avons grandement offensé, à cette cause vous vous êtes éloigné de nous; certes, Seigneur, combien de temps se passera-t-il encore jusqu'à la délivrance de notre dur esclavage ? Nous sommes dans cette attente, suivant les promesses que vous en avez faites à notre père Abraham, de nous donner un libérateur. Seigneur, ne vous ressouvenez point de nos fautes passées ; mais souffrez que votre miséricorde nous vienne consoler. Souvenez-vous de nos pères Abraham, Isaac et Jacob, et de la miséricorde que vous leur avez promise. Je vous prie, Seigneur, de vouloir exaucer la prière de mon tendre coeur, et ne rejetez point mon oraison, car vous êtes mon Père qui m'avez .créée; c'est pourquoi mes lèvres vous loueront en ma jeunesse, et quand j'aurai plus d'âge, je 25

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donnerai de plus grandes louanges , en vous confessant, et aurai mémoire de votre miséricorde, et la prêcherai à ceux qui en vous ne croient. Quand Anne eut ainsi prié, elle se prosterna sur la terre, et prit un peu de repos. Le prêtre, qui s'était caché pour voir et en— tendre les ferventes prières de cette jeune fille, fut ravi d'étonnement à la vue d'une si grande dévotion ; il disait en lui-même : Si tous les sages de Jérusalem voyaient la piété de cette pucelle, ils n'en seraient pas moins étonnés que moi. Et parce que le jour approchait, ledit prêtre n'osa demeurer plus longtemps, de peur d'être aperçu, mais secrètement se retira. L'empressement qu'il avait de savoir qui était cette sainte fille, fit qu'il y alla tant de fois qu'il vit Anne en face, joignant les mains, dit : 0 Dieu tout-puissant! je ne pouvais vivre esi repos jusqu'à ce que j'eusse connu cette sainte pucelle, et je crois que c'est cette fille dont il est dit qu'une pucelle parviendra à un érnineaat degré st, sainteté. Anne continua ses exercices de dévotion, et se rendit de plus en plus agréable à Dieu. VOUS

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COMME ÉSIÉRANTIANE MOURUT ET FUT MISE EN SÉPULTURE PRÈS DE STOLANO SON MARI.

Quand Émérantiane, mère de sainte Anne, eut septante—huit ans, elle dit à sa fille Anne : Regardez, mes jours sont passés, il est temps que je nie repose avec mes père et mère et d'être en sépulture auprès de Stolano, votre père. 0 ma très-chère fille! ayez mémoire de la miséricorde que Dieu nous a montrée et fait encore attendre patiemment le temps de grâce que Dieu nous a promis. Gardez les commandements de Dieu, ayez compassion des pauvres , consolez les désolés , demandez conseil aux gens pieux et savants, lisez la sainte Écriture, rendez grâces au Créateur de tous les biens qu'il vous a faits, et à tous gens soyez humble, et ne mettez en oubli le dernier jour de votre vie, mais soyez toujours prête. Lorsqu'Émérantiane instruisait ainsi Anne sa fille, la mort vint lui ravir la vie. Anne pleura amèrement la mort de sa mère, priant Dieu dévotement pour elle. Lors Anne fit assembler toute leur parenté , ils ensevelirent Émérantiane en grande révérence, et l'enterrèrent

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auprès da son mari, comme elle avait demandé. Arme pleura sa mère autant de jours qu'elle avait d'années. COMME SAINTE ANNE, A L'ARE DE DIX-HUIT ANS, PRIT MARI.

Alors qu'Anne eut dix—huit ans, par le conseil de ses amis, elle prit mari, un homme craignant Dieu, noble de sang, comme de la lignée du roi David, appelé Joachim, lequel vivait saintement en la crainte de Dieu, et gardait ses commande— ments, et était miséricordieux envers les pauvres; car on dit de lui que quand il eut quinze ans, il partagea son bien en trois parts, en donna une partie aux pauvres, l'autre au temple, et la troi— sième part fut pour subvenir aux besoins de sa maison. Quand il eut vingt-un ans, il épousa Anne et la prit pour femme, laquelle était fort charitable, faisant du bien aux pauvres, et même aux malades et affligés; elle habitait en Nazareth, petite ville de Galilée, en laquelle l'ange Gabriel annonça à Marie sa fille qu'elle concevrait et enfanterait le fils de Dieu; ainsi donc Anne menait une vie très-

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sainte. Il lui arriva une fois qu'elle lisait comme Tobie instruisait son fils, en cas que Dieu lui envoyât largement des biens temporels, qu'il en donnât librement aux pauvres, lesquelles paroles l'épouvantaient en soi-même , pensant en son coeur : 0 Dieu! combien j'ai de biens et pourvue de toutes choses nécessaires I hélas ! j'ai été ingrate et n'ai pas accompli mon pouvoir comme cet écrit l'ordonne. Pendant qu'elle était ainsi pensive, il y survint Joachim, son mari, et la voyant triste, lui dit : 0 ma très-chère aimée! pour quelle cause êtes-vous triste? Elle répondit : Parce qu'il y a longtemps que nous n'avons satisfait aux ordonnances de la sainte Écriture, et lui fit lire ce qu'elle avait lu de Tobie. Quand il eut lu, il lui dit : Que te semble-t-il que nous devons faire? Elle lui répondit : Il me semble que puisque Dieu nous a pourvus deliens, que nous les partagions en trois parts, que les deux premières parties soient distribuées à l'honneur de Dieu, et la troisième part nous la garderons pour nos besoins. Il lui répondit qu'ainsi ferait, car il désirait faire le semblable, avant qu'ils fussent conjoints ensemble. Quand Anne ouit cela, elle fut réjouie, et se fit préparer un mulet, s'assit dessus, et s'en alla avec

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ses serviteurs aux champs et ès lieux où étaient les bestiaux paissants, pour les ramenar à la Maison. Le nombre était de deux mille deux èents. Et quand ils les eurent ramenés, ils les parta— gèrent tous en trois parts égales; l'une des parts fut donnée au temple, l'autre aux pauvres, et la troisième ils la conservèrent pour se nourrir, et dont elle aidait encore les pauvres veuves et or— phelins, là où elle savait les trouver, et le faisait par le consentement de son mari Joachim, car il était semblablement miséricordieux envers les pauvres, et en ce point ils vivaient en la crainte de Dieu, en paix et amour ensemble, gardant les commandements de Dieu soigneusement. Hélas! combien s'en faut-il aujourd'hui que les personnes conjointes en mariage se condui— sent en cette sorte! Dieu y veuille pourvoir. Ainsi s o i t — i l . • COMME ANNE FUT AVEC JOACHIM EN L'ÉTAT DB MARIAGE VINGT ANS SANS AVOIR. FRUIT, ET COMME IL FUT REPROCHÉ AUDIT JOACHIM DU SOUVERAIN PRÊTRE, ALLANT A L'OFFRANDE.

Quand Joachim eut ,été avec Anne en ma— riage l'espace de vingt ans, vivant selon Dieu,

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ils n'eurent aucun fruit , ce qui était grand opprobre devant les gens, car, en ce tempslà, on se moquait de ceux qui étaient infructueux et qui n'augmentaient point le peuple, et, pour cette cause, furent méprisés de plusieurs. C'est pourquoi ils firent leur oraison à Dieu avec ferveur qu'il lui plût regarder ce reproche, et leur envoyer du fruit, lequel lui offriraient pour le servir au temple de Jérusalem. Un jour que Joachim en une grande fête vint avec les autres de son lignage en Jérusalem pour faire offrande selon la loi, comme il approcha de l'autel, il mit l'offrande dessus. Le prêtre le prit de mauvaise part, jetant l'offrande hors de l'autel en présence de tout le peuple, lui reprocha son infructuosité, irisant : Qu'il n'était pas décent de recevoir son offrande avec ceux qui étaient fructueux, à cause qu'en son état de mariage il ne multipliait pas la lignée du peuple d'Israël. A ces paroles, Joachim fut triste et ennuyé, inclinant la tête, n'osait de honte regarder personne en face.

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COMME JOACHIM S'EN ALLA VOIR SES BERGERS ET PASTOUREAUX GARDANT SON BÉTAIL, ET COMME L'ANGE LE CONFORTA.

Comme Joachim en la présence de ses amis et de tout le commun peuple avait en cet état été rejeté, car c'était sa coulpe, et de chagrin il n'osait retourner en Nazareth, craignant que ses voisins ne lui reprochassent ce qui lui était arrivé au temple, il s'en alla vers ses pastoureaux, et délibéra de demeurer avec eux sans se trouver à Nazareth, comme il fit, attendant que Dieu it consolât et lui donnât à entendre ce qu'il avait à faire. Et quand il eut été là quelque temps, il arriva une fois qu'étant seul, l'ange de Dieu, avec une grande clarté, le vint visiter, en le consolant et l'exhortant qu'il ne fût épouvanté, et lui dit : Je suis l'ange de Dieu, par lui envoyé pour t'annoncer que ton oraison est exaucée de Dieu, et que tes aumônes sont montées jusqu'au ciel ; il a vu la honte et le reproche de ton infructuosité; car Dieu est le, vengeur des péchés, et non point de la nature. Et quand il rend une femme infé-.

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-conde, il fait cela afin que plus miraculeusement il lui rende la fécondité quand il lui plaira, comme il fut fait de Sara, femme d'Abraham, laquelle en sa vieillesse enfanta Isaac. Semblablement Rachel fut inféconde, et en vieillesse enfanta Joseph, qui devint grand Seigneur en Égypte. Puis Samson et Samuel, qui eurent tous deux des mères qui furent longtemps stériles; ainsi il faut croire que les nativités différées sont d'autant plus merveilleuses qu'elles ont été différées. Sache que ta femme concevra une fille que tu nommeras Marie. Cette fille consacrée à Dieu, et au ventre maternel sera remplie du Saint-Esprit; c'est pourquoi elle ne demeurera entre le peuple commun ; mais au temple, afin que nul n'ait suspicion d'elle, et ainsi qu'elle sera née d'une femme infertile; ainsi d'elle nattra le Fils de Dieu, qui s'appellera Jésus, et par lui recevra toutes créatures à sauvement. Pour signe de vérité, ta femme Anne te rencontrera en Jérusalem à la porte dorée, car elle a dessein que tu t'en retournes. Quand l'ange eut ainsi parlé à Joachim, il se réjouit; et comme Anne, sa femme, était ennuyée, attendant sa venue, ledit ange s'apparut à elle,

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et la consola, lui dit ce qu'il avait annoncé à Joachim, et qu'elle allât en Jérusalem à la porte durée, où elle le rencontrerait, ce qu'elle fit. Et quand ils se rencontrèrent, ils furent remplis de joie de la promesse de l'ange, touchant la fille qu'ils devaient avoir. Quand ils eurent été au temple servir Dieu dévotement, ils retournèrent ensemble à Nazareth, où ils attendaient en grande liesse la promesse divine. Aussitôt après Anne conçut, et neuf mois après enfanta une fille, laquelle fut appelée Marie, comme l'ange avait ordonné. Or, quelle joie fut au ciel et sur la terre de cette nativité! Qui pourrait expliquer le bonheur que reçurent les humains! DE LA NATIVITÉ DE KM«.

Le jour qu'Anne devait enfanter le bienheureux enfant que l'ange avait annoncé à Joachim, son mari, celui-ci s'en alla quérir une partie des sages-femmes, pour assister Anne à son enfantement, pareillement s'en alla en la montagne quérir Élisabeth, la femme de Zacharie, et Ysmaria, soeur d'Anne, ayant quatre-vingt-un ans. Quand elles furent venues en la chambre d'Anne,

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il leur semblait qu'elles sentaient une grande joie au coeur, et plus elles approchaient Anne de . près, plus elles sentaient de joie et d'odeur. Quand vint l'heure qu'Anne devait enfanter, elle fut subitement environnée d'une grande clarté, et enfanta une belle fille, luisante comme le soleil, et incontinent vint une multitude d'esprits célestes, chantant mélodieusement : Voyez ici la reine des cieux et mère à venir du Fils de Dieu. Quand les sages-femmes furent assemblées en la chambre d'Anne, et y eurent été six jours, virent choses merveilleuses, et rendirent louange à Dieu. UN MIRACLE.

Au même instant que Marie fut née, vint incontinent un aigle volant sur la maison où Anne était accouchée, tenant en son bec plusieurs rameaux, et fit un nid dessus ladite maison, lequel dura depuis plusieurs années, mêmement après la résurrection de Jésus-Christ. AUTRE MIRACLE.

Au même temps dans un désert, près de là, était une licorne fort grande, dont l'on n'avait

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jamais vu sa pareille, et qui souvent avait été . chassée des rois, mais ils ne la purent prendre ; hors que quand Marie fut née, elle venait devant la porte, et nul ne pouvait la chasser. Alors un chevalier nommé Adrianes, demeurant prés de Nazareth, la perça d'une lance et la tua, et l'offrit au souverain prêtre de Jérusalem, qui l'en remercia grandement. AUTRE MIRACLE.

En ce temps, tous ceux des environs de Jérusalem et du pays de Judée étaient oppressés de mauvais esprits, et jetaient des cris si horribles, que le peuple fut fort étonné, craignant que Dieu voulût confondre tout le pays. Alors il y avait en Jérusalem un saint homme, lequel conjura l'un des oppressés de lui dire pourquoi ce tumulte se faisait. Alors le mauvais esprit dit par la bouche d'un démoniaque : qu'en ce jour était née à Nazareth une fille dont les anges étaient fort réjouis, et qu'ils ne pourraient plus demeurer en possession des corps, et qu'ils seraient obligés d'en sortir pour être mis au profond de l'enfer par la vertu de cette divine créature.

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AUTRE MIRACLE.

En ce temps furent délivrées de l'ennemi deux cent cinquante personnes démoniaques au pays de Judée et en Samarie. COMME L'ANGE ANNONÇA A JOACHIM LA NATIVITÉ DE MARIE.

Pendant qu'Anne enfanta Marie, Joachim était hors de la maison, attendant les joyeuses nouvelles de l'enfantement. Sitôt que l'enfant fut venu, l'ange s'en vint à lui, disant : Joachim, je t'annonce grande joie, car aujourd'hui est né le fruit qui t'avait été promis, et je te commande que de seize jours tu n'entres où Anne est accouchée, afin que les sages-femmes qui y sont assemblées ne soient troublées au lieu de réjouissance; ce jour sera ta joie et à tout le monde. Cela dit, l'ange disparut, et Joachim se prosterna incontinent en terre, remerciant Dieu; après il se leva et vint en sa maison, rempli de joie, et commanda à tous ceux de sa famille que de seize

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jours personne n'entrât où sa femme était en couche. Après cela Joachim se vêtit de ses meilleurs habits, et prit don et offrande avec lui, et s'en alla avec sa famille à Jérusalem offrir à Dieu son offrande. Quand les prêtres du temple ouïrent que Dieu leur avait envoyé une fille, ils en furent bien réjouis, louant Dieu par des cantiques, et faisant à Joachim et à sa famille honneur et révérence. Joachim s'arrêta au temple avec sa famille l'espace de huit jours, pour solenniser la naissance de la fille nouvellement née, puis après se tournèrent à l'hôtel. Et quand les seize jours furent passés, Joachim envoya une de ses servantes en la chambre d'Anne, où étaient encore les sages-femmes, et leur fit savoir que les seize jours étaient passés; ce qu'elles ne pouvaient croire, car il ne leur semblait pas qu'elles y eussent été un demi-jour ; aussi r'avaient-elles point aperçu de nuit, en sorte qu'elles ne pouvaient croire ce que la servante leur disait; mais pour en être plus assurées, • elles le demandèrent à Joachim, lequel leur dit que les seize jours étaient passée,. Lors elles sortirent, et chadune

retourna en sa maison.

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COMME JOACHIM VISITA ANNE SA FEMME ÉTANT AGGOUCHer, ET BAISA EN GRANDE JOIE SA FUIE NOUVELLEMENT NÉE.

• Après que les sages-femmes eurent été chez Anne pendant seize jours, elles s'en retournèrent; Au moment Joachim s'en alla vers Amie, sa femme, et la salua. Incontinent elle lui donna entre ses bras sa fille, laquelle il reçut joyeusement en louant Dieu, et de grande joie se mit à pleurer en voyant la beauté de cet enfant, puis la rendit à Anne, et la nomma Marie, comme l'ange lui avait ordonné. Quand ils lui eurent imposé ce nom, il vint neuf anges, lesquels se prosternèrent neuf fois à genoux, disant : Béni est le doux nom de Marie; aujourd'hui nous est manifesté le nom de notre reine; c'est pourquoi réjouissonsnous en attendant ce doux nom. Mors ils disparurent en chantant mélodieusement. Quand Marie entendit ie mélodieux chant des anges, elle les regarda d'une face riante, dont ses parents en eurent grande joie, s'étonnant dee choses snerveilleuses que Dieu faisait en

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terre, et lors ouïrent une voix du ciel, disant : Joachim et Anne, ne soyez point surpris de ce que vous avez vu et ouï, comme si c'était chose nouvelle, car cela a été prévu de la Sainte-Trinité, et pour le présent arrivé selon le vouloir de Dieu, pour être manifesté à toutes les créatures sur la terre. Desquelles choses Joachim et Anne s'étonnaient ; ils se mirent à genoux, rendant bénédiction et louange à Dieu tout-puissant.

COMME MARIE EST PRÉFIGURÉE EN L'ANCIEN TESTA/MT.

Saint Jérôme disait en un sermon de l'Assomption de Marie : Elle a été figurée des patriarches, annoncée des prophètes, montrée des évangélistes; Marie est cette dame de laquelle est fait mention au premier livre de l'Ancien Testament, dit la Genèse, qui a brisé la tête du serpent, c'est à savoir l'ennemi qui pousse à la concupiscence charnelle et à l'orgueil du coeur; elle est aussi la lumière que Dieu commanda d'être faite, de laquelle il en sortit. Elle est la fidèle copie de Jésus en plénitude des grâces de Dieu, lequel homme eut quand elle

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conçut du Saint—Esprit, et l'enfanta sans peine, et demeura Vierge mmaculée. C'est pourquoi aussi Ève n'est appelée qu'une mère des morts, amie des mourants, tant de la mort de l'âme que de celle du corps; mais Marie nous a tous délivrés de ces deux morts, car Jésus, son Fils, est la vraie vie de l'âme et du corps des fidèles, qui, par lui, ont été sauvés et seront ci-après; mais elle est aussi l'arche de Noé, qui est faite d'un bois incorruptible, du vrai Noé Jésus—Christ, qui a été trouvé seul juste en sa nativité; elle est cette Rebecca dont le fils Jacob luttait contre l'ange qui a procuré et obtenu la bénédiction paternelle pour tous ceux qui lutteront contre le mauvais ennemi. Elle est aussi l'échelle que vit Jacob le bon patriarche en vision, et par laquelle les anges montaient et descendaient. Elle est aussi la belle Rachel, dont Dieu a été amoureux comme fut Jacob, et est descendu du ciel pour prendre chair humaine, et s'est humilié prenant grande peine pour l'amour d'elle. Elle est aussi la belle Rachel ayant enfanté le vrai Joseph, lequel n'a seulement pas été seigneur de ses frères, mais de toute l'Égypte, et aussi il est le prince des anges, Seigneur de toutes créatures, Jésus-Christ 26

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toujours béni.,Elle est aussi figurée par le buisson ardent de Moïse qui semblait brûler, toutefois ne brûlait pas, car elle a conçu un Fils, et demeurée Vierge immaculée. Elle est encore figurée par la verge florissante d'Aaron avec humilité, car elle a produit Jésus-Christ. Elle est aussi figurée par la toison de Gédéon, auquel descendit la rosée de nuit sans humecter la terre; car lç Fils de Dieu est descendu en elle sans nulle fraction ni souillure de sa pudicité. Elle est encore figurée par la verge de Moïse qui sépara la mer en deux parties par où les enfants d'Israël passèrent à pieds secs, et dont icelui Moïse frappa la pierre qui donna grande abondance d'eau, dont le peuple et tout le bétail burent et furent rassasiés. Elle est aussi figurée du vrai écu de Josué, duquel il vainquit les ennemis de Dieu; car elle seule a exterminé toutes les hérésies. Marie est aussi le trône du vrai roi Salmon, et un siége d'ivoire ; car sa pure virginité a préparé à Jésus-Christ un trône et un siége en son ventre virginal, où il a reposé l'espace de neuf mois. Elle est encore le renom du temple de Jérusalem, qu'on édifia sans outils, haches ni marteaux, car elle enfanta Jésus-Christ sans douleur. Marie est

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aussi la bienheureuse Vierge, de qui ont prophétisé Isaïe et Jérémie; le premier dit : Il sortira une verge de la racine de Jessé, et une fille enfantera un fils, et l'autre dit que le Seigneur ferait chose nouvelle sur la terre, car une femme environnerait un homme S'il eût dit un enfant, cela n'eût pas été chose nouvelle à s'étonner, si était Jésus—Christ un homme au ventre de sa mère, non point d'âge, mais de sagesse; non en force corporelle, mais en force spirituelle, tant posé en la crèche, tant en l'âge de trente-trois ans, qu'il prêcha et qu'il est à présent où il est assis à la droite de son père éternel; mais il n'a usé de cette sagesse pour un temps, comme de sagesse mondaine, pour faire voir que véritablement il avait pris nature humaine. Elle est aussi la montagne de la haute perfection, dont a été coupée une pierre sans mains d'hommes, et par laquelle pierre entendons Jésus-Christ, qui a été né par la Vierge sans ceuvre•virile. Elle est aussi la porte close en qui le Seigneur seul a passé et repassé; car Marie est demeurée Vierge en concevant et enfantant, et le demeurera toujours. Marie est aussi le chandelier d'or, lequel, dit le prophète Zacharie, où il y avait sept lampes

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ardentes au temple de Jérusalem, qui signifiaient les sept oeuvres de miséricorde en Marie, et l'exemple lumineux de sa :sainte vie et bonnes moeurs. Elle est aussi l'arche du Testament .où furent mis les commandements de la loi, et les deux tables de Moïse où furent écrits de la main de Dieu les dix commandements que Marie garda soigneusement, en vivant selon iceux : en ladite arche était aussi la verge d'Aaron, laquelle florissante produisait le fruit de vie, Jésus-Christ qui nous nourrit de sa divine chair et précieux sang au saint sacrement de l'autel ; ladite arche contenait aussi la manne, dont les enfants d'Israël furent reçus dans le désert, et Marie a porté la vraie manne du ciel pendant neuf mois, le vrai pain des anges, et la viande des malades ; ladite arche était aussi du bois imputride, ainsi a été Marie, sans corruption, transférée au ciel en corps et en âme; l'arche avait quatre anneaux d'or aux côtés, par lesquels on la portait; Marie a..eu en elle les quatre vertus cardinales, qui sont les racines de toutes vertus. L'arche avait deux fustes, lesquels on portait parmi les quatre anneaux d'or quand on les portait, lesquels sont figurés par la charité qui était

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en Marie, c'est, à savoir, l'amour deDieu et de son prochain. L'arche était par dedans et dehors do— rée, ainsi Marie est décorée, étant luisante en toutes vertus. Marie est figurée par la fille du roi Astiages, lequel, comme est contenu en l'histoire scholastique, vit en vision comme si une vigne croissait du ventre de cette fille, qui s'étendit si fort, qu'elle environna tout son royaume, lui fut dit que de sa fille sortirait un roi, et après elle produisit le roi Cyrus, qui délivra les enfants d'Israël de la captivité de Babylone; ainsi fut dit par l'ange à Joachim et Anne, que d'eux viendrait une fille qui nous délivrerait de la passion du diable, aussi préfigurée par la fontaine sortant du jardin fermé; car elle était enclose au ventre de sa mère, elle fuit sanctifiée du Saint—Esprit et de la Sainte—Trinité prémunie, que nul péché d'impureté ne pouvait entrer en elle; elle est encore figurée par le prophète Balaam, qui dit que de la lignée de Jacob il sortirait une étoile de la grande mer, à savoir de ce monde périlleux, sans aide de laquelle on ne peut passer sans naufrage, ni arriver au port du salut. La sainte Église la salue journellement par l'hymne : Ave, maris stella, c'est—à—dire, je vous salue, étoile de mer, dont

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aussi saint Bernard a écrit à l'homélie de l'ange, disant : Marie est l'étoile luisante de cette grande mer du monde, resplendissante par les vertus, oeuvres et exemples de bonne vie et de bonnes moeurs. Marie est aussi figurée par le temple de Salomon, lequel on édifia à Dieu de pierre blanche, de marbre, doré par-dessus; ainsi Marie est blanche et sainte de pureté, virginale en corps et en âme, décorée d'amour et de charité. .

COMME JOACHIM ET ANNE NOURRISSAIENT MARIE

LEUR

FILLE.

Quand Anne eut fait sa couche, et offert Marie au temple suivant la loi, et après l'avoir ramenée à la maison, Anne et Joachim la nourrissaient soigneusement en grande révérence, et ne la laissaient toucher de personne, sinon d'eux et de Fine, la soeur d'Anne. Qui est-ce qui pourrait expliquer la grande joie qu'ils eurent en regardant ce béni enfant, en la baisant et jouant avec? je crois que nul ne le peut exprimer. Joachim et Anne la regardaient avec tant d'admiration, qu'ils oubliaient quelquefois même le boire et le manger, et leur semblait que ce temps ne durait

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qu'un moment. Ils avaient ordonné à leur fa— mille que, quand ils étaient ensemble avec leur enfant en la chambre, personne ne les troublât; ee qui fut exécuté. DE LA PRÉSENTATION DE MARIE AU MOLE.

Lorsque Marie fut à l'âge de trois ans, Joachim dit à Anne : Ma chère Anne, souvenez-vous de la promesse que nous avons faite, parce que nous ne pouvions avoir fruit ensemble comme nous fîmes voeu à Dieu qu'il lui plût nous envoyer un fruit, que nous lui offrions au temple. Lors Anne lui répondit : Mon cher ami, combien qu'il nous soit dur de laisser notre fille, encore nous serait-il plus grief de rétracter notre promesse, et offen— ser Dieu. C'est pourquoi je suis prête à faire votre conseil et à l'accomplir. Il s'en alla apprêter, et fit assembler ses plus proches amis et honnêtes sages—femmes de son lignage, prenant avec lui de riches dons et un riche habit de couleur de miel, qui était travaillé en filets d'or luisant comme étoile du ciel, et avait fait une couronne de belles fleurs, que Marie portait sur sa tête, à laquelle furent mises cinq pierres précieuses, donnant

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splendeur par-dessus toutes pierres ; et quand ils furent tous apprêtés, elle avec son mari, leur fille et leurs bons amis, tirèrent devers Jérusalem, et furent trois jours en chemin : il y a de Nazareth à Jérusalem trente-cinq lieues; ils firent ce chemin en grande joie, car leur compagnie était les anges. Quand ils arrivèrent en Jérusalem, Joachim envoya dire aux prêtres du temple qu'ils s'apprêtassent pour recevoir leur fille, dont ils furent réjouis ; ils s'apprêtèrent, prenant des riches ha— bits, dont ils se vêtirent. COMME MARIE FUT REÇUE AU TEMPLE.

Lorsque Joachim et Anne, avec Marie leur fille, et leurs amis, furent vêtus de leurs meilleurs ha— bits, et eurent accommodé leur fille Marie de l'habit et de la couronne, ils allèrent ensemble devant le temple, parce que le temple était assis sur une montagne; il y avait quinze degrés à monter. Ainsi qu'ils commencèrent à monter, et qu'ils pensaient porter leur fille jusqu'au haut, ou la mener par la main, Marie monta les degrés toute

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seule, aussi vite comme si elle eût eu douze ans, ce qui donnait grande admiration aux prêtres, à ses parents et amis, et à tous ceux qui le virent et ouirent dire, car elle n'avait que trois ans. Quand ils virent s'approcher du temple, ils avaient leur offrande toute prête, et entrèrent dedans vers le prêtre, et lui présentèrent leur fille Marie avec de riches dons, comme ils avaient voué. Alors le prêtre la reçut en grande révérence, avec chants • de louanges, et la menèrent en la compagnie des autres vierges demeurant au temple, servant nuit et jour. GOMME MARIE A ÉTÉ PRÉSENTÉE AU TEMPLE TROIS POIS.

Toutefois, ainsi que disent les saints évêques Épiphanus, Carisius et Basilides, Marie a été présentée au temple trois fois ; mais Vicentibus, au miroir des histoires, et plusieurs écrivent que quand elle eut trois ans, elle fut offerte au temple, où elle demeura un bon espace de temps, car premièrement elle fut offerte au temple par sa mère quatre-vingts jours après sa nativité, avec don à la purification, suivant le commandement de la loi, que, quand une femme avait une fille, .

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elle demeurait quatre-vingts jours hors du temple, et si c'était un fils, elle devait demeurer qua— rante jours, la cause pourquoi était-elle, ainsi qu'écrivent les mattres de la nature, un fils reçoit là vie au ventre de sa mère, la moitié plus tôt qu'une fille. Quand Anne eut offert Marie au temple avec l'offrande accoutumée, elle la ra— mena incontinent avec elle à la maison. La seconde présentation a été faite au temple, quand Marie était à l'âge de trois ans, comme il est dit ci—dessus. Peu de temps après fut encore ramenée en la maison de ses parents, et demeura jusqu'à ce qu'elle eut sept ans ; et pour la troisième fois fut derechef offerte au temple, où elle de— meura jusqu'à l'âge de quatorze ans. COMME LA PRÉSENTATION DE MARIE AU TEMPLE A ETÉ PRÉFIGURÉE AUPARAVANT.

La présentation de Marie est préfigurée au temple par la table qui fut trouvée au Sorbion, dont parle Scholastica Historia. Comme les pé— cheurs tendirent un jour leurs filets en la mer, quand ils les tirèrent à bord, ils y trouvèrent une table d'or, qu'ils présentèrent au soleil naturel,

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car Ils tenaient et adoraient le soleil pour leur Dieu au temple du soleil, qui, sur la rive de la mer, était édifié. Par laquelle table Marie est pleinement préfigurée; par la fille de Jephté, dont il est écrit en la Bible, au livre de Judicum, qu'elle fut offerte indiscrètement, car elle ne pouvait plus après servir Dieu ; mais Marie a été offerte avec discrétion, servant Dieu tous les jours de sa vie. GOMME MARIE PUT PRÉSENTÉE AU TEMPLE, ET Y DEMEURA JUSQU'A L'ÂGE DE QUATORZE ANS.

Alors Marie fut présentée au temple; elle y demeura jusqu'à l'âge de quatorze ans, et fut colloquée avec les autres pucelles, qui aussi étaient agréables à Dieu ; elle apprenait la loi de Moïse, serviteur de Dieu. Elle délibéra en son coeur de prendre Dieu pour son père et ses parents, et pouvoir dire avec David : Père et mère m'ont délaissée, mais le Seigneur m'a reçue. Elle se laissa enseigner des prêtres en la loi mosaïque, pensa en son coeur quelle chose elle pourrait faire pour être plus agréable à Dieu, et à cet an pria incessamment le Seigneur qu'il lui fit et donnât la

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qu'à prime, elle était en oraison, et après elle vaquait à faire quelques oeuvres manuelles jusqu'à l'heure de tierce et de sexte, que l'ange lui apportait sa réfection ; après elle retour— nait à son oraison, tellement que jamais elle n'était oisive, soit qu'elle priât Dieu, méditât ou fit quelques bonnes oeuvres; elle demeura au temple dans cet exercice jusqu'à l'âge de qua— torze ans.

APRÈS QUE JOACHIM ET ANNE EURENT PRÉSENTÉ LEUR MILE AU TEMPLE, ILS RETOURNÈRENT EN NAZARETH.

Après que Joachim et Anne eurent présenté leur fille Marie à Dieu, au temple, et demeuré un peu près d'elle, louant et bénissant le Seigneur de ses bénédictions qu'il leur avait montrées, retournèrent en Nazareth, et avaient été trois jeurs en chemin, allant à Jérusalem, ils fu— rent semblablement trois nuits, et prirent un même logis 'que devant; en chemin il arriva plusieurs miracles, lesquels semblaient être contre le cours de la nature, je les passerai sous le silence.

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faits, et immuable ep courage. Jamais on ne la vit en colère, ses paroles étaient pleines de douceur; en sorte que par la langue on la pouvait connattre de Dieu. 'Elle était soigneuse de ses compagnes, en les gardant qu'elles n'offensassent Dieu ou leur prochain, ou donnant de mauvais exemples, ou provoquassent quelqu'un à dire, ou fissent tort à personne. Sans cesse louait Dieu, et priait pour le salut du genre humain; et quand on la saluait, elle répondait : Deo gratias. Il est vraisemblable que d'elle est venu cet usage, que quand les gens de bien sont salués, ils répondent Deo gratias. Marie voua aussi à Dieu sa chasteté, dont il n'y avait point eu d'exemple, car aucunes filles, dès_le commencement du monde, n'avaient.fait le semblable, en sorte qu'elle fut la première vouant à Dieu sa chasteté. Elle se conduisait en toutes ses affaires si sagement, que sa vie était à. toutes gens un miroir de bonnes moeurs et vertus, comme écrit d'elle saint Ambroise, croissant journellement en sainteté, et fut tous les jours visitée des anges, et eut visions divines. Saint Jérôme écrit en une épItre aux saints évêques Cramario et Heliodato, que Marie s'était réglée tellement, que depuis le matin jus—

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ment. Et quand il eut dit cela, il rendit son esprit à Dieu ; ce qu'Anne voyant, elle se prosterna en terre, pleurant de bonne affection et amour cordial dont elle l'aimait.. Elle ordonna qu'il fût oint de précieux onguents, et le fit mettre près de son père, suivant son ordre, et demeura sur sa sépulture, se lamentant et regrettant son trépas, et après retourna en sa maison, où elle continua à pleurer l'espace de quarante jours. COMME ANNE, APRÈS LE TRÉPAS DE SON MARI, PAR LE COMMANDEMENT DE L'ANGE, PRIT UN AUTRE MARI, NOMMÉ

camus.

Un an après le trépas de Joachim, Anne prit ses habits solennels, les voulant défaire et donner aux pauvres, disant : Dorénavant ne seront trouvés de moi aucuns habits solennels, ainsi vêtirai habits viduaux et de deuil, pleurant le trépas de mon mari ma vie durant. Et comme elle prit un couteau pour couper ses vêtements, l'ange s'apparut à elle, disant : Anne, tu ne rompras point tes vêtements, mais tu auras souve-

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nance comme Dieu t'a rendue féconde lorsque tu étais stérile, et envoyé un fruit très-salutaire, dont n'a été et ne sera jamais le semblable, duquel sortira le Fils de Dieu éternel, au salut de tout le monde. Par ainsi te faut être obéissante à Dieu, et prendre à mari celui que je te nommerai, lequel devant Dieu est trouvé juste, appelé Cléophas; tu auras une fille dont seront nés de grands hommes, qui soutiendront la foi chrétienne, et combattrœit jusqu'à l'effusion de leur sang, après recevront la couronne du martyre, lesquels il veut faire premiers de tout le monde; ils seront assis sur des siéges, jugeant les douze lignées d' Israël. Anne , crois-moi et suis mon conseil, car pour cela Dieu m'a envoyé vers toi, ôte tes habits de deuil, et habille-toi solennellement, et tu accompliras le vouloir de Dieu. Quand Anne eut oui ce que l'ange lui avait dit, elle se mit à genoux en remerciant Dieu, et épousa Cléophas, duquel elle conçut et enfanta dedans l'année une fille, comme l'ange lui avait prédit, qui fut nommée .Marie, pour la révérence de sa première qu'elle eut de Joachim ; et avant qu'elle accouchât, Cléophas, son second mari, trépassa, laissant sa femme enceinte. Anne, voyant cela, fut

— us — remplie de tristesse, disant : 0 tpte je suis &isolée I quand serai-je réjouie du fruit que je porte? Il me survient grand ennui, car la fille qui de moi mettra ne connaîtra et ne verra jamais sen père, et en cet ennui fut Amie, attendant le jour de son accouchement, et l'heure venue, elle enfanta une fille qu'elle fit nommer Marie. Quand cette fille fut en âge de se marier, et par le con— seil de sa mère, prit un homme de hien craignant Dieu, nommé AlphAwir, Miguel sant issus saint Jacques le Mineur, saint Alphéus, ou Judas son autre nom, et Joseph le juste, qui furent apôtres de Jésus-Christ. Et ainsi pleurait Anne derechef la mort de son mari Cléophas, et un an après elle dit en soi-même J'ai maintenant accompli la volonté de Dieu, et dorénavant ne veux être en compagnie d'homme. Et incontinent qu'elle eut dit cela, fange vint à elle, disaut : Anne, tu sais bien que tout témoignage est posé en nombre ternaire; pour ce, qu'il te faut prendre un troisième mari, qui a été trouvé juste devant Dieu, nommé Salomé, duquel tu concevras et enfanteras une fille que tu nommeras Marie, comme les autres ; d'elle naîtront deux princes qui régneront sur les douze lignées d'lsraêl, et Dieu fera des choses

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merveilleuses par eux devant tout le monde. C'est pourquoi, Anne, réjouis-toi de tes enfants; car Dieu veut faire des choses merveilleuses sur la terre par eux, et ce qui descendra de toi recevra bénédiction éternelle; par quoi consens à mes paroles, car après le trépas de trois maris tu resteras veuve comme il t'a été ordonné.

COMME ANNE PRIT SO4 TROISIÈME MARI, NOMME SALOMÉ, SUIVANT LE COMMANDEMENT DE L'ANGE.

Quand Anne eut entendu l'ordonnance de l'ange, elle bénit Dieu, qui en toutes ses oeuvres est merveilleux, prit le troisième mari, nommé Salomé, et vivaient ensemble justement et en la crainte de Dieu, gardant ses commandements. Quand ils eurent été un an ensemble, Anne conçut et enfanta une fille, qu'elle fit 1109kintlf Marie, qui, étant en âge de se marier, on la maria à un personnage très pieux, nommé Xe&deus, dont elle meut et enfanta deux enfants, apôtres de Dieu, Jaeques le Majeur et saint Jean l'évangéliste. Quelque temps grès, Salomé trépassa, et Anne le pleura oomine elle

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avait fait de ses autres maris; après la mort duquel Anne quitta tous ses joyeux et beaux habits, proposant de . vivre le reste de sa vie en austère pénitence, comme elle fit.

COMME MARIE FUT DONNÉE EN MARIAGE A JOSEPII.

Marie étant à l'âge de treize ans, jusqu'alors elle avait servi au temple, où elle avait été offerte, le souverain prêtre commanda que toutes les filles venues audit âge se retirassent, ce qu'elles firent en général, excepté Marie, fille d'Anne, et le souverain prêtre demanda à Marie pourquoi elle n'obéissait pas à son commandement. Elle répondit qu'elle avait voué sa virginité, c'est pourquoi elle ne pouvait prendre mari. Le souverain prêtre, entendant cela, fut surpris, car il savait que l'Écriture commande de tenir à Dieu les voeux et promesses ; mais il n'y voulait point consentir, parce que c'était chose nouvelle; c'est pourquoi il était en doute de ce qu'il ferait. Il demanda Anne, la mère de Marie, pour prendre son conseil. car il la savait être femme selon Dieu; et quand elle fut venue devant lui, elle lui donna

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à connattre plusieurs faits miraculeux qui lui étaient arrivés au retour dernier, qu'elle offrit sadite fille au temple, dont le prêtre conçut en— core plus grand doute sur ce qui devait faire; enfin il résolut de faire venir les prêtres du tem— ple, et s'en alla avec eux audit temple, se prosternant contre terre, priant Dieu qu'il lui plût leur inspirer ce qu'ils devaient faire. Lors vint une voix du grand autel nommé Sancta Sancto— rum, disant : Il sortira une deur sur laquelle se reposera le Saint-Esprit, ainsi qu'Isaïe a prophé— tisé. Quand le prêtre entendit tout cela, il fit as— sembler tous les hommes à marier étant de la lignée de David, leur commandant que chacun d'eux apportât une verge au temple, et la verge de celui qui produirait une fleur sur laquelle pose— rait le Saint-Esprit, il aurait Marie en mariage; ce que chacun fit, excepté Joseph. Et parce qu'il n'y eut aucune verge qui fleurtt, il fut dit à Jo— seph qu'il apportât sa verge, et en la mettant avec les autres sur l'autel, incontinent elle produit une fleur, sur laquelle descendit le Saint-Esprit, en forme de colombe blanche. Quand Anne sut que Joseph aurait sa fille Marie en mariage, elle n fut fort joyeuse, car elle savait qu'il était cra

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peut Dieu et qu'il la voulait honorer, et que bien souvent bavait et mangeait avec elle ; après le trépas de Sel mari, il l'allait souvent soulager en son besoin, comme s'il eitt été son enfant; tuent elleavait encore une fille vivtuate, et à cette eanse l'amitié entre Anne et Joseph fat plus forte qu'auparavant,

GOMME MARIE FUT DONNÉE EN MARIAGE A JOSEPH PAR LE SOUVERAIN PRÊTRE.

Joseph voyant grue la -divine Providence voulait eflt en mariage Marie, et sachant qu'elle avait voué à Dieu sa chasteté, il fut réjoui, louant Dieu qui l'avait conjoint .à une telle personne qui avait été par ses parents offerte et pré:sentée à Dieu le créateur, , et lui .avait offert sa virginité , afin de vivre en chasteté, et qui lui avait ainsi proposé de demeurer et vivre en tasteté, Quand Marie vit que le souverain prêtre et les taillis de Joseph parlaient de !faire ie mariage entre lui et elle, elle pesa.au wea qu'elle:avait fait, et haie« los yeux. Quand Anne liperçut, elle la

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tira à l'écart avec une quantité de filles du tem-i pie gui désiraient être ses compagnes, et allèrent ensemble en Nazareth otà elle demeurait. Joseph se retira en son logis pour préparer ce qui était nécessaire pour les noces. Certains jours as, le souverain prêtre les maria. Quand Marie fet donnée «à Joseph en mariage, ils s'en allèrent .avec leur mère Anne en Nazareth, y demeurant assez bon espace de temps, pendant lequel temps ils devaient se préparer pour célébrer les noces, Joseph se retira en diligence, et se prépara pour recevoir Marie, son épouse, en sa maison.

COMME L'ANGE GABRIEL ANNONÇA A MARTE QU'ELLE CONCEVRAIT LE FILS DE DIEU.

Ainsi comme Joseph se préparait en diligence de recevoir Marie, son épouse, en te mai»on, l'ange Gabriel vint, comme le témoigne saint Lue, eavoyé de Dieu à Nazareth à la vierge épousée à un nommé Joseph, de la maison de David, et le nom de la vierge était Marie. Il est vraisemblable, comme écrit saint Bernard, que la vierge Marie était en sa chambre enfermée, et s'exerçait

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à la lecture de la sainte Écriture : l'ange Gabriel entra vers elle, et lui dit : Je te salue, Marte vleine de grdce, le Seigneur est avec toi : tu es bénie entre toutes les femmes.

Quand elle eut ouï cette parole, elle fut troublée, pensant quelle était cette salutation. L'ange lui dit : Ne crains point, Marie, tu as trouvé grâce envers Dieu, lu concevras et enfanteras un fils, que tu nommeras Jésus; il sera grand, et se nommera le Fils du Très-Haut; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père ; il régnera en la maison de Jacob éternellement, et son règne n'aura point de fin. Marie dit à l'ange: Comment cela s'accomplira-t-il, car je n'ai aucune connaissance d'homme? L'ange lui dit : Le SaintEsprit surviendra en toi, et la vertu du Souverain t'obombrera, et l'enfant qui naîtra .de toi s'appellera le Fils de Dieu; et Élisabeth, ta cousine, a conçu un fils en sa vieillesse, et voilà le bixième mois de sa grossesse : rien n'est impossible à Dieu. Lors Marie dit à l'ange : Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole. Ainsi, du consentement de Marie, ce message fut mis à exécution par le Saint-Esprit, et elle conçut le Fils de Dieu.

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GOMME MARIE VISITA SA COUSINE gusABETn.

Peu après que Marie eut été saluée de l'ange Gabriel, et qu'elle se fut soumise à la volonté du Seigneur, elle s'en alla, comme écrit saint Luc, avec empressement traverser les montagnes pour se rendre en la maison de Zacharie, pour saluer sa cousine. Élisabeth entendant cette salutation de Marie, l'enfant qui était en son sein tressaillit de joie, Élisabeth fut remplie du Saint—Esprit et s'écria à haute voix, disant : Bénie tu es entre les femmes, et béni est le fruit de ton ventre, d'où me vient ce bonheur, que la mère de mon Sau— veur vient à moi? A ton entrevue, l'enfant qui est dans mon sein a tressailli de joie; tu es bien heureuse, car les choses prédites sont accom— plies. Lors Marie composa ce beau cantique, Magnificat. Marie demeura là près de trois mois, puis s'en retourna en sa maison. »mu,

VOYANT MARIE, SON É.POUSE, ENCEINTE, Là VOULAIT

SECRÈTEMENT ABANDONNER, ET COMME L'ANGE CSN DÉ-

TOURNA.

Lorsque Marie fut donnée à Joseph en mariage, et qu'elle fut de retour de la maison d'Elisabeth,

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comme écrit saint Matthieu , Joseph, apercevant qu'elle était enceinte, ne la voulut point diffamer, mais résolut de la laisser ; et comme il avait cette volonté, range s'apparut à lui en songe, disant : Joseph, fils de David, ne veuille craindre de recevoir Marie, ton épouse, car ce qui est en elle est du Saint-Esprit ; elle enfantera un fils- qui se nommera Jésus, et sera celui qui sauvera son peuple. A ces paroles, Joseph fut consolé de l'ange, et reçut son épouse Marie en sa maison, la guidant soigneusement. pogROOOI NOTE,R.SKRIERIIR VOULAIT QUE MARIE, SA MÈRE FUTURE, ÉPOUSAI JOSEPH.

Il faut savoir , pour plusieurs raisons , que Notre-Seigneur voulait que sa mère épousât un mari. Premièrement, comme écrit saint Ambroise, pour éviter toute mauvaise suspicion eu la voyant enceinte, si elle n'eût eu mari, Dieu voulant que ce mystère fût couvert du sacrement de mariage, pour empêcher la calomnie; car l'on croyait Marie enceinte de son mari Joseph; autrement, sans ce mariage, les mauvais esprits eussent jugé Marie être adultère, et tout cela a été affranchi par le

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moyen du mariage, ç'a été aussi afin que krseph fût époux secourable à Marie et à l'Enfant Mien, comme nous le voyons clans la fuite en Egypte, et par son retour après la persécution d'Hérode, ainsi qu'écrivent saint Jérôme et saint Ambroise, afin que ce mystère ne fût connu aux mauvais esprits, afin qu'ils ne sussent au vrai qu'il fût le Fils de Dien. ANNE SE RÉJOUIT, SACHANT QUE MALUS, Sei FLUE, AVAIT CONÇU LE FILS DE DIEU. •

Quand Anne entendit parler de Marie, sa fille, et aussi de la salutation que range lui avait faite. et .comme elle avait COngu le Fils de Dieu, elle fut réjouie, donnant bénédiction au Seigneur de tous ses dons et grâces, disant : 0 Dieu 1 si j'avais autant de langues comme j'ai des parties en mon corps, je les emploierais toutes pour louer votre infinie bonté, pour les grandes merveilles que vous opérez en ma fille pour le salut de tout le znende. 0 vous, ciel 'et terre, et tontes créature qui y sont, et oeux qui sont constitués aux limbes M ténèbres, réjouissez-vous avec moi, donnant

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louange et bénédiction à Dieu de son immense miséricorde envers nous. COMME ANNE, LÀ NUIT QUE JÉSUS-CHRIST FUT NÉ, CHERCHA MARIE, SA FILLE.

Ainsi qu'Anne en grand désir attendait l'heure que Marie, sa fille, enfanterait J.-C., elle était en grand soin pour préparer ce qu'il fallait. Elle prépara un riche lit pour Marie et son fils, elle fit aussi un berceau de bois de cèdre, que lui avait donné le Chevalier de Jérusalem, en reconnaissance d'avoir reqouvré la vue à sa naissance, comme il est dit ci-devant. Enfin l'heure approchant que Marie devait enfanter, Anne alla en Jérusalem pour chercher tout ce qu'une femme a besoin quand elle est accouchée. Quand Anne fut allée en Jérusalem, il vint un édit de l'empereur Auguste, que tout le monde de son vaste empire fût mis en écrit, comme le récite saint Luc ; ainsi chacun se retira en la cité d'où il était natif, pour se faire mettre en écrit. A cet effet, Joseph se retira en Bethléem; parce qu'Anne n'était pas en sa maison, il n'osait laisser Marie, sou épouse, seule, à cause qu'elle était au terme

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de son enfantement ; il la mit sur un âne, parce qu'elle ne pouvait cheminer; il prit aussi un boeuf pour vendre , afin d'avoir leurs nécessités, tandis qu'ils seraient dehors, car ils ne savaient pas quand ils pourraient revenir ; et ainsi vint Joseph avec Marie en Bethléem. Lorsqu'Anne revint de Jérusalem à la maison , elle ne trouva pas Marie, ce qui l'affligea d'abord. Ses voisins lui dirent qu'elle était avec Joseph en Bethléem, pour satisfaire au mandement de César. Anne craignait que le jour de l'enfantement de sa fille ne vint à arriver en chemin, ou avant son retour en Nazareth ; c'est pourquoi elle se mit en chemin, et s'en alla vers Bethléem. ll arriva qu'en chemin faisant, elle se trouva surprise et égarée de son droit chemin ; quand elle s'en fut aperçue, elle s'assit à terre pour se reposer; elle commença à pleurer très—amèrement, craignant qu'il ne fût arrivé quelque inconvénient, et fut en grande tristesse et ennui jusqu'à l'heure de minuit, qu'elle entendit un chant mélodieux, résonnant en l'air, et en outre elle ouït une grande joie : Gloria in excelsis Deo, gloire soit à Dieu Très—Haut, et en la terre paix aux hommes de bonne volonté. Lors les anges la vinrent consoler, lui assurant que

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Marie, sa fille, était devenue mère du Fils de Dieu tont-puissant. A ces paroles, Anne fut merveilleusement consolée et réjouie, bénissant Dieu de tout son coeur. COMME ANNE S'EN ALLA EN BISTELEEM POLIR CHKICHER

mliux, Si PILLE, àtvEc itsus. Anne ayant entendu des anges ce chant mélodieux et ces paroles de paix qu'ils annonçaient aux hommes, elle reprit le droit chemin qu'elle avait perdu, et s'en alla vers Bethléem. Et étant arrivée, demanda de maison eu maison, Marie et keeph ; mais personne ne pouvait lui en rendre raison ; toutefois quelqu'un lui dit qu'on les avait Tus, et qu'ils cherchaient à loger, et qu'ils ne pouvaient trouver logis, mais qu'ils ne savaient ce qu'ils étaient devenus. Aune, entendant cela, fut remplie de tristesse, et s'en retourna vers Nazareth, croyant qu'ils y seraient retournés depuis qu'elle en était partie; y étant arrivée, elle ne les trouva pas; elle ne savait que faire d'ennui ; elle s'en alla vers Jérusalem pour les chercher, pensant qu'ils pouvaient avoir été dévorés, ou qu'il était arrivé quelque chose d'extraordinaire.

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s'entrebaisèrent en grande révérence, et se séparèrent l'un de l'autre, et Anne en grande admiration oublia à demander au Roi son nom. ANNE TROUVA SA FILLE AVEC JÉSUS ET JOSEPH.

Lorsqu'Anne fut arrivée en Bethléem, elle s'en alla en l'étable où Jésus était né, et le vit gisant en la crèche : et sitôt que Marie aperçut sa mère, elle alla au—devant d'elle et la reçut en grande joie, lui disant qu'elle fût la bienvenue, aussi fit Joseph, et de grande joie commencèrent à pleurer. Marie et Joseph menèrent Anne à la crèche, où était le doux Jésus entre l'âne et le boeuf. Aussitôt qu'elle le vit, elle se prosterna à ses pieds, et l'adora, disant : 0 mon Dieu! 6 mon Sauveur! Fils de Dieu tout-puissant! 6 mon Dieu mon créateur ! 6 Roi des rois! 6 Seigneur des seigneurs! quoi! cette étable est votre palais? Cette crèche est—elle ' le précieux berceau que je vous avais apprété? Après elle leva les yeux vers le ciel, et pleurant tendrement, puis dit à Marie : 0 ma très-chère fille! le recors fort de mon dme, est-ce ld le riche lit que je vous avais préparé? En outre regarda autour d'elle, et vit cette étable or 28

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vert# et décloile da tous râtés, elle dit, les larmes aux yeux : 0 mon enfantf le coeur me fend de la grande tristesse où je suis de voir ce précieux trésor de tout le monde être exposé dans ce lieu à l'injure du temps et de cette rude saison. Lors Marie sa fille et Joseph la reconfortaient doucement, disant que c'était la volonté divine, et que Dieu l'avait ainsi voulu ; ils lui dirent eneore plusieurs autres raisons c,onsplautes, de sorte qu'elle fut consolée. Lors elle prit Jésus entre Sie bras, le baisant en grande dévotion; Jésus l'embrassa de ses petite bras, l'accola, et lui montra signe d'amour. Elle demeura avec eux, les assistant en ce qu'elle pouvait, attendant le jour de la Purification, suivant la loi de Moïse, afin qu'après ils se puissent retirer vers elle en Nazareth en sa maison, et pensait colloquer l'Enfant Jésus au riche berceau qu'elle lui avait fait faire, et Marie au beau lit qu'elle lui avait préparé. OOKNE MARIE, ANNE ET MEM AVEC ÉSUS ALLÈRENT AU TEE7LE DE

;lama«.

Et quand le jour de la purification de Marie fut arrivé, savoir, quarante jours après la nativité de

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Jésus, Marie, Anne et Joseph furent tous ensemble avec Jésus en Jérusalem; et quand ils furent arrivés, ils allèrent au Temple pour y faire leurs prières et offrandes selon l'ordonnance de la loi; puis ils retournèrent en Nazareth, et se réjouit fort de ce qu'elle recouvrait Jésus en sa maison honnêtement, et s'en alla devant, laissant les autres avec Marie, afin qu'ils vinssent à leur aise. GOMME L'ANGE S'APPARUT A JOSEPH L'EXHORTA A MENER L'ENFANT ET SA MÈRE EN ÉGYPTE.

Quand Anne fut retournée en Nazareth en sa maison, Marie, Joseph et les autres étaient encore en chemin, l'ange vint à Joseph en songe, disant qu'il se levât, et prit l'enfant avec sa mère, et. s'en allât en Égypte, et ne sortit de là que quand il lui dirait; car il était certain qu'llérode cher. °hait l'enfant pour le mettre à mort. Joseph se leva vite, et avertit Marie, qui fut triste, d'autant qu'elle ne pouvait avertir Aune, sa mère, de leur départ. Joseph mit Marie sur son âne avec l'Enfant-Jésus, et Joseph les conduisait en crainte dans ce pénible voyage.

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MIRACLE.

On trouva en écrit que quand Jésus arriva en Égypte, toutes les idoles qui y étaient tombèrent et se démolirent. DE LA TRISTESSE D'ANNE A CAUSE QUE SA PILLE ÉTAIT DEMEURÉE. DERRIÈRE.

Quand Aime vint en Nazareth dans sa maison, elle la prépara le plus honnêtement qu'il lui était possible, pour recevoir l'Enfant-Jésus avec sa mère, et désirait fort leur arrivée : elle allait souvent regarder si elle ne les verrait point; et n'apercevant rien, elle s'en alla au-devant d'eux vers Jérusalem, craignant qu'il leur fût arrivé quelque inconvénient en chemin, d'autant qu'ils demeuraient si longtemps; et truand elle eut beaucoup cheminé, elle demanda, de maison en maison, si on ne les avait point vus, les dépeignant comme ils étaient. Quand elle vit qu'elle n'en pouvait avoir des nouvelles, elle s'en alla en Jérusalem, étant fort désolée, et demanda partout si on ne les avait point vus; elle fit le semblable en Ré-

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thanie, en Bethléem, en Jéricho, en Afrique, en Syrie, en Samarie, à Naïm, et en tous lieux où il était possible d'aller ; mais, hélas! elle ne put découvrir où ils étaient. Quand Anne eut cherché in an, et ne les pouvait trouver, elle prit le chemin de sa maison, disant : Hélas ! que je suis désolée! et quel précieux trésor ai-je perdu! Plût au Seigneur de me priver de la vie, car je l'ai bien mérité, puisque j'ai laissé ma mère Émérantiane l'espace de deux ans ainsi chercher en tout pays après moi en grande douleur de son coeur; j'aperçois à présent quel ennui elle pouvait avoir pour l'amour de moi. En cette tristesse, elle s'en retourna en Bethléem, afin qu'encore une fois avant sa mort elle pût voir le lieu et la crèche où Jésus avait reposé. QUELLE FUT LA COMPASSION D'ANNE VENANT EN BETHLÉEM, VOYANT LE MASSACRE DES PETITS INNOCENTS.

Quand Anne, pleine d'ennui, fut venue près de Bethléem, elle ouït les cris perçants des Innocents, et les lamentations pitoyables des mères qui pleuraient de telle sorte, que non—seulement les personnes en étaient tristes, mais aussi les

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animaux, ear le brait était si grand, que toute la nature était dans la consternation; le boeufs, les brebis et autres bestiaux étaient errants dans les campagnes, marquant pari leur situation la tristesse on ils étaient.; 'et lorsque Aille approcha de plus près la cité da Bethléem. elle (m'A de plus en plais tes clameurs; et entrant en la cité, elle villes petits inneeents gisant par les rues, muets sans nombre, et le sang qui coulait par les rues. Elle vitt aassi des enfants que les bo-arreasir inImetaine avaient égorgés entre là. bras de leurs mères.. Plusslurs pères et mères suivaient leurs enfants, pleurant ét srraehant les cheveux; d'antres effraient leur lieu peur sauver la vie de leurs enfants; mais rien n:était capable de les épargner de cette cruauté; leur résistance leur faisait quel quefois. perdre la vie avec celle de leurs enfants; et généralement tout le numde était dans la consternation dans ces villes affligées; il y en avait M.âme qui quittaient leur demeure, pour s'épargner de voir nue pareille erusinté-. O Dieu toutpaissant t:* je connais.à cette heure-que, depuis que je. suie ivante, je n'ai ve, semblable tyrannie. Seripeur tent misérieerdieux,, consoles. nes pan-

vreg

nièrea «salées, dont les petits' enfants ont

été massactés. Je vous prie &Dieu très—béni, de ptendre Vengeance de ceut sont les auteurs de eet horrible carnage car le monde universel ne murait réparer une telle offense; il n'y a que vette seul; mon Dieu, gni la puissiez réparer. ;

AliiltE Fief itiieleget 114

pÉrtrs triniNrà joli/à oti

DANS LIIIS MIS, PIONCÉS DM5. 1EDR

selva,. pais LE!' ni

INFUSER.

Quand Anne vit qu'Hérode eut mis à mort les petits enfants, et que le peuple ému de pitié s'était retiré hors de Bethléem, elle fut touchée de compassion à la vue de des pauvres innocents qui étaient jetés çà et là dans les rues ; elle les mit dans un' endroit pour les faire enterrer en grande révérence: Quand, quatre jours passés, le peuple, qui s'en était enfui, revint chacun en sa maison, et voyant la grande charité qu'Anne. avait montrée eirvera leurs enfants morts, ils disaient l'an à l'autre : Aunt nous a fait déjà beaucoup de bien an temps passé, en guérissant nos aveugles, boiteux, paralytiques et autres malades, et à• nous, en donnant la sépOlture à nos enfants, et nous en

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sommes ingrats, même voyant sa fille enceinte, n'y a eu nul d'entre nous qui lui ait donné le couvert; ainsi il fallut prendre logis dans cette étable, où elle enfanta, et personne de nous ne l'a assistée; c'est pourquoi il est à douter qu'à cause de notre ingratitude, Dieu nous a envoyé cette punition; et en outre, dirent : Anne, dame pitoyable entre les filles de Jérusalem, n'a été trouvée semblable à toi, nous te remercions de tes bienfaits; nous confessons que nous sommes insuffisants pour te remercier comme il faut. Anne alla consoler les pères et mères affligés. ANNE FUT PRENDRE SON REPOS OU JÉSUS-CHRIST AVAIT ÉTÉ NÉ.

Six jours après, Anne s'en alla dans l'endroit qui avait servi d'asile à Marie pour enfanter le Fils de Dieu; elle était pour lors fatiguée et n'avait- guère mangé; elle se mit à genoux là où Jésus-Christ avait été pour reposer, elle fit son oraison devant la crèche, puis prit un peu de foin de la crèche, où Jésus-Christ avait été né, et se mit dessus pour prendre repos, et étant endormie, elle fut ravie en esprit et vit toutes les

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peines que Jésus—Christ souffrait pour le salut de son peuple, et qu'il s'était à cette cause fait homme, et qu'il était convenable pour le salut du genre humain ; ensuite elle vit les douleurs que Marie sa fille, avec ses deux soeurs et leurs enfants, enduraient et combattraient pour Jésus—Christ jusqu'à la mort. Anne s'éveilla ensuite et dit : 0 doux Enfant Jésus ! vous êtes cet agneau innocent qui sera immolé sur le Calvaire pour le salut du monde : ô peine salutaire ! ô douleur bienheureuse! que tous ceux qui descendent de moi puissent ainsi souffrir pour votre nom, s'il est ainsi prévu convenable, et que mon propre corps demeure sans souffrir peine; et pour cela, je vous prie, mon Dieu, qu'il vous plaise me montrer un lieu là où, pour l'amour de vous, je puisse châtier mon corps; je veux réconcilier l'arbre, afin que le fruit en venant ne soit à mourir, car je sais le fruit être précieux qui durera toujours. ANNE PARTIT DE BETHLÉLK POUR SE RETIRER DANS LE DÉSERT.

Quand Anne eut résolu de se rendre dans le désert pour l'amour de Dieu, pour y mener une

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vie austère, elle fut prendre congél des pauvres malade* qu'elle avait coutume de soulager, et avant de partir elle les oignit et leur distribua aussi le reste de Ses biens, Cela fait, elle prit congé d'eux et s'en alla dans les déserts. Quand les peau /ro* le surent, ils coururent après elle, pleurant et disant : Notre mère et bienfaitrice, sous a laissés. Qui sera-ces qui aura. soin dedans ? qui nous assistera en Elfe nécessités? qui nous donnera à boire et à manger 7 Soleil, éclairez-nous, afin que nous puission* trouver Anne qui nous a fait tant de bien : ils se lamentaient et couraient par le désert pour la rechercher ; mais ils ne purent la trouver, dont plusieursmoururent de chagrin. ,

LAI vrE AUSTÈRE DE $AINT» »PNB.

Comme Anne avait proposé de là en avant de mener une vie austère, elle le mit à effet ; car depuis ce temps elle ne coucha point sur son lit, mais sur la terre ; et sa nourriture était du pain et de l'eau ; elle visita les malades et pansa les pauvres, et oignit les pèlerin* de précieux oignersents. Elle faisait le semblable aux ladres, quoiqu'ils fussent

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difformes ; elle nettoyait et rendtrvelait lents habits; de sorte quels renommée de sa sainte vie se répandit par tout le pays, néanmoins elle conserva son humilité. Il serait à sonhaiter qUe. les riches et le pauvres imitassent sa sainte vie. A l'âge de cinquante ans; elle entreprit de vivre en-, core plue austërement ; c'est pourquoi elle s'enfonça da» le désert le pins secret qu'elle „ putt trouver; elle s'arréta dans un endroit où il y avait am caserne sur ale hauteur, et en icelle s'es alite reposer, et ne mangeait que des racines; quille elle avait soif, elle allait chercher de l'eau à deux lieues de là, et cette austérité continua plusieurs anniies. Atte?»

arevr 4 DÈSERT PleT

DÉ, t'INNIthil.-

L'ennemi, voyant qu'Anne. vivait saintement dans le désert, en fut envieux ; il se transforma en unies» homme, comme s'il eût été un ange envoyé dé Dieu, il vint à elle, disant : Anne, lève-toi promptement et viens (mec moi; car 'lien m'a envoyé pour temener où est ta /ale et son enfant, et ils se sont fourvoyés au désert où ils sont entrés eherchttat' après Mi. Anne se leva bien vite et le

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suivit, pensant que ce fût un Ange envoyé de Dieu. Il la mena au pied d'une montagne fort haute et droite, de sorte qu'on n'y pouvait monter qu'avec grande peine. Lors le malin esprit lui dit: Anne, l'on va voir maintenant si tu atmes Dieu et si tu veux chdtier ta chair pour l'amour de lui, suismoi. Anne répondit : Je monterai la montagne d'amertume. Mais ne regarde nullement derrière toi. Il monta le premier en haut, et elle après lui. Quand ils furent un peu montés, elle trouva des pierres tranchantes par où il fallait passer, de sorte que les pieds d'Anne se coupaient dessous, dont le sang en sortait de toute part. Anne, voyant cela, dit en se lamentant : 0 Marie, ma chère fille! si tu passes par ici, considère ce chemin arrosé de mon sang en te cherchant. Lorsqu'elle s'efforça de monter encore plus haut, elle trouva encore des pierres plus aiguës, de sorte que ses pieds en étaient déchirés; ce qui la fit tomber à terre de faiblesse : en cet état elle dit d'une voix plaintive: L'esprit est prompt, mais la chair est faible. Lors l'ennemi, qui était sous la figure d'un ange, lui dit : Si tu ne peux marcher, permets que je te &aine sur le sommet de cette montagne. Elle lui permit. Cet esprit malin tira Anne au haut de la

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montagne et heurta son corps contre les pierres tranchantes, de sorte que tout son corps était découpé. Lors Anne dit: Mon Dieu, béni soyez-vous, qui m'avez donné une créature qui châtie mon corps et éprouve ma patience; je le souffre volontiers pour votre amour. UN ANGE CONSOLA ANNE, ET LA DÉLIVRA DE LA TYRANNIE DU MALIN ESPRIT.

Anne étant en grande peine et douleur, l'ange de Dieu vint à elle, lui disant : Je te salue, âme généreuse, sache que Dieu a pour agréable tout ce que tu as souffert pour l'amour de lui, et tu en recevras la récompense ; car tu as enseigné à tout le monde comment il devait vivre en l'amour de Dieu et de leur prochain, et comment il faut chercher Dieu pour le trouver. Quand il eut dit cela, il la porta où l'ennemi l'avait prise, et soudain toutes les plaies furent guéries, et fut adssi saine que jamais. JÉSUS ET MARIE AVEC SES SOEURS VISITÈRENT ANNE AU DÉSERT.

Après qu'Anne eut longuement continué sa vie austère au désert, et étant pour lors âgée de

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septante-un ans, elle commençait à décliner ; elle avait toujours Téell en tristesse depuis qu'elle s'était vue séparée de Jésus et de Marie, ne sachant où ils étaient. Mais Jésus, le Fils de Marie, gni connaissait tout selon sa divinité, savait bien où elle était; il avait été témoin oculaire de ses souffrances et de son austère pénitence ; il savait bien aussi qu'elle était près de son décès et qu'elle se préparait à la mort. Jésus dit à sa mère: tout l'Ancien Testament ne nous a pas fourni un plus parfait modèle de vertu que ta sainte mère, qui incessamment est embrasée de l'amour divin, et doit bientôt passer de cette vie à l'autre pour y jouir du repos éternel. Pour ce, ma mère, allons ensemble, tes soeurs et leurs enfants, pour la voir, et la consoler avané sa mort. Quand Marie entendit ce discours, elle fut réjouie de ce qu'encore une fois elle pour-. rait voir sa mère et lui parler; elle assembla ses soeurs et leurs enfants, puis s'en allèrent, Jésus avec eux, dans le désert, où saint Jean-Baptiste fit pénitence près du fleuve du Jourdain, lequel désert les enfants d'Israël passèrent avec Josué à la Terre promise, et parce qu'Elisabeth, mère de saint Jean, était soeur d'Anne, Jésus lui dit :

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Viens aussi voir une sainte dame dans le désert, qui mène une vie angélique dans un corps mortel ; ma mère a reposé neuf mois dans son sein, sa grande sainteté attire sur elle les regards du ciel et de la terre; et pour ce, il est convenable, vu que nous sommes encore sur la terre, que nous lui allions rendre visite. Quand saint JeanBaptiste eut ce entendu, il fut réjoui, désirant de voir l'arbre qui avait porté de si précieux fruits. JÉSUS VINT VISITER SAINTE ANNE AVEC SA COMPAGNIE, ET COMME ILS FURENT REÇUS.

Lorsque Jésus et sa compagnie furent arrivés vers Anne au désert, elle en fut joyeuse; elle se leva, fut au-devant d'eux et les reçut en grande révérence. Jésus et Marie allaient devant les autres. Quand Anne fut auprès de Jésus, elle se prosterua à ses pieds, et les baisa en pleurant, puis chantant le psaume , In te, Mnune, spe, rani, etc. en Nous, Seigneur j'ai Anis ma confiance, je ne serai point confondue éternellement. Ce psaume continua jusqu'à la fin. Puis après, elle embrassa sa bonne fille avec tendresse, et fit la semblable à. ses soeurs et à ceux de la suite.

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Après cela, Jésus et Marie s'assirent, et Anne au milieu d'eux, et ceux de leur suite en firent autant avec leurs enfants. LES BONS CONSEILS QU'ANNE DONNA A CEUX QUI LUI RENDAIENT VISITE.

Lorsqu'Anne se vit au milieu de sa famille, elle leur parla avec tendresse, leur disant : Je vous prie, mes enfants, d'entendre ce que je m'en vais vous dire : C'est que vous vous aimiez les uns les autres, de sorte qu'aucune adversité ou peine ne vous sépare de l'amour fraternel; ayez mémoire que vous êtes issus d'une race telle que vous voyez devant vos yeux ; marchez dans les voies du Seigneur ; soyez miséricordieux; ne condamnez personne;, soyez charitables aux pauvres; menez une vie pure et paisible sur la terre; ne soyez ambitieux des biens périssables de la terre, désirez seulement les biens éternels. Je vous prie qu'au temps de la passion de Jésus, vous ne l'abandonniez pas ; car vous connattrez, après sa passion, qu'il est véritablement le Ré— dempteur des hommes. Quand Anne eut ainsi

parlé, elle sentit que la mort était proche, elle

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mit son chef sur la poitrine de Jésus, disant Ayez souvenance de celle qui expire dans votre amour.

JÉSUS VINT VISITER ANNE AVEC SA COMPAGNIE, ET COMME ILS FURENT REÇUS.

Après cela, Jésus vit une grande clarté au ciel, où les anges étaient assemblés. Lors Jésus dit à Anne : Ma bien-aimée, ceux qui t'honoreront sur la terre et m'invoqueront en ton nom, seront exaucés. Ce mardi est le jour de ta naissance. Il est aussi celui de ton trépas; c'est pourquoi je bénis ce jour, et le consacre en ton nom, et tous ceux qui t'invoqueront en ce jour, je les exaucerai, parce que tu as saintement vécu et glorifié mon Père. Et de plus, à cause 'de la grande sainteté de ceux qui sont descendus de toi, tu seras assise sur un des trônes de mon Père céleste, afin que tu puisses voir toute la lignée ensemble, et aussi tous ceux qui te serviront dévotement. Alors Anne dit à saint Jean l'Evangéliste, lequel était encore jeune : Mon cher enfant, il viendra un temps que Marie ma fille sera dans une grande 29

affliction, et peu de gens alors confesseront la divinité de Jésus-Christ; c'est pourquoi je vous la recommande, je vous prie de ne la point délaisser dans ce temps d'affliction, car elle sera plongée dans une extrême tristesse ; à peine eutelle achevé ces paroles, qu'elle sentit approcher son dernier moment. LE TlUiPAD

sArrrs ANNE .

Anne posa sa tête sur la poitrine de Jésus , et Jésus mit son chef contre le sein, parlant aimablement à elle.. Dans le moment Anne étendit ses bras, Marie les lni soutenait, les arrosant de ses humes. Lors on aperçut une clarté qui descendait du ciel, laquelle environna Anne. Alors elle prononça ee verset du psaume de David, disant : Comme le cerf lassé désire les fontaines rafratchissautes, ainsi mon âne soupire après vous, 6 mon Dieu! qui êtes la fontaine de vie ; quand apnrattrai-je devant la face du Père céleste? Elle continua ce psaume jusqu'à la fin ; étant à la fin, elle rendit l'esprit à Dieu ; et ceux qui y étaient assistants se prosternèrent à terre, rendant bénédiction à Dieu en diverses manières, par des psaumes

et des cantiques; mais par fragilité ordinaire ils versèrent beaucoup de larmes. LE CORPS DE SAINTE ANNE FUT ENTERRÉ.

, Quand Jésus et Marie sa mère avec leur compagnie eurent été près d'Anne l'espace de vingt jours, et qu'elle fut trépassée, ils portèrent son corps en Nazareth, l'oignirent d'onguents précieux, parce que la mère du Fils de Dieu était sortie de ses entrailles, l'enterrèrent auprès de Joachim son mari : ils demeurèrent jusqu'au dimanche au soir : étant enterrée, ils la pleurèrent pendant quarante jours. CONCLUSION DE L'AUTEUR POUR FORTIFIER CE gut LesT ÉCRIT

DE LA IVE L SAINTE Azerz.

Comme rien n'est impossible à Dieu, il ne faut nullement douter des grandes merveilles que Dieu a opérées en ceux qui ont vécu saintement sur la terre; c'est pourquoi nous voyons dans la vie des saints et saintes que Diee leur a morde le don de faire une infinité de miracles, et des choses extraordinaires par la vertu de son saint nom.

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Ceux qui ont réclamé et qui réclament dévotement sainte Anne, ont ressenti les effets de sa puissante intercession auprès de Dieu.

Ainsi, au commencement (Archos), était la lumière (la dame des jours, Émérantiana), et la lumière enfanta la grâce, et la grâce enfanta la beanté sans tache, qui fut nommée Marie. Ainsi commence cette légende qu'on pourrait appeler l'évangile de la Vierge. Anne, comme sa fille Marie, se sanctifie dans les douleurs, car le génie du christianisme c'est le sacrifice. L'innocent sacrifié pour le coupable ! Quelle injustice! dira Michelet. 0 philosophe de l'amour! pouvez-vous appeler injuste un sacrifice volon— taire? Le christianisme, c'est la grâce, parce que c'est le sacrifice. C'est le devoir préféré au droit, parce que l'homme, en effet, n'a pas d'autre droit que celui de faire son devoir.

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Et le christianisme lui dit que son devoir, c'est de se sacrifier pour les autres. C'est en cela que le christianisme est surhumain. C'est pour cela que si les fables païennes, justement admirées par Michelet, sont la Bible de l'humanité, l'Évangile est et restera le Testament de la Divinité. Michelet, dans son livre, affecte de diviser la grâce et la loi, et de les opposer l'une à l'autre. Comment ne comprend—il pas qu'au lieu de les diviser il faut les réunir, et que la grâce sans loi, mais aussi la loi sans grâce, sont deux souveraines injustices? Son livre a toutefois ceci de grand et de vrai, qu'il démontre la grande et unique religion de l'humanité, toujours révélée à la foi par le génie, et toujours la même sous les voiles de toutes les mythologies et de tous les symboles. M. de Mirville lui-même, ce diaboliste incorrigible, rend hommage à cette merveilleuse unité du dogme universel, qui est la catholicité des nations. La haute philosophie de la nature, cachée sous les voiles de l'allégorie, a créé les mythologies





qui se continuent et se complètent dans nos lé-. gendes. La légende de sainte Anne tient à ce cycle d'in génieuses fables chrétiennes qu'on appelle légaude dorée. Gette légende, où l'esprit symbolique du christianisme primitif se mêle aux naïves croyances du moyen âge, nous a semblé digne d'être reproduite et conservée. On y trouve quelque chose d'analogue à la belle fable de Psyché. La. gracieuse, la. fille de la lumière, c'est l'âme humaine, qui a enfanté le mythe sublime de Marie, mère de Jésus. Elle perd ses enfants comme Psyché a perdu l'Amour, et les cherche à travers les plus rudes épreuves. Elle est livrée à la malignité du mauvais ange comme Psyché à la colère de Vénus; mais le démon qui la traîne à travers les pierres aiguës et tranchantes la conduit cependant an but. Elle retrouve ses enfants après tant de fatigues, et s'endort pour l'éternité sur la poitrine de Jésus. Le sacrifice : voilà le grand mot du christianisme, et c'est ce que les Renan et les Michelet ne comprennent pas. Le sacrifice est au-dessus

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de toute justice, et c'est pour cela qu'il est la raison suprême de la grâce. La nature est belle sans doute , mais elle est pleine de mort et de corruption. C'est le sacrifice qui la transfigure et qui la consume; la nature sacrifiée s'élève au-dessus d'elle-même, et de, vient surnaturelle. Nous avons dit que le surnaturalisme n'est que le naturel exalté. Oùi, exalté et divinisé par le sacrifice. Sacrifice de l'esprit par la foi; sacrifice de la volonté par l'obéissance; sacrifice des sens par l'austérité ; sacrifice de la vie même par le martyre. Chrétiens! voilà vos titres à l'immortalité. Les anciens l'avaient compris lorsqu'ils inventaient le dévouement sublime, les pérégrinations, la virginité et le martyre d'Antigone. Psyché n'épouse l'Amour qu'après avoir poussé l'obéissance jusqu'à la mort. Hercule ne monte glorieux au ciel qu'après avoir arraché, lambeau par lambeau, avec sa chair saignante, la tunique de Déjanire. Souffrir pour être fort, mourir pour renaître immortel. Voilà, suivant le symbolisme religieux universel, l'unique clef des grands mystères.

Résumons-nous. L'esprit de sacrifice est esprit de Jésus—Christ. L'esprit de Jésus-Christ est celui de Dieu et de l'humanité, et la science des esprits n'est autre, si on la comprend bien, que la science de l'Évangile.

gPILOGUE COMPOSÉ A Là MANIÈRE DES LÉGENDES ÉVANGÉLIQUES

RÉ SUMANT L'ESPRIT DE CET OUVRAGE.

LES VIVANTS ET LES MORTS.

En ce temps-là, le Christ passa par le champ des tombeaux, et il y trouva un jeune homme qui était à genoux et qui pleurait devant une croix. En voyant ce jeune homme, Jésus eut pitié de sa douleur, et, s'approchant, il lui dit : — Pourquoi pleurez-vous? Celui qui pleurait se détourna, et répondit en étendant la main : — Ma mère est là depuis trois jours.

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Jésus lui dit : — Croyez-moi, mon fils, votre mère n'est pas là. On a déposé ici le dernier vêtement qu'elle a quitté; pourquoi pleurez-vous sur cette dépouille insensible? Levez-vous et marchez; votre mère vous attend. Le jeune homme secoua tristement la tête et dit : — Je ne me lèverai point et je ne marcherai point pour aller chercher la mort; je l'attendrai et elle viendra; et alors, je le sais, je serai réuni à ma mère. Alors le Christ : — La mort attend la mort, et la vie cherche la vie! N'attristez pas par une douleur égoïste et stérile l'âme de celle qui vous a précédé ; ne retardez pas sa marche vers Dieu par votre désespoir et votre inertie. Car son amour vit encore dans votre coeur, et vous ne l'aurez point perdue si vous la faites vivre dignement en vous. Au lieu de pleurer votre mère, ressuscitezla ! Ne me regardez pas avec étonnement, et ne pensez pas que je me fasse un jeu de votre douleur! Celle que vous regrettez est près de vous; un des voiles qui séparaient vos âmes est tombé ; il en reste un encore. Et séparés seulement par ce voile, vous devez vivre l'un pour l'autre; vous travaillerez pour elle, et elle priera pour vous.

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Comment travaillerai-je pour elle? répondit l'orphelin ; elle n'a plus besoin de rien, maintenant qu'elle est dans la terre. — Vous vous trompez, mon fils, et vous confondez encore le corps avec le vêtement. Elfe a plus que jamais besoin d'intelligence et d'amour dans le momie des esprits. Or, vous êtes la vie de son coeur et la préoccupation de son esprit, et elle vous appelle à son aide. Pour que vous traversiez la vie en y faisant du bien, et pour que vous arriviez près d'elle les . mains pleines lorsque Dieu vous réunira. Pour avoir le droit de te reposer, il faut travailler. Or, si vous ne travaillez pas pour votre mère, vous mettrez sou âme à la gêne. C'est pourquoi je vous disais : Levez-vous et marchez, parce que l'âme de votre mère se lèvera et marchera avec vous, et vous la ressusciterez en vous si vous faites fructifier sa pensée et son amour. Elle a un corps sur la terre, c'est le vôtre; vous avez une âme au ciel, c'est la sienne. Que cette âme et ce corps marchent ensemble, et votre mère revivra. Croyez-moi, mon fils, la pensée et l'amour ne meurent jamais, et ceux que vous croyez morts -.I-

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vivent plus que vous, s'ils pensent et s'ils aiment davantage. Si la pensée de la mort vous attriste et vous épouvante, réfugiez—vous dans le sein de la vie ; c'est là que vous trouverez tous ceux que vous aimez. Les morts sont ceux qui ne pensent pas et qui n'aiment pas ; car ils travaillent pour la corruption, et la corruption à son tour les travaille. Laissez donc les morts pleurer sur les morts, et vivez avec les vivants ! L'amour est le lien des âmes; et lorsqu'il est pur, ce lien est indestructible. Votre mère vous précède , elle marche vers Dieu ; mais elle est enchaînée encore à vous : et si vous vous endormez dans la torpeur ou dans un chagrin égoïste, elle sera forcée de vous attendre et elle souffrira. Mais je vous dis en vérité que tout le bien que vous ferez sera compté à son âme, et que si vous faites du mal, elle en souffrira volontairement la peine. C'est pourquoi je vous dis : Si vous l'aimez, vivez pour elle. Le jeune homme alors se leva, .et ses larmes

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cessèrent de couler, et il contemplait la face du Seigneur avec étonnement, car le visage du Christ rayonnait d'intelligence et d'amour, et l'immortalité resplendissait dans ses yeux. Alors il prit le jeune homme par la main et lui dit : — Venez. Puis il le conduisit sur une colline qui dominait la ville tout entière, et il lui dit : — Voilà le véritable champ des tombeaux. Là-bas, dans ces palais qui attristent l'horizon, il y a des morts qu'il faut pleurer bien plutôt que ceux dont les restes sont ici, car ceux-là ne se reposent point. Ils s'agitent dans la corruption et disputent aux vers leur pâture; ils sont semblables à l'homme qui a été enterré vivant. L'air du ciel manque à leur poitrine, et la terre pèse sur eux. Ils sont cloués dans les étroites et misérables institutions qu'ils se sont faites, comme dans les planches d'un cercueil. Jeune homme qui pleuriez et dont ma parole a séché les larmes, pleurez maintenant et gémissez sur les morts qui souffrent encore! pleurez sur ceux qui se croient vivants et qui sont des cadavres tourmentés!

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C'est à ceux-là qu'il faut crier d'une voix puissante : Sortez de vos tombeaux! Ohl quand donc retentira la trompette de l'ange? L'ange qui doit réveiller le monde, c'est l'ange de l'intelligence ; l'ange qui doit sauver le monde, c'est l'ange de l'amour. La lumière sera comme l'éclair qui se lève à l'orient et qui est vu en même temps à l'occident : à sa voix le corps du Christ, qui est le pain fraternel, sera révélé à tous, et autour du corps qui doit les alimenter les aigles se rassembleront ! Alors le verbe humain, affranchi des intérêts égoïstes, s'unira au Verbe divin. Et la parole unitaire, retentissant dans le monde entier, sera la trompette de l'ange. Alors les vivants se lèveront, les vivants que l'on avait crus morts et qui souffraient en attendant la délivrance. Alors tout ce qui n'est pas mort se mettra en marche et ira au-devait du Seigneur; tandis que les cendres de ceux qui ne sont plus seront balayées par le ventJeune homme, tenez-vous prêt, et prenez garde de mourir ! Vivez pour ceux que vous aimez, aimez ceux

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qui vivent. et ne pleurez pas ceux qui ont monté un degré de plus sur l'échelle de la vie; pleurez ceux qui sont morts ! Votre mère vous aimait, vous aime par conséquent bien plus encore maintenant que sa pensée et sou amour sont affranchis des pesanteurs de la terre. Pleurea ceux qui ne pensent pas à NOUS et qui ne vous aiment pas. Car je vous dis en vérité que l'humanité n'a qu'un corps et qu'une âme, et qu'elle vit partout où elle se sent travailler et souffrir. Or, un membre qui n'est plus sensible au bienêtre ou à la douleur des autres membres, est mort et doit être bientôt retranché. Ayant dit ces choses, le Christ disparut aux yeux du jeune homme qui, après être resté quelques instants immobile et comme frappé du souvenir d'un rêve, reprit silencieusement le chemin de la ville, en disant : — le vais chercher des vivants parmi les morts. Et je ferai du bien à tous ceux qui souffrent, en souffrant avec eux et en les aimant, afin que l'Anis de ma mère le sache et me bénisse dans le ciel. Car je cumpreuds maintenant que le ciel n'est

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pas loin de nous, et que l'âme est au corps ce que le ciel matériel est à la terre. Le ciel qui entoure et soutient la terre s'abreuve de l'immensité, comme notre âme s'enivre de Dieu même. Et ceux qui vivent dans la même pensée et dans le même amour ne peuvent jamais être séparés!

Il LE PHILOSOPHE DÉCOURAGÉ.

Il y avait en ce temps-là un homme qui avait étudié toutes les sciences, médité sur tous les systèmes, et qui en était venu à douter de toutes choses. L'être même lui paraissait un rêve, parce qu'il ne lui trouvait pas de cause suffisante. Il avait cherché la nature de Dieu et ne l'avait pas devinée, car il n'avait jamais aimé. Et son intelligence s'était obscurcie comme l'oeil de celui qn fixe le soleil. C'est pourquoi il était triste et découragé.

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Jésus , qui s'occupe des morts et qui aime à guérir les aveugles, eut pitié de cette pauvre intelligence malade et de ce coeur éteint ; et il entra un soir dans la chambre solitaire du philosophe. C'était un homme pâle et chauve, aux yeux creux, au front plissé et aux lèvres dédaigneuses. Il veillait seul près d'une petite table couverte de papiers et de livres ; mais il ne lisait plus et n' éciivait plus. Le doute courbait sa tête comme sous une main de plomb, ses yeux fixes ne regardaient pas et sa bouche souriait vaguement avec une profonde amertume. Sa lampe se consumait près de lui, et ses heures passaient en silence sans espoir et sans souvenir. Jésus se tint sans rien dire devant lui, et levant les yeux au ciel, il priait. Le savant leva lentement la tête, puis la secoua et la laissa retomber en murmurant tout bas : « Visionnaire ! » — Notre Père qui es au ciel, que ton nom soit sanctifié, dit Jésus. — Il t'a laissé mourir sur la croix, reprit le penseur, et tu lui as crié inutilement : « Mon .

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Dieu I mon Dieu I pourquoi m'as-tu abandonné I » — Que ton règne arrive, continua le Sauveur. − Nous l'attendons depuis dix-huit cent quarante ans, dit le philosophe, et il est plus loin que jamais. — Qu'en sais tu ? lui dit alors le Illattre en abaissant vers lui un oeil doux et grave. — Je ne sais pas même ce que c'est que le nèpe de Dieu qui doit venir, répondit le philosophe. S'il y a un Dieu, il règne ois ne régnera jamais. Or, comme je ne vois pas le règne de Dieu. je ne l'attends pas; et je ne cherche plus même savoir s'il y a un Dieu. — Doutes-tu aussi de l'existence dia bien et du mai? répondit Jésus. — Leur distinction est arbitraire, puisqu'elle varie selon les temps et le lieux. − Avance ton daigt sur la flamme de ta lampe, -

dit le Sauveur; ptsurquoi donc retires-tu la main avec tant de vivacité? Ne sais-tu pas qu'un penseur comme toi a dit que la douleur n'était pas un mal? .C'est .qne je ne partage pas son opinion, mais je ne sais si j'ai plus raison que lui.

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— Pourquoi ne partages-tu pas son opinion ? — Parce que je sens la douleur et qu'elle me répugne invinciblement. — La distinction du bien et du mal n'est donc pas arbitraire relativement à tes répugnances et à tes attraits? dit alors Jésus; et en effet le mal ne saurait être absolu. Le mal u.'existe que pour toi et pour tous les êtres imparfaitsencore. C'est donc pour ceux-là que le règne de Dieu doit venir, parce qu'ils viendront eux-mêmes dans le règne de Dieu. Je t'ai convaincu d'une répugnance physique et je te convaincrais aussi facilement d'une répugnance morale. Le feu t'avertit par la douleur qu'il détruirait la vie de ton corps, et la conscience t'avertit par ses cris et ses remords que le crime perdrait la vie de ton âme. Le mal pour toi, c'est la destruction; le bien, c'est /a vie„ et la vie, c'est Dieu! fa terre plongée dans les ténèbres attend maintenant que le soleil arrive , et pourtant le soleil se tient radieux au centre de l'univers . et c'est la terre qui gravite autour de lui. Dieu règne, mais tu n'es pas encore entré dans son royaume ; car le royaume de mon Père est le eoyaumede la science et.de l'amour, de la sagesse et de la paix. Le royaume de Dieu est le royaume

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de la lumière, et cette lumière frappe tes yeux qui ne la voient pas, parce qu'ils cherchent leur clarté en eux-mêmes et ne trouvent qu'obscurité. — Seigneur, ouvrez-moi donc les yeux, dit le philosophe, et illuminez mes ténèbres. Jésus lui dit : — Si je t'avais fermé les yeux, je devrais te les ouvrir; mais si je les ouvre et qu'il te plaise de les refermer, comment verras-tu la lumière? Ne sais-tu pas que la volonté de l'homme agi sur les paupières de ses yeux, et que si on le force d'avoir les yeux ouverts ou fermés, il perdra la vue? Je puis t'engager à allumer en toi le feu qui éclaire, et c'est pourquoi je te fais entendre ma parole, et puisque déjà tu désires que je t'ouvre les yeux, tu n'es pas éloigné de voir. Que ton désir se change donc en une volonté énergique, et tu ouvriras toi-même les yeux et tu verras. — Quel est le feu qui éclaire? demanda le savant. — Tu le sauras, lui dit le Christ, quand tu auras beaucoup aimé. Car si la raison est comme une lampe, c'est l'amour qui en est la flamme.

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Si la raison est comme l'oeil de notre âme, c'est l'amour qui en est la puissance et la vie. Une grande raison sans amour est un bel oeil mort, c'est une lampe richement ciselée, mais froide et éteinte. Lorsque l'égoïsme des passions animales avait fait défaillir la philosophie humaine, j'ai sauvé le monde par la foi, parce que la foi est la philosophie de l'amour. On croit à ceux qu'on aime et à ceux dont on sait être aimé : aussi avais-je donné pour base à la foi une charité immense, lorsque moi et mes apôtres nous avons prouvé aux hommes, par un sanglant martyre, la sincérité de notre amour. Et tant que l'Église a régné par la charité, elle a triomphé par la foi ; mais la foi attend l'intelligence, et le moment approche où ceux qui auront cru sans voir cdmprendront et verront. Si donc tu veux comprendre, commence par aimer, afin de croire. — Que croirai-je donc, Seigneur? — Tout ce que tu ignores: car la foi est la confiance de l'ignorance raisonnable. Crois tout ce que Dieu sait et ta foi embrassera l'immensité. Confie à ton père céleste tout ce dont il se réserve

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la connaissance, et ne t'inquiète pas d'abord des destinées infinies. Aime cette immense sagesse dont tu es l'enfant, aime les autres hommes qui passent ignorants comme toi sur la terre, et borne maintenant encore ta science à l'accomplissement de tes devoirs; tu la verras bientôt grandir delle-mûme et monter jusqu'à Dieu, car Dieu se laisse voir par les coeurs purs. — Oh ! voir Dieu ! s'écria le savant en enteouvrant ses lèvres tremblantes, comme un homme qui a soif et qui attend la pluie du ciel. Oh! réunir enfin dans ma pensée tous les rayons épars de cette vérité que j'ai tant aimée et qui m'échappait toujours ! ... Mais qui me donnera cet amour immense qui fait communier l'homme avec Dieu, et le rapprochera du centre de toute lumière? Tu le mériteras par tes oeuvres, lui dit le Christ ; car si l'on se corrompt dans les oeuvres de la corruption, si l'on se perd dans les oeuvres de la haine, on s'agrandit et l'on se sauve par les oeuvres de l'amour. Pour s'approcher de Dieu, il faut marcher, et les actions saintes sont les mouvements de votre âme. — Quelles sont les actions vraiment saintes? demanda le docteur ; est-ce la prière et le jeône?

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— Écoute, dit le Christ, et ne juge pas témé– rairement tes frères qui ont passé en cherchant et en pleurant L'humanité s'est confirmée dans le désir pax la prière et les larmes. Et ceux de ses enfants qui les premiers ont eu soif des choses du ciel, se sont abstenus de celles de la terre; mais tout cela n'était que le commencement II fallait savoir s'abstenir, pour apprendre à bien user. Il fallait sacrifier d'abord le corps à la pensée, pour émancipe« la pensée. Car le cieè moral, c'est la liberté de l'âme; mais l'âme est appelée à régir le corps et »on à le détruire; de même que le ciel physique régit la terre et ne la détruit pas. Le. temps de la prière et des larmes doit faire place aux jours du travail et de respérance : car la prière des anciens était un travail, et il faut que notre travail, à nous, soit une prière plus efficace et plus active. — Comment travaillerai–je? dit le philosaPbe; je ne sais rien faire d'utile. — Tu as donc perdu à de Nains efforts la vigueur de ta pensée, répondit le Christ : et toi qui voulais tout savoir, tu n'as pas même appris à vivre. PPdeviens un petit enfant et va à l'école de l'amour. Apprends à aimer et

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à faire du bien, voilà la vraie science de la vie. Souviens—toi de la légende du Christophore. C'était un géant terrible, mais comme il ignorait l'usage de sa force, il était faible comme un enfant. Il lui fallait donc un tuteur, et il se mit au service d'un roi ; mais le roi fut malade et Christophore le quitta. Il chercha celui qui peut faire souffrir les rois; et comme il ne connaissait pas Dieu, il s'attacha d'abord au génie du mal. Cependant un jour une croix apparut sur un rocher, et le génie du mal tomba comme frappé de la foudre. Christophore chercha alors celui dont la croix est le signe, et un vieillard lui dit qu'il le trouverait en faisant du bien. Christophore ne savait ni prier ni travailler. mais il était fort et de grande taille, et il se mit à porter sur ses épaules les voyageurs égarés qui voulaient traverser le torrent. Or, un soir, il porta un petit enfant sous lequel il s'inclina, comme s'il eût porté le monde, car dans la personne du pauvre orphelin égaré il avait reconnu le grand Dieu qu'il attendait.

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As-tu compris cette parabole? — Oui, Seigneur, dit le philosophe devenu chrétien. Eh bien! va et fais comme Chlistophore, porte le Christ lorsqu'il tombe de fatigue, ou lorsque les torrents du monde s'opposent à son passage. Le Christ pour toi sera l'humanité souffrante. Sois l'oeil de l'aveugle, le bras du faible et le bâton du vieillard; et Dieu te dira le grand pourquoi de la vie humaine. — Je le ferai, Seigneur, et désormais je sens que je ne serai plus seul au monde. Auquel de mes frères tendrai-je d'abord la main? — A celui qui est plus malheureux que toi, et qui expire inconnu de toi-même dans la petite chambre qui est voisine de la tienne. Va donc à son secours, parle-lui pour qu'il espère, aime-le pour qu'il croie, fais-toi aimer de lui pour qu'il vive. — Conduisez-moi près de lui, Seigneur, et parlez-lui pour moi. — Viens et regarde, dit le Sauveur, et il toucha légèrement la muraille, qui s'entr'ouvrit comme un double rideau, et le savant fut transporté en esprit dans la chambre voisine de la

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sienne. C'était celle d'un jeune poète qui allait mourir abandonné.

HI LE POÈTE MOURANT.

Il Y avait donc en ce temps-là un jeune homme qui, de benne heure, avait écouté dans son âme l'écho des harmonies universelles. Or, cette musique intérieure avait distrait son attention de toutes les choses de la vie mortelle, parce qu'il vivait clans une société encore sans harmonie.. Enfant, il était le jouet des autres enfants, qui le prenaient pour un idiot; jeune homme, il trouva à peine une main pour serrer sa main , un coeur pour reposer son coeur. Ses jours passaient dans un long silence et dans une profonde rêverie ; il contemplait avec d'étranges extases le ciel, les eaux, les arbres, les campagnes verdoyantes;, puis ses regards deve-

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muent fixes, des magnificences intérieures se déployaient dans sa pensée et l'emportaient encore sur le spectacle de la nature. Des larmes alors coulaient à son insu le long de ses joues pâles d'émotion, et si l'on venait lui parler, il n'entendait pas. Aussi lui parlait-on rarement, et le regardaiton assez généralement comme un fou. Il vivait ainsi seul avec Dieu et la nature, parlant à Dieu dans la langue de l'harmonie, et laissant tomber sur la terre des chants que personne n'écoutait. Mais les nécessités matérielles de la vie le prirent enfin dans leur inextricable réseau ; il se réveilla sur la terre, ébloui encore de ses visions du ciel; et lorsqu'il voulut marcher, il se heurta contre les hommes et coutre les choses, jusqu'à ce qu'il tombAt haletant et désespéré. C'est alors qu'il se renferma dans sa pauvre demeure et qu'il y attendit la mort. C'est alors que le Christ le regarda et le prit en pitié. La chambre du poète était triste, nue et froide; il était à demi couvert de quelques vêtements usés; étendu sur un triste lit de paille, il était

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agité par la fièvre et ses yeux étincelaient d'un feu sombre. Le Christ lui apparut vêtu de la robe blanche, emblème de folie qu'il avait reçu d'Hérode , et le front couronné tout à la fois d'épines sanglantes et d'une auréole de gloire. — Frère, dit-il au pauvre malade en le regardant avec un ineffable amour, pourquoi veux-tu mourir ? — Parce qu'on ne peut plus vivre sur la terre lorsqu'on a vu le ciel , soupira le poète. — Et moi, pour vivre et souffrir sur la terre, je suis pourtant descendu du ciel, reprit Jésus. — Vous êtes le fils de Dieu et vous êtes fort. — Et j'ai voulu être le fils de l'homme pour avoir faim, pour craindre et pour pleurer. N'ai-je pas défailli au jardin des Olives ? N'ai-je pas gémi sur la croix comme si Dieu m'avait abandonné? — Eh bien ! moi, dit le malade, je sors de la vie comme vous du jardin des Olives, et je suis sur le lit de douleur comme vous sur la croix. — Si je n'avais fait que prier mon Père, dans les vallées, en respirant le parfum des rosiers de Sârons, si je m'étais silencieusement enivré des extases du Thabor, je n'aurais pas mérité de ra-

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cheter le monde sur la croix, répondit le Sauveur. Mais j'ai cherché la brebis égarée, et pour arrêter mes pieds qui couraient sans cesse après les misères du peuple, il a fallu les clous des bourreaux. 11 a fallu percer mes mains pour les empêcher de rompre le pain aux multitudes affamées ; et c'est alors que, ne pouvant plus donner autre chose à mes frères, j'ai laissé couler tout mon sang ! — J'ai chanté, dit le poète, et les hommes ne m'ont pas entendu. — C'est que tu chantais pour toi seul et que tu as trop dédaigné leurs dédains. 11 fallait, à l'exemple du Verbe éternel, descendre assez pour te faire entendre. — Peut-être au lieu de m'oublier, ils m'auraient crucifié alors! — Et c'est alors seulement, ô mon frère! qu'il et été beau de mourir pour ressusciter glorieux! — Maitre, au lieu de me consoler à ma dernière heure, venez-vous pour m'effrayer et m'adresser des reproches ? — Je viens te guérir et t'inspirer le courage de vivre, afin de te faire mériter une mort tranquille et pleine d'immortalité. Pourquoi veux-tu vivre seulement dans le ciel

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pendant les jours que Dieu te donne à passer sor la terre? Pourquoi laisses-tu se perdre dans des aspirations vagues l'immense amour de ton coeur? Pourquoi t'isoles-tu dans l'orgueil de tes rêves, quand des douleurs réelles saignent et palpitent autour de toi ? Dieu ne t'a pas donné le baume céleste peur en parfumer ta tête ; il ne t'a pas •confié le vin de son calice pour enivrer ta bouche et la dégoûter des amertumes de la terre. Tu devais adoucir, relever, consoler : tu devais être le médecin des âmes, et voilà que toi-même, pour avoir caché les remèdes de Dieu, tu es plus malade que les autres. On ne t'a pas compris, dis-tu; amis c'est toi, pauvre jeune homme., qui n'as pas compris tes frères. Quoi ! ton intelligence était :supérieure, et tu n'as pas su parler aux pauvres d'esprit ! tu te croyais grand et tu as eu peur de te baisser pour rapprocher ta bouche de l'oreille des petits I tu aimais, et tu as été dégoûté des infirmités des hommes ! Relève-toi, pauvre ange tombé, et recommence

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ta mission ! Sache que l'esprit d'harmonie, c'est l'esprit d'amour que j'annonçais au monde sous le nom du consolateur. Si c'est le Saint—Esprit qui t'anime, sois désormais le consolateur de tes frères, et pour avoir le droit et le pouvoir de les consoler, apprends à souffrir et à travailler avec eux. J'étais plus grand que toi, et plus que toi j'éle vais mon âme au sein des harmonies éternelles; et pourtant j'ai passé ma vie à travailler avec les charpentiers et à converser avec les pauvres, éclairant leur esprit, remuant leurs coeurs et guérissant leurs maladies. Jusqu'à présent tu n'as fait de la poésie qu'en rêves et en paroles, mais le temps ee venu de faire de la poésie en actions Car tout ce qui se fait par amour de l'humanité, tout ce qui est dévouement, sacrifice, patience, courage et persévérance, tont cela est sublime d'harmonie, c'est la poésie des martyrs! Au lien d'aimer vaguement l'infini, tâche d'aimer infiniment tes frères qui sont près ide toi. En voici un que je t'amène; il souffrait comme toi et il était venu au néant de la pensée pour avoir isolé le travail de sa pensée, comme tu en

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es venu au désespoir du cœur pour avoir isolé ton amour! Désormais vous saurez tous deux qu'il n'est pas bon à l'homme d'être seul. Le philosophe devenu chrétien s'approcha alors du lit du malade dont la fièvre s'était calmée tout à coup à la parole douce et sévère de Jésus, et il lui dit : — Frère, acceptez mes soins et la moitié du pain qui me reste : demain nous travaillerons ensemble, et quand je serai malade à mon tour, vous me soignerez et vous aurez du pain pour moi. — Frère, parce que vous avez vu le ciel, ne brisez pas l'échelle qui vous y fera monter, prenez-moi plutôt par la main et conduisez-moi, car j'ai beaucoup pensé et beaucoup médité, et je sens maintenant que je n'ai pas assez aimé. Vous dont la voix est l'écho vivant de l'harmonie éternelle, vous êtes un enfant du céleste amour, car la bouche parle de l'abondance du coeur. Mais l'amour ne saurait devenir égoïste sans se donner la mort à lui-même, et il ne trouve la plénitude de la vie qu'en se donnant tout entier aux autres.

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Vivez donc pour que je vous aime, car si j'aime, je serai heureux; et si vous aimez Dieu, vous voulez le bonheur de ceux qui sont les enfants de Dieu comme vous. L'harmonie est à la fois science et poésie, l'exactitude numérique est la grande loi de la beauté, et les magnificences harmoniques sont la raison divine des nombres ; mais tout cela, pour être vivant et réel, doit s'appliquer à ce qui est. Frère, le positif de Dieu est mille fois plus poétique que l'idéal de l'homme Cherchons Dieu dans l'humanité et ne désespérons pas de ses destinées : car ses désordres mêmes la conduisent à l'harmonie, et si Dieu nous a comptés au nombre de ceux qui voient les premiers où doit aller ce peuple errant à travers les solitudes, mettonsnous à la tête de ce grand et laborieux mouvement au lieu de nous isoler et de mourir. — Frère, merci pour toi, dit le poète, et merci pour celui qui t'inspire ! désormais je ne me retirerai plus du champ de bataille pour mourir seul, quand je pourrais combattre encore ; je me croirais un lâche et un déserteur. Si je tombe les armes à la main au premier ou au second rang de la milice humanitaire, je mour31

rai plein de courage et en bénissant Dieu, et mon âme ne se présentera pas seule devant le juge suprême. Depuis ce jour, le philosophe et le poète s'unirent d'une sainte amitié, et ils ne dédaignèrent pas quelquefois les plus humbles travaux pour soutenir leur vie. Ils traversaient ainsi tontes les classes de la société et trouvaient partout des coeurs malades qui attendaient le baume d'une parole de sagesse et d'amour. Partout ils sentirent qu'ils pouvaient encore faire du bien, et les douleurs de la vie leur paru— rent légères ; car ils les supportaient avec courage, pour inspirer du courage à ceux qui souffraient Comme eux, et le dévouement leur donnait une force nouvelle.

IV LE NOUVEAU NICODÈME.

Il y avait en- ce temps—là un prêtre qui aimait la vérité, et qui cherchait le bien dans toute la sincérité clé son coeur.

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Or, une nuit qu'il veillait et qu'il priait, le Christ vint s'asseoir auprès de lui et le regarda avec bonté. — Maitre, est-ce vous, enfin? dit le pasteur. Il y a longtemps que je vous cherche, et c'est vous qui venez à moi pendant la nuit! Jésus lui répondit : Nicodème est venu me voir pendant la nuit, parce qu'il avait peur des Juifs : je sais que ton existence dépend de la non. velle synagogue, et je n'ai pas voulu te compromettre. Car les scribes et les pharisiens, et les faux docteurs de la loi me persécutent encore et persécutent ceux qui me reçoivent. Seigneur, dit le prêtre avec tristesse, les glorieuses années dont se composent les beaux siècles de l'Eglise ont donc été infécondes pour l'avenir? la vérité échappe donc toujours aux ardentes aspirations de l'homme? les saints et les martyrs se sont donc trompes, puisque dix-huit siècles de combats et d'étude n'ont abouti qu'à faire encore vos ennemis de ceux qui devaient âtre vos ministres I Jésus lui dit: Ils ne sont pas tous mes ennemis, et mon Père compte encore parmi eux des âmes généreuses et des cœurs purs. -

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J'irai à eux comme je suis venu à toi, pour leur rappeler les signes des temps et pour ouvrir leurs yeux afin qu'ils voient. Je viens t'expliquer en secret encore ce que j'enseignais en secret à ce docteur.de l'ancienne loi, qui était aussi un homme de désir. Je lui disais que l'entrée du royaume de Dieu était une naissance nouvelle. La vie du monde est une génération sans cesse renouvelée, et il faut que les germes de l'année qui meurt soient déposés dans la terre pour préparer les richesses de l'année qui naîtra. Mais on ne doit pas mettre le vin nouveau dans les anciens vases. La vigne de mon Père n'est jamais stérile, et d'année en année elle renouvelle ses fruits, mais il appelle des vignerons à différentes heures du jour. C'est pourquoi j'appelais les docteurs fidèles de l'ancienne loi à une naissance nouvelle, car leur 'vieille mère, la synagogue judaïque, était mour ante, et pour naître il fallait sortir de son sein. Et ceux qui ont cru ont laissé le cadavre de la synagogue en restant unis à son ame, et ils ont été les premiers enfants de l'Église universelle.

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Mais l'Église universelle, c'étai• un ciel nouveau et une terre nouvelle; et pour renouveler toutes choses il fallait combattre d'abord contre toutes les puissances de la tette et du ciel. C'est pourquoi les premiers chrétiens construisirent une arche pour lutter contre le déchatnement des vents et le soulèvement des eaux. Cette arche fut l'Église hiérarchique, la sainte Église catholique, la gardienne du symbole de l'unité. Tant que l'arche est portée par les eaux, elle marche sous le souffle de Dieu,' et c'est •dans son sein que toute âme vivante cherche un refuge : mais dès qu'elle s'arrête , la famille nouvelle doit en sortir pour repeupler le monde, et c'est là cette nouvelle naissance dont je t'ai parlé. Le prêtre lui dit : — Seigneur, dois-je sortir de l'Église catholique? Mais à quelle autre Église pourrai-je me réunir? — Je ne te dis pas de sortir de l'Église catholique, reprit Jésus, mais je t'invite à y entrer. Je te dis de te détacher des ombres pour commencer à vivre dans la lumière. Je te dis de sortir de l'école pour entrer dans' la société et y appliquer la science que tu as dû acquérir !

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Je n'étais pas. Wall- détruire la loi ancienne, mais lui donner sou acconiplissement. et ye vices maiutenant pour accomplir la loi nouvelle. N'ai-je pas dit : Croyez d'abord et vous com.prendrez ensuite, et vous connaGitrer la vérité, et la vérité vous rendra libres 'I N'ai-je pas dit que mon second avénement serait comme l'éclair qui frappe les yeux de tous et qui brille à la fois sin. le monde entier? N'ai-je pas annoncé que l'esprit d'intelligence vlendrait et qu'il suggérerait à /Ses disciples le œmplement de mes paroles.? e les emboles Ise disent-ils pasque l'esprit d'intelligence est l'esprit d'amour qui doit opéJer une création 11001ittlill et qui rajeunira la face de la terre? Or, l'esprit d'amour n'est-il pas l'esprit d'ordre. et d'harmonie qui doit associer tous les hommes et le faire communier tous à l'unité divine et humaine? Sertes donc de tous les liens qui eineelaent les frères de marcher vers leurs frères, renversez les barrières qui séparepti élargissez les demeures qui isole, échoppez aux doctrines qui. réprouvent les uns et choisissent les autres, sortez de la synagogue aveuglée, entrez dans oath0/4-

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que , qui n'est plus maintenant un con.venticule de prêtres et de docteurs, mais l'association universelle de tousles hommes d'intelligence et d'amour. — Seigneur, dit le prêtre, je ferai tout ce que vous me direz, Où irai-je d'abord et comment commencerai-je? Restez oh vous êtes, dit ]Mus, et faites Ce que vous avez à. faire. Instruisez les enfants , catéchisez les pauvres, visitez les malades et priez pour le peuple. Que rien ne soit changé dans vos oeuvres, mais qu'un amour universel les vivifie et les féconde ! Prêchez la miséricorde et la paix, prêchez la modestie et le pardon des injures, prêchez les saintes aspirations vers Dieu et l'union entre les frères ! Que la charité soit la loi de votre âme, et vous n'imposerez pas à la conscience des autres de contraintes désespérantes 1 Soyez doux et humble de coeur comme mes premiers disciples, lorsque vous parlerez aux femmes, aux enfants et au pauvre peuple; mais soyez inflexible comme mes martyrs, lorsqu'on voudra vous corrompre ou vous intimider !

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Ce que je te dis, je le dis pour tous ceux qui, comme toi, croiront à. l'esprit d'intelligence et d'amour, et c'est pourquoi j'adresse la parole à plusieurs. Ne confondez pas l'esprit d'abstinence avec l'esprit de mort, car je n'ai ordonné à mes disciples de s'abstenir pour un temps des richesses de leur père, que pour leur apprendre à en user dignement. Je te dis en vérité que je ne suis pas venu pour tuer la chair, mais pour la sauver en la soumettant à l'esprit. Car il ne doit pas y avoir de division entre l'esprit et la chair de l'homme ; Dieu les a également créés et bénis. L'esprit est le roi de la chair; un roi ne doit pas régner pour détruire. Les organes et les sens sont les sujets de l'intelligence. Un roi doit empêcher ses sujets de mal faire; mais il doit aussi pourvoir à leur prospérité et à leur bonheur. L'attrait n'est-il donc pas la loi générale des êtres, et l'équilibre n'est -il pas l'harmonie des attractions?

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Que l'esprit donc ne brise pas la chair, et que la chair n'éteigne pas l'esprit. Car l'un ou l'autre de ces excès serait la mort Or, je ne suis pas venu donner la mort à ceux qui vivaient, je suis venu pair rendre la santé à ceux qui étaient malades et la vie à ceux qui étaient morts Ayant dit toutes ces choses, Jésus disparut aux regards du bon prêtre et le laissa plein d'espérance et de courage; car il voyait la force de Dieu relever d'âge en âge les défaillances des hommes, et il comprenait comment la religion marche toute jours à. travers les siècles en grandissant et en triomphant toujours.

V LE TOMBEAU DE SAINT JEAN.

En ce temps—là, Jésus parcourut avec la rapidité de l'esprit toutes les contrées de la terre. Toutes étaient tristes et attendaient. Et pariout le Christ était seul encore, comme au jardin des Oliviers.

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Il maremme un pauvre pèlerin dans la basilique de Saint Pierre oie personne ne le reconnut, il s'approcha du tombeau des lettres, pour voir ai leurs reliques étaient astres pour la résurrection; mais les cendres des saints étaient froides et ils continuèrent à dormir leur sommeiL Or, il est un de ces apôtres qui, selon la tradition, n'a jamais dû. mourir: celui quo la peinture symbolique nous représente toujours jeune, et qui a un aigle pour entlilème, c'est celui qu'on appelle l'Apetre de la claarité et le disciple de l'amour. C'est celui-là, disaient les légendes des premiers siècles, qui doit se réveiller à la fin des temps, pour sauver le monde, en y rallumant le feu sacré de la charité fraternelle. Et, en effet, disent les mêmes légendes, ses restes n'ont pas été retrouvés : les fidèles d'Éphèse ont cru l'ensevelir et le garder parmi eux, mais les anges sont venus et• ont caché l'apôtre endormi dans les solitudes de Pathmos. -

Jésus donc se transporta dam l'ile de Pagunos, qui semble épouvantée encore du bruit des sept tonnerres; et il s'approcha de 14 grotte où dormait son disciple fidèle.

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à'eattée da tombeau, une ferme céleste était assise immobile ; c'était comme Ude femme COUvertes d'un long manteau azuré gei lai sonnait la tête et l'enveloppait tout entière eu; retembasst autour d'elle en larges plis. Ses mains pâles et un pets allongées étaient joutes avec ferveur, et ses yeux pleins d'une tristesse résignée et d'une espérance infinie étaient fixés sur le tombeau.

Jésus eakberocba d'elle et lui dit ; — Ma mère, est-ce vous? Vous saviez sans doute que je devais ve.uir ici ? h le savais, mon fils, répondit Marie; car celui qui repose ici , vous l'avez tendrement aimé; et lorsque vous alliez mourir, vous m'avez contée à lui en lui disant ; « Voici ta —

Maintenant, pour que je puisse revenir sur la terre en la, personne des femmes COMpreedront ce que c'est que d'ètre mère, il faut que le disciple de l'amour revive pour me protéger. Car je dois, 6 mon fils„ en la personne de toutes les femmes d:intelligence et d'amour, vous mettre an ssonda une *monda fois. —

Ata »dere, ropcit Jésus,. souvenez-votas de- ce

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que l'ange dit aux femmes qui me cherchaient dans un sépulcre : « Pourquoi cherchez-vous un vivant parmi les morts? il est ressuscité, il n'est plus ici. » — Vous savez que le prophète Élie, selon les traditions des Juifs, devait revenir sur la terre pour me préparer les voies. La forme d'Élie s'était transfigurée et son esprit est revenu en la personne de Jean-Baptiste. Ainsi, je vous dis en vérité que vous vivez maintenant sur la terre en la personne de toutes les femmes qui sentent tressaillir dans leur sein l'espérance de l'avenir. C'est pourquoi ; ô ma mère, vous apparaissez aujourd'hui pour la dernière fois sous votre figure symbolique. Jean, mon disciple bien-aimé, a légué son esprit à tous les hommes pleins de foi et d'amour qui veulent bâtir la nouvelle Jérusalem, la cité sainte de l'harmonie, et je vous dis en vérité que ceux-là savent honorer leur mère, et qu'ils sont dignes d'être appelés les fils de la femme. Car ils soumettent leur cœur aux inspirations de votre coeur, eux qui veulent partager le travail à tous les enfants de la grande famille selon les attraits et les aptitudes de chacun, afin que tous

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composent ensemble le miel de la ruche humaine qui servira ensuite à la nourriture de tous. Ils savent ce que c'est que la femme, ceux qui veulent affranchir son amour de toute servitude, afin qu'il ne se prostitue jamais et que la source des générations soit pure. Levez-vous donc et venez, ô ma mère; venez sur le Calvaire, assister à mon dernier triomphe symbolique, puis nous revivrons dans l'humanité tout entière. Toutes les femmes seront vous, et tous les hommes seront moi, et nous deux nous-ne ferons qu'un. Et le Christ, soulevant sa mère et la portant dans ses bras comme elle l'avait porté tant de fois lorsqu'il était petit enfant, quitta l'île de Pathmos, et marchant sur les flots de la mer, il s'en alla vers les rivages de la Palestine. En ce moment le soleil se levait et faisait resplendir toute la surface des eaux, et les deux formes célestes glissaient sans jeter d'ombre et sans laisser de traces, comme un couple d'oiseaux merveilleux, ou comme une nuée légère, teinte des couleurs de l'aurore, et nuancée des reflets de l'arc-en-ciel.

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VI 1,745 »[WIe MI IOUVMRY»,

Jésus traversa les champs désolés de la Judée et s'arrêta sur la cime aride de l'ancien Calvaire. Là un ange au sourcil noir et à l'oeil sombre était assis, enveloppé dans ses deux vastes ailes. C'était Satan, le roi du vieux inonde. L'ange rebelle était triste et fatigué, et il détournait ses regards avec dégoût d'une terre où le mal était sans génie et où l'ennui d'une corruption timide avait succédé aux combats titisniens des grandes passions antiques. fi sentait qu'en éprouvant les hommes il avait instruit les forts et n'avait trompé que les faibles; aussi ne daignait-il pins tenter personne, et sombre sous son diadème d'or, il écoutait -sapement tomber les âmes dans l'éternité, comme les gouttes monotones d'une pluie éternelle. Poussé par une force qui lui était inconnue, il était venu s'asseoir sur le Calvaire, et rêvant à la mort de l'Homme-Dieu, il en était jaloux.

C'était un ange puissant et beau; mais il était jaloux du Christ, et cette jalousie était figurée par un serpent qui plongeait la têts dans sa poitrine et lui rongeait le coeur. Jésus et Marie étaient debout près de lui et le regardaient en silence mentie grande pitié. Satan regarda à son tour le Rédempteur et sourit avec amertume. — Viens-tu, lui dit-il, essayer de mourir une seconde fois pour un monde que n'a pu sauver ton premier supplice ? As-tu essayé inutilement de changer les pierres en pain pour nourrir ton peuple, et Miens tu m'avouer ta défaite ? Es-tu tombé du haut du Temple, et ta divinité s'est-elle brisée dans sa chute ? Viens-tu pour m'adorer, afin de posséder le monde? Va, il est maintenant trop tard, et je ne saurais te tromper. L'empire du monde a échappé •ceux qui m'adoraient en ton nom ; et moi.naème je suis las d'un règne sans gloire. Si tu es découragé comme moi, assieds-toi près de moi, et ne pensons plus ni à Dieu ni aux hommes. Je ne viens pas m'asseoir près de toi, lui dit le Chris4 je viens te relever, te pardonner

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et te consoler, pour que tu cesses d'être méchant. — de ne veux pas de ton pardon, répondit le mauvais ange, et ce n'est pas moi qui suis méchant. Le méchant, c'est celui qui donne aux esprits la soif de l'intelligence, et qui enveloppe la vérité dans un impénétrable mystère. C'est celui qui laisse entrevoir à leur amour une vierge idéale, une beauté enivrante à les jeter dans le délire, et qui la leur donne pour l'arracher aussitôt à leurs premiers embrassements et la charger de chatnes éternelles. C'est celui enfin qui a donné la liberté aux anges, et qui a préparé des supplices infinis pour ceux qui ne voudraient pas être ses esclaves ! Le méchant, c'est celui qui a tué son fils innocent sous prétexte de venger sur lui le crime des coupables, et qui n'a pas pardonné aux coupables, mais leur a fait un crime de plus de la mort de son fils ! — 'Pourquoi me rappeler si amèrement l'ignorance et les erreurs des hommes ? reprit Jésus : je sais mieux que toi combien ils ont défiguré l'image de Dieu, et tu sais bien toi-même que

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Dieu ne reesemble pas à l'image qu'ils eti oie faite. Dieu ne t'a donné soif d'intelligence que pour t'abreuver à jamais de la vérité éternelle. Mais pourquoi fermer les yeux et chercher le jour en toi-même au lieu de regarder le soleil? Si tu cherchais la lumière où elle est, tu la verrais; car il n'y a en Dieu ni ombres ni mystères; les ombres sont en toi et les mystères sont les faiblesses de ton esprit. Dieu n'a pas donné la liberté à ses créatures pour la reprendre, mais il la leur donne pour épouse et non pour amante illégitime; il veut qu'on la possède et non qu'on lui fasse violence, car cette chaste fille du ciel ne survit pas à un outrage, et quand sa dignité virginale est blessée, la liberté est morte pour celui qui l'a méconnue. Dieu ne veut pas d'esclaves : c'est l'orgueil révolté qui a créé la servitude. La loi de Dieu, c'est le droit royal de ses créatures; ce sont les titres de leur liberté éternelle. Dieu n'a pas tué son fils, mais le fils de Dieu a donné volontairement sa vie pour tuer la mort : et c'est pour cela qu'il vit maintenant dans l'humanité tout entière et qu'il sauvera toutes les gé32

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nérations, car d'épreuve en épreuve il conduit la famille humaine dans la terre promise, et déjà elle en a goûté les premiers fruits. Je viens donc t'annoncer, ô Satan, que ta dernière heure est arrivée, à moins que tu ne veuilles être libre et régner avec moi sur le monde, par l'intelligence et l'amour. Mais tu ne t'appelleras plus Satan, tu reprendras le nom glorieux de Lucifer, et je mettrai une étoile sur ton front et un flambeau dans ta main. Tu seras le génie du travail et de l'industrie, parce que tu as beaucoup lutté, beaucoup souffert et douloureusement pensé ! Tu étendras tes ailes d'un pôle à l'autre et tu planeras sur le monde; la gloire se réveillera à ta voix. Au lieu d'être l'orgueil de l'isolement, tu seras l'orgueil sublime du dévouement , et je te donnerai le sceptre de la terre et la clef du ciel. • — Je ne te comprends pas, dit le démon en secouant tristement la tête, et je ne saurais te comprendre : tu sais bien que je ne puis plus aimer I Et avec un geste douloureux l'ange déchu montrait au Christ la plaie qui lui sillonnait la poitrine et le serpent qui lui rongeait le coeur.

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Jésus se tourna vers sa mère et la regarda : Marie comprit le regard de son fils, elle s'approcha du malheureux ange et ne dédaigna pas d'étendre la main vers lui et de toucher sa poitrine blessée. Alors le serpent tomba de lui-même et expira aux pieds de Marie, qui lui écrasa la tête; la plaie du coeur de l'ange fut cicatrisée, et une larme, la première qu'il eût versée, descendit lentement sur le visage repentant de Lucifer. Cette larme était précieuse comme le sang d'un Dieu; et par elle furent rachetés tous les blasphèmes de l'enfer. L'ange régénéré se prosterna sur le Calvaire et baisa en pleurant la place où s'était jadis enfoncée la croix. Puis il se releva triomphant d'espérance et rayonnant d'amour, et se jeta dans les bras du Christ. Alors le Calvaire trembla; sa cime aride se revêtit tout à coup d'une verdure fraiche et brillante, et se couronna de fleurs. Et à l'endroit où fut la croix une jeune vigne s'éleva et se chargea de fruits mûrs et parfumés. Le Sauveur dit alors : — Voici la vigne qui donnera le vin de la communion universelle, et

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elle croîtra jusqu'à ce que tous ses rameaux embrassent toute la terre. Puis, reprenant sa mère par la main , il tendit l'autre main à l'ange de la liberté et lui dit : — Que nos formes symboliques retournent maintenant au ciel, je ne reviendrai plus souffrir la mort sur cette montagne, Marie n'y pleurera plus son fils et Lucifer n'y tratnera plus les remords de son crime maintenant effacé. Nous ne sommes plus qu'un mème esprit: l'esprit d'intelligence et d'amour, , l'esprit de liberté et de courage, l'esprit de vie qui a triomphé de la mort. Tous trois alors prirent leur vol à travers l'espace ; et s'élevant à une prodigieuse hauteur, ils virent la terre et tous ses royaumes qui étendaient leurs chemins les uns vers les autres comme des bras entrelacés , ils virent les campagnes vertes déjà des premières moissons fraternelles, et de l'Orient à l'Occident ils entendirent le prélude mystérieux du cantique de l'union. Et vers le nord, sur la crête d'une montagne bleuâtre, ils virent se dessiner la forme gigantesque d'un homme qui élevait ses bras vers Sur ses bras on voyait encore la trace récente

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des chatnes qu'il venait de rompre, et sa poitrine était cicatrisée comme celle de Lucifer. Sous son pied droit, sur la pointe la plus aiguë de la montagne, palpitait encore le cadavre d'un vautour dont la tête et les ailes étaient pendantes. Cette montagne, c'était le Caucase; et le géant délivré qui étendait ses mains était l'antique Prométhée. Ainsi les grands symboles divins et humains se rencontraient et se saluaient sous un même ciel; puis ils disparurent pour faire place à Dieu même qui venait habiter pour toujours avec les hommes,

VII LÀ DERNIÈRE VISION.

Au-dessus des formes matérielles et de l'atmosphère terrestre, il est une région où les âmes -s'élancent affranchies de leurs chaInes. C'est là que les arômes éthérés, obéissant à.la pensée, la revêtent successivement de toutes les splendeurs de la forme idéale et peuplent de

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merveilleuses beautés le monde spirituel de la poésie et des visions. C'est dans cette région que nous emportent les plus beaux rêves pendant notre sommeil, et c'est là que, pendant leurs veilles laborieuses, l'inspiration élevait le génie des grands poètes à qui le sentiment de l'harmonie a fait pressentir dans tous les temps les grandes destinées humaines. C'est là que vivent les images et que règnent les analogies. Car la poésie est dans les images ; et l'harmonie des images est essentiellement analogique. C'est dans cette région idéale qu'Eschyle voyait souffrir Prométhée, et que Moïse écoutait parler Jéhova. C'est là que le plus grand poète de l'Orient, l'aigle de Pathmos, le chantre de l'Apocalypse, voyait l'Église chrétienne sous la forme d'une femme en travail qui enfantait péniblement l'homme de l'avenir. C'est dans ce monde merveilleux de la poésie et des visions que Dieu lui apparut voilé de lumière et tenant à la main l'Évangile éternel qui s'ouvrait lentement, tandis que les fléaui travail- laient le monde et que les anges exterminateurs

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défrichaient la terre pour faire place à la cité de l'unité sainte et de l'harmonie, la nouvelle Jérusalem qui descendait du ciel toute bâtie, parce que l'idée de l'harmonie existe en Dieu et se réalisera d'elle-même sur la terre quand les hommes la comprendront. La figure glorieuse du Christ, après avoir parcouru la terre, remonta dans cette région éthérée, et là, le Rédempteur fit voir à l'ange autrefois rebelle et désormais régénéré la grande assemblée des martyrs. Là, se trouvaient toutes les victimes du despotisme humain, tous ceux qui avaient mieux aimé mourir que de mentir à leur conscience ; • Les victimes d'Antiochus, les martyrs de l'an- • cienne Rome et les suppliciés de la Rome nouvelle. Les uns pour des croyances légitimes, d'autres pour des illusions et des rêves, ils avaient courageusement affronté la tyrannie des hommes, et tous étaient purs devant Dieu, car ils avaient souffert pour conserver le plus noble et le plus beau de ses dons : la liberté ! Longtemps leurs âmes vêtues de robes blanches tachées de sang avaient gémi sous l'autel et avaient

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demandé justice : mais enfin, le jour était vertu et tous ensemble, tenant des palmes à la main, ils s'avançaient au devant du Rédempteur. • Le Christ parut au milieu d'eux, entre sa mère et l'ange du repentir et leur demanda quelle vengeance ils voulaient tirer de leurs persécuteurs. — Seigneur, que leurs âmes nous soient données, afin que nous disposions d'eux pour l'éternité, comme ils ont disposé de nous dans le temps. Le Christ, alors, leur remit les clefs du ciel et de l'enfer et leur dit : — Les âmes de vos persécuteurs sont à vous. Alors un cri de joie et de triomphe retentit des hauteurs du ciel jusque dans les profondeurs de l'abîme, les âmes des martyrs ouvrent les portes de l'enfer et tendent la main à leurs bourreaux. Chaque réprouvé trouve un élu pour protecteur : le ciel agrandit son enceinte et la viergemère pleure de joie en voyant se presser autour d'elle tant d'enfants qu'elle croyait perdus à jamais. Tandis que le ciel souriait tout entier à ce magnifique spectacle, on voyait sur la terre se lever



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un nouveau soleil et la nuit replier ses voiles vers l'Occident. Les nuages sombres du passé s'enfuyaient chargés de fantômes, c'étaient les ombres des grandes monarchies éteintes et des vieux cultes évanouis. Entre la nuit et l'aurore naissante le crépuscule blanchissait la tête d'un vieillard qui était assis le visage tourné vers l'Orient. C'était le voyageur des siècles chrétiens, le maudit de la civilisation barbare, le type des parias, le vieil Ahasvérus qui se reposait. Le peuple avait enfin une patrie, et le juif errant avait obtenu son pardon. La terre était devenue le temple de Dieu. L'as— sociation universelle avait réalisé la charité chré— tienne. Tous vivaient et travaillaient pour chacun et chacun pour tous. Chacun jouissait en paix du fruit de ses oeuvres, et aucun des enfants de Dieu ne périssait de faim près de la table de son père, car le travail équitablement réparti facilitait la vie à tous. L'association avait centuplé les richesses de la terre, et l'union de tous les intérêts avait donné aux travaux de l'homme une direction si divine et une force si merveilleuse, que les saisons elles-

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mêmes avaient changé, et qu'il y avait, selon la promesse de l'apôtre, un ciel nouveau et une terre nouvelle, et Jésus dit à l'ange de la liberté et du génie : — Voilà l'oeuvre que tu dois accomplir. Voilà la cité nouvelle de l'intelligence et de l'amour. La terre est prête, elle tressaille d'espérance. Les hommes la voient maintenant comme la vit autrefois le prophète, couverte de cendres et d'os. sements ; mais une vie nouvelle fermente déjà dans cette cendre, et un frémissement divin parcourt ces ossements desséchés. Bientôt ils se lèveront à l'appel du nouvel esprit, et un peuple nouveau couvrira les campagnes de la terre. L'humanité alors sortira d'un long sommeil, et il lui semblera qu'elle voit le jour pour la première fois ! Ayant dit ces paroles, le Christ se prosterna devant le trône de son père, en disant : — Seigneur, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ! Et la Vierge, qui est le type de la femme régénérée, et l'ange de la liberté devenu le génie de l'ordre et de l'harmonie, et tous les martyrs consolés, et tous les réprouvés pénitents et délivrés

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de leurs peines, répondirent tous ensemble la parole mystérieuse qui unit la volonté des créatures à celle du Créateur, et toutes les forces hu— maines à la puissance divine : Amen !

FIN.

LE

GRAND ARCANE ou

OCCULTIS E M

DÉ VOILÉ

ÉLIPHAS LÉVI

PARIS CIIAMUEL, ÉDITEUR 5, rue de Savoie, 5 1898

INTRODUCTION

Cet ouvrage est le testament de l'auteur; c'est le • plus important et le dernier de ses livres sur la science occulte. Il est divisé en trois livres: LIVRE PREMIER Le mystère hiératique ou les documents traditionnels de la haute initiation. LIVRE SECOND Le mystère royal ou l'art de se faire servir par les puissances. LIVRE• TROISIÈME Le mystère sacerdotal ou l'art de se faire servir par les esprits. Ce livre n'a besoin ni d'introduction ni de préface : les ouvrages précédents de l'auteur pouvant

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LE GRAND ARCANE

lui servir amplement de préface et d'introduction. Ici est le dernier mot de l'occultisme et il est écrit aussi clairement qu'il nous a été possible de le faire. Ce livre peut et doit-il être publié ? Nous l'ignorions en l'écrivant ; mais nous avons cru devoir et pouvoir l'écrire. S'il existe encore de véritables initiés dans le monde, c'est pour eux que nous l'écrivons et c'est à eux seuls qu'il appartient de nous juger. ELIPHAS LÉVI. Septembre 1868

LIVRE SECOND Le mystère royal ou l'art de soumettre les puissances. CHAPITRE I LE MAGNÉTISME

Le magnétisme est une force analogue à celle de l'aimant ; il est réparti dans toute la nature. Ses caractères sont : l'attraction, la répulsion et la polarisation équilibrée. La science constate les phénomènes de l'aimant astral et de l'aimant minéral. L'aimant animal se manifeste tous les jours par des faits que la science observe avec défiance, mais qu'elle ne peut déjà plus nier, bien qu'elle attende avec raison pour les admettre qu'on

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I4E GRAND ARCANE

en puisse terminer l'analyse pie une synthèse incontestable. On sait que l'aimantation produite par le magnétisme animal détermine un sommeil extraordinaire pondant lequel l'âme du magnétisé tenue sous la dépendance du magnétiseur avec cette particularité que la personne endormie semble laisser oisive sa vie propre et particulière pour manifester uniquement les phénomènes de la vie universelle. Elle reflète la pensée des autres, voit autrement que par les yeux, se rend présente partout sans avoir conscience de l'espace, perçoit les formes bien mieux que les couleurs, supprime ou confond les périodes du temps, parle de l'avenir comme s'il était passé et du passé comme s'il était à venir, explique au magnétiseur ses propres pensées et jusqu'aux reproches secrets de la conscience, évoque dans son souvenir les personnes auxquelles il pense et les décrit de la manière la plus exacte sans que le somnambule ou la somnambule les ait jamais vues, parle le langage de la science avec le savant et celui de l'imagination avec le

L E

M A G N É T I S M E

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poète, découvre les maladies et en devine les remèdes, donne souvent de sages conseils, souffre avec celui qui souffre et pousse parfois d'avance un cri douloureux en vous annonçant des tourments qui doivent venir. Ces faits étranges niais incontestables nous entraînent nécessairement à conclure qu'il existe une vie commune pour toutes les Amos, ou du moins une sorte de réflecteur commun de toutes les imaginations et do toutes les mémoires où nous pouvons nous voir les uns • les autres, comme il arrive dans une foule qui passe (lovant un miroir. Ce réflecteur c'est la lumière odique du chevalier de Reichembach, c'est notre lumière astrale, c'est le grand agent de la vie nommé od, d et aorte- par les Hébreux. Le magnétisme dirigé par la volonté de l'opérateur c'est Od, le somnambulisme passif c'est Ob: Les Pythonisses de l'antiquité étaient des somnambules ivres de lumière astrale passive. Cette lumière, dans nos livres ' sacrés, est appelée esprit de Python parce que dans la mythologie grecque le serpent Python en est l'image allégorique.

IO LE GRAND

Aacasn Elle est représentée aussi dans sa double action par le serpent du caducée; le serpent de droite est Od, celui do gauche est Ob, et au milieu, au sommet de la verge hermétique, brille le globe d'or qui représente Aour ou la lumière équilibrée. Od représente la vie librement dirigée, Ob représente la vie fatale. C'est pour cela que le législateur hébreu dit : Malheur à ceux qui devinent par Ob, car ils évoquent la fatalité, ce qui est un attentat contre la providence de Dieu et contre la liberté de l'homme. Il y a certes une grande différence entre le serpent Python, qui se traînait dans la fange du déluge et que le soleil perça de ses flèches ; il y a, disons-nous, une grande différence entre ce serpent et celui qui s'enroule autour du bâton d'Esculape, de même que le serpent ten-. tateur de rEden diffère du serpent d'airain qui guérissait les malades dans le désert. Ces deux serpents opposés figurent en effet les forces contraires qu'on peut associer, mais qui ne doivent jamais se confondre. Le sceptre d'Hermès, en les séparant, les concilie et en"

LE lilAGNÊTISME

quelque sorte les réunit; et c'est ainsi qu'aux yeux pénétrants de la science, l'harmonie résulte de l'analogie des contraires. Nécessité et Liberté, telles sont les deux grandes lois de la vie; et ces deux lois n'en font qu'une, car elles sont indispensables l'une à l'autre. La nécessité sans liberté serait fatale comme . la liberté privée de son f; Sin nécessaire de. viendrait insensée. Le droit sans devoir, c'est la folie. Le devoir sans droit, c'est la servitude. Tout le secret du magnétisme consiste en ceci : gouverner la fatalité de l'ob par l'intelligence et la puissance de l'od afin de créer l'équilibre parfait d'aour. Lorsqu'un magnétiseur, mal équilibré et soumis à la fatalité par des passions qui le maîtrisent, veut imposer son activité à la lumière fatale, il ressemble à un homme qui aurait les yeux bandés et qui, monté sur un cheval aveu' gle, le stimulerait à grands coups d'éperons •au milieu d'une forêt pleine d'anfractuosités et de précipices. Les devins, les tireurs de cartes, les som-

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LE MU» ARCANE

narnbules sont tous des hallucinés qui devinent par ab. Le verre d'eau de l'hydromancie, les cartes d'Etteila , les lignes de la main, etc. , produisent chez le voyant une sorte d'hypnotisme. H voit alors le consultant dans les reflets de ses désirs insensés ou de ses imaginations cupides, et comme il est lui-mime un esprit sans élévation et sans noblesse de volonté, il devine les folies et eu suggère do plus grandes encore, ce qui est pour lui du reste une condition du s u c c è s . Un cartornancior qui conseillerait l'honnêteté et les bonnes mœurs perdrait bientôt sa clientèle de femmes entretenues et de vieilles filles hystériques. Les deux lumières magnétiques pourraient s'appeler l'une la lumière vive et l'autre la lumière morte, l'une le fluide astral et l'autre le phosphore spectral, l'une le flambeau du verbe et l'autre la fumée du rêve. Pour magnétiser sans danger il faut avoir en soi la lumière de vie, c'est-à-dire qu'il faut être un sage et un juste.

I.F. MAO N ÉTI SM E

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L'homme esclave des passions no magnétise pas, il fascine ; mais le rayonnement de sa fascination aggrandit autour de lui le cercle de son vertige; il multiplie ses charmes et affaiblit de plus en plus sa volonté. Il ressemble à une araignée qui s'épuise et qui reste enfin prise dans ses propres réseaux. Les hommes jusqu'à présent n'ont pas en. core connu l'empire suprême do la raison, ils • la confondent avec le raisonnemeni particulier . et presque toujours erroné de chacun. Cependant M. (le la Palice lui-même, leur dirait que celui qui se trompe n'a pas raison, la raison étant précisément le contraire de nos erreurs. Les individus et les masses que la raison ne gouverne pas sont esclaves de la fatalité, c'est elle qui fait l'opinion et l'opinion est reine du monde. • Les hommes veulent être dominés, étourdis, entraînés. Les grandes passions leur semblent plus belles que des vertus, et ceux qu'ils appellent de grands hommes sont souvent de grands insensés. Le cynisme de Diogène leur plaît comme le charlatanisme d'Empédoclès.

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LE GRAND ARCANE

Ils n'admireraient rien tant qu'Ajax et que Capanée, si Polyeucte n'était pas encore plus furieux. Pyrame et Thisbé qui se tuent sont les modèles des amants. L'auteur d'un paradoxe est toujours sûr de faire un nom. Et ils ont beau par dépit et par envie condamner à l'oubli le nom d'Erostate, ce nom est si beau de démence qu'il surnage sur leur colère et s'impose éternellement à leur souvenir Les fous sont donc magnétiseurs ou plutôt fascinateurs, et c'est ce qui rend la folie contagieuse. Faute de savoir mesurer ce qui est grand, on s'éprend do ce qui est étrange. Les enfants qui ne peuvent pas encore marcher veulent qu'on les prenne et qu'on les remue . Personne n'aime tant la turbulence que les impotents. C'est l'incapacité du plaisir qui fait les Tibère et les Messaline. Le gamin de Paris au paradis des boulevards voudrait être Cartouche, et rit de tout son coeur en voyant ridiculiser Télémaque. Tout le monde n'a pas le goût des ivresses opiacées ou alcooliques, mais presque tout le

Ln MAGNÉTISME

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monde voudrait enivrer son esprit et se plairait facilement à laisser délirer son coeur. Lorsque le Christianisme s'imposa au monde par la fascination du martyre, un grand écrivain de ce temps-là formula la pensée de tous en s'écriant : « Je crois parce que c'est absurde 1 » La folie de la Croix, comme Saint-Paul rappelait lui-même, était alors invinciblethent en' vahissante . On brûlait les livres des sages, et ' Saint-Paul préludait à Ephèse adx exploits d'Omar. On renversait des temples qui étaient les merveilles du monde et des idoles qui étaient les chefs-d'oeuvre des arts. On avait le goû t de la mort et l'on voulait dépouiller l'existence présente de tous ses ornements pour se détacher de la vie. Le dégoût des réalités accompagne toujours l'amour des rêves Quam sordet telles dum, cœlu4spicio I dit un célèbre mystique; littéraleMént : Que la terre devient sale quand je regarde le ciel 1 Eh quoi, ton oeil en s'égarant dans l'espace salit la terre ta nourrice ! Qu'estce donc que la terre si ce n'est un astre du ciel ? Est-ce parce qu'elle te porte qu'elle est

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LE GRAND ARCANE

sale ? Mais qu'on te transporte dans le soleil et tes dégoûts saliront bientôt le soleil! Le ciel serait-il plus propre s'il était vide? Et n'est-il pas admirable à contempler parce que dans le jour il illumine la terre, et parce que dans la nuit, il brille d'une multitude innombrable de terres et de soleils ! Quoi, la terre splendide, la terre aux océans immenses, la terre pleine d'arbres et de fleurs devient une ordure pour toi, parce que tu voudrais t'élancer dans le vide ? Crois-moi, ne cherche pas à te déplacer pour cela : le vide est dans ton esprit et dans ton coeur ! C'est l'amour des rêves qui mêle tant de douleurs aux rêves de l'amour. L'amour tel que nous le donne la nature est une délicieuse réalité, mais notre orgueil maladif voudrait quelque chose de mieux que la nature. De là vientlafolie hystérique des incompris. La pensée de. Charlotte, dans la tête de Werther, se transforme fatalement comme elle devait le faire, et prend la forme brutale d'une balle de pistolet. L'amour absurde a pour dénouement le suicide.

LE

MAGNÉTISME

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L'amour vrai, l'amour naturel, est le miracle du magnétisme. C'est l'entrelacement des deux serpents du caducée ; il semble se produire fatalement, mais il est produit par la raison suprême qui lui fait suivre les lois de la nature. La fable raconte que Tirésias ayant séparé dfiux serpents qui s'accouplaient, encourut la colère de Vénus et devint Androgyne ; ce qui annula chez lui la puissance sexuelle, puis la déesse irritée le frappa enc o r e et le rendit aveugle parce qu'il attribuait à la femme ce qui convient principalement à l'homme. Tirésias était un devin qui prophétisait par la lumièremorte. Aussi sesprédictions annonçaient-elles et. semblaient-elles toujours déterminer des malheurs. Cette allégorie contient et résume toute la philosophie du magnétisme que nous venons de révéler.

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CHAPITRE H

LE MAL

Le mal dans ce qu'il a de réalité est l'affirmation du désordre. Or en présence de l'ordre éternel, le désordre est essentiellement transitoire. En présence de l'ordre absolu qui est la volonté de Dieu, le désordre n'est que relatif. L'affirmation absolue du désordre et du mal est donc essentiellement le mensonge. L'affirmation absolue du mal, c'est la négation de Dieu, puisque Dieu est la raison suprême et absolue du bien. Le mal, dans l'ordre philosophique, c'est la. négation de la raison. Dans l'ordre social, c'est la négation du devoir. Dans l'ordre physique, c'est la résistance aux lois inviolables de la nature. La souffrance n'est pas un mal, c'est la cou-

LE LAI,

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séquence et presque toujours le remède du mal. Rien de ce qui est naturellement inévitable ne saurait être un mal. L'hiver, la nuit et la mort ne sont pas des maux. Ce sont des transitions naturelles d'un jour à un antre jour, d'un automne à un printemps, d'une vie à une autre vie. Proud'hon a dit : Dieu c'est le mal ; c'est comme si il avait dit : Dieu c'est le diable, car. le diable est pris généralement pour le génie du mal. Retournons la proposition, elle nous donnera cette formule paradoxale : Le diable c'est Dieu, ou en d'autres ternies : Le mal c'est Dieu. • Mais certes, en parlant ainsi, le roi des logiciens que nous citons ne voulait pas, sous le nom de Dieu, désigner la personnification hypothétique dti bien. Il songeait au dieu absurde que font les hommes et, en expliquant ainsi sa pensée, nous dirons qu'il avait raison, car le diable c'est la caricature de Dieu et ce que nous appelons le mal, c'est le bien mal défini et mal compris. .

On ne saurait aimer le mal pour le mal, le

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LE GRAND ARCANE

désordre pour le désordre. L'infraction des lois nous plaît mime qu'elle semble mus mettre au-dessus des lois. Les hommes ne sont pas faits pour la loi, mais la loi est faite pour les hommes, disait Jésus, parole audacieuse que les prétres de ce temps-là durent trouver subversive et impie, parole dont l'orgueil humain peut prodigieusement abuser. L'on nous dit que Dieu n'a que des droits et point de devoirs parce qu'il est le plus fort, et c'est cela qui est une parole impie. Nous f levons tout à Dieu, ose•t-on ajouter, et Dieu ne nous doit rien. C'est le contraire qui est vrai. Dieu, qui est infiniment plus grand que nous, contracte en nous mettant au monde une dette infinie. C'est lui qui a creusé le gouffre de la faiblesse humaine, ce doit être à lui de le combler. La lâcheté absurde de la tyrannie dans le vieux inonde nous a légué le fantôme d'un (lieu absurde et lâche, ce dieu qui fait un miracle éternel pour forcer l'être fini à être infini en souffrances. Supposons un instant que l'un de nous a pu créer une éphémère et qu'il lui a dit sans

LE NAL

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puisse l'entendre : iu créature, adoremoi ! La pauvre bestiole a voltigé sans penser à rien, elle est morte à la fin de sa journée et un nécromancien dit à l'homme qu'en versant sur elle une goutte de son sang il pourra ressusciter l'éphémère. L'lioimne se pique —j'en ferais autant à sa place ; — voilà l'éphémère ressuscitée. Que fera l'homme? — Ce qu'il fera, je vais vous le dire, s'écrie un fanatique croyant. Comme l'éphéntère dans sa première vie n'a pas eu l'es: prit ou la bêtise de l'adorer, il allumera un brasier épouvantable et y jettera l'éphémère en regrettant seulement de ne pouvoir pas lui conserver miraculeusement la vie au milieu des flammes afin quelle brûle éternellement ! Allons donc, dira tout le monde, il n'existe pas de fou furieux qui soit aussi lâche, aussi méchant que cela! —Je vous demande pardon, chrétiens vulgaires, l'homme en question ne saurait exister, j'en conviens; mais il existe, • dans votre imagination seulement, hâtonsnous de le dire, quelqu'un de plus cruel et de plus lâche. C'est votre Dieu, tel que vous

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LE 611 ‘IN D A au AN E

l'expliquez et c'est de celui-là que Proud'hou a eu mille fois raison de dire : Dieu c'est le Eu ce sens le mal serait l'affirmation mensongère d'un dieu mauvais et c'est ce dieu-là qui serait le diable ou son compère. Une religion pli apporterait pour baume aux plaies de l'humanité un pareil dogme, les empoisonnetait rat lieu de les guérir. H en résulterait l'abrutissement des esprits et la dépravation des consciences ; et la propagande faite au nom d'un pareil Dieu pourrait s'appeler le magnétisme du mal. Le résultat du mensonge c'est l'injustice, De l'injustice résulte l'iniquité qui produit l'anarchie dans les états, et dans les individus, le dérèglement et la mort. Un mensonge ne saurait exister s'il n'évoquait dans la lumière morte une sorte de vérité spectrale, et tous les menteurs de la vie se trompent eux-mêmes les premiers en prenant la nuit pour le jour. L'anarchiste se croit libre, le voleur se croit habile, le libertin croit qu'il s'amuse, le despote pense qu'op-

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primer c'est régner. Quo faudrait-il pour déintim le mal sur la terra ? Une chose bien simple en apparence : détromper les sots et les méchants. Mais ici toute bonne volonté se brise et toute puissance échoue ; les méchants et les sots no veulent pas être détrompés. Nt bus arrivons à cette perversité secrète qui semble être la racine du mal, le goût du désordre et l'attachement à l'erreur. Nous prétendons pour notre part que cette perversité.. n'existe pas du moins comme librement consentie et voulue. Elle n'est autre chose que l'empoisonnement do la volonté par la force délétère de l'erreur. L'air respirable se compose comme on sait d'hydrogène, d'oxygène et d'azote. L'oxygène et l'hydrogène correspondent à la lumière de vie et l'azote à la lumière morte. Un homme plongé dans l'azote ne saurait respirer ni vivre, de même un homme asphyxié par la lumière spectrale no peut plus faire acte de volonté libre. Ce n'est point dans l'atmosphère que s'accomplit le grand phénomène de la lumière, c'est dans les yeux organisés

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1.1E GRAND ARCANE

pour la voir. Un jour, un philosophe de l'école positiviste, M. Littré, si je ne me trompe, disait que l'immensité n'est qu'une nuit infinie ponctuée çà et là de quelques étoiles. — Cela est vrai, lui répondit quelqu'un, pour nos yeux qui ne sont pas organisés pour la perception d'une autre clarté que la lumière du soleil. Mais l'idée même de cette lumière ne nous apparaît-elle pas en rêve tandis qu'il fait nuit sur la terre et que nos yeux sont fermés ? Quel est le jour des âmes ? Comment voit-on par la pensée? La nuit de nos yeux existeraitelle pour des yeux autrement disposés? Et si nos yeux n'existaient pas, aurions-nous conscience do la nuit`? Pour les aveugles il n'existe ni étoiles, ni soleil ; et si nous mettons un bandeau sur nos yeux nous devenons aveugles volontaires. La perversité des sens comme celle des facultés de l'âme résulte d'un accident ou d'un premier attentat aux lois de la nature ; elle devient alors nécessaire et comme fatale. Que faire pour les aveugles ? — Les prendre par la main et, les conduire. — Mais s'ils ne veulent pas se laisser conduire ?

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- Il faut mettre des garde-fous. — Mais s'ils les renversent? — Alors ce ne sont plus seulement des aveugles, ce sont des aliénés dangereux et il faut bien les laisser périr si on ne peut pas les enfermer. Edgar Man Pe raconte la plaisante histoire d'une maison de fous où los malades avaient réussi à s'emparer des infirmiers et des gardiens et les avaient enfermés dans leurs propres cabanons après lès avoir accoutrés en bêtes sauvages. Les voilà triomphants dans les appartements de leur médecin ; ils boivent le vin de l'établissement et se félicitent réciproquement d'avoir fait de très belles cures. Pendant qu'ils sont à table, les prisonniers brisent leurs chaînes et viennent les surprendre à grands coups de bâton. Ils sont devenus furieux contre les pauvres fous et les justifient en quelque sorte par des mauvais traitements insensés. Voilà l'histoire des révolutions modernes. Les fous, triomphant par leur grand nombre, qui constitue ce qu'on nomme les majorités, emprisonnent les sages et les déguisent en

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LE CRAND ARCANE

bêtes fauves. Bientôt les prisons s'usent et se brisent, et les sages d'hier rendus fous par la souffrance s'échappent en hurlant et répandent la terreur. On voulait leur imposer un faux dieu, ils vocifèrent qu'il n'y a point de Dieu. Alors les indifférents devenus braves à force de pour se coalisent pour réprimer les fous furieux et inaugurent le règne des imbéciles. Nous avons déjà vu cela. Jusqu'à quel point les hommes sont-ils responsables de ces oscillations et de ces angoisses qui produisent tant de crimes, quel penseur oserait le dire? On exècre Marat et l'on canonise Pie V. Il est vrai que le terrible Ghisleri ne guillotinait pas ses adversaires, il les brûlait. Pie V était un homme austère et un catholique convaincu. Marat poussait le désintéressement jusqu'à la misère. Tous deux étaient des honnêtes gens, mais c'étaient des fous homicides sans être préci- • sément furieux. Or, quand une folie criminelle rencontre la complicité d'un peuple, elle devient presque

27 une raison terrible et quand la multitude, non désabusée, irais trompée d'une façon contraire, renie et abandonne sou héros, le vaincu devient à la fois un bouc émissaire et un martyr. La mort de Robespierre est aussi belle que celle de Louis XVI. J'admire sincèrement cet affreux inquisiteur qui, massacré par les Albigeois, écrit sur la • terre avec son sang, avant d'expirer : Credo • LE MAL

• in unum Deum! La guerre est-elle un mal? Oui sans doute, car elle est horrible. Mais est-ceun mal absolu ?— La guerre, c'est le travail générateur des nationalités et des civilisations. Qui est responsable de la guerre? Les hommes ? — Non, car ils en sont les victimes. Qui donc? — Oserait-on dire que c'est Dieu? Demanda z au comte Joseph de Maistre. Il vous dira pourquoi les sacerdoces ont toujours consacré le glaive et comment il y a quelque -

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chose de sacré dans l'office sanglant du ° bourreau. Le mal c'est l'ombre, c'est le repoussoir du bien. Allons jusqu'au bout et osons dire que c'est le bien négatif. Le mal

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LE GRAND ARCANE

c'est la résistance qui affermit l'effort du bien ; et c'est pour cela que Jésus-Christ no craignait pas de dire : Il faut qu'il y ait des scandales ! Il y a des monstres dans la nature comme il y a des fautes d'impression dans un beau livre. Qu'est-ce que cela prouve ? Que la nature comme la presse sont des instruments aveugles que l'intelligence dirige ; mais, me direz-vous, un bon prote corrige les épreuves. Oui certes, et dans la nature c'est à cela quo sert le progrès. Dieu, si l'on veut me passer cette comparaison, est le directeur de l'imprimerie et l'homme est le prote de Dieu. Les prêtres ont toujours crié que les fléaux sont causés par les péchés des hommes, et cela est vrai puisque la science est donnée aux hommes pour prévoir et prévenir. les fléaux. Si, comme on l'a prétendu, le choléra vient de la putréfaction des cadavres amoncelés à l'embouchure du Gange, si la famine vient des accaparements, si la peste est causée par la malpropreté, si la guerre est occasionnée si souvent par l'orgueil stupide des

LE MAL

rois et la turbulence des peuples, n'est-ce pas vraiment la méchanceté, ou plutôt la bêtise des hommes qui est cause des fléaux ? On dit que les idées sont dans l'air et l'on peut dire en vérité, que les vices y sont aussi. Toute corruption produit une putréfaction et toute putréfaction a sa puanteur spéciale. L'atmosphère qui environne les malades est morbide . et la peste morale a aussi son atmosphère bien autrement contagieuse. Un honnête coeur se trouve à l'aise dans la société des gens de * bien. Il est serré, il souffre, il étouffe au milieu des êtres vicieux.

CHAPITRE III

LA SOLIDARITÉ DANS LE MAL

Dans son livre du mouvement perpétuel des âmes, le Grand Rabbin Isaac de Loria dit qu'il faut employer avec une grande vigilance l'heure qui précède le sommeil. Pendant le sommeil en effet l'âme perd pour un temps sa vie individuelle pour se plonger dans la lumière universelle qui, comme nous l'avons dit, se manifeste par deux courants contraires. L'être qui s'endort s'abandonne ale( étreintes du serpent d'Esculape, du ser-'' pont vital et régénérateur, ou se laisse lier par les noeuds empoisonnés du hideux Python. ' Le sommeil est un bain dans la lumière de la vie ou dans le phosphore de la mie. Celui qui s'endort avec des pensées de justice se baigne dans les mérites des justes, mais celui

LA SOLIDARITÉ DANS LE MAL

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qui se livre au sommeil avec des pensées de haine ou de mensonge se baigne dans la mer morte où reflue l'infection des méchants. La nuit est comme l'hiver qui couve et prépare les germes. Si nous avons semé de l'ivraie, nous ne récolerons pas du froment. Celui qui s'endort dans l'impiété ne se réveillera pas dans la bénédiction divine. On dit que la nuit porte conseil. Oui sans doute. Bon •conseil au juste, funeste impulsion au méchant. Telles sont les doctrines de Rabbi Isaac de Loria. Nous ne savons jusqu'à quel point on doit admettre cette influence réciproque des êtres plongés dans le sommeil et dirigée de telle sorte, par des attractions involontriires, que les bons améliorent les bons et que les méchants détériorent ceux qui leur sont semblables.. Il serait plus consolant de penser que la douceur des justes rayonne sur les méchants pour les calmer et que le trouble des méchants ne peut rien sur l'âme de justes.. Ce qui est certain c'est que les mauvaises pensées agitent le sommeil et le rendent par

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LE (MANA AlICANE

conséquent malsain, et qu'une bonne conscience dispose merveilleusement le sang à se rafraiehîr et à se reposer dans le sommeil. Il est très probable toutefois que le rayonnement magnétique déterminé pendant le jour par les habitudes et la volonté ne cesse pas pendant la nuit. Ce qui le prouve ce sont les rêves où il nous semble souvent que nous agissons suivant nos plus secrets désirs. Celui-là seul, dit Saint Augustin, a véritablement conquis la vertu de chasteté qui impose la modestie même à ses songes. Tous les astres sont aimantés et tous les aimants célestes agissent et réagissent les uns sur les autres dans les systèmes planétaires, dans les groupes des univers et dans toute l'immensité ! Il en est do même des êtres vivants, sur la terre. La nature et la force des aimants est déterminée par l'influence réciproque des formes sur la force et de la force sur les formes. Ceci a besoin d'être sérieusement examiné et médité. La beauté qui est l'harmonie des formes est

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LA SOLIDARITÉ DANS Le MAL

toujours accompagnée d'une grande puissance d'attraction ; mais il est des beautés discutables et discutées. Il est des beautés de convention conformes à certains goûts et à certaines passions. On eût trouvé à la cour do Louis XV que la Vénus de Milo avait une taille épaisse et de grands pieds. En Orient les sultanes favorites r It' sont obèses et dans le royaume de Siam on 1/1 INA 1, achète les femmes au poids. ve?( Les hommes n'en sont pas moins disposéi à faire (les folies pour la beauté vraie ou imaginaire qui les subjugue. Il est donc des formes qui nous enivrent et qui exercent mir notre raison l'empire des forces fatales. Quand nos goûts sont dépravés, nous nous éprenons de certaines beautés imaginaires qui sont réellement des laideurs. Les Romains de la décadence aimaient le front bas et les yeux batraciens de Messaline. Chacun se fait icibas un paradis à sa manière. Mais ici coins mence la justice. Le paradis des êtres dépravés est toujours et nécessairement un enfer. Ce sont les dispositions de la volonté qui 3

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LE GRAND ARCANE

font la valeur des actes. Car c'est la volonti‘ qui détermine la fin qu'on se propose, et c'est toujours le but voulu et atteint qui fait la nature des oeuvres. C'est selon nos oeuvres quo Dieu nous jugera, au dire de l'Évangile, et non selon nos actes. Los actes préparent, commencent, poursuivent et achèvent les oeuvres. Ils sont bons lorsque l'oeuvre est bonne. Si c'est le contraire, ils sont mauvais. Nous ne voulons pas dire ici quo la fin justifie les moyens, mais qu'une fin honnête nécessite des moyens honnêtes et donne du mérite aux. actes les plus indifférents de leur nature. Ce que vous approuvez vous le faites, ou vous le faites faire en encourageant à le faire. Si votre principe est faux, si votre but est inique, tous ceux qui pensent comme vous, agissent comme vous agiriez à leur place ; et lorsqu'ils réussissent, vous pensez qu'ils ont bien fait. Si vos actions semblent être d'un honnête homme tandis que votre but est celui d'un scélérat, vos actions deviennent mauvaises, Les prières de l'hypocrite sontplus impies que les blasphèmes du mécréant.

LA SOLIDARITÉ DANS LE MAL

En deux mots, tout ce qu'on fait pour l'injustice est injuste; tout ce qu'on fait pour la justice est juste et bon. Nous avons dit que les êtres humains sont des aimants qui agissent les uns sur les autres. Cette aimantation, naturelle d'abord, déterminée ensuite dans son mode par les habitudes de la volonté, groupe les êtres humains par phalanges et par séries, autrement peut. être que le supposait Fourier. 11est donc vrai de dire avec lui que les attractions sont proportionnelles aux destinées, mais il avait tort de ne pas distinguer entre les attractions fatales et les attractions factices. Il croyait aussi que les méchants sont les incompris de la société, tandis que ce sont eux au contraire qui ne comprennent pas la société et qui ne veulent pas la comprendre. Qu'eût-il fait dans son phalanstère de gens dont l'attraction, proportionnelle suivant lui à leur destinée, eût été de troubler et de démolir le phalanstère? Dans notre livre intitulé : La Science des Esprits, nous avons donné la classification des bons et des mauvais esprits suivant les

LE GRAND ARCANE

traditions kabbalistiques. Quelques lecteurs superficiels auront dit peut-être Pourquoi ces noms plutôt quo d'autres ? Quel esprit descendu du ciel, ou quelle Aine remontée de l'abîme a pu révéler ainsi les secrets hiérûrchiques de l'autre inonde ? Tout ceci n'est que do la haute fantaisie et en disant cela ces lecteurs se seront trompés. Cette classification n'est pas arbitraire, et si nous supposons l'existence de tels ou tels esprits dans l'autre monde, c'est qu'ils existent très certainement dans celui-ci. L'anarchie, le préjugé, l'obscurantisme, le dol, l'iniquité, la haine, sont opposés à la sagesse, à l'autorité, à l'intelligence, à l'honneur, à la bonté et à la justice. Les noms hébreux de Kether, Chocmah, Binalifeeuxt, de Thamiel, de Sathaniel, etc., opposés à ceux d'Hajoth, d'Haccadosch, d'Aralim et d'Ophanim ne signifient pas autre chose. 11 en est ainsi de tous les grands mots et de tous les termes obscurs des dogmes anciens et modernes ; en dernière analyse on y retrouve toujours les principes de l'éternelle

LA SOLIDARITÉ DANS LE MAT.

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et incorruptible raison. 11 est évident, il ,est certain que les multitudes ne sont pas encore mûres pour le règne de la raison et que les plus fous ou les plus fourbes les égarent tour à tour par des croyances aveugles. Et folie pour folie, je trouve plus de véritable socialisme dans celle de Loyola que dans celle de Prond'hon. Proud'hon affirme que l'athéisme est une croyance, la plus mauvaise de toutes, il est vrai, et c'est pour cela qu'il en fait la sienne. 11 affirme que Dieu c'est le mal, que l'ordre social c'est l'anarchie, que la propriété c'est le vol ! Quelle société est possible avec de tels principes? La société do Jésus est établie sur les principes contraires, ou sur les erreurs contraires peut-être, et depuis plusieurs siècles elle subsistè et elle est assez forte encore pour faire tête longtemps aux partisans de l'anarchie. Elle n'est pas, équilibrante, il est vrai, mais elle sait encore jeter dans la balance des poids plus lourds que ceux de notre ami Proud'hon.

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LE GRAND ARCANE

Les hommes sont plus solidaires dans le mal qu'ils ne le supposent. Ce sont les d'hou qui font les Veuillot. Les allumeurs des bûchers de Constance ont dû répondre devant Dieu des massacres do Jean Zisca. Les protestants sont responsables des massacres do la Saint-Barthélemy, puisqu'ils avaient égorgé des catholiques. C'est peut-être en réalité Marat qui a tué Robespierre, comme c'est Charlotte Corday qui a fait exécuter ses amis les Girondins. Madame Dubarry, traînée à la boucherie nationale comme une tête de bétail beuglante et rétive, ne s'imaginait saris doute pas qu'elle avait à expier le supplice de Louis XV• Car souvent nos plus grands crimes sent ceux que nous ne comprenons pas. Lorsque Marat disait que c'est un devoir d'humanité de verser un peu de sang pour empêcher une effusion de sang plus grande, il empruntait cette maxime, devinez à qui ? — Au doux et pieux Fénelon. Dernièrement on a publié des lettres inédites de Madame Elisabeth, et, dans une de ces

lettres, l'angélique princesse déclare que tout

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est perdu si le roi n'a pas le courage de faire tomber trois têtes. Lesquelles ? Elle ne le dit pas, peut-être celles de Philippe d'Orléans, de Lafayette et de Mirabeau! un prince de sa famille, un honnête homme et un grand homme. Peu importe qui d'ailleurs, la douce princesse voulait trois têtes. Plus tard Marat en demandait trois cent mille ; entre l'ange et le démon il n'y avait qu'une différence de quelques zéros.

CHAPITRE IV

LA DOUBLE CHAINE

• Le mouvement des serpents auteur du Caducée indique la formation d'une chaîne. Cette chaîne existe sous deux formes : la forme droite et la forme circulaire. Partant (l'un même centre elle coupe d'innombrables circonférences par d'innombrables rayons. La chaîne droite c'est la chaîne de transmission. La chaîne circulaire c'est la chaîne de participation, de 'diffusion, de communion, de religion. Ainsi se forme cette roue composée de plusieurs roues tournant les unes dans les autres, que nous voyons flamboyer dans la vision d'Ezéchiel. La chaîne de transmission établit la solidarité entre les générations successives.

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LE GRAND ARCANE

Le point central est blanc d'un côté et noir de l'autre. Au côté noir se rattache le serpent noir; au côté blanc se rattache le serpent blanc. Le point central représente le libre arbitre primitif, et à son côté noir commence le péché originel. Au côté noir commence le courant fatal, au côté blanc se rattache le mouvement libre. Le point central peut être représenté allégoriquement par la lune et les deux forces par deux femmes, l'une blanche et l'autre noire . La femme noire c'est Eve déchue, c'est la forme passive, c'est l'infernale Hécate qui porte le croissant et la lune sur le front. La femme blanche, c'est Maïa ou Maria qui tient à la fois sous son pied le croissant de la lune et la tête du serpent noir. Nous ne pouvons nous expliquer plus clairement, car nous touchons au berceau de tous les dogmes. Ils redeviennent enfants à nos yeux, et nous craignons de les blesser . Le dogme du péché originel, de quelque façon qu'on l'interprète, suppose la préexis-

43 tence de nos âmes, sinon dans leur vie spéciale, du moins dans la vie universelle. Or, si l'on peut pécher à son insu dans la vie universelle, on doit être sauvé de la même manière; mais ceci est un grand arcane. La chaîne droite, le rayon de la roue, la chaîne de transmission rend les générations solidaires les unes des autres et fait que les pères sont punis dans les enfants, afin que . par les souffrances des enfants., les pères puissent être sauvés. C'est pour cela que, suivant la légende dogmatique, le Christ est descendu aux enfers d'où ayant arraché les leviers de fer et les portes d'airain, il est remonté vers le ciel entraînant après lui la captivité captive. Et la vie universelle criait : Hosannah ! Car il avait brisé l'aiguillon de la mort ! Qu'est-ce-que tout cela veut dire? Osera-t-on l'expliquer ? Pourra-t-on le deviner ou. le comprendre ? • Les anciens hiérophantes grecs représentaient aussi les deux forces figurées par.les deux serpents sous la forme de deux enfants LA DOUBLE MAINE

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LE GRAND ARCANE

qui luttaient l'un contre l'autre en prenant un globe de leurs pieds et de leurs genoux. Ces deux enfants étaient Eros et Anteros, Cupidon et Hermès, le fol amour et l'amour sage. Et leur lutte éternelle faisait l'équilibre du monde. Si l'on n'admet pas que nous ayons existé personnellement avant notre naissance sur la terre, il faut entendre par le péché originel une dépravation volontaire du magnétisme humain chez nos premiers parents, qui aurait rompu l'équilibre de la chaîne, en donnant une funeste prédominance au serpent noir, c'est-à-dire au courant astral de la vie morte et nous en souffrons les conséquences comme les enfants qui naissent rachitiques à cause des vices de leurs pères, portent la peine des fautes qu'ils n'ont pas personnellement commises. Les souffrances extrêmes de Jésus et des martyrs, les pénitences excessives des saints auraient eu pour but de faire contre-poids à ce manque d'équilibre, assez irréparable d'ailleiirs pour devoir entraîner finalement la

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conflagration du monde. La grâce serait le serpent blanc sous les formes de la colombe et de l'agneau, le courant astral de la vie chargé des mérites du rédempteur ou des saints. Le diable ou tentateur serait le courant astral de la mort, le serpent noir taché de tous les crimes des hommes, écaillé de leurs mauvaises pensées, venimeux de tous leurs mauvais désirs, en un mot LE MAGNÉTLINE DU MAL. Or, entre le bien et le mal, le conflit est éternel, Ils sont à jamais inconciliables. Le mal est donc à jamais réprouvé, il est à jamais condamné aux tourments qui accompagnent le désordre, et cependant dès notre enfance ihie cesse de nous solliciter et de nous attirer à lui. Toiit ce que la poesie dogmatique affirme du roi Satan s'explique parfaitement par cet effrayant magnétisme d'autane- plus terrible qu'il est plus fatal, mais d'autant moins à craindre pour la vertu qu'il ne saurait l'atteins dre, et qu'avec le secours de la grâce elle est sûre de lui résister. .

CHAPITRE V

LES TÉNÈBRES EXTÉRIEURES

' Nous avons dit que le phénoniène de la lumière physique s'opère et s'accomplit uniquement dans les yeux qui la voient. C'est-àdire que la visibilité n'existerait pas pour nous, sans la faculté de vision. Il en est (le même de la lumière intellectuelle, elle n'existe que pour les intelligences qui sont capables de la voir. C'est la lumière intérieure en dehors de laquelle il n'existe rien que les ténèbres extérieures où, suivant la parole du Christ, il y a et il y aura toujours , des pleurs et des grincements de dents. Les ennemis du vrai ressemblent à des enfants mutinés qui renverseraient et éteindraient tous les flambeaux pour mieux crier et pleurer dans les ténèbres.

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LE GRAND ARCANE

Le vrai est tellement inséparable du bien que toute mauvaise action librement consentie et accomplie sans que la conscience proteste, éteint la lumière de notre âme et nous jette dans les ténèbres extérieures. C'est là ce qui constitue l'essence du péché mortel. Le pécheur est figuré dans la fable antique par OEdipe qui, ayant tué son père et outragé sa mère, finit par se crever les yeux. Le père de l'intelligence humaine, c'est le savoir et sa mère, c'est la croyance. Il y avait deux arbres dans l'Eden, l'arbre de science et l'arbre de vie. C'est le savoir qui doit et qui peut féconder la foi ; sans lui elle s'épuise en avortements monstrueux et ne produit que des fantômes . C'est la foi qui doit être la récompense du savoir et le but de tous ses efforts ; sans. elle il finit par douter (le lui-même et tombe dans un découragement profond, qui tourne bientôt au désespoir. Ainsi d'une part, les croyants qui méprisent la science et qui méconnaissent la nature, et de l'autre, les savants qui outragent, re-

49 poussent et veulent anéantir la foi, sont également les ennemis de la lumière et se précipitent à l'envi, les uns les autres, clans les ténèbres extérieures où Proud'hon et Veuillot font entendre tour à tour leur voix plus triste que des pleurs, et passent en grinçant des dents. LES TENÉRDES EXTÉRIEURES

La vraie foi no saurait être en contradiction • avec la vraie science. Aussi, toute explication du dogme dont la science démontrerait la fausseté doit-elle être réprouvée par la foi. Nous ne sommes plus au temps où l'on disait : je crois parce que c'est absurde. Nous devons dire maintenant : je crois parce qu'il serait absurde de ne pas croire; Credo quia absurdum non credere. La science et la foi ne sont plus deux machines de guerre prêtes à s'entrechoquer, ce sont les deux colonnes destinées à soutenir le fronton du temple de la paix. Il faut nettoyer l'or du sanctuaire si souvent terni par la crasse sacerdotale. Le Christ l'a dit : Les paroles du dogme sont esprit et vie et la matière n'y est pour 4

50 LE GRAND ARCANE rien. Il a dit aussi : Ne jugez point si vous craignez d'être jugés, car le jugement que vous aurez arrêté vous sera applicable et vous serez mesurés avec la mesure que vous aurez déterminée. Quel splendide éloge de la sagesse du doute ! et quelle proclamation de la liberté de conscience ! En effet une chose est évidente pur quiconque aime à écouter le bon sens, c'est que, s'il existait une loi rigoureuse, applicable à tous et sans l'observation de laquelle il fût impossible d'être sauvé, il faudrait que cette loi fût promulgée de manière à ce que personne ne pût douter de sa promulgation . En pareille matière, un doute possible c'est une négation formelle, et si un seul homme peut ignorer l'existence d'une loi, c'est que cette loi n'est point divine. Il n'y a point deux manières d'être honnête homme. La religion serait-elle moins importante que la probité ? Non sans doute, et c'est pour cela qu'il n'y a jamais eu qu'une religion dans le monde. Les dissidences ne sont qu'apparentes. Mais ce qu'il y a toujours eu d'irréligieux et d'horrible, c'est le

LES TÉNkBRES EXTÉRIEURES

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fanatisme des ignorants, qui se damnent les uns les autres. La religion véritable, c'est la religion universelle, et c'est pour cela que celle qui s'appelle catholique porte seule le nom qui indique la vérité. Cette religion, d'ailleurs, possède et 'conserve l'orthodoxie du dogme, la hiérarchie des pouvoirs, l'efficacité du culte et ga magie véritable des cérémonies. C'est donc la religion typique et normale, la religion mère à qui appartiennent de droit les traditions de Moyse et les antiques oracles d'Hermès. En soutenant cela malgré le pape s'il le faut, nous serons au besoin plus catholique que le pape et plus protestant que Luther. La vraie religion, c'est surtout la lumière intérieure, et les formes religieuses se multiplient souvent et s'éclairent du phosphore spectral dans les ténèbres extérieures ; mais il faut respecter la forme même chez les âmes qui ne comprennent pas l'esprit. La science ne peut pas et ne doit pas user de représailles envers l'ignorance. Le fanatisme ne sait pas pourquoi la foi a .

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raison, et la raison, tout en reconnaissant que la religion est nécessaire, sait parfaitement en quoi et pourquoi la superstition a tort. Toute la religion chrétienne et catholique est basée sur le dogme de la grâce, c'est-à-dire de la gratuité. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement, dit S. Paul. La religion est essentiellement une institution de bienfaisance. L'Eglise est une maison de secours pour les déshérités de la philosophie. On peut se passer d'elle, mais il ne faut pas l'attaquer. Les pauvres qui se dispensent de recourir à l'assistance publique n'ont pas pour cela le droit de la décrier. L'homme qui vit honnêtement sans religion se prive lui-même d'un grand secours, mais il ne fait point de tort à Dieu. Les dons gratuits ne se remplacent point par des châtiments lorsqu'on les refuse, et Dieu n'est point un usurier qui fasse payer aux hommes les intérêts de ce qu'ils n'ont pas emprunté. Les hommes ont besoin de la religion, mais la religion n'a pas besoin des hommes. Ceux qui ne reconnaissent pas la loi, dit S. Paul, seront jugés en dehors de la

LES TENÙBREM EXTÉRIEURES

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na

loi. Or, il ne parle pas ici do la loi naturelle, mais bien de la loi religieuse, ou, pour parler plus exactement, des prescriptions sacerdotales. En dehors de ces vérités si douces et si pures, il n'y a que les ténèbres extérieures où pleurent ceux que la religion mal comprise ne saurait consoler, et où les sectaires qui prennent la haine pour l'amour grincent des dents les uns contre les autres. Sainte Thérèse eut un jour une vision formidable. Il lui semblait qu'elle était en enfer et qu'elle était murée entre des murailles vivantes qui se resserraient toujours sans pouvoir jamais l'étouffer. Ces murailles étaient faites avec des murailles palpables et nous ont fait songer à cette parole menaçante du Christ : « Les ténèbres extérieures. » Représentonsnous une âme qui , par haine de la lumière, s'est rendue aveugle comme Œdipe ; elle a résisté à tous les attraits de la vie et partout la vie la repousse ainsi que la lumière. La voilà lancée hors de l'attraction des mondes et de la clarté des soleils. Elle est seule dans .

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l'immensité noire à jamais réelle pour elle seule et pour les aveugles volontaires qui lui ressemblent. Elle est immobile dans l'ombre et souffre un étouffement éternel dans la nuit. Il lui semble que tout est anéanti excepté sa souffrance capable de remplir l'infini. 0 douleur ! avoir pu comprendre et s'être obstiné dans l'idiotisme d'une foi insensée Avoir pu aimer et avoir atrophié son cœur Oh ! une heure seulement ou du moins une minute, rien qu'une minute des joies les plus imparfaites et des plus fugitives amours Un peu d'air ! Un peu de soleil ! ou rien qu'un clair de lune et une pelouse pour danser ! Une goutte de vie ou moins qu'une goutte, une larme Et l'éternité implacable lui répond : Que parles-tu de larmes, tu ne peux même plus pleurer I Les pleurs sont la rosée de la vie et le suintement de la sève d'amour; tu t'es exilée dans l'égoïsme et tu t'es murée dans la mort ! Ah! vous avez voulu être plus saints que Dieu! Ah ! vous avez craché au nez de Madame votre mère, la chaste et divine nature Ah ! Vous avez maudit la science, l'intelligence et

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le progrès ! Ah ! vous avez cru que pour vivre éternellement il faut ressembler à un cadavre et se dessécher comme une momie Vous voilà tels que vous vous êtes faits, jouissez en paix de l'éternité que vous avez choisie Mais non, pauvres gens, ceux que vous appeliez pécheurs et maudits, iront vous sauver. Nous agrandirons la lumière, nous irons percer ;votre mur, nous vous arracherons à votre inertie. Un essaim d'amours,'ou si vous voulez, une légion d'anges (ils sont faits de la même manière) vous entortillera et vous entraînera avec des guirlandes de fleurs, et vous vous débattrez en vain comme le Méphistophélès du beau drame philosophique de Goethe. Malgré vous, vos disciplines et vos visages pâles, vous revivrez, vous aimerez, vous saurez, vous verrez et, sur les débris du dernier cloître, vous viendrez danser avec nous la ronde infernale de Faust ! Heureux, du temps de Jésus, ceux qui pleuraient I Hèur eux, maintenant, ceux qui savent rire, pour ce que rire est le propre de r homme, comme l'a dit le grand prophète Rabelais, le .

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Messie de la Renaissance. Le rire c'est l'indulgence, le rire c'est la philosophie. Le ciel s'apaise quand il rit, et le grand Arcane de la toute puissance divine n'est rien qu'un sourire éternel

CHAPITRE VI

LE GRAND SECRET

Sagesse, moralité, vertus : mots respectables, mais vagues sur lesquels on dispute de: puis des siècles sans être parvenu à s'enfeu= dre Je veux être sage, mais serai-je bien sûr de ma sagesse tant que je pourrai croire que les fous sont plus heureux ou même plus joyeux que moi? Il faut avoir des moeurs, mais nous sommes tous un peu comme les enfants ; les moralités nous endorment. C'est qu'on • nous fait de sottes moralités qui ne conviennent pas à notre nature. On nous parle de ce qui ne nous regarde pas et nous pensons à autre chose. La vertu est une grande chose: son nom veut dire force, puissance. Le monde subsiste -

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par la vertu de Dieu. Mais en quoi consiste pour nous la vertu ? Est-ce une vertu de jeûner pour s'affaiblir la tête et s'émacier le visage? Appellerons-nous vertu la simplicité de l'honnête homme qui se laisse dépouiller par des fripons? Est-ce une vertu de s'abstenir dans la crainte d'abuser ? Que penserionssous d'un homme qui ne marcherait pas de peur de se casser la jambe? La vertu en toutes choses est l'opposé de la nullité, de la torpeur et de l'impuissance. La vertu suppose Faction ; car si • l'on oppose ordinairement la vertu aux passions, c'est pour faire entendre qu'elle seule n'est jamais passive. La vertu n'est pas seulement la force, mais la raison directrice de la force. C'est le pouvoir équilibrant de la vie. Le grand secret de la vertu, de la virtualité. et de la vie, soit temporelle, soit éternelle, peut se formuler : L'art de balancer les forces pour équinbrer le mouvement. L'équilibre qu'il faut chercher n'est pas celui

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qui produit l'immobilité, mais celui qui régularise le mouvement. Car l'immobilité c'est la mort, et le mouvement c'est la vie. Cet équilibre moteur c'est celui de la nature elle-même. La nature en équilibrant les forces fatales produit le mal physique ou même la destruction apparente pour l'homme mal équilibré. L'homme s'affranchit des maux de la nature en sachant se soustraire par un usage • intelligent de sa liberté à la fatalité des forces. Nous employons ici le mot fatalité parce que les forces imprévues et incomprises par l'homme mal équilibré lui semblent nécessairement fatales. La nature a pourvu à la conservation des animaux doués d'instinct, mais elle a tout disposé pour que l'homme imprévoyant périsse. Les animaux 'vivent pour ainsi dire d'euxmêmes et sans efforts. L'homme seul doit apprendre à vivre. Or, la science de la vie . c'est la science de l'équilibre moral. Concilier le savoir et la religion, la raisera, et le sentiment, l'énergie et la douceur, voilà le fond de cet équilibre.

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La vraie force invincible c'est la force sans violence . Les hommes violents sont des hommes faibles et imprévoyants dont les efforts se retournent toujours contre euxmêmes. L'affection violente ressemble à la haine et presque à l'aversion. La colère violente fait qu'on se livre à ses ennemis aveuglément. Les héros d'Homère, lorsqu'ils s'attaquent, ont soin de s'insulter pour tâcher de se mettre réciproquement en fureur, sachant bien que, suivant toutes probabilités, le plus furieux des deux sera vaincu. Le bouillant Achille était prédestiné à périr malheureusement. Il est le plus fier et le plus vaillant des Grecs etne cause à ses concitoyens que des désastres. Celui qui fait prendre Troie c'est le prudent et patient Ulysse, qui se ménage toujours et ne frappe jamais qu'à coup sûr. Achille c'est la passion et Ulysse c'est la vertu ; et c'est suivant cette donnée qu'il faut comprendre la haute portée philosophique et morale des poèmes d'Homère.

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L'auteur de ces poèmes était sans doute un initié de premier ordre, et le grand arcane de la Haute Magie pratique est tout entier dans l'Odyssée. Le grand arcane de la magie, l'arcane unique et incommunicable a, pour objet de mettre en quelque sorte la puissance divine au service de la volonté de l'homme. Pour arriver à la réalisation de cet arcane • il faut SAVOIR ce qu'on doit faiie, voeu« ce qu'il faut, OSER ce qu'on doit et se TAIRE avec discernement. L'Ulysse d'Homère a contre lui les dieux, les éléments , les cyclopes , les sirènes , Circé, etc. C'est-à-dire toutes les difficultés et tous les dangers de la vie. Son palais est envahi, sa femme est obsédée, ses biens Sont au pillaga, sa mort est résolue, ses compagnons il les perd, ses vaisseaux sont submergés ; il reste enfin seul et en lutte contre la nuit et contre la mer. Et. seul, il fléchit les dieux, il échappe à la mer, il aveugle le cyclope, il trompe les sirènes, il dompte Circé, il reprend son palais, il délivre

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sa femme, il tue ceux qui voulaient sa mort parce qu'il voulait revoir Ithaque et Pénélope, parce qu'il savait toujours se tirer du danger, parce qu'il osait à propos et parce qu'il se taisait toujours lorsqu'il n'était pas expédient de parler. Mais, diraient avec désappointement les amateurs de contes bleus, ceci n'estpointde la magie. N'existe-t-il pas des talismans, des herbes, des racines qui font opérer des prodiges ? N'est-il pas des formules mystérieuses qui ouvrent les portes fermées et font apparaître les esprits ? Parlez-nous de cela et remettons à une autre fois vos commentaires sur l'Odyssée. Vous savez, enfants, car c'est à des enfants sans doute que j'ai à répondre, vous savez, si vous avez lu mes précédents ouvrages, que je reconnais l'efficacité relative des formules, des herbes et des talismans. Mais ce sont là des petits moyens qui se rattachent aux petits mystères. Ie vous parle maintenant des grandes forces morales et non des instruments matériels. Les formules appartiennent aux *

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rites de l'initiation, les talismans sont des auxiliaires magnétiques, les racines et, les herbes sont du ressort de la médecine occulte et Homère lui-même ne les dédaigne pas. Le Moly, le Lothos et le Népenthès tiennent leur place dans ces poèmes, mais ce sont là des ornements très-accessoires. La coupe de Circé ne peut rien sur Ulysse qui en connaît les effets funestes et qui sait se dispenser d'y boire. L'initié à la haute science des mages n'a rien à craindre des sorciers. Les personnes qui ont recours à la magie cérémonielle et qui viennent consulter les devins ressemblent à celles qui, en multipliant les pratiques de dévotion, veulent ou espèrent suppléer à la religion véritable. Jamais vous ne les renverrez contentes en leur donnant de sages conseils. . Toutes vous cachent un secret qui est bien facile à deviner et qui est celui-ci : j'ai une passion que la raison condamne et que je prés fère à la raison ; c'est pourquoi je viens consulter l'oracle de la déraison, afin qu'elle me dise d'espérer, qu'elle m'aide à tromper ma

64 GRANb ARCANE conscience, et qu'elle rend ela paix à mon coeur. Elles viennent ainsi boire à une source trompeuse qui, loin d'apaiser leur soif, les altère toujours davantage. Le charlatan débite des oracles obscurs, on ytrouve ce qu'on veut y trouver et l'on revient chercher des éclaircissements. On revient le lendemain, le surlendemain, on revient toujours et c'est ainsi que les tireuses de cartes font fortune. .

Les gnostiques basilidiens disaient que Sophie, la sagesse naturelle de l'homme, devenue amoureused' elle- même , comme le Narcisse (le la fable, détourna ses regards de son principe et s'élança hors do ce cercle tracé par la lumière divine qu'ils appelaient le plérôme. Seule alors dans les ténèbres, elle fit des sacrilèges pour enfanter la lumière. Et comme l'hémoresse de l'évangile, elle perdait son sang qui se transformait en monstres horribles. La plus dangereuse de toutes les folies c'est la sagesse corrompue, .

Les coeurs corrompus empoisonnent toute la nature. Pour eux la splendeur des beaux jours n'est qu'un éblouissant ennui et toutes

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les joies de la vie, mortes pour ces tunes mortes, se dressent devant eux pour les maudire, en leurdisantcomme les spectres de Richard III : « désespère et meure. » Les beaux enthousiasmes les font sourire et ils jettent à l'amour et à la beauté, comme pour se venger, les dédains insolents de Sténio et de Rollon. Il ne faut pas laisser tomber ses • bras en accusant la fatalité, il faut lutter contre • elle et la vaincre. Ceux qui succombent dans et) combat sont ceux qui n'ont pas su ou qui n'ont pas voulu triompher. Ne pas savoir, 4.'est une excuse, mais ce n'est pas une justification, puisqu'on peut apprendre. « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font » , disait le Christ expirant. S'il était permis de ne pas savoir, la prière du Sauveur eût manqué de justesse et le père n'aurait eu rien à pardonner. Lorsqu'on ne sait pas, il faut vouloir apprendre. Tant qu'on ne sait pas il est téméraire d'oser, mais il est toujours bon de se taire. -

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CHAPITRE VII LE POUVOIR QUI ORÉE ET QUI TRANSFORME

La volonté est essentiellement réalisatrice, nous pouvons tout ce que nous croyons raisonnablement pouvoir. Dans sa sphère d'action l'homme dispose de la toute puissance de Dieu ; il peut créer et transformer. Cette puissance, il doit d'abord l'exercer sur lui-même. Lorsqu'il vient au monde, ses facultés sont un chaos, les ténèbres de l'intelligence couvrent l'abime de son coeur, et son esprit est balancé sur l'incertitude comme s'il était porté sur les ondes. La raison alors lui est donnée, mais cette raison est passive encore, c'est à lui de la rendre active ; c'est à lui de faire rayonner son -

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front au milieu des ondes et de crier : que la lumière soit ! II se fait une raison, il se fait une conscience ; il se fait un coeur. La loi divine sera pour lui telle qu'il l'aura faite, et la nature entière deviendra pour lui ce qu'il voudra, L'éternité entrera et tiendra dans son souvenir. Il dira à l'esprit: sois matière, et à la matière : sois esprit, et l'esprit et la matière lui obéiront ! Toute substance se modifie par l'action, toute action est dirigée par l'esprit, tout esprit se dirige suivant une volonté et toute volonté est déterminée par une raison. La réalité des choses est dans leur raison d'être. Cette raison des choses est le principe de ce qui est. Tout n'est que force et matière, disent leà athées. C'est comme si l'on affirmait que les livres . ne sont que du papier et de l'encre. La matière est t'auxiliaire de l'esprit, sans l'esprit elle n'aurait pas de raison d'être et elle ne serait pas.

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La matière se transforme en esprit par l'intermédiaire de nos sens, et cette transformation sensible, seulement pour nos âmes, est ce qu'on nomme le plaisir. Le plaisir est le sentiment d'une action divine. Se nourrir, c'est créer la vie et transformer, de la manière la plus merveilleuse, les substances mortes en substances vivantes. Pourquoi la nature entraîne-t-elle les sexes l'un vers l'autre avec tant de ravissement et tant d'ivresse? C'est qu'elle les convie au grand oeuvre par excellence, à l'oeuvre de l'éternelle fécondité. Que parle-t-on des joies de la chair ? La chair n'a ni tristesses ni joies : elle est un instrument passif. Nos nerfs sont les cordes du violon avec lequel la nature nous fait entendre et sentir la musique de la volupté, et toutes les joies de la vie, même les plus troublées, sont le partage exclusif de l'âme. Qu'est-ce que la beauté, sinon l'empreinte de l'esprit sur la matière? Le corps de la Vénus de Milo a-t-il besoin d'être de chair pour enchanter nos yeux et exalter notre pensée ? La

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LE GRAND ARGAND

beauté de la femme, c'est l'hymne de la maternité; la forme douce et délicate de son sein nous rappelle sans cesse la première soif de nos lèvres; nous voudrions pouvoir lui rendre en éternels baisers, ce qu'il nous a donné en suaves effusions. Est-ce alors de la chair que nous sommes amoureux ? Dépouillés de leur adorable poésie, que nous inspireraient ces tampons élastiques et glanduleux recouverts d'une peau tantôt brune, tantôt blanche et rose ? Et que deviendraient nos plus charmantes émotions si la main de l'amant, cessant de trembler, devait s'armer de la loupe du physicien ou du scalpel de Panatomiste ? Dans une fable ingénieuse, Apulée raconte qu'un expérimentateur maladroit ayant séduit la servante d'une magicienne, qui lui procure une pommade préparée par sa maîtresse, essaie de se changer en oiseau et n'arrive qu'à se métamorphoser en âne. On lui dit que pour reprendre sa première forme, il lui suffira de manger des roses, et il croit d'abord la chose bien facile. Mais il s'aperçoit bientôt que les roses ne sont pas faites pour les ânes. Dès

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veut s'approcher d'un rosier on le repousse à coups de bâton, il souffre mille maux et ne peut être enfin délivré que par l'intervention directe de la divinité. On a soupçonné Apulée d'avoir été chrétien, et on a cru voir, dans cette légende de l'âne, une critique voilée des mystères du Christianisme. Jaloux do s'envoler au ciel, les chrétiens auraient inconnu la science et seraient tombés sous le joug de cette foi aveugle qui les faisait accuser, pendant les premiers siècles, d'adorer la tête d'un âne. Esclaves d'une austérité fatale, ils ne pouvaient plus s'approcher de ces beautés naturelles qui sont figurées par les roses . Le plaisir, la beauté, la nature même et la vie étaient voués à l'anathème par ces rudes et ignorants conducteurs qui chassaient devant eux le pauvre âne de Bethléem. C'est alors que le moyen âge rêva le roman de la rose. C'est alors que les initiés aux science de l'an' tiquité, jaloux de reconquérir la rose sans abjurer la croix, en réunirent les images et prirent le nom de Rose-Croix, afin que là rose

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fût encore la croix et que la croix à son tour pût immortaliser la rose. Il n'existe de vrai plaisir, de vraie beauté, de véritable amour que pour les sages qui sont vraiment les créateurs de leur propre félicité. Ils s'abstiennent pour apprendre à bien user, et s'ils se privent c'est pour acheter un bonheur. Quelle misère est plus déplorable que celle de l'âme et combien sont à plaindre ceux qui ont appauvri leur coeur ! Comparez la pauvreté d'Homère à la richesse de Trimaicyon, et dites-nous lequel des deux est le misérable ? Qu'est-ce que des biens qui nous pervertissent et que nous ne possédons jamais puisqu'il faut toujours les perdre ou les laisser à d'autres ? A quoi servent-ils s'ils ne sont pas entre nos mains les instruments de la sagesse? A augmenter les besoins de la vie animale, à nous abrutir dans la satiété et le dégoût. Estce là le but de l'existence ? Est-ce le positif de la vie ? N'en est-ce pas au contraire l'idéal le phis faux et le plus dépravé ? User son âme pour engraisser son corps, ce serait déjà une

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bien grande folie; mais tuer à la fois son âme et son corps pour laisser un jour une grande fortune à un jeune idiot qui la jettera à pleines mains dans le giron banal de la première courtisane venue, n'est-ce pas le comble de la démence ? Et voilà pourtant ce que font des hommes sérieux qui traitent les philosophes et les poètes de rêveurs. Ce que je trouve désirable, disait Curius, ce n'est point d'avoir des richesses, c'est de commander à ceux qui en ont, et Saint Vincent de Paul, sans songer peut-être à la maxime de Curius, en a révélé toute la grandeur au profit de la bienfaisance. Quel souverain eût jamais pu fonder tant d'hospices, doter tant d'asiles Quel Rotschild eût trouvé assez de millions pour cela? Le pauvre prêtre Vincent de Paul a voulu, il a parlé et les richesses ont obéi. C'est qu'il possédait la puissance qui crée et qui transforme, une volonté persévérante et sage appuyée sur les lois les .plus sacrées de la nature. Apprenez à vouloir ce que Dieu veut, et tout ce que vous voudrez, certainement s'accomplira.

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LE GRAND ARCANE

Sachez aussi que les contraires se réalisent par les contraires : la cupidité est toujours pauvre, le désintéressement est toujours riche. L'orgueil provoque le mépris, la modestie attire la louange, le libertinage tue le plaisir, la tempérance épure et renouvelle les jouissances. Vous obtiendrez toujours, et à coup sûr, le contraire de ce que vous voulez injustement, et vous retrouverez toujours le centuple de ce que vous sacrifierez pour la justice. Si donc vous voulez récolter à gauche, semez à droite; et méditez sur ce conseil qui a l'apparence d'un paradoxe et qui vous fait entrevoir un des plus grands secrets de la philosophie occulte. Voulez-vous attirer, faites le vide. Ceci s'accomplit en vertu d'une loi physique analogue à une loi morale. Les courants impétueux cherchent les profondeurs immenses. Les eaux sont filles des nuages et des montagnes et cherchent toujours les vallées. Les vraies jouissances viennent d'en haut, nous l'avons déjà dit : c'est le désir qui les attire, et le désir est un abîme.

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POU VOIR QUI CRÉ:E 77)

Le rien attire le tout et c'est pour cela que les ètres los plus indignes d'amour, sont quelquefois les plus aimés. La plénitude cherche le vide et le vide suce la plénitude. Les animaux et les nourrices le savent bien. Pindare n'eut jamais aimé Sapho, et Sapho devait se résigner à tous les dédains de Phaon. Un homme et une femme de génie sont frère • et soeur ; leur accouplement serait un inceste et l'homme qui est seulement un homme n'aimera jamais une femme à barbe. ,

Rousseau semblait avoir pressenti cela lorsqu'il épousait une servante, une virago stupide et cupide. Mais il ne put jamais faire comprendre à Thérèse sa supériorité intellectuelle, et il lui était évidemment inférieur dans les grossièretés dei' existence. Dans le ménage Thérèse était l'homme et Rousseau la femme. Rousseau était trop fier pour accepter une semblable position. Il protesta contre le ménage en mettant aux enfants trouvés les enfants de Thérèse. 11 mit ainsi la nature entre elle et lui, et s'exposa à toutes les vengeances de le mère.

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LE GLAND ARCANE

Hommes de génie ne faites point d'enfants; vos seuls enfants légitimes sont vos livres et ne vous mariez jamais ; votre épouse à vous c'est la gloire Gardez votre virilité pour elle: et quand même vous trouveriez une Héloïse ne vous exposez pas pour une femme à la destinée d'Abailard !

CHAPITRE VIII LES ÉMANATIONS ASTRALES ET LES PROJECTIONS MAGNÉTIQUES

Un Univers, c'est un groupe de globes aimantés qui s'attirent et se repoussent les uns lus autres. Les êtres produits par les différents globes participent à leur aimantation spéciale balancée par l'aimantation universelle. Les hommes mal équilibrés sont des aimants déréglés ou excessifs, que la nature balance los uns par les autres jusqu'à ce que le défaut partiel d'équilibre ait produit la destruction. L'analyse spectrale de Bumsen conduira la science à distinguer la spécialité des aimants et à donner ainsi une raison scientifique des intuitions anciennes de l'astrologie judiciaire. Les diverses planètes du système exercent

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certainement une action magnétique sur notre globe et sur les diverses organisations des êtres vivants qui l'habitent. Nous buvons tous les arômes du ciel mêlés à l'esprit de la terre et nés sous l'influence de diverses étoiles, nous avons tous une préférence pour une force caractérisée par une forme, pour un génie et pour une couleur. La Pythonisse de Delphes, assise sur un trépied au-dessus d'une crevasse de la terre aspirait le fluide astral par les parties sexuelles, tombait en démence ou en somnambulisme et proférait des paroles incohérentes qui étaient parfois des oracles. Toutes les natures nerveuses livrées aux désordres des passions ressemblent à la Pythonisse et aspirent le Python, c'est-à-dire l'esprit mauvais et fatal do la terre, puis elles projettent avec force le fluide qui les a pénétrées, aspirent ensuite avec une force égale le fluide vital des titres. êtres pour l'absorber, exerçant ainsi tour à tour, la puissance mauvaise du Jettatore et du vampire.

Si les malades atteints de cet aspir et de ce

LES ÉMANATIONS ASTRALES

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respir délétères les prennent pour une puissance et veulent on augmenter l'ascension et la projection, ils manifestent leurs désirs par des cérémonies qui s'appellent évocations, . envoûtement, et deviennent le qn'on appelait autrefois des nécromants et des sorciers. Tout appel à une intelligence inconnue et étrangère, dont l'existence ne nous est pas démontrée et qui a pour but de substituer sa direction à celle de notre raison 'et de notre libre arbitre, peut être considéré comme un suicide intellectuel, car c'est un appel à la folie. Tout ce qui abandonne une volonté à des forces mystérieuses, tout ce qui fait parler en nous d'autres voix que celles de la conscience et de la raison, appartient à l'aliénation mentale. Les fous sont des visionnaires statiques. Une vision lorsqu'on est éveillé est un accès de folie. L'art des évocations c'est l'art de se procurer une Jolie factice dont on provoque les accès. Toute vision est de la nature du rêva. C'est

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LU

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une fiction de notre démence. C'est un %nage de nos imaginations déréglées projeté dans la lumière astrale ; c'est nous-mêmes qui nous apparaissons à nous-mêmes déguisés en fantômes, en cadavres ou en démons. Les fous, dans le cercle de leur attraction et de leur projection magnétique, semblent f':'re extravaguer la nature : les meubles craquent et se déplacent, les corps légers sont attirés ou lancés à distance. Les aliénistes le savent bien, niais ils craignent d'en convenir, parce que la science officielle n'a pas encore admis que les êtres humains soient des aimants et que ces aimants puissent être déréglés et faussés. L'abbé Vianney, curé d'Ars, se croyait sans cesse turlupiné par le démon ; et Berbiguier de Terre-neuve-du-Thym se munissait de longues épingles pour enfiler les farfadets.. Or, le point d'appui existe dans la résistance que leur oppose le progrès indiscipliné. Dans la démocratie ce qui rend impossible l'organisation d'une armée c'est que chaque soldat veut être général. Il n'y a qu'un général chez les Iésuitès.

LES ÉMANATIONS ASTRALES 81

L'obéissance est la gymnastique de la liberté et pour arriver à faire toujours ce qu'on veut, il faut apprendre à faire souvent ce qu'on ne voudrait pas faire. Ce qui nous plaît c'est être au service de la fantaisie, faire ce que nous devons vouloir, c'est exercer et faire triompher à la fois la raison et la volonté. Les contraires s'affirment et se confirment par les contraires. Regarder à gauche lorsqu'on veut aller à droite c'est de la dissimulation et de la prudence, mais jeter des poids dans le plateau de gauche d'une balance lorsqu'on veut faire monter le plateau de droite c'est connaître les lois de la dynamique et de l'équilibre. En dynamique c'est la résistance qui détermine la quantité de la force, mais il n'est point de résistance qui ne soit vaincue par la persistance de l'effort et du mouvement, c'est ainsi que la souris ronge le câble et que la goutte d'eau perce le rocher. L'effort renouvelé tous les jours augmenie et conserve la force, l'action en fût-elle appliquée d'ailleurs à une chose indifférente en .

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LE' GRANA ARCANE

elle-méme ou bien déraisonnable et ridicule. C'est une occupation peu sérieuse en apparence que de rouler entre ses doigts les graines d'un rosaire en répétant deux ou trois cents fois : je vous salue Marie. Eh bien ! qu'une religieuse se couche sans avoir dit son chapelet, elle se réveillera le lendemain désespérée, n'aura pas le courage de faire la prière du matin et sera distraite pendant l'office. Aussi leurs directeurs leur répètent-ils sans cesse et avec raison de ne pas négliger les petites choses. Les grimoires et les rituels magiques sont pleins de prescriptions minutieuses et en apparence ridicules : Manger pendant dix ou vingt jours des aliments sans sel, dormir appuyé sur le coude, sacrifier un coq noir à minuit dans un carrefour au milieu d'une forêt, aller dans un cimetière prendre une poignée de terre sur la fosse récente d'un mort etc., etc., puis se couvrir de certains vêtements bizarres et prononcer de longues et fastidieuses conjurafions. Les auteurs de ces livres voulaient-ils

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se moquer de leurs lecteurs? Leur révélaient- ils des secrets véritables? Non, ils ne se moquaient pas, et leurs enseignements étaient sérieux. Ils avaient pour but d'exalter l'imagination de leurs adeptes et de leur donner conscience d'une force supplémentaire qui existe dès qu'on y croit et qui s'augmente toujours par la persévérance des efforts. Sou. lement, il peut arriver que par la loi de réac. Lion des contraires, on évoque le diable en s'obstinant à prier Dieu, et qu'après des conjurations sataniques, on entende pleurer les anges. Tout l'enfer dansait aux sonnettes, quand Saint Antoine disait ses psaumes, et le paradis semblait renaître devant les enchantements du grand Albert ou de Merlin. C'est que les cérémonies en elles-mêmes sont peu de chose, et que tout dépend de l' aspir et du respir. Les formules consacrées par un long usage, nous mettent en communication avec les vivants et les morts, et notre volonté qui entre ainsi dans les grands courants peut s'armer de toutes leurs effluves. Une servante qui pratique, peut, à un mo-

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LE GRAND ARCANE

nient donné, disposer de la toute puissance même temporelle de l'Eglise soutenue par les armes de la France, comme il a bien paru lors du baptême et de l'enlèvement du juif Mortara. Toute la civilisation de l'Europe, au xix° siècle, a protesté contre cet acte, et l'a subi parce qu'une servante dévote l'avait voulu. Mais la terre envoyait pour auxiliaire à cette fille les émanations spectrales des siècles de Saint Dominique et de Torquemada; Saint Ghisleri priait pour elle. L'ombre du grand roi révocateur de l'édit de Nantes, lui ' faisait un signe d'approbation, et le monde clérical tout entier était prêt à la soutenir. Jeanne d'Arc, qui fut brûlée comme sorcière, avait, en effet, attiré en elle, l'esprit de la France héroïque, et le répandait d'une manière merveilleuse en électrisant notre armée, et en faisant fuir les Anglais. Un pape l'a réhabilitée ; c'est trop peu, il fallait la canoniser.; Si cette thaumaturge n'était pas une sorcière, c'était évidemment une sainte. Qu'est-ce qu'un sorcier après tout? C'est un thaumaturge que le pape n'approuve pas.

LES ÉMANATIONS ASTRALES

Les miracles sont, si l'on veut me passer cette expression, les extravagances de la nature produites par l'exaltation de l'homme. Ils se produisent toujours en vertu des mêmes lois. Tout personnage d'une célébrité populaire ferait des miracles, en fait parfois sans le vouloir. Du temps où la France adorait ses rois, les rois de France guérissaient les écrouelles, et de nos jours la grande popularité de ces soldats pittoresques et barbares. qu'on nomme les zouaves, a développé chez un zouave nommé Jacob, la faculté de guérir par la voix et par le regard. On dit que ce zouave a quitté son corps pour passer aux grenadiers, et nous regardons comme certain que le grenadier Jacob n'aura plus la puissance qui appartenait exclusivement au zouave. Du temps des druides, il y avait dans les Gaules, des femmes thaumaturges qu'on appelait les Elfes et les Fées. Four les druides c'étaient des saintes, pour les Chrétiens, ce sont des sorcières. Josepb Balsamo, que ses disciples appelaient le divin Cagliostro, fut condamné à Rome, comme hérétique et sorcier, .

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LE GRAND ARCANE

pour avoir fait des prédictions et des miracles sans l'autorisation de l'ordinaire. Or, en cela les inquisiteurs avaient raison, puisque l'Eglise romaine seule possède le monopole de la. e Haute Magie et des cérémonies efficaces. Avec de l'eau et du sel, elle charme les démons, avec du pain et du vin, elle évoque Dieu et le force à se rendre visible et palpable sur la terre; avec de l'huile, elle donne la santé et le pardon. Elle fait plus encore, elle crée des prêtres et des rois. Elle seule comprend et fait comprendre pourquoi les rois du triple royaume magique, les trois mages, guidés par l'étoile flamboyante, sont venus pour offrir à Jésus-Christ dans son berceau, For qui fascine les yeux, et fait la conquête des coeurs, l'encens qui porte l'ascétisme au cerveau, et la myrrhe qui conserve les cadavres et rend palpable en quelque sorte, le dogme de l'immortalité en faisant voir l'inviolabilité et l'incorruption dans la mort. .

CHAPITRE IX LE SACRIFICE MAGIQUE

Parlons d'abord, en général,' du sacrifice.. Qu'est-ce que le sacrifice? Le sacrifice, c'est la réalisation du dévouement. C'est la substitution de l'innocent au coupable, dans l'oeuvre volontaire de l'expiation . C'est la compensation par la généreuse injustice du juste qui subit la peine de la lâche injustice du rebelle qui a usurpé le plaisir. C'est la tempérance du sage qui fait contrepoids dans la'vie universelle, aux orgies des insensés. Voilà ce que le sacrifice est en réalité, voilà surtout ce qu'il ctoit être. Dans l'ancien monde, le sacrifice était rarement volontaire. L'homme coupable dévouait

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LE MUSA .taaibt

alors au supplice ce qu'il regardait comme sa conquête ou sa propriété. Or la magie noire est la continuation occulte des rites proscrits de l'ancien monde. L'immolation est le fond des mystères de la nigromande et les envoûtements sont des sacrifices magiques où le magnétisme du mal se substitue au bûcher et au couteau. En religion c'est la foi qui sauve ; en magie noire c'est la foi qui tue ! Nous avons déjà fait comprendre que la magie noire est la religion de la mort. Mourir à la place d'un autre, voilà le sacrifice sublime. Tuer un autre pour ne pas mourir, voilà le sacrifice impie. Consentir au meurtre d'un innocent afin de nous assurer l'impunité de nos erreurs ce serait la dernière et la plus impardonnable des lâchetés, si l'offrande de la victime n'était pas volontàire et si cette victime n'avait pas le droit de s'offrir comme supérieure à nous et absolument maîtresse d'elle-même. C'est ainsi que pour le rachat des hommes on en a senti la nécessité.

LE SACRIFICE MAGIQUE

Nous parlons ici d'une croyance consacrée par plusieurs siècles d'adoration et par kt foi de plusieurs millions d'hommes, et comme nous avons dit que le verbe collectif et persévérant crée ce qu'il affirme nous pouvons dire que cola est ainsi. Or le sacrifice de la croix se renouvelle et se perpétue dans celui de l'autel. Et là peutêtre il est plus effrayant encore pour lu croyant. Le Dieu victime s'y trouve eu effet sans avoir même la forme de l'homme ; Il est muet et passif, livré à qui veut le prendre, sans résistance devant celui qui ose l'outrager. C'est une hostie blanche et fragile. Il vient à l'appel d'un mauvais prêtre et no protestera pas si on veut le mêler aux rites les plus impurs. Avant le Christianisme, les Stryges mani. ,aient la chair des petits enfants égorgés; maintenant elles se contente 'des saintes hosties. On ignore quelle puissance surhumaine de méchanceté puisent les mauvaises dévotes dans l'abus des sacrements. Rien n'est venimeux comme un pamphlétaire qui communie.

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t h U N D

A R C I N E

Il a le vin mauvais, dit-on d'un ivrognequi bat sa femme quand il est ivre : J'ai entendu dire un jour d'un prétendu catholique qu'il avait le bon Die', 7naievais. Il semble que dans la bouche do certains communiants une seconde transubstantiation s'opère. C'est Dieu qu'on a déposé sur leur langue, tuais c'est le diable qu'ils ont avalé.

lino hostie catholique est quelque chose de vraiment formidable. Elle contient tout le ciel et tout l'enfer, car elle est aimantée du magnétisme des siècles et des multitudes, magnétisme du bien lorsqu'on s'en approche avec la vraie foi, magnétisme concentré du mal lorsqu'on en fait un indigne usage. Aussi rien n'est aussi recherché et n'est regardé comme aussi puissant pour la confection des maléfices que les hosties consacrées par les prêtres légitimes, mais détournées de leur pieuse destination par quelque larcin sacrilège. Nous tombons ici au fond des horreurs de la magie noire, et personne ne suppose qu'en les dénonçant nous voulions en encourager les abominables pratiques.

SACRIFU1E MAGIQUE

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Gilles de Laval, seigneur de Raiz, dans une chapelle secrète de soll, château de Machecoul, faisait célébrer la messe noire par un jacobin apostat. A l'élévation on égorgeait un petit enfant et le maréchal communiait avec mi fragment de l'hostie trempée dans le sang de la victime. L'auteur du grimoire d'Honorius dit que l'opérateur des oeuvres de la magie noire doit être prêtre. Les meilleures cérémonies, selon lui, pour évoquer le diable, sont celles du culte catholique, et en effet, de l'aveu même du père Ventura, le diable est né des oeuvres de ce culte. Dans une lettre adressée à M. Gougonot Des'nousseaux et publiée par ce dernier en tête d'un de ses principaux ouvrages, le savant théatin ne craint pas d'affirmer que le diable est le fou de la. religion catholique (telle du moins que l'entendait le père Ventura). Voici ses propres expressions. « Satan, a dit Voltaire, c'est le Christianisme; « pas de Satan, pas de Christianisme. • « On peut donc dire que le chef-d'oeuvre « de Satan c'est d'être parvenu à se faire nier. »

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LE GRANA AntlAl'ile

« Démontrer l'existence de Satan c'est téta« Mir un des dogmes fondamentaux qui « servent de base au Christianisme et sans le« quel il n'est qu'un mot. » (Lettre du père Ventura au chevalier Gougonot Desmousseaux en tête du livre La Mapic au XLVe sièck.) Ainsi, après que Proud'hon n'a pas craint do dire : Dieu c'est le mal, un prêtre, qui passe pour instruit, complète la pensée de l'athée en disant : le Christianisme c'est Satan. Et il dit cela avec candeur croyant défendre la religion qu'il calomnie d'une si épouvantable manière, tant la simonie et les intérêts matériels ont plongé certains membres du clergé dans le Christianisme noir, celui de Gilles de Laval et du grimoire d'Honorius. C'est pourtant ce même père qui disait au Pape : Pour une motte do terre, ne compromettons pas le royaume du ciel. Le père Ventura était personnellement un honnête homme et chez lui le vrai chrétien l'emportait parfois surie moine et sur le prêtre. Concentrer sur un point convenu et ratta-

I4E SACRIFICE MAGIQUE

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cher à un signe toutes les aspirations vers le bien, c'est avoir assez de foi pour réaliser Dieu dans ce signe. Tel est le miracle permanent qui s'accomplit tous les jours sur les autels du vrai Christianisme. Le mème signe, profané et consacré au mal, doit réaliser le mal de la mémé manière, et si le juste après la communion peut dire : Ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi, ou en d'autres termes : je ne suis plus moi, je suis Jésus-Christ, j9 suis Dieu ; guigne le communiant indigne peut dire avec non moins de certitude et de vérité : je ne suis plus moi, je suis Satan. Créer Satanet se faire Satan, tel est le grand arcane de la magie noire, et c'est ce que les sorciers complices du seigneur de Raiz croyaient accomplir pour lui et accompEssalent, en effet, jusqu'à un certain point, en (lisant la messe du diable. L'homme se fût-il jamais exposé à créerle diable, s'il n'avait jamais eu la témérité de vouloir créer Dieu en lui donnant un corps ? . N'avons-nous pas dit qu'un Dieu corporel pro-

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IBAND ARCANE

jette nécessairement une ombre et que cette ombre c'est Sa tan ? Oui, nous l'avons dit, nous ne dirons jamais le contraire. Mais si le corps de Dieu est fictif, son ombre ne saurait être réelle.

Le corps divin n'est qu'une apparence, un voila, un nuage : Jésus l'a réalisé par la foi. Adorons la lumière et ne donnons pas de réalité à l'ombre puisque ce n'est pas elle qui est l'objet de notre foi I La nature a voulu et elle veut toujours qu'il y ait une religion sur la terre. La religion germe, fleurit et se développe dans l'homme, elle est le fruit de ses aspirations et de ses désirs; elle doit être réglée par la souveraine raison. Mais les aspirations de l'homme vers l'infini, ses désirs du bien éternel et sa raison surtout, viennent de Dieu !

CHAPITRE X • LES ÉVOCATIONS

La raison seule donne le droit à la liberté . La liberté et la raison, ces deux grands et essentiels privilèges de l'homme sont si étroitement unis, qu'on ne peut abjurer l'une sans renoncer à l'exercice de l'autre. La liberté veut le triomphe de la raison et la raison exige impérieusement le règne de la liberté. La raison et la liberté sont pour l'homIne plus que la vie. Il est beau de mourir pour la liberté, il est sublime d'être le martyr de la raison, parce que la raison et la liberté sont l'essence même de l'immortalité de l'âme. Dieu même est la raison libre de tout ce • qui existe. Le diable, au contraire, c'est la déraison fatale.

98 14E GRAND ARCANE

Abjurer sa raison ou sa liberté, c'est renier Dieu. Faire appel à la déraison ou à la fatalité, c'est évoquer le diable. Nous avons dit quo le diable existe et qu'il est mille fois plus horrible et plus impitoyable qu'on ne le représente dans les légendes même les plus noires. Pour nous et pour la raison ce ne saurait être le bd auge déchu de Milton, ni le fulgurant Lucifer, traînauit dans la nuit son auréole d'étoile touchée de la foudre. Ces fables titaniennes sont impies. Le vrai diable est bien celui des sculptures de nos cathédrales et des peintres naïfs de nos livres gothiques. Sa forme essentiellement hybride est la synthèse (le tous les cauchemars ; il est hideux, difforme et grotesque. D est enchaîné et il enchaîne. Il a des yeux partout, excepté à la tête ; il a des visages au ventre, aux genoux et à la partie postérieure de son corps immonde. JI est partout où peut s'introduire la folie, et partout il traîne après lui les tourments de l'enfer. Par lui-même il ne parle pas, mais il fait parler tous nos vices; il est le ventriloque des gloutons, le Python des femmes perdues. Sa

L E S

M U T I O N S

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est tantôt impétueuse comme le tourbillon, tantôt insinuante comme un sifflement léger. Pour parler à nos cerveaux troublés, il insinue sa langue fourchue dans nos oreilles et pour délier nos coeurs il vibre sa queue comme une flèche. Dans notre tête, il tue la raison, dans notre coeur il empoisonne la liberté et il fait cela toujours, nécessairement sans relache et sans pitié, car ce n'est pas une personne, c'est une force aveugle ; il est mau' dit, mais avec nous ; il pèche, niais en nous. Nous seuls sommes responsables du mal qu'il nous fait faire, car lui, il n'a ni liberté ni raison. Le diable c'est la bête. Saint Jean le répète à satiété dans sa merveilleuse apocalypse; mais comment comprendre l'apocalypse, si l'on n'a pas les clés de la sainte Kabbale '? Une évocation c'est donc un appel à la bête et la bête séide peut y répondre . Ajoutons que pour faire apparaître la bête, il faut la former en soi, puis la projeter au dehors. Ce secret est celui de tous les grimoires, mais il n'a été dit par les anciens maîtres que d'une manière très voix

II

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9A tir GRAND Ârtnalsit

Pour voir le diable il faut se grimer en diable, puis se regarder dans un miroir, voilà l'arcane dans sa simplicité et tel qu'on pourrait le dire à un enfant. Ajoutons pour les hommes, que dans le mystère des sorciers, la grimace diabolique s'imprime à l'âme par le médiateur astral, et que le miroir ce sont les ténnres animées par le vertige. Toute évocation sera vaine si le sorcier ne commence par damner son âme en sacrifiant pour jamais sa liberté et sa raison. On doit facilement le comprendre. Pour créer en nous la bête il faut tuer l'homme, et c'est ce qui était représenté par le sacrifice préalable d'un enfant et mieux encore par la profanation (l'une hostie. L'homme qui se décide à une évocation est un misérable que la raison gêne et qui veut agrandir en soi-même l'appétit bestial afin d'y créer un foyer magnétique doué d'une influence fatale. Il veut devenir lui-même déraison et fatalité; il veut être un aimant déréglé et mauvais afin d'attirer à lui les vices et l'or qui les alimente. C'est le plus épouvantable crime que l'imagination puisse

LES EVOGATIONS

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rêver. C'est le viol de la nature. C'est l'outrage direct et absolu jeté à la divinité; mais aussi et heureusement c'est une oeuvre épouvantablement difficile, et la plupart de ceux qui l'ont tentée ont échoué dans son accomplissement. Si un homme assez fort et assez pervers évoquait le diable dans les conditions voulues, le diable serait réalisé. Dieu serait tenu en échec et la nature épouvantée subirait le despotisme du mal. On dit qu'un homme entreprit autrefois • cette oeuvre monstrueuse et qu'il devint pape. On dit aussi qu'au lit de mort il se confessa d'avoir enveloppé toute l'Eglise des réseaux de la magie noire. Ce qui est certain, c'est que ce pape était savant comme Faust, et qu'on le dit l'auteur de plusieurs inventions merveilleuses. Nous avons parlé de lui déjà dans un de nos ouvrages. Mais ce qui, d'après la légende même prouverait qu'il n'évoqua jamais le diable, c'est-à-dire qu'il ne fut pas le diable, c'est qu'il se repentit. Le diable ne se repent jamais. Ce qui fait que la plupart des hommeu sont

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LE GRAND AltGANE

médiocres c'est qu'ils sont toujoursincomplets. Les honnêtes gens font parfois le mal et lei scélérats s'échappent parfois et s'oublient jusqu'à vouloir et faire quelque bien. Or, les péchés contre Dieu affaiblissent en l'homme la force de Dieu, et les péchés contre le diable, je veux parler des bons désirs et des bonnes actions, énervent la force du diable. Pour exercer soit en haut, soit en bas, soit à droite, soit à gauche, une puissance exceptionnelle il faut être un homme complet. La crainte et le remord chez les criminels sont deux choses qui viennent du bien, et c'est par là qu'ils se trahissent. Pour réussir dansle mal, il faut être absolument méchant. Aussi assure-t-on que Mandrin confessait ses brigands et leur imposait pour pénitence quelque meurtre d'enfant ou de femme, lorsqu'ils s'accusaient à lui d'avoir ressenti quelque pitié. Néron avait du bon, il était artiste et ce fut ce qui le perdit. Il se retira et se tua par dépit de musicien dédaigné. S'il n'eût été qu'empereur, il eût brûlé Rome une seconde fois plutôt que de céder la place au Sénat et à

LES ÉVOCATIONS

loi

Vindex, le peuple se fût déclaré pour lui ; il eût fait tomber une pluie d'or et les prétoriens l'eussent encore une fois acclamé. Le suicide de Néron fut une coquetterie d'artiste. Réussir à se faire Satan serait un triomphe incomplet pour la perversité de l'homme, s'il n'arrivait en même temps à se rendre immortel. Prométhée, a beau souffrir sur son rocher, il sait qu'un jour sa chaîne sera brisée et qu'il détrônera Jupiter; mars pour être Prométhée il faut avoir ravi le feu du ciel et nous n'en sommes encore qu'au feu de

l'enfer t

Non, le rêve de Satan n'est pas celui de Prométhée. Si un ange rebelle avait jamais pu ravir le feu du ciel, c'est-à-dire le secret divin de la vie, il se serait fait Dieu. Mais l'homme seul est assez insensé et assez borné pour croire à lasolution possible d'un théorème de cette espèce. Faire que ce qui est, soit en mémetemps et ne soit pas, que l'ombre soit la lumière, que la mort soit la vie, que le mensonge-soit la vérité et que le néant soit tout. Aussi le fou furieux qui voudrait réaliser .

l'absolu dans le mal arriverait-il enfin, comme

102 LE GRAND AREANE

l'alchimiste imprudent, à une explosion formidable qui l'ensevelirait sous les ruines de Son laboratoire insensé. Une mort instantanée et foudroyante a été le résultat des évocations infernales, et il faut convenir qu'elle n'était que trop méritée. On ne va pas impunément jusqu'aux limites extrêmes do la démence . Il est certains excès que la nature ne supporte pas. Si l'on a vu parfois mourir des somnambules réveillés en sursaut, si l'ivresse à un certain degré produit la mort.... Mais, dira-t-on, à quoi bon ces menaces retrospectives ? Qui donc dans notre siècle songe à faire des évocations avec les rites du grimoire ? A cette question nous n'avons rien à répondre. Car si nous disions ce que nous savons, peut-être ne nous croiraiton pas. On évoque d'ailleurs le magnétisme du mal autrement que par les rites de l'ancien monde. Nous avons dit, dans notre précédent chapitre, qu'une messe profanée par des intentions criminelles devient un outrage fait à Dieu et un attentat de l'homme contre sa propre

Las e.e„

JUTIONS Ille

conscience. Les oracles demandés soit au vertige d'un halluciné, soit au mouvement convulsif des choses inertes magnétisées au hasard, sont aussi des évocations infernales, car ce sont des actes qui tendent à subordonner à la fatalité la liberté et la raison. Il est vrai que les opérateurs de ces oeuvres de magie noire sont presque toujours innocents par ignorance. Ils font, il est vrai, appel à la hôte, mais ce n'est pas la bête féroce qu'ils veulent asservir à leur convoitise. Ils demandent seulement quelques conseils à la bête stupide pour servir d'auxiliaires à leur propre stupidité. Dans la magie de lumière,' la science des évocations est l'art de magnétiser les courants de la lumière astrale et de les diriger à volonté. Cette science était celle de Zoroastre et du roi Salomon, si l'on en croit les traditions anciennes, mais pour faire ce qu'ont fait Zoroastre et Salomon, il faut avoir la sagesse de Salomon et la science de Zoroastre. Pour diriger et dominer le magnétisme du bien il faut être le meilleur des hommes. Pour

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LE GRAND ARCANE

activer et précipiter le tourbillon du mal il faut être le plus méchant. Les sincères catholigues no doutent pas que les prières d'une pauvre recluse puissent changer le cœur des rois et balancer les destinées des empires. Nous sommes lCin de dédaigner cette croyance nous qui admettons la vie collective, las courants magnétiques et la toute puissance relative de la volonté. Avant les récentes découvertes de la science, les phénomènes de l'électricité et du magnétisme étaient attribués à des esprits répandus dans l'air et l'adepte qui parvenait à influencer les courants magnétiques croyait commander aux esprits. Mais les courants magnétiques étant des forces fatales, pour les diriger et les équilibrer, il faut être soi-même un centre parfait d'équilibre, et c'est ce qui manquait à la plupart de ces téméraires exorcistes. Aussi étaient-ils foudroyés souvent par le fluide impondérable qu'ils soutiraient avec violence sans pouvoir le neutraliser. Aussi reconnaissaient-ils que pour régner absolument sur les esprits, il leur manquait une

14NS *VOCATIONS

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chose indispensable ; l'Anneau do Salomon . Mais l'anneau de Salomon, dit la légende, est. encore au doigt de ce monarque et son corps est enfermé dans une pierre qui ne se brisera qu'au jour du jugement dernier. Cotte légende est vraie comme presque toutes les légendes; seulement il faut la comprendre. , Quo représente un anneau — Un anneau, . c'est le bout d'une chaîne et c'est un cercle auquel peuvent se rattacher d'autres cercles . Les chefs du sacerdoce ont toujours porté des anneaux en signe de domination sur le corde et sur la chaîne des croyants. De nos jours encore on donne aux prélats l'investiture par l'anneau et dans la cérémonie du mariage, l'époux donne à l'épouse un anneau bénit et consacré par l'église afin de la créer maîtresse et directrice des intérêts de sa maison et du cercle de ses serviteurs. L'anneau pontifical et l'anneau nuptial hiérarchiquement consacrés et conférés, représentent donc et réalisent une puissance. Mais autre est la puissance publique et

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1.E

G U AN O ‘ f t t a N t

social, et autre la puissance philosophique, sympathique et occulte. Salomon passe pour avoir été le souverain pontife de la religion des sages, et pour avoir possédé à ce titre la souveraine puissance du sacerdoce occulte, car il possédait, dit-or, la science universelle, et en lui seul se réalisait cette promesse du grand serpent : Vous serez comme des dieux connaissant le bien ot le mal. On dit que Salomon écrivit l'Ecclésiaste, le plus fort de tous ses ouvrages, après avoir adoré Astartè et Chamos, les divinités des femmes impies. Il aurait ainsi complété sa science et retrouva avant de mourir, la vertu magique de son anneau. L'emporta-t-il vraiment avec lui dans la tombe ? Une autre légende nous permet d'en douter. On dit que la reine de Saba ayant observé attentivement cet anneau en fit faire secrètement un tout pareil, et que, pendant le sommeil du roi elle se trouva près de lui et put opérer furtivement l'échange des anneaux. Elle avait emporté chez les Sabéens le véritable anneau de Salo-

bES itit MUTIONS

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mou, et cet anneau plus tard aurait été retrouvé par Zoroastre. C'était un anneau constellé, composé des sept grands métaux, et portant la signature des sept génies, avec une pierre d'aimant incarnat où étaient gravés d'un côté la figure du sceau ordinaire de Salomon

et de l'autre son sceau magique.

Les lecteurs de nos ouvrages comprendront cette allégorie.

CHAPITRE XI LES ARCANES DE L'ANNEAU DE SALOMON

Cherchez dans le tombeau de Salomon c'est, à-dire dans les cryptes de la philosophie occulte non pas son anneau, mais sa science. A l'aide de la science et d'une persévérante volonté, vous arrivez à posséder le suprême arcane de la sagesse qui est la domination libre sur le mouvement équilibré . Vous pouvez alors vous procurer l'anneau en le faisant fabriquer par un orfèvre, auquel vous n'aurez pas besoin de recommander le secret. Car no sachant pas lui-même ce qu'il fait, il ne pourra le révéler aux autres. Voici la recette de l'Anneau : • Prenez et incorporez ensemble une petite quantité d'or et le double d'argent aux heures du soleil et de la lune, joignez-y trois quan-

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LE GRAND ARGANÉ

thés, semblables à la première, de enivre Lieu purifié, quatre quantités d'étain, cinq de fer, six de mercure et sept de plomb. Incorporez le tout ensemble aux heures qui correspondent aux métaux et faites du tout un anneau dont la partie circulaire soit applatie et un peu large pour y graver les caractères. Mettez à cet anneau un chatin de forme carrée contenant une pierre d'aimant rouge enchâssée dans un double anneau d'or. Gravez sur la pierre, dessus et dessous, le double sceau de Salomon. Gravez sur l'anneau les signes occultes des sept planètes tels qu'ils sont représentés dans les archidoxes magiques de Paracelse ou dans la philosophie occulte d'Agrippa, magnétisez fortement l'anneau en le consacrant tous les jours pendant une semaine avec les cérémonies marquées dans notre rituel, sans négliger ni la couleur des vêtements, ni lesparfums spéciaux, ni la présence des animaux sympathiques, ni les conjurations spéciales que devra toujours précéder la conjuration des quatre. marquée da notre rituel.

US ARCANES DE L'ANNEAU bE SALOMON

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Vous enveloppez ensuite l'anneau dans un drap de soie et après l'avoir parfumé, vous pouvez le porter sur vous. Une piècejronde de métal ou un talisman préparé de la même manière aurait autant de vertu que l'anneau. Une chose ainsi préparée est comme un réservoir de la volonté. C'est un réflecteur magnétique qui peut être très utile, mais qui n'est jamais nécessaire. Nous avons dit d'ailleurs que les anciens rites ont perdu leur efficacité depuis que le Christianisme a paru dans le inonde. La religion chrétienne et catholique eu effet est la fille légitime de Jésus, roi des mages . Son culte n'est autre chose que la haute magie soumise aux lois de la hiérarchie qui lui sont indispensables pour qu'elle soit raisonnable et efficace. Un simple scapulaire porté par une personne vraiment chrétienne, est un talisman plus invincible que l'anneau et le pantacle de Salomon. Jésus-Christ, cet homme Dieu, si humble,

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LE GRAND ARCANE

le disait en parlant de lui-même : La reine'de Saba est venue du fond de l'Orient pour voir et entendre Salomon, et il y a ici plus que Salo-

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La messe est la plus prodigieuse des évocations. Les nécromanciens évoquent les morts, le sorcier évoque le diable et il tremble, mais le prêtre catholique ne tremble pas en évoquant le Dieu vivant t Qu'est-ce que tous les talismans de la science antique auprès de l'hostie consacrée? Laissez dormir dans sa tombe de pierre le squelette de Salomon et l'anneau qu'il pouvait avoir à son doigt décharné. Jésus-Christ est ressuscité, il est vivant. Prenez un de ces anneaux d'argent qu'on vend à la porte des églises et qui portent l'image du crucifié avec les dix grains du rosaire. Si vous êtes digne de le porter, il sera plus efficace dans votre main que ne serait le véritable anneau de Salomon. Les rites magiques et les pratiques minutieuses du culte sont tout, pour les ignares et

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les superstitieux, et nous rappellent malgré nous une historiette très connue, que nous allons rappeler eu peu de mots parce que sa place est ici. Deux moines entrent dans une chaumière quo l'on avait laissée à 11 garde (le deux enfants. Ils demandent à se reposer et à diner si cela est possible. Les enfants répondent qu'ils n'ont rien et qu'il ne peuvent rien donner. Eh bien, dit l'un des moines, voici du feu; prétez-nous seulement une marmite et un peu d'eau nous ferons nous-mêmes notre potage. — Avec quoi ?— Avec ce caillou, dit le malin religieux en allant ramasser un fragment de silex. Ignorez-vous donc mes enfants que les disciples de saint François ont le secret de la soupe au caillou ? — La soupe au caillou? Quelle merveille pour les enfants ! On leur promet qu'ils en gouteront et la trouveront excellente. Vite en prépare la marmite, on y verse de l'eau, on attise le feu et le caillou est déposé dans l'eau avec précaution. Très-bien, disent les moines. Maintenant un peu de sel et quelques légus

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LE GRAND ARCANE

mes ; tenez il y en a là dans votre jardin. Ne pourrait-on y joindre un peu de lard fumé La soupe n'en sera que meilleure. Les enfants accroupis devant l'âtre regardent avec ébahissement. La marmite bout. Allons, taillez du pain et approchez cette terrine. Hein quel fumet ! couvrez et laissez tremper. Quant au caillou enveloppez-le avec soin, nous vous le laissons pour votre peine, il ne s'use jamais et peut servir toujours. Maintenant, goutez la soupe ! Eh bien, qu'en dites vous 2— Oh, elle est excellente ! disent les petits paysans en battant des mains. C'était, en effet, une bonne soupe aux choux et au lard que les enfants n'auraient jamais su offrir à leurs hotes sans la merveille du caillou. Les rites magiques et les pratiques religieuses sont un peu le caillou des moines. Ils servent de prétexte et d'occasion à la pratique des vertus qui seules sont indispensables à la vie morale de l'homme. Sans le caillou les bons moines n'eussent pas diné ; le caillou avait donc véritablement une puissance? — Oui, dans l'imagination des enfants mise en jeu par l'habileté des bons pères.

LES ARCANES DE L'ANNEAU DE SALOMON

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Ceci soit dit sans lamer et sans offenser personne. Les moines eurent de l'esprit et ne furent pas menteurs. Ils aidèrent les enfants à faire une bonne action et les émerveillèrent, leur firent partager un bon potage, et sur ce, nous conseillons à ceux qui ont faim et pour qui la soupe aux choux est quelque chose de trop difficile à faire, on *peut-être de trop simple, de faire la soupe au caillou. ;

Qu'on nous comprenne bien-ici. Nous ne voulons pas dire que les igues et les rites • soient une grande mystification. Il en serait ainsi si les hommes n'en avaient pas besoin. Mais il faut tenir compte de ce fait incontestable que toutes les intelligences ne sont pas égales. On a toujours conté des fables aux enfants et on leur en contera tant qu'il y aura des nourrices et des mères. Les enfants ont la foi et c'est ce qui les sauve. Figurez-vous un bambin de sept ans qui disait : je ne veux rien admettre de ce que je ne comprends pas . {>ie pourrait-on apprendre à ce petit monstre ? —Admets d'abord la chose sur la parole de tes maîtres, mon bonhomme, puis, étudie, et si tu n'est pas un idiot, tu comprendras. .

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T.F. GRAND ARCANE

H faut des fables aux enfants, il faut des fables et et des cérémonies au peuple ; il faut dos auxiliaires à la faiblesse do l'homme. Heureux celui qui possédait l'anneau de Salomon, mais plus heureux celui qui égalerait ou même qui surpasserait Salomon en science et en sagesse sans avoir besoin de son anneau!

CHAPITRE XII

LE SECRET TERRIBLE

Il est des vérités qui doivent être à jamais mystérieuses pour les faibles d'esprit et pour les sots. Et ces vérités on peut sans crainte les leur dire. Car certainement il ne les comprendront jamais. Qu'est-ce qu'un sot? — C'est quelque chose de plus absurde qu'une bête. C'est l'homme qui veut être arrivé avant d'avoir marché. C'est l'homme qui se croit maître de tout parce qu'il est arrivé à quelque chose. C'est un mathématicien qui dédaigne la poésie. C'est un poète qui proteste contre les mathéma- tiques. C'est un peintre qui dit que la théolo• gie et la kabbale sont des inepties parce qu'il ne comprend rien à la kabbale et a la théologie. C'est l'ignorant qui nie la science sans

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se donner la peine de l'étudier. C'est l'homme qui parle sans savoir et qui affirme sans certitude. Ce sont les sots qui tuent les hommes de génie. Galilée a été condamné, non par l'Église, mais par des sots qui malheureusement appartenaient à l'Eglise. La sottise est une bête féroce quia le calme de l'innocence ; elle assassine sans remords. Le sot est l'ours de la fable do Lafontaine ; il écrase la tête de son ami sous un pavé pour chasser une mouche : niais en face de la catastrophe ne cherchez pas à lui faire avouer qu'il a eu tort. La sottise est inexorable et infaillible comme l'enferet la fatalité, car elle el toujours dirigée par le magnétisme du mal. La bête n'est jamais sotte tant qu'elle agit franchement ot naturellement en bête ; mais l'homme apprend la sottise aux chiens et aux ânes savants. Le sot, c'est la bête qui dédaigne l'instinct et qui pose pour l'intelligence. Le progrès existe pour la bête : on peut la dompter, l'apprivoiser, l'exercer ; mais il n'existe pas pour le sot. Car le sot croit n'avoir rien à apprendre. C'est lui qui veut

LE SECRET TERRUILE

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régenter et redresser les autres et jamais vous n'aurez raison avec lui. Il vous rit au nez en disant que ce qu'il ne comprend pas est radicalement incompréhensible. Pourquoi ne comprendrais-je pas eu effet ? Vous dit-il avec un aplomb admirable ? Et vous n'avez rien à lui répondre. Lui dire qu'il est mi sot serait tout simplement une insulte. Tout le monde le voit bien, mais lui ne le saura jamais. Voici donc déjà un formidable arcane inaccessible à la majorité dos hommes. Voilà un secret qu'ils ne devineront jamais et qu'il serait inutile de leur dire : Le secret de leur propre sottise. Socrate boit la -cigite, Aristide est proscrit, . Jésus est crucifié, Aristophane rit de Socrate et fait rire les sots d'Athènes, un paysan s'ennuie d'entendre donner à Aristide le nom de Juste et Renan écrit la vie de Jésus pour le plus grand plaisir des sots. C'est à cause du nombre presque infini des sots que la poli' tique est et sera toujours la science de la dissimulation et du mensonge. Machiavel a osé le dire et a été frappé d'une réprobation hien

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légitime, car en feignant de donner des leçons aux princes, il les trahissait tous et les dénonçait à la défiance des multitudes. Ceux qu'on est forcé de tromper il ne faut pas les prévenir. C'est à cause dos viles et des sottes multitudes que Jésus disait à ses disciples : Ne jetez point des perles devant les pourceaux, car il3 les fouleraient aux pieds et se tourneraient contre vous en cherchant à vous déchirer. Vous donc qui désirez devenir puissants en oeuvres, ne dites jamais à personne, votre plus secrète pensée. Ne la dites pas même, et j'oserais presque dire cachez-là surtout à la femme que vous aimez ; rappelez-vous l'histoire de Samson et de Dalila ! Dès qu'une femme croit connaître à fond son mari, elle cesse de l'aimer. Elle veut le gouverner et le conduire. S'il résiste, elle le hait ; s'il cède elle le méprise. Elle cherche an autre homme à pénétrer. La femme a toujours besoin d'inconnu et de mystère et son amourn'est souvcntqu'uneinsatiable curiosité.

SEURIIT TERRIL«

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Pourquoi les confesseurs sont-ils tout puissants sur l'âme et presque toujours sur le coeur des femmes ? c'est qu'ils savent tous leurs secrets, tandis que les femmes ignorent ceux des 'confesseurs. La Franc-Maçonnerie n'est puissante dans le monde que par son redoutable secret si prodigieusement gardé que les initiés, même des plus hauts grades, ne le savent pas. La religion catholique s'impose aux multitudes par un secret quo le pape lui-même né sait pas. Ce secret c'est celui des mystères. Les anciens gnostiques le savaient comme l'indique leur nom, mais ils ne surent pas garder le silence. Ils voulurent vulgariser la gnose ; il en résulta des doctrines ridicules que l'Eglise eut raison de condamner. Mais avec eux, malheureusement, fut condamnée la porte du sanctuaire occulte et on en jeta les clefs dan's l'abîme. C'est là que les Johanites et les Templiers osèrent aller la prendre au risque de la damnation éternelle. Méritaient-ils pour cela d'être damnés dans l'aàtre monde 7 Tout ce que

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LE GRAND AlICANE

nous savons c'est quand ce monde ci, les. Templiers furent brûlés. La doctrine secrète de Jésus était celle-ci : Dieu avait été considéré comme un maitre et le• prince de ce monde était le mal ; moi qui suis le fils de Dieu, je vous le dis : Ne cherchons pas Dieu dans l'espace, il est dans. nos consciences et dans nos coeurs. Mon père et moi nous ne sommes qu'un et je veux que vous et moi nous ne soyons qu'un. Aimonsnous les uns les autres comme des frères. N'ayons tous qu'un coeur et qu'une âme. La loi religieuse est faite pour l'homme, et l'homme, n'est pas fait pour la loi. Les prescriptions. légales sont soumises au libre arbitre de notre raison unie à la foi . Croyez au bien et le mal ne pourra rien sur vous. Quand vous serez assemblés en mon nom, mon esprit sera au milieu de vous.- Personne parmi vous ne doit se croire le maitre des autres, mais tous doivent respecter la décision de l'assemblée. Tout homme doit être jugé selon ses oeuvres, et mesuré suivantla mesure

qu'il s'est faite. La conscience de chaque.

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homme constitue sa foi, et la foi de l'homme c'est la puissance de Dieu en lui. Si vous êtes maître de vous-même la nature vous obéira et vous gouvernerez les autres. La foi (les justes est plus inébranlable • que les portes de l'enfer et leur espérance ne sera jamais confondue. Je suis vous, et vous moi, dans l'esprit de • charité qui est le nôtre, et qui est Dieu. Croyez • cela et votre verbe sera créateur. Croyez cela et vous ferez des miracles. Le monde vous persécutera et vous ferez la conquête du monde. Les bons sont ceux qui pratiquent la charité et ceux qui assistent les malheureux ; les méchants sont les coeurs sans pitié et ces derniers seront éternellement réprouvés par l'humanité et parla raison. Les vielles sociétés fondées sur le mensonge périront; un jour le fils de l'homme trônera sur les nuées du ciel qui sont les té' nèbres de l'idolâtrie et il portera un jugement définitif sur les vivants et sur les morts. Désirez la lumière car elle se fera. Aspirez

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à la justice, car elle viendra. Ne cherchez pas le triomphe du glaive, car le meurtre provoque le meurtre. C'est par la patience et la douceur que vous devir,ndrez maîtres de vousmême et du monde. Livrez maintenant cette doctrine admirable aux commentaires des sophistes de la décadence et aux ergoteurs du Moyen-Age, vous en verrez sortir de belles choses. — Si Jésus était fils de Dieu, comment Dieu l'a-t-il engendré ? Est-il de la mémo substance ou d'une autre substance que Dieu ? La substance de Dieu ! Quel éternel sujet de dispute pour l'ignorance présomptueuse ! Était-il une personne divine ou une personne humaine ? Avait-il deux natures et deux volontés ? Terribles questions qui méritent bien qu'on s'excommunie et qu'on s'égorge ! — Jésus avait une seule nature et deux volontés, disent les uns, mais ne les écoutez pas, ce sont des hérétiques, deux natures, donc, et une volonté ? — Non, deux volontés. —. Alors il était en opposition avec lui-même ? — Non, car ces deux volontés n'en faisaient qu'une,

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qui s'appelle la Théaudrique. — Oh ! oh ! devant ce mot là ne disons plus rien, et puis il faut obéir à l'Eglise qui est devenue, bien autre chose que la primitive assemblée des fidèles. La loi est faite pour l'homme a dit Jésus, mais l'homme est fait pour l'Eglise dit l'Eglise, et c'est elle qui impose la loi. Dieu sanctionnera tous les décrets de l'Eglise et • vous damnera tous si elle décide que vous • êtes tous, ou presque tous, damnés. Jésus a dit qu'il faut s'en rapporter à l'assemblée, donc elle est infaillible, donc elle est Dieu, clone si elle décide que deux et deux font cinq, deux et deux feront cinq. Si elle dit que la terre est immobile et que le soleil tourne, défense à la terre de tourner. Elle vous dira que Dieu sauve ses élus en leur donnant la grâce efficace et que les autres seront damnés pour n'avoir reçu que des grâces suffisantes, lesquelles à cause du péché originel suffisaient en principe mais en fait né suffisaient pas ; que le pape sauve et damne qui il lui plaît puisqu'il a les clefs du ciel et de renier. Puis viennent les casuistes

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avec leurs trousseaux de clefs qui n'ouvrent pas, mais qui ferment à double et triple tour toutes les portes des appartements projetés dans la tour de Babel. 0 Rabelais, mon maitre, toi seul peux apporter la panacée qui convient à toute cette démence. Un éclat de rire démesuré t Dis-nous enfin le dernier mot de tout cela, et apprends-nous définitivement si une chimère qui crève en faisant clu bruit dans le vide peut se remplir de nouveau et se lester d'une bedaine en absorbant la substance quidditative et mirifique de nos secondes intentions ? ILL-

Utruin chimcera in vacuum bombinans possit coeidere secuncl#m intentions. Autres sots, autres commentaires. Voici venir les adversaires de l'Eglise qui nous disent : Dieu est dans l'homme, cela veut dire qu'il n'y a pas d'autre Dieu que l'intelligence humaine. Si l'homme est au-dessus de la loi religieuse et que cette loi gêne l'homme, pourquoi ne supprimerait-il pas la loi ? Si Dieu c'est nous et si nous sommes tous frères , si personne n'a le droit de se dire notre p

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maitre , pourquoi obéirions-nous ? La foi est la raison des imbéciles. Ne croyons à rien et ne nous soumettons à personne. A la bonne heure ! Voici qui est fier. Mais il va falloir se battre tous contre tous et chacun contre chacun. Voici la guerre des dieux et l'extermination des hommes ! Hélas ! hélas ! misère et sottise !.... Puis encore et puis encore sottise, sottise et misère 1 Père, pardonnez-leur, disait Jésus car ils ne savent ce qu'ils font. — Gens de bon sens, qui que vous soyez, ajouterai-je, ne les écoutez pas, car ils ne savent ce qu'ils disent. Mais alors ils sont innocents, va crier un enfant terrible. — Silence imprudent. Silence au nom du ciel ou toute morale est perdue ! Vous avez tort d'ailleurs. S'ils étaient • innocents il serait permis de faire comme eux et voudriez-vous les imiter ? Tout croire est une sottise ; la sottise ne saurait donc être innocente. S'il y a des circonstances atténuantes, c'est à Dieu seul de les apprécier. Notre espèce est évidemment défectueuse et il semblerait à entendre parler et à voir

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agir la plupart des hommes qu'ils n'ont pas assez de raison pour être sérieusement responsables. Écoutez parler à la Chambre les hommes que la France (le premier pays du monde) honore de sa confiance. Voilà l'orateur de l'opposition. Voici le champion du ministère. Chacun des deux prouve victorieusement à l'autre qu'il n'entend rien aux affaires d'État. A prouve que B est un crétin, B prouve que A est un saltimbanque. Lequel croire ? Si vous êtes blanc vous croirez A, si vous êtes rouge vous croirez B. Mais la vérité, mon Dieu ! la vérité ! — La vérité c'est que A et B sont deux charlatans et deux menteurs. Puisqu'il peut exister un doute entre l'un et l'autre; ils ont prouvé l'un contre l'autre que l'un et l'autre ne valaient rien. J'admire la preuve et je les admire tous les deux dans cette démolition mutuelle. On trouve tout ce qu'on veut dans les livres, excepté souvent ce que l'auteur a voulu y mettre. On rit de la religion comme d'une imposture et l'ou env oie ses enfants à l'église. On fait parade de cynisme et l'on est supers-

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titieux. Ce qu'on craint par-dessus tout , c'est le bons sens, c'est la vérité, c'est la raison. La vanité puérile et le sordide intérêt mènent les humains par le nez jusqu'à la mort, cet oubli définitif et cette rieuse suprême. Le fond de la plupart des âmes, c'est la vanité. Or, qu'est-ce que la vanité ? C'est le vide. Mufti, pliez les zéros tant que vous voudrez, cela vaudra toujours zéro , entassez des riens et vous n'arriverez à rien, rien, rien. Rien; voilà le programme de la majorité des hommes. Et ce sont là des immortels ! et ces âmes si ridiculement trompeuses et trompées sont impérissables ! Pour tous ces écervelés la vie est un piège suprême qui cache l'enfer ! Oh ! il y a certainement là-dessous un secret terrible : c'est celui de la responsabilité. Le père répond pour ses enfants, le maître pour ses serviteurs, et l'homme intelligent pour la . foule inintelligente. La rédemption s'accomplit par tous les hommes supérieurs, la bêtise souffre, mais l'esprit seul expie. .

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La douleur du ver qu'on écrase et de l'huître que l'on déchire ne sont pas des expiations. Sache donc, ô toi qui veux être initié aux grands mystères, que tu fais un pacte avec la douleur etque tu affrontes l'enfer. Le Vautour,. le Prométhéide to regarde et les Furies conduites par Mercure apprêtent des coins do' bois et des clous. Tu vas être sacré, c'est-àdire consacré au supplice. L'humanité a besoin de tes tourments. Le Christ est mort jeune sur une croix et tous ceux qu'il a initiés ont été martyrs. Apollonius de Tyane est mort des tortures qu'il avait souffertes dans les prisons de Borne. Paracelse et Agrippa ont mené une vie errante et sont morts misérablement. Guillaume Postel est mortprisonnier. Saint-Germain et Cagliostro ont fait une fin mystérieuse et probablement tragique. Tôt ou tard il faut satisfaire au pacte soit formel soit tacite. 11 faut payer l'amende impose à tout ravisseur du fruit de l'arbreede d science. Il faut se libérer de l'impôt que la nature a mis sur les miracles. .

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Il faut avoir une lutte finale avec le diable lorsqu'ou s'est permis d'être Dieu.

Eritis sieut dii m'entes bonum, et maleon. FIN DU LIVRE SECOND

LIVRE TROISIEME Le Mystère sac mrdotal ou l'art de se faire servir par les esprits

CHAPITRE LES FORCES ERRANTES

Un sentiment vague qu'on pourrait appeler la conscience de l'infini agite l'homme et le tourmente. Il sent eu lui des forces oisives, il croit sentir s'agiter autour de lui des ennemis sans formes ou des auxiliaires inconnus. Il a souvent besoin de croire l'absurde et d'essayer l'impossible ; ou bien il se sent malade et brisé, tout lui échappe, et il voudrait tordre le désespoir pour en faire sortir une espérance 'nouvelle. L'amour l'a trompé, l'amitié l'a délaissé, la raison ne lui suffit plus. Un philosophe l'attristerait ; un magicien l'épouvanterait ; c'est alors qu'il lui faut un prêtre ! Le prêtre est le dompteur des hippogriffes de l'imagination et des tarasques de la fan-

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taisie. Il tire une force de nos faiblesses et compose une réalité avec, nos chimères; c'est le médecin homéopathe de la folie humaine. N'est-il pas d'ailleurs plus qu'un homme ? N'a-t-il pas une mission légitime dont les titres de noblesse remontent au Calvaire ou au Sinaï? Je parle ici du prêtre catholique, et de fait il n'existe que celui-là. Les juifs ont des rabbins, les musulmans, des imans; les Indiens, des brahmes ; les Chinois, des bonzes, les protestants, des ministres. Les catholiques seuls ont des prêtres, parce que seuls ils ont l'autel et le sacrifice, c'est-à-dire toute la religion. Exercer la haute magie, c'est faire concurrence au sacerdoce catholique, c'est être un prêtre dissident. Rome est la grande Thèbes de l'initiation nouvelle. Elle remua jadis les ossements de ses martyrs pour combattre les dieux évoqués par Julien. Elle a pour cryptes ses catacombes, pour talismans ses chapelets et ses médailles, pour chaînes magiques ses congrégations, pour foyers magnétiques ses couvents, pour centres d'attraction ses codes-

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sionnaux, pour moyens d'expansion ses chaires, ses imprimeries et les mandements de ses évêques; elle a son pape enfin, son pape, l'homme-Dieu rendu visible et permanent sur la terre, son pape qui peut être un sot comme le sont plus ou moins tous les fanatiques, ou un scélérat comme Alexandre VI, mais qui n'en sera pas moins le régularisateur des esprits, l'arbitre des consciences, et dans tout l'univers chrétien le distributeur légitime de l'indulgence et des pardons. C'est insensé, allez-vous dire. — Oui, c'est presque insensé à force d'être grand. C'est presque ridicule tant cela dépasse le sublime. Quelle puissance semblable a jamais paru sur la terre ? et si elle n'existait pas qui oserait jamais l'inventer. Comment s'est produit cet effet immense? D'où nous vient ce prodige qui semble réaliser l'impossible? — De la concentration des forces errantes, de l'association et de la direction des instincts vagues, • de la création conventionnelle de l'absolu dans l'espérance et dans la foi ! Criez maintenant au monstre philosophes

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du dix-huitième siècle ! Le monstre est plus fort que vous et vous vaincra. Dites qu'il faut écraser l'infâme 1 disciples de Voltaire ; l'infâme ! y pensez-vous ? L'infâme inspiratrice de Vincent de Paul et de Fénelon, l'infâme qui suggère tant de sacrifices aux nobles soeurs de charité, tant de dévouements à de pauvres et chastes missionnaires ! L'infame fondatrice de tant de maisons do charité, de tant de refuges pour le repentir, de tant de retraites pour l'innocence. Si là est l'infâmie, tandis que l'honneur serait avec vos calomnies et vos injures, j'embrasse avec amour le pilori et je foule votre honneur. Mais ce n'est pas là ce que vous voulez dire, net je ne veux pas être votre calomniateur à mon tour. Ame de Voltaire, toi que rappel•erais volontiers une âme sainte; car tupréférais à toutes choses la vérité et la justice; pour toi le bon sens était Dieu et la bêtise était le diable. Tu n'as vu que l'âme dans la •crèche de Bethléem. Tu as vu l'entrée triomphale de Jésus dans Jérusalem et tu as ri des oreilles de l'âne. Cela devait fâcher Fréron.

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Ah ! si tu avais connu Veuillot ! Mais parlons sérieusement, car il s'agit ici de choses graves. Le Génie du christianisme a répondu aux sarcasmes de Voltaire, ou plutôt Chateaubriand a complété Voltaire, car ces deux grands hommes sont également en dehors du catholicisme des prêtres. Les oreilles d'âne seront indispensables tant qu'il y aura des ânes dans le monde, et il doit y avoir des ânes puisque la nature, fille de Dieu, les a créés. Jésus-Christ a voulu avoir un âne pour monture, et c'est pour cela que le saint Pitre monte sur une mule. Sa pantoufle même s'appelle une mule, pour signifier peut-être qu'un bon pape doit être entêté jusqu'au bout des ongles des pieds. Non possumus, dit notre saint Père le pape Pie IX lorsqu'on lui demande des concessions et des réformes. Le pape ne dit jamaispossumus « nous pouvons » , car cela c'est le grand arcane du sacerdoce ; tous les prêtres le savent bien, mais cela est surtout vrai tant qu'ils ne le disent pas. Le pouvoir fondé sur les mystères doit être

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un pouvoir mystérieux, autrement il n'existerait plus. Je crois que cet homme peut quelque chose que je ne saurais définir à cause d'autre chose que je ne comprends pas ni lui non plus. Donc je dois lui obéir, car je ne saurais dire pourquoi je ne lui obéirais pas, ne pouvant nier l'existence de ce que je ne sais pas, existence que d'ailleurs il affirme avec tout autant de raison. Je sens que cela n'est pas raisonnable et j'en suis bien aise parce qu'il me dit souvent qu'il faut se défier de la raison. Seulement je trouve que cela me fait du bien et que cela me tranquillise de penser ainsi. — Charbonnier, vous avez raison. Amours avortées on déçues, ambitions repoussées ; colères impuissantes , ressentiments aigris, orgueil qui aspire à descendre", paresse de l'esprit que fatigue le doute, élans de l'ignorance vers l'inconnu et surtout vers • le ;nerveilleux, craintes vagùes de la mort, tourments de la mauvaise conscience, besoin du repos qui nous fuit sans cesse, rêves sombres et grandioses des artistes, visions ter-

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ribles de l'éternité. Voilà les forces errantes que la religion rassemble et dont elle forme une passion la plus invincible et la plus formidable de toutes : la dévotion. Cette passion est sans frein, car rien ne peut la retenir ou la limiter, elle se fait gloire de ses excès et croit que l'Éternité commence pour elle; elle absorbe tous les sentiments, rend l'homme insensible à tout ce qui n'est pas elle et pousse le zèle de la propagande jusqu'au despotisme le plus meurtrier et jusqu'à la fureur la plus implacable. Saint Dominique et saint Pie V sont reconnus comme tels par toute l'Église et ne peuvent être reniés par un catholique soumis et de bonne foi. On comprend combien la dévotion peut devenir un levier puissant dans la main d'une autorité qui se déclare infaillible. Donnez-moi un point d'appui hors du monde, disait Archimède, et je déplacerai la terre. Les prêtres ont trouvé un point d'appui hors de la raison personnelle et ils ont déplacé la raison de l'humanité : Voyant que les hommes n'arrivaient pas

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à la connaissance de Dieu par la science et par la raison, il nous a plu, dit le prince des apôtres, de sauver les croyants par l'absurdité de la foi ! » Adversaires de l'Église, qu'avez-vous ici à. répondre? Saint Paul parle, comme on dit, la bouche ouverte et ne prétend tromper personne. La force religieuse du dogme est dans cette obscurité qui fait son absurdité apparente. Un dogme expliqué ce n'est plus un dogme, c'est un théorème de philosophie ou du moins un postulatum. On veut toujours confondre la religion avec la philosophie, et l'on ne comprend pas que leur séparation et leur distinction, je ne dis pas leur antagonisme, est absolument nécessaire à l'équilibre de la raison. Les astronomes pensent que les comètes ne sont errantes que relativement à notre système, mais qu'elles suivent un cours régulier allant d'un système à l'autre et décrivant une ellipse dont les foyers sont deux soleils. . Il en est de même des forces errantes de

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rie

l'homme. Une seule lumière ne leur suffit pas, et pour équilibrer leur essor il leur faut deux. centres et deux foyers : l'un c'est la raison,. et l'autre la foi.

CHAPITRE II LES POUVOIRS DES PRÊTRES

Pour que le prêtre soit puissant, il faut qu'il sache ou qu'il croie. La conciliation de la science avec la foi appartient au grand hiérophante. Si le prêtre sait sans croire, il peut être un homme de bien ou un malhonnête homme. S'il est homme de bien, il exploite la foi des autres au profit de la raison et de la justice. S'il est malhonnête homme, il exploite la foi au profit de ses cupidités, mais alors ce n'est plus un prêtre, c'est le plus vil des malfaiteurs. S'il croit sans savoir, c'est une dupe respectable mais dangereuse que les hommes de science doivent dominer et surveiller. Le sacerdoce et la royauté dans le christia-

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nista° ne sont que des délégations. Nous sommes tous prêtres et rois; mais comme les fonctions sacerdotales et royales supposent l'action d'un seul sur une multitude, nous confions nos pouvoirs dans l'ordre temporel à un roi et dans l'ordre spirituel à un prêtre. Le roi chrétien est prêtre comme nous tous, mais il n'exerce pas le sacerdoce. Le prêtre chrétien est roi comme nous tous mais il ne doit pas exercer la riiyauté. Le prêtre doit diriger le roi et le roi protéger le prêtre. Le prêtre tient les clefs et le roi porte le glaive. Le prêtre du christianisme primitif était saint Pierre et le roi était saint Paul. Le roi et le prêtre tiennent leurs pouvoirs du peuple, qui a été sacré roi et prêtre par l'onction sainte du baptême, application du sang divin de Jésus-Christ. Toute la société est sauvegardée par l'équilibre de ces deux puissances. Que demain il n'y ait plus de pape, aprèsdemain il n'y aura plus de rois, et il n'y aura io

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plus personne pour régner, soit dans l'ordre temporel, soit dans l'ordre spirituel, parce que personne n'obéira plus; alors il n'y aura plus do société et les hommes s'entre-tueront. Le pape c'est le prêtre, et le prêtre c'est le pape, car l'un est le représentant de l'autre. L'autorité du pape vient des prêtres et celle des prêtres remonte au pape. Au-dessus il n'y «que Dieu. Telle est du moins la croyance des prêtres. Le prêtre dispose donc pour ceux qui ont confiance en lui d'une puissance divine. J'oserai même dire que son pouvoir semble être plus que divin, puisqu'il commande à Dieu même de venir et Dieu vient. Il fait plus, il crée Dieu par une parole Par un prestige attaché à sa personne, il dépouille les hommes de leur orgueil et les femmes de leur pudeur. Il les force à venir lui raconter des turpitudes pour lesquelles les hommes se battraient si on paraissait les en soupçonner, et dont les femmes ne voudraient pas même entendre le nom ailleurs que dans le confessionnal. Mais là, elles sont en règle avec les petites infamies,

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elles les disent tout bas, et le prêtre les pardonne ou leur impose une pénitence : quelques prières à dire, quelque mortification à faire, et elles s'en vont consolées. Est-ce donc trop cher que d'acheter la paix du coeur au prix d'un peu de servitude ! La religion étant la médecine des esprits impose certainement des servitudes, comme le médecin prescrit des remèdes et soumet ses malades à un régime. Personnénepeut raisonnablement contester l'utilité de la médecine, mais il ne faut pas pour cela que les médecins veuillent forcer les gens bien portants à se soigner et à se purger. Ce serait un plaisant spectacle (le voir Je président de l'Académie de médecine lancer des encycliques contre tous ceux qui vivent sans rhubarbe, et-mcttre au ban de la société ceux qui prétendent, avec de la sobriété et de l'exercice, pouvoir se passer du médecin. Mais, de bouffonne la scène deviendrait tragique sans être moins énormément ridicule si le gouvernement, appuyant les prétentions du doyen, laissait seulement le choix aux

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réfractaires entre la seringue do Purgon et le fusil Chassepot. La liberté de régime est aussi inviolable que la liberté de conscience. Vous me direz peut-être qu'on ne consulte pas les fous avant de leur administrer des douches. J'en conviens; mais prenez garde, ceci tournerait contre vous. Les fous sont eu opposition avec la raison commune. Ils ont (les croyances exceptionnelles et des extravagances qu'ils veulent imposer et qui les rendent furieux. Ne nous donnez pas à penser qu'il faudrait répondre par des douches obligatoires aux défenseurs du Syllabus. La puissance du prêtre est toute morale et no saurait s'imposer par la force. Mais d'un autre côté, et par une juste compasation, la force ne peut rien pour la détruire. Si vous tuez un prêtre vous faites un martyr. Faire uà martyr, c'est poser la première pierre d'un autel, et tout autel produit des séminaires de prêtres. Renversez un autel et avec ses pierres dispersées on en construira vingt que vous ne renverserez pas. La religion n'a pas été inventée par les hommes, elle est fatale, c'est-

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à-dire providentielle elle s'est produite d'ellemême pour satisfaire au besoin des hommes et c'est ainsi que Dieu l'a voulue et révélée. Le vulgaire y croit parce qu'il ne la comprend pas et parce qu'elle semble être assez absurde pour le subjuguer et lui plaire, et moi j'y crois parce que je la comprends et parce que je me trouverais absurde de ne pas y croire. C'est moi, ne craignez rien; dit le Christ on marchant sur les flots au milieu de la tempête. — Seigneur, si c'est vous, dit saint Pierre, ordonnez que j'aille à vous en marchant aussi sur les flots. − Viens ! répond le Sauveur, et saint Pierre marcha sur la mer. Tout à coup le vent s'élève plus furieux, les vagues se balancent et l'homme a peur; aussitôt il enfonce, et Jésus le retenant et le soulyant par la main lui dit « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu ' douté? »

CHAPITRE III L'ENCHAINEMENT DU DIABLE

Le plaisir est un ennemi qui doit fatalement devenir notre esclave ou notre maître. Pour le posséder il faut combattre, et pour en jouir il faut l'avoir vaincu . Le plaisir est un esclave charmant, mais c'est un maître cruel, impitoyable et meurtrier. Ceux qu'il possède il les fatigue, il les use, il les tue, après avoir trompé tous leurs désirs et trahi toutes leurs espérances. La servitude d'un plaisir s'appelle une passion. La domination sur un plaisir peut s'appeler une puissance. La nature a mis le plaisir près du devoir ; si nous le séparons du devoir il se corrompt et nous empoisonne. Si nous nous attachons au

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devoir, le plaisir ne s'en séparera plus, il nous suivra et sera notre récompense. Le plaisir est inséparable du bien. L'homme de bien peut souffrir, il est vrai, mais pour lui un plaisir immense se dégage de la douleur. Job sur son fumier reçoit la visite de Dieu qui le console et le relève, tandis que Nabuchodonosor sur son trône se courbe sous une main fatale qui • lui prend sa raison et le change en bête. Jésus •expirant sur la croix pousse un cri di) triomphe comme s'il sentait sa résurrection prochaine, • tandis que Tibère à Caprée, au milieu de ses criminelles délices trahit les angoisses de son âme et avoue dans une lettre au sénat qu'il se sent mourir tous les jours ! Le mal n'a de prise sur nous que par nos vices et par la peur qu'il nous ipspire. Le diable poursuit ceux qui ont peur de lui et fuit devant ceux qui le méprisent. Bien faire et ne rien craindre, c'est l'art d'enchaîner le démon. Mais nous ne faisons pas ici un traité de morale. Nous révélons les secrets de la science magique appliquée à la médecine des esprits.

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ll faut donc dire quelque chose des possessions at des exorcismes. Nous avons tous en nous-mêmes le sentiment d'une double vie. Les luttes de l'esprit contre la conscience, du désir Melte contre le sentiment généreux, de la hôte, en un mot, contre la créature intelligente, les faiblesses de la volonté entraînée souvent par lapassion , les reproches que nous nous adressons, la défiance de nous-mêmes, les rêves que nous poursuivons tout éveillés; tout cela semble nous révéler en nous-mêmes la présence de dedx personnes de caractère diffèrent dont l'une nous exhorte au bien tandis que l'autre voudrait nous entraîner au mal. De ces anxiétés naturelles f notre double nature, on a conclu à l'existence de deux anges attachés à chacun de nous, l'un bon l'autre mauvais, toujours présents, l'un à notre droite et l'autre à notre gauche. Ceci est purement et simplement du symbolisme, mais nous avons dit, et ceci est un arcane de la science, que l'imagination de l'homme est assez puissante pour donner des formes

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passagèrement réelles aux êtres qu'affirme son verbe. Plus d'une religieuse a vu et touché son bon ange; plus d'un ascète s'est pris corps à corps et s'est réellement battu avec son démon familier. Dans les visions que nous avons provoquées ou qui procèdent d'une disposition maladive, nous nous apparaissons è nous-mêmes sous . les formes que prête à notre imcgination exaltée une projection magnétique. Et quelquefois aussi certains malades ou certains • maniaques peuvent projeter des forces qui aimantent les objets soumis à leur influence, en sorte que ces objets semblent se déplacer et se mouvoir d'eux-mêmes. Ces productions d'images et de forces, n'étant pas dans l'ordre habituel de la nature, procèdent toujours de quelque disposition maladive qui peut devenir tout à coup contagieuse par les effets de l'étonnement, de la frayeur, ou de quelque disposition mauvaise. Les prodiges alors redoublent, :_•,± tout semble être entraîné par le vertige de la démence. De pareils phénomènes sont évidem-

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ment des désordres, ils sont produits par le magnétisme du mal, et le vulgaire aurait raison, s'il admettait la définition que nous avons donnée, de les attribuer au démon. Ainsi se sont produits les miracles des convulsionnaires de saint Médard, des trembleurs des Cévennes et de tant d'autres. Ainsi se produisent les singularités du spiritisme; au centre de tous ces cercles, à la tête de tous ces courants, il y avait des exaltés et des malades. Grâce à l'action du courant et à la pression des cercles, les malades peuvent devenir incurables et les exaltés deviennent fous. Quand l'exaltation visionnaire et le déréglement magnétique se produisent à l'état chronique chez un malade, il est obsédé ou possédé suivant la gravité du mal. Le sujet dans cet état est atteint d'une sorte de somnambulisme contagieux, il rêve tout éveillé, croit et produit jusqu'à un certain point l'absurde autour de lui, fascine les yeux et trompe les sens des personnes impressionnables qui l'entourent. C'est alors que la superstition triomphe et que l'action du diable

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devient évidente. Elle est évidente, en effet, mais le diable n'est pas ce qu'on croit. On pourrait définir la magie, la science du magnétisme universel, mais ce serait prendre l'effet pour la cause. La cause, nous l'avons dit, c'est la lumière principiante de l' od, l'ob et I' aour des Hébreux. Mais revenons au magnétisme dont les grands secrets ne sont pas encore con as et révélons-en les futurs théorèmes. I Tous les êtres vivant sous une forme sont polarisés pour aspirer et respirer la vie universelle. II Les forces magnétiques dans les trois règnes sont faites pour s'équilibrer par la puissance des contraires. III L'électricité n'est que la chaleur spéciale qui produit la circulation du magnétisme.

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1V Les médicaments ne guérissent pas les maladies par l'action propre de leur substance; mais par leurs propriétés magnétiques. V Toute plante est sympathique à un animal et antipathique à l'animal contraire. Tout animal est sympathique à un homme et antipathique à un autre. La présence d'un animal peut changer le caractère d'une maladie. Plus d'une vieille fille deviendrait folle si elle n'avait pas un chat, et sera presque raisonnable si, avec la possession d'un chat, elle fait concilier celle d'uh chien. VI Il n'est pas une plante, pas un insecte, pas un caillou qui ne cache une vertu magnétique et qui ne puisse servir, soit à la bonne, soit à la mauvaise influence de la • volonté humaine.

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VII L'homme a la puissance naturelle de soulager ses semblables, par la volonté, par la parole, par le regard et par les signes. Pour exercer cette puissance, il faut la connaître et te y croire.

Toute volonté non manifestée par un signe est une volonté oisive. II y a des signes directs et des signes indirects, Le signe direct a plus de puissance parce qu'il est plus rationnel ; mais le signe indirect est toujours un signe ou une action correspondante à l'idée, et comme tel il peut réaliser la volonté. Mais le signe indirect n'est effectif que quand le signe direct est impossible.

Ix Toute détermination à l'action est une projection magnétique. Tout consentement à une action est une attraction de magnétisme.

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Tout acte consenti est un pacte. Tout pacte est une obligation libre d'abord, fatale ensuite. X Pour agir sur les autres sans se lier soimême, il faut être dans cette indépendance parfaite qui appartient à Dieu seul. L'homme peut-il être Dieu ? — Oui, par participation !

XI Exercer une grande puissance sans être parfaitement libre, c'est se vouer à une grande fatalité. C'est pour cela qu'un sorcier, ne peut guère se repentir et qu'il est nécessairement damné. XII La puissance du mage et celle du sorcier sont la même; seulement le mage se tient à J'arbre lorsqu'il coupe la branche, et le sorcier est suspendu à la branche même qu'il veut couper. XIII Disposer des forces exceptionnelles de la

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nature, c'est se mettre hors la loi. C'est par .conséquent se soumettre au martyre si l'on est juste, et on ne l'est pas, à un légitime supplice. XIV De par le roi défense à Dieu De faire miracle en ce lieu.

• est une inscription paradoxale seulement dans • la forme. La police de tel ou tel lieu appartient au roi, et tant que le roi est roi, Dieu ne peut se mettre en contravention avec sa police. Dieu peut jeter au fumier les mauvais papes et les mauvais rois, mais il ne peut s'opposer aux lois régnantes. Donc tout miracle qui se fait contre l'autorité spirituelle et légale du pape ou contre l'autorité temporelle et légale du roi ne vient pas de Dieu, mais du diable. Dieu dans le monde, c'est l'ordre et l'autorité; Satan, c'est le désordre et Panaichie. Pourquoi est-il non seulement permis mais glorieux de résister à un tyran? c'est que le tyran est un anarchiste qui a usurpé le pouvoir. Voulez-vous donc lutter victorieusement

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contre le mal? soyez la personnification du bien. Voulez-vous vaincre l'anarchie ? soyez le bras de l'autorité, Voulez-vous enchainer Satan? soyez la puissance de Dieu. Or la puissance de Dieu se manifeste dans l'humanité par deux forces : la foi collective et l'incontestable raison. Il y a donc deux sortes d'exorcismes infaillibles, ceux de la raison et ceux de la foi. La loi commande aux fantômes dont elle est la reine parce qu'elle est leur mère, et ils s'éloignent pour un temps. La raison souffle sur eux au nom de la science et ils diparaissent pour toujours.

CHAPITRE 1V LE SURNATUREL ET LE DIVIN

Ce que le vulgaire appelle surnaturel, c'est ce qui lui parait coutre nature. La lutte contre la nature est le rêve insensé des ascètes ; comme si la nature n'était pas la loi même de Dieu. Ils ont appelé concupiscence les attraits légitimes de la nature. Ils ont lutté contre le sommeil, contre la faim et la soif, contre les désirs de l'amour. Ils ont lutté non pas seulement pour le triomphe des attraits supérieurs, mais dans la pensée que la nature est corrompue et que la satisfaction de la nature est un mal. Il s'en est suivi d'étranges aberrations. L'insomnie a créé le délire, le jeûne a creusé les cerveaux et les a remplis de fantômes, le

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célibat forcé a fait renaître de monstrueuses impuretés. Les incubes et les succubes ont infesté les cloîtres. Le priapisme et l'hystérie ont créé dès cette vie un enfer pour les moines sans vocation et pour les nonnes présomptueuses. Saint Antoine et sainte Thérèse ont lutté contre de lubriques fantômes; i!s ont assisté en imagination à des orgies dont l'antique Babylone n'eût pas eu l'idée. Marie Alacoque et Messaline ont souffert les mêmes tourments : ceux du désir exalté au delà de la nature et qu'il est impossible de satisfaire. Il y avait toutefois entre elles cette différence, que si Messaline eût pu prévoir Marie Alacoque elle en eût été jalouse. Résumer tous les hommes en un seul, comme Caligula dans sa soif de sang eût voulu le faire, et voir cet homme des hommes ouvrir sa poitrine et lui donner son coeur tout sanglant et tout brûlant à adorer, et à adorer pour la consoler de n'être jamais rassasiée d'amour, quel rêve c'eût été pour Mesialine !

L E SUR NATUR EL ET L E D IVIN

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L'amour, ce triomphe de la nature, ne peut lui être ravi sans qu'elle s'irrite. Lorsqu'il croit devenir surnaturel il devient contre nature et la plus monstrueuse des impuretés est celle qui profane et prostitue en quelque sorte l'idée de Dieu. Ixion s'attaquant à Junon et épuisant sa force virile sur une nuée vengeresse était dans la haute philosophie symbolique des anciens, la figure de cette passion _sacrilège punie dans les enfers par des noeuds de serpents qui l'attachaient à une roue et la faisaient tourner dans un vertige éternel. La passion érotique, détournée de son objet légitime et exaltée jusqu'au désir insensé de faire en quelque sorte violence à l'infini, est la plus furieuse des aberrations de l'âme, et comme la démence du marquis de Sade elle a soif de tortures et de ung. La jeune fille déchirera son sein avec des tissus de fer, l'homme épuisé, égaré par les jeûnes et les veilles, s'abandonnera tout entier aux délices dépravées d'une flagellation pleine de sensations étranges, puis à force de fatigue viendront les heures d'un sommeil plein de rêves énervants.

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De ces excès résulteront des maladies qui seront le désespoir de la science. Tous les sens perdront leur usage naturel pour prêter leur concours à des sensations mensongères, des stigmates plus effrayants que ceux do la syphilis ; creuseront dans los mains, dans les pieds, et autour de la tête, des plaies au suintement intermittent et profondément douloureux. Bientôt la victime ne verra plus, n'entendra plus, ne prendra plus de nourriture, et restera plongée dans un idiotisme profond dont elle ne sortira que pour mourir, à moins qu'une réaction terrible ne s'opère et ne se manifeste par des accès d'hystérisme ou de priapisme, qui feront croire à faction directe du démon. Malheur alors aux Urbain Grandier et aux Gaufridy Les fureurs des bacchantes qui ont mis en pièces Orphée n'auront été que des jeux innocents comparés à la rage des pieuses colombes du Seigneur livrées à la furie d'amour ! Qui nous racontera les indicibles romans de la cellule du chartreux ou du petit lit soli-

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taire où semble dormir la religieuse cloîtrée. Les jalousies de l'époux divin, ses abandons qui rendent folle, ses caresses qui donnent soif d'amour ! Les résistances du succube couronné d'étoiles. Les dédains de la Vierge reine des auges, les complaisances de Jésus-Christ ! Oh ! les lèvres qui ont bu une fois à cette coupe fatale restent altérées et tremblantes. • Les coeurs brûlés une fois par ce délire trouvent sèches et insipides les sources réelles de l'amour. Qu'est-ce en effet qu'un homme pour la femme qui a rêvé un Dieu ? Qu'est-ce que la femme pour l'homme dont le coeur a palpité pour la beauté éternelle ? Ah ! pauvres insensés, ce n'est plus rien pour vous et c'est tout cependant; car c'est la réalité, la raison, la vie. Vos rêves ne sont que des rêves, vos fantômes que des fantômes. Dieu, la loi vivante, Dieu., la sagesse suprême, n'est point le complice de vos folies ni l'objet possible de vos passions désespérées, un poil tombé de la barbe d'un homme, un seul cheveu perdu par une femme réelle et vivante sont quelque

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chose de meilleur et de plus positif que vos dévorantes chimères. Aimez-vous les uns les autres et adorez Dieu. La véritable adoration de Dieu n'est pas l'anéantissement de l'homme dans l'aveuglement et le délire; c'en est au contraire l'exaltation paisible dans la lumière de la raison. Le véritable amour de Dieu n'est pas le cauchemar de saint Antoine ; c'est au contraire la paix profonde, cette tranquillité qui résulte de l'ordre parfait. Tout ce que l'homme croit surnaturel dans sa propre vie est contre nature, et tout ce qui est contre nature offense Dieu. Voilà ce qu'un vrai sage doit bien savoir Rien n'est surnaturel pas même Dieu, car la nature le démontre. La nature est sa loi, sa pensée ; la nature est lui-même, et s'il pouvait donner des démentis à la nature il pourrait attenter à sa propre existence. Le miracle, prétendu divin, s'il sortait de l'ordre éternel, serait le suicide de Dieu. Un homme peut naturellement guérir les autres puisque Jésus-Christ., les saints et les

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magnétiseurs l'ont fait et le font encore tous les jours. Un homme peut s'élever de terre, marcher sur l'eau, etc; il peut tout ce que Jésus a pu et c'est lui-même qui le dit : Ceux qui croiront feront les choses que je fais et des choses plus grandes encore. Jésus a ressuscité des morts, mais il n'a jamais évoqué des âmes. Ressusciter un homme c'est le guérir de la léthargie qui pré' cède ordinairement la mort. L'évoquer après sa mort c'est imprimer à la vie un mouvement rétrograde, c'est violenter la nature, et Jésus ne le pouvait pas. Le miracle divin, c'est la nature qui obéità la raison; le miracle infernal, c'est la nature . qui semble se désordonner pour obéir à la folie. Le vrai miracle de la vie humaine, c'est le bon sens, c'est la raison patiente et tranquille c'est la sagesse qui peut croire sans péril parce qu'elle sait douter sans amertume et sans colère, c'est la bonne volonté persévérante qui cherche, qui étudie et qui attend. C'est Rabelais qui célèbre le vin, boit souvent de l'eau, remplit tous les devoirs d'un

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bon curé et écrit son Paniag•uel. Un jour que Jean de la Fontaine avait mis ses bas à l'envers, il demandait sérieusement si saint Augustin avait autant d'esprit que Rabelais. Retournez vos bas, bon La Fontaine, et gardez- vous à l'avenir de faire de semblables questions; peut-être M. de Fontenelle est-il assez fin pour vous comprendre, mais il n'est certainement pas assez hardi pour vous répondre. Tout ce qu'on prend pour Dieu n'est pas Dieu et tout ce qu'on prend pour diable n'est pas le diable. Ce qui est divin échappe à l'appréciation de l'homme et surtout de l'homme vulgaire. Le beau est toujours simple, le vrai semble ordinaire et le juste passe inaperçu parce qu'il ne choque personne. L'ordre n'est jamais remarqué; c'est le désordre qui attire l'attention parce qu'il est encombrant et criard. Les enfants sont pour la plupart insensibles à l'harmonie, ils préfèrent le tumulte et le bruit; c'est ainsi que, dans la vie, bien des gens

cherchent le drame et le roman. Ils

LE SURNATUREL ET LE DIVIN

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dédaignent le beau soleil et rêvent les splendeurs de la foudre, ils ne s'imaginent la vertu qu'avec la ciguë et Caton eût vécu libre; mais s'ils eussent été de vrais sages le monde les eût-il connus? Saint Martin ne le croyait pas, lui qui donnait le nom de philosophes inconnus aux initiés à la vrai sagesse. Se taire est une des . grandes lois de l'occultisme. Or se taire c'est se cacher. Dieu c'est la toute-puissance qui se cache et Satan, c'est l'impuissance vaniteuse qui cherche toujours à se montrer.

CHAPITRE V LES RITES SACRÉS ET LES RITES MAUDITS

Il est raconté dans la Bible que deux prêtres ayant mis un feu profane dans leurs encensoirs furent dévorés devant l'autel par une explosion jalouse du feu sacré. Cette histoire est une menaçante allégorie. Les rites, en effet, ne sont ni indifférents ni arbitraires . Les rites efficaces sont les rites consacrés par l'autorité légitime, et les rites profanés produisent toujours un effet contraire à celui que le téméraire opérateur se propose. Les rites des anciennes religions débordées et annulées par le christianisme sont des rites profanes et maudits pour quiconque ne

LES RITES SACRÉS ET LES RITES MAUDITS

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croit pas sérieusement à la vérité do ces religions aujourd'hui proscrites. Ni le Judaïsme ni les autres grands cultes de l'Orient n'ont dit encore leur dernier mot. Ils sont condamnés, mais ils ne sont pas encore jugés, et jusqu'au jugementleur protestation peut être considérée comme légitime. Les rites laissés en arrière par la marche du progrès religieux sont par cela même profanés et en quelque sorte maudits. On pourra comprendre plus tard les grandeurs encore ignorées du dogme judaïque, mais le monde chrétien ne reviendra pas pour cela à la circoncision. Le schisme de Samarie était un retour vers le symbolisme de l'Egypte, aussi n'en est-il rien resté et les dix tribus ont disparu mélangées aux nations et absorbées à jamais par elles. Les rites des grimoires hébreux déjà condamnés par la loi de Moïse, appartiennent au culte des patriarches qui offraient des victimes sur les montagnes en évoquant des

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LE GRAND ARCANE

visions. C'est un crime que de vouloir recommencer le sacrifice d'Abraham. Les chrétiens catholiques et orthodoxes ont seuls établi un dogme et fondé un culte; les hérétiques et les sectaires n'ont su que nier, supprimer et détruire. Ils nous ramènent au déisme vague et à la négation de toute religion révelée, ce qui repousse Dieu dans une si profonde obscurité, que les hommes ne sont plus guère intéressés à savoir si véritablement il existe. En dehors des affirmations magistrales et positives de Moïse et de Jésus Christ touchant la Divinité, tout n'est plus que doutes, hypo-* thèses et fantaisie. Pour les anciens peuples qui haïssaient les Juifs et que les Juifs détestaient, Dieu n'était autre-chose que le génie de la nature, gracieux comme le printemps, terrible comme la tempête, et les mille transformations de ce protée avaient peuplé d'une grande multitude de dieux les divers panthéons du monde. Mais au dessous de tout régnait le destin c'est-à-dire la fatalité. Les dieux dos anciens

LES RITES SACRÉS ET LES RITES MAUDITS

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n'étaient que des forces naturelles. La nature elle même était le grand panthée. Les conséquences fatales d'un pareil dogme devaient être le matérialisme et l'esclavage. Le Dieu de Moïse et de Jésus-Christ est un. Il est esprit; il est éternel, indépendant, immuable et infini; il peut tout, il a créé toutes choses et il les gouverne toutes. 11 a fait l'homme à son image et à sa ressemblance. Il est notre seul père et notre seul maître. Les conséquences de ces dogmes sont le spiritualisme et la liberté. . De cet antagonisme dans les idées, on a conclu mal à propos un antagonisme dans les choses. On a fait du panthée un ennemi de Dieu, comme si le panthée existait réellement ailleurs.que dans l'empire même de Dieu. On fait de la naturê une puissance révoltée ; on a appelé l'amour Satan; on a donné à la matière un esprit qu'elle ne saurait avoir, et par la loi fatale de l'équilibre il en est résulté qu'on a matérialisé les dogmes religieux. De ce conflit est sorti un contresens, ou peut-être un • malentendu immense : c'est qu'on a réclamé

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LE GRAN' ARCANE

la liberté de l'homme au nom de la fatalité qui l'enchaîne et un asservissement au nom de Dieu qui seul peut et veut l'affranchir. De cette perversité de jugement, la conséquence est un incroyable malaise et une sorte de paralysie morale parce qu'on voit partout des écueils. J'avoue qu'entre Proudhon et Veuillot, je ne me sens même pas une velléité de choisir. Les religions mortes ne revivent jamais, et comme l'a dit Jésus-Christ, on ne met pas le vin nouveau dans de vieux vases. Quand les rites deviennent inefficaces, le sacerdoce dis- / paraît. Mais à travers toutes les transformations religieuses se sont conservés les rites secrets de la religion universelle, et c'est dans la raison et dans la valeur de ces rites que consiste encore le grand secret de la franc. maçonnerie. Les symboles maçonniques, en effet, constituent dans leur ensemble une synthèse religieuse qui manque encore au sacerdoce catholique romain. Le comte Joseph de Mais-

LES RITES sues ET LES JUTES InAt:DaS 171)"

tre le sentait instinctivement; et lorsque dans son épouvante de voir le monde sans religion il aspirait à une alliance prochaine entre la science et la foi, il tournait involontairement les yeux vers les portes enteouvertes de roccultisme. Maintenant l'occultisme maçonnique n'existe plus, et les portes de l'initiation sont ouvertes à deux battants. Tout a été divulgué, tout a • été écrit. Le Tuileur et lesrituels maçonniques se vendent à qui veut les acheter. Le GrandOrient n'a plus de mystères, ou du moins il n'en a pas plus pour les profanes que pour les initiés; mais les rites maçonniques inquiètent encore la cour de Rome, parce qu'elle sent qu'il y a là une puissance qui lui échappe. Cette puissance, c'est la liberté de la cons' cience humaine, c'est la morale essentielle, indépendante de chaque culte. C'est le droit de n'être ni maudit ni voué à la mort éternelle ' parce qu'on se passe du ministère des prêtres, ministère née-Asaire seulement pour ceux qui en sentent le besoin, respectable pour tous

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LE GRAND ARCANE

quand il s'offre sans s'imposer, horrible lorsqu'on en abuse. C'est par la malédiction que l'Église donne de la puissance à ses ennemis. L'excommunication injuste est une espèce de sacre. Jacques de Molay, sur son bûcher, était le juge du pape et du roi. Savonarole, brûlé par Alexandre VI était alors le vénérable vicaire et le représentant de Jésus-Christ, et lorsqu'on refusait les sacrements aux prétendus jansénistes, le diacre Pâris faisait des miracles. Deux sortes de rites peuvent donc être efficaces en magie : les rites sacrés et les rites maudits, car la malédiction est une confiécration négative. L'exorcisme fait la possession, et l'Église infaillible crée en quelque sorte le diable lorsqu'elle entreprend de le chasser. . L'Église catholique romaine reproduit d'une manière exacte l'image de Dieu telle que font dépeinte avec tant de génie les auteurs du Siphra Dzenititta, expliqué par Rabbi Schiméon et ses disciples. Elle a deux faces, l'une de lumière et l'autre d'ombre, et l'harmonie pour elle résulte de l'analogie dé s

LES RITES SACRÉS ET LES RITES MAUDITS

contraires. La face de lumière, c'est la figure douce et souriante de Marie. La face d'ombre, c'est la grimace du démon. J'ose dire franche ment au démon ce quo je pense de sa grimace, et je ne crois pas en cela offenser l'Église nia mère. Si pourtant elle condamnait ma témérité ; si une décision d'un futur concile affirmait que le diable existe personnellement, . je me soumettrais en vertu même de mes principes. J'ai dit que le verbe crée ce qu'il affirme; or l'Église est dépositaire de l'autorité du verbe; quand elle aura affirmé D'existence non seulement réelle mais personnelle du diable, le diable existera personnellement, l'Église romaine l'aura créé. Les madones qui font des miracles ont toute la figure noire, parce que la multitude aime à regarder.la religion de son côté ténébreux. Il en est des dogmes comme des tableaux puissamment éclairés : si vous atténuez les ombres, vous affaiblissez les lumières. La hiérarchie des lumières, voilà ce qu'il faut rétablir dans l'Église au lieu de la hiérarchie des influences temporelles. Que la 12

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LE GRAND ARCANE

science soit rendue au clergé, que l'étude approfondie de la nature redresse et dirige l'exégèse. Que les prêtres soient des hommes mûrs et éprouvés par les luttes de la vie. Que les évêques soient supérieurs aux prêtres On sagesse et en vertu. Que le pape soit le plus savant et le plus sage des évêques, quo les prêtres soient élus par le poulie, les évêques par les prêtres et le pape par les évêques. Qu'il y ait pour le sacerdoce une initiation progressive. Que les sciences occultes soient étudiées par les aspirants au saint ministère, et surtout cette grande Kabbale judaïque qui est la clef de tous les symboles. Alors seulement la vraie religion universelle sera révélée, et la catholicité de tous les âges et de tous les peuples remplacera ce catholicisme absurde et haineux, ennemi du progrès et de la liberté, qui lutte encore dans le monde contre la vérité et la justice, mais dont le règne est passé pour toujours. Dans l'Église actuelle comme dans le judaïsme du temps de Jésus-Christ, l'ivraie

se trouve mêlée avec le bon grain, et de peur

LES BITES SACRÉS ET LES RITES MAUDITS

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d'arracher le froment on n'ose pas toucher à l'ivraie. L'Église expie ses propres anathèmes, elle est maudite parce qu'elle a maudit. Le glaïve qu'elle a tiré s'est retourné contre elle, comme le maître l'avait prédit. Les malédictions appartiennent à l'enfer et les anathèmes sont les actes de la papauté de Satan. Il faut les renvoyer au grimoire • d'Honorius. La véritable Église de Dieu prie • pour les pécheurs et n'a garde de lis maudire. On blâme les pères qui maudissent leurs enfants, mais jamais on n'a pu admettre qu'une mère ait maudit les siens. Les rites de l'excommunication usités dans les temps barbares étaient ceux des envoûtements, de la magie noire, et ce qui le prouve, c'est qu'on voilait les choses stiintes et qu'on éteignait toutes les lumières comme pour rendre hommage aux ténèbres. Alors on excitait les peuples à la .révolte contre les rois, on prêchait l'extermination et la haine, on mettait Tes • • royaumes en interdit, et on agrandissait par tous les moyens possibles le, courant magnétique du mal. Ce courant est devenu un tour.

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GRAND

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billon qui ébranle le siège de Pierre, mais l'Église triomphera par l'indulgence et le pardon. Un jour viendra où les derniers anathèmes d'un concile oecuménique seront ceuxci : Maudite soit la malédiction, que les anathèmes soient anathèmes, et que tous les hommes soient bénis ! — Alors on ne verra plus d'un côté l'humanité, de l'autre l'Église. Car l'Église embrassera l'humanité, et quiconque sera dans l'humanité ne pourra être hors de l'Église. Les dogmes dissidents ne seront considérés que comme des ignorances. La charité fera une douce violence à la haine, et nous resterons unis par tous les sentiments d'une fraternité sincère avec ceux mêmes qui voudraient se séparer de nous. Là Religion alors aura conquis le monde, et les Juifs nos pères et nos frères salueront avec nous le règne spirituel du Messie. Tel sera sur la terre, maintenant si désolée et si malheureuse, le second avènement du Sauveur, la manifestation de la grande catholicité, et le triomphe du messianisme, notre espérance et notre foi !...

CHAPITRE VI DE LA DIVINATION

On peut deviner de deux manières par saga- , cité ou par seconde vue. La sagacité, c'est la juste observation des faits avec la déduction légitime des effets et des causes. La seconde vue est une intuition spéciale, semblable à celle des somnambules lucides qui lisent le passé, le présent et l'avenir dans la lumière universelle, Edgar Pe somnambule lucide de l'ivresse parle dans ses contes d'un certain Auguste Dupin qui devinait les pensées et découvrait les mystères des affaires les plus embrouillées par un système tout /spécial d'observations et de déductions. Il serait à désirer que Messieurs les juges

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LE GRAND ARCANE

d'instruction fussent bien initiés au système d'Auguste Dupin. Souvent certains indices négligés comme insignifiants conduiraient, si l'on en tenait compte, à la découverte de la vérité. Cette vérité serait parfois étrange, inattendue, invraisemblable, comme dans le conte d'Edgar Poe intitulé : Double assassinat dans la rue de la Morgue. Que dirait-on, par exemple, si l'on apprenait un jour que l'empoisonnetuent de M. Lafarge n'est imputable à personne, que l'auteur de cet empoisonnement était somnambule et que frappée de craintes vagues (si c'était une femme) elle allait furtivement dans* la fausse lucidité de son sommeil, substituer, mélanger l'arsenic, le bicarbonate de soude et la poudre de gomme jusque dans les boîtes de Marie Capelle, croyant dans son rêvé rendre impossible cet empoisonnement dont elle avait peur peut-être pour son fils. Certes nous faisons ici une hypothèse inadmissible après la condamnation, mais qui avant le jugement eût mérité peut-être d'être examinée avec soin en partant de ces données :

DE LA DIVINATION

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1° Que madame Lafarge mère parlait sans cesse d'empoisonnement et se défiait de sa bru, qui, dans une lettre malencontreuse, s'était vantée de posséder de l'arsenic ; 2° Que cette même dame ne se déshabillait jamais et gardait même son châle pour dormir ; 3° Qu'on entendait la nuit des bruits extraordinaires dans cette vieille demeure du Glandier ; 4° Que l'arsenic était répandu pàrtout dans la maison, sur les meubles, dans les tiroirs, sur les étoffes, d'une manière qui exclut toute intelligence et toute raison ; 5° Qu'il avait de l'arsenic mêlé à de la poudre de gomme dans une boîte que Marie Capelle remit elle-même à sa jeune amie Emma Pontier, comme contenant la gomme dont elle se servait pour elle-même, et qu'elle convenait d'avoir mêlé aux boissons de M. Lafarge. Ces circonstances si singulières eussent sans doute exercé la sagacité d'Auguste Dupin et de Zadig, mais n'ont dû faire aucune impression sur des jurés et sur des juges mor-

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LE GRAND AlICANS

tellement prévenus contre l'accusée par la triste évidence du vol des diamants. Elle fut donc condamnée et bien condamnée, puisque la justice a toujours raison ; mais on sait avec quelle énergie la malheureuse protesta jusqu'à la mort et de quelles honorables sympathies elle fut entourée jusqu'à ses derniers moments. Un autre condamné, moins séduisant sans • doute, protesta aussi devant la religion et devant la société au moment terrible de la mort ; ce fut le malheureux Léotade, atteint et convaincu du meurtre et du viol d'une enfant, Edgar Poê eût pu faire de cette tragique histoire un de ses contes saisissants ; il eût changé les noms des personnages et eût placé la scène en Angleterre ou en Amérique, et voici ce qu'il eût fait dire à Auguste Dupin : L'enfant est entrée dans la maison d'éducation, l'on ne l'a plus vue reparaître, le portier qui fermait toujours la porte avec une clef ne s'est absenté qu'une minute. A son retour, l'enfant n'était plus là, mais elle avait laissé la porte enteouverte.

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On retrouva le lendemain la malheureuse petite dans le cimetière, près du mur des jardins du pensionnat. Elle était morte et paraissait avoir été assommée à coups de poing, ses oreilles avaient été déchirées, et elle portait les marques d'un viol tout à fait anormal : c'étaient des déchirures effrayantes à voir, (lu reste aucune des traces spéciales que devait y laisser le viol accompli par un homme. Elle ne semblait pas d'ailleurs être tombée là, mais y avoir été déposée. Ses vêtements étaient arrangés sous elle et autour d'elle. Ils étaient secs, bien qu'il eût plu toute la nuit; on devait l'avoir apportée là dans un sac vers le matin, soit par la porte, soit par la brèche du cimetière. Ses vêtements étaient souillés de déjections alvines dans lesquelles il semblait qu'on l'eût roulée. Voici ce qui avait dû se passer. La jeune fille en entrant dans le parloir, avait été prise d'un besoin subit pour le satisfaire. Elle s'était glissée dehorspar la porte restée entr'ouverte, personne ne la vit et ce fut une fatalité. Elle chercha, du côté du cimetière, une

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QRAND AUGANU

allée obscure où elle fut surprise par quelque méchante femme, dont on avait peut-être sali souvent la porto et qui était aux aguets, jurant de faire un mauvais parti à celui ou à celle qu'elle y surprendrait. Elle ouvre brusquement la porte, tombe à coups de poing sur l'enfant dont elle meurtrit le visage, lui arrache à demi les oreilles, la roule dans ses déjections, puis elle s'aperçoit que l'infortunée ne bouge plus. Elle voulait seulement la battre et elle l'a tuée, Que fera-t-elle du cadavre ? ou de ce qu'elle croit un cadavre, car la pauvre enfant assommée n'est peut-être qu'évanouie. Elle la cache dans un sac, puiselle sort etentend dire qu'on cherche une jeune apprentie entrée dans le pensionnat et qu'on n'a pas vue sortir. Une idée horrible s'empare d'elle, il faut à tout prix détourner les soupçons, il faut que la victime soit trouvée au pied du mur du pensionnat et qu'un viol simulé rende impossible l'idée d'attribuer le crime à une femme. Le viol est donc simulé à l'aide d'un bâton,

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et c'est peut-être dans cette dernière et atroce douleur que la pauvre évanouie expire. La nuit venue, la mégère porte son sac dans le cimetière, dont elle sait ouvrir la porto mal fermée en faisant jouer le pêne avec une lame de couteau. Elle a soin, en se retirant à reculons, d'effacer les traces de ses pas, et referme soigneusement la porte. Cette hypothèse, continuerait Dupin, explique seule toutes les circonstances en apparence inexplicables de cette épouvantable histoire. Eu effet, si l'économe du pensionnat eût violé la jeune fille, il eût cherché à étouffer ses cris et non les provoquer en lui tirant violemment les oreilles et en la meutrtrisant de coups. Si elle eût crié ses cris eussent été entendus, r asque le grenier désigné comme le seul lieu possible du crime dans l'intérieur de la maison est percé de jours de souffrance sur la cour d'une caserne pleine de soldats et presque à la hauteur de la guérite du factionnaire. L'accusé d'ailleurs a été vu toute la journée vaquant paisiblement à toutes les fonctions de son emploi. Son alibi à l'heure du crime

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est même attesté par ses confrères ; mais à cause de quelques méprises et de quelques tergiversations, on les accuse &complicité ou tout au moins de complaisance, il est donc probable qu'il va être déclaré coupable par le tribunal de Philadelphie. Voici ce que dirait Auguste Dupin dans le conte inédit el' Edgar Poê qu'en nous permettra sans doute d'imaginer pour exposer notre hypothèse sans manquer aux devoirs que nous impose le respect de la chose jugée. On sait commuent Salomon entre deux mères qui se disputaient le même enfant, sut deviner d'une manière infaillible quelle était la véritable mère. L'observation de la physionomie, des démarches, des habitudes, conduit aussi d'une manière certaine à la divination des secrètes pensées et du caractère des hommes. Des formes de la tête et de la main on peut tirer de précieuses inductions ; mais il faut tenir compte toujours du libre arbitre de l'homme et des efforts qu'il peut faire avec succès pour corriger les tendances mauvaises de sa nature.

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Il faut savoir aussi qu'un bon naturel peut se dépraver, et que souvent les meilleurs deviennent les plus t'amuis lorsqu'ils sont volaittairesuent dégradés et corrompus, La science des grandes et infaillibles lois de l'équilibre peut aussi nous aider à prédire la destinée des hommes. [In homme nul ou médiocre pourra arriver à tout et ne sera jamais rien. tin homme passionné qui se jette dans des excès périra par ces excès mêmes, ou sera • fatalement repoussé dans les excès contraires. Le christianisme des ittyles et des pères du désert devait se prodUire après les débauches de Tibère et d'Héliogabale. A l'époque du jansénisme, ce même christianisme terrible est une folie qui outrage la nature et qui prépare les orgies de la Régence et du Directoire. Les excès de la 'liberté en 93 ont appelé le despotisme. L'exagération d'une force tourne toujours à l'avantage de la force contraire. C'est ainsi qu'en philosophie et en religion, .les vérités exagérées deviennent les plus dangereux des mensonges. Quand Jésus-Christ par exemple a dit à ses apôtres : « Qui vous

190 LE GRAND ARCANE écoute m'écoute, et qui m'écoute écoute celui qui m'envoie », il établissait la hiérarchie disciplinaire et l'unité d'enseignement, attribuant à cette méthode divine parce qu'elle est naturelle une infaillibilité relative à ce qu'il ,a luimémo enseigné et ne donnant pour cela à aucun tribunal ecclésiastique le droit de condamner les découvertes de Galilée. Les exagérations du principe d'infaillibilité dogmatique et disciplinaire ont produit cette catastrophe immense do faire prendre en quelque sorte l'Église en flagrant délit de persécution de la vérité. Les paradoxes alors ont répondu aux paradoxes. L'Église semblait méconnaître les droits de la raison on a méconnu ceux de la foi. L'esprit humain est un infirme qui marche à l'aide de deux béquilles; la science et la religion. La fausse philosophie lui a pris la religion et le fanatisme lui arrache la science; que peut-il faire ? Tomber lourdement et se laisser traîner comme un cul-de-jatte entre les blasphèmes de Proudhon et les énormités du Syllabus. Les rages de l'incrédulité ne sont pas de

191 force à se mesurer avec les fureurs du fanatisme, parce qu'elles sont ridicules. Le fanatisme est une affirmation exagérée et l'incrédulité une négation également exagérée mais fort ridiculement. Qu'est-ce en effet que l'exagération du. néant? Beaucoup moins que rien ! Ce n'est guère la peine pour cela de rompre des lances. . Ainsi impuissance et découragement d'une . part, persistance et envahissement da l'autre, nous retombons sous la pression lourde des croyances aveugles et des intérêts qui les exploitent. Le vieux monde qu'on croyait mort se dresse de nouveau devant nous et la révolution est à recommencer. Tout cela pouvait être écrit, tout cela était écrit dans la loi de l'équilibre, tout cela avait été prédit et l'on. peut facilement encore prédire ce qui arrivera ensuite. L'esprit révolutionnaire agite maintenant et tourmente les nations qui sont demeurées absolument catholiques : L'Italie, l'Espagne et l'Irlande, et la réaction catholique, dans le sens de l'exagération et du despotisme, plane DE i.A DIVINATION

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sur les peuples fatigués de révolutions. Pendant ce temps l'Allemagne protestante grandit et met un temporel formidable au service de la liberté de conscience et de l'indépendance de la pensée. La France met son épée Voltairienne au service de la réaction cléricale et favorise ainsi le développement du matérialisme. La religion devient une politique et une industrie, les âmes d'élite s'en détachent et se réfugient dans la science, mais à force de creuser et d'analyser la matière, la science finira par trouver Dieu et forcera la religion de venir à elle. Les grossièretés théologiques du moyen-âge deviendront si évidemment impossibles, qu'on sera ridicule même de les combattre. La lettre alors fera place à l'esprit et la grande religion universelle sera connue (lu monde pour la première fois. Prédire ce grand mouvement ce n'est pas une divination de l'avenir, car il est déjà commencé et les effets se manifestent déjà dans les causes. Tous les jours des découvertes

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nouvelles éclaircissent les textes obcurs de la Genèse et donnent raison aux vieux pères de la Kabbale. Camille Flammarion nous a déjà montré Dieu dans l'Univers ; déjà depuis longtemps sont réduites au silence les voix qui ont condamné Galilée, la nature depuis si longtemps calomniée se justifie en se faisant mieux connaître, le brin de paille de Vanini en sait plus sur l'existence de Dieu que tous • les docteurs de l'école, et les blasphémateurs d'hier sont les prophètes de demain. Que des créations aient précédé la nôtre, que les jours de la Genèse soient des périodes d'années ou même des siècles, que le soleil arrêté par Josué soit une image poétique d'une emphase toute orientale, que les choses, évidemment absurdes comme histoire, s'expliquent par l'allégorie, cela ne nuit en rien à la majesté de la Bible et ne contredit en aucune manière son autorité. Tout ce qui, dans ce saint livre, est dogme ou ' morale, ressort du jugement de l'Eglise, mais tout ce qui est archéologie, 'chronologie, physique, histoire, etc., appartient exclusive13

onAwri ARCANE ment à la science dont l'autorité en ces matièresest absolument distincte, sinon indépendante de celle de la foi. C'est ce quo reconnaissent déjà, sans oser nettement le dire, les prêtres les plus éclairés ; et ils ont raison de se taire.. Il ne faut pas vouloir que les chefs de la caravane marchent plus vite que les petits:enfants et les vieillards. Ceux qui sont trop pressés de se lancer en avant, sont bientôt seuls et peuvent périr dans la solitude, comme cela est arrivé à Lamennais et à tant d'autres. Il faut bien savoir le chemin du camp, et être toujours prêt à y retourner à la moindre alarme, pour ne pas mériter qu'on vous taxe d'imprudence, lors- • qu'on s'avance en éclaireur. 191

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Quând le messianisme sera venu, c'est-àdire quand le règne du Christ sera réalisé sur la terre, la guerre cessera, parce que la politique ne sera plus la fourberie du plus habile ou la brutalité du plus fort. Il y aura vraiment un droit international, parce que le devoir international sera proclamé et reconnu de tous, et c'est alors seulement que, selon la

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prédiction du Christ, il n'y aura plus qu'un seul troupeau et un seul pasteur. Si toutes les sectes protestantes en venaient à s'unir en se ralliant à l'orthodoxie grecque, en reconnaissant pour pape le chef spirituel dont le siège serait à Constantinople, il y aurait dans la monde, deux églises catholiques romaines, car Constantinople a été et serait encore la nouvelle Rome. Le schisme alors• ne pourrait être que passager: Un concile vraiment oecuménique, composé des députés de la chrétienté tout entière, terminerait le différend comme on l'a déjà fait à l'époque du concile do Constance. Et le monde s'étonnerait de se trouver tout entier catholique ; mais cette fois avec la liberté de conscience conquise par les protestants, et le droit à la morale indépendante revendiquée par la philosophie, personne n'étant plus obligé sous des peines légales d'user des remèdes de la religion, 'mais personne n'ayant plus non plus • raisonnablement le pouvoir de nier les grandeurs de la foi ou d'insulter à la science qui sert de base à la philosophie.

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Voilà ce que la philosophie do sagacité dont parle Paracelse nous fait voir clairement dans l'avenir ; et nous arrivons sans efforts à cette divination par une série de déductions qui, commuent aux faits mêmes qui s'accomplissent sous nos yeux. Ces choses arriveront tôt ou tard et ce sera le triomphe de l'ordre ; mais la marche des événements qui l'amèneront pourra être entravée par descatastrophes sanglantes queprépare et fomente sans cesse le génie révolutionnaire, inspiré souvent par la soif ardente de la justice, capable de tous les héroïsmes et de tous les dévouements, mais toujours trompé, desservi et débordé par le magnétisme du mal. D'ailleurs, s'il faut en croire la tradition prophétique, l'ordre parfait ne règnera pas sur la terre avant le dernier jugement, c'està-dire avant la transformation et le renouvellement de notre planète. Les hommes imparfaits ou déchus sont pour la plupart ennemis de la vérité et incapables d'une autre raison . Les vanités et les cupidités les divisent et les diviseront toujours ; et la justice, au dire des

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voyants depuis les temps apostoliques jusqu'à présent, ne règnera parfaitement sur la terre que quand les méchants ayant été ou convertis ou supprimés, le Christ, accompagné de ses anges et de ses saints, descendra du ciel pour régner. Il est des causes que la sagacité humaine ne saurait prévoir, et qui produisent des événements immenses. L'invention d'un nouveau fusil change l'équilibre de l'Europe et M. Thiers, l'habile homme sans principes, qui croit que la politique consiste à piper les dés du hasard, s'attète à côté de Veuillot au char de Jaggrenat, je veux dire la papauté temporelle. Jésus avait-il prévu tout cela ? Oui peut-être, pendant son agonie du jardin des Oliviers et sans doute lorsqu'il -a fait ensuite à saint Pierre cette terrible prédictiori : Celui qui frappe par l'épée . périra par l'épée. Pour rétablir la papauté vraiment chré' tienne dans l'exercice légitime de son double pouvoir, il faudra peut-être qu'il y ait un pape martyr ! Le supplice supplie, a dit le

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comte Joseph de Maistre, et quand la terre est desséchée par le souffle aride de l'irréligion elle demande des pluies de sang. Le sang du coupable est purifié dès qu'il coule, car Jésus, eu se suspendant à la croix, a sanctifié tous les instruments de supplice ; mais le sang du juste seul a une vertu expiatoire. Le sang de Louis XVI et de M Elisabeth priait d'avance pour que celui de Robespierre ne fût point dédaigné par la justice suprême . La divination de l'avenir par sagacité et par induction peut s'appeler prescience. Celle qui se fait par la seconde vue ou par intuition magnétique n'est jamais qu'un pressentiment. On peut exalter la faculté pressensitive en produisant sur soi-même une sorte d'hypnotisme au moyen de quelques signes conventionnels ou arbitraires qui plongent la pensée dans un demi-sommeil. Ces signes sont tirés au sort, parce qu'on demande alors les oracles de la fatalité plutôt que ceux de la raison. C'est une invocation de l'ombre, c'est un appel à la démence, c'est un sacrifice de la pensée ine

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lucide à la chose sans nom qui va, rôdant pendant la nuit. La divination, comme son nom l'indique, est surtout une oeuvre divine, et la parfaite prescience ne peut être attribuée qu'à Dieu. C'est peur cela que les hommes de Dieu sont naturellement prophètes. L'homme juste et bon pense et agit en union avec la divinité qui • habite en nous tous et nous parle sans cesse, • mais le tumulte des passions noùs empêche d'entendre sa voix. Les justes ayant calmé leur âme entendent toujours cette vôix souveraine et paisible, leurs pensées sont comme une onde pure et aplanie dans laquelle le soleil divin se reflète dans toute sa splendeur. Les âmes dés saints sont comme des sensitives de pureté, elles frissonnent au moindre contact profane et se détournent avec horreur de tout ce qui est immonde. Elles ont un flair particulier qui leur permet de discerner et 'd'analyser en quelque sorte les émanations des consciences. Ils se sentent mal à l'aise devant les malveillants et tristes devant les

?OU LE

GRAND ARCANE

impies. Les méchants, pour eux, ont une auréole noire qui les repousse, et les bonnes âmes, une lumière qui attire aussitôt leur coeur. St-Germain d'Auxerre devina ainsi Ste-Geneviève. Ainsi Postel trouva une jeunesse nouvelle dans les entretiens de la mère Jeanne. Ainsi Fénelon comprit et aima la douceetpatienteMmeGuyon. Le Curé d'Ars, le respectable M. Vianney pénétrait les épreuves de ceux qui s'adressaient à lui et il était impossible de lui mentir avec succès, On sait qu'il interrogea sévèrement les pastoureaux de la Saiette et leur fit avouer qu'ils n'avaient rien vu d'extraordinaire et s'étaient amusés à arranger et à amplifier un simple rêve. Il existe aussi une sorte de divination qui appartient à l'enthousiasme et aux grandes passions exaltées. Ces puissances de l'âme semblent créer ce qu'elles annoncent. C'est à elles qu'appartient l'efficacité de la prière ; elles disent : Amen ! qu'il en soit ainsi et il en est comme elles ont voulu.

CHAPITRE. VII LE POINT ÉQUILIBRANT

Toute la puissance magique' est dans le point central de l'équilibre universel. La sagesse équilibrante consiste dans ces quatre verbes : Savoir le vrai, vouloir le bien, aimer le beau, faire ce qui est juste ! parce que le vrai, le bien, le beau et le juste sont inséparables, en sorte que celui qui sait le vrai ne peut s'empêcher de vouloir le bien, de l'aimer parce qu'il est beau et de le faire, parce qu'il est juste. Le point central dans l'ordre intellectuel et moral c'estle trait (l'union entre la science et la foi. Dans la nature de l'homme ce point central est le milieu dais lequel s'unissent l'âme et le corps pour identifier leur action.

202 L E G H A N A A R C A N E Dans l'ordre physique c'est la résultante dos forces contraires compensées les unes par les autres. Comprenez ce trait d'union, emparez-vous de ce milieu, agissez sur cette résultante ERJTIS MUT DU SCIENTES 110NUU ET MM.

Le point équilibrant do la vie et de la mort; c'est le grand arcane de l'immortalité. Le point équilibrant du jour otite la nuit, &est le grand ressort du mouvement des mondes. Le point équilibrant de la science et de la foi, c'est le grand arcane de la philosophie. Le point équilibrant entre l'ordre et la liberté, c'est le grand arcane de la politique. Le point équilibrant de l'homme et de la femme, c'est le grand arcane de l'amour. Le point équilibrant de la volonté et de la. passion, de l'action et de la réaction, c'est le grand arcane de la puissance. Le grand arcane de la haute magie, l'arcane indicible, incommunicable n'est autre chose que le point équilibrant du relatif et de l'absolu. C'est l'infini du fini et le fini de l'in-

LE POINT tounàmuNT

2011 fini. C'est la toute puissance relative de l'homme balançant l'impossible de Dieu. Ici ceux qui savent comprendront et les autres chercheront à deviner. Qui AUTE\I DIVINAHUNT DIVIN! r Fli. u NT. Le point équilibrant, c'est la monade es- I sentielle qui constitue la divinité eu Dieu, la liberté ou l'individualité dans l'homme et l'harmonie dans la nature. • En dynamique, c'est le mouvement perpétuel ; en géométrie, c'est la quadrature du cercle ; en chimie, c'est la réalisation du grand ieuvre.

Arrivé à ce point l'auge vole sans avoir besoin d'ailes, et l'homme peut ce qu'il doit raisonnablement vouloir. Nous avons (lit qu'on y arrive par la sagesse équilibrante qui se•résume en quatre verbes : Savoir vouloir aimer et faire le vrai, le bien, le beau et le juste. Tout homihe est appelé à cette sagesse car, Dieu a donné à tous une intelligence pour savoir, une volonté pour vouloir, un coeur pour aimer, et une puissance pour agir.

2,04

littAND ARCANE

L'exercice de l'intelligence appliquée au vrai conduit à la science. L'exercice de l'intelligence appliquée au bien donne le sentiment du beau qui produit la foi. Ce qui est faux déprave le savoir ; ce qui est mal déprave le vouloir ; ce qui est laid déprave l'amour ; ce qui est injuste annule et. pervertit l'action. Ce qui est vrai doit être beau. Ce qui est beau doit être vrai,, ce qui est bien est toujours juste. Le final, le faux, le laid et l'injuste sont incompatibles avec le vrai. Je crois à la religion, parce qu'elle est belle et parce qu'elle enseigne le bien. Je trouve qu'il est juste d'y croire et je ne crois pas au diable, parce qu'il est laid et parce qu'il nous porte au mal en nous enseignant le mensonge. Si on me parle d'un Dieu qui égare notre intelligence, étouffe notre raison et veut torturer à jamais ses créatures même coupables, je trouve que cet idéal est laid, que cette fiction . est mauvaise, que ce tourmenteur tout-puis-

LN POINT ÉQUILIIIIIANT

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sant est souverainement injuste ; et j'en conclus rigoureusement que tout cela est faux, Glue ce prétendu Dieu est fait à l'image et à la ressemblance (lu diable, et je ne veux pas croire en lui parce que je ne crois pas à Satan. Mais ici je me trouve en apparente contradiction avec moi-même. Ce que je déclare • être des injustices, des laideurs et par consé• /ment des faussetés, ressort des ensèignements d'une Église dont je fais profession d'admettre les dogmes et de respecter les symboles. Oui, sans doute, cela ressort de ses enseignements mal compris, et c'est pour cela que nous en appelons de la face d'ombre, à la tête de lumière ; de la lettre, à l'esprit, des théologiens, aux conciles; descommentateurs, aux textes sacrés prêts à subir d'ailleurs une légitime condamnation si nous avons dit ce qu'il fallait taire. Qu'il soit bien entendu que nous n'écrivons pas pour les profanes multitudes, mais pour les savants d'une époque postérieure à la nôtre et pour les pontifes de l'avenir.

206 Lu

GRAND ARCANE

Ceux qui se rendront,capables de savoir le vrai oseront aussi vouloir le bien; ils aimeront alors le beau et no prendront plus les Veuillot pour représentants de leur idéal et de leurs pensées. Dèsqu'un papeainsi disposé se sentira la force de faire uniquementce qui est juste, il n'aura plus à dire non possnmus, car il pourra tout ce qu'il voudra et redeviendra le monarque légitime, non pas de nome seulement, mais du monde. Qu'importe que la barque de Pierre soit battue de la tempête, Jésus-Christ n'a-t-il pas appris à ce prince dos apôtres comment on marche sur les flots? S'il enfonce, c'est qu'il a peur, et s'il a peur, c'est qu'il a douté de son divin maître. La main du Sauveur s'étendra, le prendra et le conduira au rivage. Homme de peu de foi, pourquoi avez-vous douté? Pour un véritable croyant est-ce que l'Eglise peut jamais être en danger? Ce qui périclite ce n'est pas l'édifice, ce sont les constructions hybrides dont l'a surchargée l'ignormice des âges. .

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LE POINT ÉQUILIBRANT

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Un bon prêtre nous racontait un jour que, visitant un couvent de carmélites, il avait été admis à voir un vieux manteau ayant appartenu, disait-on, à la sainte fondatrice de l'ordre et comme il &étonnait de le trouver assez malpropre, la religieuse qui le lui montrait s'écria en joignant les mains : « C'est la crasse de notre sainte mère ! » Le prètrA pensa et nous pensons avec lui qu'il eût été plus respectueux ' de laver le manteau. La crasse ne saurait être nue relique, autrement il faudrait aller plus loin encore et bientôt les chrétiens, dans leurs adorations stercoraires, n'auraient plus rien à reprocher aux fétichistes du Grand Lama. Ce qui n'est pas beau n'est pas bien, ce qui n'est pas bien n'est pas juste, ce qui n'est pas juste n'est pas vrai. Quand Voltaire, cet ami trop passionné de la justice, répétait son cri de ralliement: Écrasez l'infâme ! Croyez-vous qu'il voulait parler de l'Evangile ou de son adorable auteur ? Prétendait-il s'attaquer à la religion de Saint Vincent de Paul et de Fénelon ? Non sans doute, mais il était justement indigné des -

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LE GRAND ARCANE

inepties, des énormes sottises et des persécutions impies dont les querelles du Jansénisme et du Molinisme remplissaient l'Eglise de son temps. L'infâme, pour lui comme pour nous, c'était l'impiété et la pire (le toutes les impiétés la religion défigurée. Aussi quand il eut fait son oeuvre, quand la révolution eut proclamé suivant l'Evangde et malgré les castes intéressées : La liberté devant la conscience, l'égalité devant la loi et la fraternité des hommes, survint Chateaubriand qui montra combien devant le génie la religion était belle, et le inonde de Voltaire corrigé par la révolution se trouva prêt à reconnaître encore que la religion était vraie. Oui, la belle religion est vraie et la religion laide est fausse. Oui elle est vraie la religion du Christ consolateur, du bon pasteur portant sur ses épaules la brebis égarée, de la vierge immaculée, infirmière et rédemptrice des pécheurs ; elle est vraie la religion qui adopte les orphelins, qui .embrasse les condamnés au pied de l'échafaud, qui admet à la table de

LN POINT ÉQUILIBRANT

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Dieu le pauvre comme le riche, le serviteur auprès du maitre, l'homme de couleur auprès du blanc. Elle est vraie la religion qui ordonne au souverain-pontife d'être le serviteur des serviteurs de Dieu et aux évêques de laver les pieds aux mendiants ! Mais la religion des boutiquiers du sanctuaire, colle qui force le successeur de Pierre de tuer pour manger, . la religion fielleuse et ordinaire de Veuillot, . la religion des ennemis do la science et du progrès, celle-là est fausse parce qu'elle est laide, parce qu'elle s'oppose au bien et parce qu'elle favorise l'injustice. Et qu'on ne nous dise pas que ces deux religions opposées sont la même. Autant vaudrait dire que la rouille est la même chose que le fer poli, que les scories sont de l'argent ou de l'or et que la lèpre est la -même chose que la chair humaine. Le besoin religieux existe dans l'homme : c'est un fait incontestable que la science est forcée d'admi>ttre ; à ce besoin correspond un sens intime particulier : le sens de l'éternité et de l'infini. Il est des émotions qu'on n'ou-

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LE GRAND ARCANE

blie jamais lorsqu'on les a ressenties une fois, ce sont celles de la piété. Le brahme les éprouve lorsqu'il se perd dans la contemplation d' swara, l'Israëlite en est pénétré en présense d'Adonaï, la fervente religieuse catholique la répand en larmes d'amour sur les pieds de son crucifix, et n'allez pas leur dire que ce sont des illusions et des mensonges ; ils souriraient de pitié et . ils auraient raison, Tout remplis des rayonnements do la pensée éternelle, ils la voient et le sentiment qu'ils doivent éprouver en présence de ceux qui la nient est celui des clairvoyants devant un aveugle qui nierait l'existence du Soleil. La foi ainsi a donc son évidence et c'est là une vérité qu'il est indispensable de savoir ; l'homme qui ne croit pas est incomplet il lui manque le premier de tous les sens intérieurs. La morale, pour lui, sera nécessairement restreinte et se réduira à bien peu de chose . La morale peut être indépendante de telle ou telle formule dogmatique, elle est indépendante des prescriptions de tel ou tel prêtre

LE POINT ÉQUILIBRANT

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mais elle ne saurait exister sans le sentiment religieux parce que en dehors de ce sentiment la dignité humaine devient contestable ou arbitraire. Sans Dieu, et sans l'immortalité de l'âme, qu'est-ce que l'homme le meilleur, le plus aimant, le plus fidèle ? C'est un chien qui parle ; et beaucoup trouveront la morale du loup plus indépendante et plus fière que • celle du chien. Voyez la fable de La Fon' laine. La vraie morale indépendante c'est celle du bon Samaritain qui panse les blessures du juif malgré les haines dont la religion est le prétexte entre Jérusalem et Samarie ; c'est Abd-el-Kader exposant sa vie pour sauver les chrétiens de Damas. Hélas, vénérable Pie IX, que ne vous a-t-il été donné, très saint Père, d'exposer la vôtre pour sauver ceux de Pérouse, de Castelfidardo et de Mentana ! 1 Jésus-Christ disait, en parlant des prêtres de son temps : Faites ce qu'ils disent, mais ne faites pas ce qu'ils font. Alors, les prêtres ont dit qu'il fallait crucifier Jésus-Christ et on l'a crucifié Les prêtres, scandaleux dans .

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LE GRAND ARCANE

leurs oeuvres, ne sauraient donc être infaillibles dans leurs paroles. Le même Jésus-Christ, d'ailleurs, ne guérissait-il pas les malades le jour du Sabbat au grand scandale des Pharisiens et des docteurs ? La vraie morale indépendante c'est celle qui est inspirée par la religion indépendante. Or, la religion indépendante doit être celle des hommes : l'autre est faite pour les enfants. Nous ne saurions avoir, en religion, un plus parfait modèle que Jésus-Christ. Jésus pratiquait la religion de Moyse mais il nè s'y asservissait pas. Il disait que la loi est faite Four l'homme et non pas l'homme pour la loi, il était rejeté par la synagogue et n'en fréquentait pas moins le temple, il opposait en toutès choses l'esprit à la lettre, il ne recommandait à ses disciples que la charité. Il est mort en donnant l'absolution à un coupable repentant et en recommandant sa mère à son disciple bien-aimé et les prêtres n'ont assisté à sa der.

nière heure que pour le maudire.

'213 Le point équilibrant en religion c'est la la liberté de conscience la plus absolue et l'obéissance volontaire à l'autorité qui règle l'enseignement public, la discipline et le culte. En politique, c'est le gouvernement despotique de la loi garantissant la liberté de tous dans l'ordre hiérarchique le plus parfait. En dynamique, c'est le milieu de la balance. . En Kabbale, c'est le mariage des Elohim. En Magie, c'est le point central entre la ré-; sistance et l'action, c'est l'emploi simultané de l'ob et de l'od pour la création de l'aour. En Hermétisme, c'est l'alliance indissoluble du Mercure et du Soufre. En toutes choses, c'est l'alliance du vrai, du bien, du beau et du juste. C'est la proportion de l'être et de la vie, , c'est l'éternité dans le temps, et dans l'éternité c'est la puissance génératrice du temps. J C'est le quelque chose du tout et c'est le •tout du quelque chose. C'est l'idéalisme de l'homme rencontrant le réalisme de Dieu. C'est le rapport entre le commencement et ) LE POINT ÉQUILIBRANT

,

)

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LE GRAND ARCANE

la fin indiquant l'Oméga d'Alpha et l'Alpha d'Oméga. C'est, enfin, ce que les grands initiés ont désigné sous le nom mystérieux d'Azoth.

CHAPITRE VIII LES POINTS EXTRÊMES

La force des aimants est à leurs deux pôles extrêmes et leur point équilibrant est au milieu entre les doux pôles. L'action d'un pôle est équilibrée par celle d'un pôle contraire comme dans le mouvement du pendule ; l'écartement de gauche du point central est en raison de l'écartement de droite. Cette loi de l'équilibre physique est aussi celle de l'équilibre moral, les forces sont aux extrémités et convergent, au point central, entre les extrémités et le milieu on ne rencontre que la faiblesse. Les lâches et les tièdes sont ceux qui se laissent emporter par le mouvement des au-

216 1.1: GRAND ARCANE treS et qui sont, par eux-mémos, incapables de ce mouvement . Les extrêmes se ressemblent et se touchent par la loi d'analogie des contraires. Ils constituent la puissance de la lutte parce qu'ils ne sauraient se confondre. Si le froid et le chaud viennent à se mêler, par exemple, ils cessent d'être dans leur spécialité do froid et de chaud et deviennent de la tiédeur. — Que puis-je faire pour toi ? dit Alexandre à Diogène. — Ote-toi de mon soleil, répond le cynique. Alors, le conquérant de s'écrier : Si je n'étais pas Alexandre je voudrais être Diogène. Voilà deux orgueils qui se comprennent et qui se touchent bien que placés aux deux extrémités de l'échelle sociale. Pourquoi Jésus est-il allé chercher la Samaritaine lorsqu'il avait tant d'honnêtes femmes en Judée ? Pourquoi reçoit-il les caresses et les larmes de la Mailieleine qui était une pécheresse publique? Pourquoi? Il vous le dit lui-même • parce qu'elle a beaucoup aimé. Il ne cache

LES POINTS EXTREMES

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pas ses préférences pour les gens mal famés comme lus publicains et pour les enfants prodigues. On sent, à ses discours, qu'une seule larme de Caïn serait plus précieuse devant ses yeux que tout le sang d'Abel. Los saints avaient coutume do dire qu'ils se sentaient les égaux des plus horribles scélérats et ils avaient raison. Les scélérats et les saints sont égaux comme les plateaux opposés • d'une même balance. Les uns et les autres s'appuyent sur les points extrêmes, et il y a aussi loin d'un scélérat à un sage que d'un sage à un scélérat. Ce sont les exagérations de la vie qui, en se combattant sans cesse, produisent le mouvement équilibré de la vie. Si l'antagonisme cessait dans la manifestation des forces, tout s'arrêterait dans lm équilibre immobile et ce serait la mort universelle. Si tous les hommes étaient sages, il n'y aurait plus ni riches, ni pauvres, ni serviteurs, ni rois, ni sujets ; la société bientôt n'existerait plus. Ce monde est une maison de fous dont les sages sont les infirmiers, mais un hôpital est fait surtout

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I.F. GRAND ARCANE

pour les malades. C'est une écolo préparatoire à la vie éternelle ; or, ce qu'il faut à une école, ce sont d'abord des écoliers. La sagesse est le but qu'il faut atteindre, c'est le prix qui est mis au concours. Dieu la donne à qui la mérite, personne ne l'apporte en naissant. La puissance équilibrante est au point central, mais la puisaneo motrice se manifeste toujours aux extrémités. Ce sont les fous qui commencent les révolutions, ce sont les sages qui les finissent. Dans les révolutions politiques, disait Danton, le pouvoir appartient toujours au plus scélérat. Dans les révolutions religieuses, ce sont les plus fanatiques qui entraînent nécessairement les autres. C'est que les grands saints et les grands scélérats sont tous également de puissants magnétiseurs parce qu'ils ont des volontés exaltées par l'habitude des actes contre nature. Marat fascinait la Convention où tout le monde le haïssait et lui obéissait en le maudissant. Mandrin osait, en plein jour, traverser et rançonner les villes et personne

LES POINTS EXTNENIES

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n'osait le poursuivre. On le croyait magicien ! on était persuadé que si on le menait à la potence il ferait comme Polichinelle, et pendrait lui-même le bourreau : or, c'est probablement ce qu'il eût fait s'il n'eût risqué tout son prestige dans une aventure amoureuse et no s'était ridiculement laissé prendre comme an autre Samson aux genoux d'une Dalila. L'amour des femmes est le triomphe de la • nature. C'est la gloire des sages, mais c'est pour les brigands et pour les saints le plus pernicieux de tous les écueils. Los brigands no doivent être amoureux que de la guillotine quo Lacenaire appelait sa belle fiancée et les saints ne doivent donner des baisers qu'à des têtes de morts. Les scélérats et les saints sont des hommes également excessifs et ennemis de la nature. Aussi la légende populaire semble-t-elle souvent les confondre en prêtant aux saints des actions de cruauté monstrueuse et aux brigands célébres des actes de philantrophie. Saint Siméon stylite sur sa colonne est visité par sa mère qui veut l'embrasser avant

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LE GRAND ARCANE

de mourir. Le fakir chrétien, non seulement ne descend pas mais il se cache le visage pour ne pas la voir. La pauvre femme s'éteint dans les larmes en appelant son fils et le saint la laisse mourir. Si l'on nous racontait une mi_ pareille chose de Cartouche ou de Schinderhannes, nous trouverions qu'on surcharge à plaisir le tableau de leurs forfaits. Il est vrai que Cartouche et Schinderhannes n'étaient pas des saints : ce n'étaient que de simples brigands. 0 bêtise, bêtise, bêtise humaine ! Les désordres dans l'ordre moral produisent les désordres dans l'ordre physique, et c'est ce que le vulgaire appelle des miracles. 11 faut être Balaam pour entendre parler une ânesse : l'imagination des sots est la nourrice • des prodiges. Quand un homme a bu avec excès il croit que les autres chancellent et que la nature se dérange pour le laisser passer. Vous donc qui visez à l'extraordinaire, vous qui voulez faire des prodiges, soyéz des gens extravagants. La sagesse n'est jamais remar-

quée parce qu'elle est toujours dans l'ordre,

LES POINTS EXTRÊMES

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dans le calme, dans l'harmonie et dans la paix. Tous les vices ont leurs immortels qui, à force d'excès, ont illustré leur infàmie. L'orgueil, c'est Alexandre si ce n'est Diogène ou Erostrate ; la colère, c'est Achille ; l'envie, c'est Caïn ou Thersite ; la luxure, c'est Messaline; la gourmandise, Vittellius ; la paresse, Sardanapale ; l'avarice, le roi Midas. Opposez • à ces héros ridicules d'autres héros qui, par • des moyens contraires, arrivent exactement aux mêmes fins : saint François, le Diogène chrétien qui, à force d'humilité, se fait passer pour l'égal de Jésus-Christ ; saint Grégoire VII, dont les emportements bouleversent l'Europe et compromettent la papauté ; saint Bernard,. le livide persécuteur d'Abailard dont la gloire éclypsait la sienne ; saint Antoine, dont l'imagination impure 'surpassait les orgies de Tibère ou de Trimalcyon ; les affamés du désert, toujours livrés aux rêves faméliques de Tantale, et ces pauvres moines, toujours si avides d'argent. Les extrêmes se touchent, comme nous l'avons dit, et ce qui n'est pas la sagesse ne saurait être la vertu. Les points extrêmes

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LE GRAND ARCANE

sont les foyers de la folie, et, malgré tous les rêves d'ascétisme et les odeurs de sainteté, la folie, en définitive, travaille toujours pour le vice. Volontaires ou involontaires les évocations sont des crimes. Les hommes, que le magnétisme du mal tourmente et auxquels il apparaît sous des formes visibles, portent la peine des outrages qu'ils ont faits à la nature. Une religieuse hystérique n'est pas moins impure qu'une femme débauchée, l'une vit dans un tombeau et l'autre dans un lupanar ; mais souvent la femme du tombeau porte un lupanar dans son coeur, et la femme du lupanar cache, dans sa poitrine, un tombeau. Quand le malheureux Urbain Grandier, expiant cruellement le tort de ses voeux téméraires, maudit comme prétendu sorcier et méprisé comme prêtre libertin, marchait à la mort avec la résignation d'un sage et la patience d'un martyr, les pieuses Ursulines de Loudun, se tordant comme des bacchantes et, plaçant le crucifix entre leurs pieds, s'abandonnaient aux démonstrations les plus sacri-

223 lèges et les plus obscèqes. On les plaignait, ces innocentes victimes ! Et Grandier, brisé par la torture et enchaîné à son poteau où les flammes le gagnaient lentement sans qu'une plainte s'échappede sa bouche, était regardé comme leur bourreau. Chose incroyable, c'étaient les religieuses qui représentaient le principe du mal, qui le réalisaient, qui l'incarnaient en elles-mêmes ; c'étaient elles qui blasphémaient; qui injuriaient, qui accusaient, et c'était l'objet de leur passion sacrilège que l'on envoyait à la mort ! Elles et leurs exorcistes avaient évoqué tout l'enfer et Grandier, qui ne pouvait même les faire taire, était condamné comme sorcier et comme maître des démons. Le célèbre curé d'Ars, le savant M. Viannay, était, au dire de ses biographes, lutiné par le démon qui vivait avec lui dans une sorte de familiarité. Le bon curé était ainsi sorcier sans le savoir, il faisait des évocations involontaires. Comment cela ? Un propos qu'on lui attribue va nous l'expliquer. Il azurait dit, en parlant do lui-méino : Je connais quelLES POINTS EXTRIMES

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LE GRAND MICANE

qu'un qui serait bien dupé sil n'existait pas de récompenses éternelles ! » Eh qeoi ? Eût-il donc cessé de faire le bien s'il n'avait plus espéré de récompense ? La nature se plaignait-elle au fond de sa conscience? Se sentait-il injuste envers elle ? La vie d'un vrai sage ne porte-t-elle pas sa. récompense on elle-même ? L'éternité bienheureuse ne commence-t-elle pas pour lui sur la terre ? la véritable sagesse est-elle jamais un rôle de dupe ? Brave homme, si vous avez dit cela c'est que vous sentiez de l'exagération dans votre zèle. C'est que votre coeur avait à regretter d'honnêtes réjouissances perdues. C'est que la mère nature se plaignait de vous comme d'un fils ingrat. Heureux les coeurs à qui la nature ne reproche rien I Heureux les yeux qui, partout, cherchent la ;beauté ! Heureuses les mains qui savent répandre toujours et les bienfaits et les caresses ! Heureux les hommes qui, ayant à choisir entre deux vins, préfèrent le meilleur et sont souvent plus heureux de l'offrir à d'autres que de le boire ! Heureux les visages gilteieux &int les lèvres

LES POINTS EXTRÊMES

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sont pleines de sourires et de baisers ! Ceux-là ne seront jamais dupes, car, après l'espérance d'aimer, ce qu'il y a de meilleur au monde c'est le souvenir d'avoir aimé; et ces choses, seules, méritent d'être immortelles, dont le souvenir peut être toujours un bonheur !

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CHAPITRE IX LE MOUVEMENT PERPÉTUEL

. Le mouvement perpétuel c'est la l©i éternelle de la vie. Partout il se manifeste comme la respiration dans l'homme, par attraction et par répulsion. Toute action provoque une réaction, toute réaction est proportionnelle à l'action. Une action harmonieuse produit sa correspondante en harmonie. Une action discordante nécessite une .réaction en apparence désordonnée mais en réalité équilibrante. Si vous opposez la violence à la violence vous perpétuez la violence mais si à la violence vous opposez la force de la douleur vous faites triompher la douceur et vous brisez la violence.

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LE GRAND ARCANE

Il y a des vérités qui paraissent opposées

les unes aux autres parce que le mouvement perpétuel les fait triompher tour à tour. Le jour existe et la nuit existe aussi, ils existent simultanément mais pas sur le mémo hémisphère. Il y a de !'ombre dans le jour, il y a des lueurs dans la nuit et l'ombre, dans le jour, rend le jour plus éclatant comme les lueurs dans la 'duit font paraître la nuit plus noire. Le jour visible et la nuit visible n'existe ainsi que pour nos yeux. La lumière éternelle est invisible aux yeux mortels et elle remplit l'immensité. Le jour des âmes c'est la vérité et la nuit pour elles c'est le mensonge. Toute vérité suppose et nécessité un mensonge à cause de la limite des formes et tout mensonge suppose et nécessite une vérité dans les rectifications du fini par l'infini. Tout mensonge contient une certaine vérité qui est la précision de la forme et toute vérité pour nous est enveloppée d'un certain mensonge qui est le fini de son apparence.

229 Ainsi est-il vrai ou seulement probable qu'il existe un immense individu ou trois individus qui n'en font qu'un, lequel est invisible et récompense ceux qui le servent en se laissant voir par eux, est présent partout même en enfer ou il torture les damnés en les privant de sa présence, veut le salut de tous et ne donne sa grâce efficace qu'à un trés petit nombre impose à tous une loi terrible en • permettant tout ce qui peut en rendre la promulgation douteuse, exite-t-il un pareil Dieu' Non non et certainement non, l'existence de Dieu affirmée sous cette forme est une vérité déguisée et toute enveloppée de mensonges. Doit-on reconnaître que tout a été et serai., que la substance éternelle se suffit à elle même étant déterminée à la forme par le mouvement perpétuel, qu'ainsi tout est force et matière, que l'àme n'existe pas, la pensée n'étant que le travail du cerveau et Dieu ne saurait être autre chose que la fatalité de l'être ? Non certainement, car cette négation absolue de l'intelligence répugnerait même à LE MOUVEMENT PERPÉTUEL

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LE altAND AIMANE

l'instinct des bêtes. Il est évident que l'affirma, lion contraire nécessite la croyance en Dieu. Ce Dieu s'est-il manifesté en dehors de la nature et personnellement aux hommes leur imposa des idées contraire à la nature ou à la raison ? Non certainement car le fait do cette révélation si elle existait serait évidente pour tous : et de plus quand même le fait d'une manifestation extérieure venant d'un être inconnu serait d'une incontestable réalité, si cet être s'est montré on opposition avec la raison et la nature qui viennent de Dieu il ne saurait être Dieu. Moyse, Mahomet, le pape et le grand Lama disent que Dieu a parlé à chacun d'eux à l'exclusion des autres et qu'il a (lit à chacun d'eux que les autres étaient des menteurs. — Mais alors ils sont tous des menteurs ? — Non, ils se trompent quand ils se divisent et disent vrai quand ils s'accordent. Mais Dieu leur ou ne leur a-t-il pas parlé ? Dieu n'a ni bouche ni langue pour parler à la manière des hommes. S'il parle

LE MOUVEMENT PEEPETUEL c'est dans los consciences et nous pouvons tous entendre sa voix. C'est lui qui approuve dans nos coeurs la parole de Jésus, celle de Moyse quand elle est sage et celle de Mahomet quand elle est belle. Dieu n'est pas loin de chacun de nous dit St Paul car c'est en lui que nous vivons, quenousnousmouvonsetquenoussommes. • Heureux les coeurs purs, dit le Christ, car ils verront Dieu. Or voir Dieu qui est invisible c'est le sentir dans sa conscience, c'est l'écouter parler dans son cœur. Le Dieu d'Hermès, celui de Pythagore, d'Orphée, celui de Socrate, celui de Moyse et de Jésus-Christ ne font qu'un seul et même Dieu et il leur a parlé à tous. Cléanthe le lycon était inspiré comme David et la légende de Chrisna est aussi belle que l'évangile de. saint Mathieu. Il y a d'admirables pages dans le Koran ; mais il y en a de stupides et de hideuses dans la théologie de tous les cultes. Le Dieu de la Kabbale, celui de Moyse et de Job le Dieu de Jésus-Christ, d'Origène et

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LE GRAM) ARCANE

de Synésius no pont pas être celui des alto-da-fés. Les mystères du Christianisme tels quo les entendent St Jean l'Evangélisto et les savants pères de l'Eglise sont sublimes; niais les mimes mystères expliqués ou plutôt rendus inexplicables par les Garassus, les Escobar et les Veuillot sont ridicules et immondes. Le culte catholique est splendide ou pitoyable selon les prêtres et les temples. Ainsi l'on peut dire avec égale vérité que le dogme est vrai et qu'il est faux, que Dieu il parlé et qu'il n'a point parlé, que l'Eglise est infaillible et qu'elle se trompe tous les jours, qu'elle détruit l'esclavage et conspire contre la liberté, qu'elle élève l'honne et qu'elle l'abrutit. On peut trouver d'admirables croyants parmi ceux qu'elle appelle athées et des athées parmi ceux qui se donnent à elle pour des croyants. Comment sortir de ses contra-Tc- dons flagrantes? En nous rappelant qu'il y a de l'ombre dans le jour et des lueurs dans la nuit, en no négligeant pas de recueillir le

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bien qui souvent se trouve dans le mal et en nous gardant du mal qui peut se mêler avec le bien. Le pape Pie IX a donné sous le nom de Syllabus une série de propositions qu'il condamne et dont la plupart semblent être incontestablement vraies au point de vue de la science et de la raison. Chacune de ces pro. positions cependant renferme et cache mi sens faux qui est légitimement 'condamné . Devons-nous pour cela renoncer au sens vrai et naturel qu'elles présentent au' premier abord? Quand l'autorité joue à cache-cache la cherchera qui voudra, quant à nous il nous suffit de la reconnaître quand elle se montre. L'intelligent évêque d'Orléans, le belliqueux seigneur Dupanloup a prouvé en opposant le pape à lui-même•que le syllabus ne signifie pas et ne saurait signifier ce qu'il semble dire. Si c'est un logcgryphe, passons, nous qui ne sommes pas initiés aux pro' fondeurs de la cour de Rome. Combien de grandes vérités sont cachées sous des formules dog,matiqaes obscures en

234 LE GRAND ARCANE apparence jusqu'au ridicule le plus complet ? En veut-on des exemples ? Si l'on racontait à un philosophe chinois que les Européens adorent comme étant le Dieu suprême des univers un juif mort du dernier supplice et qu'ils pensent ressusciter tous les jours ce juif qu'ils mangent en chair et en os sous la figure d'un petit pain, le disciple de Confucius n'aurait-il pas quelque peine à croire capables de ces énormités des peuples qui à ses yeux, il est vrai sont des barbares mais enfin ne sont pas tout-à-fait des sauvages ; et si l'on ajoutait que ce juif est, né par l'incubation d'un esprit dont la forme est celle d'un pigeon et qui est le même Dieu que le juif, d'une femme qui était . avant et pendant l'accouchement restée matériellement et physiquement vierge, croyez-vous que son étonnement et son mépris n'irait pas jusqu'au dégout ? Mais si le retenant par la manche on lui criait dans l'oreille que le juif Dieu est venu au monde pour mourir dans les tourments afin d'apaiser son père le Dieu des juifs qui trouvait que ce n'était pas assez juif

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et qui à l'occasion de la mort de son fils a aboli le Judaïsme que lui-même avait juré devoir être éternel, n'entrerait-il pas dans une véritable colère? Tout dogme pour être vrai doit cacher sous une formule émigmatique un sèns éminemment raisonnable. Il doit avoir deux faces comme la tête divine du Zohar une de lumière et une d'ombre. • Si le dogme chrétien, expliqué clans son esprit, n'était pas acceptable pour un israélite pieux et éclairé, il faudrait dire que ce dogme est faux et la raison en est simple, c'est qu'à l'époque où le christianisme s'est produit dans le monde, le Judaïsme était la vraie religion et que Dieu, même, rejetait, devait rejeter et doit rejeter toujours, ce que cette religion n'admettait pas. Il est donc impossible que nous puissions adorer un homme ou une chose quelconque. Nous devons être attachés, avant tout, au Théisme pur et au spiritualisme de Moyse. Notre communication des idiomes n'est pas une confusion de na-

ture ; nous adorons Dieu en Jésus-Christ, et

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non Jésus-Christ à la place de Dieu. Nous croyons que Dieu se révèle dans l'humanité même, qu'il est en nous tous avec l'esprit du Sauveur, et cela, certes, n'a rien d'absurde. Nous croyons que l'esprit du Sauveur, c'est l'esprit de charité, l'esprit de piété, l'esprit d'intelligence, l'esprit de science et de bon conseil, et, dans tout cela, je ne vois rien qui ressemble au fanatisme aveugle. Nos dogmes de l'Incarnation, de la Trinité, de Rédemption, sont aussi anciens que le monde et ressortent même de cette doctrine cachée que le mosaïsme réservait pour ses docteurs et ses prêtres. L'arbre des Zéphiroth est une exposition admirable du mystère de la Trinité. La déchéance du grand Adam, cette conception gigantesque de toute l'humanité déchue, demande un réparateur non moins immense que • devra être le Messie mais qui se manifestera avec la douceur du petit enfant se jouant avec les lions et appelant à lui les petits de la colombe. Le christianisme bien compris c'est le plus parfait judaïsme moins la circoncision et les servitudes rabbiniques, plus la foi, l'espé-

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rance et la charité dans une admirable communion. Il est aujourd'hui bien avéré pour les gens instruits que les sages égyptiens n'adoraient ni les chiens, ni les chats, ni les légumes . Le dogme secret des initiés était précisément celui de Moyse comme celui d'Orphée . Un seul Dieu universel, immuable comme la loi, • fécond comme la vie, révélé dans toute la na' tare, pensant dans toutes les intèlligences, aimant dans tous les coeurs, cause et principe de l'être et des êtres sans se confondre avec eux, invisible, inconcevable, mais existant certainement puisque rien ne saurait exister sans lui. .

Ne pouvant pas le voir, les hommes l'ont rêvé et la diversité des dieux n'est autre chose que la diversité de leurs rêves. Si tu ne rêves pas comme moi tu seras éternellement réprouvé se disent les uns aux autres les prêtres des différents cultes. Ne raisonnons pas comme eux ; attendons l'heure du réveil. Sous un titre que Michelet a déjà lancé

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dans la publicité, on pourrait faire un fort beau livre. Ce serait une concordance de la Bible, des Pourânas, des Védas, des livres d'Hermès, des hymnes d'Homère, des maximes de Confucius, du Coran, de Mahomet et même des Eddas, des Scandinaves. Cette compilation, dont le résultat serait certainement catholique, pourrait s'appeler légitimement la Bible de l'Humanité; au lieu de faire ce travail, ce vieillard, trop galant et trop fleuri, l'a seulement indiqué et en a légèrement ébauché la préface. La religion, dans son essence, n'a jamais changé, mais chaque âge, comme chaque nation, a ses préjugés et ses erreurs. Pendant les premiers siècles du christianisme on croyait que le monde allait finir et l'on dédaignait tout ce qui embellit la vie. Les sciences, les arts, le patriotisme, l'amour de la famille, tout, tombait dans l'oubli devant les rêves du ciel. Les uns couraient au martyre, les autres au désert, et l'empire tombait en ruines. Puis vint la folie des disputes théologiques et les chrétiens s'entr'égorgeaient pour

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des mots qu'ils n'entendaient pas. Au MoyenAge la simplicité des Évangiles fit place aux arguties de l'école et les superstitions pullulèrent. A la Renaissance le matérialisme reparut, le grand principe de l'unité fut méconnu et le protestantisme ',sema, dans le monde, des églises de fantaisie. Les catholiques furent sans miséricorde et les protestants furent implacables. Puis vint le sombre Jansénisme avec ses dogmes affreux, le Dieu qui sauve et damne par caprice, le culte de la tristesse et de la mort. La Révolution imposa ensuite la liberté par la terreur, l'égalité à coups de hache et la fraternité dans le sang. Il s'ensuivit une réaction lâche et perfide. Les intérêts menacés prirent le masque de la religion et le coffre-fort fit alliance avec la croix. C'est encore là que nous en sommes. Les anges gardiens du Sanctuaire sont remplacés par des zouaves et ie ,royaume de Dieu, qui souffre violente dans le ciel, résiste à la violence sur la terre, non plus avec le détachement et les prières, mais avec de l'argent et des baïonnettes. Juifs et

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protestants grossissent le denier de saint Pierre. La religion n'est plus une chose de foi, c'est une affaire de parti. Il est évident que le christianisme n'a pas encore été compris et qu'il réclame enfinsa place ; c'est pour cela que tout tombe et que tout tombera tant qu'il ne sera pas établi dans toute sa venté et dans toute sa puissance pour fixer l'équilibre du monde. Les agitations que nous traversons n'ont donc rien qui trouble, elles sont le résultat du mouvement perpétuel qui renverse tout ce que les hommes veulent opposer aux lois de son éternelle balance. -

Les lois qui gouvernent le monde régissent aussi les destinées de tous les individus humains : l'homme est né pour le repos, mais non pas pour l'oisiveté. Le repos pour lui c'est la conscience de son propre équilibre, mais il ne peut renoncer au. mouvement perpétuel puisque le mouvement c'est la vie. Il faut le subir ou le diriger. Lorsqu'on le subit il vous brise, lorsqu'on le dirige il vous régénère. Il doit y avoir balance et. non pas

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antagonisme entre l'esprit et le corps. Les soifs insatiables de l'âme sont aussi funestes que les appétits déréglés de la chair. La concupiscence, loin de se calmer, s'irrite par les privations insensées. Les souffrances du corps rendent l'âme triste et impuissante et elle n'est véritablement reine que quand les organes, ses sujets, sont parfaitement libres et . a p a i s é s . • • Il y a balance et non pas antagonisme entre la grâce et la nature, puisque la grâce • est la direction que Dieu donne lui-même à la nature. C'est par la grâce du Très-Haut que les printemps fleurissent, que les étés portent des épis, et les automnes des raisins. Pourquoi donc dédaignerions-nous les fleurs qui charment nos sens, le pain qui nous soutient, et le vin qui nous fortifie? Le Christ nous apprend à demander à Dieu le pain de chaque jour. Demandons lui aussi les roses de chaque printemps et les ombrages de chaque été. Demandons lui, pour chaque coeur au moins, une vraie amitié, et pour chaque existence un honnête et sincère amour. IG

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Il y a balance et il ne doit jamais y avoir antagonisme entre l'homme et la femme. La loi d'union, entre eux, c'est le dévouement mutuel. La femme doit captiver l'homme par l'attrait, et l'homme émanciper la femme par l'intelligence. C'est là l'équilibi e intelligent en dehors duquel on tombe dans l'égoïsme fatal. A l'anéantissement de la femme par l'homme correspond l'avilissement de l'homme par la femme. Vous faites de la femme une chose qu'on achète, elle se surfait et elle vous ruine. Vous en faites une créature de chair et de fange, elle vous corrompt et elle vous salit. Il y a balance et il ne saurait y avoir antagonisme réel entre l'ordre et la liberté, entre l'obéissance et la dignité humaine. Personne n'a droit au pouvoir despotique et arbitraire. Non, personne, pas même Dieu. Personne n'est le maître absolu de personne. Le berger même n'est pas maître ainsi de son chien. La loi du monde intelligent c'est la tutelle ; ceux qui doivent obéir n'obéissent que peur leur bien ; on dirige leur volonté .

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mais on la subjugue pas ; on peut engager sa volonté mais on ne l'aliène jamais. Etre roi c'est se dévouer pour protéger les droits du roi contre ceux du peuple et plus le roi est puissant plus le peuple est véritablement libre. Car la liberté sans discipline et sans protection est la pire des servitudes. Elle devient alors l'anarchie qui est la tyrannie de tous dans le conflit des factions. La vraie liberté sociale c'est l'absolutisme de la justice. La vie de l'homme est alternée ; tour à tour. il veille et il dort plongé par le sommeil dans la vie collective et universelle ; il rêve son existence personnelle sans avoir conscience du temps et de l'espace, Rendu à la vie individuelle et responsable, à l'état de veille il rêve son existence collective et éternelle. Le rêve c'est la lueur dans la nuit. La foi aux mystères religieux c'est l'ombre qui apparaît au fond du jour. L'éternité de l'homme est probablement alternée comme sa vie et doit se composer de veilles et de sommeils, Il rêve quand il croit vii:e dans l'empire de la mort, il veille

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lorsqu'il continue son immortalité et se ressouvient de, ses rêves. Dieu, dit la Genèse, envoya le sounneil sur Adam et pendant qu'il dormait il tira de lui la Chavah afin de lui donner une auxiliaire semblable à lui — et Adam s'écria : Ceci est la chair do ma chair et les os de mes os. N'oublions pas que tlans le chapitre précédent l'auteur du livre sacré déclare qu'Adam avait été créé mâle et femelle ce qui exprime assez clairement qu'Adam n'est pas un individu isolé mais est pris pour l'hutnanité toute entière. Qu'est-ce donc que cette Chaval' ou IIéva qui sort de lui pendant son sommeil pour lui servir d'auxiliaire et qui doit plus tard le vouer à la mort ? N'est-ce pas la même ch9se que la Maya des Indiens, le récipient corporel, la forme terrestre qui est l'auxiliaire et comme la forme de l'esprit tuais gai se sépare de lui, dont il s'éveille ce que tuas appelons la mort? Quand l'esprit s'endort après un jour de la vie universelle, il produit de lui-même sa chavah ; il pousse autour de lui sa chrysalide et

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ses existences dans le temps ne sont pour lui que des rêves qui le reposent des travaux de son éternité. Il monte ainsi l'échelle des mondes pendant son sommeil seulement, jouissant pendant son éternité de tout ce qu'il acquiert de connaissances et do force nouvelle dans ces accoupleinents avec la Maya dont il doit se servir sans en devenir jamais l'esclave. Ca.. la Maya triomphante jetterait sur son âme un voile quo le réveil no déchirerait plus et pour avoir caressé le cauchemar il serait exposé à se réveiller fou ce qui est le véritable mystère de la vie éternelle. Quels êtres sont plus à plaindre que les fous et cependant pour la plupart ils ne sentent pas leur épouvantable malheur. Swedenborg a osé dire une chose qui pour être dangereuse ne nous en semble pas moins touchante. Il dit que les réprouvés prennent les horreurs de l'enfel.• pour des beautés, ses ténèbres pour des lumières et ses tourments pour des plaisirs. Ils sont comme ces suppliciés d'Orient qu'on enivre avec des

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narcotiques avant de les livrer aux bourreaux. Dieu ne peut empêcher la peine d'atteindre les violateurs de sa loi, mais il trouve que c'est assez de la mort éternelle, et ne veut pas y joindre la douleur. Ne pouvant détourner le fouet des furies, il rend insensible les malheureux qu'elles vont frapper. Nous ne saurions admettre cette idée de Swedenborg, parce que nous ne croyons qu'à la vie éternelle. Ces damnés idiots et hallucinés, se délectant dans les ombres infectes, et cueillant des champignons vénéneux qu'ils prennent pour des fleurs, nous semblent inutilement punis puisqu'ils n'ont pas conscience de leur châtiment. Cet enfer qui serait un hôpital de gâteux, est moins beb u que celui du Dante, gouffre circulaire qui devient plus étroit à mesure qu'on y descend et qui finit, derrière les trois têtes du serpent symbolique, par un sentier étroit où il suffit de se retourner pour remonter vers la lumière. La vie éternelle c'est le mouvement perpé-

247 tuel et, pour nous, l'éternité ne peut être quo l'infinité du temps. Supposez que toute la félicité du ciel consiste à dire Alelluia, avec une palme dans la main et une couronne sur la tête, et, qu'après cinq cents millions d'alleluia ce sera toujours à recommencer (effrayant bonheur), mais, enfin, à chaque alleluia, on pourra assigner un nombre ; il y en aura un en avant, il y en • aura un autre après ; il y aura succession, il y aura durée, ce sera le temps enfin, ce sera le temps, puisque cela commencera. L'Éternité n'a ni commencement, ni fin. Une chose est certaine, c'est que nous ne savons absolument rien des mystères de l'autre vie ; mais il est certain, aussi, qu'aucun de nous ne se souvient d'avoir commencé, et que l'idée de ne plus être, révolte, également eu nous, le sentiment et la raison. Jésus-Christ dit que les justes iront dans le ciel, et il appelle le ciel la maison de son père ; il assure que dans cette maison il y a d'innombrables demeures, ces demeures sont évidemment les étoiles, L'idée, ou, si l'on LE MOUVEMENT PERPÉTUEL

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veut, l'hypothèse des existences renouvelées dans les astres, ne s'éloigne donc pas de la doctrine de Jésus-Christ. La vie des rêves est • essentiellement distincte de la vie réelle, elle a ses paysages, ses amis et ses souvenirs, on y possède dos facultés qui appartiennent sans doute à d'autres formes et à d'autres mondes. On y revoit des êtres aimés qu'on a jamais connus sur cette terre ; on y retrouve vivants ceux qui sont morts, on se soutient en l'air, on marche sur l'eau comme cela peut arriver dans los milieux où la pesanteur des corps est moins grande, ou y parle des langues inconnues et l'on y rencontre des êtres bizarrement organisés ; tout y est plein de réminiscence qui ne se rapportent pas à ce monde, ne serait-ce point des souvenirs vagues de nos existences précédentes ? Est-ce le cerveau seul qui produit les songes? mais, s'il les produit, qui donc les invente souvent ils nous épouvantent et nous fatiguent. Quel est le Callot ou te Goya qui compose les cauchemars? Souvent il nous semble que nous commet-

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tons des crimes, en rêve, et nous sommes heureux de n'avoir rien à nous reprocher quand vient l'heure du réveil . En serait-il de même pour nos existences voilées, pour nos sommeils SORS une couverture de chair? Néron, s'éveillant en sursault, a-t-il pu s'écrier : Dieu soit loué t je n'ai pas fait assassiner ma mère ? Et l'aura-t-il retrouvée vivante et souriante ' auprès. de lui, prête à lui raconter, à son tour, ses crimes imaginaires et ses mauvais rêves. La vie présente parait souvent un rêve monstrueux, et n'est guère plus raisonnable que les visions du sommeil ; souvent, on y voit ce qui ne devrait pas être, et ce qui devrait être, ne s'y fait pas. Il nous semble parfois que la nature extravague et que la raison se débat sous un Ephiaste effrayant. Les choses qui se passent ein cette vie d'illusions et de vaines espérances, sont, certes, aussi insensées en comparaison de la vie éternelle que les visions du sommeil peuvent l'être comparées aux réalités de cette vie. Nous ne nous reprochons pas au réveil les péchés commis en rêve, et, si ce sont des

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crimes, la société ne nous en demande pas compte, à moins, qu'en état de sonmanbuiistne, nous ne les ayons réalisés, comme si, par exemple, un somnambule, rêvant qu'il tue sa femme, lui portait, en effet, un coup mortel. C'est ainsi que nos erreurs de la terre peuvent avoir leur retentissement dans le ciel par suite d'une exaltation spéciale qui fait vivre l'homme dans l'éternité avant qu'il ait quitté la terre. Il est des actes de la vie présente qui peuvent troubler les régions de la sérénité éternelle. Il est des péchés qui, comme l'on dit vulgairement, font pleurer les anges. Ce sont les injustices des saints, ce sont les calomnies qu'ils font remonter jusqu'à l'Être suprême, lorsqu'ils le présentent comme le despote capricieux des esprits, et comme le tourmenteur infini des âmes. Quand saint Dominique et saint Pie V envoyaient des chrétiens dissidents au supplice, ces chrétiens, devenus martyrs et rentrant, par le droit du sang versé, dans la grande catholicité du ciel, étaient accueillis, sans doute, dans les rangs des esprits bienheureux avec des cris

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d'étonnement et de pitié, et les terribles somnambules de l'Inquisition n'auraient pas été excusés, en alléguant, devant le Juge suprême, les divagations de leur sommeil. Fausser la conscience humaine, éteindre l'esprit et calomnier la raison, .persécuter les sages, s'opposer aux progrès de la science, ce sont là les vrais péchés mortels, les péchés . contre le Saint-Esprit, ceux qui ne peuvent • être pardonnés ni dans ce monde, ni dans l'autre.

CHAPITRE X

LE MAGNÉTISME DU MAL

Un seul esprit remplit l'immensité. C'est celui de Dieu que rien ne limite ou ne partage, celui qui est tout entier partout sans être renfermé nulle part. Les esprits créés ne peuvent vivre que sous des enveloppes proportionnelles à leur milieu qui réalisent leur action en la limitant et les empêchant d'être absorbés dans l'infini. Jetez une goutte d'eau douce dans la mer; elle s'y perdra à moins qu'elle ne soit préservée par une enveloppe imperméable. Il n'existe donc pas d'esprits sans enveloppe et sans forme ; ces formes sont relatives au milieu où ils vivent et dans notre atmosphère par exemple il ne peut exister d'autres esprits

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que ceux des hommes avec les corps que nous leur voyons et ceux des animaux dont nous ignorons encore la destinée et la nature. Les astres ont-ils des âmes ? et la terre que nous habitons a-t-elle une conscience et une pensée qui lui soit propre ? Nous l'ignorons ; mais on ne peut convaincre d'erreur ceux qui ont voulu le supposer . On a expliqué ainsi certains phénomènes • exceptionnnels par des manifestations spontanées de l'âme de la terre et comme on a remarqué souvent une sorte d'antagonisme dans ces manifestations, on en a conclu que l'âme de la terre est multiple qu'elle se révèle par quatre forces élémentaires qu'on peut résumer en deux et qui s'équilibrent par trois ce qui est une des solutions de la grande Enigme du Sphinx. Suivant les hiérophantes anciens, la matière n'est que le substratum des esprits créés. Dieu ne la créé pas immédiatement. De Dieu emanent les puissances les Elohim qui constituent le ciel et la terre et suivant leur doctrine

il faudrait entendre ainsi la premiére phrase

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de la Genèse Bereschith la tête ou le premier principe, Bara créa, Elohim les puissances, ouath aarés qui sont ou qui font (sous entendu) le ciel et la terre. Nous avouons que cette traduction nous semble plus logique que celle qui donnerait un verbe Bara employé au singulier au nominatif pluriel Elohim. Ces Elohim ou ces puissances seraient les grandes âmes des mondes dont les formes seraient la substance spécifiée dans leurs vertus élémentaires. Dieu pour créer un monde aurait lié ensemble quatre génies qui en se débattant auraient produit d'abord le chaos et qui forcés de se reposer après la lutte auraient formé l'harmonie des éléments ; ainsi la terre emprisonna le feu et se gonfla pour échapper aux envahissements de l'eau. L'air s'échappa des cavernes et enveloppa la terre et l'eau, mais le feu lutte toujours contre la terre et la ronge, l'eau envahit à son tour la terre et monte en nuages dans le ciel : l'air s'irrite et pour chasser les nuages il forme des courants et des tempêtes la grande loi de l'équilibre qui est la volonté de Dieu empêche

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que les combats ne détruisent les mondes avant le temps marqué pour leurs transfigurations. Les mondes comme les Elohim sont liés ensemble par des chaînes magnétiques que leur révolte cherche à briser. Les soleils sont rivaux des soleils et les planètes s'exercent contre les planètes en opposant aux chaînes • d'attraction une énergie égale de répulsion • pour se défendre de l'absorption et conserver chacune soli existence. Ces forces colossales ont parfois pris une figure et se sont présentées sous l'apparence de géants : Ce sont les Eggrégores du livre d'Hénoch ; créatures terribles pour qui nous sommes ce que sont pour nous les infusoires ou les insectes microscopiques qui pullulent entre nos dents et sur notre épiderme. Les Eggrégores nous écrasent sans pitié parce qu'ils ignorent notre existence ; ils sont trop grands pour nous voir, et trop bornés pour nous deviner. Ainsi s'expliquent les convulsions planétaires qui engloutissent des populations. Nous .

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savons trop que Dieu ne sauve pas la mouche innocente, dont un cruel et stupide enfant arrache les pattes et les ailes, et que la providence n'intervient pas en faveur de la fourmilière dont un passant détruit et saccage les édifices à coups de pied. Parce que les organes d'un ciron échappent à l'analyse de l'homme, l'homme se croit le droit de supposer que, devant la nature éternelle, son existence, à lui, est beaucoup plus précieuse que celle d'un ciron ! Hélas ! le Camoëns avait probablement plus de génie que l'eggrégore Adamastor ; mais, le géant Adamastor, couronné de nuages, ayant les vagues pour ceinture, et les ouragans pour manteau, pouvait-il deviner les poésies du Camoëns ? L'huître, nous paraît bonne à manger, nous supposons qu'elle n'a pas conscience d'ellemême, que, par conséquent elle ne souffre pas, et, sans le moindre regret, nous la dévorons toute vivante. Nous jetons, tout vivants, l'écrevisse, le homard et la langouste dans

l'en bouillante parce que, étant cuits de cette

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façon, ils ont une chair plus ferme et un goût plus savoureux. Par quelle loi terrible Dieu abandonne-t-il ainsi le faible au fort, et le petit au grand, sans que l'ogre ait, lui-même, l'idée des tortures qu'il fait subir à l'être chétif qu'il dévore ? Et, qui nous assure que quelqu'un prendra • • notre défense contre les êtres plus forts et aussi avides que nous? Les astrès agissent et réagissent les uns sur les autres ; leur équilibre est formé par des liens d'amour et des efforts de haine. Parfois, la résistance d'une étoile se brise, et elle est attirée vers un soleil qui la dévore; parfois, une autre sent sa force d'attraction expirer en elle et elle est lancée hors de son. orbite par le tournoiement des. univers. Des astres amoureux se rapprochent et enfantent de nouvelles étoiles. L'espace infini est la grande cité des soleils ; ils tiennent con.



seil entre eux et s'adressent, réciproquement, des télégrammes de lumière, Il y a des étoiles qui sont soeurs, il y en a d'autres qui sont rivales. Les âmes des astres, enchalrées par la 17

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nécessité de leur course régulière, peuvent exercer leur liberté en diversifiant leurs effluves. Quand la terre est méchante, elle rend les hommes furieux et déchaîne les fléaux à sa surface ; elle envoie alors aux planètes qu'elle n'aime pas, un magnétisme empoisonné, mais, elles, se vengent, en lui envoyant la guerre. Vénus dé %reps() sur elle de venin des mauvaises moeurs ; Jupiter excite les rois les uns contre les autres ; Mercure déchaîne contre les hoinincs les serpents de son caducée, la lune les rend fous et Saturne les pousse au désespoir. Ces amours et ces colères des étoiles sont la base de toute l'astrologie, maintenant, peut-être, trop dédaignée. L'analyse spectrale do Bumsen n'a-telle pas prouvé, tout récemment, que chaque astre a son aimantation déterminée par une base métallique spéciale et particulière, et qu'il y a, dans le ciel, des échelles d'attraction comme des gammes de couleurs ? Il peut donc exister aussi, et il existe certainement, entre les globes célestes, des influences magnétiques qui obéissent, peut-être, à la volonté de ces

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globes si on les suppose doués d'intelligence ou dominés par des génies que les anciens nommaient les veilleurs du ciel ou les Eggrégores. L'étude de la nature nous fait constater des contradictions qui nous étonnent. Partout, nous rencontrons les preuves d'une intelligence infinie, mais, souvent aussi, 1101ISavons . à reconnaître l'action do forces parfaitement • aveugles. Les fléaux sont des désordres qu'on lie peut attribuer au principe de l'ordre éternel. Les pestes, les inondations, les famines, te sont pas des ordres de Dieu. Les attribuer au diable, c'est-à-dire à un ange damné dont Dieu permet la mauvaise oeuvre, c'est supposer un Dieuhypocrite qui se cache, pour mal faire, derrière un gérant responsable, taré. D'oit viennent donc ces désordres? De l'erreur des causes secondes. Mais si les causes secondes sont capables d'erreur, c'est qu'elles sont intelligentes et autonomes, et nous voici en plein dans la doctrine des Eggrégores. Suivant cette doctrine les astres n'auraient cure des parasites qui pullulent sur leur épi-

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derme et s'occuperaient uniquement de leurs haines et de leurs amours. .Notre soleil, dont les taches sont un commencement de refroidisssement, est entraîné lentement, mais fa- taloment, vers la constellation d'Hercule. Un jour il manquera de lumière et de chaleur car los astres vieillissent et doivent mourir connue nous. Il n'aura plus alors la force don epousser les planètes qui iront, avec impétuosité, se briser sur lui et ce sera la fin de notre univers. Mais un nouvel univers se formera avec les débris de celui-ci. Une nouvelle création sortira du chaos et nous renaîtrons, dans une espèce nouvelle, capables de Bitter avec plus d'avantage contre la stupide grandeur des Eggrégores, et il en sera ainsi jusqu'à ce que le grand Adam soit reconstitué. Cet esprit des esprits, cette forme des formes, ce géant collectif qui résument la création tout entière. Cet Adam qui, suivant les kabbalistes, cache le soleil derrière son talon, cache des étoiles dans les touffes de sa larbe,- et, lorqu'il veut marcher, touche, d'IM pied, l'Orient, et de l'autre l'Occident. -

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Les Eggrél.),Pores sont les Enaciin do la Bible ou plutôt, suivant le livre d'Hénoch, ils en sont les pères. Ce sont les Titans (le la Fable et on les retrouve dans toutes les traditions • religieuses. Co sont eux qui on se battant lancent les aérolithes dans l'espace, voyagent à cheval sur les comètes et fout pleuvoir des étoiles • filantes et dos bolides enflammés. L'air devient • malsain, les eaux se corrompeùt, la terré tremble et les volcans éclatent avec fureur • lorsqu'ils sont irrités ou malades. Parfois pendant les nuits d'été, les habitants attardés des vallées du midi voient avec épouvante la forme colossale d'un homme immobile qui est assis sur le plateau des montagnes et qui baigne ses pieds dans quelque lac solitaire ; ils passent en faisant le signe de la croix et s'imaginent avoir vu Satan lorsqu'ils ont rencontré seulement l'ombre pensive d'un éggrégore. Ces éggrégores s'il fallait admettre leur existence seraient.les`-agents plastiques de Dieu, les rouages vivants de la machine créa-

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trice, multiformes comme Protée mais enchaînés toujours à leur matière élémentaire. Ils sauraient les secrets que l'immensité nous dérobe mais seraient ignorants des choses que nous savons. Les évocations de la magie ancienne s'adressent à eux et les noms bizarres que leur donnait la Perse ou la Chaldée sont encore conservés dans les anciens grirmiires. Les Arabes, poétiques conservateurs des traditions primitives de l'Orient, croient encore à ces gigantesques génies. Il en est des blancs et des noirs, les noirs sont malsains et se nomment les Afrites. Mahomet a conservé ces génies et en fait des auges si grands que le vent de leurs ailes balayent les inondes dans l'espac3. Nous avouons ne pas aimer cette multitude infinie d'êtres intermédiaires qui nous cachent Dieu et semblent le rendre inutile. Si la chaîne des esprits grossit toujours ses anneaux en remontant vers Dieu, nous ne voyons pas de raisons pour quelle s'arrête car elle progressera toujours dans l'infini sans jamais pouvoir le toucher. Nous avons des milliards de dieux à vaincre ou à fléchir

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sans pouvoir jamais arriver à la liberté et à la paix. C'est pourquoi nous rejetons définitivement et absolument la mythologie des eggrégores. Ici nous respirons longuement et nous nous essuyons le front comme un homme qui se réveille après un rêve pénible. Nous contemplons le ciel plein d'astres mais vide de fan' tômes et avec un indicible soulagement de ' coeur nous répétons à pleine voix Ces premières paroles du symbole de Nicée : Credo in unum . Deum. Tombant avec les eggrégores et les Afrites, Satan flamboie un instant dans le ciel et disparaît comme un éclair. Videbam Satanam sicut fulgures (ou fulgur) de ccelo cadentem. Les géants de la bible ont été ensevelis par le déluge. Les Titans de la Fable ont été écrasés sous les montagnes qu'ils avaient entassées. Jupiter n'est plus qu'une étoile et toute la fantasmagorie gigantesque de l'ancien monde n'est plus qu'un colossal éclat de rire qui se nomme Gargantua dans Rabelais. Dieu même ne veut plus qu'on le représente -

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sous la forme d'un monstrueux panthée. Il est le père des proportions et de l'harmonie et repousse les énormités. Ses hiéroglyphes favoris sont les blondies et douces figures de l'agneau et de la colombe et il se présente à nous dans les bras d'une mère sous la forme d'un petit enfant. Combien le symbolisme catholique est adorable et combien d'abominables prêtres l'ont méconnu. Vous figurez-vous la colombe de l'esprit d'amour planant sur la fumée grasse des auto-da-fés, et la vierge mère regardant brûler des juives ! Voyez-vous de malheureux jeunes gens tomber sous les balles des zouaves de l'enfant Jésus et des canons rayés qu'on braque autour du trésor dés indulgences ! Mais qui peut sonder les secrets de la providence ! Peut-être que par cette aberration du pouvoir militaire tousles dissidents sont absous et que le péché du pasteur devient l'innocence du monde Le pape, d'ailleurs, n'est-il pas un saint prêtre et ne croit-il pas faire son devoir dans toute la sincérité de son coeur? Qui donc est

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le coupable? — Le coupable, c'est l'esprit do contradiction et d'erreur, c'est l'esprit de mensonge qui a été homicide dès le commencement, c'est le tentateur, c'est le diable c'est le magnétisme du mal. Le magnétisme du mal, c'est le courant fatal des habitudes perverses, c'est la synthèse hybride de tous les insectes voraces et rusés . que l'homme emprunte aux animaux les plus . malfisantsec'estbiendanscesnsphilosophique que le symbolisme du Moyen-Age a • personnifié le démon. Il a des cornes de bouc ou de taureau, des yeux de hibou, un nez en bec de vautour, une gueule de tigre, des ailes de chauve-souris, des griffes de harpie et un ventre d'hyppopotame. Quelle figure pour un ange même déchu, et qu'il y. a loin de là au superbe roi des enfers rêvé par le génie de Milton I Mais le satan de Milton ne représente autre chose que le génie révolutionnaire des An«lais sous un Cromwel et le vrai diable est toujours celui des cathédrales et des légendes. Il est adroit comme le singe, insinuant

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comme le reptile, rusé comme le renard, enjoué comme le jeune chat, lâche comme le loup ou le chacal. Il est rampant et flatteur comme le valet, ingrat comme un roi et vindicatif comme un mauvais prêtre, inconscient et perfide comme une femme galante. C'est un protée qui prend toutes les formes, excepté celle de l'agneau et de la colombe, disent les vieux grimoires. Tantôt, c'est un petit page fripon qui porte la queue d'une grande dame ; tantôt, un théologien fourré d'hermine ou un chevalier bardé de fer. Le conseiller du mal se glisse partout, il • se cache même dans le sein des roses. Parfois, sous une chape de chantre ou d'évêque, il promène sa queue mal dissimulée le long des dalles d'une église, il 'se cramponne aux cordelettes de la discipline des nonnes et s'applatit entre les pages des bréviaires. Il hurle dans la bourse vide du pauvre, et, par le trou de la serrure des coffres-forts, il appelle tout bas les voleurs. Son caractère essentiel et ineffaçable c'est d'être toujours ridicule, .

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car, clans l'ordre moral, il est la bête et sera toujours la bêtise. On a beau ruser, combiner, calculer, mal faire. c'est manquer d'esprit. Son habitude, disent les sorciers, c'est de demander toujours quelque chose; il se contente d'un chiffon, d'une savate, d'un brin de paille. Qui ne comprend ici l'allégorie ? Accorder au mal la moindre chose, n'est-ce pas pactiser avec lui? L'appeler, ne fut-ce que par curiosité, n'est-ce pas lui livrer-notre âme ? Toute cette mythologie diabolique des légendaires est pleine de philosophie et de raison. L'orgueil, l'avarice, l'envie, ne sont pas, par eux-mêmes, des personnages ; mais ils se personnifient souvent dans les hommes, et, ceux qui arrivent à voir le diable, se mirent dans leur propre laideur. Le diable n'a- jamais été beau ; ce n'est pas un ange déchu, il est damné de naissance, et ' Dieu ne lui pardonnera jamais, car, pour Dieu, il n'existe pas. Il existe comme nos erreurs, il est le vice, il est la maladie, il est la peur, il est la démence et le mensonge, il est la fièvre d'hopital des limbes où languissent les

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âmes malades. Jamais il n'est entré dans les régions sereines du ciel, et ne saurait, par conséquent, en être tombé. Arrière donc le dualisme impie des Manichéens, arrière, ce compétiteur de Dieu, toujours puissant quoique foudroyé, et qui lui dispute le monde. Arrière ce valet séducteur des enfants de son maître, qui a forcé Dieu, lui-même, à subir la mort pour racheter les hommes dont l'ange rebelle avait fait ses esclaves, et à qui Dieu abandonne, néanmoins encore, la majorité de ceux qu'il a voulu racheter par un si inconcevable sacrifice. A bas le dernier, le plus monstrueux des eggrégores. Gloire et triomphe éternel à Dieu seul ! Eternel honneur, toutefois, au dogme sublime de la Rédemption ; respect à toutes les traditions de l'Église universelle ; vive le symbolisme antique ! Mais Dieu nous garde de le matérialiser en prenant des entités métaphysiques pour des personnages réels, et des allégories pour des histoires ! Les enfants aiment à croire aux ogres et • aux fées ; et les multitudes ont besoin de

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mensonge, je le sais, je m'en rapporte làdessus aux nourrices et aux prêtres. Mais j'écris un livre de philosophie occulte qui ne doit être lu ni par les enfants, ni par les gens faibles d'esprit. Il est (les gens à qui le monde paraîtrait vide s'il n'était peuplé de chimères. L'immensité du ciel les ennuierait si elle n'était peuplée de farfadets et de démons. Ces grands enfants nous rappellent la fable du bon La Fontaine qui croyait voir un mast o d o n t e dans la lune et qui regardait une souris cachée entre les verres de la lunette. Nous avons tous, en nous, notre tentateur ou notre diable qui naît de noire tempérament ou de nos humeurs. Pour les uns, c'est un dindon qui fait la roue ; pour d'autres, c'est un singe qui grince des dents. C'est le côté bète de notre humanité, c'est le repoussoir ténébreux de notre âme, c'est la férocité des instincts animaux exagérée par la vanité des pensées étroites et fausses, c'est l'amour du mensonge, enfin, dans les esprits, qui, par lâcheté ou par indifférence, désespèrent de la vérité.

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Les possédés du démon sont en si grand nombre, qu,ils composent ce que Jésus-Christ appelait le monde, et c'est pourquoi il disait à ses apôtres : « Le monde vous fera mourir ». Le diable, tue ceux qui lui résistent, et, consacrer son existence au triomphe de la vérité et de la justice, c'est faire le sacrifice de sa vie. Dans la cité des méchants, c'est le vice gai règne et c'dst l'intérêt du vice qui gouverne. Ln juste est condamné d'avance, on n'a pas besoin de le juger ; mais la vie éternelle appartient aux hommes de coeur qui savent souffrir et mourir. Jésus, qui passait et ' faisant le bien, savait qu'il marchait à la mort et disait à ses amis : « Voici que nous allons à Jérusalem où le fils de l'homme doit être livré au dernier supplice. Je fais l'offrande de ma vie; personne ne me la prend; je la dépose pour la reprendre. Si quelqu'un veut m'imiter, qu'il accepte d'avance la croix des malfaiteurs et qu'il marche sur nos traces. Vous tous qui me voyez, maintenant, bientôt vous ne me verrez plus D. Veut-il donc se tuer, disaient les juifs en l'entendant parler ainsi. Mais se .

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faire tuer par les autres, ce n'est pas se tuer soi-même. Les héros des Thermopyles savaient bien qu'ils mourraient là jusqu'au dernier, et leur glorieux combat ne fut certainement pas un suicide. Le sacrifice de soi-même n'est jamais le suicide ; et Curtius, si son histoire n'est pas fabuleuse, Curtius n'est pas un suicidé . Régu. lus, retournant à Carthage, accomplissait-il • un suicide ? Socrate, se suicidait-il, lorsqu'il refusait de s'évader de prison après son arrêt de mort ? Caton, se déchirant les entrailles plutôt que de subir la démence de César, est un républicain sublime. Le soldat blessé, qui, tombé sur le champ de bataille et n'ayant plus pour toute arme que sa baïonnette, lorsqu'on lui dit : rends tes armes, se plonge cette baïonnette dans- le coeur en disant : « Viens les prendre » , n'est pas un homme qui se suicide, c'est un héros qui est fidèle à son serment de vaincre ou de mourir. M. de Beaurepaire, se brûlant la cervelle plutôt que de souscrire une capitulation hontetue, ne se suicide pas ; il se sacrifie à l'honneur !

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Lorsqu'ail ne pactise point avec le mal, on ne doit pas le craindre ; mais lorsqu'on ne craint pas le mal, on ne doit pas craindre la mort : elle n'a d'empire terrible que sur le mal. La mort noire, la mort affreuse, la mort pleine d'angoisses et d'épouvante, est la fille du diable. Ils se sont promis de mourir ensemble ; mais, comme ils sont menteurs, ils se donnent réciproquement pour éternels. Nous disions tout à l'heure que le diable est ridicule, et, dans notre histoire de la Magie, nous déclarions qu'il ne nous fait pas rire ; et, en effet, on ne s'amuse pas du ridicule lorsqu'il est hideux, et, lorsqu'on a l'amour du bien on ne saurait rire du mal. Le véhicule fluidique, astral, représenté dans toutes les mythologies par le serpent, c'est le tentateur naturel de la Chavah ou de la forme matérielle, ce serpent était innocent comme tous les êtres avant le péché d'i:ve et d'Adam. Le diable est né de la première désobéissance et il est devenu cette tête de serpent que le pied de la femme doit écraser. Le serpent, symbole du grand agent flui-

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clique, peut être un signe sacré lorsqu'il représente le magnétisme du bien, comme le serpent d'airain de Moyse. Il y a deux serpents au caducée d'Hermès. Le fluide magnétique est soumis à la volonté des esprits qui peuvent l'attirer ou le projeter avec dos forces différentes, suivant leur degré d'exaltation ou d'équilibre. On l'a appelé le porte-lumière ou le Lucifer parce qu'il est l'agent distributeuret spécialisateur de la lumière astrale. On l'appelle aussi l'ange des ténèbres parce, qu'il est le messager des pensées obscures comme des pensées lumineuses, et les Hébreux qui le nomment Samaël, disent qu'il est double et qu'il y a le Sainte blanc et le Samaël noir, le Samaël israélite et le Samaël incirconcis. L'allégorie, ici, est évidente. Certes, nous croyons, comme les chrétiens, à l'immortalité de l'âme ; comme tous les peuples civilisés, nous croyons à des peines et 'à des récompenses, proportionnelles à nos oeuvres. Nous croyons que les esprits peuvent être malheureux et tourmentés dans l'autre vie, nous ad-

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mettons donc l'existence possible des réprouvés. Nous croyons que les chaînes de sympathie ne sont pas rompues, mais sont au contraire, rendues plus étroites par la mort. Mais cela existe seulement entre les justes. Les méchants no peuvent communiquer entre eux que par des effluves de haine. Le magnétisme du mal peut donc recevoir aussi des impressions d'outre-tombe, mais seulement par les aspirations perverses des vivants, les morts que Dieu punit n'ayant plus ni le pouvoir, ni la volonté efficace de mal faire. Sous la anain de la justice de Dieu on ne pèche plus, on expie. ;

Ce que nous nions, c'est l'existence d'un puissant génie, d'une espèce de Dieu noir, d'un monarque sombre ayant le pouvoir *de mal faire après que Dieu l'a réprouvé. Le roi Satan est pour nous une fiction impie malgré tout ce qu'elle peut présenter dans le poème de Milton, de poésie et de grandeur. Le plus coupable des esprits déchus doit être tombé plus bas que les autres et plus que les autres

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enchaîné par la justice de Dieu. Le bagne sans doute a ses' rois qui exercent encore uue certaine influence sur le monde criminel mais cela tient à l'insuffisance des moyens de surveillance ou de répression employés par la justice humaine et l'on ne trompe pas la justice de Dieu. Au livre apocryphe d'Enoch on lit que ces cg' grégores noirs se sont incarnés pour séduire • les filles de la terre et faisaient 'naître les géants. Les véritables eggrégores, c'est-à-dire les veilleurs de nuit, auxquels nous aimons à croire, ce sont les astres du ciel avec leurs yeux toujours étincelants. Ce sont les anges qui gouvernent les étoiles et qui sont comme des pasteurs pour les âmes qui les habitent. Nous aimons à penser aussi que chaque peuple a son ange protecteur ou son génie qui peut être celui d'une des planètes de notre système. Ainsi, suivant les poétiques traditions fie la Kabbale Mikag, l'ange du soleil est celui du peuplede Dieu. Gabriel, l'ange de la lune, protège les peuples d'Orient qui portent le

croissant sur leur drapeau. Mars et Vénus

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gouvernent ensemble la France. Mercure est le génie de la Hollande et de l'Angleterre. Saturne le génie de la Russie. Tout cela est possible quoique douteux et peut servir aux . hypothèses de l'astrologie ou aux fictions de l'épopée. Le règne de Dieu est un gouverAment admirable où tout subsiste par la hiérarchie et où l'anarchie se détruit d'elle-même. S'il existe dans son empire des prisons pour les esprits coupables Dieu seul en est le maître et les fait sans doute gouverner par des anges sévères et bons. Il n'est pas permis aux condamnés de s'y torturer les uns les autres. Dieu serait-il moins sage et moins bon que les hommes. Et que dirait-on d'un prince de la terre qui choisirait un brigand de la pire espèce pour directeur de ses prisons en lui permettant très-souvent de sortir pour continuer ses crimes et donner aux honnêtes gens dcaffreux exemples et de pernicieux conseils.

CHAPITRE XI L'AMOUR FATAL

• Les animaux sont soumis par la ,Nature à un état phénoménal qui les pOusse invincible- ment à la reproduction et que l'on nomme le rut. L'homme seul est capable d'un sentiment sublime qui lu; fait choisir sa compagne et qui tempère par le dévouement le plus absolu les âpretés du désir. Ce sentiment se nomme l'amour. Chez les animaux le mâle se rue indistinctement sur toutes les femelles et les femelles se soumettent à tous les mâles. L'homme est fait pour aimer une seule femme et la femme digne de respect se conserve pour un seul homme. Chez l'homme comme chez la femme l'entraînement des sens ne mérite pas le nom

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d'amour, c'est quelque chose de semblable au rut des animaux. Les libertins et les libertines sont des brutes. L'amour donne à l'âme humaine l'intuition de l'absolu parce que lui-même il est absolu ou il n'est pas. L'amour qui se réveille dans une grande âme, c'est l'éternité qui se révèle. Dans la femme qu'il aime l'homme voit et adore la divinité maternelle et il donne à jamais son coeur à la vierge qu'il aspire à décorer de la dignité de mère. La femme dans l'homme qu'elle aime adore la divinité féconde qui doit créer en elle l'objet de tous ses voeux, le but de sa vie, la couronne de toutes ses ambitions : l'enfant ! Ces deux âmes alors n'en font plus qu'une (lui doit se compléter par une troisième. C'est l'homme unique en trois amours comme Dieu est en trois personnes. Notre intelligence est faite pour la vérité et notre coeur pour l'amour. C'est pour cela que saint Augustin dit avec raison en s'adressant à Dieu : Tu nous as fait pour toi, Seigneur et notre coeur est tourmenté jusqu'à ce qu'il ait

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trouvé son repos en toi. Or Dieu qui est infini ne peut être aimé de l'homme que par intermédiaire. Il se fait aimer par l'homme dans la femme et dans l'homme par la femme. C'est pourquoi l'honneur et le bonheur d'être aimés nous imposent une grandeur et une bonté divine. Aimer c'est percevoir l'infini dans le fini. C'est avoir trouvé Dieu dans la créature. Etre aimé c'est représenter Dieu, c'est être son plénipotentiaire près d'une âme pour lui donner le paradis sur la terre. Les âmes vivent de vérité et d'amour, sans amour et sans vérité elles souffrent et dépérissent comme des corps privés de lumière et . de. chaleur. Qu'est-ce que la vérité ? demandait dédaigneusement à Jésus-Christ le représentant de Tibère et Tibère lui-même eut pu demander avec un dédain plus insolent et une ironie ' s plus amère : Qu'est-ce que l'amour ? La fureur de ne pouvoir rien comprendre et rien croire, la rage de ne pouvoir aimer, voilà le véritable enfer et combien d'hommes,

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combien .de femmes sont livrés dès cette vie aux tortures de cet épouvantable damnation? De là les fureurs passionnées pour le mensonge; de là ces mensonges d'amour qui livrent l'âme aux fatalités de la démence. Le besoin de savoir toujours désespéré par l'inconnu et le besoin d'aimer toujours trahi par l'impuissance du coeur. Don Juan va de crime en crime à la poursuite de l'amour et finit par mourir étouffé dans les étreintes d'un spectre de pierre. Faust désespéré du néant de la science sans foi cherche des distractions et ne trouve que des remords après avoir perdu la trop crédule Marguerite : Marguerite pourtant le sauvera car elle, la pauvre innocente enfant, elle a véritablement aimé et Dieu ne peut vouloir qu'elle soit à jamais séparée de celui qu'elle adore. Voulez-vous pénétrer les secrets de l'amour? Étudiez les mystères de la jalousie. La jalousie est inséparable de l'amour parce que l'amour est une préférence absolue qui exige la réciprocité, mais il ne peut exister sans une

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confiance absolue que la jalousie vulgaire tènd naturellement à détruire. C'est que la jalousie vulgaire est un sentiment égoïste dont le résultat le plus ordinaire est de substituer la haine à la tendresse. C'est une secrète calomnie de l'objet aimé, c'est un doute qui l'outrage, c'est souvent une fureur qui porte à le maltraiter et à le détruire. Jugez aussi l'amour d'après ses oeuvres, s'il • élève l'âme, il inspire le dévouèment et les actions héroïques, s'il est jaloux seulement de la perfection et du bonheur de l'être aimé, s'il est capable de se sacrifier à l'honneur et au repos de ce qu'il aime c'est un sentiment immortel et sublime; mais s'il brise le courage, s'il énerve la volonté, s'il abaisse les aspirations, s'il fait méconnaître le devoir, c'est une passion fatale et il faut la vaincre ou périr. Quand l'amour est pur, absolu, divin, sublime, il est lui-même le plus saint de tous les devoirs, Nous admirons Roméo et Juliette malgré tous les préjugés et toutes les fureurs des Capulets et des Montaigus et nous ne pensons pas que les haines de leurs familles •

282 LE GRAND ARCANE devaient séparer à jamais Pirame de Thisbé. Mais nous admirons aussi Chimène sollicitant la mort du Gd pour venger celle de son père parce que Chimène en sacrifiant l'amour se rend digne de l'amour même, elle sent bien que si elle trahissait son devoir Rodrigue ne l'estimerait plus. Entre la mort de son amant et l'avilissement de son amour l'héroïne ne saurait hésiter et elle justifie cette grande parole de Salomon que l'amour est plus inflexible que l'enfer ? Le véritable amour c'est la révélation éclatante de l'immortalité de l'âme, son idéal pour l'homme c'est la pureté sans tâche et pour la femme, la générosité sans défaillance il est jaloux de l'intégrité de cet idéal et cette jalousie si noble doit s'appeler la Zélatypie ou le type du Zèle. Le rêve éternel de l'amour c'est la mère immaculée et le dogme récemment défiai par l' Eglise emprunté au Cantique des cantiques n'a pas eu d'autre révélateur que l'amour. L'impureté c'est la promiscuité des désirs, l'homme qui désire toutes les femmes, la

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femme qui aime les désirs de tous les hommes ne connaissent pas l'amour et sont indignes de le connaître. La coquetterie est la débauche de la vanité fémimine ; son nom même est emprunté à quelque chose de bestial et rappelle les démarches provocatrices des poules qui veulent attirer l'attention du coq. Il est permis à la femme d'être belle, mais elle ne doit être désireuse de plaire qu'à celui qu'elle aime ou qu'elle pourra un jour aimer. L'intégrité de la pudeur de la femme est * spécialement l'idéal des hommes et c'est le sujet de leur jalousie légitime. La. délicatesse etla magnanimité chez l'homme est le rêve spécial de la femme et c'est dans cette idéal qu'elle trouve le stimulant ou le désespoir de son amour. .

Le mariage c'est l'amour légitime. Un mariage de convenance c'est un mariage de désespoir. Un mâle et une femelle de l'espèce humaine conviennent d'avoir ensemble des petits sous la protection de la loi, s'ils n'ont encore aimé ni l'un ni l'autre on peut espéret:

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de l'amour qu'il viendra avec l'intime et la famille, mais l'amour n'obéit pas toujours aux convenances sociales et celui qui se marie sans mour épouse souvent une probabilité d'adultère. La femme qui aime et qui épouse l'homme qu'elle n'aime pas, fait un acte coutre nature. Julia de Umar est inexcusable, et son mari un personnage impossible, même dans le roman ; Saint-Preux devrait mépriser ce couple impossible. Une fille qui s'est donnée et qui se reprend, déshonore son premier amour ; on convient tacitement qu'elle a donné des arrhes à l'adultère. Il est un être devant qui, une femme digne de ce nom, ne doit jamais se résigner à rougir, c'est l'homme qu'elle a trouvé digne de son premier amour. Nous comprenons qu'un homme de coeur épouse et réhabilite ainsi une honnête fille qui a été séduite, puis abandonnée, mais, qu'une fille se livre quand elle ne s'appartient plus, et cela, sous le prétexte que le baron d'Etange menace de la tuer, ou bien, parce que sa fille suppose que, si elle ne lui obéit *

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pas, son père en mourra, nous déclarons qu'ici l'indélicatesse de cœur se justifie mal par la lâcheté ou par la sensibilité niaise. Un père qui parle de tuer sa fille ou de mourir, si elle agit convenablement ou noblement, n'est plus un père, c'est un égoïste féroce dans son despotisme qu'on a droit de blâmer ou de fuir. En somme, la Julie de Rousseau est une fille prétendue honnète qui trahit, à la fois, deux hommes. Son père est un proxénète qui déshonore, à la fois, sa fille et son ami ; mar est un lâche, et Saint-Preux, nu niais. Lorsqu'il a su que Julie était mariée, il ne devait plus la revoir. Epouser une femme qui s'est donnée à un autre et que cet autre n'a pas abandonnée, c'est épouser la femme d'un autre, mariage nul (levant la nature et devant la dignité humame. C'est ce que Rousseau n'a pas compris. J'admets le mariage d'aventure des héroïnes d'Henri Murger qui font de la vie une farce de carnaval ; je n'admets pas celui de Julie qui affiche la prétention de prendre l'amour au sérieux. Être, ou n'être pas, voilà la question,

Lu (J' UND ARCA« comme dit Handet ; or, la virtualité de rétro humain est dans sa pensée et dans son amour. Abjurer sa pensée publiquement sans ètre convaincu qu'elle est fausse, c'est l'apostasie de l'esprit ; abjurer l'amour lorsqu'on sent qu'il existe, voilà l'apostasie du cœur. Les amours qui changent sont des caprices qui passent; et celles dont on doit rougir sont des fatalités dont il faut secouer le joug. Homère, en nous montrant Ulysse vainqueur des pièges de Calypso et de la Circé, se faisant lier au mût do son vaisseau pour entendre, sans leur céder, les chants délicieux des sirènes, est le vrai modèle du sage échappant aux déceptions de l'amour fatal. Ulysse se doit tout à Pénélope qui se conserve pour Ulysse, et le lit nuptial (lu roi d'Ithaque, ayant pour colonnes des arbres éternels qui tiennent à la terre par leurs puissantes racines, est, dans l'antiquité, parfois un peu licencieuse, le monument symbolique du vénérable et chaste amour. L'amour véritable est une passion invincible motivée par un sentiment juste, jamais

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il no peut être en contradidion avec le devoir parce qu'il devient lui-même le devoir le plus absolu, mais la passion injuste constitue l'amour fatal et c'est à celui-ci qu'il faut résister ditt-on en souffrir ou eu mourir. On pourrait dire que l'amour fatal est le prince des démons, car c'est le magnétisme du mal armé de toute sa puissance, rien ne peut limiter ou désarmer ses fureurs. C'est une fièvre, c'est une démence, c'est une rage. Il faut se sentir briller lentement, comme hi torche d'Athée, sans que personne ait pitié de vous. Les souvenirs vous torturent, les désirs trompés vous désespèrent, on savoure la mort, et l'on aime souvent, mieux encore, souffrir et aimer que mourir. Quel remède à cette maladie ? Comment gérir des morsures de cette flèche empoisonnée? •

Qui nous ramènera des aberrations de cette folie ? Pour guérir de l'amour fatal il faut rompre la chaîne magnétique en se précipitant dans un autre courant et en neutralisant Une électricité par une électricité contraire.

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Éloignez-vous de la personne aimée; no gardez rien qui vous la rappelle ; quittez même ceux tic vos vêtements qu'elle a pu Nous voir. Imposez-vous des occupations fatigantes et multipliées, ne soyez jamais oisif, ni rêveur ; brisez-vous de fatigue pendant le jour pour dormir profondément la nuit ; cherchez une ambition ou un intérêt à satisfaire, et, pour les trouver, montez plus haut que votre amour. Ainsi vous arriverez à la trangunité, sinon à l'oubli. Co qu'il faut éviter surtout c'est la solitude, nourrice des attendrissements et des rêves, à moins qu'on se sente attiré vers la dévotion, comme Louise do la Vallière et M. de Rancé , et qu'on ne cherche, dans les supplices volontaires du corps, l'adoucissement des peines de l'âme. Ce qu'il faut penser, surtout, c'est que l'absolu dans les sentiments humains, est un idéal qui no se réalise jamais, ici-bas ; que toute beauté s'altère, et que toute vie s'épuise; que tout passe, enfin, avec une rapidité qui tient du prestige; que la belle Hélène est de-

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venue une vioillo tête édentée, puis, un peu de poussière, puis, rien.. Tout amour qu'on ne peut pas et qu'on no doit pas avouer, est un amour fatal. En dehors des lois de la nature et do la société, il n'y a rien de légitime dans les passions, et il faut les condamner au néantdès leur naissance en les étouffant sous cet axiome : Ce qui na doit pas dire, n'est vas. Rien n'excusera jamais ni l'inceste, ni l'adultère. Ce sont des hontes dont les oreilles chastes craignent le nom et dont les âmes simples et pures ne doivent pas admettre l'existence. Les actes, que la raison ne justifie pas, ne sont pas des actes humains, c'est de la bestialité et do la folie. Ce sont des chûtes après lesquelles il faut se relever et s'essuyer pour n'en pas garder les souillures, ce sont des turpitudes quo la dé. cence doit cacher et que la morale, épurée par le souffle magnétique, ne saurait admettre même pur les punir. Voyez Jésus, en présence de la. femme surprise en adultère, il n'écoute pas ceux qui l'accusent, il ne la regarde pas afin de ne pas voir sa rougeur et; 9

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quand on l'importune en le pressant de la juger, il reprend par cette grande parole qui serait la suppression de toute pénalité imposée par la justice humaine si elle ne voulait pas dire que certains actes doivent rester inconnus et comme impossibles devant la pudeur de la loi : Relevez-vous et désormais tdelieJ de ne p1t5 tomber. Voilà ce que le maître sublime trouve à dire à la malheureuse dont il a refusé d'écouter les accusateurs. Jésus n'admet pas l'adultère; il le nomme fornication et, pour tout châtiment, il aittorise l'homme à renvoyer celle qui fut sa femme. La femme, de son côté, a le droit de quitter un mari qui la trompe. Alors, si elle n'a pas d'enfants, elle redevient libre devant la Nature. Mais, si elle est mère, elle perd ses droits sur les enfants de son mari à moins qu'il ne soit notoirement infâme. En renonçant à lui, elle renonce à ses enfants ; et, si elle ne se sent pas le triste courage de les abandonner et d'être flétrie à leurs yeux, il faut qu'elle se résigne à l'héroïsme du sacrifice maternel

L'AMOUR

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restant veuve dans le mariage et se consolant des douleurs de la femme dans le dévouement de la mère. Les femelles des oiseaux n'abandonnent jamais leur nid tant quo les petits n'ont point d'ailes, pourquoi les femmes seraient-elles moins bonnes mères que les femelles des oiseaux ? L'idéal de l'absolu en amour divinise en quelque manière la génération de l'homme et cet idéal exige l'unité de l'amour. Ce beau rêve du christianisme est la réalité des grandes âmes et c'est pour no jamais s'avilir dans les promiscuités du vieux monde que tant do coeurs aimants sont allés dans les cloîtres mourir et vivre dans un désir éternel. Erreur parfois sublime, mais toujours regrettable, faut-il donc refuser de vivre parce qu'on n'est pas immortel ? Ne plus manger parce que la nourriture de l'âme est supérieure à celle du corps, ne plus marcher parce qu'on n'a pas des ailes ? Heureux est le noble hidalgo Don Quichotte .qui croit adorer Duleinée en embrassant les

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gros pieds mal chaussés d'une paysanne du Tobose L'Héloïse de Rousseau que nous critiquions tout à l'heure si sévèrement au point de vue de l'absolu en amour n'en est pas moins une délicieuse création d'autant plus vraie qu'elle est défectueuse et reproduit dans un roman vraiment humain toutes les contradictions et toutes les faiblesses qui firent de Rousseau avec les réminiscences d'un ancien laquais le Don Quichotte de la vertu. Après avoir essayé en vain do fixer Madame do Warens dont il s'avisa (l'être jaloux après l'avoir oubliée luimem près de Madame de Larnage, après avoir adoré Madame de Houdetot qui en aima un autre, il épousa philosophiquement sa servante et s'il est vrai que le pauvre cher homme mourut des suites du chagrin que lui causa la découverte d'une infidélité de Thérèse, il faut l'admirer et le plaindre, son coeur était fait pour aimer. Pour un coeur digne de l'amour il n'existe au monde qu'une femme, mais la femme cette divinité de la terre se révèle quelquefois

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en plusieurs personnes comme la divinité du ciel et ses incarnations sont souvent eus nombreuses que les avatars de Vishnou. Heureux les croyants qui ne se découragent jamais et qui, dans les hivers du coeur, attendent le retour des hirondelles. Le soleil brille dans une goutte d'eau, c'est un diamant, c'est un monde ; heureux celui qui, quand la goutte d'eau se dessèche, ne pense pas que le soleil s'en va. Toutes les beautés qui passent ne sont que des reflets fugitifs de la Beauté éternelle, objet unique de nos amours. Je voudrais avoir des yeux d'aigle et m'envoler vers le soleil, mais si le soleil vient à moi en distribuant ses splendeurs dans les gouttes de la rosée, j'en remercierai la Nature sans trop m'affliger quand le diamant disparaîtra. Hélas pour cette volage créature qui ne m'aime plus, pour la soif d'idéal de son coeur moi aussi j'étais une goutte d'eau; dois-je l'accuser et la maudire parce qu'à ses yeux je suis devenu une larme brisée où elle ne voit plus le soleil?

CHAPITRE XII

LA TOUTE PUISSANCE CRÉATRICE

La page sublime qui commence la Genèse n'est pas l'histoire d'un fait accompli une fois c'est la révélation des lois créatrices et des éclosions successives do l'Être. Les six jours de Moyso sont six lumières dont le septenaire est la splendeur. C'est la généalogie des idées qui deviennent des formes dans l'ordre des nombres symboliques éternels. Au premier jour se manifeste l'unité de la substance première qui est lumière et vie et qui sort des ombres de l'inconnu. Au second jour se révèlent les deux forces qui sont le firmament ou l'affermissement des astres.

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Au troisième, la distinction et l'union des éléments contraires produisent la fécondité sur la terre. Au quatrième, Moyse rattache le quaternaire tracé dans le ciel par les quatre points cardinaux dans le mouvement circulaire de la terre et dos astres. Au cinquième, apparaît ce qui doit commander aux éléments, c'est-à-dire l'âme vivante. Le sixième jour voit naître l'homme avec les animaux ses auxiliaires. Au septième jour tout fonctionne ; l'homme agit et Dieu semble se reposer. Les prétendus jours de Moyse sont les lumières successives jetées par les nombres Kabbalistiques sur les grandes lois de la Nature, le nombre de jours étant seulement celui des révélations. C'est la genèse de la science plus encore que celle du monde. Elle N) doit se répéter dans l'esprit de tout homme qui cherche et qui pense ; elle commence par l'affirmation de l'être visible et après les consultations successives de la science elle

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finit par le repos de l'esprit qui est la foi. Supposons un homme qui est dans le néant du scepticisme ou même qui s'établit systèmatiquement dans le doute de Descartes. Je pense, donc je suis, lui fait dire Descartes. N'allons pas si vite et demandons-lui : Sentezvous quo vous existez ? — Je crois exister, répondra le sceptique et ainsi sa première parole est une parole de foi. — Je crois exister, car il me semble que je pense. Si vous croyez quelque chose et qu'il vous semble quelque chose, c'est que vous existez. Il existe donc quelque chose, l'être existe, mais pour vous tout est chaos, rien ne s'est encore manifesté ditns l'harmonie et votre esprit flotte dans le doute comme sur les eaux. Il vous semble que vous pensez. Osez l'affirmer d'une manière nette et hardie. Vous l'oserez si vous le voulez, la pensée est Id lumière des âmes, ne luttez pas contre le phénomène divin qui s'accomplit en vous, ouvrez

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vos yeux intérieurs, dites que la lumière soit et elle sera pour vous. La pensée est impossible dans le doute absolu et si vous admettez la pensée vous admettez la vérité. Vous êtes bien forcé d'ailleurs de l'admettre puisque vous ne pouvez nier l'être. La vérité c'est l'affirmation de ce qui est, et malgré vous il faudra bien la distinguer de l'affirmation de ce qui n'est pas, ou de la négation de ce qui est, les deux formules de l'erreur. Silence maintenant et recueillons-nous dans les ténèbres qui nous restent. Votre création intellectuelle vient d'accomplir son premier jour ! Levons-nous maintenant! Voici une nouvelle aurore. L'être existe et l'être pense. La vérité existe, la réalité s'affirme, le jugement se nécessite, la raison se forme et la justice est nécessaire. Maintenant admettez que dans l'être est la vie. Pour cela vous n'avez pas besoin de preuves. Obéissez à votre sens intime et commandez à vos sophismes, dites : Je veux que cela soit pour moi et cela sera pour vous, car déjà indépendamment de vous cela doit

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être et cela est. Or, la vie se prouve par le mouvement, le mouvement s'opère et se conserve par l'équilibre, l'équilibre dans le mouvement c'est le partage et l'égalité relative dans les impulsions alternées et contraires de la force ; il y a clone partage et direction contraire et alternée dans la force; la substance est comme vous l'a montré le premier jour, la force est double comme vous le révèle la seconde lumière et cette force double dans ses impulsions réciproques et alternées constitue le firmament ou l'affermissement universel de tout ce qui se meut suivant les lois de l'équilibre universel. Ces deux forces vous les voyez fonctionner dans toute la Nature. Elles lancent et elles attirent, elles aggrègent et elles dispersent. Vous les sentez en vous car vous éprouvez le besoin d'attirer et do rayonner, de conserver et de répandre. En vous les instincts aveugles sont balancés par les prévisions de l'intelligence ; vous ne pouvez nier que cela soit, osez donc affirmer que cela est, dites : Je veux que l'équilibre se fasse en moi et l'équilibre se fera et voici votre



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second jour c'est la révélation du binaire. Distinguez maintenant ces puissances pour mieux les unir afin que réciproquement elles se fécondent, arrosez les terres aridps de ,la science avec les eaux vives de l'amour; la terre c'est la science qu'on travaille e: qui se mesure, la foi est immense comme la mer. Opposez des (ligues à ses débordements mais ne l'empêchez pas de soulever ses nuages et do répandre la pluie sur la terre. La terre alors sera fécondée, la science aride verdira et fleurira. Malheur à Peux qui craignent l'eau du ciel et qui voudraient cacher la terre sous un voile d'airain. Laissez germer les espérances éternelles, laissez fleurir les croyances naïves, laissez les grands arbres monter. Les symboles grandissent comme des cèdres, ils se fortifient comme des chênes et ils portent en eux-mêmes la semence qui les reproduit. L'amour s'est révélé dans la nature par l'harmonie, le triangle sacré fait briller sa lumière, le nombre trois complète la divinité soit dans ton idéal soit dans la connaissance transcendante de toi-même. Ton intelligence est

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devenue mère parce qu'elle a été fécondée par le génie de la foi. Arrêtons•nous ici, car cc miracle de la lumière suffit à la gloire du troisième jour. Lève maintenant les yeux et contemple le ciel. Vois la splendeur et la régularité des astres. Prends le compas et le télescope de l'astronome et monte de prodige en prodige, calcule le retour des comètes et la distance des soleils tout cela se meut suivant les lois d'une hiérarchie admirable. Toute cette immensité pleine de mondes absorbe et surpasse tous les efforts de l'intelligence humaine. Est-elle donc inintelligente ? Il est vrai que les soleils ne vont pas oit ils veulent et que les planètes ne sortent pas de leur orbite. Le ciel est une machine immense qui peut être ne pense pas, mais qui certainement révèle et reproduit la pensée. Les quatre points cardinaux du ciel les équinoxes et les sobstices, l'orient et l'occident, le Zénith et le Nadir sont à leur poste comme des sentinelles et nous proposent une énigme à deviner; les lettres du nom de Jehovah ou les quatre formes

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élémentaires et symboliques du vieux sphinx do Thèbes. Avant quo tu apprennes à lire ose croire et déclarer qu'il y a un sens caché dans ces écritures du ciel. Quo l'ordre te révèle une volonté sage et si la nature n'est encore à tes yeux qu'une machine impuissante à marcher d'elle-mémo, si h' doutes du moteur indépendant, ferme los yeux et repose-toi des fatigues de ton quatrième jour. Demain nous te manifesterons les merveilles de l'autonomie. La mouche qui bourdonne, voltige et se pose où il lui plaît, le ver qui rampe à sou gré le long des rivages humides ont quelque chose do plus surprenant que les soleils, car ils sont autonomes et no se meuvent pas comme les rouages d'un mécanisme fatal. Le poisson est libre et se réjouit dans l'onde, il monte chercher sa pature à la surface. Un bruit l'effraie, il frémit et fuit dans la vase en repoussant l'eau qui bouillonne, l'oiseau fend les airs en se dirigeant à son gré ; il choisit l'arbre ou le mur où il fera son nid ; puis il se pose et chante, il va ensuite cherchant des fanes et des herbes, il presse la naissance de

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I.P ORAND AROANE

ses petits. Est-ce lui qui pense on quelqu'un qui pense pour lui? Tu doutait; ne l'intelligence des mondes, douterais-tu de cella des oiseaux? Si les oiseaux sont libres sous un ciel esclave, à qui donc obéit le ciel si ce n'est à celui qui donne la liberté aux oiseaux, mais le ciel n'est pas esclave, il est soumis à des lois admirables que tu peux comprendre et à qui les soleils obéissent sans avoir besoin de les connaître. Tu as l'intelligence du ciel et à ce titre tu es plus immense que le ciel même. Es-tu le créateur et le régulateur des mondes? Non ;4 ce créateur c'est un autre sans doute, mais tu en es le confident et en quelque sorte le coadjuteur. Ne nie pas ton maître, ce serait te nier toi-même enfant de Copernic et de Galilée. Tu peux créer avec eux le ciel de la science ; enfant du créateur inconnu, regarde ces milliers d'univers qui vivent dans l'immensité et incline-toi devant la souveraine intelligence de ton Père. L'étoile de l'intelligence maîtresse des forces, l'étoile à cinq pointes, le pentagramme des Kabbalistes et le microcosme des Pythago,

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riciens apparait au cinquème jour. Tu sais maintenant quo la matière ne saurait se mouvoir sans que l'esprit la dirige et tu veux l'ordre dans le mouvement; tu vas comprendre l'homme et tu vas concourir à le créer. Voici apparaître des formes pour toutes les forces do lu nature qui sont poussées par l'autonomie suprême à devenir elles-mémos autonomes et vivantes. Toutes ces forces te seront soumises et toutes conformes sont des (les figures do ta pensée. Ecouto rugir le lion et tu entendras l'écho de ta colère, le mastodonte et l'éléphant tournent en dérisimi l'enflure de ton orgueil; veux-tu leur ressembler, toi, leur maître. Non, il faut les dompter et les faire servir à tés usages, mais pour leur imposer ta puissance il faut d'abord dompter en toi-même les vices dont plusieurs d'entre eux sont l'usage. Si tu es glouton comme le pourceau, lascif comme le bouc, féroce comme le loup ou larron comme le renard, tu n'es qu'un animal masqué d'une figure humaine. Roi des animaux, lève-toi dans ta dignité et de ta dignité

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faisons l'homme ; dis: je veux être un homme et tu seras ce que tu voudras être car Dieu veut que tu sois un homme, mais il attend ton consentement parce qu'il t'a créé libre ; et pourquoi ? C'est que tout monarque doit être acclamé et proclamé par ses pairs, c'est que la liberté seule peut comprendre et honorer le pouvoir divin ; c'est qu'il faut à Dieu cette grande dignité de l'homme pour quo l'homme puisse légitimement adorer Dieu. L'occultisme do Dieu est nécessaire comme celui de la science si Dieu se révélait à tous les hommes d'une manière éclatante et irréfragable, le dogme de l'enfer éternel régnerait dans toute son horreur. Les crimes humains n'auraient plus de circonstances atténuantes. Les hommes seraient forcés à bien faire ou à se perdre pour jamais, ce que Dieu ne saurait vouloir et ne veut pas; il faut que le dogme reste entier et que la miséricorde garde sa liberté immense. Dieu (si l'on veut nous permettre à l'exemple des grands Kabbalistes et des auteurs inspirés de la Bible de lui prêter ici la forme humaine)

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Dieu a deux mains : une pour chAtier, l'autre pour relever et bénir. La première est enchainéepar l'ignorance et la faiblesse de l'homme. L'autre veut être toujours libre et c'est pour cela que Dieu en ne contraignant jamais notre foi respecte notre liberté. La marche do l'esprit humain détaché de Dieu est rapide. Les cultes sans autorité tomb e n t dans la philosophie qui s'abîme ellemême dans le matérialisme. La seule religion solide, celle qui sait dire non possumus peut et pourra toujours quelque chose car elle possède la chaîne de l'enseignement, l'efficacité réelle des sacrements, la magie des cultes, la légitimité hiérarchique et la puissance miraculeuse du verbe. Qu'elle laisse donc sans se troubler l'athéisme et le matérialisme se produire. Ce sont deux cerbères déchaînés pour garder sa porte et ils dévoreront tous ses ennemis. Je sais qu'un grand nombre de mes lecteurs m'accusent de contradiction; on ne conçoit pas que je soutienne d'une main les autels de la catholicité et que de l'autre je frap20

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pe sans pitié sur toutes les erreurs et sur tous les abus qui se sont produits et se produisentencore sous le nom et à l'ombre du catholicisme. Les catholiques aveugles s'effraient de mes interprétations hardies et les prétendus libres-penseurs s'indignent de ce qu'ils nomment mes faiblesses pour une religion qu'ils croient tombée dans le mépris parce qu'ils l'ont abandonnée. Je déplais également aux chrétiens de Veuillot et aux philosophes de Proud'hon. Cela no doit pas m'étonner, je m'y étais attendu ,'je ne m'en afflige pas et je ne dirai pas même que je m'en fais gloire. J'aimerais mieux plaire à tout le inonde parce que j'aime sincèrement tous les hommes, mais , tant qu'il faudra choisir entre la vérité et l'estime de qui que ce soit, même de mes amis les plus chers, je choisirai toujours la vérité. L'Église Romaine, dit-on, n'est plus qu'une ombre, c'est un spectre qui regarde vers le passé et qui ne sait marcher qu'en arrière. Et tous les jours pourtant on se plaint de ses envahissements. Elle s'empare des enfants et des femmes, absorbe les propriétés, gène les

307 rois, entrave le mouvement des peuples et force, môme, à la servir, l'or des banquiers Israëlites et le sang voltairien de la France. Cette malade, condamnée par tant de médecins, se moque des pilules de Sganarelle et s'obstine à na pas mourir. C'est qu'en dépit des grands penseurs et des beaux diseurs elle a les clefs de la vie éternelle. On sent que si elle s'éteint, Dieu se dérobe pour jamais à nous, et l'immortalité de l'âme s'en va. Il y a une chose profondément vraie et qui, pourtant, paraîtra paradoxale : c'est quo tous les cultes chrétiens dissidents ne vivent que des sublimes obstinations du catholicisme radical. Je vous demande un peu contre qui protesteraient Luther et Calvin si le pape fléchissait et donnait prise aux luthériens ou aux calvinistes. Si le pape admet en principe la liberté de conscience, il déclare que sa vérité, à lui, est douteuse. Or, la vérité, à lui, ce n'est pas celle d'un système, ce n'est pas celle d'une secte, ce n'est pas celle d'une fantaisie religieuse, c'est celle de l'humanité croyante, c'est celle d'Hermès et de Muyse, LA TOUTE PUISSANCE CRÉATRICE

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c'est celle de Jésus-Christ, c'est celle de saint Paul, de saint Augustin, de Fénelon et de Bossuet, tous plus grands penseurs et plus grands hommes que Prud'hon, le docteur Garnier, le sceptique Girardin et les nihilistes Tartempion ou Jean Bonhomme, entendezvous ?... Entendez-vous ? Non, le pape ne doit pas dire qu'en matière de religion nous sommes libres de penser ce que bon nous semble. C'est une étrange manière de comprendre la liberté que de vouloir forcer le chef suprême d'une Eglise absolue à être tolérant quand il est évident que la tolérance serait le suicide de son autorité spirituelle. C'est l'indulgence et non la tolérance que doit aux hommes et à leurs erreurs le représentant de Jésus-Christ. L'Eglise c'est la charité : tout ce qui est contre la charité est contre elle. Elle ne se soutient et ne se perpétùe quo par la charité. C'est par le miracle permanent de ses bonnes oeuvres qu'elle doit prouver sa divinité au monde. Pour assurer son règne sur la terre, elle ne doit pas enrôler des zouaves, mais elle peut

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créer des saints. A-t-elle jamais pu oublier cette grande parole du maître : cherchez d'abord le règne de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît.

CHAPITRE XIII

LA FASCINATION

L'Eglise condamne et doit condamner la magie parce qu'elle s'en est appoprié le monopole. Les forces occultes que les anciens mages employaient pour tromper et asservir les multitudes, elle doit s'en servir pour éclairer progressi vement les esprits et travaille r à l'affranchissement des âmes par la hiérarchie et la moralité. • Elle le doit sous peine de mort, mais nous avons déjà dit qu'elle est immortelle et que la mort apparente ne peut être pour elle qu'un travail régénérateur et une transfiguration. Parmi les forces dont elle dispose et dont on peut faire usage, soit pour le bien soit

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pour le mal, il faut compter au premier rang la puissance de la fascination. Faire croire l'impossible, faire voir l'invisible, faire toucher l'insensible en exaltant l'imagination et en hallucinant les sens, s'emparer ainsi de la liberté intellectuelle de ceux qu'on lie et qu'on délie à volonté; c'est ce qu'on appelle fasciner. La fascination est toujours le résultat d'un prestige. Le prestige est la mise en scène de la puissance quand ce n'en est pas le mensonge. Voyez Moyse lorsqu'il veut promulguer le décalogue, il choisit la plus âpre montagne du désert, il l'entoure d'une barrière que nul ne pourra franchir sans être frappé de mort I Là il monte au bruit de la trompette pour s'entretenir face à face avec Adonaï et quand vient le soir, toute la montagne fume, tonne et s'illumine d'une formidable pyrotechnie. Le peuple tremble et se prosterne, il croit sentir la terre s'agiter, il lui semble que les rochers bondissent comme des béliers et que les collines sont ondoyantes comme

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des troupeaux, puis, dès que le volcan s'éteint, dès quo les tonnerres ont cessé, comme le thaumaturge tarde à reparaître, la foule s'insurge et veut à toute force qu'on lui donne son Dieu? Adonaï a manqué son effet, il est sifflé et on lui oppose le veau d'or. Les flûtes et les tambourins font la parodie des trompettes et du tonnerre et le peuple voyant que les montagnes ne dansent plus se met à danser à son tour. Moyse furieux, brise les tables de la loi et change son spectacle en celui d'un massacre immense. La fête est noyée dans le sang, la vile multitude en voyant les éclairs du glaive, recommence à croire à ceux de la foudre, elle n'ose plus relever la tête pour regarder Moyse, le terrible législateur est devenu fulgurant comme Adonaï, il a des cornes comme Bacchus et comme Jupiter Ammon et désormais il n'apparaîtra plus que couvert d'un voile afin que l'épouvante soit durable et que la fascination se perpétue. Personne désormais ne résistera impunément à cet homme dont le courroux frappe comme le simoun et qui a le secret des commotions

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fulminantes et des flammes inextinguibles. Les prêtres de l'Egypte avaient sans doute dos connaissances naturelles auxquelles les nôtres ne devaient arriver que beaucoup plus tard. Nous avons dit que les mages assyriens connaissaient l'électricité et savaient imiter le tonnerre. Avec la différence qu'il y a. entre Jupiter et Thersite, Moyse avait les mêmes opinions que Marat. Il pensait que pour le salut d'un. peuple destiné à devenir la lumière du monde quelques rots de sang ne devaient pas faire reculer un pontife de l'avenir. Qu'a-t-il manqué à Marat pour être le Moyse de la France ? Deux grandes choses : le génie et le succès. D'ailleurs Marat était un nain grotesque et Moyse était un géant s'il faut en croire la divine intuition de Michel Ange. .

Osera-t-on dire que le législateur des Hébreux était un imposteur? On n'est jamais imposteur quand on se dévoue. Ce maître qui osait jouer de tels airs de toute puissance sur l'instrument terrible de la mort s'était voué te premier à l'anathème pour expier le sang

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versé ; il conduisait son peuple vers une terre promise où lui-même il savait bien que seul il n'entrerait pas. H disparut un jour au milieu des cavernes et des précipices comme 0Edipe dans la tempête et jamais les admirateurs de son génie ne purent retrouver ses os. Les sages de l'ancien monde, convaincus de la nécessité de l'occultisme cachaient avec soin les sciences qui les rendaient jusqu'à un certain point maîtres de la nature et ne s'en servaient que pour donner à leur enseignement le prestige de la coopération divine. Pourquoi les en blâmerait-on ? Le sage n'est. il pas le plénipotentiaire de Dieu près des hommes ? Et quand Dieu lui permet d'endormir ou de réveiller sa foudre n'est-ce pas toujours lui qui tonne par le ministère de son ambassadeur? Il faudrait mettre à Charenton l'homme assez fou pour dire : Je sais de science certaine que Dieu est, mais celui-là serait plus insensé encore qui oserait dire : Je sais que Dieu n'existe pas : Je crois en Dieu, mais je ne sais pare ce qu'il est. Voici venir pourtant des

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milliers d'hommes, de femmes et (l'enfants qui vous disent : le l'ai vu, je l'ai touché, j'ai fait mieux encore, je l'ai mangé et je l'ai senti vivant en moi. Etrange fascination d'une parole absurde s'il en fut jamais et par là même victorieusement convaincante parce qu'elle est belle à faire reculer la raison et à ravir l'enthousiasme : Ceci est ma chair, ceci est mon sang 1 Il a dit cula, lui, le Dieu qui allait mourir pour revivre dans tous les hômmes. Hommes de foi vous seuls comprenez comment Dieu lui-même devait mourir pour nous faire accepter le mystère de la mort. Dieu s'est fait homme afin do faire les hommes Dieu. Dieu incarné c'est l'humanité devenue divine. Voulez-vous voir Dieu, regardez vos frères. Voulez-vous aimer Dieu, aimez-vous les uns les autres. Foi sublime et triomphante qui va inaugurer le règne de la solidarité universelle, de la charité la plus sublime de l'adoration du malheur ! Ce que vous faites au moindre, c'est-à-dire peut-être au plus ignorant, au plus coupable d'entre

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vos frères vous le faites à moi et à Dieu. Comprenez-vous cela misérables insiquiteurs lorsque vous avez torturé J.-C. lorsque vous avez brûlé Dieu.... Cortes la poésie est plus grande que la science, et la foi est grandiose et magnifique lorsqu'elle domine et subjugue la raison. Le sacrifice du juste pour le coupable est déraisonnable mais la raison la plus égoïste est contrainte de l'admirer. Ici est la grande fascination de l'Evangile et j'avoue que dût-on me taxer d'un peu de folie, moi l'ennemi des rêves, moi l'adversaire des imaginations qui veulent s'imposer au savoir je reste fariné et je veux l'être, j'adore en fermant les yeux pour ne pas voir d'étincelles ennemies parce que je ne puis m'empêcher de croire à une lumière immense mais encore voilée sur la foi de l'amour infini que je sens s'allumer dans mon coeur, Tous les grands sentiments sont des fascinations et tous les vrais grands hommes sont des fascinateurs de la multitude Magister dixit. C'est le maitre qui l'a dit. Voilà la .

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grande raison de ceux qui sont nés pour être éternellement disciples Ariens Plato scd magis arnica veritas, j'aime Platon mais je préfère la vérité, est la parole d'un homme qui se sent l'égal do Platon et qui par conséquent doit être un maître s'il possède comme Platon ou comme Aristote le don de fasciner et de passionner une école. Jésus en parlant des hommes de la foule dit : Je veux qu'en regardant ils ne voient pas et qu'en écoutant ils n'entendent pas car je redoute leur conversion et j'aurais peur de les guérir. En lisant ces terribles paroles de celui qui s'est sacrifié à la philantrophie je pense à ce Crispinus dont Juvénal a dit : At vitiis (  er solaque liliicline fortis.

Epuisé par tous les vices, il ne doit un reste de forces qu'à la fièvre de la débauche. Quel médecin compatissant eut voulu guérir la fièvre de Crispinus ? C'eut été lui donner la mort. Malheur aux profanes multitudes qui ne sont plus fascinées par l'idéal des grands pouvoirs ! Malheur au sot qui restant un sot ne

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croit plus à la mission divine du prêtre ni au prestige providentiel du roi Car il lui faut une fascination quelconque et il subira celle de l'or et des jouissances brutales et sera précipité fatalement hors de toute justice et de toute vérité. La nature elle-même lorsqu'il s'agit de forcer les êtres à accomplir ses grands mystères agit en souveraine prêtresse et fascine à la fois les sens, les esprits et les coeurs. Deux fatalités magnétiques qui se rencontrent forment une providence invincible à qui l'cia donne le nom d'amour. La femme ators se transforme et devient une sylphide, une péri, une fée, un ange. L'homme devient un héros et presque un Dieu. Sont-ils assez trompés ces pauvres ignorants qui s'adorent et quelle déception ils se préparent pour l'heure de la satiété et du réveil. Retarder cette heure, c'est le grand arcane du mariage. 11 faut à tout prix prolonger l'erreur, alimenter la folie, éterniser la déception incomprise, la vie alors devient une comédie où le mari doit être un sublime artiste, toujours on scène s'il ne veut

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pas être berné comme le Pantaléon de la farce italienne ; ou la femme doit étudier à fond son rôle de grande coquette et cacher Mer'tellement ses plus légitimes désirs si elle no veut pas qu'on désapprenne à la désirer ellemôme. Un bon ménage c'est une lutte cachée de tous les jours, moyen fatigant et difficile mais hélas, unique moyen d'éviter une guerre ouverte. Il y a deux grandes puissances dans l'humanité : le génie qui fascine et l'enthousiasme qui vient do la fascination. Voyez ce petit homme pâle qui marche à la tête d'un peuple immense de soldats si on lui demandait où les conduisez-vous : A la, mort pourrait répondre un passant dépourvu d'illusions ; à la gloire s'écrieraient-ils en hérissant leurs moustaches et en faisant résonner les capucines de leurs fusils. Tous ces vieux grognards sont des croyants comme Polyeucte ; ils subissent la fascination d'une redingote t grise et d'un petit chapeau. Aussi quand ils passent, les rois les saluent en ôtant leur couronne et lorsqu'on les écrase à Waterloo

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ils jurent contre l'averse de mitraille comme s'il s'agissait d'un simple mauvais temps et tombent tout d'une pièce en jetant par la bouche de Cambronne un défi grivois à la mort. Il existe un magnétisme animal mais au dessus de celui-là qui est purement physique il faut compter le magnétisme humain qui est le vrai magnétisme moral. Les âmes sont polarisées comme les corps et le magnétisme spirituel ou humain est ce que nous appelons la force de fascination. Le rayonnement d'une grande pensée ou d'une puissante imagination chez l'homme détermine un tourbillon attractif qui donne bientôt des planètes au soleil intellectuel, aux planètes, dés satellites. Un grand homme dans le del de la pensée, c'est le foyer d'un univers. Les êtres incomplets qui n'ont pas le bonheur de subir une fascination intelligente tombent eux-mêmes sous l'empire des fascinations fatales ; ainsi se produisent les passions vertigineuses et les hallucinations de

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l'amour-propre chez les imbéciles et chez les fous. Il y a des fascinations lumineuses et des fascinations noires. Les Thugs de l'Inde sont amoureux de la mort. Marat et Laconaire ont eu des séides. Nous avons déjà dit quo le diable est la caricature de Dieu. Définissons-donc maintenant la fascination. C'est le magnétisme de l'imagination et de la pensée. C'est la domination qu'exerce une volonté forte sur une volonté faible en produisant l'exaltation des èonceptions imaginaires et influençant le jugement chez des êtres qui ne sont pas encore parvenus à l'équilibre de la raison. L'homme équilibré est celui qui peut dire : je sais ce qui est, je crois à ce qui doit être et je ne nie rien de ce qui peut être. Le fasciné dira : Je crois ce que les personnes en qui je crois m'ont dit de croire ; en d'autres termes je crois parce qu'il me plait de croire. Je crois parce que j'aime certaines personnes et certaines choses (ici peuvent se placer certaines phrases toujours touchantes et qui 2!

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ne prouvent jamais rien. La foi des aïeux ! La croix de ma mère!) En d'autres termes le premier pourra dire je crois par raison et le second je crois par fascination. Croire sur la foi des autres, cela peut être permis et cela doit être même recommandé à des enfants. Si vous me dites que Bossuet, Pascal, Fénélon étaient de grands hommes et qu'ils ont cru à d'évidentes absurdités, je vous répondrai que j'ai de la peine à l'admettre, mais enfin cela fut-il vrai, cela prouverait seulement qu'en cette circonstance ces grands hommes ont agi comme des enfants. Pascal dit-on croyait voir toujours un gouffre ouvert auprès de lui. Il me semble que sans manquer de respect au génie de Pascal on peut ne pas croire à son gouffre, l'homme fasciné perd son libre arbitre et tombe entièrement sous la domination du fascinateur. Sa raison qu'il peut garder entière pour certaines choses indifférentes se change absolument en folie dès que vous tentez de l'éclairer sur les choses qu'on lui suggère, il ne voit plus, il n'entend plus que par les yeux et les oreilles

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de ceux qui le dominent ; faites lui toucher la vérité, il vous soutiendra que ce qu'il touche n'existe pas. Il croit au contraire voir et toucher l'impossible qu'on lui affirme. Saint Ignace a composé des exercices spirituels pour cultiver ce genre de fascination chez ses disciples. Il veut que tous les jours dans le silence et dans l'obscurité le novice de la Compagnie de Jésus exerce son imagination à créer la figure sensible des mystères qu'il cherche . à voir et qu'il voit en effet dans un rêve volontaire et éveillé que l'affaiblissement de son cerveau peut rendre d'une réalité épouvantable tous les cauchemars de St Antoine et toutes les horreurs de l'enfer. Dans de semblables exercices le coeur s'endurcit et s'atrophie de terreur, la raison vacille et s'éteint. Ignace a détruit l'homme mais il a fait un jésuite et le monde entier va être moins fort que ce redoutable androïde. Rien n'est implacable comme une machine. Une fois montée. elle ne s'arrête plus à moins qu'on ne la brise. Créer des milliers de machines qu'on peut .

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monter par la parole et qui vont à travers le monde réaliser par tous les moyens possibles la pensée du machiniste, voilà l'oeuvre de Loyola. Il faut avouer que son invention est bien autrement grande que la machine mathématique de Pascal. Mais 'cette oeuvre est-elle morale ? Oui, certes dans la pensée de son auteur et de tous les hommes assez dévoués à ce qu'ils croient le bien pour devenir ainsi des rouages aveugles et automates sans autonomie. Jamais le mal ne passionnera les hommes à ce point, jamais la raison môme et le simple bon sens ne prendront chez eux une pareille exaltation. La philosophie n'aura jamais de semblables soldats. La démocratie peut avoir des partisans et des martyrs elle n'aura jamais de véritables apôtes capables de sacrifier pour elle leur amour propre et leur personnalité tout entière. J'ai connu et je connais encore des démocrates honnêtes. Chacun d'eux représente exactement la force d'un individu isolé. Le jésuite se nomme légion. Pourquoi l'homme est-il si froid lorsqu'il s'agit de la raison et si

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ardent quand il faut combattre pour quelque chimère ? C'est que l'homme malgré tout son orgueil est un être défectueux, c'est qu'il n'aime pas sincèrement la vérité, c'est qu'il adore ati contraire les illusions et les mensonges. Voyant que les hommes sont fous, a dit saint Paul, nous avons voulu les sauver par la folie même, en imposant le bien à l'aveuglement de leur foi. Voilà le grand arcane du catholicisme de saint Paul enté sur le christianisme de Jésus et complété par le Jésuitisme de saint Ignace de Loyola. Il faut des absurdités à la multitude. La société se compose d'un petit nombre de sages et d'une foule immense d'insensés. Or il est à désirer que les insensés soient gouvernés par les sages. Comment faire pour arriver là ? Dès que le sage se montre ce qu'il est, on le repousse, on le calomnie, on l'exile, on le crucifie. Les hommes ne veulent pas être convaincus, ils attendent qu'on leur en impose; il faut donc que l'apôtre se résigne aux apparences de l'imposture pour révéler, c'est-à-dire pour régé-

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nérer la vérité dans le monde en lui donnant un nouveau voile. Qu'est-ce en effet qu'un révélateur ? C'est un imposteur désinteressé, qui, pour l'amener d'une manière détournée au bien, trompe la vile multitude. Qu'est-ce que la vile multitude ? C'est la tourbe im menu, des sots, des imbéciles et des fous, quelque soient d'ailleurs leurs titres, leur rang dans la société et leurs richesses. Je sais, qu'on parle beaucoup de progrès indéfini, que j'appellerai plutôt indéfinissable, car si les connaissances s'augmentent dans l'espèce humaine, la race évidemment ne s'améliore pas. On dit aussi que si l'instruction était légalement répandue tous les crimes disparaitraient, comme si nécessairement l'instruction devait rendre les hommes meilleurs, comme si Robespierre et Marat ces effrayants disciples de Rousseau n'avaient pas reçu une instruction supérieure à celle de Rousseau lui-même. L'abbé Coeur et Lacenaire ont été élevés dans le même collège. Monsieur de Praslin, les docteurs Castany et Lapommeraye avaient joui de tous les bienfaits de l'éduca-

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tion moderne. Eliçabide avait fait ses études au séminaire. Les scélérats instruits sont les plus complets et les plus effrayants de tous les scélérats et jamais leur instruction no les a empêché de mal faire tandis qu'on voit des hommes simples et illettrés pratiquer sans effort les plus admirables vertus. L'éducation développe les facultés de l'homme et lui donne la moyen de satisfaire ses penchants, .mais elle ne le change pas. Enseignez les mathématiques et l'astronomie à un sot vous en ferez peut-être un Leverrier mais vous n'en ferez jamais un Galilée. La race humaine actuelle se compose de quelques hommes et d'un très grand nombre d'êtres mixtes qui tiennent un peu de l'homme et beaucoup de l'orang-outang ou du gorille. Il en est pourtant qui pourraient revendiquer la ressemblance des singes moins énormes et plus jolis : ce sont ces aimables cocodés qui servent de mâles et de Jocrisses à nos cocottes. Je me demande si Dieu peut'avoir un paradis pour ces animaux-là et s'il aurait jamais le courage de les condamner à l'enfer.

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Quand ces bêtes-là sont sur le point de mourir voilà parfois leur petit côté humain qui se réveille et les tourmente, on appelle un prêtre, le prêtre vient et pourquoi no viendrait-il pas ? La charité ne veut pas qu'on étouffe les étincelles, mais que leur dire ? Ils ne comprendront rien de raisonnable il faut les fasciner par des signes, des onctions d'huile, des bénédictions, des absolutions in extremis. Une étole brodée un beau ciboire de vermeil. Ils disent ce qu'on leur fait dire, se laissent faire tout ce qu'on veut leur faire et meurent tranquilles avec la bénédiction de l'Église. N'est-il pas écrit dans l'Évangile que Dieu sauvera les hommes et les animaux. Homines et jumenta salvabis Domine. Les créations de la Nature sont progressives dans la succession des espèces et des races, mais les races et les espèces croissent et décroissent comme les empires et les individus. Tous les peuplei qui ont brillé commencent progressivement à s'éteindre et l'humanité tout entière aura le sort des nations. Quand

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les hommes à moitié bêtes auront disparu dans le prochain cataclysme, apparaîtra sans doute une nouvelle race d'êtres sages et forts qui seront à notre espèce ce que nous sommes à celle des singes. Alors seulement les âmes seront véritablement immortelles car elles deviendront dignes et capables de conserver le souvenir. En attendant il est certain que loin de progresser l'espèce humaine actuelle dégénère. Un effrayant phénomène s'accomplit dans les âmes, les hommes n'ont plus le sens divin et les femmes qui ne sont pas des machines à vanité et à luxure ne cherchent dans la foi, qu'elles aiment absurde, qu'un refuge contre la raison qui les ennuie. La poésie est morte dans les ékurs. Notre jeunesse lit Victor Hugo, mais elle n'admire dans ce grand poète que les tours de force de la parole et les exemples cités de la pensée, au fond elle préfère Proud'hon, trouve un peu trop de sensibilité dans Renan et regarde comme des hommes sérieux M. Taine et les docteurs Grenier et Buchner. On blague avec

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excès au théâtre tous les sentiments généreux d'autrefois, ce n'est plus le vigoureux éclat de rire de Rabelais corrigeant la bêtise humaine, c'est le ricanement d'une platitude bouffonne qui insulte à toutes les vertus. Il en est de l'amour comme do l'honneur, c'est un vieux saint qu'on ne chôme plus. Le nom même du plus grand sentiment et du plus beau sentiment quo puisse inspirer la Nature n'est plus guère de mise dans la conversation des gens de bonne compagnie et tombera peut-être bientôt dans le vocabulaire obscène. A quoi songent les jeunes filles les plus honnêtes et les mieux gardées, celles par exemple qu'on élève au couvent des Oiseaux ou au Sacré-Coeur. Est-ce aux douceurs d'une affection mutuellei Fi donc il faudrait se confesser de cela et on n'oserait l'avouer devant ses compagnes. Elles pensent aux splendeurs d'un riche mariage, elles rêvent une voiture et un château. Il y aura bien avec tout cela un mari dont il faudra s'accommoder, mais pourvu qu'il ait un beau nom, qu'il sache bien se présenter et qu'il mette

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bien sa cravate on le trouvera très-suffisant. Je ne suis point un misanthrope et je me fais pas ici la satire de mon siècle, je constate un affaiblissement moral dans l'espèce humaine pour en venir à conclure que le magisme est plus que jamais de saison et qu'avec de si pauvres êtres il faut fasciner pour réussir. Il se trouve dans l'Evangile des préceptes dont on pouvait autrefois sentir toute la sublimité et qui de nos jours sembleraient presque ridicules parce que les hommes ne sont plus les mêmes. Va t'asseoir à la dernière place dit Jésus et l'on t'invitera à passer à la première . Si tu t'assois à la dernière place, tu y resteras et ce sera lien fait, répond à cela le monde moderne. Si l'on veut prendre ta tunique donne aussi ton manteau dit l'Evangile. — Et quand tu seras tout nu, Robert Macaire te bénira et un sergent de ville t'emmènera au poste pour outrage aux bonnes moeurs répond le logicien inpitoyable. — Ne songez pas au lendemain dit le

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Sauveur. Et le lendemain du jour où la, misère vous suprendra personnne ne songera à vous, répond le monde. — Cherchez le royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît. — Oui, quand vous aurez trouvé, mais non pendant que vous chercherez et je crains que vous ne cherchiez longtemps. — Malheur à ceux qui rient, ils pleureront : heureux ceux qui pleurent car ils riront. — Sauf votre respect, Notre-Seigneur, ceci est une balançoire c'est comme si vous disiez : heureux les malades parce qu'ils attendent la santé et malheureux ceux qui se portent bien *parce qu'ils attendent la maladie. Si ceux qui rient sont malhe'ureux et si vous n'avez rien à promettre aux heureux qui pleurent que le malheur de rire à leur tour qui donc sera vraiment heureux. — Ne résistez pas au méchant si quelqu'un vous frappe sur une joue, tendez lui l'autre. — Maxime positivement immorale. Ne pas résister au méchant c'est être son complice.

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Tendre l'autre joue à celui qui vous frappe injustement c'est approuver son attentat et en provoquer un second, quand vous aurez tendu l'autre joue et reçu un second soufflet, quel parti aurez-vous à prendre? Vous battre avec l'agresseurci A quoi bon alors attendre le second outrage. Tendre le dos afin de recevoir un coup de pied un peu plus bas? Ce serait ignoble et grotesque. — Voilà ce que répondrait aux maximes peut-être les plus sublimes de l'Evangile l'esprit de notre siècle s'il était assez loyal, assez courageux, pour parler aussi librement . Il y a et il devrait y avoir de nos jours un malentendu immense entre Jésus-Christ et les hommes. Notre siècle n'a plus le sentiment du sublime et ne comprend plus les héros. Garibaldi n'est pour nos hommes d'état qu'une incarnation peu amusante de Don Quichotte. C'est un polichinelle sérieux, qui, après avoir battu quelques commissaires et s'être débattu entre les griffes cauteleuses du chat, finira un jour par être emporté par le diable à la grande risée des spectateurs.

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Le monde est sans religion a dit le comte • Joseph de Maistre et c'estpour cela, ajouteronsnous, qu'il a besoin plus que jamais de prestiges et de jongleurs. Lorsqu'on ne croit plus au prêtre, on croit au sorcier et nous avons écrit nos livres surtout à l'usage des prêtres afin que devenant de véritables magiciens ils n'aient plus à craindre de la part du sorcier une illégale concurrence. L'auteur de ce livre appartient à la grande famille sacerdotale et ne t'a jamais oublié. Que les prêtres redeviennent des hommes de science et qu'ils étonnent un monde dégénéré par la grandeur du caractère ; qu'ils se mettent au-dessus des petits intérêts et des petites passions; qu'ils fassent des miracles de philanthrôpie et le monde sera à leurs pieds, qu'ils fassent même d'autres miracles, qu'ils guérissent les malades en les touchant, le zouave Jacob l'a bienfait; qu'ils apprennent en un mot à fasciner et ils apprendront à régner. La fascination joue un grand rôle dans la .

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médecine, la grande réputation d'un docteur guérit d'avance ses malades. Une maladresse de M. Nélaton (si l'illustre praticien était capable d'en faire une) réussirait peut-être mieux que toute l'habileté d'un chirurgien ordinaire. On raconte qu'un médecin célèbre ayant écrit la formule d'un emplâtre pour un homme qui souffrait de violentes douleurs dit à la garde-malade : vous allez lui appliquer cela immédiatement sur la poitrine et il lui remettait le papier. La bonne femme qui était plus que simple crut que cela signifiait l'ordonnance même et l'appliqua toute chaude à son malade avec un peu de graine de lin; le malade se sentit immédiatement soulagé et le lendemain était guéri. C'est aide que les grands médecins guérissent nos corps et c'est de la même manière que les prêtres accrédités parviennent à guérir nos âmes. Quand je parle dans ce chapitre d'un commencement de déchéance humaine je n'entends par là que des phénomènes que je puis observer et je ne conclus pas de l'affaiblis-

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serrent d'une race à la déchéance de l'espèce entière. Malgré tant de tristes symptômes, j'espère encore un progrès avant la destruction . ou plutôt avant la transformation de l'homme. Je crois que le Messianisme viendra d'abord et règnera pendant une longue suite de siècles. J'espère que l'espèce humaine dira son dernier mot autrement qu'elle ne l'a fait dans les civilisations de Ninive, de Tyr, de Babylone, d'Athènes, de Rome et de Paris. Ce qu'on pourrait prendre pour do la décrépitude, j'aime à croire que ce sont les lassitudes de l'enfance. Mais le Messianisme même n'est pas la doctrine de l'Eternité, il y aura, dit saint Jean, un nouveau ciel et une nouvelle terre. La nouvelle Jérusalem ne viendra que par des peuples . nouveaux supérieurs aux hommes d'à présent, puis il y aura des changements encore. Quand notre soleil sera une planète opaque dont nous serons le satellite qui sait où nous serons alors et sous quelle forme nous vivrons? Ce qui est certain c'est que l'être est l'être, c'est qu'il ne sort pas du néant qui n'est pas et d'où par conséquent

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rien ne peut sortir. C'est qu'il ne retournera pas dans ce néant d'où il n'a pu sortir. Tout ce qui est, a été, est et sera. Ehieh aseher Ehieh. ntrix Ive m.*. Revenons à la fascination et au moyen de la produire. Ce moyen est tout entier dans la puissance d'une volonté qui s'exalte sans se raidir et qui persévère avec calme. Ne soyez pas fou et parvenez à croire avec raison que vous êtes quelque chose de grand et de fort ; les faibles et les petits vous prendront nécessairement pour ce que vous croyez être. Ce n'est qu'une affaire de patience et de temps. Nous avons dit qu'il existe une fascination purement physique qui appartient au magnétisme ; quelques personnes en sont douées naturellement et on peut se donner la faculté de l'exercer par l'exaltation graduelle de l'appareil nerveûx. Le célèbre M. Home qui a parfois peutêtre exploité en charlatan cette faculté exceptionnelle la possède sans pouvoir s'en rendre compte, car il est d'une intelligence très22

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bornée pour tout ce qui e rattache à la science. Le zouave Jacob est un fascinateur naïf qui croit à la coopération des esprits. L'habile prestidigitateur Robert Houdin joint la fascination à la prestesse. Un grand seigneur que nous connaissons, lui ayant un jour demandé des leçons de magie blanche ; Robert Houdin lui enseigna certaines choses, mais il en réserva d'autres qu'il déclara ne pouvoir enseigner. Ce sont des choses inexplicables pour moimême, dit-il, et qui tiennent à ma nature personnelle, si je vous les disais vous n'en sauriez guère davantage et je ne pourrais jamâis vous mettre en état de les exercer. C'est pour me servir de l'expression vulgaire l'art ou la faculté de jeter de la poudre aux yeux. On voit que toutes les magies ont leurs arcanes indicibles même la magie blanche de Robert Houdin. Nous avons dit que c'est un acte de haute philantropie de fasciner les imbéciles pour leur faire accepter la vérité comme si c'était un mensonge et la justice comme si c'était la

partialité et le privilège de déplacer les égoïs-

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mes et les convoitises en faisant espérer à ceux qui se sacrifient ici bas un héritage immense et exclusif dans le ciel. Mais nous devons dire aussi que tous ceux qui se croient dignes de porter le nom d'hommes doivent tout en respectant l'erreur des enfants et des faibles employer tous les efforts de leur raison et de leur intelligence pour échapper eux-mêmes à la fascination. Il est cruel d'être désillusionné quand rien ne remplace l'illusion et quand les mirages disparus et les feux follets éteints laissent l'âme dans les ténèbres. Il vaut mieux croire des absurdités que de ne croire à rien, il vaut mieux encore être une dupe qu'un cadavre. Ma% la sagesse consiste précisément en une science assez solide et en une foi assez raisonnable pour exclure le doute. Le doute en effet est le tâtonnement de l'ignorance. Le sage sait certaines choses ; ce qu'il sait le conduit à supposer l'existence de ce qu'il ne sait pas. Cette supposition, c'est la foi qui n'a pas moins de certitude que la science quand elle a pour objet des hypothèses

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nécessaires et tant qu'elle ne définit pas témérairement ce qui reste indéfinissable. Un homme véritablement homme comprend les prestiges sans les subir, il croit à la vérité sans tonnerre ni trompettes et n'a pas plus besoin pour songer à Dieu d'une table de pierre ou d'une arche, que d'un veau d'or. Il n'a pas même besoin (le sentir qu'il doit être juste, qu'on lui pàrle d'un grand rémunérateur ou d'un éternel vengeur. Il en est assez averti par sa conscience et par sa raison. Si on lui dit que sous peine d'un éternel tourment il doit admettre que trois font un, qu'un homme ou un morceau de pain sont un Dieu. sait parfaitement à quoi s'en tenir sur la menace et se garde bien (le se moquer du mystère avant d'en avoir étudié l'origine et d'en connaître la portée l'ignorance qui nie lui paraissant aussi téméraire pour le moins que l'ignorance qui affirme, mais il ne s'étonne jamais de rien et lorsqu'il s'agit de questions obscures, il ne prend jamais son parti avec précipitation. Pour échapper à la fascination des choses,

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ne faut eu méconnaître ni les avantages ni les charmes. Suivons en cela les enseignements d'Homère. Ulysse ne se prive pas d'entendre le chant des sirènes, il prend seulement les mesures les plus efficaces pour que ce plaisir no le retarde pas dans son voyage et ne l'entraîne pas à se briser sur les écueils. Il renverse la coupe de Circé et l'intimide avec son glaive, mais il ne se refuse pas à des caresses qu'il lui impose au lieu de les acheter ou de les subir. Détruire la religion parce qu'il existe des superstitions dangereuses, ce serait supprimer le vin pour échapper aux dangers de l'ivresse et se refuser au bonheur de l'amour pour en éviter les égarements et les fureurs. Comme nous l'avons dit, le dogme a deux faces, l'une de lumière et l'autre d'ombre, suivons la lumière et ne cherchons pas à détruire l'ombre, car l'ombre est nécessaire à la manifestation de la clarté. Jésus a dit que les scandales sont nécessaires et peut-être, si l'on nous pressait beaucoup, devrions-nous dire qu'il faut des superstitions. On ne saurait

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trop insister sur cette vérité trop méconnue de nos jours malgré son incontestable évidence, quo si tous les hommes doivent être égaux devant la loi, les intelligences et les volontés ne sont certainement pas égales. Le dogme est la grande épopée universelle do la foi, de l'espérance et de l'amour, c'est la poésie des nations, c'est la fleur immortelle du génie de l'humanité, il faut le cultiver et le conserver tout entier. Il ne faut pas en perdre un mot, il no faut en détacher ni un symbole, ni une énigme, ni une image. Un enfant à qui l'on aurait fait apprendre les fables de La Fontaine et qui aurait cru naïvement jusqu'à l'âge de sept ans que les fourmis peuvent parler à des cigales, devrait-il déchirer ou jeter au feu le livre charmant que lui a donné sa Mère, lorsqu'il est assez intelligent enfin pour comprendre qu'on ne peut sans imposture et sans folie prêter des discours raisonnables aux êtres qui ne parlent pas et qui sont dénués de raison . «

Au respect du dogme, il faut joindre celui de l'autorité, c'est-à-dire de la hiérarchie à

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laquelle il faut se soumettre extérieurement quand elle est seulement extérieure et intérieurement quand elle est réelle. Si la société ou l'Eglise m'a donné pour maitre un homme qui en sait moins que moi, je dois me taire devant lui et agir suivant mes propres lumières; mais s'il est plus savant et meilleur que moi, je dois l'écouter et profiter de ses conseils. Pour échapper aux fascinations des hommes et des femmes, n'attachons jamais tout notre coeur aux individualités changeantes et périssables. Aimons clans les êtres qui passent les vertus qui sont immortelles et la beauté qui fleurit toujours. Si l'oiseau que nous aimons s'envole, ne prenons pas pour cela en aversion tous les oiseaux et si les roses que nous avons cueillies et dontnous aimons à respirer le parfum, se flétrissent entre nos mains, ne croyons pas pour cela que tous les rosiers sont morts et tous les printemps défleuris. Une rose meurt bien vite mais la rose est éternelle. Est-ce qu'un musicien doit renoncer à la musique parce qu'il a brisé son violon ?

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Il est des oiseaux dont la nature est telle qu'ils ne peuvent supporter l'hiver : il leur faut un printemps éternel et pour eux seuls, le printemps ne cesse jamais sur la terre. Ce sont les hirondelles et vous savez comment elles font pour que ce prodige s'accomplisse naturellement en leur faveur. Quand la belle saison finit elles s'envolent vers la belle saison qui commence et quand le printemps n'est plus où elles sont, elles s'en vont où est le printemps.

CHAPITRE XIV

L'INTELLIGENCE NOIRE

Ceux que les initiés ont droit de nommer les profanes, la vile multitude, c'est-à-dire la foule des infirmes et des pervers de l'intelligence et du coeur, ceux qui adorent le dieu d'ombre ou qui croient adorer l'athéisme, tous ces gens-là entendent toujours sans entendre parce qu'ils sont présomptueux et de mauvaise foi. Le dogme même qu'on leur présente sous une forme absurde pour leur plaire, ils le comprennent toujours d'une manière plus absurde encore et plus souvent au rebours même de sa formule. Ainsi lorsqu'ils répètent machinalement qu'il y a un seul Dieu en trois personnes, examinez-les bien, et vous verrez qu'ils en-

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tendent par là une seule personne en trois dieux. Ils ont entendu dire et ils répètent que Dieu, c'est-à-dire le principe infiniment bon est partout, mais ils admettent des espaces ténébreux et immenses où Dieu n'est pas puisqu'on y souffre la peine du dam, c'est-à-dire la privation de Dieu. Que feriez-vous, demandait le théologien Ululer à un pauvre homme ou plutôt à un homme pauvre, car le pauvre hommo était le théologien, que feriez-vous si Dieu voulait vous précipiter dans l'enfer ? — Je l'y entraînerais avec moi, répondit le 'gueux sublime, et l'enfer deviendrait le ciel. Le théologien admira cette réponse mais il ne la comprit certainement pas. — Oui, va se:dire un docteur de la loi, Dieu est dans l'enfer, 'hais il y est seulement comme vengeur. — Dites comme bourreau et supprimons le diable dont vous n'avez plus besoin ; ce sera toujours autant de gagné. Lorsqu'ils parlent de rédemption, ils comprennent que Dieu ayant dans un mouvement

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de colère (non pas pour des prunes, mais pour une pomme) donné tous ses enfants au diable a été obligé pour les racheter de souffrir luimême la mort sans cesser pour cela d'être l'immuable et l'éternel. Si vous leur parlez de Kabbale, ils croiront toujours qu'il s'agit d'un grimoire chiffré qui fait venir le diable et qui gouverne le monde fantastique des sylphes et des gnômes, des salamandres et des ondins. S'agit-il de la magie, ils en sont encore à la baguette et à la coupe de Circé qui change les hommes en pourceaux ; ils comprendraient volontiers Zoroastre avec Mahomet et quant à Hermès Trismégiste ils pensent que c'est un nom bizarre dont on se sert pour mystifier les ignorants comme celui de Croquemitaine pour faire peur aux enfants. L'ignorance a son orthodoxie comme la foi et l'on est hérétique devant les faux savants lorsqu'on connaît des choses qu'ils ignorent. Paice qu'il n'y a pas de vérités nouvelles les sages de ce monde appuient leur autorité sur la vétusté de l'erreur.

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On sait d'ailleurs que les erreurs reçues étayent presque toujours les positions faites. C'est ainsi que tu réponds au souverain pontife ! s'écrie un valet en souffletant Jésus qui venait de parler avec une fermeté respectueuse. Comment, homme de rien, c'est l'autorité qui prouve son ignorance en t'accusant et tu prétends savoir ce qu'elle ignore ? Le pontife se trompe et tu t'en aperçois ? Il déraisonne et tu te permets d'avoir raison ? Napoléon 1 détestait les idéologues parce qu'il était lui-même le plus grand idéologue du monde. Il voulait faire de la dynamique sans résistance aussi la force de résistance lui manqua-t-elle quand la force d'impulsion agressive qui avait été si longtemps la sienne se tourna tout à céup contre lui. Depuis les ôrigines de l'histoire nous voyons que c'est toujours le mensonge qui règne sur la terre ; il est vrai aussi que la vérité gouverne à grands coups de désastres et de fléaux. Cruelle et inflexible vérité ! Etonnons nous encore de ce que les hommes ne l'aime pas. Elle brise tour à tour les illuer

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sions des rois et des peuples et si elle a parfois quelques ministres dévoués elle les expose et les abandonne à la croix, au bûcher, à l'échafaud : Heureux toutefois ceux qui meurent pour elle ! Mais plus sages seront toujours ceux qui la servent assez habilement pour ne pas se briser inutilement contre le piédestal du martyre. Rabelais a été certes un plus grand philosophe que Socrate lorsqu'il sut en se cachant lui-même derrière le masque d'Aristophane échapper à la race toujours vivante des Anitus et des Melitus. Galilée dont le nom seul voue le tribunal de la sainte Inquisition à une éternelle risée fut assez homme d'esprit pour ne braver ni la torture ni les cachots. Les correspondances du temps nous le montrent prisonnier dans un palais, buvant avec les inquisiteurs et signant inter pocula son acte ironique d'abjuration, loin de dire en frappant la terre du pied et en serrant les poings : Pur si muove. On dit qu'il ajouta Oui, j'affirme sur votre parole que la terre est immobile et j'ajouterai si vous le voulez que les cieux sont de verre et .

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plût à Dieu que vos fronts fussent de même ils laisseraient passer la lumière ; Rabelais eut terminé en disant : Et beuvons frais 1 Mourir pour prouver à des fous que deux et deux font quatre ne serait-ce pas le plus ridicule des suicides? Un théorème démontré ne pouvant plus être nié, l'abjurationd'unevérité mathématique devient évidemment une farce et une grimace dont le ridicule retombe sur ceux qui peuvent sérieusement l'exiger au nom d'une autorité prétendue infaillible. Galilée montant au bûcher pour protester contre l'Eglise eut été un hérésiarque. Galilée abjurant comme catholique ce qu'il avait démontré comme savant a tué le catholicisme du Moyen-Age. Quelqu'un présentait un jour à l'auteur de ce livre un article du Syllabus en lui disant : Tenez, voici la condamnation formelle de vos doctrines. Si vous êtes catholique, admettez cela et brûlez vos livres ; si vous persistez au contraire dans ce que vous avez enseigné, ne nous parlez plus de votre catholicité. L'article du Syllabus est le septième de la

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section seconde et les doctrines qu'il condemne sont celles-ci : Les prophéties et les miracles exposés et racontés dans les saintes écritures sont des fictions poétiques et les mystères de la foi chrétienne sont le résumé d'investigations philosophiques, dans les livres des deux testaments sont contenùes desinventions mystiques et Jésus lui-même est un mythe. » • J'étonnai beaucoup celui qui croyait me confondre en lui disant que telles n'étaient pas mes doctrines • : Voici, lui dis-je, ca que j'enseigne ou plutôt ce que l'Eglise, la science et moi nous reconnaissons. « Les prophéties et les miracles exposés et racontés dans l'Ecriture le sont sous une forme poétique particulière au génie des Orientaux. Les mystères de la foi chrétienne sont confirmés et expliqués, quant à l'expression, par les investigations philosophiques. Dans les livres des deux testaments sont contenues des paraboles et Jésus lui-même a été le sujet d'un grand nombre de paraboles et de légendes. » Je soumets sans crainte ces propo-

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sitions au Pape et au futur Concile. Je suis bien assuré d'avance qu'ils ne les cimdamneron t pas. Ce que l'Église ne veut pas et qu'elle a mille fois raison de ne pas vouloir, c'est qu'on affecte de la contredire et en effet son infaillibilité étant nécessaire au maintien de la paix dans le monde chrétien, il faut que cette infaillibilité lui soit conservée à tout prix. Ainsi elle dirait que deux et deux font trois, je me garderais bien d'avouer qu'elle se trompe. Je chercherais comment et de quelle mauiére deux et deux peuvent faire trois et je chercherai afin de trouver soyez en sû r. Comme par exemple ceci : deux pommes et deux moitiés de pommes font trois pommes. Quand l'Église semble émettre une absurdité c'est tout simpleMent une énigme qu'elle propose pour éprouver la foi de ses fidèles. Ce sera certes un grand et émouvant spectacle que celui de ce prochain concile général où la reine du vieux monde s'enveloppant dans sa pourpre déchirée s'affirmera plus souveraine que jamais au moment de tomber

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du trône et proclamera ses droits augmentés de prétentions nouvelles en face d'une spoliation imminente. Les évêques seront grands alors comme ces marins du Vengeur qui, sur un vaisseau prêt à sombrer s'irritaient au lieu de se rendre et tiraient leur dernière bordée on clouant leur pavillon au dernier tronçon de leur grand mât. lls savent bien d'ailleurs qu'une transaction les perdrait à jamais et que la flamme des autels s'éteindrait le jour même où les autels cesseraient d'être dans l'ombre. Quand le voile du temple se déchire, les dieux s'en vont et ils reviennent quand de nouvelles broderies dogmatiques ont épaissi un nouveau voile. La nuit recule sans cesse devant le jour, mais c'est pour envahir de l'autre côté de l'hémisphère les régions que le soleil abandonne. Il faut des ténèbres, il faut des mys, tères impénétrables à cette intelligence noire qui croit à l'absurde et contrebalance le despotisme de la raison bornée par les audaces incommensurables de la foi. Le jour circons-

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crit les horizons et fait voir les limites du monde, c'est la nuit surtout, la nuit sans bornes avec son ' immense brouillard d'étoiles • qui nous fait concevoir le sentiment de l'infini. Etudiez l'enfant, c'est l'homme sortant des mains de la nature pour parler le langage de Rousseau et voyez quelles sont les dispositions de son esprit. Les réalités l'ennuient, les fictions l'exaltent, il comprend tout, excepté les mathématiques, il croit plutôt aux fables qu'à l'histoire. C'est qu'il y a de l'infini , dans le premier sourire de la vie, c'est que l'avenir nous apparaît si merveilleux au début de l'existence qu'on rêve naturellement de géants et de fées au milieu de tant de miracles. C'est que le sens poétique, le plus divin des sens de l'homme, fui présente tout d'abord le monde comme un nuage du ciel. Ce sens est une douce folie souvent plus sage que la raison, si je puis parler de la sorte parce que notre raison à nous a toujours pour étroites limites les barrières que la science essaie lentement de reculer tandis que la poésie saute

ensTELLumucE NOIRE 355 les yeux fermés dans l'infini et y jette à profusion toutes les étoiles de nos rêves. L'oeuvre de l'Eglise est de contenir dans de justes limites les croyances de la folie enfantine. Les fous sont des croyants indisciplinés et les croyants fidèles sont des fous qui reconnaissent l'autorité de la sagesse représentée par la hiérarchie. Que la hiérarchie devienne réelle, que les conducteurs des aveugles ne soient plus des aveugles eux-mêmes et l'Eglise sauvera la société en reprenant elle-même pour ne plus les perdre jamais ses grandes vertus et sa puissance. La science elle-même a besoin de la nuit pour observer la multitude des astres. Le soleil nous cache les soleils, la nuit nous les montre et ils semblent fleurir dans le ciel obscur comme les inspirations surhumaines apparaissent dans les ténèbres de la foi. Les ailes des anges se montrent blanches pendant la nuit ; pendant le jour elles sont noires. Le dogme n'est pas déraisonnable, il est extra-raisonnable ou supra-raisonnable et a

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toujours résumé les plus hautes aspirations de la philosophie occulte. Lisez l'histoire des conciles, vous verrez toujours dans les tendances dos hérésiarques une apparence do progrès et de raison. L'Eglise semble toujours affirmer l'absurde et donner gain de cause à l'intelligence noire. Ainsi quand Arius croit sauvegarder l'unité divine en imaginant une substance analogue mais supérieure à celle de Dieu. (La substance de Dieu qui est immatériel et infini t ) L'Eglise à Nicée proclame l'unité de substance analogue à l'unité de Dieu. Quand on veut faire de Jésus-Christ un personnage hybride composé d'une personne divine et d'une personne humaine. L'Eglise repousse cet alliage du fini et de l'infini et déclare qu'il ne p&it y avoir qu'une personne en Jésus-Christ. Quand Pélage exagérant chez l'homme l'orgueil et les obligations du libre arbitre voue d'une manière irrémédiable la masse des pécheurs à l'enfer. L'Eglise affirme la grâce qui opère le salut des injustes et qui par les vertus de l'élection supplée à l'insuffisuce des hommes. Les prérogatives accor-

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Bées à la vierge, mère de Dieu, indignent les prudhommes protestants et ils ne voient pas que dans cette adorable personnification, c'est l'humanité qu'on arrache aux souillures du péché originel, c'est la génération qu'on réhabilite. Cette femme qu'on relève, c'est la mère qu'on glorifie : credo in imam sanctam catkolicam et apostolicam ecclesiam.

Le dogme catholique, c'est-à-dire universel, ressemble à cette nuée qui précédait les lsraëlites dans le désert, obscure pendant le jour et lumineuse pendant la nuit. Le dogme est le scandale des faux sages et la lumière des ignorants. La nuée au passage de la mer Rouge se plaça, dit l'Exode, entre les Hébreux et les Égyptiens, splendide pour Israël et ténébreuse pour l'Egypte ; il en a été toujours ainsi pour le dogme. universel que les seuls initiés doivent comprendre. 11 est à la fois ombre et clarté. Pour supprimer l'ombre des Pyramides il faudrait abattre les Pyramides ; il en est de même des obscurités du dogme éternel. On dit et l'on répète tous les jours que la réconciliation est impossible -

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entre la religion et la science. On se trompe de mot, ce n'est pas conciliation, c'est fusion ou confusion qu'il faut dire. Si jusqu'à présent la science et la foi ont paru inconciliables, c'est qu'on a toujours essayé en vain de les mêler ensemble et de les confondre. Il n'y a qu'un moyen de les concilier, c'est de les distinguer et de les séparer l'une de l'autre d'une manière complète et absolue. Consulter le pape lorsqu'il s'agit de la démonstration d'un théorème, soumettre à un mathématicien une distinction théologique, ce seraient deux absurdités équivalentes. L'immaculée conception de la Vierge n'est pas une question d'embryologie et la table des logarithmes n'a rien de commun avec les tables de la Loi. La science est forcée d'admettre ce qui est démontré et la foi quand elle est réglée par une autorité qu'il est raisonnable et même nécessaire d'admettre, ne peut rien rejeter de ce qui est article de foi. La science ne démontrera jamais que Dieu et l'âme n'existent pas et l'Eglise a été forcée de se dédire devant la démonstration des systèmes

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de Copernic et de Galilée. :Cela prouve-t-il qu'elle peut se tromper en matière de foi? Non, mais qu'elle doit rester dans son domaine. Ellemême ne prétend pas que Dieu lui ait révélé les théorèmes de la science universelle. Ce qui peut être observé par la science ce sont les phénomènes que produit la foi et elle peut alors suivant la parole de Jésus-Christ lui-même, juger de l'arbre par les fruits. Il est évident qu'une croyance qui ne rend pas les hommes meilleurs, qui n'élève pas leurs pensées, qui n'agrandit pas leur volonté uniquement dans le bien, le beau et le juste est une croyance mauvaise ou pervertie. Le judaïsme de Moyse et de la Bible a fait le grand peuple de Salomon et ,des Machabées. La juiverie des Rabbins et du dernier Talmud a fait les usuriers sordides qui empoisonnent le Ghetto. Le catholicisme a aussi son Talmud corrompu c'est le fatras insensé des théologiens et des casuistes, c'est la jurisprudence des inquisiteurs, c'est le mysticisme nauséabond des capucins et des béates. Sur ces doctrines

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anti-chrétiennes et impures s'appuient des intérêts matériels et honteux. C'est contre cela qu'il faut protester (le toutes les manières et non contre la majesté des dogmes. Des les premiers siècles, quand la religion fut protégée et souillée par l'Empire; des chrétiens que l'Eglise appellent des saints mirent le désert entre eux et ses autels. Ils l'aimaient pourtant de toute leur âme, mais ils allaient prier et pleurer loin d'elle. Celui qui écrit ce livre est un catholique du désert. La Thébaïde n'a rien d'affreux; toutefois et il a toujours préféré l'abbaye de Thélème, fondée par Rabelais à l'hermitage de saint Antoine. L'humanité n'a plus besoin d'ascètes, il lui faut des sages et des travailleurs qui vivent avec elle et pour elle, le salut est de nos jours à ce prix là. Il y a dans la Kabbale de Rabbi Schiméon ben Jochaï un Dieu blanc et un Dieu noir, il y a dans la nature des hommes noirs et des hommes blancs et il y a aussi dans la philosophie occulte une intelligence blanche et une intelligence noire.

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Pour avoir la science de la lumière, il faut savoir calculer l'intensité et la direction de l'ombre. Les peintres les plus savants sont ceux qui ont l'intelligence du clair ôbscur. Pour bien enseigner, il faut savoir se mettre à la place de ceux qui comprennent mal. L'intelligence noire c'est la divination des mystères de la nuit, c'est le sentiment de la réalité des formes de l'invisible. • C'est la croyance à la possibilité vague. C'est la lumière dans le rêve. Pendant. la nuit, tous les êtres sont comme des aveugles, excepté ceux qui, comme le hibou, le chat et le lynx ont du phosphore dans les yeux. Pendant la nuit, le hibou dévore les oiseaux sans défense; ayons des yeux de lynx pour faire la guerre aux hiboux, mais n'incendions pas les forêts sous prétexte d'éclairer les oiseaux. Respectons les mystères de l'ombre tout en gardant notre lampe allumée et sachons même entourer notre lampe d'un voile pour ne pas attirer les insectes qui pendant la nuit aiment à boire le sang de rhomme.

CHAPITRE XV

LE GRAND ARCANE

Le grand arcane, l'arcane indicible, l'arcane dangereux, l'arcane incompréhensible peut se formuler définitivement ainsi : C'est la divinité de l'homme. Il est indicible parce que dès qu'on veut le dire, son expression est un mensonge et le plus monstrueux des mensonges. En effet l'homme n'est pas Dieu. Et pourtant la plus hardie, -la plus obscure à la fois et la plus splendide des religions nous dit d'adorer l'homme-Dieu. Jésus-Christ qu'ellé déclare vrai homme, homme complet, homme fini, homme mortel comme nous est en même temps complètement Dieu et la théologie ose proclamer la

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communication 'des idiomes, c'est-à-dire l'adoration adressée à la chair. L'Eternité affirmée quand il s'agit de celui qui meurt, l'impassibilité de celui qui souffre, l'immensité de celui qui se transfigure, le fini prenant la virtualité de l'infini, le Dieu homme enfin qui offre à tous les hommes de les faire Dieu. Le serpent avait dit Eritis sicut dii. JésusChrist écrasant la tête du serpent sous le pied charmant de sa mère ose dire : Eritis nonsicut dii, non sicut Deus, sed eritis Deus ! Vous serez Dieu, car Dieu est mon père, mon père et moi ne sommes qu'un et je veux que vous et moi ne soyons qu'un : ut omnes unum sint sicut ego et pater unum sumus. J'ai vieilli et j'ai blanchi sur les livres les plus inconnus et les plus redoutables de l'occ u l t i s m e , mes cheveux sont tombés, ma barbe s'est allongée comme celle des pères du désert; j'ai cherché et j'ai trouvé la clef des symboles de Zoroastre; j'ai pénétré dans les cryptes de Manès, j'ai surpris le secret d'Hermès oubliant de me dérober un coin du voile qui cache éternellement le grand oeuvre; je sais ce que

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le sphinx colossal qui s'est enfoncé lentement dans le sable en contemplant les pyramides. J'ai pénétré les énigmes des Brahmes. Je sais quels mystères Schiméon ben Jockaï ensevelissait avec lui pendant douze années dans le sable; les clavicules perdues de Salomon me sont apparues resplendissantes de lumière et j'ai lu couramment dans les livres que Méphistophélès lui-même ne savait pas traduire à Faust. Eh bien nulle part, ni dans la Perse, ni dans l'Inde, ni parmi les palimpsestes de l'antique Egypte, ni dans les grimoires maudits soustraits aux bûchers du moyen-âge je n'ai trouvé un livre plus profond, plus révélateur, plus lumineux dans ses mystères, plus effrayant dans ses révélations splendides, plus certain dans ses prophéties, plus profond scrutateur des abîmes de l'homme et des ténèbres immenses de Dieu, plus grand, plus vrai, plus simple, plus terrible et plus doux ' que -l'Evangile de Jésus-Chrïst. Quel livre a été plus lu, plus admiré, plus calomnié, plus travesti, plus glorifié, plus tourmenté et plus ignoré que celui-là. Il est

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comme un miel dans la bouche des sages et comme un poison violent dans les entrailles du monde : La Révolution le réalise en voulant le combattre ; Proud'hon se tord pour le vomir ; il est invincible comme la vérité et insaissable comme le inensonge. Dire que Dieu est, un homme quel blasphème ô Israël et vous chrétiens quelle folie. Dire que l'homme peut se faire Dieu quel paradoxe abominable ! A la croix le profanateur de l'arcane, au bûcher les initiateurs, Christianos ad Leoneln! Les chrétiens ont usé les lions et le monde tout entier conquis par le martyre aux ténèbres du ;grand arcane s'est trouvé . tâtonnant comme OEdipe devant la solution du dernier problème celui de l'homme-Dieu. L'homme Dieu est une vérité s'est alors écriée une voix, mais il doit être unique sur la terre comme au ciel. L'homme Dieu, l'infaillible, le tout-puissant c'est le pape ; et au . bas de cette proclamation qui a été écrite et répétée sous toutes les formes on peut lire des noms parmi lesquels figure Alexandre Borgia.

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L'homme Dieu c'es t l'homme libre a dit ensuite la réforme dont le cri qu'on a voulu refouler dans la bouche des protestants s'est terminé par le rugissement de la révolution. Le mot terrible de l'énigme était prononcé mais il devenait une' énigme plus formidable encore. Qu'est-ce que la vérité avait dit Pilate en condamnant Jésus-Christ. Qu'est-ce que la liberté disent les Pilates modernes en se lavant les mains dans le sang des nations. Demandez aux révolutionnaires depuis Mirabeau jusqu'à Garibaldi ce que c'est que la liberté et ils ne parviendront jamais à s'entendre. . Pour Robespierre et Marat c'est un couperet adapté à un niveau, pour Garibaldi c'est une chemise rôuge et un sabre. Pour les idéologues, c'est la déclaration des droits de l'homme, mais de quel homme s'agit-il, l'homme du bagne est-il supprimé parce que la société l'enchaîne? L'homme a-t-il des droits simplement parce qu'il est homme ou seulement lorsqu'il est juste ?

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La liberté pour les profanes multitudes c'est l'affirmation absolue du droit, le droit semblant toujours entraîner avec lui la contrainte et la servitude. Si la liberté est seulement le droit de bien faire elle se confond avec le devoir et ne se distingue plus guère de la vertu. Tout ce que le monde a vu et expérimenté jusqu'à présent ne nous donne pas la solution du problème posé par la magie et par l'évangile : le grand Arcane de l'homme-dieu. L'homme Dieu n'a ni droits ni devoirs, il a la science, la volonté et la puissance. Il est plus que libre, il est maître, il ne commande pas, il fait faire, il n'obéit pas parce que personne ne peut rien lui commander. Ce que d'autres appellent le devoir il le nomme son bon plaisir, il fait le bien parce qu'il le veut et ne saurait vouloir autre chose, il coopère librement à toute justice et le sacrifice est pour lui le luxe de la vie morale et la magnificence du coeur. Il est implacable pour le mal parce qu'il est sans haine pour

le méchant. Il regarde comme un bienfait le

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châtiment réparateur et ne comprend pas la vengeance. . Tel est l'homme qui a su parvenir au point central de l'équilibre et on peut sans blasphème et sans folie l'appeler l'homme Dieu parce que son âme s'est identifiée avec le principe éternel de la vérité et de la justice. La liberté de l'homme parfait est la loi di% Me elle-même, elle plane au-dessus de toutes les lois humaines et de toutes les obligations conventionnelles des cultes. La loi est faite pour l'homme, disait le Christ, et non pas l'homme pour la loi. Le fils do l'homme est le maître du sabbat: c'est-à-dire quo la prescription d'observer le sabbat. imposé par Moyse sous peine de mort, n'oblige l'homme qu'autant que cela peut lui être utile puisqu'il est en définitive le souverain maitre. Tout m'est permis, disait saint Paul, niais tout n'est pas expédient, ce qui veut dire que nous avons le droit de faire tout ce qui ne nuit ni à nous ni aux autres et que notre liberté n'est limitée que par les avertissements de notre conscience et de notre raison.

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L'homme sage n'a jamais de scrupules il agit raisonnablement et ne fait jamais que ce qu'il veut c'est ainsi que dans sa sphère il peut tout et qu'il est impeccable. Qui natus est ex Deo non peecat, dit saint Paul parce que ses erreurs étant involontaires ne sauraient lui être imputées. C'est vers cette souveraine indépendance que l'âme humaine doit s'avancer à travers les difficultés du progrès. C'est là véritablement le grand arcane de ?occultisme car c'est ainsi que se réalise la promesse mystérieuse du serpent : vous serez comme des dieux connaissant le bien et le mal. C'est ainsi que le serpent édenique se transfigure et devient le serpent d'airain guérisseur de toutes les blessures de l'humanité. JésusChrist lui-même a été comparé par les pères de l'Eglise à ce serpent car il a pris disent-ils la forme du péché pour changer l'abondance de l'iniquité en surabondance de justice. Ici nous parlons sans détours et nous montrons la vérité sans voiles et pourtant nous ne craignons pas qu'on nous accuse avec raison 24

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LE anAxn ARCANE

(l'être un révélateur téméraire. Ceux qui ne doivent pas comprendre ces pages no los comprondont pas, car pour les regards trop faibles la vérité qu'on montre nue se fait un voile de sa lumière et se cache dans l'éclat do sa propre splendeur.

CHAPITRE XVI

L'AGONIE DE SALOMON

La foi est une puissance de la jeunesse et le doute est un symptôme de décrépitude. Le jeune homme qui ne croit à rien ressemble à un avorton qui aurait des rides et des cheveux blancs. Quand l'esprit s'affaiblit, quand le coeur s'éteint, on doute de la vérité et de l'amour. Quand les yeux se troublent on croit que le soleil n'éclaire plus et l'on en vient à douter même de 1P vie parce qu'on sent par avance les approches froides de la mort. Voyez les enfants, quel rayonnement dans leurs yeux, quelle croyance immense à la lumière, au bonheur, à l'infaillibilité de leur mère, aux dogmes de leur nourrice ! Quelle

372 LE GRAND ARCANE mythologie que leurs inventions. Quelle âme ils prêtent à leurs jouets et à leurs poupées ! Quel paradis que leurs regards ! Oh les beaux anges bien aimés ! Les miroirs de Dieu sur la terre ce sont les yeux des petits enfants. Le jeune homme croit à l'amour, c'est l'âge du cantique des cantiques, l'homme mûr croit aux richesses, aux triomphes et même parfois à la sagesse.. Salomon touchait à •l'âge mûr lorsqu'il écrivit sou livre des proverbes.

Puis l'homme cesse d'être aimable et il proclame la vanité de l'amour, il se blase et ne croit plus aux jouissances que donnent les richesses ; les erreurs et les abus de la gloire le dégoûtent même des succès. Son enthousiasme s'épuise, sa générosité s'use, il devient égoïste et défiant, alors il doute même de la science etde la sagesse et Salomon écrit son triste livre de l'Ecclésiaste. .

Que reste-t-il alors du beau jeune homme qui écrivait : Ma bien aimée est Unique entre les belles, l'amour est plus invincible que la mort et celui qui donnerait pour uu peu d'amour toute sa fortune et toute sa vie l'au-

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rait encore acheté pour rien ?... Hélas, lisez maintenant ceci clans l'Ecclésiaste : J'ai trouvé un homme sur mille et sur toutes les femmes, pas une. J'ai considéré toutes les erreurs des hommes et j'ai trouvé que la femme est plus amère que la mort. Ses charmes sont les filets du chasseur et ses faibles bras sont des chaînes, » — Salomon vous avez vieilli. Ce prince avait surpassé en magnificence buts les monarques de l'Orient, il avait bâti le temple qui était une merveille du monde et qui devait, suivant le rêve des Juifs, devenir le centre de la civilisation asiatique. Ses vaisseaux se croisaient avec ceux d'Hiram roi de Tyr. Les richesses de tous les peuples affluaient à Jérusalem. Il passait pour le plus sage des hommes et il était le plus puissant des rois. Il s'était initié à la science des sanctuaires et l'avait résumée dans une vaste encyclopédie, il était allié par de nombreux mariages à toutes les puissances de l'Orient. Il se crut alors le maître absolu du monde et

crut qu'il était temps de réaliser la synthèse

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LE GRAND ARCANE

de tous les cultes. Il voulut grouper autour du centre inaccessible où l'on adorait l'abstraite unité de Jehovah les incarnations brillantes de la divinité dans les nombres et dans les formes. II voulait que la Judée ne fut plus inaccessible aux arts et qu'il fut permis au ciseau du statuaire de créer des Dieux. Le temple de Jehovah était unique cot-me le soleil et Salomon voulut compléter son univers en donnant à ce soleil toute une cour de planètes et de satellites; il fit donc bâtir des temples sur les montagnes qui entouraient Jérusalem. Dieu manifesté dans les phénomènes du temps il fut adoré sous le nom de Saturne ou de Moloch. Salomon conserva tout le symbolisme de cette grande image et supprima seulement les sacrifices d'enfants et les victimes humaines; il inaugura autdur de l'autel de Véntis ou d'Astarté les fêtes de la beauté, de la jeunesse et de l'amour, ce triple sourire de Dieu qui rassure et console la terre. -

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S'il eut réussi la gloire et la puissance de Jérusalem eussent fait avorter celle de Rome

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et le Christianisme n'aurait pas eu sa raison d'être. Salomon devenait le messie promis aux Hébreux. Mais le fanatisme rabbinique s'alarma. Les vieux sages qui entouraient le fils de Bethsabée furent suspects d'apostasie. Les jeunes scribes et la tourbe remuante des lévites parvinrent à circonvenir la jeunesse de Roboam fils de Salomon et le vieux roi sentit un jour avec épouvante que son héritier ne continuerait pas son oeuvre. Le doute alors entra dans son coeur et avec le doute une profonde désespérance. C'est alors qu'il écrivit : « J'ai fait des travaux immenses et je vais laisser tout à un héritier qui sera peutêtre un insensé. Tout n'est que vanité sous le soleil et tout semble tourner dans un cercle fatal; le juste ici-bas n'est pas plus heureux que l'impie et c'est une vanité que de se livrer à l'étude car en augmentant sa, science on augmente ses chagrins. L'homme meurt comme la bête et personne ne sait si l'esprit des hommes monte en haut ou si celui des bêtes descend en bas. • L'homme trop sage tombe dans la stupeur et personne ne sait s'il

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est digne d'amour ou de haine. Vivons donc au jour le jour et attendons que Dieu nous juge. » « Malheur, dit-il encore en songeant amèrement à son fils, malheur à la nation dont le prince n'est qu'un enfant. » Ces tristesses infinies d'une grande âme isolée sur le faîte de la puissance et qui sent à la fois la terre et les ailes lui manquer rappellent les plaintes de Job et le cri de Jésus sur le Calvaire : EU, EU, Lamma Sabchtani. Au lieu d'avoir créé l'unité du monde avec Jérusalem pour centre, Salomon sentait que son propre royaume allait violemment se déchirer. Le peuple remuait et voulait des réformes que depuis longtemps peut-être on • lui avait promises, le temple était fini et les impôts exceptionnels qui avaient pour objet ou pour prétexte la construction du temple n'avaient pas été diininués. Un agitateur nommé Jéroboam se faisait un parti dans les provinces. Roboam devenu l'instrument aveugle des prétendus conservateurs jetait presque publiquement au feu les livres philosophiques de son père qui ne se

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trouvèrent plus après la mort de Salomon et le vieux maître des esprits, délaissé par tous ceux qu'il aimait ressemblait à ce roi de Thulé de la ballade allemande qui pleure en silence dans sa coupe et boit un vin mêlé de larmes. C'est alors qu'il maudit la joie en lui disant : Pourquoi m'as-tu trompé ? C'est alors qu'il écrit : « Mieux vaut aller dans la maison des pleurs que dans la maison du rire. — Mais pourquoi ? Il ne le dit pas. Plus tard une sagesse plus grande que la sienne, venue pour essuyer toutes les larmes devait s'écrier : vous êtes heureux vous qui pleurez parce que vous rirez un jour. Ainsi c'est le rire et le bonheur que Jésus est venu promettre aux hommes. Saint Paul, son apôtre, écrivait à ses disciples soyez toujours en joie : Semper Le sage pleure quand il est heureux et sourit bravement quand il souffre. Les anciens pères de l'Eglise combattaient un huitième péché capital et ils le nommaient la tristesse. Salomon connaissait dit-on la vertu secrète /

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des pierreries et les propriétés des plantes, mais il est un secret qu'il ignorait, puisqu'il a écrit l'Ecclésiaste, un secret de bonheur et de vie, un secret qui chasse l'ennui en éternisant le bonheur et l'espérance : LE SECRET liE DIE PAS VIEILLIR!

Existe-t-il un secret semblable ? des hommes qui ne vieillissent jamais ? L'élixir de Flamel est-il une réalité? Et faut-il croire comme le disent les amis trop passionnés du merveilleux, que le célèbre . alchimiste de la rue des écrivains a trompé la mort et que sous un autre nom il vit encore avec sa femme Pernelle dans une riche solitude du nouveau monde ? Non, nous ne croyons pas à l'immortalité de l'homme sur la terre. Mais nous croyons et nous savons que l'homme peut se préserver de vieillir. On peut mourir lorsqu'on a vécu un siècle ou près d'un siècle ; il est temps alors pour l'âme, toujours de quitter son vêtement qui n'est plus de mode ; il est temps non pas de mourir, car nous l'avons déjà dit, nous ne

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croyons pas à la mort mais d'aspirer à une seconde naissance et de commencer une vie nouvelle. Mais jusqu'au dernier soupir on peut conserver les joies naïves de l'enfance, les poétiques extases du jeune homme, les enthousiasmes de l'âge mûr. On peut s'enivrer jusqu'à la fin de fleurs, do beauté et de sourires, on peut ressaisir sans cesse ce qui est passé et retrouver toujours ce qu'on a perdu. On peut trouver une éternité réelle dans le beau rêve de la vie. Que faut-il faire pour cela ? allez-vous sûrement me demander. Lisez attentivement et méditez sérieusement je vais vous le dire : Il faut s'oublier soi même et vivre uniquement pour les autres. Quand Jésus a dit : Si quelqu'un veut venir après moi qu'il renonce à lui-même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive. A-t-il prétendu . qu'on allait s'ensevelir dans une solitude lui qui a toujours vécu parmi les hommes embrassant et bénissant les petits enfants, relevant les femmes tombées dont il ne

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dédaigne ni les caresses ni les larmes, mangeant et buvant avec les parias du pharisaïsme jusqu'a faire dire de lui : Cet homme est un glouton et un buveur de vin; aimant tendrement St Jean et la famille de Lazare, supportant . S' Pierre, guérissant les malades et nourrissant les multitudes dont il multiplie les ressources par les miracles de la charité. En quoi cette evie ressemble-t-elle :à celle d'un trappiste ou d'un Stylite et comment l'auteur d'un traité célèbre qui préconise l'isolement et la concentration en soi-même a-t-il osé appeler un pareil traité l'imitation de Jésus-ChriSt. Vivre dans les autres, avec les autres et pour les autres voilà le secret de la charité et c'est celui de la vie éternelle. C'est aussi • celui de l'éternelle jeunesse. Si vous ne devenez pas semblables aux enfants disait le maitre vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. Aimer c'est vivre dans ceux qu'on aime, c'est penser leurs pensées, deviner leurs désirs, partager leurs affections ; plus on aime plus on augmente sa propre vie. L'homme qui aime n'est plus seul et son existence se muni.

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plie, il s'appelle famille, patrie, humanité. Il bégaie et joue avec les enfants, se passionne avec la jeunesse, raisonne avec l'âge mûr et tend la main à la vieillesse. Salomon n'aimait plus lorsqu'il écrivit l'Ecclésiaste et il était tombé dans l'aveuglement de l'esprit par la décrépitude du coeur. Ce livre est l'agonie d'un esprit sublime qui va s'éteindre faute d'être alimenté par• l'amour. Il est triste comme le génie solitaire de Chataubriand, comme les poésies du dixneuvième siècle. Et pourtant le dix-neuvième siècle a produit Victor Hugo qui est la preuve vivante des choses que je viens d'avancer. . Cet homme égoïste d'abord, a été vieux dans sa jeunesse, puis quand .ses cheveux ont blanchi il a compris l'amour et il est redevenu jeune. Comme il adore les enfants ! comme il respire toutes les sèves et toutes les divines folies de la jeunesse I Quel grand panthéisme d'amour que ses dernières poésies ! Comme il comprend le rire et les larmes ! II a la foi universelle de Goethe et l'immensité philosophique de Spinosa. Il est Rabelais et Sha-

38 LE GRAND MUNE kespeare. — Victor Hugo vous étés un grand magicien sans le savoir et vous avez trouvé mieux que le pauvre Salomon l'arcane de la vie éternelle

CHAPITRE XVII

LE MAGNÉTISME DU BIEN

On dit et l'on répète tous les jours que les gens de bien sont malheureux en ce monde taudis que les méchants prospèrent et sont heureux. C'est un stupide et abominable mensonge. Ce mensonge vient do l'erreur vulgaire qui confond la richesse avec le bonheur ; comme si l'on pouvait dire sans folie que Tibère, . Catie% Néron, Vitellius ont été heureux ils étaient riches pourtant et de plus ils étaient les maîtres du monde et pourtant leur coeur était sans repos, leurs nuits, sans sommeil et leur conscience était fouettée par les furies. Est-ce qu'un pourceau deviendrait un • homme quand même on lui servirait des ruffes dans une auge d'or.

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LE ORAN» AIMA»:

Le bonheur est on nous il n'est pas dans nos écuelles et MalfilAtre mourant do faim eut mérité sa destinée s'il eut regretté alors do n'être pas un pourceau à l'engrais. Lequel est le plus heureux de Socrate ou do Trimalcyon (Cc personnage do Petroiro est la carrica turc de Claude.) Trimaleyon serait mort d'une indigestion si on no l'eut pas empoisonné. Il est des gens do bien qui souffrent la pauvreté et môme la misère, je n'en disconviens pas, mais souvent c'est par leur faute et souvent aussi c'est leur pauvreté même qui conserve leur honnêteté. La richesse peut-être les corromprait et les perdrait. H ne faut pas considérer comme véritables gens de bien ceux qui appartiennent à la foule des sots, des courages médiocres et des volontés molles, ceux qui obéissent aux lois par crainte ou par faiblesse, les dévots qui ont peur du diable et les pauvres diables qui ont peur de Dieu. Tous ces gens-là sont le bétail de la sottise et ne savent profiter ni de l'or ni de la richesse, ni de la misère, mais le sage, le vrai

1.1.0NETISNIE MI BIEN

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sage, peut-on jamais sérieusement le plaindre et lorsqu'ou lui fait du mal n'est-ce pas toujours par envie? Mais plusieurs de mes lecteurs vont dire ici d'un air désappointé : vous nous promettez de hi magie et vous faites de la morale. Nous avons assez de philosophie, parlez-nous maintenant des forces occultes. — soit, vous qui avez lu mes livres vous savez ce que signifient les deux serpents du caducée, ce sont les deux courants contraires du magnétisme universel. Le serpent de lumière créatrice et couervatrice et le serpent du feu éternel qui dévore pour régénérer. Les bons sont aimantés, vivifiés et conservés par la lumière impérissable, les méchants sont brûlés par le fou éternel. Il y a communion magnétique et sympathique entre les enfants de la lumière, ils se baignent tous dans la méme source de vie ; ils sont heureiix tous du bonheur les uns des autres. 123 magnétisme positif este une force qui rassemble et le magnétisme négatif est une force qui disperse. 25

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LE GUANO AMANT

La lumière attire la vie et le feu porte avec lui la destruction. Le magnétisme blatte c'est la sympathie et le magnétisme noir c'est l'aversion . Les bons s'aiment les uns les autres et les méchants se haïssent les uns les autres parce qu'ils se connaissent. Le magnétisme des bons attirent à eux tout ce qui est bon et lorsqu'il n'attire pas les richesses c'est qu'elles leurs seraient mauvaises. Les héros de l'antique philosophie et du Christianisme primitif n'embrassaient-ils pas la sainte pauvreté connue une sévère gardienne du travail et de la tempérance ? D'ailleurs les gens do bien sont-ils jamais pauvres? n'ont-ils pas toujours des choses magnifiques à donner ? Etre riche, c'est donner ; donner c'est amasser, et la fortune éternelle se forme uniquement de ce qu'on donne. 11 existe réellement et en vérité une atmosphère du bien comme une atmosphèredu mal. Dans l'une on respire la vie éternelle et dans l'autre la mort éternelle. -

387 Le cercle symbolique quo forme le bon serpent se mordant la queue, le pléroma des gnostiques, le nimbe des saints de la légende dorée c'est le magnétisme du bien. Toute tête sainte rayonne et les rayonnements des saints s'entrelacent les uns les autres pour former des chi) hies d'amour .. Aux rayons do grâce se rattachent los rayons des gloire; les certitudes du ciel fécondent les bons désirs de la terre. Les justes qui sont morts ne nous ont pas quittés, ils vivent en nous et par nous, ils nous inspirent leurs pensées et se réjouissent des nôtres. Nous vivons dans le ciel avec eux et ils luttent avec nous sur la terre car nous l'avons dit et nous le répétons solennellement encore, le ciel symbolique, le ciel que les religions promettent au juste n'est pas un bien c'est un état des âmes, le ciel c'est l'harmonie éternelle généreuse et l'enfer, l'irrémédiable enfer c'est le conflit inévitables des instinct lâches. Mahomet suivant les habitudes du style oriental présentait à ses disciples une allégorie qu'on a prise pour un conte absurde à peu près Ln

MAGNÉTISME DU MEN

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LE GRAND ARCANE

comme le fait Voltaire pour les paraboles de la Bible. Il existe disait-il, un arbre nommé Tuba si vaste et si touffu qu'un cheval lancé au galop et partant du pied de cet arbre galoperait pendant cent ans avant de sortir de son ombre. Le tronc de cet arbre est d'or ses branches portent pour feuilles des talismans faits de pierreries merveilleuses qui laissent tomber dès qu'on les touche tout ce que les vrais croyants peuvent désirer, tantôt des mets délicieux, tantôt des vêtements splendides. Cet arbre est invisible pour les impies mais il introduit une de ses branches dans la maison de tous les justes et chaque branche .a les propriétés de l'arke entier. Cet arbre allégorique c'est' le magnétisme du bien. C'est ce que les chrétiens appellent la grâce. C'est ce que le symbolisme de la Genèse désigne sous le nom de l'arbre de vie. Mahomet avait deviné les secrets de la science et il parle comme un initié lorsqu'il raconte les beautés et les merveilles de l'arbre d'or, du gigantesque arbre Tuba.

LE MAGNÉ,TISME 1W RIEN

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Il est pas bon que l'homme soit seul a dit la sagesse éternelle et cette parole est l'expression d'une loi. Jamais l'homme n'est seul soit dans le bien soit dans le mal. Son existence et ses sensations sont en même temps individuelles et collectives. Tout ce que les hommes de génie trouvent ou attirent de lumière rayonne pour l'humanité entière. Tout ce que les justes font de bien profite en môme temps à tous les justes et mérite dos grâces do repentir aux méchants. Le coeur do l'humanité a des fibres dans tous les coeurs. Tout ce qui est vrai est beau, il n'y a rien de vain sous le soleil que l'erreur et le mensonge. La douleur même et la mort sont belles parce qu'elles sont le travail qui purifie et la transfiguration qui délivre. Les formes passagères sont vraies parce qu'elles sont les manifestations de la force et de la beauté éternelle. L'amour est vrai, la femme est sainte et sa conception est immaculée. La vraie science ne trompe jamais, la foi, rai-

sonnable n'est pas une illusion. Le rire de la

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GRAND ARCANE

gaité sympathique est un acte de foi, d'espérance et de charité. Craindre Dieu c'est le méconnaître, il ne faut craindre que l'erreur. L'homme peut tout ce qu'il veut lorsqu'il ne veut que la justice. Il peut môme s'il le veut se précipiter dans l'injustice mais il s'y brisera. Dieu se révèle à l'homme dans l'homme et par l'homme. Son vrai culte c'est la charité, Les dogmes et los rites changent et se succèdent la charité ne change, pas et sa puissance est éternelle. Il n'y a qu'une seule et véritable puissance sur la terre comme au ciel c'est colle du bien. Les justes sont les seuls maîtres du monde. Le monde a des convulsions lorsqu'ils souffrent il se transforme quand ils meurent. L'oppression de la justice est une compression d'une force bien autrement terrible que celle (les matières fulminantes. Ce ne sont pas les peuples qui font les révolutions, ce sont les rois. La juste personne est inviolable, malheur à qui la touche! Les Césars sont tombés en cendres, brûlés par le sang des martyrs. Ce qu'un juste veut, Dieu l'approuve, Ce qu'un

Le MAGNETISME DU BIEN

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juste écrit, Dieu le signe et c'est un testament éternel. Le grand mot de l'énigme du sphinx, c'est Dieu dans l'homme et dans la nature. Ceux qui séparent l'homme de Dieu le séparent de la nature parce que la nature est pleine de Dieu et repousse avec horreur l'athéisme. Ceux qui séparent l'homme de la nature, sont comme des fils qui pour honorer leur père lui couperaient la tête. Dieu est pour ainsi dire la tête do la nature, sans lui elle ne serait pas, sans elle il ne se manifesterait pas. Dieu est notre père, mais c'est la nature qui est notre mère. Honore ton père et ta mère dit le décalogue afin que tu vives longuement sur la terre. Emmanuel Dieu eet avec nous, tel est le mot sacré des initiés connus seulement sous le nom de Frères de la Rose-Croix. C'est en ce sens que JésusChrist a pu sans blasphémer se dire le fils de Dieu et Dieu lui-même. C'est en ce sens qu'il veut que nous ne fassions qu'un avec lui comme il ne fait qu'un avec son père et

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LE GRAND ARCANE

qu'ainsi l'humanité régénérée réalise en ce inonde le grand Arcane de l'homme Dieu. Aimons Dieu les uns dans les autres car Dieu ne se montrera jamais autrement à nous. Tout ce qu'il y a d'aimable en nous c'est Dieu qui est en nous et l'on ne peut aimer que Dieu et c'est toujours Dieu qu'on aime quand on sait véritablement aimer. Dieu est lumière et il n'aime pas les. ténèbres. Si donc nous voulons sentir Dieu en nous, éclairons nôs Aines. L'arbre de la science n'est un arbre de mort que pour Satan et ses apôtres, c'est le mancenillier des superstitions, mais pour nous c'est l'arbre de vie. Mondons les mains et prenons les fruits de cet arbre il nous guérira des appréhensions de la mort. Alors nous ne dirons plus comme de stupides esclaves: Ceci est bien parce qu'on nous l'ordonne en nous • promettant une récompense et cela est mal parce ;qu'on nous le défend en nous menaçant du supplice. Mais nous dirons : Faisons cela parce que

LE MAGNÉTISME DU MIEN

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nous savons que c'est bien et ne faisons pas ceci parce que nous savons que c'est mal. Et ainsi sera réalisé la promesse du serpent symbolique : Vous serez comme des Dieu» connaissant le bien et le mal.

FIN

.`,,/,1/14;S. ----

Le livre des Sages - Eliphas Levi (Première Partie) Préface Ce livre contient les principes et les éléments de cette troisième révélation que le comte Joseph de Maistre disait être nécessaire au monde. Cette troisième révélation ne peut être que l'explication et la synthèse des deux autres. Elle doit concilier la Science et le Dogme; l'autorité et la liberté, la raison et la foi. Nous avons préparé le grain et d'autres feront les semailles. Celui qui a écrit ces pages est loin de se croire un prophète. Il voit la vérité et il l'écrit. Son autorité c'est l'évidence et sa force c'est la raison. Il parle pour les sages et il s'attend à la dérision et au dédain des fous. Il écrit pour les forts et ne sera pas lu par les faibles à qui l'on fera peur de ses doctrines. Ce livres est en deux parties. La première contient des dialogues résumant toute la polémique religieuse et philosophique du siècle présent. La seconde contient des définitions et des aphorismes. Il n'y a ici, ni fleurs de rhétorique, ni phrases. Deux choses éternelles ont seules préoccupé l'auteur : la justice et la vérité.

Premier Dialogue : Un Clérical - Eliphas Lévi Le Clérical : Vos prétendues sciences viennent de l'enfer et vos raisons sont des blasphèmes. Eliphas Levi : Je ne sais si votre ignorance vient du ciel; mais vos raisons à vous ressemblent fort à des injures. Le Clérical : J'appelle les choses par leur nom, tant pis pour vous si ces noms doivent vous paraître injurieux. Comment, vous qui êtes sorti de l'Eglise, vous qui d'aidez l'impiété à saper dans sa base son édifice éternel, vous avez le fol orgueil de croire qu'elle chancelle sous les coups de vos semblables, et pour comble d'outrages, vous étendez pour la soutenir votre main sacrilège. Ne craignez-vous pas le sort d'Oza, que Dieu frappa de mort parce que, dans une intention meilleure que la vôtre et avec des mains peut-être plus pures, il voulut soutenir l'arche sainte ? Eliphas Levi : Je vous arrête ici, Monsieur, vous citez la Bible sans la comprendre, j'aimerais mieux à votre place la comprendre sans la citer. La mort d'Oza, dont vous me parlez ici, ressemble un peu à la fin tragique des quarante deux enfants dévorés par des ours pour avoir ri de ce que le prophète Elisée était chauve. Heureusement dit Voltaire à ce propos, il n'y a pas d'ours en Palestine.

Le Clérical : Alors la bible est un tissu de contes ridicules, et vous vous en moquez comme Voltaire. Eliphas Levi : La Bible est un livre Hiératique, c'est-à-dire sacré; elle est écrite en style sacerdotal, avec un mélange continuel d'histoires et d'allégories. Le Clérical : L'Église seule a le droit d'interpréter la Bible. Croyez-vous à son infaillibilité ? Eliphas Levi : Je suis de l'Église et je n'ai jamais rien dit, ni rien écrit de contraire à son enseignement. Le Clérical : J'admire votre aplomb. N'êtes vous pas un libre penseur ? Ne croyez-vous pas au progrès ? N'admettez-vous pas les témérités de la science moderne qui donne tous les jours des démentis à l'Écriture Sainte ? Ne croyezvous pas à l'ancienneté indéfinie du monde et à la diversité soit simultanée, soit successive des races humaines ? Ne traitez-vous pas de mythe ou de fable ce qui est la même chose, l'histoire de la pomme d'Adam sur laquelle se fonde le dogme du péché originel ? Mais vous savez bien qu'alors tout s'écroule; plus de péché originel, plus de rédemption, partant plus de révélation ni d'incarnation, car tout le christianisme n'a été qu'une longue erreur. L'Église ne peut se maintenir qu'en prescrivant le bon sens et en propageant l'ignorance. Vous en êtes là, et vous osez vous dire catholique ? Eliphas Levi : Que veut dire le mot catholique ? Ne veut-il pas dire universel ? Je crois au dogme universel et je me garde des aberrations de toutes les sectes particulières. Je les supporte pourtant, dans l'espérance que le progrès s'accomplira et que tous les hommes se réuniront dans la foi aux vérités fondamentales, ce qui s'est déjà accompli dans cette société déjà répandue par tout le monde, qu'on nomme la Franc-Maçonnerie. Le Clérical : Courage, Monsieur, démasquez-vous enfin complètement ; vous êtes franc-maçon sans aucun doute et vous savez parfaitement que les francsmaçons viennent tout récemment encore, d'être excommuniés par le Pape. Eliphas Levi : Oui, je sais cela, et depuis ce temps j'ai cessé d'être franc-maçon parce que les francs-maçons excommuniés par le Pape ne croyaient plus devoir tolérer le catholicisme, je me suis donc séparé d'eux pour garder ma liberté de conscience et pour ne pas m'associer à leur représailles peut-être excusables, sinon légitimes mais certainement inconséquentes, car l'essence de la maçonnerie, qui est la tolérance de tous les cultes. Le Clérical : C'est-à-dire l'indifférence en matière de religion ? Eliphas Levi : Dites en matière de superstitions.

Le Clérical : Oh ! Je sais que pour vous la Religion et la superstition sont une seule et même chose. Eliphas Levi : Je crois au contraire que ce sont deux choses opposées et inconciliables, tellement, qu'à mes yeux les superstitieux sont des impies. Quant à la religion il n'y en a qu'une et il n'y en a jamais eu qu'une véritable. C'est celle-là que j'appelle vraiment catholique ou universelle. Un musulman peut la pratiquer comme l'a bien fait voir l'Émir Abdel-Kader, lorsqu'il a sauvé les chrétiens de Damas. Cette religion c'est la charité; le symbole de la charité c'est la communion et l'opposé de la communion c'est l'excommunication; communier c'est évoquer Dieu; excommunier c'est évoquer le diable. Le Clérical : C'est pour cela que vous avez le diable au corps, car certainement de pareilles doctrines font de vous un excommunié. Eliphas Levi : Si j'avais le diable, ce serait vous qui me l'auriez donné et certes je ne serais pas assez méchant pour vous le rendre; je le traiterais comme les marchands traitent les pièces fausses qu'ils clouent sur leur comptoir pour les retirer de la circulation. Le Clérical : Je ne veux pas vous écouter davantage, vous êtes un extravagant et un impie. Eliphas Levi : (riant) Vous en savez long sur mon compte ! Et vous en dites des choses dont je suis loin de me douter, je ne suis pas si savant et je ne vous dirai pas ce que vous êtes : je vous ferai observer seulement que ce que vous dites n'est ni charitable ni poli. Le Clérical : Vous êtes un des plus dangereux ennemis de l'église. Eliphas Levi : C'est M. de Mirville qui vous a dit cela. Mais je répondrai lui comme à vous par ces deux vers de notre bon et grand La Fontaine : « Rien n'est plus dangereux qu'un imprudent ami, mieux vaudrait un sage ennemi ». Deuxième Dialogue : Un Philosophe - Eliphas Levi Le Philosophe : (entrant) Que faisiez-vous de cet énergumène ? Eliphas Levi : Rien de bon je crois, j'aurais voulu le calmer et je ne parvenais qu'à le mettre de plus en plus en colère. Le Philosophe : Aussi qu'avez-vous à faire avec de pareille gens ? Et pourquoi vous obstinez-vous à vous dire encore catholique, vous éloignez de vous les libres penseurs et les catholiques vous exècrent.

Eliphas Levi : C'est un malentendu. Le Philosophe : Dont vous êtes cause. Pourquoi vous obstinez-vous à dire un chien lorsqu'il s'agit d'un chat ? Eliphas Levi : Je ne crois pas être jamais permis de pareilles excentricités de langage; j'appelle les choses par leur nom, mais il m'est arrivé de voir des chiens et des chats qui s'entendaient ensemble à merveille. Le Philosophe : Cela ne prouve rien en faveur de votre rêve qui est l'accord impossible entre la religion et la science, entre l'autorité dogmatique et la liberté d'examen. Eliphas Levi : Pourquoi impossible ? Le Philosophe : Parce que la religion c'est le rêve qui veut faire la loi à la raison; c'est l'absurde qui s'impose avec l'obstination de la folie; c'est l'orgueil de l'ignorance qui, pour se croire surnaturelle, invente des vertus contre nature; c'est Alexandre VI mis à la place de Dieu; c'est la clef du ciel remise dans les mains sanglantes des inquisiteurs. Eliphas Levi : Non, la religion n'est rien de tout cela, la religion c'est la foi, l'espérance et la charité. Le Philosophe : Qu'appelez-vous la Foi ? Eliphas Levi : La foi c'est l'affirmation de ce qui doit être et l'aspiration confiante à ce qu'il est bon d'espérer. Le Philosophe : Sortons des nuages s'il vous plait. Vous vous dites catholique or savez-vous ce que c'est qu'un catholique ? Eliphas Levi : Catholique veut dire universel, un catholique c'est celui qui se rattache aux croyances universelles, c'est-à-dire à la religion unique dont le fond se trouve dans les dogmes de tous les peuples et de tous les temps. Le Philosophe : Non, Monsieur, un catholique, suivant M. Veuillot que Rome ne condamne pas, c'est celui qui croit que J.C. est le seul Dieu et qu'il parle par la bouche du Pape. Eliphas Levi : Laissons M. Veuillot et parlons raison. Le Philosophe : Non pas, puisque nous parlons religion, vous savez bien que suivant un père de l'Église fort autorisé, l'objet de la croyance c'est l'absurde. Eliphas Levi : L'infini n'est-il pas absurde ? Et pourtant la science est forcée d'y

croire. Le rapprochement éternel de deux lignes qui ne se toucheront jamais n'est-il pas absurde, et cependant la géométrie est forcée de l'admettre. Il y a des absurdités de deux sortes : les unes ne sont qu'apparentes, ce sont celles qui viennent du défaut de notre intelligence. Les autres sont évidentes : ce sont les affirmations contraires à des vérités démontrées; or la religion ne nous engage pas à accepter celles-là. Le Philosophe : N'entrons pas dans le labyrinthe de vos mystères. Le dogme embrouillé à plaisir par vos théologiens me donnerait trop beau jeu, mais ces vieilleries sont tellement abandonnées de nos jours, qu'on ne s'en occupe plus même pour rire. En somme le christianisme est dépassé par le progrès, il a fait son temps et si vous voulez mettre du vin nouveau dans ce vieux vase, vous perdrez le vase et le vin. Laissez le vieux catholicisme mourir en paix, il ne vous accepte pas, vous êtes pour lui un renégat et un sacrilège, ayez le courage de votre libre pensée et laissez les morts ensevelir leurs morts. Vous faites de ridicules efforts pour concilier la civilisation moderne et le syllabus, or je vous dis en vérité que ceci doit tuer cela. Vous voulez concilier polichinelle et la potence, mais Polichinelle ne veut pas en entendre parler et il compte bien pendre lui-même le bourreau, malgré les coups de griffes du chat. Pardonnez si je suis peu grave, c'est qu'en vérité votre foi d'expédients et de parti pris n'est pas assez sérieuse; elle exagère l'absurde pour grandir ses tours de forces; cela est peut-être fort joli, mais cela n'est utile à personne et devient très fâcheux pour vous. Eliphas Levi : Laissons de côté mes intérêts personnels; je n'en ai et je n'en veux avoir d'autres que ceux de la vérité. Le Philosophe : Et bien, la vérité, la vérité évidente pour quiconque est de bonne foi, c'est qu'il n'existe pas de révélation universelle, les religions s'entre dévorent. Tous les sectaires affirment que Dieu leur a parlé, mais vous savez bien que Dieu ne parle jamais que par la bouche de ses prêtres qui se maudissent les uns les autres et ne s'accorderont jamais. Voulez-vous garder le dogme et supprimer le prêtre, mais ils se soutiennent l'un l'autre et même ils se supportent mutuellement. Dieu est le prêtre du ciel comme le prêtre s'affirme le dieu de la terre. Chassez le prêtre, il emportera son Dieu et vous prouvera que vous êtes athée. Eliphas Levi : Je ne veux chasser personne, mais je voudrais éclairer tout le monde. Le Philosophe : Même les prêtres peut-être ?

Eliphas Levi : Surtout les prêtres, car je leur dois ma première éducation. Le Philosophe : Ne le dîtes pas, on s'en aperçoit assez; c'est chez eux que vous avez appris les conciliations Jésuitiques et les assertions doublées d'arrières pensées. Eliphas Levi : J'écris sur les sciences occultes. Le Philosophe : J'entends, et vous croyez qu'il faut cacher votre pensée, mais il y aurait un moyen bien simple de la cacher : ce serait de ne pas écrire. Eliphas Levi : Et de ne point parler; mais alors je n'aurais l'avantage de discuter aujourd'hui avec vous. Le Philosophe : Je ne discute pas de vos croyances, je les condamne au nom de la science et du progrès. Eliphas Levi : Quoi, même ma croyance en Dieu, à l'immortalité de l'âme, à la solidarité de tous les hommes et à l'esprit de charité ? Le Philosophe : Ce sont là des idées respectables, mais qui n'existent pas et ne sauraient exister pour la science parce qu'elles sont ni démontrables ni démontrés. Eliphas Levi : Ainsi vous ne croyez à rien ? Le Philosophe : Pardonnez-moi, je crois à la nature à la science et au progrès. Eliphas Levi : Vos croyances, Monsieur, sont les miennes; il ne s'agit que de nous entendre; et d'abord qu'est-ce que la nature selon vous ? Le Philosophe : Force et matière. Eliphas Levi : Quoi pas d'esprit ? Le Philosophe : L'esprit, c'est la force directrice. Eliphas Levi : Très bien, je vous en demande pas davantage; j'ajouterais seulement créatrice (évocatrice), et nous aurons trouvé Dieu. Le Philosophe : Dieu ! Toujours Dieu ! Je ne puis souffrir ce mot-là, il n'appartient pas à la science. Eliphas Levi : Cela est vrai, il appartient à la foi, mais la science ne peut s'en passer.

Le Philosophe : C'est ce que je nie. Eliphas Levi : Oui, sans pouvoir prouver la force de votre négation. Le Philosophe : C'est à vous de prouver puisque vous affirmez. Eliphas Levi : J'affirme que la foi existe et qu'elle est dans la nature de l'homme. J'affirme que la foi est raisonnable puisque la science est bornée. J'affirme enfin, aussi, que la foi est nécessaire parce que, comme vous, je crois au progrès. Sans la foi, la science ne conduit qu'au doute absolu et au dégoût de toutes choses. Sans la foi, la vie n'est qu'un rêve qui va finir sans réveil dans le néant. Sans la foi, les affections sont vaines, l'honneur n'est qu'un leurre, la vertu un mensonge et la morale une déception. Sans la foi, la science n'est qu'un immense ennui parce qu'elle est sans espérance. Sans la foi, la liberté n'est que le despotisme des richesses, l'égalité est impossible et la fraternité n'est qu'un mot. Philosophes de l'athéisme, partisans de la force aveugle et de la matière motrice, non, vous n'êtes pas des hommes de progrès. Un de non maîtres, au siècle dernier a déjà fait rire de lui et il se nommait Lamettrie et était, je crois, un des médecins du roi de Prusse. Il est triste de vous voir dépenser tant d'esprit à prouver que vous êtes bêtes. Ce que je dis là, Monsieur, ne saurait s'adresser à vous, puisque vous croyez à la force intelligente et au progrès. La force intelligente c'est l'esprit et le progrès c'est l'immortalité. Le Philosophe : Tout cela n'est pas démontré. Eliphas Levi : Est-il besoin de démontrer l'évidence ? Le Philosophe : Mais si ce qui est évident pour vous ne l'est pas pour moi ? Eliphas Levi : Je vous tendrai la main et nous nous séparerons bons amis. Le Philosophe : Adieu donc. Eliphas Levi : Oui, à Dieu. Puisque vous prétendez n'y pas croire tout en l'invoquant sans y penser.

Troisième Dialogue : Un Panthéiste - Eliphas Levi Le Panthéiste : Il est impossible de concevoir un Dieu qui soit autre chose que l'universalité des êtres. Eliphas Levi : Fort bien. Vous êtes un disciple de Spinoza et je vais vous dire

tout d'abord qu'il n'a pas existé et qu'il n'existe pas d'autre Spinoza que la collection des œuvres de ce philosophe. Le Panthéiste : Ceci est une mauvaise plaisanterie. Nous savons bien que ce sont des hommes qui font les livres et que les in-folio ne gravitent d'eux-mêmes dans l'espace, mais il en est autrement pour les mondes, la loi fatale du mouvement équilibre les produit et peut les détruire dans les révolutions nécessaires de l'univers éternel. Eliphas Levi : Ainsi notre univers est fatal, il est par conséquent aveugle et sourd comme la fatalité. Comment donc peut-il nous donner l'intelligence qu'il n'a pas ? Le Panthéiste : L'univers est intelligent et c'est pour cela que je l'appelle Dieu. Eliphas Levi : Croyez-vous que dans l'homme ce soit le corps qui produise le phénomène de la pensée ? Le Panthéiste : Je sens la pensée dans ma tête et je sais qu'elle se produit dans mon cerveau. Eliphas Levi : Oui, comme la musique sur un violon. Le Panthéiste : Oh, doucement, vous voulez dire que notre âme joue du cerveau, comme d'un instrument, mais cet instrument tout le monde en joue, et les anatomistes seuls en connaissent le mécanisme. L'enfant qui commence à penser ne sait pas même qu'il a un cerveau et ne songe pas à en utiliser les fibres et les replis. Le cerveau fonctionne donc de lui-même sous la double impulsion de la nature et de la vie. Eliphas Levi : Le bons sens le plus vulgaire nous assure pourtant que notre cerveau est quelque chose, mais que ce n'est pas quelqu'un. C'est quelque chose, dont quelqu'un a déterminé la forme et l'usage, et s'il existe des instruments qui paraissent jouer tout seuls, ces instruments n'en révèlent pas moins l'existence d'un mécanicien habile et d'une musique que l'instrument n'invente pas. Le Panthéiste : Je le veux comme vous, mais pour moi le grand mécanicien et le musicien des harmonies de la nature c'est l'univers, l'éternel univers qui est par sa propre nécessité d'être, et qui est infini et qui par conséquent ne laisse pas de place hors de lui à un autre infini, à qui vous attribueriez les fonctions inutiles du Créateur. Le mont création d'ailleurs, est une absurdité, si l'on suppose que de rien il puisse sortir quelque chose; la substance est une, infinie, éternelle; les créations successives et spontanées ne sont que des manifestations d'apparences, ce sont des combinaisons physiques, toutes les sciences naturelles tendent aujourd'hui à le démontrer; vous êtes vous-mêmes contraints

de l'admettre, et vous ne croyez plus au dieu despotique et capricieux du moyen âge, au dieu ennemi de la nature, au dieu des vengeances et des miracles. Vous considérez Dieu comme l'âme de l'univers, âme distincte du corps, ditesvous, mais pourtant inséparable ajouterai-je, puisque Dieu ne peut pas mourir. Sans le phénomène de la mort qui laisse le corps inerte et glacé, l'homme serait indivisible et l'on ne distinguerait pas son âme de son corps. Ce n'est pas, en effet, l'âme seule qui vit, c'est l'homme tout entier et la pensée est la lumière de la vie. Ne distinguons donc pas, l'âme de l'univers de l'univers lui-même; l'univers est le grand tout, intelligent et visible. Lorsqu'il pense on l'appelle l'esprit, lorsqu'il prend une forme il est matière, mais la matière et l'esprit ne sont pas deux êtres, ce sont deux modes de l'existence. La substance éternelle et infinie est génératrice de la pensée et de la forme, non pas hors d'elle-même, où il n'y a rien, mais en elle-même et par elle-même, c'est cela que nous appelons Dieu. Eliphas Levi : Je vous ai laissé parler et je pense comme vous sur plusieurs points, mais je n'admettrai jamais que Dieu soit l'univers, parce que cela me rejetterait dans l'idolâtrie des siècles ignorants où l'on adorait le soleil et la lune; tout est de Dieu, certainement, mais tout n'est pas Dieu et la liberté humaine ne doit pas se laisser absorber par la grande fatalité divine que vous semblez admettre. Si tout était Dieu, l'homme ne serait responsable de rien et la morale serait une chimère. Quelle idée alors nous donneraient de la sagesse divine, les erreurs et les sottises humaines ! Dieu serait ridicule quand nous serions absurdes. Dieu lui-même serait l'auteur du mal et se nierait ainsi lui-même ou, plutôt, le mot dieu n'aurait plus de sens raisonnable; laissons au Dieu Pan des anciens ses flûtes et ses cornes. Quand Jésus mourant sur la croix eut proclamé l'inviolabilité de la conscience humaine et la liberté de la foi confirmée par le droit au martyr, un pilote mystérieux nommé Thamus, cria aux îles de la mer que le grand Pan était mort et l'on entendit des voix confuses qui pleuraient le géant de la mythologie antique. Dieu, dans l'humanité, venait de triompher de la fatalité et de la mort et l'humanité devenait divine, non plus par usurpation sacrilège ou par confusion des natures, mais par une sublime alliance. Le Panthéiste : Arrêtez et ne prolongez pas ces phrases de sermon; libre à vous de vanter encore le Christianisme, mais c'est lui, maintenant qui est mort et le grand Pan est ressuscité. Le Christianisme a été une maladie de l'esprit humain et peu s'en est fallu que notre pauvre terre ne devint un habitacle de fous; la démence de la foi aveugle mise au-dessus de la science et de la raison, la douleur préférée au plaisir, la

misère à la richesse, le célibat contre nature tarissant les sources de la fécondité, le fanatisme féroce s'imposant par le fer et par le feu, l'autocratie des prêtres, l'abrutissement des hommes, la misère des peuples, voilà le Christianisme. Il est jugé par ses propres œuvres. Eliphas Levi : Ainsi, selon vous, on a bien fait de crucifier Jésus-Christ, et si Néron eût réussi à extirper le Christianisme, il eut été le vrai sauveur du monde ? Le Panthéiste : Rien ne prouve l'existence historique de Jésus-Christ, le christianisme est un courant d'idées qui ne venait pas d'un seul homme et vous même avez affirmé et prouvé que le Christ des Évangiles est une figure symbolique de l'homme affranchi des servitudes légales et se sacrifiant librement au triomphe de la vérité et de la justice, suivant le mythe sacré, son supplice était nécessaire au salut du monde et ceux qui l'ont crucifié ont été les exécuteurs de la haute justice de Dieu. Pour ce qui est de Néron et des autres persécuteurs, ils sont universellement condamnés par la conscience humaine, la vérité ne doit pas s'imposer par la crainte, elle doit se prouver par la raison, même les païens, les juifs et les chrétiens ont tous été également fanatiques et, de victimes qu'ils étaient d'abord, ils sont devenus bourreaux dès qu'ils ont pu l'être avec impunité. Néron n'est pas plus affreux que St-Dominique, Torquemada vaut Domitien et il y a encore des gens qui regrettent les dragonnades; vous savez, d'ailleurs, la maxime célèbre attribuée au roi Louis-Philippe : la responsabilité n'est quelque chose que quand on ne réussit pas. Eliphas Levi : J'accepte cette maxime. Qu'est-ce en effet, qu'une chose réussie ? C'est une chose bien faite. Bien faire, c'est réussir, et celui qui ne réussit pas est plus ou moins responsable de sa maladresse. Les choses, en effet, sont tellement ordonnées par la sagesse suprême que le mal ne saurait avoir un succès réel et durable, et que le bien, malgré tous les retards et tous les obstacles, arrive toujours à son but. Vous me parlez du mal qui s'est produit à propos du Christianisme. Ce mal est en partie passé et ce qui en reste passera. Mais le bien est resté et restera. Ce n'est pas au nom de Torquemada, mais au nom de Vincent de Paul que les sœurs de la Charité prennent soin des pauvres orphelins, Alexandre VI n'a jamais publié de constitution apostolique justifiant l'empoisonnement et l'inceste. La religion est sainte, vous dis-je, ce sont les hommes qui sont mauvais. Le Panthéiste : Non Monsieur, les hommes ne sont pas mauvais; en parlant ainsi, vous calomniez votre mère, la sainte et divine nature, mais vous vous ressentez et vous vous ressentirez toujours de votre déplorable éducation cléricale. Savez-vous ce qui rendait Alexandre VI mauvais ? C'est qu'il se croyait le vicaire et le représentant d'un Dieu qui brûle éternellement ses

ennemis, or, les ennemis du Pape, aux yeux du Pape, ne sont-ils pas les ennemis de Dieu ? Le poison des Borgia était une peine bien douce comparée aux supplices de l'enfer, et qui sait si cet indulgent vicaire de J.C. n'attachait pas des pardons pour l'autre monde à ses flacons de vin de Syracuse. On dit qu'il empoisonnait les hosties; c'était une manière de les indulgencier pour la bonne mort, n'était-il pas le maître des maîtres, et le roi des rois ? N'était-il pas infaillible ? Ce qui veut dire impeccable. Ah, ne nous parlez pas de vos pernicieuses croyances; elles conduisent à l'apothéose d'un nouveau Néron, pourvu qu'au lieu de la couronne des Césars il ait porté la tiare des pontifes; n'avez-vous pas canonisé le hideux et sanglant Ghisleri ? Votre Veuillot ne verse t-il pas encore des larmes de crocodile sur l'abolition des auto-da-fé ? Oh, si ces gens-là ressaisissaient un instant le pouvoir, comme ils nous rejetteraient tous avec nos enfants et nos femmes sous les roues du char vermoulu qui traîne encore leur impitoyable Jaggrenat. Ne vous dites plus catholique, vous qui êtes un libre penseur, ou prenez garde que la sainte inquisition de Rome ne vous demande compte de vous œuvres. Sortez de ce Vatican, d'où les dieux sont partis depuis longtemps, d'ou les rats mêmes commencent à s'enfuir et sur lequel planent, depuis la victoire de Mentana, des nuées de corbeaux et de vautours. Eliphas Levi : Halte-là. Monsieur, s'il y a des corbeaux au Vatican, il y a aussi des aigles. C'est la France qui tient Rome et Rome, tôt ou tard, devra compter avec la France, qui marche comme vous le savez, à la tête de la civilisation et du progrès. Suivant les sectateurs du sieur Veuillot, que je vous abandonne, le Pape serait la réaction et la (compression) divinisées, mais il n'en sera pas ainsi, le pape sera ou ne sera pas; je crois qu'il doit-être et qu'il ne peut être que l'Évangile couronné. Le Panthéiste : Vous en êtes encore là et vous ne croyez pas que l'Évangile est dépassé depuis longtemps par le bon sens et par la science. Il y a de bonnes choses dans l'Évangile, je le sais, c'est le bon grain mêlé à l'ivraie, mails il y a aussi des enseignements barbares et des doctrines déplorables : ainsi pardonner à ses ennemis afin que Dieu les punisse davantage, de ne pas résister au mal, haïr son père et sa mère, se haïr soi-même, ce qui donne un sens étrange au précepte d'aimer le prochain comme soi-même, encourager la paresse par l'aumône et l'injustice par l'abandon volontaire de tout ce qu'on veut vous dérober, préférer l'isolement stérile à la vie de famille, haïr le monde et se faire haïr de lui; or, le monde dans le sens de l'Évangile, c'est la société des hommes. Tuer devant le roi, c'est-à-dire devant Dieu ceux qui ne veulent pas que sont fils, c'est-à-dire Jésus-Christ, représenté par le Pape, règne sur eux, adjurer sa raison, briser ses affections, adorer l'humiliation et la douleur, voilà le fond de ces Évangiles tant vantés; le reste, c'est-à-dire les préceptes vraiment

moraux, appartient à la philosophie de tous les siècles. Voilà le fond de la religion chrétienne. Eh bien, en vérité, un homme raisonnable ne peut plus, ni défendre publiquement, ni admettre en secret une pareille religion. Le catholicisme n'est plus une Église, c'est une secte et la plus hideuse de toutes les sectes. Le protestantisme lui-même n'a plus de raison d'être, et il va se dissolvant tous les jours dans le panthéisme qui est la seule religion universelle et véritable. Eliphas Levi : Fort bien, alors tout est Dieu, je suis Dieu, vous êtes Dieu, la bêtise est Dieu, le crime est Dieu, mais il s'ensuit même selon vous que Veuillot est Dieu, que le cléricalisme est Dieu, et que le Pape est Dieu. Le Panthéiste : Point de plaisanterie indigne de vous, Dieu est l'affirmation et non la négation de toutes choses, il est ce qu'il est et non ce qui prétend être, il est la vérité et non le mensonge, n'avez-vous pas dit vous-même que le mal n'a pas d'existence réelle ? Eliphas Levi : Dans l'absolu, sans doute, mais il a dans le relatif une existence trop réelle puisqu'il agit contre le bien. Or cette action selon vous vient-elle de Dieu ? Le Panthéiste : Oui, comme votre ombre vient de votre corps et comme les maladies viennent de la santé. Eliphas Levi : Alors votre Dieu est malade quand les hommes font le mal et lorsqu'ils disent des mensonges, c'est l'esprit de Dieu qui leur prête son ombre. Le Panthéiste : Il faut de l'ombre à la lumière pour produire des formes visibles et ce que vous appelez le mal est nécessaire au triomphe du bien. Dieu se fait ombre pour manifester sa lumière et il ne se montre comme lumière que pour justifier son ombre voilà ce que veut dire votre mystère de la rédemption, voilà la raison d'être du diable qui est le masque d'ombre du visage splendide de Dieu, voilà l'équilibre du ciel et de l'enfer, voilà le Satan du livre de Job recevant de Dieu même la mission de tourmenter un juste, voilà pourquoi vos symboles racontent que Jésus-Christ est descendu aux enfers. Eliphas Levi : Mais alors il n'y a plus de coupables. Tous les hommes sont innocents, les anges des ténèbres sont les serviteurs du masque divin, la pénalité est une injustice, la morale est un piège tendu aux faibles pour en faire les esclaves des forts, les méchants sont les plus puissants auxiliaires de la vertu et le juste leur doit ses couronnes. Ne sentez-vous pas Monsieur, qu'une doctrine si monstrueuse est subversive de tout ordre et que, par conséquent elle est contraire à toute vérité, car l'ordre est à la vérité comme le désordre est au mensonge.

Le Panthéiste : Ce que vous dites tient à votre système d'occultisme, mais au fond vous pensez comme moi. Eliphas Levi : Je proteste du contraire. Je crois en Dieu, cause de tout et je ne confonds pas la cause avec l'effet. Je crois à la liberté de l'homme et par conséquent à sa moralité. Je vous accorde tout le reste.

Quatrième Dialogue : Un Israélite - Eliphas Levi L'Israélite : J'ai entendu votre conversation avec cet athée et je vois avec plaisir que vous faites bon marché des erreurs du Christianisme. Eliphas Levi : Oui sans doute, mais c'est pour en défendre les vérités avec plus d'énergie. L'Israélite : Quelles sont les vérités du Christianisme ? Eliphas Levi : Les mêmes que celles de la religion de Moïse, plus les sacrements efficaces avec la foi, l'espérance et la charité. L'Israélite : Plus aussi l'idolâtrie, c'est-à-dire le culte qui est dû à Dieu seul, rendu à un homme et même à un morceau de pain. Le prêtre mis à la place de Dieu même, et condamnant à l'enfer les Israélites, c'est-à-dire les seuls adorateurs du vrai Dieu et les héritiers de sa promesse. Eliphas Levi : Non, enfants de vos pères nous ne mettons rien à la place de Dieu même. Comme vous, nous croyons que sa divinité est unique, immuable, spirituelle et nous ne confondons pas Dieu avec ses créatures. Nous adorons Dieu dans l'humanité de Jésus-Christ et non cette humanité à la place de Dieu. Il y a entre vous et nous un malentendu qui dure depuis des siècles et qui a fait couler bien du sang et bien des larmes. Les prétendus chrétiens qui vous ont persécutés étaient des fanatiques et des impies indignes de l'esprit de ce Jésus qui a pardonné en mourant à ceux qui le crucifiaient et qui a dit : Pardonnez-leur mon Père, car ils ne savent ce qu'ils font. Notre dogme d'ailleurs ne commence pas à Jésus-Christ, il est contenu tout entier dans les mystères de la kabbale, dont la tradition remonte jusqu'au Patriarche Abraham. Notre homme-Dieu, c'est le type humain et divin du Zohar réalisé dans un homme vivant. Notre verbe incarné appelé logos par Platon et par St-Jean l'évangéliste, ce qui veut dire, raison manifestée par la parole, s'appelle chocmah dans la doctrine des Séphiroths. L'Israélite : Je vous arrête ici et je vous déclare que chez nous la kabbale ne fait pas autorité. Nous ne la reconnaissons plus, parce qu'elle a été profanée et

défigurée par les samaritains et les gnostiques orientaux. Maïmonides, l'une des plus grandes lumières de la synagogue, regarde la kabbale comme inutile et dangereuse; il ne veut pas qu'on s'en occupe et veut que l'on s'en tienne au symbole dont il a lui-même formulé les treize articles, du Sepher Torah, aux prophètes et au Talmud. Eliphas Levi : Oui, mais le Sepher Torah, les prophètes et le Talmud sont inintelligibles sans la kabbale. Je dirai plus : ces livres sacrés sont la kabbale elle-même, écrite en hiéroglyphes hiératiques, c'est-à-dire en images allégoriques. L'écriture est un livre fermé sans la tradition qui l'explique et la tradition c'est la kabbale. L'Israélite : Voilà ce que je nie, la tradition, c'est le Talmud. Eliphas Levi : Dites que le Talmud est le voile de la tradition, la tradition c'est le Zohar. L'Israélite : Pourriez-vous le prouver ? Eliphas Levi : Oui, si vous voulez avoir la patience de m'entendre, car il faudrait raisonner longtemps, citer et comparer des auteurs, apprécier ce qu'en ont dit M. Franck et M. Drach, deux savants hébraïsants qui ne sont pas d'accord, expliquer la genèse et Ezéchiel, chercher dans ce dernier la clé de l'apocalypse de St-Jean, analyser la Mishna et voir en quoi elle diffère essentiellement des deux ghémarah, appliquer aux sept premiers chapitres de la Genèse les clés alphabétiques et immuables du Sepher Jezirah, revenir au livre dogmatique du Zohar, étudier à fond la Siplora Dzenionta avec les explications du grand et du petit Synode. Tout cela prends du temps que je vous consacrerais volontiers si j'espérais vous êtres utile, et demanderait une attention longue et soutenue que vous ne m'accorderiez certainement pas. L'Israélite : Pourquoi ? Eliphas Levi : Parce que je ne suis pas un rabbin, ni même un Israélite, du moins à ce que vous croyez. L'Israélite : A ce que je crois ! Oh, permettez, j'en suis bien sûr. Eliphas Levi : Vous voyez bien qu'il est inutile que je vous parle plus longtemps, car vous ne m'écouteriez avec une défiance qui s'augmenterait avec la force même de mes raisons. Vous êtes encore trop Juif, venez me voir quand vous douterez de votre religion et je vous montrerai la nôtre. Cinquième Dialogue : Un Protestant - Eliphas Levi Le Protestant : Monsieur, vous avez écrit ceci dans un de vos livres : Je suis plus

catholique que le Pape, plus protestant que Luther. Quel peut-être le sens de ces étranges paroles ? Eliphas Levi : Cela veut dire que je regarde comme admissibles à la communion universelle tous ceux que le Pape excommunie et que je proteste contre les fantaisies dogmatiques de votre maître, Martin Luther. Le Protestant : Vous prétendriez alors fonder une secte nouvelle. Eliphas Levi : Au contraire, je voudrais fondre toutes les sectes dans une fraternelle unité. Le Protestant : Pouvez-vous croire que le Pape vous approuvera jamais ? Eliphas Levi : Le Pape ne m'a pas encore blâme. Le Protestant : Et s'il vous blâmait ? Eliphas Levi : J'ai d'avance approuvé son blâme. Le Protestant : Alors vous vous moquez de lui et de nous. Eliphas Levi : Je ne me moque de personne. L'Église romaine a déclaré que la raison est inséparable de la foi qu'on peut et qu'on doit amener les hommes à la foi par la raison et je ne dis pas autre chose, ce n'est donc pas le fond de ma doctrine que le Pape pourrait blâmer, mais seulement quelques révélations des mystères de l'occultisme qu'il pourrait trouver dangereuses ou intempestives. Le Protestant : Il aurait certes bien raison, pourquoi mêlez-vous sans cesse la religion et les sciences occultes ? Vous annoncez des livres de magie et vous faites des livres de religion. Que peuvent avoir de commun la Bible et le grimoire ? Eliphas Levi : Le grimoire se compose d'invocations et de prières, il suppose un dogme et contient un rituel; les sciences occultes ont pour point de départ une théologie secrète qui est la kabbale, elles initient aux mystères d'une thaumaturgie cérémonielle, analogue aux sacrements de l'Église, vous voyez donc bien qu'on ne peut enseigner les sciences occultes, sans parler beaucoup de religion. Le Protestant : Mais parmi toutes les religions pourquoi choisissez-vous et proclamez-vous la meilleure, celle qui condamne le plus énergiquement la magie. Eliphas Levi : Parce que c'est la seule qui soit incontestablement dogmatique et réellement thaumaturgique, parce que la religion romaine, c'est la magie

hiérarchiquement constituée qui réprouve et doit réprouver les sorciers comme des concurrents sans diplôme, parce que les prêtres catholiques sont seuls de véritables enchanteurs, évoquant Dieu même, et le forçant à descendre sur leurs autels rendant l'innocence aux coupables, effaçant d'un mot les sentences de mort éternelle, ouvrant et fermant à leur gré le ciel, disposant de l'éternité. Trouvez-moi des magiciens plus puissants que ceux-là et j'irai leur soumettre mes recherches et ma science. Le Protestant : Ces choses que vous admirez dans l'Église catholique sont précisément celles qui nous la rendent abominables; ses prêtres ne sont pour nous que les enchanteurs de Pharaon et plutôt que d'habiter avec eux, nous aimons mieux souffrir avec Israël dans le désert. Eliphas Levi : Avez-vous la baguette de Moïse ? Je crains bien qu'un beau jour vous ne vous trouviez sans Dieu et que, par lassitude d'une religion sans efficacité, vous ne dansiez comme tant d'autres autour du veau d'or. Voyez où en est l'Angleterre, elle s'ennuie mortellement au milieu de ses richesses et le paupérisme la ronge, l'Allemagne a beau s'étendre, elle ne convertira jamais l'univers entier au culte de la choucroute et de la bière; sa philosophie nébuleuse, en passant par Kant et par Hegel, est arrivée à une désespérante obscurité. Partout, dans les pays protestants, la vie est âmes se ralentit et tous les soins de l'homme se reportent aux choses purement temporelles. Bien boire, bien manger, c'est quelque chose certainement, mais l'homme ne vit pas seulement de pain comme l'a si bien dit notre grand maître. Le Protestant : N'avons-nous pas la Bible et l'Évangile ? Eliphas Levi : Oui, vous les avez et vous les faites traduire dans toutes les langues pour faire lire à des sauvages, ce que les plus savants d'entre vous, comprennent mal ou ne comprennent pas du tout. La Bible ! Cette Babel de l'antiquité orientale, ce livre sur lequel ont pâli les érudits de tant de siècles, cette encyclopédie ténébreuse qu'un de nos grands poètes appelle avec raison une mer terrible, toute semée d'écueils. Voilà ce que vous mettez entre les mains des ignorants et des idiots, en leur disant : tiens voilà la parole de Dieu, c'est à toi de comprendre, de juger et de te faire une règle de conscience ! Aussi que d'interprétations diverses et plus absurdes les unes que les autres ! Le protestantisme est comme une grande maison d'aliénés, pleine de cabanons qu'on appelle des sectes, les uns sont des trembleurs, les autres sont des danseurs, plusieurs sont épileptiques, d'autres sont immobiles est taciturnes, et pourtant c'est au nom de la raison que vous faites appel au libre examen. Mais qu'est-ce que la liberté sans lois, n'est-ce pas la même chose que la raison sans autorité, cette rivale impuissante de l'autorité sans raison ? Le Protestant : Puisque Dieu a parlé dans la Bible, il doit vouloir être compris et

nous inspirer lui-même le véritable sens de ses paroles. Eliphas Levi : Si Dieu est tenu de vous inspirer, vous n'avez plus besoin de la Bible. Vous êtes tous des prophètes et vos rêves sont toute la loi. Le Protestant : Mais si je ne me trompe, vous-même interprétez la Bible autrement que les docteurs catholiques. Eliphas Levi : La Bible a un sens caché dont la science traditionnelle chez les Hébreux se nomma la kabbale. Cette science était connue de l'apôtre St-Jean et des pères les plus savants de la primitive Église, je ne l'ai pas inventé et je n'enseigne rien qui vienne de moi, c'est ce qui fait ma force et ma confiance, c'est ce qui me donne le droit d'en appeler des catholiques mal éclairés aux catholiques mieux instruits. Me prouverez-vous que j'ai tort ? Le Protestant : Non, parce que je ne puis vous suivre dans vos recherches, mais je garderai mes convictions. Eliphas Levi : Je ne prétends pas vous les ôter, la controverse ne convertit jamais personne, on s'affermit dans les idées qu'on veut défendre et on s'y obstine davantage à mesure que l'attaque est plus vive, les convictions s'affermissent ou changent d'elles-mêmes, à mesure que la raison grandit et que la lumière se fait. Le Protestant : Je désire qu'elle se fasse pour vous. Eliphas Levi : Je vous rends le même souhait.

Sixième Dialogue : Un Médecin - Eliphas Levi Le Médecin : Voulez-vous permettre que je vous tâte le pouls ? Eliphas Levi : Trouvez-vous que je sente la fièvre ? Le Médecin : Oh, je ne veux pas vous comparer à Basile, bien que vous ne puissiez vous empêcher de travailler un peu pour lui. Eliphas Levi : Et comment cela je vous prie ? Le Médecin : Oh, vous le savez bien, vous qui êtes un libre penseur et vous voulez que les dogmes absurdes soient respectés pour la plus grande joie de Basile. Eliphas Levi : Je ne pense pas que Basile soit grand partisan des dogmes expliqués par la philosophie.

Le Médecin : Et Basile a raison, car un dogme expliqué est un dogme mort, on n'étudie l'anatomie que sur les cadavres, on ne dissèque pas les vivants. Eliphas Levi : Votre comparaison cloche docteur, car les dogmes sont de l'esprit et l'esprit ne saurait mourir pour être disséqué comme les corps. Trouver le mot de l'énigme ce n'est pas en supprimer le texte souvent ingénieux. Est-ce donc détruire que d'éclairer ? Le Médecin : Quand le sphinx est deviné, le sphinx est mort; introduire une lumière dans une lanterne de papier brouillard, c'est mettre le feu à la lanterne. Un mystère expliqué n'est plus un mystère, la foi, c'est le rêve de l'ignorance; quand la science vient, l'esprit s'éveille et le rêve n'excite plus; rêver tout éveillé, c'est être fou et c'est là que vous voulez nous conduire; or, comme il me semble que vous êtes de très bonne foi, je doute de votre santé et je viens tâter le pouls. Eliphas Levi : Docteur, croyez-vous à la médecine ? Le Médecin : Non, certes, je n'y crois pas, je l'ai étudié et j'ai la prétention de la connaître. Eliphas Levi : Et les aphorismes de cette science ne vous semblent jamais douteux ? Le Médecin : Jamais quand la vérité m'en est démontrée. Eliphas Levi : Rejetez-vous tout ce qui n'est pas démontré ? Le Médecin : Non, je l'étudie, mais je ne crois rien avant de savoir. Eliphas Levi : Mais quand on sait on ne croit plus, donc vous n'avez jamais rien cru, vous ne croyez rien et vous ne croirez jamais rien; si cela est vrai, je vous plains, docteur, car vous n'aimerez jamais, et vous n'avez jamais aimé. Le Médecin : Oh ! Point de sentimentalisme mystique, j'ai aimé ma mère parce que je savais ce qu'elle était pour moi, j'aime ma femme et mes enfants parce que je sais ... Eliphas Levi : Oui, vous savez et vous saviez tout cela, mais rien de tout cela ne vous était démontré, et ne peut vous être démontré encore. N'aviez-vous pas pu être changé en nourrice ? Votre femme et vos enfants ... vous croyez et vous avez raison de croire à la fidélité de l'une et à la légitimité des autres, mais tout cela, docteur, ce n'est pas de la science, c'est de la foi. Le Médecin : C'est une foi tellement raisonnable.

Eliphas Levi : Ah, voilà le mot que je voulais vous faire dire, foi raisonnable ! C'est le mot de St-Paul, et c'est aussi le mien, je ne demande pas autre chose. Le Médecin : Oh, ne confondons pas, moi je parle de la foi humaine et naturelle qui est essentiellement raisonnable, vous au contraire vous parlez de la foi religieuse et surnaturelle, nécessairement absurde parce qu'elle suppose une révélation de l'infini au fini par le moyen du mystère éternellement incompréhensible, dont il faut adorer la formule sans en chercher le véritable sens, ce qui équivaut à dire que Dieu défend aux hommes la raison et leur impose la démence. Qu'est-ce qu'un fou en effet ? C'est un homme qui croit aux hallucinations de son cerveau plus qu'au bon sens de tout le monde, c'est un croyant extravagant et entêté qui agit d'après ce qu'il imagine et non en conséquence de ce qu'il voit; je vous défie de ne pas reconnaître dans ce portrait les prétendus saints de votre Église catholique. Eliphas Levi : Je voudrais être fou comme St-Vincent de Paul. Le Médecin : Oh, pour celui là ! Vous savez ce qu'on en a dit avec beaucoup de finesse : c'était un brave homme, à qui l'on a fait bien du tort en le canonisant. Eliphas Levi : Vous êtes intraitable, mais essayons d'un autre raisonnement : admettez-vous que le sentiment religieux existe chez les hommes et qu'il soit un fait psychologique avec lequel la science doit compter ? Le Médecin : Oui, je reconnais, l'existence de cette maladie chez un grand nombre d'hommes et je suis en mesure de vous prouver qu'elle a tous les caractères de l'aliénation mentale. Elle a pour cause le dégoût des réalités et l'aspiration mélancolique à des chimères, une ambition démesurée et une outrecuidance qui font croire à l'homme qu'il peut s'approprier l'éternité et l'immensité, domaines d'un Dieu que l'homme se représente comme sa propre image agrandie et remplissant le ciel de ses proportions colossales. L'homme atteint, de ce mal, prend les moyens les plus directement opposés à la fin qu'il se propose, il veut être immortel et se fait mourir tous les jours; il veut être l'objet des prédilections de Dieu et se rend haïssable et insupportable aux hommes, même les plus imparfaits. Il blâme, gêne et tourmente les autres sous prétexte de les aimer; au fond il n'aime que ses croyances, il n'admet pas qu'on les discute, la contradiction sur ce sujet le rend furieux, il fuit ceux qui voudraient le désabuser et les prend en horreur comme les aliénés font pour les médecins.

Eliphas Levi : Avez-vous tout dit ? Ne me parlerez-vous pas un peu aussi des meurtres commis sous prétexte de la religion, des autodafés et de la StBarthélémy ? Je sais tout cela aussi bien que vous, vous affectez comme le font toujours les adversaires des croyants, de confondre la religion avec la superstition et le fanatisme que tous les honnêtes gens ont en horreur. Le Médecin : La superstition et le fanatisme sont l'absolu en religion, les croyants raisonnables sont des tièdes, l'homme qui suit les lumières du bon sens agit comme un philosophe et non pas comme un dévot, un dogme absurde exige un culte insensé, parlez-moi des stylites, des encuirassés, des silentiaires, des vanu-pieds, des meurt de faim, de St-Cucufun, de St-Labres voilà les vrais croyants. Les autres sont des raisonneurs. Et ne me dites pas que vous m'abandonnerez ces gens-là, ce sont les préférés de votre Église qui a toujours prêché et prêche encore la sainte folie de la croix. Eliphas Levi : C'était des hommes d'un autre siècle, les temps changent et les mœurs aussi. Le Médecin : Les dogmes seuls sont immuables. Telle est du moins la prétention des croyants, mais ils changent toujours en sens inverse des idées et des mœurs. Eliphas Levi : Qu'entendez-vous par là ? Le Médecin : J'entends que les dogmes, pour s'immobiliser, se matérialisent toujours de plus en plus à mesure que le progrès des sciences tendrait à les expliquer, en les spiritualisant davantage. La théologie officielle est la science d'embaumer les croyances mortes et de changer en momies les symboles jadis vivants. Eliphas Levi : Vous avez tort de dire embaumer, votre expression me rappelle les parfums de Rome de ce très odorant M. Veuillot, si vous avez lu mes livres vous devez savoir que je pense comme vous sur le pharisaïsme ancien et moderne, sur la fausse théologie et cetera, mais tout cela n'est pas la véritable religion. Le Médecin : C'est comme si vous disiez que rien de ce qui se fait, se combine et se prépare dans tous les cabinets de l'Europe, n'est la véritable politique. Eliphas Levi : Il ne faudrait pas trop me défier de le dire. Le Médecin : Alors c'est entendu, il n'y a de politique que celle que vous rêvez, il n'y a de religion que votre mysticisme personnel, vous broyez du bleu pour enluminer les nuages qui ne vous paraissent pas d'une bonne couleur. Tenez, je regrette de vous avoir tant fait parler, cela vous échauffe et ne vous vaut rien; laissez un peu dormir votre fatras de sciences occultes, ne restez pas seul, prenez de l'exercice, mettez-vous à un régime rafraîchissant et surtout ne fumez

pas trop. Eliphas Levi : (en riant) Merci de votre ordonnance docteur, je crois que vos conseils sont bons et je voudrais vous faire à mon tour quelque prescriptions hygiéniques. Malheureusement, je vous regarde comme incurable. Le Médecin : Pourquoi ? Eliphas Levi : Parce que vous n'êtes pas malade. Le Médecin : Ainsi vous me donnez gain de cause et je vous ai converti. Eliphas Levi : Ah, pas le moins du monde, vous n'êtes pas malade mais il vous manque un sens, vous voyez très bien, mais vous ne voyez que d'un œil, tout cela au moral, bien entendu. Le Médecin : L'œil qui me manque serait-il par hasard celui que Victor Considérant voulait mettre au bout d'une queue ? Eliphas Levi : Peut-être bien, docteur ; et puisque vous plaisantez notre discussion est finie.

Septième Dialogue : Un Savant - Eliphas Levi Le Savant : J'accepte vos théories religieuses qui sont à peu près celles de MM. Emile Burnouf et Vacherot; je ne confonds pas l'exaltation religieuse qui produit le fanatisme avec le sentiment religieux qui peut parfaitement s'accorder avec la science et avec la raison, je trouve comme vous qu'il y a dans le mot catholicité une promesse d'avenir qui veut dire synthèse et solidarité universelles mais il me paraît évident que cette grande et dernière transformation religieuse ne pourra s'accomplir qu'en dehors du catholicisme officiel comme le christianisme n'a pu se manifester et triompher qu'en dehors de la synagogue. Eliphas Levi : Si la synthèse est vraiment catholique, c'est-à-dire universelle, elle n'exclura ni l'Église officielle ni la synagogue, elle devra au contraire les réunir et les réconcilier. Les divisions et les subdivisions religieuses ont été les résultats de l'esprit d'analyse nécessaire à la critique, l'esprit de synthèse au contraire a pour tendance de tout réunir et de tout coordonner. Après avoir critiqué, l'esprit humain jugera et le jugement définitif débarrassera le ciel symbolique de ses nuages, l'humanité formulera son dogme, elle dira : " Ceux qui m'ont nourrie quand j'avais faim, secourue quand j'étais souffrante, ceux-là sont les bénis de mon Père, ceux au contraire qui m'ont opprimée et rendue misérable, sont les maudits. C'est alors que les publicains et les meretrices entreront avant les pharisiens dans le royaume de Dieu et qu'on appréciera à leur juste valeur les mérites des vivants et ceux des morts; il existera alors une morale certaine et

invariable et la politique cessera d'être la science du mensonge, les droits seront prouvés et balancés par les devoirs, soit entre les nations soit entre les hommes, cela doit être et par conséquent sera certainement. Le Savant : J'aime votre manière aussi ingénieuse qu'hétérodoxe d'expliquer la parabole prophétique du jugement dernier, mais si je dois vous l'avouer, j'espère assez peu que les hommes n'en viennent jamais à cet accord définitif, si cela devait jamais être, cela serait depuis longtemps; les lumières n'ont pas manqué pour cela, ni les exhortations des grands hommes, mais les passions rivales et l'antagonisme des intérêts ont empêché, empêchent encore et empêcheront toujours les hommes de s'accorder. Eliphas Levi : Je ne prétends pas que la grande synthèse religieuse et sociale une fois proclamée et reconnue, tous les hommes deviendront parfaits; je ne pense même pas qu'il se rendront tous à l'évidence de cette grande lumière, il y a eu encore dans le monde et même chez les Hébreux des idolâtres après la révélation de Moïse; la loi chrétienne est promulguée depuis dix neuf siècles bientôt et la charité ne règne pas encore sur la terre parce que ce mot divin, qui charme les cœurs n'a pas encore reçu une explication suffisante; c'est par la solidarité que la charité s'explique, or, la solidarité, c'est le socialisme dernier mot du Christianisme, c'est la propriété de chacun pour tous et de tous pour chacun. Alors on ne définira plus la propriété le droit d'user et d'abuser et l'on flétrira, devant la raison et devant la morale, cette conception monstrueuse du droit à l'abus. Cette révolution s'accomplira, vous dis-je, car elle est déjà faite dans le monde de l'intelligence et du progrès qui est aussi celui de la science et de la foi. Le Savant : Il y a du bon et du vrai dans ce que vous dites, mais peut-être accordez-vous trop à la foi et pas assez à la science, la science n'accepte pas les miracles que vous attribuez au magnétisme ou à la magie, elle n'admet pas vos prétendues sciences occultes, les prodiges pour elle n'existent pas, elle ne suppose pas que rien se fasse en dehors des lois de la nature. Eliphas Levi : Je ne le suppose pas non plus, mais je ne vois pas que toutes les lois de la nature nous soient connues, ni que celles mêmes qui nous sont connues aient été encore suffisamment étudiées, surtout dans leurs applications exceptionnelles, tant que des faits certains et incontestables n'auront pas été expliqués, la science n'aura pas dit son dernier mot. Le Savant : Il n'y a de certains et d'incontestables que les faits scientifiques. Eliphas Levi : Qu'appelez-vous ainsi ? Le Savant : J'appelle ainsi les faits qui se produisent et doivent se produire en raison de certaines lois déterminés par la science. Eliphas Levi : Ainsi selon vous les phénomènes électriques n'étaient pas des

faits certains et incontestables, avant que la science eût reconnu l'existence de l'électricité ? Le Savant : Non, sans doute, car ils n'appartenaient pas encore à la science qui seule donne la certitude; on devait les étudier avec prudence, mais on n'avait pas le droit de les affirmer positivement. Eliphas Levi : Et bien, accordez-moi ceci pour les sciences occultes qu'on doive les étudier avec prudence, car je doute comme vous qu'elles puissent jamais s'affirmer positivement; les sciences occultes sont une religion et la religion ne doit jamais se confondre avec la philosophie. Le Savant : Dites alors que vous êtes un mystique et ne prenez pas le titre de savant. Eliphas Levi : C'est un titre qu'on m'a donné quelquefois, mais je ne l'ai jamais pris et je n'y prétends pas encore, je suis raisonnable et c'est une qualité qui s'accorde rarement avec le mysticisme; appelez-moi toutefois mystique si bon semble, puisque j'écris sur les mystères de la nature; je ne m'en fâcherai pas, j'aime et j'estime trop la science pour vouloir jamais me brouiller avec ceux qui la représentent et l'honorent.

Huitième Dialogue : Un Prêtre - Eliphas Levi Le Prêtre : Je viens à vous comme à un confrère égaré et je vous conjure, au nom de votre salut éternel, de rentrer en vous-même et de songer aux promesses que vous aviez faites à l’Église. Eliphas Levi : Ces promesses étaient mutuelles mon père et ce n’est pas moi qui me suis retiré de l’Église, c’est elle qui s’est retirée de moi sans avoir autre chose à me reprocher que mon grand amour de la vérité et de la justice. Le Prêtre : La vérité, c’est ce que l’Église enseigne. La justice, c’est l’obéissance à ses commandements. Eliphas Levi : L’Église ne peut pas enseigner une autre doctrine que celle de l’Évangile, elle ne peut rien commander qui soit contraire à la morale, je suis donc d’accord avec elle. Abandonné par ceux qui devaient me protéger et me conduire, je suis rentré dans la vie laïque et j’en ai subi toutes les conséquences, mais d’esprit et de cœur je reste attaché à l’Église. Le Prêtre : Pouvez-vous dire une chose semblable quand tout le monde sait que vous êtes professeur de kabbale et de Magie, choses que l’Église à en horreur ! Quand vous osez expliquer philosophiquement nos saints mystères et faire du sauveur du monde lui-même une sorte de personnage fictif et mythologique

semblable à Osiris et à Chrisna. Eliphas Levi : Permettez-vous la lecture de mes livres à vos pénitentes, mon père ? Le Prêtre : Non, certes. Eliphas Levi : Ils sont alors sans danger pour elles, mais ils peuvent désarmer les ennemis du Christianisme en leur montrant la raison voilée où ils croyaient voir la folie, j’aime l’Église comme on aime une vieille mère décrépie et tombée en enfance, je la vois affaiblie par l’âge, et je ne crains pas qu’elle meurt, parce que je crois à sa transfiguration prochaine. Elle a entassé autour d’elle tout le bois mort des antiques préjugés et sur ce bûcher elle va se consumer comme Hercule ou comme le phénix de la fable pour renaître immortelle, le prochain concile sera une palingénésie, ce sera une oraison funèbre et une apothéose, la fin de l’Église romaine et le commencement de la catholicité universelle. Le Prêtre : L’Église sera ce qu’elle est ou elle ne sera plus, mais Dieu lui a promis l’éternité. Eliphas Levi : Dieu seul est éternel, la lettre tue et meurt et c’est l’esprit qui vivifie. La synagogue aussi ne s’affirmait-elle pas immortelle ? Le temple de Jérusalem ne devait-il pas durer autant que le soleil ? La loi de Moïse n’était-elle pas parfaite et immuable ? Hélas, mon père, quand les aveugles se font les conducteurs des aveugles, ils tombent avec eux dans le précipice, c’est un plus sage que moi qui l’a dit. Le Prêtre : Vous voyez bien que, comme les matérialistes et les athées, vous croyez à la destruction prochaine et nécessaire de l’Église. Eliphas Levi : Non, mon père, je crois à sa naissance prochaine, car jusqu’à présent elle n’a pas été dégagée de l’arrière (laix)? des institutions et des préjugés du vieux monde, sa conception est immaculée, mais les travaux de l’enfantement auront été longs et pénibles, il lui faut la lumière, il lui faut la raison, il lui faut la science de la nature, qui est la loi même de Dieu et pour qu’elle ait tout cela, il faut qu’elle se dégage des traditions du pharisaïsme moderne et des ténèbres de la fausse théologie, il faut qu’elle soit visitée par l’esprit d’intelligence, par l’esprit de science, par l’esprit de bon conseil que vous invoquez dans votre liturgie. Veni creator spiritus ! Le Prêtre : Cet esprit-là n’est pas celui des magiciens. Eliphas Levi : C’est celui des mages qui sont venus de l’Orient conduit par une étoile. Ne jugez pas, ô mon père, ce que vous ne connaissez pas et si vous

voulez me critiquer raisonnablement, lisez d’abord mes livres. Le Prêtre : On ne critique pas des auteurs comme vous, on les brûle. Eliphas Levi : Voilà votre dernier argument, celui des inquisiteurs. Le Prêtre : Je parle seulement de vos livres, quant à vous, c’est l’enfer qui vous brûlera. Eliphas Levi : Ne remarquez-vous pas qu’en parlant ainsi, vous me maudissez ! Et bien moi je vous bénis et en vous voyant attiser ainsi pour moi, par votre cruelle espérance le feu de l’enfer, je pense à Jean Huss qui, voyant une vieille femme apporter du bois pour son bûcher, s’écria sancta simplicitas ! Lequel de vous deux est le plus chrétien ? Le Prêtre : Puisque vous prenez le bien pour le mal et le mal pour le bien, je vous laisse à votre endurcissement. Eliphas Levi : Et moi, puisque je ne puis vous éclairer, je suis bien forcé de vous laisser à votre aveuglement volontaire.

Neuvième Dialogue : Un Spirite - Eliphas Levi Le Spirite : J’ai lu votre livre de la science des esprits et je l’appellerais volontiers l’ignorance des esprits. Vous niez leur intervention dans les phénomènes dont l’évidence vous confond, et cependant, vous admettez presque complètement la doctrine qu’ils nous enseignent. Eliphas Levi : Je nie seulement tout ce qu’on ne peut raisonnablement admettre, j’attache comme vous une grande importance aux phénomènes de l’aimant humain et de la photographie astrale, je reconnais qu’on peut en les observant déterminer les grands courants de l’imagination et de la pensée collectives, ils nous initient aux mystères de la transmission sympathique des idées; comme je ne crois pas à la mort, je crois que les idées nous survivent et que celles des trépassés peuvent se mêler encore à celles des vivants, mais je ne pense pas que les prétendus morts puissent nous révéler bien des secrets de l’autre vie, parce que la nature, pour empêcher de retomber ceux qu’elle élève, ferme endessous d’eux les portes qu’elle leur fait traverser. Ceux qui ont vécu parmi nous y vivent encore, mais seulement par les souvenirs, qu’ils ont laissés et qui sont encore leurs souvenirs; ils ne peuvent nous parler que notre langage et nous ne comprendrions pas celui du ciel. Je ne pense pas non plus que les immortels en soient réduits à nous parler autrement que par la communication intime des pensées : dégagés de la matière inerte et pesante; ils s’adressent à ce qu’il y a en nous de plus subtil et de plus pur, ils n’ont pas

besoin de se mêler aux vapeurs plus épaisses de l’antre de Trophonius ni aux vapeurs plus malsaines encore des femmes hystériques ou de ces hommes enclins à la catalepsie, que vous appelez des médiums. Si des êtres ayant l’apparence de l’intelligence se communiquaient à nous par de tels moyens ce ne pourraient être que des larves impures ou des ébauches spirituelles bien inférieures à l’humanité. Je ne vous parlerai pas des nombreux cas d’aliénation mentale déterminés par les pratiques du spiritisme, car bous me répondriez, avec raison, que les religions en général et en particulier la religion catholique en ont produit peut-être un plus grand nombre, mais je vous ferai remarquer que vos évocations ne sont qu’un retour aux anciens oracles du paganisme que, depuis dix-huit siècles, le génie du Christianisme avait fait taire dans le monde entier. Or, cette exhumation du passé ne saurait avoir les caractères du progrès auquel nous croyons tous, autant vaudrait essayer, comme dans un conte d’Edgar Poe, de galvaniser les momies; le Christianisme, étant de toutes les religions la plus spiritualiste, devait faciliter et rendre plus fréquentes les communications des esprits d’outre-tombe avec des vivants et c’est ce qu’il a fait par la communion des saints et l’unité des trois Églises, l’Église triomphante, l’Église militante et l’Église souffrante. Alors ont cessé les prestiges des démons, c’est-à-dire des esprits inconnus et équivoques qui se manifestaient par des convulsions et se plaisent dans les vapeurs. Quand l’humanité manque de religion, elle a le délire comme un affamé qui manque de pain, et voilà pourquoi maintenant que la foi est presque éteinte dans le monde, les fantômes recommencent à parler. Le Spirite : Les esprits que vous qualifiez de fantômes prêchent comme vous la charité, la religion universelle et le salut de tous les hommes. Eliphas Levi : Ce sont des idées qui sont dans l’air si je puis m’exprimer ainsi, mais prêchent-ils l’organisation de la charité, forment-ils des sœurs de charité qu’on puisse opposer à celles de St-Vincent de Paul ? Remplacent-ils la hiérarchie catholique par une hiérarchie nouvelle ? Vos somnambules sont-elles des saintes et vos médiums des apôtres ? Avez-vous des sacrements qui donnent la grâce et font toucher et goûter Dieu ? Vous êtes des visionnaires comme les gnostiques, comme les illuminés, comme les convulsionnaires qui n’ont rien prouvé et rien fondé, vous prenez des phénomènes naturels pour des miracles, vous consultez des oracles de hasard et bous écoutez les voix de l’écho, sans tenir compte de la tradition, de la transmission légitime des pouvoirs et de l’autorité apostolique. Le Spirite : Tout cela appartient au passé et vous-même n’y croyez plus, vous souriez en songeant aux inquisiteurs qui ont condamné Galilée et vous avez également en horreur St-Pie V et Torquemada. Eliphas Levi : Ce que ces gens-là ont fait de mal était loin d’être conforme à la doctrine des apôtres. Est-ce parce qu’il peut arriver à un chirurgien maladroit de

couper l’artère d’un malade en voulant le saigner, qu’il faut condamner et proscrire la chirurgie ? La religion des pères de l’Église n’est pas celle de Torquemada et le bon St-François de Sales n’eût pas condamné Galilée. Oui, certes, je crois à la charité universelle, oui j’espère le salut de tous les hommes, parce que je révère le dogme universel et parce que le Sauveur du monde a donné son sang pour tous les hommes. Je crois à la vérité de la foi des saints et au triomphe de la patience des martyrs, parce que tant de vertus ne peuvent avoir été vaines, parce qu’une si héroïque espérance ne peut avoir été trompeuse, je crois que nos enfants, lorsqu’ils font leur première communion dans toute la pureté de leur cœur et dans toute la ferveur de leur innocence reçoivent réellement ce que nulle autre religion ne saurait leur donner. Devant les prodiges toujours renaissants de la charité, mon cœur se prosterne et adore. Oui je crois en Dieu qui fait couler les larmes de St-Augustin et les torrents d’éloquence de St-Jean Chrysostome et de Bossuet. Je crois au Dieu de StVincent de Paul et de Fénelon, au Dieu des sacrements efficaces de la communion des saints et de la vénérable hiérarchie, je crois en un mot au dieu de l’Église une, sainte, catholique et apostolique, malgré les scandales de Rome et le sang qui tache encore le glaive de St-Pierre. St-Pierre cloué la tête en bas sur la croix qu’il n’a pas su tenir droite, expiera son reniement et son comportement sacrilège, mais la doctrine du Sauveur triomphera malgré les successeurs de Caïphe et les imitateurs de Judas, voilà ma foi et mon espérance. Le Spirite : Est-ce aussi votre charité ? Il me semble que pour un fidèle enfant du Pape vous traitez votre père assez mal, que vous en vouez beaucoup à ce pauvre M. Veuillot et que vous vous souciez assez peu du domaine temporel de la Sainte Église. En tout cela, selon moi, vous avez raison, mais vous obéissez comme nous à une inspiration indépendante et particulière, vous croyez à votre propre esprit et vous êtes plus exposé à vous égarer que nous qui ajoutons foi à des communications miraculeuses de l’autre monde. Eliphas Levi : Je crois à des raisonnements irréfutables et vous croyez à des visions très contestables. Le Spirite : Tiens ! Si la mesure y était cela ferait deux vers. Eliphas Levi : Oui, dans le genre de ceux qu’écrivent vos tables parlantes. Le Spirite : Avez-vous le droit de vous en moquer ? Eliphas Levi : Les tables parlantes ? Un peu, je crois et vous ne m’accuserez pas, je l’espère, de manquer en cela à la charité, car je ne reconnais pas les meubles pour mes frères.

Le Spirite : Si vous vous moquez de nos tables. Nous nous moquerons de vos fables. Eliphas Levi : Ah miséricorde ! Et qu’Allen Kardec nous soit en aide, voilà que vous devenez médium versificateur. Le Spirite : Non, parlons sérieusement, vous affectez de nous prendre pour des fous et nous sommes plus raisonnables que vous, je vous vous en donner une preuve. Vous admettez la hiérarchie et par conséquent l’autorité de l’Église catholique romaine, ce qui ne vous empêche pas de croire diamétralement le contraire de ce qu’elle enseigne. Eliphas Levi : L’harmonie résulte de l’analogie des contraires. Toute lumière qui manifeste une forme doit nécessairement projeter une ombre, je crois à l’ombre parce que je crois à la lumière. La liturgie catholique n’applique-t-elle pas à l’Église cette parole de l’épouse du cantique : je me suis assise à l’ombre de l’arbre que j’aimais et j’en ai savouré les fruits; ne dit-elle pas dans son office : Seigneur protège nous par l’ombre de tes ailes ? La nuée qui guidait les Hébreux n’était-elle pas lumineuse d’un coté et ténébreuse de l’autre ? Et lorsque Dieu se laissa voir c’est-à-dire comprendre à Moïse sous l’emblème de la forme humaine, ne lui dit-il pas : je passerai devant toi et alors tu te voileras la face, puis quand j’aurai passé tu regarderas et tu verras ce qui est derrière moi, c’est-à-dire mon ombre. Ne comprenez-vous pas cette tête de lumière et cette tête d’ombre qui sont le reflet l’une de l’autre, dans les magnifiques symboles du Zohar et qui expliquent tous les mystères de la religion universelle ? Le Spirite : J’avoue que je ne comprends pas très bien. Eliphas Levi : Si vous compreniez, vous ne seriez plus un spirite, vous seriez un initié, donc au lieu de consulter des tables où il ne peut se trouver d’autres esprits que l’esprit de bois, priez l’esprit d’intelligence pour qu’il vous ouvre l’entendement et étudiez la kabbale.

Dixième Dialogue : Eliphas Levi - Un initié L’Initié : J’ai étudié la kabbale et je ne saurais partager la foi catholique romaine. Eliphas Levi : Pourquoi ? L’Initié : Parce que les clefs de St-Pierre ne sont plus celles de la science. Parce que la hiérarchie dans cette Église est artificielle et non réelle. Parce qu’elle est despotique et non fraternelle, parce qu’elle est matérielle et non spirituelle. Parce que les conducteurs des aveugles sont aveugles eux-mêmes. Parce que la foi aveugle du troupeau n’est justifiée que par la foi éclairée et par la science du pasteur. Parce qu’elle (L’Église romaine) sacrifie trop évidemment ses

intérêts spirituels à ses intérêts temporels. Parce qu’elle abjure publiquement l’esprit de charité en autorisant ou même en tolérant des polémistes, tels que Louis Veuillot et autres diseurs d’injures. D’où je conclus que ce corps ecclésiastique n’a plus la science suffisante et qu’il est également dépourvu de religion et de foi. Eliphas Levi : Renoncerons-nous à la science parce qu’il y a des ignorants ? Et faut-il abandonner la religion parce que certaines gens l’entendent et la pratiquent mal ? L’Initié : Le monde est las des absurdités dogmatiques. Eliphas Levi : Sont-elles comparables aux monstruosités du matérialiste ? Mais je parle à un initié qui sait que l’occultisme, c’est-à-dire l’absurdité apparente est de l’essence même de tout dogme. Ceux de la table d’Émeraude sont plus obscurs et plus absurdes en apparence que ceux du symbolisme des apôtres. Les livres hermétiques comme l’Apocalypse et les visions d’Ézéchiel semblent complètement inexplicables, et c’est pour cela qu’ils sont arrivés jusqu’à nous. S’ils eussent été compris, ils eussent causé des révolutions dans le monde et on les eût supprimés. Vous savez l’histoire de St-Paul brûlant les livres de magie à Éphèse, d’Omar incendiant la bibliothèque d’Alexandrie et de l’inquisiteur jetant les livres et les auteurs au feu. Le dogme, c’est l’énigme du sphinx. Ceux qui devinent doivent se taire et cacher aux envieux qu’ils sont devenus rois et prêtres. Ceux qui ne devinent pas sont dévorés par le monstre. L’Initié : Alors il faut faire comme Oedipe, il faut forcer le monstre à se précipiter dans l’abîme. Eliphas Levi : Et recommencer la guerre de Thèbes et l’extermination mutuelle des frères ennemis. Ôtez la religion du monde et les hommes s’entredéchireront; les forts écraseront les faibles, les pauvres assassineront les riches. N’entendez-vous pas à mesure que la foi s’affaiblit, la guerre sociale rugir dans l’ombre ? Croyez-moi quand les cierges de l’autel s’éteindront, on verra s’allumer les torches de la conflagration universelle. L’Initié : Vous ne croyez donc pas à la raison humaine ? Eliphas Levi : La raison sans foi ne conseille pas le dévouement et n’admet pas le sacrifice. L’homme est égoïste par raison, il n’est grand et généreux que par croyance. L’Initié : Je ne pense comme vous. Croire à l’honneur, croire à l’amour, croire à la vertu, c’est croire en Dieu et je voudrais répandre dans le monde entier cette foi salutaire. Le déisme (l’athéisme?) à notre époque suffit au monde. Eliphas Levi : Cela était bon à dire au temps de Jean-Jacques Rousseau et ferait

rire aujourd’hui de pitié les disciples de Proudhon. Il n’y a plus maintenant de milieu logique entre ces deux termes : athéisme ou religion révélée. Or, vous savez bien qu’il existe une révélation, vous à qui l’on a montré sur quelle pierre vivante est posée la citadelle de la Thèbes invisible, vous qui comprenez les symboles de la nouvelle Jérusalem. L’Initié : Oui, je sais qu’il existe une révélation dont l’Église romaine a toujours persécuté les fidèles. Eliphas Levi : Dites les infidèles, c’est-à-dire les indiscrets et les profanateurs du symbolisme occulte. L’Initié : Appelez-vous infidèles ou indiscrets, Vanini, Giordano Bruno et Savonarole ? Les templiers punis de mort et les francs-maçons excommuniés ? Appréciez-vous les horribles supplices endurés par Campanella ? Aimez-vous les bourreaux d’Urbain Grandier ? Êtes-vous pour les conseillers des Dragonnades ? Non, n’est-ce pas. Non, j’en suis bien certain. Et bien, n’ayez pas honte de le dire et de le proclamer hautement. Vous serez peut-être excommunié, mais vous agirez en honnête homme. Croyez-moi, frère, ne vous faites point le malencontreux avocat d’une cause à jamais perdue. Parce qu’on veut comme Caton d’Utique, rester fidèle à ceux que les dieux abandonnent, on est bientôt réduite à le jeter sur son épée et à le déchirer les entrailles. Malheur aux hommes qui s’obstinent à rester dans le temple quand les dieux s’en vont ! Est-ce que vous croyez que le monde, j’entends le monde intelligent et éclairé par la science, reviendra jamais au dieu de l’enfer pour les multitudes et du ciel pour un petit nombre de privilégiés ignares, au dieu qui proscrit la raison, la science et la liberté ? Ne sentez-vous pas que le vrai Dieu doit-être d’accord avec la nature qui est sa loi et avec l’humanité qui est sa fille ? Le Dieu de Moïse était-il juste lorsqu’il favorisait un seul peuple en voulant les autres nations à l’anathème et le Dieu des Chrétiens ne damne-t-il pas encore la majorité des habitants de l’univers ? Quelle monstrueuse invention que cet enfer ouvrant la gueule immense et engloutissant le fleuve presque entier des générations successives et cela par le caprice d’un dieu qui s’est fait crucifier pour racheter les hommes ! C’est est fait, vous dis-je, c’est est fait de ces croyances barbares… Elles ne règneront plus sur nous, car elles sont mortes à jamais. Vous voulez peut-être pour accomplir je ne sais quel rêve filial les ensevelir (convertir) avec honneur, mais prenez garde, la terre est mouvante autour de la fosse qu’elles se sont creusées et vous pourriez y tomber avec elles ! Eliphas Levi : Je ne crains pas la mort car mon espérance est pleine d’immortalité, et tant que Dieu ne m’aura pas révélé un dogme nouveau, je tiendrai à celui de l’Église en me dégageant des ombres de la lettre et en faisant appel à la lumière de l’esprit. L’Initié : Un Dogme nouveau ! Mais pouvez-vous ignorer que ce dogme existe

déjà dans toutes les intelligences élevées ? Vous-même l’avez formulé et je pourrais en écrire le symbole avec des extraits de vos œuvres. Nous croyons en Dieu, principe de tout être, de tout bien et de toute justice, inséparable de la nature qui est sa loi et qui se révèle par l’intelligence et l’amour. Nous croyons en l’humanité, fille de Dieu dont tous les membres sont solidaires les uns les autres, en sorte que tous doivent concourir aux salut de chacun et chacun au salut de tous. Nous croyons que pour servir Dieu, il faut servir l’humanité. Nous croyons à la réparation du mal et au triomphe du bien dans la vie éternelle. Eliphas Levi : Amen ! Ceci est le pur esprit de l’Évangile et ce n’est pas un dogme nouveau; c’est le résumé de tous les dogmes. C’est la synthèse dogmatique de la religion éternelle mais je prétends que je pourrais au besoin démontrer que ce symbole explique tous les autres sans les détruire et deviendra un jour celui de la catholicité vraiment humanitaire et universelle. (Fin de la première partie.)

Le livre des Sages - Eliphas Levi (Deuxième Partie) Résumé Général Par définitions et par aphorismes

Chapitre I - La Religion I. Le paradis de l'âme, c'est la raison satisfaite; son enfer, c'est la folie irritée. II. Le Dieu de raison est lui-même raison lumineuse des choses. Le Dieu de la folie est la déraison obscure des rêves. III. Dire que Dieu se révèle à la folie pour confondre la raison, c'est comme si l'on disait que le soleil se révèle à la nuit pour confondre la lumière. IV. Dieu se révèle par des lois et dans des lois qui ne changent jamais. Il est implacable parce qu'il n'est jamais irrité. Il ne saurait pardonner parce que jamais il ne se venge. V. Le mal n'est que l'avortement du bien. On peut mourir des suites d'une fausse couche et si la femme l'a provoquée par des imprudences, elle en est bien assez punie. VI. Le diable, c'est la folie attribuée à Dieu. C'est Dieu qui semble s'affirmer méchant par un plénipotentiaire issu des cauchemars de la folie humaine. VII. Le miracle, c'est la folie attribuée à la nature. La nature ne saurait enfreindre la moindre de ses lois sans tomber tout entière en démence. VIII. Si un seul grain de poussière pouvait se mouvoir contrairement aux lois de l'attraction et de la pesanteur, la chaine de l'harmonie universelle se briserait et rien au monde ne subsisterais plus. IX. La Bible, c'est la philosophie des anciens écrite en énigmes et en paraboles à la manière des poètes orientaux. X. La Kabbale est la formule chiffrée de l'hypothèse divine. Les mystères sont les théorèmes de son algèbre. C'est simple comme deux et deux font quatre, clair comme les quatre règles de l'arithmétique et obscur pour les ignorants comme la table des logarithmes ou le binôme de Newton. XI. Dieu, c'est le grand silence de l'infini. Tout le monde parle de lui et parle pour lui et rien de ce qu'on dit ne le représente aussi bien que son silence et son

calme éternel. XII. La loi est rigoureuse, elle est nécessaire, elle ne peut pas être autrement qu'elle n'est étant donnés les phénomènes de l'être et de la vie. Or, l'être est, et pour lui assigner une cause, il est inutile d'imaginer un autre être. Mais il faut lui reconnaître une raison et cette raison c'est ce que nous appelons Dieu. XIII. Tous les maux de l'âme humaine viennent de la crainte et du désir. Les menaces et les promesses sont les grands moyens de corrompre et d'abrutir les hommes. Le dogme, qui fait espérer le privilège et qui menace d'un sentiment exorbitant, monstrueux et sans fin les multitudes ignorantes, n'est ni divin, ni humain, ni raisonnable, ni civilisateur. XIV. Depuis le règne de Constantin jusqu'à nos jours, le Christianisme officiel n'a été qu'un essai de plus en plus malheureux de concilier les lumières du Christianisme avec les ténèbres de l'ancien monde. XV. L'Évangile n'est pas le jour, c'est une belle nuit pleine de lueurs crépusculaires, étincelant d'étoiles. XVI. Dieu c'est l'esprit, et ceux qui l'adoreront désormais doivent l'adorer dans l'esprit et dans la vérité. Voilà une étoile fixe qui, en s'approchant, devient un soleil. Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font, voilà l'humanité réelle qui se montre plus grande que la divinité fictive. Vous n'avez qu'un Maître qui est Dieu et vous êtes tous frères; ceci est une comète qui menace les prêtres et les rois du vieux monde. Que celui qui est sans pêché jette à cette femme la première pierre; ceci est la lueur crépusculaire du soleil de justice. Jésus ne se donne pas lui-même comme étant l'esprit de vérité; il annonce seulement que cet esprit viendra. XVII. L'esprit de vérité explique tout et ne détruit rien. Expliquer c'est transformer. Dans la nature tout se transforme, rien ne se détruit; il en est de même en religion. L'ancien testament s'explique par le nouveau et le nouveau par la réforme sociale qui est la charité transformée en solidarité. XVIII. Dans Eden fructifient deux arbres; l'arbre de science et l'arbre de vie; l'arbre de science, c'est la raison et l'arbre de vie, c'est l'amour qui produit la foi. La foi sans raison, c'est la folie créatrice de l'enfer, c'est l'anéantissement de l'esprit. XIX. L'arbre de vie qui est celui de la foi, n'a qu'une racine et qu'une tige. Il a ses printemps et ses hivers. Il a des feuilles et des fleurs qui tombent. Ne dites pas que l'arbre est mort lorsqu'il se dépouille; il reverdira au printemps. Ne cherchez pas à le couper parce que ses fleurs sont flétries, attendez qu'il donne ses fruits. XX. En dehors des mathématiques pures tout n'est vrai que proportionnellement,

relativement et progressivement. XXI. Discuter contre les fous, c'est insensé; les contrarier ou se moquer d'eux, c'est inhumain; il faut seulement les empêcher de nuire. XXII. S'irriter contre le désordre, c'est un désordre; faites l'ordre et le désordre cessera. XXIII. Proclamer hautement la raison au milieu des fous, c'est faire un acte de folie. Avoir raison contre tout le monde, c'est avoir tort devant la société; voilà qui justifie la rétraction de Galilée.

Chapitre II - La morale I. Le mal dans la nature est une maladie de croissance. La douleur est l'auxiliaire de l'enfantement. II. La peine n'est pas une vengeance, c'est un remède. L'expiation n'est pas une servitude, c'est un traitement. III. La peine du pêché, c'est la mort. Elle est le remède aux misères humaines qui sont le péché de la nature. IV. La vie est éternelle. La mort qui, dans son idéal, est la négation de la vie ne peut donc être qu'apparente et transitoire. V. La mort passagère n'est qu'un phénomène de la vie éternelle, analogue à celui du sommeil et du réveil. Une bonne nuit est la conséquence d'une journée bien remplie. VI. Le phénomène de la mort réalise seul les grands problèmes de la terre : liberté, égalité, fraternité et solidarité. VII. La mort est la liquidation finale des dettes de la solidarité humaine. VIII. La mort étant plus forte peine et tous la subissant sans l'avoir également méritée, il y a réversibilité du mérite des uns sur le démérite des autres. IX. Qui paie ses dettes s'enrichit; qui paie celles des autres s'ennoblit. X. Faire le bien c'est un bonheur et un honneur et Dieu ne doit pas plus récompenser aux justes que l'État n'en doit à ceux qui font fortune. XI. Faire le mal c'est un malheur et une honte et la bonté suprême doit aux méchants des moyens de réparation : puisqu'elle est toute puissante.

XII Personne n'a le droit de punir, c'est la loi seule qui punit. XIII. Le diable est le bâtard du dieu vengeur. Le rédempteur est le fils légitime du dieu juste. XIV. La morale est essentielle, absolue, universelle, naturelle; mais elle n'est pas indépendante car elle dépend de la loi. XV. Une Société qui, pour se conserver en est réduite à se couper un membre est une Société gangrenée. Mais l'humanité qui est immortelle n'admet pas de retranchements. XVI. Dieu étant la vie réelle du grand corps de l'humanité, si la majorité des hommes pouvait être damnée, on pourrait dire que Dieu c'est l'enfer. XVII. Si un seul homme pouvait être réprouvé sans remède et sans espoir, la rédemption serait un mensonge et la création une monstrueuse injustice. XVIII. Aimez-vous les uns les autres, cela ne voulait pas dire : excommuniezvous et damnez-vous les uns les autres. XIX. La catholicité vraiment universelle, voilà la raison et la vérité. Le catholicisme exclusivement romain, voilà l'absurdité et le mensonge. XX. Faites aux autres, non pas ce que vous voudriez qu'on vous fit, mais ce que vous devez vouloir qu'on vous fasse et ne leur faites pas ce qu'il serait injuste de vous faire. XIX. L'humanité dirigée par la justice et la justice tempérée par l'humanité, voilà la morale tout entière.

Chapitre III - La nature I. La nature est inconsciente d'elle-même. Ce n'est évidemment pas un machiniste, c'est une machine merveilleuse mais aveugle. II. C'est comme un balancier soumis au mouvement qui frappe les médailles admirables quand la matière se présente bien, qui donne des ébauches baveuses et difformes quand la matière se présente mal. III. La matière obéit à l'esprit avec une résistance proportionnelle à la faiblesse de l'action. IV. La force de l'action régulière est en raison directe du développement de la

volonté libre dans le moteur intelligent. V. L'infini crée infiniment mais progressivement; autrement l'incréé se créerait infiniment lui-même, ce qui est absurde. VI. Le progrès infini c'est le défaut se corrigeant éternellement. VII. L'infini incréé et le fini infiniment crée sont comme les lignes asymptotes qui s'approchent éternellement sans pouvoir jamais se toucher. VIII. L'infini agissant dans le fini agit nécessairement d'une manière toujours relativement finie, c'est-à-dire imparfaite, mais toujours absolument parfaite dans les rapports du fini avec l'infini. IX. La nature ne met jamais en jeu que les forces nécessaires pour vaincre proportionnellement la résistance. X. La résistance est à la force comme le point d'appui est au levier. XI. La loi du progrès lent et régulier est la loi universelle de la nature. XII. Ce qui dirige et nécessite le progrès c'est la perfection existante de toute chose à l'état latent. XIII. Dans toute la nature la perfection à l'état latent, c'est la pensée de Dieu. La nature est une horloge que Dieu a montée. XIV. Elle peut avancer ou retarder par la fatalité de ses rouages matériels mais elle ne s'arrête jamais parce que son mouvement est le génie de l'horloger suprême. XV. Le principe créateur et régulateur se manifeste dans la nature comme une intelligence latente qui se fait jour à travers des obstacles et ne peut, que par es obstacles mêmes, limiter son infini pour lui faire produire la forme finie. XVI. La nature serait imparfaite et par conséquent indigne de Dieu si elle était stationnaire. Mais son imperfection même nécessite le progrès et le progrès est la condition nécessaire de la vie éternelle. XVII. La vie est comme une roue qui tourne. Lorsqu'on arrive en haut, à moins qu'on ne se détache de la roue pour s'élancer dans l'espace il faut nécessairement retourner en bas. XVIII. La vie est collective pour les êtres imparfaits : elle devient progressivement personnelle par le perfectionnement.

XIX. Le feu éternel où sont rejetés les imparfaits, c'est la vie collective et inférieurement progressive. XX. Quand l'être imparfait s'affirme comme fini, il se croit parfait parce qu'il sent vivre en lui le principe éternel de la perfection progressive. XXI. Tout être imparfait meurt de son imperfection parce que cette imperfection atteste le besoin impérieux et fatal d'une perfection plus grande. XXII. Quand l'être imparfait va mourir de décrépitude c'est-à-dire d'impuissance, la nature repousse tout ce qui pourrait le conserver dans son imperfection actuelle. Cela est vrai des religions, des empires, des civilisations et des hommes. Embaumer et galvaniser les cadavres, c'est rendre un culte à la mort. Ceux qui croient à la vie éternelle ne cherchent pas à immobiliser la mort; ils favorisent au contraire le mouvement régénérateur de la vie. XXIII. Quand l'homme vieillit, il perd ses dents, ses yeux se voilent, ses pieds et ses mains s'engourdissent. C'est la nature qui lui ôte les moyens de se conserver. Quand les pouvoirs doivent tomber, les gouvernants sont frappés d'incapacité et de démence. Ils repoussent les hommes de talent et n'écoutent que les mauvais conseils. Louis XVI regardait comme ses seuls amis ceux qui le poussaient à sa perte. Rome a condamné Lamennais et repousse de toutes ses forces l'éloquence de l'évêque Dupanloup, la science et le courage du père Gratry, etc. ... Mais elle favorise, encourage et approuve Louis Veuillot. XXIV. La mort n'anéantit que l'imparfait; c'est comme un bain de feu qui sépare de son alliage le métal pur. C'est pour cela que le sauveur du monde donne le nom de feu éternel à ces limbes de la vie où l'imperfection nécessite toujours la mort. XXV. Le fini se détache de l'infini comme par amputation. Les limites du fini sont comme une plaie que la nature se hâte de cicatriser. Ainsi se forment les écorces qui sont la substance matérielle des mondes. Il se forme aussi des écorces sur les croyances finies. Ce sont les dogmes matérialisés et les superstitions qui veulent s'immobiliser. XXVI. Depuis cent cinquante mille ans et plus les races humaines se succèdent sur la terre. Ces races ont essentiellement différé les unes des autres, et ont péri par leurs imperfections. XXVII. Ces races n'ont pu avoir qu'une responsabilité relative à leur développement. Quand la nature fait des pauvres elle se charge de payer pour eux. C'est pour cela qu'on dit que Dieu devait souffrir la mort pour expier les fautes des hommes, manière de parler paradoxale qui révèle une intuition hardie des secrets de la justice éternelle.

XXVIII. La race actuelle périra comme les autres et elle donne déjà des signes de sa décrépitude. Les hommes qui viendront après nous seront supérieurs comme nous sommes supérieurs à l'orang-outang et au gorille. XXIX. Ceux-là seront responsables parce qu'ils seront libres et Dieu n'aura plus besoin de mourir. XXX. La nature est lente à opérer les transformations qui substituent des races nouvelles à d'autres races. Les peuples naissent, grandissent et vieillissent. La décadence de Rome ressemblait à la nôtre mais la race humaine n'a pas changé. La majorité des hommes manque de logique et de justice, et pourtant nous en sommes encore à vouloir le gouvernement des majorités. XXXI. La nature est aristocrate et monarchique. Les univers n'ont qu'un soleil, l'homme n'a qu'une tête et le lion est toujours le roi du désert. XXXII. La vérité, la raison, la justice, la loi sont rigoureusement despotiques et personne ne se soustrait impunément à leur autorité. Où ne règnent ni la vérité ni la raison, ni la justice, ni la loi, c'est la force fatale qui décide, mais toujours suivant la loi d'un équilibre providentiel. XXXIII. Un roi sans justice, c'est un anarchiste couronné et les anarchistes conspirateurs sont des tyrans qui veulent briser la couronne pour s'en disputer les morceaux. XXXIV. Les forces fatales de la nature peuvent devenir les auxiliaires de l'intelligence de l'homme. Il suffit pour cela de les connaître et de savoir les diriger. XXXV. L'homme ne peut rien quand il est seul. Les grandes forces humaines ce sont les forces collectives. Mais ces forces pour être entières doivent être monarchiques c'est-à-dire dominées par l'impulsion et la direction d'un seul. Un homme seul, fût-il un homme de génie, est une tête sans corps. Une multitude non dirigée par une autorité infaillible et unique, c'est un corps sans tête. XXXVI. C'est la confiance des écoliers qui fait l'autorité du maître. Si un écolier doute de l'infaillibilité du maître, il ne doit plus venir à l'école. C'est la confiance aveugle des soldats qui fait la force du général. Un soldat qui croit que son général se trompe est à la veille de déserter. Les soldats obéissants sont la force des armées; les soldats raisonneurs et réfractaires en sont la faiblesse. Pour être maître, il faut savoir se faire obéir. Et pour cela il faut magnétiser les multitudes.

Chapitre IV - Le Magnétisme

I. Le magnétisme chez l'homme est un rayonnement et une attraction physique déterminée à une direction par la force morale. II. Tous les êtres rayonnent les uns vers les autres et s'attirent ou se repoussent les uns les autres avec une force qui peut être augmentée, diminuée et dirigée par la science. III. Le magnétisme universel n'a encore été examiné par la science que dans ses manifestations astrales et métalliques. IV. Par la science, on compose des aimants métalliques artificiels plus forts que les aimants naturels. V. Ou pourrait arriver au même résultat pour toutes les spécialités de l'aimant. VI. On augmente le magnétisme humain naturel par le régime et l'exercice; on peut faire des aimants humains artificiels en composant des groupes et des cercles équilibrés. VII. Les cercles sont pairs et les groupes sont impairs. VIII. On magnétise les pairs avec la droite et les impairs avec la gauche. IX. Les semblables se repoussent et les contraires se recherchent. X. Les aimants observés par la science ont deux pôles et un centre. L'aimant humain représenté par l'étoile du pentagramme a autant de pôles que de centres. Les deux pôles de la tête sont les deux pieds; les deux pôles de la main droite sont la main gauche et le pied gauche; les deux pôles de la main gauche sont la main droite et le pied droit; les deux pôles du pied droit sont la tête et la main gauche; les deux pôles du pied gauche sont la tête et la main droite. XI. L'aimant humain est double dans chaque sujet; masculin c'est-à-dire rayonnant à droite et féminin c'est-à-dire absorbant à gauche, avec des nuances et des irrégularités causées par la différence des habitudes et des caractères. XII. Les sujets chez lesquels prédomine le magnétisme rayonnant sont des magnétiseurs. Ceux chez qui abonde le magnétisme absorbant sont des sujets magnétiques. XIII. Les magnétiseurs, lorsqu'on ne sait pas leur résister, peuvent être des fascinateurs et les sujets magnétiques, lorsqu'on ne les domine pas, deviennent facilement des vampires parmi les vivants. XIV. Les femmes rayonnantes sont les inspiratrices ou les fléaux des hommes faibles et les femmes absorbantes sont les Dalilas des hommes forts.

XV. Un homme et une femme supérieurs ne s'accordent jamais ensemble. Victor Hugo et Georges Sand eussent fait très mauvais ménage et d'un essai de rapprochement entre Benjamin Constant et Mme. de Staël est né le triste et beau roman d'Adolphe. Pour aimer Lélia, il faut être Sténio et résigner à la mort de l'esprit et du cœur. XVI. J-J. Rousseau obéissait à cette loi magnétique lorsqu'il épousait Thérèse Levasseur. Thérèse fut longtemps pour lui une compagne douce et dévouée; mais il lui laissa voir de telles faiblesses qu'elle se crut supérieure à lui et devint acariâtre. Lorsqu'elle le crut tout à fait fou elle lui préféra un valet. Si l'on veut rester le maître avec les faibles il ne faut jamais faiblir devant eux. XVII. Deux personnes forment une force, trois forment un groupe, quatre forment un cercle. Dans la scène symbolique de la transfiguration, Jésus au centre est polarisé dans le ciel par Moïse et Élie, et sur la terre St-Pierre au centre est polarisé par St-Jacques et St-Jean. Deux groupes réunis forment un cercle parfait. XVIII. Douze hommes actifs et déterminés à donner leur vie pour propager l'idée d'un maître peuvent changer la face du monde; les apôtres l'ont bien prouvé et ils ont fait des miracles. XIX. Il faut des compères aux escamoteurs et des croyants aux prophètes. Sans cela rien ne réussit. XX. Les sorciers eux-mêmes font réellement des prodiges lorsqu'ils sont aidés par la crédulité des imbéciles. XXI. Mais je vous dis en vérité, thaumaturges petits ou grands, que vous soyez prophètes, escamoteurs ou sorciers, ne prêtez jamais au ridicule. Rien ne brise les cercles magnétiques comme un éclat de rire. XXII. Un prophète qu'on tue ressuscite le troisième jour; mais un prophète dont on a ri n'est plus qu'un fou ou un jongleur. XXIII. Ponce-Pilate le comprenait bien, lorsqu'il présenta Jésus au peuple fagoté en roi d'une maison de fous. Pour empêcher cet homme d'être un dieu il fallait en faire un grotesque; mais les prêtres qu'il avait blessé à mort voulaient du sang et ils en firent un martyr. Tout le monde sait ce que leur coûta cette faute. XXIV. Garibaldi, le Roland de Palerme, le don Quichotte de Mentana, vient diton, d'écrire un roman. Je ne sais si ce livre est bien ou mal, mais il finira d'une manière assez burlesque l'histoire de Garibaldi. Que ce héros ne rêve plus à la conquête des royaumes, il ne pourra plus désormais conquérir que l'île de Barataria.

XXV. À partir de la scandaleuse et ridicule affaire du Collier, Cagliostro ne fit plus rien de merveilleux et il finit par aller sottement se faire emprisonner à Rome où il mourut charlatan après avoir été un grand (prophète) cophte ? XXVI. Les charlatans aiment à se montrer et les vrais adeptes se cachent. En faisant des tours on gagne de l'argent; en faisant les œuvres de la science on peut s'attirer des persécutions. Ce n'est pas la lumière que craignent les sages, ce sont les regards et les obsessions des fous. XXVII. La raison existe en elle-même comme les mathématiques pures. Elle n'est pas dans l'homme; les hommes agissent d'après leur sentiment personnel qui n'est jamais l'absolue raison. Or les sentiments humains se forment par l'éducation, par les conseils et par l'exemple, c'est pour cela qu'il y a solidarité entre les hommes et que Dieu, c'est-à-dire la raison suprême, répond pour eux tous et doit les sauver tous. C'est pour cela aussi que les grandes passions sont contagieuses et les fortes volontés, souveraines parmi les hommes. XXVIII. La raison étant la borne contre laquelle se brisent fatalement toutes les aspirations de la folie humaine, la grande majorité des hommes fuit et déteste la raison. On les passionne furieusement et on les attache invinciblement en divinisant pour eux la folie parce qu'ils trouvent dans ce sacrilège l'apothéose de leurs désirs. XXIX. Un homme sans passion n'est jamais magnétiseur parce qu'il n'est pas un foyer d'ivresse; il peut calmer, il n'excite pas. Les vrais apôtres de la raison n'ont jamais fait de prosélytes; l'avantage qu'ils ont sur les autres c'est que s'ils n'entrainent personne, personne aussi ne les entraine. XXX. Mettre une immense folie au service d'une grande raison en cachant la raison et en décorant la folie, voilà le secret du succès et de l'entrainement des multitudes. XXXI. Les sages qui meurent pour la raison lèguent leur science à la folie. Il faut vivre pour la raison en se servant de la folie : Hoc est arcanum magnum. XXXII. On peut s'attacher à la vérité mais on ne se passionne jamais que pour le mensonge, parce que la passion c'est l'emportement et l'obstination dans l'absurde. XXXIII. Toutes les religions humaines ont un côté vrai et un côté faux. C'est par leur côté faux seulement et toujours qu'elles inspirent le fanatisme. XXXIV. Pour faire accepter aux hommes une vérité de plus, il faut l'envelopper de nouveaux mensonges. Ces voiles successifs sont ce qu'on appelle les révélations. Les révélations successives sont et doivent être une succession de

mensonges puisque la vérité ne change pas. Dire que Dieu s'est fait Juif avec Moïse, puis chrétien avec Jésus-Christ, puis musulman avec Mahomet... ce n'est point parler sérieusement. XXXV. Les courants magnétiques vont d'un pôle à l'autre en passant par le centre, sans s'y arrêter jamais. La réaction est toujours proportionnelle à l'action, mais parfois la réaction gagne en durée ce qu'elle perd en intensité. Après une année de fol amour on peut se haïr froidement pendant vingt ans. XXXVI. Le magnétisme du mal agit rapidement et plus violemment que le magnétisme du bien, mais il se brise par sa violence même et le bien triomphe toujours. Le bien est conservateur et réparateur, le mal est perturbateur et destructeur. XXXVII. Le magnétisme est le serpent astral qui promet à la femme un pouvoir divin et qui l'entraîne dans la mort. C'est aussi le double serpent qui s'enlace autour du caducée d'Hermès. XXXIX. Le caducée c'est le spectre de l'équilibre. Soyez maître de vous-même et vous serez maître des autres; soyez équilibré et vous serez équilibrant. La baguette de Moïse est la même que celle d'Hermès. Lorsqu'il la jette elle devient un serpent; lorsqu'il la reprend elle redevient une baguette. Dans cette allégorie, il faut voir le grand secret de la direction du magnétisme. XL. Ce qui rayonne de nous, sous l'empire de notre volonté, revient à nous sous l'empire de la fatalité. Si c'est la lumière de vie elle nous immortalisera; si c'est le phosphore de la mort il nous fera mourir... peut-être pour jamais !

Chapitre V - La Mort I. La mort est la dissolution nécessaire des assemblages imparfaits. C'est la réabsorption des ébauches de vie particulière dans le grand travail de la vie universelle. II. C'est un bain dans l'oubli. C'est la fontaine de Jouvence où se plongent d'un côté les vieillards et d'où sortent de l'autre les petits enfants. III. La mort c'est la transfiguration des vivants. Les cadavres sont les feuilles mortes de l'arbre de vie qui aura encore toutes ses feuilles au printemps. La résurrection des hommes ressemble éternellement à celle des feuilles. IV. Les formes périssables sont déterminées par des types immortels. V. Tous ceux qui ont vécu sur la terre y vivent encore dans les empreintes nouvelles de leurs types, mais les âmes qui ont dépassé leur type reçoivent

ailleurs une forme nouvelle déterminée par un type plus parfait et s'élevant toujours sur l'échelle des mondes. Les mauvaises empreintes sont brisées et leur matière retourne à la masse commune. VI. Nos âmes sont comme une musique dont nos corps sont les instruments; la musique reste sans l'instrument mais elle ne peut se faire entendre. Sans un médiateur matériel, l'immatériel est inconcevable et insaisissable. VII. L'homme ne garde de ses existences passées que des prédispositions particulières à l'existence présente. VIII. Le pêché originel pour lequel Jésus-Christ répond c'est l'innocence rendue à tous les hommes. La responsabilité devant Dieu suppose la perfection et l'homme parfait est impeccable. IX. Les évocations sont les condensations du souvenir; c'est la coloration imagée des ombres. Évoquer ici-bas ceux qui n'y sont plus c'est faire ressortir leurs types de l'imagination de la nature. X. Pour être en communication directe avec l'imagination de la nature il faut être dans le sommeil, dans l'ivresse, dans l'extase, dans la catalepsie ou dans la folie. XI. Le souvenir éternel ne conserve que les choses impérissables. Tout ce qui passe dans le temps appartient de droit à l'oubli. XII. La conservation des cadavres est une résistance aux lois de la nature. C'est un outrage à la pudeur de la mort qui cache ses œuvres de destruction comme nous devons cacher celles de la génération. Conserver les cadavres, c'est créer des fantômes dans l'imagination de la terre. Les spectres du cauchemar, de l'hallucination et de la peur ne sont que des photographies errantes des cadavres conservés. XIII. Ce sont les cadavres conservés ou mal détruits qui répandent sur les vivants le choléra, la peste, les maladies contagieuses, la tristesse, le scepticisme et le dégoût de la vie. La mort s'exhale de la mort. Les cimetières empoisonnent l'atmosphère des villes et les miasmes des cadavres rendent les enfants rachitiques jusque dans le sein de leur mère. XIV. Près de Jérusalem, dans la vallée de Gehenna, on entretenait un feu perpétuel pour consumer les immondices et les cadavres des animaux, et c'est à ce feu éternel que Jésus fait allusion lorsqu'il dit que les méchants seront jetés dans la Gehenna, pour faire entendre que leurs âmes mortes seront traitées comme des cadavres. XV. Le Talmud dit que les âmes de ceux qui n'auront pas cru à l'immortalité ne

seront pas immortelles. C'est la foi seule qui donne l'immortalité personnelle; la science et la raison n'affirment que l'immortalité collective. XVI. Dans le catéchisme des Israélites on lit : « Nous croyons à des récompenses et à des peines après la mort; mais nous ne savons de quelle nature sont ces peines et ces récompenses. » Il est positif que sur tout cela nous pouvons faire des conjectures ou embrasser des croyances, mais que nous ne savons absolument rien et que les chrétiens raisonnables doivent penser comme les Israélites. Or, si nous n'en savons rien, c'est qu'il n'est pas nécessaire que nous le sachions. Faisons donc le bien et vivons en paix. XVII. Le péché mortel est le suicide de l'âme. Ce suicide aurait lieu si l'homme se donnait au mal avec toute la plénitude de sa raison, une connaissance parfaite du bien et du mal et une entière liberté; ce qui paraît impossible en fait, mais ce qui est possible en droit puisque l'essence de la personnalité indépendante c'est une liberté limitée : Dieu n'impose rien à l'homme, pas même l'être. L'homme a le droit de se soustraire à la bonté même de Dieu et le dogme de l'enfer éternel n'est que l'affirmation de la liberté éternelle. XVIII. Dieu ne précipite personne dans l'enfer. Ce sont les hommes qui peuvent y aller librement, définitivement et de leur choix. XIX. Ceux qui sont dans l'enfer, c'est-à-dire dans les ténèbres du mal et les supplices du châtiment nécessaire, sans l'avoir absolument voulu, sont appelés à en sortir, et cet enfer n'est pour eux que le purgatoire. XX. Le réprouvé complet, absolu et sans retour, c'est Satan qui est un être de raison, mais une hypothèse nécessaire. XXI. Satan est le dernier mot de la création. C'est le fini, infiniment émancipé. Il a voulu être semblable à Dieu dont il est le contraire. Dieu c'est l'hypothèse nécessaire de la raison, Satan, c'est l'hypothèse nécessaire de la déraison s'affirmant comme liberté. XXII. Pour être immortel dans le bien, il faut s'identifier avec Dieu. Pour être immortel dans le mal, il faut s'identifier avec Satan. Tels sont les deux pôles du monde des âmes, entre ces deux pôles végètent et meurent sans souvenir les animaux et les hommes inutiles.

Chapitre VI - Satan I. Satan est un type, ce n'est pas une personne réelle. II. C'est le type opposé au type divin et c'est dans notre imagination le repoussoir nécessaire. C'est l'ombre factice qui nous rend visible la lumière infinie de Dieu.

III. Si Satan était une personne réelle, il y aurait deux dieux et la croyance des Manichéens serait une vérité. IV. Satan est la fiction de l'absolu dans le mal, fiction nécessaire pour l'affirmation intégrale de la liberté humaine qui, au moyen de cet absolu fictif, semble balancer la toute-puissance même de Dieu. C'est le plus hardi et peutêtre le plus sublime des rêves de l'orgueil humain. V. Vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal, dit le serpent allégorique de la Bible. En effet, ériger le mal en science, c'est créer un dieu du mal et si un esprit peut résister éternellement à Dieu, il y a non plus un dieu, mais des dieux. VI. Pour résister à l'infini, il faut une force infinie. Or, deux forces infinies opposées l'une à l'autre s'annuleront réciproquement. Si la résistance de Satan est possible, la puissance de Dieu n'est plus. Dieu et le diable se détruisent l'un l'autre et l'homme reste seul. VII. Il reste seul avec le fantôme de ses dieux, le sphinx hybride, le taureau ailé qui balance dans sa main d'homme un glaive dont les éclairs alternés renvoient l'imagination humaine d'une erreur à l'autre et du despotisme de la lumière au despotisme des ténèbres. VIII. L'histoire des malheurs du monde, c'est l'époque de la lutte des dieux, la lutte qui n'est pas finie, puisque le monde chrétien adore encore un dieu du diable et redoute un diable de dieu. IX. L'antagonisme des puissances, c'est l'anarchie dans le dogme. Aussi à l'Église qui dit le diable est, le monde répond avec une logique effrayante : Dieu n'est pas et c'est en vain que pour échapper à la raison, on inventerait la suprématie d'un dieu qui permettrait au diable de perdre les hommes; une telle tolérance serait une monstrueuse complicité et le dieu complice du diable ne peut pas être. X. Le diable dogmatique, c'est l'athéisme personnifié. Le diable philosophique, c'est l'idéal exagéré de la liberté humaine. Le diable réel ou physique, c'est le magnétisme du mal. Le diable vulgaire, c'est le compère de Polichinelle. XI. Évoquer le diable, c'est en réaliser, pendant un instant, la personnalité fictive. XII. Il faut pour cela exagérer en soi-même, outre toute mesure, la perversité et la démence par les actes les plus criminels et les plus insensés. XIII. Le résultat de cette opération est la mort de l'âme par la folie et souvent la mort même du corps foudroyé par une congestion cérébrale.

XIV. Le diable demande toujours et ne donne jamais rien. XV. Saint-Jean l'appelle la bête parce que son essence est la bêtise humaine.

Chapitre VII - L'occultisme I. Liberté, égalité, fraternité ! dit la démocratie moderne. Oui, liberté pour les sages, égalité entre les hommes parvenus au même degré de la hiérarchie humaine et fraternité pour les gens de bien. Mais servitude nécessaire pour les insensés, hiérarchie pour l'humanité entière et guerre entre les égoïstes et les méchants, voilà les lois de la nature. II. L'humanité est placée sur une échelle immense dont le pied plonge dans les ténèbres et dont le sommet se cache dans la lumière. Entre ces deux extrêmes il y a des degrés innombrables. III. Aux hommes de lumière les paroles claires, aux hommes de ténèbres les paroles obscures et aux intermédiaires la discussion éternelle des paroles douteuses. IV. Les hommes d'en haut sont les voyants; les hommes d'en bas sont les croyants; les hommes du milieu sont les systématiques et les douteurs. V. Les voyants sont les sages, les croyants aveugles sont les fous et les douteurs ne sont rien, mais ils balancent entre la sagesse et la folie, tantôt montant, tantôt descendant et ne se trouvant bien nulle part. VI. Il faut la vérité aux sages, il faut le doute au raisonneurs, il faut les fables aux fous et aux enfants. Contez une fable à un sage, il y verra une vérité. Dites une vérité à un raisonneur, il la révoquera en doute, dites une vérité à un fou, il la prendra pour une fable. VII. Il ne faut donc pas parler à tous les hommes de la même manière. VIII. Voilà pourquoi les dogmes religieux doivent être obscurs et même absurdes en apparence. La religion des sages, c'est la haute philosophie et la religion proprement dite remplace pour les fous la philosophie dont ils sont incapables. Quant aux douteurs, ils n'ont ni la philosophie ni religion. Une religion dont les formules seraient raisonnables, serait inutile aux sages et méprisée par les fous. La religion la meilleure, c'est-à-dire la mieux appropriée aux besoins de la bêtise humaine, doit donc être la plus obscure et la plus absurde de toutes et c'est ce qui fait la supériorité incontestable du catholicisme romain. IX. Pour les sages, cette religion sublime est une sœur de charité. Pour les fous,

c'est l'infaillibilité personnelle du Pape. Pour les raisonneurs, c'est une bêtise... plus forte cependant et plus victorieuse que leur prétendue raison. X. On ne donne pas de la religion aux fous avec des raisons et des vertus; il leur faut des formules inintelligibles et des pratiques minutieuses qui les occupent sans qu'ils aient besoin de penser. On ne peut même leur laisser accepter la raison que sous le masque du mystère et de la folie. Si Moïse n'eût sagement démontré aux juifs que la propreté est nécessaire à la santé, les juifs seraient restés couverts de vermine et de lèpre. Au lieu de cela, il leur a prescrit des ablutions légales à certaines heures et avec certaines cérémonies. Il leur a laissé croire que Dieu s'occupait de leurs vêtements et de leur vaisselle. Il faut purifier les vases, briser les pots de terre qui ont été imprégnés d'un air vicié, ou qui ont trop longtemps servi, ne pas s'approcher d'une femme pendant ses infirmités régulières, etc, etc. Tout cela uniquement parce que Dieu l'ordonne et que telles doivent être les pratiques de son peuple privilégié. Les rabbins ont encore enchéri sur Moïse et ont donné aux observances légales un caractère de tyrannie et d'absurdité qui est la force même du judaïsme et qui l'a fait se conserver à travers les âges malgré les persécutions du fanatisme et les progrès de la philosophie. Voilà ce que devraient comprendre les libres penseurs. XI. Quand le pape Pie IX, pour avoir essayé de concilier la foi et le progrès, la religion et la liberté, se vit chassé de la ville et de son siège par les compagnons de Garibaldi et les agitateurs de Mazzini, il vit qu'il avait fait fausse route. Il comprit que si l'autorité ecclésiastique faillissait, c'est qu'elle manquait d'absolutisme, que si la foi se relâchait, c'est qu'elle avait besoin de plus profonds mystères et de plus inextricables absurdités. Alors, il canonisa Saint Labbre, proclama l'Immaculée Conception et publia le syllabus. Le génie sacerdotal reconnut alors en lui son vrai maître et les évêques rassemblés à Rome furent disposés à le proclamer infaillible. XII. Ce qu'il faut à l'Église, ce ne sont pas des hommes de génie, ce sont des directeurs habiles et surtout des saints, c'est-à-dire des magnétiseurs enthousiastes et obéissants. Les hommes de génie n'ont jamais été des catholiques purs. Bossuet était gallican, Fénélon quiétiste, Pascal janséniste, Chateaubriand romantique, Lamennais socialiste et maintenant encore ceux qui troublent l'Église sont des hommes de talent, M. Dupanloup, l'évêque Strossmayer, le père Gratry, le père Hyacinthe, tous ces hommes remarquables qui ont le génie de leur siècle et n'ont pas celui du sacerdoce. XIII. Les opinions humaines cherchent vainement à ébranler ce que la nature conserve. XIV. On parle de religion naturelle; mais la plus naturelle des religions, c'est la plus absurde, puisqu'il est très naturel que les hommes tombent dans l'absurde quand ils veulent formuler l'inconnu.

XV. Parlez de sagesse à des enfants, ils feront la mine et penseront à Croquemitaine, mais racontez-leur Peau d'Âne et vous verrez comme ils vous écouteront. XVI. Vous dites que les enfants grandiront. Sans doute, mais il y aura alors d'autres enfants. XVII. Ne raisonnez pas sur les couleurs avec les aveugles, mais conduisez-les et ne fermez pas les yeux pour vous laisser conduire par eux. Les oracles qu'on reçoit les yeux fermés sont ceux des rêves, ou du mensonge. Chez les Hébreux, quand on voulait faire parler Dieu, on tirait au sort, procédé simple mais naïf. Chez les Chrétiens, on a mis d'abord les réponses de Dieu à la majorité des voix dans les conciles sans trop réfléchir au petit nombre des élus et au grand nombre des fous. Puis on en est venu à faire dépendre l'oracle de Dieu du bon plaisir du Pape. Le concile de Nicée a décidé que le fils de Dieu est consubstantiel à son père, lequel est, suivant l'expression de l'évangile, supersubstantiel, c'est-à-dire au-dessus de toute substance. Le concile d'Éphèse a déclaré que Dieu, l'Éternel, a une femme pour mère. Le Pape Pie IX a voulu que cette femme ait été conçue sans péché, ce qui fait dépendre le péché originel du caprice de Dieu, puisqu'il peut en exempter qui bon lui semble. Mettre aux voix une formule obscure et contradictoire, n'est-ce pas encore tirer au sort pour un oracle ? Autant vaut la décision du Pape que celle d'un concile, quand il s'agit de la substance de Dieu ou de l'immaculation de la Vierge. Et s'il s'agit de savoir utrum chimoera in vacuum bombinans possit comedere sucundas intentiones, si le Pape dit oui, je ne me sentirai pas de force à dire non, rien ne me prouvera que c'était oui qu'il fallait dire. Mais que pour de pareils questions les princes et les peuples puissent s'armer les uns contre les autres, c'est ce qu'il ne faudra plus souffrir dès que les hommes seront arrivés à avoir un peu de raison. XVIII. L'infini étant une absurdité qui s'affirme invinciblement devant la science, il faut des formules absurdes pour entretenir chez l'homme qui ne raisonne pas le grand rêve de l'infini. XIX. Étant donné une quantité d'hommes sérieux qui tiennent absolument à savoir s'il faut appeler blanche ou noire, ronde ou carrée, un entité abstraite impalpable et invisible, lequel vaut mieux : tirer au sort, mettre la chose aux voix, ou s'en rapporter au président de l'assemblée, en supposant que ce qu'il dira sera incontestable ? Les trois procédés sont fous mais les dernier est encore le moins déraisonnable : car on peut piper les dés, on peut acheter des voix, mais on est sûr que le Pape agira toujours dans son propre intérêt qui est celui du catholicisme romain. XX. En cherchant Dieu dans l'absurde, on trouve le diable, mais en cherchant le diable, on ne trouve pas la raison. Analysez le dieu et le diable vulgaire, vous trouverez dans le dieu l'idéal poétisé du diable et dans le diable la caricature de

Dieu.

Chapitre VIII - La foi I. Une femme un jour parut sur une place d'Alexandrie. D'une main elle tenait une torche allumée et de l'autre une cruche d'eau. Avec cette torche, s'écrie-telle je veux incendier le ciel; avec cette eau je veux éteindre l'enfer pour dissiper tous les fantômes qui me cachent mon Dieu et ne plus croire qu'en lui seul ! II. Nous ne pouvons pas comprendre Dieu. Nous pouvons à peine savoir ce que nous disons lorsque nous bégayons son nom; mais nous sentons en nous un besoin impérieux, invincible, absolu de croire en lui et de l'aimer ! III. Peut-on aimer sérieusement, peut-on aimer longtemps ce qui n'est pas ? Eh bien l'amour de Dieu est le seul qui dure autant que la vie et qui se sent assez puissant et assez croyant pour créer la vie éternelle ! IV. Oh oui il est ! Il est bien plus évidemment que nous ne sommes car nous l'aimons plus que la vie ! Il est meilleur que toutes les bontés humaines, car nous l'aimons mieux que nos pères et nos mères ! Il est plus beau que toutes les beautés mortelles car nous l'aimons plus que nos femmes et nos filles ! V. Nos âmes ont faim de divinité, elles ont soif de l'infini et nous sentons nos cœurs grandir jusqu'à l'immensité dans le rêve du sacrifice éternel. VI. Tout est de son être, tout vit de sa vie. Tout rayonne de sa lumière; tout rit et chante de sa joie ! Il est en nous, il est autour de nous, il nous touche, il nous parle, il pleure dans nos larmes, il nous fortifie dans nos douleurs, il oublie nos erreurs et se souvient de nos bons désirs; tout ce qu'on aime de beau, tout ce qu'on désire de bien, tout ce qu'on admire de grand, tout ce qu'on exalte de sublime... C'est lui ! C'est lui ! C'est lui ! Il est dans tout, tout entier partout sans qu'il puisse être divisé ou contenu. Il n'est rien de ce que nous pouvons voir, toucher, montrer, mesurer, définir. Il est tout ce que nous pouvons désirer, admirer, vénérer, aimer. Il n'est pas l'être, il est le principe de l'être, il n'est pas la vie, il est le père de la vie; il est plus vrai que la vérité, plus immense que l'immensité, meilleur que la bonté, plus beau que la beauté. Toute substance vient de lui mais lui-même n'a pas de substance. En lui tout est loi sans être contrainte, tout est liberté sans antinomie et sans antagonisme; sa volonté est immuable et n'est pas enchaînée; il peut tout ce qu'il veut et ne peut vouloir que le bien. C'est l'affirmation éternelle du vrai, du beau, du bien et du juste. C'est l'inaltérable sérénité d'un soleil sans déclin. Jamais il n'interrompt le cours de ses lois; il n'agit sur l'homme que par la nature; il ne s'irrite ni ne s'apaise et nous ne le prions que pour nous apprendre et nous exercer à désirer le bien !

VII. Que peut-on dire lorsqu'on essaie de parler de lui sinon des incohérences et des absurdités ? N'est-il pas l'infini indivisible, le tout sans parties, l'existant sans substance ? Dogmes humains, paroles de délire, soyez oubliés. Dieu serait fini s'il pouvait être défini; ne parlons plus de lui, vivons à jamais dans son amour. Symboles, images, allégories, légendes, vous êtes les rêves de son ombre... l'amour est la réalité de sa lumière. VIII. Aimons la vérité, aimons la raison, aimons la justice et nous aimerons Dieu et nous lui rendrons le vrai culte qu'il demande. Aimons tout ce qu'il a créé, tout ce qu'il anime, tout ce qu'il aime et nous le sentirons vivre en nous. IX. Communions à lui, communions les uns aux autres, communions. Voilà le dernier mot de la foi universelle. Communions, dis-je et non plus excommunions ! X. Celui qui excommunie s'excommunie. Celui qui maudit se maudit. Celui qui réprouve se réprouve. La damnation seule est damnée. XI. Nous avons le Coran disent les partisans de l'Islamisme; à quoi bon le Coran, disent les chrétiens puisque nous avons l'Évangile ? À quoi bon l'Évangile, disent les Hébreux, nous avons le Sepher Thora. Et moi je dis : à quoi bon le Sepher Thora puisque nous avons Dieu ? Mais ces livres sacrés sont comme les voiles de diverses couleurs qui étaient superposées sur le tabernacle. Vive Dieu dans le Coran ! Vive Dieu dans l'Évangile ! Vive Dieu dans le Sepher Thora ! Mais par-dessus tout, vive Dieu dans le cœur des justes ! Vive Dieu dans la justice et dans la charité, vive Dieu dans la solidarité et la fraternité universelles ! XII. Aimer Dieu, c'est voir Dieu. Dieu n'est visible que pour l'amour et cet amour est la récompense des cœurs purs. On le sent éternel; on le sent infini. On ne définit rien, on ne cherche rien, on ne doute de rien, on ne craint rien, on ne désire rien, on l'aime. XIII. L'acquiescement parfait à la foi, le calme inaltérable dans la contemplation de ce qui est, l'espérance désintéressée de ce qui doit-être, la certitude du bien et le repos dans l'absolu, voilà le Nirvana de Cakia-Mouni si mal interprété par ceux qui veulent y voir l'anéantissement de l'initiative humaine, voilà la perfection de l'homme. XIV. L'amour divin est le père des vrais miracles : il transforme la nature, il donne à la douleur un attrait plus grand que celui du plaisir, il monte et grandit sur les obstacles, il crée un monde fermé à la science et à la philosophie, il est la splendeur derrière le voile, il est la réalité qui nous envahit tout à coup et qui vous fixe dans une conviction plus inébranlable que toutes les certitudes humaines.

XV. Sans l'amour divin on ne peut aimer les hommes : les hommes sans père n'ont pas de frères. L'homme est un monstre pour l'homme sans Dieu. XVI. Avec l'amour divin l'éternité bienheureuse commence : nous sommes dans la gloire, nous sommes dans le ciel, nous demeurons dans l'infini. XVII. Qu'il me couvre de la pourpre de Salomon ou des ulcères de Job, je lui dirai : je t'aime. S'il me dit : je te chasse de ma présence, je répondrai : je t'aime et ta présence me suivra. S'il dit je te réprouve je répondrai je te choisis ! Et s'il veut tonner mon amour prendra des ailes pour s'élever plus haut que le nuage et marchera sur la tempête. XVIII. C'est que je ne crois pas au dieu des hommes, je crois au Dieu de Dieu même ! Je crois à cet amour surnaturel qui est la toute puissance de Dieu vivant à jamais dans mon cœur ! XIX. Je le bénirai dans les villes et dans les campagnes, dans les déserts et sur les mers ! Je le prierai dans les églises au bruit mystérieux des orgues, je le proclamerai dans les synagogues aux éclats du Zohar, je me prosternerai devant lui dans les mosquées à l'appel monotone du Muezzin... Mais mieux que tout cela et suivant la parole du grand maître, je me retirerai dans ma chambre et je le prierai dans mon cœur. XX. Je me retirerai dans une solitude mais je n'y resterai pas enfermé. Dieu estil donc avec moi seul ? N'est-il pas vivant dans la nature entière ? La beauté ne s'épanouit-elle pas dans les fleurs, dans les enfants et dans les femmes ? Ne sent-on pas au milieu des faiblesses et des agitations des hommes la force qui les domine et qui les mène ? Je ne fuirai donc pas les hommes puisque leurs vanités m'ennuient; je serais égoïste et je me tromperais en disant que j'aime Dieu. J'aimerai tes enfants, ô mon père, surtout lorsqu'ils seront malades et sembleront délaissés de toi; car alors je penserai que c'est à moi que tu les confies. Je pleurerai avec ceux qui pleurent, je rirai avec ceux qui rient, je chanterai avec ceux qui chantent. Les caresses d'un enfant me feront tressaillir de joie et le sourire d'une femme me fera rêver à ton amour. Car il n'y a point de maudits ni de bâtards dans ta famille. Tu as tout créé dans ta sagesse et tu conduiras tout à bien par ta bonté. Tout amour vient de toi et retourne à toi. La femme est la ménagère de ta grâce et le vin qui réjouit le cœur de l'homme est l'auxiliaire de ton esprit. Loin de moi ceux qui te calomnient et qui donnent ton nom à d'exécrables images. Qu'on oublie à jamais ce cauchemar de l'antique barbarie, ce bourreau de ses créatures qui les entassent dans un immense pourrissoir où il les conserve vivantes en les salant avec du feu ! Qu'on méprise à jamais ce maître capricieux comme une courtisane romaine qui choisit les uns et réprouve les autres, qui s'irrite à jamais pour un oubli, qui se sacrifie à soi-même son propre fils en faveur de ceux contre lesquels il ne lui

plaît pas de s'irriter et qui n'en devient que plus impitoyable pour tous les autres ! Vieilles idoles, vieilles erreurs, nuages difformes de la nuit des anciens âges, le soleil se lève, ses rayons nous percent de tous côtés comme des flèches d'or. Repliez-vous du côté de la nuit, nuage d'hiver, le printemps souffle, dissipiezvous, passez, passez ! XXI. L'homme n'est pas, il n'a jamais été, il ne sera jamais infaillible quelles que soient ses prétentions et ses dignités sacerdotales. Il n'y a d'infaillible que l'amour suprême uni à l'absolue raison. XXII. La raison sans amour manque de justesse dans l'ordre moral parce qu'elle manque de justice. L'amour sans raison conduit fatalement à la folie. Ayons donc foi en l'amour inséparable de la raison. XXIII. Avec cette foi, si vous savez, si vous voulez, si vous osez et si vous avez l'art de vous taire vous serez plus forts que le monde et le ciel et la terre accompliront vos volontés. Vous ferez suivant la promesse du Christ, tous les miracles qu'il a faits et même de plus grands encore. Le mal disparaîtra devant vous et la douleur se changera en consolations divines. Vous sentirez en vous la vie éternelle et vous n'appréhenderez plus la mort. Rien ne vous manquera, vous n'aurez plus de déception dans la vie. Ceux qui voudront nous nuire se nuiront à eux-mêmes et vous feront du bien. Vous aurez la richesse pour auxiliaire, la pauvreté pour sauvegarde et pour amie, mais la hideuse misère n'approchera jamais de vous. Les esprits du ciel vous accompagneront et vous serviront. La Providence accomplira et préviendra même tous vos désirs. Votre souffle purifiera l'air, votre parole répandra la joie dans les âmes, votre contact rendra la santé aux malades, si vous tombez vous ne vous blesserez point et si l'on vient vous faire du mal, le mal retournera sur celui qui l'aura voulu.

Chapitre IX - La Science I. L'absolu indéfini c'est l'être et l'absolu défini c'est le savoir. L'être inconscient ne s'affirme pas, il est affirmé par la conscience d'un autre être. L'être qui s'affirme c'est l'être qui sait. Le savoir absolu est identique à l'absolue entité de l'être. L'être moral est proportionnel au savoir. Plus on sait, plus on est et plus on est plus on mérite et plus on doit. II. La science est le point fixe autour duquel l'amour c'est-à-dire la foi doit faire circuler la raison. III. La science est le principe de sagesse; elle s'élève du fait à la loi et ne connaît rien au-dessus; mais elle s'incline alors devant la foi qui voyant combien la loi est bonne en conclut qu'elle est voulue par une volonté sage.

IV. La foi qui précède la science ne peut être que provisoire à moins qu'elle ne soit insensée. V. Il faut avoir foi dans la science pour arriver à la science de la foi. VI. On parle de morale indépendante. Cette épithète n'est pas exacte. La morale dépend de la loi. Or c'est la science qui nous fait connaître la loi et qui nous donne des raisons de croire au principe vivant et vivifiant la loi. VII. La science affirme l'infini, brise toutes les chaînes et renverse toutes les prisons de la pensée. Elle abaisse le ciel jusqu'à nous et ouvre à nos âmes des horizons illimités, elle analyse les soleils, elle voit partout fourmiller les astres sur nos têtes, à côtés et sous nos pieds, elle étend partout la lumière et la vie et ne laisse plus de place ni pour la mort, ni pour l'enfer. VIII. La science dissipe les terreurs de l'inconnu, nous délivre de nos préjugés, donne une règle certaine à nos désirs et une carrière infinie à notre activité stimulée par de légitimes espérances. IX. Creuser la science c'est approfondir le désespoir nous disent le croyant aveugle et le sceptique découragé et je leur réponds : non, mais en approfondissant la science on découvre la mine d'or des espérances légitimes. X. C'est la science qui est l'instrument du progrès et le progrès c'est la conquête de la vie et du bonheur. XI. Que m'importent les découragements de Salomon et d'Agrippa ? Où ils se sont arrêtés, je me remettrai en marche; où ils se sont assis la tête tans leurs mains au bord d'une fosse entr'ouverte, je me lèverai plein d'enthousiasme et je franchirai le tombeau ! XII. Le tombeau ! Cette porte qui en s'ouvrant de notre coté ne nous laisse rien voir de ce qu'il y a au-delà, cette porte attire mon désir de l'inconnu. Là, je le sens, là ne s'arrête pas la science; c'est le seuil du sanctuaire où se cache l'absolu; c'est l'entrée d'une science nouvelle ! XIII. Savoir c'est avoir, savoir c'est être, savoir c'est vivre ! Croire, espérer, aimer qu'est ce que cela si l'on ne sait ni ce qu'on croit ni ce qu'on espère, ni ce qu'on aime ? XIV. Si l'objet de la foi n'est pas le postulatum suprême de la science, ce n'est rien. XV. La science veut la religion parce qu'elle sait que la religion est nécessaire. Elle veut une religion efficace c'est-à-dire créatrice et réalisatrice de la foi. Elle veut une religion hiérarchique parce que la hiérarchie est la loi universelle de la

nature. Elle veut une religion monarchique parce qu'il ne peut y avoir qu'un Dieu et que la monarchie réglée par les lois est le gouvernement le plus simple, le plus fort et le plus parfait. La science veut donc la religion telle qu'elle est préparée dans l'Église catholique, apostolique, et jusqu'à présent romaine. Les pasteurs ignorants de cette Église ont beau vouloir marcher à reculons, la terre tourne quoi qu'en aient dit les juges de Galilée et elle les emporte en avant. XVI. Pendant dix-huit siècles et demi, ils se sont déclarés infaillibles, d'une infaillibilité divine, miraculeuse, indéfectible ; et cette puissance que la raison absolue peut seule avoir, ils viennent de l'abdiquer spontanément, librement. Ils ont fait cela dis-je, eux, et non par la révélation; ils ont fait cela, après délibération, discussion et à la majorité des voix comme se font les lois humaines. Maintenant c'est le Pape seul qui est infaillible de leur infaillibilité à eux et non plus celle de Dieu. Le miracle a cessé, la convention disciplinaire lui succède. N'est-ce pas là cet immense évènement dans l'ordre religieux vers lequel, suivant Joseph de Maistre, nous marchions avec une vitesse accélérée ? Vous voyez bien qu'elle aussi, elle marche cette Église soi-disant retardataire. Vive donc la nouvelle infaillibilité du souverain pontife ! Est-ce que le dogme n'est pas constitué ? Est-ce que les bases de la foi peuvent être remises en question ? Et ne suffit-il pas pour imposer silence aux théologâtres disputeurs de la voix du pasteur suprême ? Vienne un Pape homme de science et de génie et par son infaillibilité personnelle, il pourra régénérer l'Église, supprimer les abus, ôter toute raison d'être au protestantisme, réunir tous les croyants, abolir tous les anathèmes, bénir même les Bouddhistes et les Musulmans, ce qui serait à jamais impossible s'il avait besoin pour cela de l'assentiment d'un concile. XVII. Tout dogme qui devient nécessaire doit par le fait même de sa nécessité être considéré comme révélé de Dieu puisque Dieu c'est la Providence, puisque la loi religieuse est faite pour l'homme et non l'homme pour cette loi, puisque toute révélation vient de l'inspiration des hommes qui croient et font croire aux autres ce que la piété leur suggère. Car c'est ainsi que la science peut comprendre et expliquer la foi. XVIII. La tourbe des demi-savants et la vile multitude des ignorants incrédules pensent qu'on détruit la religion par la science. C'est le contraire qui est vrai. La religion tient à l'essence même de l'âme humaine et la vraie science le voit bien. La science ne renverse que les idoles ridicules et encore se garde-t-elle bien de les briser; elle les conserve pour ses collections et ses musées. XIX. L'art est la fleur de l'arbre de la science. Pa le génie esthétique se conserve le culte de l'idéal de la beauté. Le beau est la splendeur du vrai, a dit Platon, et la science aussi a ses beautés et ses splendeurs. Toute doctrine qui amoindrit l'idéal est une doctrine fausse. Vous voulez combattre mes croyances, montrez m'en de plus grandes et de plus belles. Votre matière travaillée par des forces fatales est épouvantable. Votre univers machine aveugle, est plus laid que

Polyphème qui du moins avait un œil; votre humanité qui s'anéantit éternellement est horrible. Je vois l'être, je vois la lumière, je vois l'ordre, je vois la beauté, je vois que tout cela est vrai et je ne crois pas à vos blasphèmes. XX. La science de la religion conduit à la synthèse dogmatique, véritable catholique du monde. L'unité des croyances et des symboles apparaîtra alors rayonnante chez tous les peuples et dans tous les âges et la similitude de tous les dogmes des peuples anciens et modernes amènera les savants et les croyants réunis à proclamer la grande orthodoxie humaine. Et il se trouvera un grand pontife universel qui dira : il en est ainsi ! Et toutes les intelligences de l'univers répondront : Amen ! XXI. La fausse science comme la fausse religion a ses superstitions et son fanatisme. Je ne reconnais pas pour des savants ceux qui ont peur des phénomènes lorsqu'il ne peut pas encore les expliquer et qui nient tout ce qu'ils ne comprennent pas. Je ne reconnais pas pour des savants ceux qui n'osent pas parler autrement que les académies officielles. Les sciences occultes sont le protestantisme de cette fausse orthodoxie. Ce sont les sciences excommuniées et non jugées par les usurpateurs d'une fausse infaillibilité. XXII. L'homme infaillible est celui qui affirme ce qui lui est démontré, admet l'hypothèse nécessaire, examine les hypothèses probables, tolère les hypothèses douteuses et rejette les hypothèses absurdes : celui qui règle sa croyance d'après des lois et non suivant des opinions. Celui qui tire toujours le bien du mal pardonne, console, ne s'irrite jamais et ne désire rien avec emportement. De celui-là on peut dire ce qu'on a dit de Dieu même : il est patient parce qu'il est éternel. XXIII. La science ne voit que des phénomènes où l'ignorance voit des miracles. Elle étudie les merveilles de la nature et les trouve plus grandes que les prétendus prodiges. Elle reconnaît les lois suprêmes et n'admet point de caprices divins. Elle sait que dans l'univers la matière obéit à la force, la force à la loi et que la loi est immuable comme Dieu. XXIV. La science ne peut rien enseigner de contraire à la foi. Car si au nom de la foi quelqu'un contredit la démonstration de la science, celui-là n'a point la foi, il a la croyance aveugle et opiniâtre des insensés. XXV. L'Église ne peut rien décider qui soit contraire à la science et par conséquent à la raison car son jugement alors serait celui d'un tribunal incompétent. XXVI. Les races humaines se succèdent en se perfectionnant, mais chacune d'elles a sont enfance, sa virilité et son déclin comme les empires et comme les hommes. Les races antérieures à la nôtre ont vieilli, se sont énervées et sont mortes; c'est ce qui explique le dogme du péché originel et de la déchéance

adamique. Dieu se manifeste dans la nature, mais il ne nous a jamais parlé que par la bouche des hommes et c'est ce que veut dire dans l'Inde et dans le Christianisme le dogme de l'Incarnation. Il y a solidarité entre les hommes et le riche doit payer pour les pauvres; voilà le dogme de la rédemption. Nous concevons Dieu comme puissance, comme sagesse et comme amour; voilà le dogme de la Trinité. L'homme a son libre arbitre; mais ce libre arbitre est toujours influencé par un attrait. L'attrait du bien est ce qu'on appelle la grâce. L'attrait du mal est la tentation du démon. Ainsi, les mérites de l'homme viennent de Dieu et ses vices d'une faiblesse originelle dont Dieu se fait le répondant. Voilà toute l'économie du salut et les garanties de l'espérance. XXVII. La foi ne peut juger la science, mais la science juge la foi. XXVIII. Quand l'Église reviendra à la science et quand la science reviendra à la foi le monde entier sera catholique. XXIX. La religion de l'avenir ne sera plus le catholicisme, ce sera la catholicité. Adoration universelle de Dieu dans les merveilles de la science; amour de Dieu vivant dans l'humanité et synthèse de lumière expliquant, par la divergence des rayons, les nuances de tous les cultes. XX. La foi séparée de la science n'a produit et ne pouvait produire que de fausses vertus et de vrais crimes; ce qui sauvera le monde c'est la science justifiant la foi. XXI. Le matérialisme moderne n'est qu'une représaille passionnée contre la foi qui nie la science. C'est l'absurde négatif opposé à l'absurde affirmatif; il a sa raison d'être et il aura son temps. XXII. La vérité religieuse ressort de tous les symboles réunis et corrigés ou expliqués l'un par l'autre. Le célibat du Christ épure les amours de Crisna. La Diane Panthée au triple rang de mamelles explique la maternité de la Vierge. De la communion émane le vrai socialisme; la croix ansée d'Osiris est analogue à la croix du rédempteur. Le paradis de Mahomet est sorti du cantique des cantiques et la notion de Dieu la plus profonde se trouve dans les symboles de Maïmonide. XXIII. La Bible nous dit que ce qui a perdu l'homme, c'est la science du bien et du mal. En effet, une pareille science s'annule d'elle-même en affirmant simultanément les deux contraires les plus inconciliables que puisse concevoir la pensée humaine. C'est comme si on disait : la science de ce qui est vrai et de ce qui n'est pas, la science de la vérité et de l'erreur. Le néant et l'erreur peuvent-ils être l'objet d'une science ? Existe-il une science de la maladresse et de la sottise ? La science du mal, c'est la création du diable, c'est l'affirmation de l'enfer éternel, c'est la négation de tout ce que peut affirmer la science : c'est l'ignorance érigée en principe, c'est la royauté la mort.

XXIV. Les théologiens et les casuistes sont les Normands du pommier d'Ève et en ont semé les pépins; ils l'ont replanté, greffé et multiplié, ils en récoltent les fruits et en font du cidre qu'ils laissent vieillir dans des barriques à fermoir qu'on appelle des in-folio. XXV. La seule vraie science qui est la science du bien exclut l'ignorance qui fait commettre le mal. Voilà le pommier d'Éden singulièrement émondé. XXVI. L'ignorance produit la bêtise et la bêtise se transmet de père en fils avec une tradition de préjugés qu'on appelle sottement la loi de nos pères. Voilà le péché originel. XXVII. Offenser Dieu, c'est se heurter contre la raison suprême. Or, la raison suprême brise sans colère et sans pitié tout ce qui s'oppose à elle, car elle fait la loi et elle est elle-même la loi. XXVIII. La loi éternelle ne pardonne jamais, il faut l'observer protectrice et conservatrice ou la subir rigoureuse et donnant la mort, non pas à l'être qui ne peut devenir néant, mais au mal qui ne doit pas être. XXIX. La loi de destruction s'applique seulement au mal; le bien est éternel. La nature porte les imparfaits à s'entre-détruire. La guerre est le résultat équilibrant de l'égoïsme féroce des animaux, des hommes et des nations. Si les méchants détruisent les bons, c'est la faute des bons qui n'ont pas encore su se coaliser pour régner. XXX. Si, jusqu'à présent dans le monde, les méchants ont paru plus forts que les bons, c'est que les méchants savent faire le mal et que les bons ne savent pas faire le bien. XXXI. C'est que les méchants observent et agissent tandis que les bons se contentent de croire et de prier. Ce sont des dupes qui se prennent pour des martyres. XXXII. La vraie religion est inséparable de la vraie science. Il faut savoir croire avec raison.

Chapitre X - L'action I. L'action est la résultante équilibrée du mouvement dirigé par l'intelligence. II. Le mouvement est la manifestation de la vie. La vie est la révélation phénoménale de l'esprit.

III. L'esprit, c'est la direction de la force; la force sans direction n'arriverait jamais à l'harmonie créatrice. IV. L'harmonie, c'est la balance ingénieuse des nombres. C'est la musique de la nature, soit qu'on l'entende, soit qu'on ne l'entende pas. V. Les sensations sont le résultat des vibrations et les vibrations composent l'harmonie des sons, des impressions et des nuances. VI. Toute action est une force. VII. L'action harmonieuse se répète en se multipliant, l'action de dissonance produit une réaction équilibrante. VIII. Voulez-vous qu'une action violente se produise à droite, agissez violemment à gauche. Ceci dit au figuré. IX. La création éternelle est l'action de Dieu et de la nature. Or dans la nature tout agit et l'inaction est impossible. Si le nageur se lasse d'agir, le fleuve agit et le submerge. X. La mort apparente, c'est une action particulière qui cesse et qui disparaît dans l'action universelle. XI. La mort, c'est l'océan de la vie dans lequel retombent tour à tour les gouttes d'eau devenues plus lourdes que le nuage. Puis le soleil fera relever un nouveau nuage sur la mer et les gouttes d'eau flotteront encore dans le ciel avec leur robe de vapeur. XII. Devons-nous donc mourir mille fois ? Non ! Pas même une fois ! Car la mort est la chimère des vivants qui ont peur d'elle. La mort n'existe que dans la crainte de la mort et cette crainte, nous l'oublions quand nous voyons que la mort n'est pas. L'Éternité ne se souvient que de la vie. XIII. Agir contre l'action universelle, c'est vouloir se briser. Agir avec l'action universelle, c'est exercer la puissance divine; ici se trouve suffisamment indiqué le grand arcane de la haute magie. XIV. Les actions de l'homme modifient l'homme. Nous sommes tous les fils de nos œuvres. XV. La substance inerte nommée matière est le point d'appui du levier moral; elle repousse et reflète en quelque manière l'action qu'elle subit, elle s'imprègne de la volonté de l'homme et peut devenir par l'influence magnétique, soit un médicament, soit un poison.

XVI. Le vin versé par les sages réjouit et fortifie; le vin des insensés enivre et donne le vertige. XVII. La matière est ce que les sages veulent qu'elle soit. Ainsi s'explique le mystère de la transsubstantiation. XVIII. La foi qui transporte les montagnes n'est autre chose que la coalition des volontés actives pour la réalisation d'un rêve ou d'une utopie. XIX. La volonté collective mise en action donne toujours un résultat proportionnel à la puissance des forces réunies; mais lorsqu'elle agit en faveur d'un rêve, ce qu'elle produit est toujours une réalité contraire à la formule du rêve. L'idéal de la rédemption par le sacrifice a produit l'inquisition, l'idéal de l'émancipation des hommes n'a produit lors de la grande exaltation de ses croyants que le régime de la terreur : parce que les chrétiens et les révolutionnaires idolâtres les uns du sacrifice, les autres de la liberté, croyaient faussement qu'on peut les imposer à ceux qui n'en sont pas capables, et, surtout ne comprenaient pas qu'il n'est de sacrifice véritable sans liberté, ni de liberté véritable sans sacrifices. XX. Les grandes religions produisent de grands peuples, parce qu'elles forment de grandes forces collectives et inspirent de grandes actions. XXI. Il n'y a point de héros dans la solitude. Des actes sublimes sont toujours déterminés par l'enthousiasme de plusieurs. Les grands crimes sont également le résultat d'une perversité collective. Le diable, dans l'Écriture, s'appelle légion et le bien triomphant s'appelle le Dieu des armées. XXII. Le feu de l'enfer, c'est l'activité dévorante du bien qui consume éternellement le mal. Jésus-Christ l'a dit dans un de ces passages de l'évangile que l'église ne peut jamais expliquer au commun des fidèles. Il parle des réprouvés et il ajoute : « Le feu les salera comme on met du sel sur la tête des victimes. Le sel c'est le bien. S'il venait à perdre sa force, avec quoi le salerait-on ? Conservez le sel en vous-mêmes. » On donne de ce passage au vulgaire cette explication abominable : que le feu conservera les damnés à l'éternité de leur supplice comme le sel conserve les chairs mortes. Il faut bien faire peur aux imbéciles et aux méchants. XXIII. Les faibles parlent et n'agissent pas, les forts agissent et se taisent. XXIV. On a parlé d'une épée dont la poignée est à Rome et dont la pointe se fait sentir partout. Si cette épée existe, celui qui l'a forgé était un habile armurier; tâchez d'en faire une pareille. XXV. Weishaupt l'a essayé, mais son œuvre n'a jamais été durable, parce que les disciples ne disaient ni la messe, ni le bréviaire, ni le chapelet tous les jours.

XXVI. Qu'un Chrétien cesse de pratiquer il ne croira pas longtemps, mais si un incrédule commence par pratiquer bientôt il croira. Car la volonté ne peut pas longtemps être séparée des actes. XXVII. La magie et la religion sont une seule et même chose. On appelle religion la magie autorisée et magie une religion prohibée. XXVIII. La religion et la magie font également des miracles, mais le dieu de l'une est le diable de l'autre et réciproquement. XXIX. Mettez du blanc sur dur noir, le blanc deviendra une splendeur; mettez du noir sur du blanc, le noir deviendra une profondeur. Mêlez ensemble le blanc et le noir, vous obtiendrez une nuance terne et désagréable qu'on appelle le gris. XXX. Dans le monde divin, il y a les anges blancs et des anges noirs, mais il n'y a pas d'anges gris. Dans le monde intellectuel, il y a l'absolu affirmatif et l'absolu négatif, mais le doute n'existe pas. Dans le monde moral, il y a le bien et le mal, mais il n'y a pas de milieu. Dans le monde de l'action, toute activité est la vie, mais l'inaction est la mort. Jésus accepte le chaud et le froid, mais il vomit ce qui est tiède.

Chapitre XI - La force et ses auxiliaires. I. Toute force veut une impulsion, nécessite une action et s'appuie sur une résistance. II. Toute force domine l'inertie, toute inertie subit la force. III. Toute action répétée détermine la force; la force continue, quelque minime qu'elle soit, triomphe de toute inertie. IV. Les actes les plus indifférents en apparence, dirigés par une intention et répétés avec persistance font triompher cette intention. C'est pour cela que toutes les grandes religions ont multiplié leurs pratiques et attachent la plus grande importance à ces pratiques. Un coup de pioche asséné par Hercule ne percerait pas la masse d'un rocher, mais une goutte d'eau qui tombe à même place, d'heure en heure, finit par trouer une voûte immense de pierre. V. Les pratiques superstitieuses sont aussi efficaces que les pratiques religieuses, mais elles représentent plus de danger parce qu'elles ne sont pas réglées par l'autorité légitime. VI. En faisant régulièrement ce qu'il appelait lui-même ses exercices, St-Ignace a fini par voir distinctement la Vierge dans la caverne de Maurèse, en pratiquant les rites de Taurobole, l'empereur Julien a vu en personnes les dieux de l'ancien

Olympe, et, en s'assujettissant aux cérémonies du grimoire, les sorciers obstinés finissent nécessairement par voir le diable. VII. Toute force veut une faiblesse, s'exerce sur une faiblesse et triomphe par une faiblesse. VIII. La plus grandes des faiblesses humaines, c'est l'amour, et c'est pour lui que la force humaine a fait ses plus grands miracles. IX. L'enthousiasme déculpe les forces de l'âme et l'enthousiasme est presque toujours excité par une chimère. X. Moi qui écris ces lignes, je me sacrifie depuis quarante ans à des travaux ingrats parce que je crois à leur utilité, comme si tout ce que je pense et tout ce que j'écris n'avait pas été pensé et écrit inutilement par d'autres. XI. Si l'homme n'avait pas un grain de folie, il ne ferait usage de sa raison que pour s'éloigner de toutes les peines et se défier de tous les plaisirs; mais alors il ne vivrait pas, il végéterait enfermé dans sa carapace comme un mollusque. XII. La plus grande sagesse de l'homme, c'est de bien choisir sa folie. XIII. Salomon dit : sur toutes les femmes, je n'en ai pas trouvé une. À cela la froide raison répondrait : prenons-les toutes pour ce qu'elles valent. Mais la douce folie d'amour proteste et dit : si nous avons mal choisi, choisissons encore, puis la sagesse ajoute : vivons de nos rêves, n'en mourons pas. XIV. Il en est de même des religions. Sur toutes, pas une n'est raisonnable, disait Voltaire. Je le crois bien. Est-ce que les femmes sont raisonnables ? La religion est la femme de notre esprit. On ne peut pas être à la fois de toutes les religions et notre âme a besoin d'en pratiquer une. XV. Alors, si l'on veut un culte efficace il faut être magicien ou catholique, ce qui est au fond la même chose, car la religion catholique c'est la magie régularisée et vulgarisée. XVI. Quelle est la force qui nous fait désirer une femme ? La passion. Et bien, la religion catholique seule est une religion passionnée. Elle est insensée et par cela même invincible pour la raison, jalouse, exclusive, et pour cela même entraînante. Elle seule fait des miracles et nous fait toucher Dieu ! XVII. Mais la religion et la femme préférée sont comme le sphinx; il faut deviner leur énigme ou périr; il faut les posséder et n'en pas être les esclaves, il faut en comprendre et non en subir les mystères. Il faut s'en rendre maître enfin comme Ulysse s'est rendu maître de Circée ! Qui habit aures audiendi audiat.

XVIII. Pour le sage, les prêtres sont les ministres, c'est-à-dire les serviteurs de la religion; ils n'en sont ni les arbitres ni les maîtres. XIX. Notre conscience peut avoir besoin d'être éclairée, mais elle ne doit être dirigée que par la raison unie à la foi. XX. Il faut prendre conseil d'un homme éclairé et désintéressé, d'un homme libre et prudent. Ce qui, vu l'organisation actuelle du clergé ne se trouve guère parmi les prêtres. Quoi de plus insensé lorsqu'on voit mal, que de prendre pour guide un aveugle, uniquement parce qu'il est tonsuré et qu'il porte un surplis blanc sur une robe noire. XXI. La religion sanctionne le devoir. Mais elle n'est pas plus un devoir que l'amour. Elle est un secours offert à notre faiblesse. Elle est un besoin de l'âme. Elle est un entraînement du cœur ou elle n'est rien. XXII. Elle peut aller au-delà de la raison mais jamais contre la raison; plus loin que la science mais jamais malgré la science. Autrement elle se détruit ellemême en se prouvant évidemment fausse. Alors, elle n'est plus une auxiliaire de la force, elle devient une maladie de l'esprit et une faiblesse de l'âme. XXIII. Pour que les contraires s'affirment soit simultanément, soit séparément et alternativement, il faut de toute nécessité qu'ils ne soient pas contradictoires. XXIV. Quand l'enthousiasme nous emporte plus loin que la raison, il semble nier la raison, mais quand la raison vient à son tour corriger les erreurs de la foi, elle semble repousser la foi. L'une et l'autre cependant nous portent tour à tour dans le progrès, comme dans la marche on s'appuie alternativement sur les deux jambes. XXV. L'homme qui marche ne s'appuie jamais que sur un pied à la fois. Celui qui pose en même temps les deux pieds à terre ne marche plus. Mais l'erreur de beaucoup d'hommes, c'est de vouloir se servir exclusivement de la raison ou de la foi et de ressembler ainsi à un enfant qui ne voudrait marcher qu'à clochepied. XXVI. Lorsqu'on aime, on ne raisonne pas. Lorsqu'on raisonne, il semble qu'on n'aime pas. Lorsqu'on raisonne après avoir aimé, on comprend pourquoi l'on aimait. Lorsqu'on aime après avoir raisonné, on aime mieux. Voilà la marche du progrès des âmes. XXVII. Lorsqu'on a un pied sur lequel on ne peut s'appuyer sans tomber, il faut le couper, dit Jésus-Christ. Le remède est violent et Jésus-Christ disait cela sans doute parce que de son temps on n'avait pas encore inventé l'orthopédie. Mais on n'a que trop suivi son conseil et c'est pour cela que l'Église boite du côté de la raison et que la philosophie boite du côté de la foi.

XXVIII. Lier ensemble les deux jambes, ce serait n'en faire qu'une et cela rendrait la marche impossible. Pour que les jambes se prêtent un mutuel secours, il faut qu'elles soient dégagées et absolument libres l'une de l'autre, il en est de même de la raison et de la foi. Imposer des croyances à la raison et demander à la foi des démonstrations scientifiques c'est paralyser l'une par l'autre. Lorsqu'on a une jambe qui gêne l'autre, on est bancal et le grand problème de nos jours c'est de trouver l'orthopédie des âmes. Pour ceux qui ont compris mes livres, j'ai peut-être le droit de dire : Eureka ! Établir que la solution d'un problème est nécessaire, c'est prouver qu'elle est possible, et prouver qu'elle est possible c'est la donner. XXIX. Concilier la foi avec la raison, c'est croire que le dogme universel sous ses formes diverses, est l'expression progressive des aspirations humaines vers la divinité ; aspirations qui ne sont ni fictives dans leurs sources ni arbitraires dans leurs formes, aspirations qui viennent de dieu comme toutes les forces de la nature. Qu'ainsi le dogme est révélé et se révèle toujours. Mais que les symboles ne sont pas des définitions scientifiques, les allégories des histoires, les sacrements des opérations physiques et que les absurdités évidentes de la forme, devant les appréciations rationnelles, prouvent qu'il faut chercher ailleurs et plus haut les réalités cachées sous ce mystérieux enseignement. XXX. La conséquence de cette croyance raisonnable, c'est la catholicité universelle, car il n'y a qu'une révélation comme il n'y a qu'un dieu. Les cultes seuls diffèrent comme les symboles et comme les hommes, mais la grâce de Dieu habite aussi bien pour le juste dans la synagogue que dans la mosquée, dans le temple que dans l'église, et l'unité dans la religion, même extérieure, sera tôt ou tard une conséquence de l'unité dans la civilisation. Or personne ne conteste la beauté, la simplicité, la majesté et l'influence profonde sur les âmes du culte catholique jadis romain : c'est donc celui-là qui prévaudra parce qu'il offre à la force du monde de plus puissants auxiliaires. Mais comme le christ son fondateur, il faut qu'il meure sous sa forme humaine, c'est-à-dire temporelle pour ressusciter dans sa puissance spirituelle et divine. I Lictor Expedi Crucem !

Chapitre XII - La paix profonde. I. Toutes les souffrances de nos âmes viennent de l'égarement de nos désirs et de notre obstination à réaliser des mensonges. II. Toutes les souffrances de nos cœurs viennent de ce que nous aimons pour recevoir et non pour donner, pour posséder et non pour améliorer, pour absorber et non pour immortaliser. III. Pour être heureux, il ne faut rien convoiter, rien désirer avec entêtement mais il faut acquiescer à la loi, vouloir le bien et espérer la justice.

IV. Il ne faut s'identifier à rien de ce qui se corrompt; s'attacher à rien de ce qui passe, laisser absorber sa vie par rien de ce qui meurt. V. Il faut aimer la beauté, la bonté et l'amour qui sont éternels. VI. Il faut aimer l'amitié dans notre ami, la jeunesse et la grâce dans notre amie. Il faut admirer dans les fleurs le printemps qui les renouvelle et ne pas s'étonner de voir des fleurs qui se flétrissent et des mortels qui changent. VII. Il faut boire le vin quand il est bon et le jeter quand il est gâté. VIII. Il ne faut pas pleurer le bel agneau qu'on a mangé. IX. Il faut donner de bon cœur à celui qui la trouvera, la pièce d'or qu'on a perdu. X. Si nous voyons mourir l'arbre qui nous avons planté, chauffons-nous avec le bois mort et plantons mieux un autre arbre. XI. Ne murmurons jamais quand nous avons ce que nous avons choisi. XII. Quand notre sort n'est pas de notre choix, tirons-en le meilleur parti possible et attendons en travaillant. XIII. Cherchons le vrai avec simplicité sans nous passionner pour une idée ou pour une croyance. XIV. Ne disputons jamais contre personne. La dispute, en surexcitant l'amourpropre, produit l'entêtement, ennemi de la vérité et de la paix. XV. Ne nous indignons jamais, rien ne mérite notre indignation et rien ne nous donne le droit de nous indigner. Les crimes sont des catastrophes et les méchants des malades qu'il faut éviter sans les haïr. XVI. Ne haïssons personne et n'ayons jamais de ressentiment. Ceux qui nous font du mal ne savent ce qu'ils font, ou ils cèdent à des entraînements qui les rendent plus malheureux que nous. XVII. Aimons toujours. L'amour est immortel, son objet ne saurait mourir, mais les amours de la terre ne continuent que sur la terre. L'être aimé qui meurt à la vie individuelle, vit encore et plus que jamais dans la vie collective et c'est lui encore que nous aimons dans l'objet d'un nouvel amour. XVIII. Pauvre mari qui pleure et qui croit que ta femme est morte, elle va revenir, attends-la, elle est allée changer de robe.

XIX. Nous, ce sont les autres, et les autres, c'est encore nous. XX. Il est très peu d'hommes et de femmes qu'on regrette après vingt ans et qu'on voulut alors ressusciter pour les reprendre. XXI. De même que très rarement, lorsqu'on a eu dans sa jeunesse une passion malheureuse, on regrette vingt ans après de n'avoir pas épousé la personne qu'on désirait alors avec tant d'ardeur. XXII. Les éternités de l'amour sexuel sont des éternités de sept à dix ans. XXIII. Dans l'autre vie tout cela sera oublié et l'on se retrempera dans la fraîcheur d'une vie nouvelle et dans la chaste ignorance du berceau. XXIV. L'innocence éternelle c'est l'oubli, puisque le souvenir serait presque toujours, ou le chagrin ou le remord. XXV. Celui-là n'aurait jamais de peines morales qui aurait la puissance d'oublier. XXVI. Le seul qu'on ne puisse et qu'on ne doit jamais oublier c'est Dieu, puisqu'il est nécessairement et absolument présent à toutes nos existences successives. XXVII. Et dans tout ce que nous aimons, nous cherchons uniquement un charme qui vient de lui, qui reste en lui et que nous retrouvons toujours. XXVIII. Il y a, sur les êtres qui nous sont sympathiques, un certain signe que nous reconnaissons comme une signature de famille et dans toutes ces transformations nous retrouvons toujours les nôtres. XXIX. Mais ce signe peut s'effacer sur tel ou telle et après une révolution d'existence, nous ne nous souvenons pas plus de celui-là ou de celle-là que s'il n'avait jamais existé pour nous. XXX. Ne regrettons donc jamais personne. Nous retrouverons toujours ceux que nous devons toujours aimer. XXXI. Jamais de vrais amis ne sont réellement séparés. Dieu remplit toutes les distances et ne laisse pas de vide entre les cœurs. XXXII. Subissons vaillamment le châtiment de nos fautes et n'en rougissons plus quand nous les auront réparés. XXXIII. Un proverbe vulgaire dit que l'enfer est pavé de bonnes intentions. Cela n'est pas vrai. Le ciel est étoilé de bonnes intentions qui ont produit sur la terre des actions maladroites et l'enfer et pavé de mauvaises intentions qui voulaient remplir le ciel de fausses vertus.

XXXIV. Dans l'évangile, le retour au bien est préféré à l'innocence et cela est juste, car la vie est un combat et l'innocence n'est pas une victoire. XXXV. Dieu donne à chacun dans cette vie un animal à dompter. Les plus favorisés sont ceux qui luttent contre un lion, quelle gloire auront ceux qui n'auront dompté qu'un agneau ? XXXVI. Ne soyez étranger à rien de ce qui est humain et alternez prudemment l'emploi de vos forces. Si l'étude vous absorbe trop, cherchez des distractions. Tempérez la sagesse par quelques folies volontaires. Si les choses de l'intelligence vous dégoûtent de la vie matérielle, imposez-vous pour pénitence des parties de plaisir et des entretiens réjouis. Mettez comme le bon La Fontaine, dans les plateaux d'une même balance St-Augustin et Rabelais, vous pourrez alors admirer Baruch sans danger pour votre raison. XXXVII. Salomon a dit que la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse. Jésus a enseigné l'amour de Dieu qui, suivant St-Paul, peut tenir lieu de sagesse et la haute initiation enseigne l'identification de l'homme avec Dieu, qui est la consommation éternelle de la sagesse et de l'amour. XXXVIII. Paix profonde : mon Frère, dit un Frère de la Rose+Croix lorsqu'il en salut un autre ; et l'autre répond : Emmanuel ! Ce qui veut dire Dieu est avec nous ! XXXIX. Dieu est avec les justes et dans les justes, dans les sages et avec les sages. La religion est l'échelle d'or que Jacob a vu en songe et qui fait communiquer le ciel avec la terre; mais les bronzes, les marabouts, les brames, les fakirs, les rabbins, les ulémas et les moines veulent en faire la tour de Babel qui met la confusion dans les idées, rend les paroles inintelligibles et divise les nations. C'est le sacerdoce qui est le ver rongeur de l'arbre des croyances universelles. Aussi le Christ s'était-il donné pour mission de détruire le sacerdoce et de le remplacer par le presbytérat, c'est-à-dire par la liberté organisée sous la présidence des anciens. Le sacerdoce caste, le sacerdoce profession lucrative, le sacerdoce autocrate des consciences, le sacerdoce usurpateur des choses temporelles, voilà ce que le christianisme devait détruire : et voilà ce que les hommes ont effrontément rétabli en Son nom. C'est pour cela que le socialisme a remplacé le christianisme. C'est un nom nouveau représentant la même idée Or, le socialisme accompli sera le Messianisme, mais ce nom inintelligible pour le vulgaire est sacré pour les élus, c'est-à-dire les initiés. L'exclusivisme religieux c'est la c'est la concurrence des boutiques sacerdotales chacun dit : Prenez mon onguent, celui de mes concurrents est un poison. Marchants d'eau de Cologne, c'est moi qui suis le vrai Jean-Marie Farina. Jésus a vainement essayé de chasser les boutiquiers du temple ; il n'y a pas réussi. Il

les a, un jour très illégalement et très imprudemment dérangés, mais justice a été faite : on a crucifié le perturbateur et l'ordre a été rétabli. Tant que la religion sera l'occasion d'un commerce quelconque, il n'y aura pas de religion sérieuse. La liberté commerciale est un principe, et cette liberté a, jusqu'à présent, autorisé l'exploitation de la crédulité des imbéciles. Tous ceux qui se font payer pour quelque chose vendent quelque chose, tous ceux qui vendent quelque chose sont des marchands. Le sacerdoce est un commerce, le presbytérat serait une fonction respectable parce qu'elle saurait être rétribuée. Quand St-Paul a dit : il faut que le prêtre vive de l'autel, il a confondu le presbytérat avec le sacerdoce. Le sacerdoce ancien tuait pour manger ; le presbytérat de Jésus-Christ se fait tuer pour que les autres mangent. Tout prêtre qui vit de l'autel mange la chair des pauvres et boit le sang du peuple. Or, Jésus a donné aux pauvres et au peuple sa propre chair à manger et son sang à boire. C'est pour cela que le règne temporel de Rome est fini et que son règne spirituel a dû finir par l'usurpation de la divinité et le ridicule plus insupportable que la mort. XL. Cependant les magnificences du culte catholique ne doivent pas plus finir que les beautés de la mythologie antique et les splendeurs du Panthéon de Phydias. Marie est immortelle autant que la Vénus Uranie dont l'image trouvée à Milo indique une lyre qui lui manque avec ses deux bras. Retrouvons la lyre de la Vénus éternelle et nous rendrons à l'Église catholique la science de son dogme et les harmonies de son culte. Postface J'ai pu juger l'architecture du temple et en admirer l'ensemble parce que je suis sorti du temple. Je suis libre et je vais où je veux aller, mais parce que l'éternel m'a conservé l'usage de ma raison, je ne puis aller ni vers la laideur, ni vers le mensonge. J'aime tout ce qui est, car à mes yeux le mal n'est pas. Je dis la vérité sans chercher les applaudissements et sans redouter les injures. J'ai vécu pauvre et je mourrai pauvre selon le monde et pourtant je sens que je suis riche de vérité, d'indépendance et de raison. J'ai formulé des choses que Moïse et le Christ auraient laissé deviner et je n'en suis pas moins pour cela un homme faible et timide comme un enfant. La vérité ne m'appartient pas; je la donne comme je l'ai reçue; elle a passé dans mon esprit presque sans y laisser de traces et j'aurais préféré souvent, si j'avais pu le faire, un mensonge qui m'eût donné des admirateurs et qui m'eût épargné les luttes les plus terribles de ma vie. Mais il faut que chacun accomplisse sa destinée. Pitié pour celui qui s'enorgueillit de quelque chose. Tout ce qui reste à l'homme de ce qu'il a aimé, c'est la droiture de ses intentions et l'espérance d'une destinée meilleure dans un avenir que nul ne peut prévoir et auquel personne ne peut se soustraire ou échapper. Eliphas Levi Ce 20 Décembre 1870

LES PARADOXES DE LA HAUTE SCIENCE

dans lesquels les vérités transcendantes de l'Occultisme sont révélées pour la première fois dans le but de concilier les progrès futurs de la science et de la philosophie avec la Religion éternelle.

Par Eliphas Levi Traduit du Manuscrit Français par un Etudiant en Occultisme et du texte anglais par Marie Chauvel de Chauvigny

PARADOXE I

LA RELIGION, C'EST LA MAGIE SANCTIONNEE

PAR L'AUTORITE

La Magie, c'est la Divinité de l'homme conquise par la science unie à la Foi. Les vrais Mages sont des Hommes Dieux, en vertu de leur union intime avec le Principe Divin. Ils sont sans peur et sans désirs ; ils ne sont dominés par aucun mensonge et ne partagent aucune erreur ; ils aiment sans illusion et souffrent sans impatience, parce qu'ils laissent tout arriver comme il se peut, se reposant dans la quiétude de la pensée éternelle. Ils s'appuient sur la religion, mais la religion ne pèse pas sur eux. La religion est pour eux le Sphinx qui obéit, mais qui ne dévore jamais. Ils savent ce qu'est la religion, et ils la sentent nécessaire autant qu'éternelle. La religion est un joug imposé aux âmes avilies, dans un intérêt personnel, par la poltronnerie de la peur et la folie de l'espoir. Mais, pour les âmes élevées, la Religion est une force émanant d'une foi extrême née de l'amour de l'Humanité.

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La Religion, c'est la poésie collective des grandes âmes ses fictions sont plus vraies que la Vérité, plus vastes que l'Infini, plus durables que l'Eternité. En d'autres termes, elles sont essentiellement paradoxales. C'est le rêve de l'Infini dans l'Inconnu, du possible dans l'impossible, du défini dans l'indéfinissable, du progrès dans l'immuable, de l'Etre absolu dans le Non-Etre. C'est le raisonnement ultime de l'Absurde qui s'affirme pour nier le Doute, la science de la Sottise, l'embrassement de la Folie et de la Connaissance. Ce sont les cris de l'aigle qui plane au-dessus des nuages, le rugissement du lion de l'Apocalypse qui a pris des ailes et s'envole ; c'est le mugissement du taureau sous le glaive du sacrificateur, et le gémissement sans fin de l'Humanité au seuil de la tombe. Pour l'homme, Dieu est et ne peut être que l'idéal de l'homme. En soi Dieu est l'Inconnu, mais, dans sa révélation à la fois divine et humaine, il est l'homme paradoxal, le substanciel sans substance, le personnel sans définition, l'immuable qui se transforme, sans avoir de forme, l'omnipotent luttant sans cesse contre la faiblesse de l'homme, la sérénité qui tonne, la Miséricorde qui damne, la Bonté infinie qui torture, l'Eternité qui périt. C'est la contradiction sans fin, l'abîme du coeur humain, monde au service d'une idole insatiable et terrifiante ; c'est la cruauté de Néron la politique de Tibère buvant le sang de Jésus-Christ (1) ; c'est un Pape-Empereur, ou un Empereur-anti-Pape ; c'est le Roi des Rois, le Pontife des Pontifes, le bourreau des bourreaux, le médecin des médecins, le libérateur des affranchis, le maître inflexible des esclaves.

Partout Dieu est l'idéal de ceux qui l'adorent dans leur ignorance ; il est féroce parmi les sauvages ; enclin à toutes les passions humaines chez les Grecs, despote oriental pour

chez les Ultramontains. Les uns et les autres ont fait de Dieu un personnage qu'ils ont doué de leurs propres caractères distinctifs et de leurs propres défauts. (1) Tout homme adore le Dieu qu'il s'est créé à lui-même, à sa propre image, ou qu'il a permis à certaines autorités de lui imposer, malgré que celles-ci aient plus ou moins intérêt à maintenir leurs fidèles dans l'ignorance et la faiblesse. Adorer dans la crainte et le tremblement, c'est presque haïr, quoique la crainte masque la haine. Adorer sans peur, c'est aimer. La vrai piété, fondement de toute religion, est l'exaltation de l'amour ; car l'amour élevé au plus haut point n'admet plus la possibilité de la limite ; l'impossible est son (1) Dans une revue de Wilson - « Chapitres sur l'Evolution » - dans « La Connaissance », 23 février 1883, on lit le passage suivant qui montre comment la science occidentale glisse lentement vers le point occupé durant des milliers d'années par les Occultistes : « De très bonne heure on a vu que la Théorie (de l'évolution) était accréditée par la majorité ; il était déjà admis que l'homme ne pouvait pas, rationnellement, être exclus de la Loi de 1'Evolution. Ceux qui lui attribuaient une origine plus noble, au-dessus de la poussière terrestre, furent contristés, Ils s'élevèrent contre une doctrine selon laquelle l'homme, au lieu d'avoir été créé et mis en principe un peu au-dessous des anges, ne s'était en réalité élevé qu'un peu au-dessus des animaux sauvages au lieu d'avoir été fait à l'image de Dieu, devait plutôt être regardé comme ayant imaginé Dieu à sa propre image. Il est vrai que la nouvelle doctrine présentait l'homme comme s'étant élevé, ce qui impliquait l'idée qu'il était apte à s'élever encore plus haut, tandis que l'autre, la doctrine ancienne, le montrait misérablement déchu, après avoir été presqu'un ange, tout à fait semblable à Dieu, devenu soudain - (à la suite d'une légère tentation offerte par un reptile plutôt suspect) - assez coupable pour mériter la mort, - laquelle ne faisait pas auparavant partie du plan divin - et n'être plus qu'une créature infortunée, trompeuse, pardessus tout désespérément méchante... » Tant et si bien que, somme toute, le nouvel enseignement était plus réjouissant, sans parler des espérances et des craintes d'ordre religieux qui ne font pas partie de notre présent objet. Note du traducteur anglais.

(1) Idéal occidental du Bien. E.O.

les Juifs, jaloux et intransigeant comme un prêtre du célibat

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rêve ; le miracle devient pour lui la réalité. A quoi bon une religion qui ne donnerait pas l'Infini ? Qu'est-ce que le Protestantisme avec son sacrement sans réalité ? (1) - C'est triste comme un flambeau éteint, comme une église en ruines ! Comment le pain consacré par la parole peut-il représenter Jésus-Christ s'il n'est pas J. C. lui-même ? Quelle folie si le Christ n'est pas la divinité ? Quel culte étrange ce serait, en vérité, de mâcher une bouchée de pain, pour qui, hélas ! ne peut sentir le miracle nécessaire. On peut aimer jusqu'à la mort, jusqu'à l'oubli de soi-même, jusqu'à la folie... un être humain, mais peut-on l'immortaliser, le diviniser par la Foi, en le faisant divin et, en s'immortalisant soi-même avec lui ? Peut-on se l'incorporer, le manger... et sentir qu'il est plus que jamais vivant, qu'il vit en nous et hors de nous, qu'il nous absorbe comme nous l'absorbons par notre communion avec son être immense et son éternel amour ? Hélas ! nous sentons qu'il n'est ni grand, ni éternel ! Pourquoi donc n'est-il pas Dieu ? Pourquoi ? Parce que Dieu seul est Dieu. Et c'est ainsi qu'il vient à nous sous les espèces et apparences du pain ! Nous le voyons, nous le touchons, nous le gouttons, nous le mangeons !... et son Eternité frissonne au-dedans de notre chair mortelle. Le sang qui afflue à notre coeur est Son sang. Notre sein se soulève et c'est Lui qui respire. Ah ! ces Protestants avec leur bouché' de pain et leur gorgée de vin, quel beau Sacrement n'ont-ils pas là ! - Certes, le poète énamouré d'idéal sourit à une réalité ridicule, mais le croyant fanatique s'exaspère. La raison nous dit de plaindre les protestants. « Non » réplique la Foi furieuse « Il faut les punir ! le Dieu que je

(1) C'est-à-dire dans lequel le pain et le vin ne sont pas supposés être réellement transformés en la chair et le sang du Christ, tel que cela est enseigné dans l'Eglise Romaine. Note du traducteur anglais. sens en moi s'irrite et les

condamne à l'Enfer ; pourquoi les sauverais-je du bûcher ? » - Arrière, misérable assassin ! Crois-tu donc que Dieu se fit homme pour que l'homme se transformât en Tigre ? Tu crois avoir conçu avec un amour infini, et vois tu génères la haine. Tu as pensé te nourrir du Ciel, et tu vomis l'Enfer. Tu as mangé la chair du Christ, non pas comme un Chrétien, mais comme un cannibale. Communiant sacrilège, tais-toi et purifie ta bouche, car tes lèvres sont dégoûtantes de sang.

Il est évident que la religion ne doit pas être tenue pour responsable des crimes commis en son nom par la politique des époques barbares. Bien des hérétiques ont été en même temps des agents de sédition et des conspirateurs. Le massacre de la St Barthélémi fut, au demeurant, une ruse de guerre cruelle dont la perfidie s'explique peut-être par la nécessité de faire avorter un complot non moins perfide. C'est d'ailleurs ainsi que la Reine-Mère et Charles IX tentèrent de justifier leur acte. Ce qui est certain, c'est que, durant cette période, les deux partis en présence étaient capables de tout forfait. Par contre, qui pourrait jamais justifier l'Inquisition ? - « Dieu s'est fait homme » - peut-on répondre - et « cette grande parole a été comprise par Pie V en un sens terrible, et par St Vincent de Paul en un sens adorable ». - Oui - mais est-ce que vraiment Dieu se serait repenti d'avoir fait l'homme, tel que l'affirme la Bible ? Cruelle exagération de l'iniquité humaine ! On la suppose si énorme qu'elle a pu faire douter Dieu un instant de son oeuvre. L'homme va jusqu'à se diviniser même dans ses crimes et dans ses rêves d'opposition à l'Eternel. C'est l'irréductible révolte des damnés, et par suite, la haine cruellement impuissante d'un Dieu à jamais incapable de pardon. Eh bien, même cela est sublime dans son horreur, et le dogme catholique reste admirable même dans ses plus formidables profondeurs, pour les âmes qui en comprennent la poésie sans tomber victimes de ses séductions et de ses pré-

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ventions. - « Dieu semble se repentir d'avoir fait l'homme,

Femme idéale, la Femme-type, la Femme collective est vrai-

les époques. Jupiter détrône Saturne, et le Jésus-Christ des Papes règne à la place du Jéhovah des Juifs. Le Jésus de St Dominique n'en est pas moins le Fils du Dieu cruel de Moïse. Mais les Bêtes féroces de Daniel et de l'Apocalypse doivent nécessairement disparaître pour faire place à la Colombe et à l'Agneau. Dieu ne sera vraiment « fait homme » que lorsqu'il aura porté tous les hommes à être aussi bons qu'un Dieu devrait l'être. (1)

Il y a rédemption - c'est-à-dire solidarité parmi les hommes les bons souffrent pour les méchants, et les justes paient les dettes des pécheurs (2). Ainsi tout est vrai dans les dogmes de la religion dès qu'on possède la clef de l'énigme.

parceque, de temps à autre, l'homme se repent d'avoir fait un Dieu ». - Les fictions divines se succèdent l'une l'autre comme

Le génie de l'homme en se développant au cours des temps, déroule le tableau généalogique des Dieux. C'est dans le génie de l'homme que l'éternel « ancien des jours » engendre un fils appelé à succéder à son père ; c'est dans ce génie que procède, de Père en Fils, l'esprit d'intelligence qui expliquera les doubles mystères. Est-ce que la Trinité ne sort pas des entrailles mêmes de l'Humanité ? L'homme ne lis, sent-il pas éternelle en trois personnes - le Père, la Mère, l'Enfant ? Et dans la Trinité humaine, le fils n'est-il pas aussi ancien que le père, puisque le père, lui aussi, est fils ! La femme n'est elle pas l'immaculée conception de la Nature et de l'Amour, et cette conception n'est-elle pas sans tâche ? Car le péché d'amour s'efface là où commence la maternité. Il y a une virginité dans la sainteté de la mère, et, puisque Dieu s'est fait homme, c'est-à-dire puisque Dieu a cessé de vivre pour nous, qu'Il se personnifie réellement, (1) Ce qui revient à dire, lorsque les hommes de la 7° ronde entreront en scène. A ce moment là seulement il y aura vraiment un Dieu pour les fils de l'homme. E.O. « Pour les fils de l'homme » - Oui, c'est-à-dire un Dieu reconnaissable et compréhensible pour les intellects limités et contingents ; mais cela est tout différent de l'affirmation qu'il n'y a pas de Dieu, ce qui parait le point de vue auquel se place E.O. dans ce qui précède. Note du traducteur anglais.

ment la Mère de Dieu. (1)

Le Catholicisme est le sphinx des temps modernes. Placezvous sous ses pattes, sans deviner ses énigmes, il vous dévorera ; devinez-les sans vous rendre maître de lui, ou ne les devinez qu'à demi, et, comme Œdipe, vous êtes voué au malheur et à un aveuglement volontaire. (1) La femme prise collectivement est sans doute la Mère de Dieu Humanité ; mais Eliphas Lévi n'a-t-il point d'autre Dieu ? - Non, mais il a un ennemi - Rome. E.L. était un athée doublé d'un poète, c'était aussi un diplomate ; il cherche à conquérir et non à effaroucher son public, E.O. Il n'est pas du tout prouvé qu'El,. ait été un athée, Il me paraît au contraire certain qu'il ne l'était pas. Il n'a pas prétendu dire dans cette phrase qu'il n'y a point de Dieu (assertion qui impliquerait de sa part une prétention ridicule d'omniscience) - mais simplement que, pour la compréhension vague et étroite de l'homme ordinaire et même d'intelligences assez évoluées quoiqu'encore limitées, Dieu ne se manifeste que dans la nature et l'Humanité. Dire que l'absolu et l'infini sont en dehors du plan le plus élevé auquel tout intellect limité et contingent puisse atteindre, et que, par suite, nous devons nous contenter d'avoir affaire aux lois et aux manifestations de l'Univers contingent, plus ou moins à notre portée ou à celle de nos prédécesseurs plus évolués que nous, c'est une chose ; mais affirmer qu'il n'y a ni pouvoir, ni intelligence en dehors de la sphère de notre connaissance possible des sources de ces lois et manifestations, pas de Dieu, en un mot, c'est une autre chose à laquelle, selon moi, ni Eliphas Lévi ni aucun autre occultiste de son école, ne se serait jamais hasardé. (Note du Traducteur anglais). (2) Mais cela n'est pas vraiment le cas, quoique cela puisse le paraître souvent à un observateur superficiel. Bien au contraire, chacun en particulier et tous en général, nous payons inévitablement nos dettes jusqu'au dernier sou (y compris celles contractées au cours de nos précédentes existences) et nous les acquittons, soit dans cette vie-ci, ou dans les vies futures. Note du traducteur anglais,

dans l'Humanité, ne pense, n'aime, ne parle qu'en elle, la

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Un catholique intelligent ne doit pas se retirer de son Eglise ; il doit y rester (1), sage parmi les ignorants, libre parmi les esclaves, pour éclairer les premiers et affranchir les derniers. Car, je le répète une fois de plus, il n'y a pas de vraie religion hors du giron de la Catholicité. (2)

Arlequin sont Catholiques.

La raison d'une religion est d'être irrationnelle ! La nature est d'être surnaturelle. Dieu est supersubstantiel.

C'est pourquoi la France est voltairienne tout en restant catholique, tandis que les Anglais, les Prussiens et MXXX sont Protestants.

L'espace et la substance universelle sont l'Infini dans lequel Dieu réside, car Il est la connaissance et la Puissance de l'Infini (3). L'Infini, c'est l'absurdité inévitable qui s'impose à la science. Dieu est l'explication paradoxale de l'absurde qui s'impose à la Foi. La Science et la Foi pourraient et devraient se contrebalancer l'une l'autre, en vue de produire l'équilibre. Elles ne peuvent jamais s'amalgamer. Le Père éternel est Juif ; le Dieu de Bonté est Chrétien. La divinité de Jésus-Christ, le Pape et le Diable sont catholiques ; mais la Charité qui est catholique aussi et, en quelque sorte prééminente, supprimera le Diable et convertira les idolâtres de la Papauté. Le péché originel est juif ; le pardon est Chrétien ; les Sacrements sont Catholiques. Le fanatisme est d'origine juive ; le bon-sens est chrétien ; la simplicité et l'intelligence sont catholiques ; la folie prétentieuse est protestante ; mais M. Prudhomme est protestant et qui pis est Fr.'. M.'. alors que Don Juan, Vol(1) Et c'est pourquoi Eliphas Lévi s'en retira. Sans doute par amour du paradoxe ? E.O. (2) Pur jeu de mots : Catholique signifie Universel. (3) Notre doctrine : l'Espace et l'Universel Swabharat (Matière). La Force y est incluse ; elle se manifeste sous la forme de cette Trinité, un Dieu pour les ignorants et les aveugles. E.O.

La philosophie est ou athée ou chrétienne ; la poésie est catholique ; la sécheresse égoïste et mercantile est protestante.

« Oui, Messieurs de la Hiérarchie Ecclésiastique » - dit le catholique Galilée - « La terre est immobile - si tel est votre bon plaisir ; c'est le soleil qui tourne. J'en dirai plus encore, si vous le désirez ; je dirai que la terre est plate, et le firmament fait de cristal. Dieu veuille que vos crânes soient formés de la même matière ; cela permettrait à un père de lumière de pénétrer jusqu'à vos respectables cervelles ! Vous êtes l'autorité devant qui la Science doit s'incliner ; elle peut même aller jusqu'à vous saluer chaque fois qu'elle vous rencontre, car c'est elle qui demeure, et c'est vous qui passez. Vos successeurs seront sans doute forcés à leur tour de s'incliner devant elle et de vivre en paix avec elle ». Rabelais, ni moins savant ni moins bon catholique que Galilée, écrivit la phrase suivante dans le Prologue du 4e livre de son « Gargantua » « Si dans ma vie, mes écrits, mes discours - plus encore, dans mes pensées - je découvrais la moindre trace d'hérésie, j'entasserais, de mes propres mains du bois sec, et y mettrais le feu pour être brûlé moi-même sur le bûcher ». Voyez-vous ici Rabelais, devenu Inquisiteur, se brûlant lui-même, Rabelais incriminé d'hérésie. Cela rappelle Dieu, ordonnant la mort de Dieu afin d'apaiser Dieu. C'est inexplicable - comme tout mystère doit l'être - mais ce n'en est que plus essentiellement catholique.

taire, le premier Napoléon, Veuillot, Polichinelle, Pierrot et

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Rien n'excite plus l'imagination que le mystère, et, une fois l'imagination excitée, elle électrise et multiplie la Volonté au décuple. Les Sages sont appelés à gouverner le monde ; mais en attendant, ce sont les fous qui le bouleversent et le métamorphosent. C'est pourquoi la Folie est considérée comme d'essence divine par les peuples orientaux. L'homme de génie est en réalité un fou aux yeux du vulgaire. Par le fait, il y a peutêtre réellement en lui quelque grain de folie puisque, très souvent, il dédaigne le sens commun pour obéir au sens sublime. Moïse rêve de la Terre Promise, et se fait suivre à travers le désert par une horde de bergers et d'esclaves qui murmurent, se révoltent, s'entre-tuent et meurent de fatigue et de faim, durant quarante ans. Moïse n'atteindra jamais la Palestine ; il mourra, perdu sur la montagne ; mais sa pensée aura plané aux cieux et il aura doté le monde d'un Dieu unique et d'un code universel. De l'ombre de Moïse dont le corps sera resté sans sépulture sortira la gloire incommensurable de Jéhovah. Il a créé un Peuple et a commencé un Livre ; un Peuple bravement médiocre en sa ténacité : un peuple à la fois superbe et servile ; un livre plein d'ombre et de lumière, de grandeur et d'absurdité, surhumain par tous ses côtés. Ce peuple et ce livre résisteront à toute force, à toute science, à toutes les combinaisons politiques, à toutes les critiques des nations, dans la suite des siècles qui se succéderont. C'est de ce Livre que la civilisation tirera son culte ; de ce peuple que les Rois emprunteront leurs trésors... Et qui donc osera, maintenant juger l'Homme de la Mer Rouge et du Mont Horeb ? Quel philosophe rationaliste peut penser que ce fut une Sage ; mais qui donc parmi ceux capables d'apprécier ce qui est grand, oserait l'appeler un Fou ? Parlerons-nous maintenant de Jésus-Christ ? Ici nous nous inclinerons bien bas devant celui 24 que la moitié des mortels adorent. Quel grand Hiérophante, quel oracle ancien, aurait jamais pu prévoir ce

Dieu ? Quel astrologue ou quel devin pourrait avoir conçu l'idée de dire à l'empereur Tibère : « A l'heure présente, un Juif de Galilée, proscrit par son propre peuple, renié par ses amis, condamné par l'un de nos Préfets, meurt dans la torture. Après sa mort, il détrônera les Césars, et ceux qui prendront la succession de son inconcevable dynastie régneront dans Rome à votre place. Toux les Dieux de l'Empire et du Monde entier tomberont devant son image ; l'instrument de son supplice deviendra le symbole du salut ». - Quelle folie serait le Christianisme s'il n'était pas surhumain ! - Quelle Foi terrible - celle de Jésus-Christ s'il n'était pas Dieu ! (1) Concevez-vous une maladie mentale, assez contagieuse pour propager son délire dans presque toute l'Humanité à travers une longue suite de siècles ? Quel déluge de sang n'a pas fait couler celui qui a aboli les sacrifices sanglants ! Quelles haines implacables, quelles vengeances atroces, quelles guerres, quels massacres, n'ont pas été excités au nom de Celui qui préchait le pardon ! Mais Jésus-Christ était plus qu'un homme, il était une idée ; plus qu'une idée, un principe. « Je suis un Principe » disait-il de lui-même. Dieu s'est fait homme, et ainsi le culte de l'Humanité est proclamé par toute la Terre. - « Emmanuel, Dieu est en nous !, disaient, en s'embrassant, les Frères de la Rose-Croix, initiés aux mystères de l'Homme-Dieu ». (2) Sûrement le Fils de l'Homme est en même temps l'uni(1) « Maintenant la Vierge revient et avec elle l'âge d'or ; maintenant un rejeton nouveau nous est envoyé du ciel. O I Chaste Lucina, rend grâce à l'enfant qui vient de naître, car le Serpent mourra » (4' Eglogue de Virgile) Virgile mourût le 22 7bre 19 a.J.C. Etait-il un prophète ? E.O. (2) « L'Homme est Dieu et Fils de Dieu, et il n'y a pas d'autre Dieu que l'Homme » (serment des Rosicruciens) E.O.

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que et multiple Fils de Dieu (1) - « Vous êtes un avec moi, comme mon Père et moi sommes Un. Celui qui vous entend m'entend, et celui qui me voit, voit mon Père » - dit le maître à ses disciples. - Triomphe et miracle ! Dieu n'est plus inconnu aux hommes, parce que l'homme tonnait l'homme. Dieu ne nous est plus invisible quand nous voyons notre prochain. Il est le bienfaiteur qui nous vient en aide, et le pauvre homme que nous assistons ; Il est le malade qui souffre et le médecin qui guérit ; Il est celui qui pleure, et l'ami, et la Femme ! Oh, combien le Christianisme l'a relevée I Quelle assomption glorieuse est la sienne ! La Femme, c'est la mère de Dieu puisque Dieu s'est fait homme ! - Vierge, nous pouvons l'aimer avec toutes nos aspirations vers l'Infini ; Mère, ce n'est plus assez de l'aimer, nous devons l'adorer comme on adore la grâce de la Providence. La Loi du pardon est sur ses lèvres ; elle est la paix et la miséricorde, la Nature et la Vie. Elle est la soumission dans la Liberté, et la Liberté qui obéit. Elle est tout ce que nous avons le devoir d'aimer. Récitez en son honneur les litanies de la Vierge-Mère : « Je vous salue Porte du Ciel, Tour d'Ivoire, sanctuaire d'or, rose mystérieuse, vase sacré de dévotion, vase d'honneur, vase admirable, calice d'amour, coupe des Saints Désirs, étoile du matin, arche d'alliance,... (2) Oh ! Quels cris d'amour poussent vers Toi, sans les comprendre, ces martyrs, condamnés volontaires à l'éternel veuvage ! Oh ! Soupirs désespérés de tous ces Tantales assoiffés d'un breuvage qui toujours se dérobe, affamés de fruits interdits à leurs lèvres ! Rêveurs sublimes, ils renoncent à la Femme pour gagner le Ciel, comme si le Ciel était quelque chose sans la Femme, comme si la Femme n'était pas la Reine du Ciel ! « Oh ! péché

d'Adam ! heureux péché ! » - comme chante l'Eglise dans sa liturgie - « heureux péché qui a mérité d'avoir Dieu luimême pour son Rédempteur ! Oh ! péché d'Adam, péché vraiment inévitable ! » C'est ainsi que s'exhalent dans les chants sacrés les secrets intimes du sanctuaire ; mais ceuxlà mêmes qui redisent ces mots mystérieux n'en saisissent pas le vrai sens dans leur coeur qui se consume peut-être sous les cendres, ils s'accusent d'un désir - comme si ce désir était une honte - et d'un regret comme si ce regret était une infidélité ! Donc la Religion est l'exaltation de l'homme et l'assomption de la Femme, La compréhension de la Religion est l'émancipation de l'esprit, et la Bible des Hiérophantes est la Bible de la Liberté. Croire sans savoir c'est de la faiblesse ; croire parce qu'on sait, c'est de la puissance. -

(1) « Humanité - fille de l'Eternité » E.O. (2) Comparez ces expressions tirées des litanies de l'Eglise Catholique Romaine aux flatteries sexuelles adressées à l'idole de Purga (la Yoni) par les dévots Hindous, et aux litanies des Vallabacharyas adressées au Dieu de l'Amour. B.O.

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PARADOXE II

LIBERTE ET SOUMISSION A LA LOI

« Là où est l'Esprit de Dieu est la Liberté » dit l'Écriture Sainte. « Vous possédez la Liberté, et la Liberté vous rendra libres » dit Jésus Christ. « Nous devrions nous affranchir de l'esclavage de la lettre, pour être libres par l'esprit » dit le Grand Apôtre (1) et, plus loin, il ajoute : « Vous avez été achetés à un grand »,

(1) Dans la philosophie hébraique, la Divinité est mi-partie mâle et femelle. Le corps de l'homme est fait de trois couples d'époux, savoir les 2' et 3', 4' et 5', 6' et 7' Principes. Irénée parle de Bithos et de Sigée - Mental et Aletheia - chacun d'eux mâle et femelle, c'est-à-dire hermaphrodites. Les trois couples de principes sont considérés comme n'étant que trois, et cela nous donne la Trinité. La Kabbale juive présente Macroprosapus comme son conjoint et le microprosapus comme son « uxor » (Liber mysteri 1.35.38). On appelle ceux qui sont oints « mâle et femelle » - dit Cyrille de Jérusalem, VI et XI - Le Fils a Pneuma pour épouse. Chiant Eliphas Lévi parle du Christ et de son Eglise, il entend la monade et son véhicule - les 7' et 6' principes. Les plus anciens Livres Egyptiens donnent le premier quaternaire monote (Troarche, Proanennostes, mystérieux et qu'on ne doit pas nommer, dit Irénée) « et Henotes, pouvoir qui existe en union avec le Seigneur Ferho, la vie

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« La Loi a été faite pour l'homme et non l'homme pour la Loi » a dit encore le Divin Maître, La Liberté est le but de l'existence humaine ; ce n'est que dans la Liberté que le droit et le devoir de l'homme se concilient ; c'est en cela que consistent sa personnalité et son autonomie. Cela seul peut le rendre apte à l'immortalité, et digne de la posséder. L'oeuvre de la Vie est de nous affranchir de l'esclavage des passions, de la tyrannie des Préjugés, des erreurs de l'ignorance, des angoisses de la crainte, et des anxiétés du désir. C'est la question d'être ou de ne pas être. L'homme libre seulement est un homme ; les esclaves ne sont que des animaux ou des enfants.

Suivant l'esprit de nos symboles (catholiques), la liberté de l'homme est le Grand oeuvre de Dieu ; c'est pour cela qu'il permet qu'un enfer se creuse, et que l'ombre hideuse du Démon se dresse jusqu'au Ciel même. C'est pour cela qu'Il préfère les souffrances de l'Humanité maudite à la royale quiétude de la Divinité. Dieu aspire à la Croix du malfaiteur et veut conquérir par la souffrance le droit de pardonner à la rébellion, afin de n'être pas un despote qui abuse de son omnipotence. La femme a été audacieuse ; elle a désiré savoir ; l'homme a été sublime : il a osé aimer ; et Dieu qui les châtie, tout en les admirant, semble être devenu jaloux de la patience de ses enfants.

inconnue, sans forme, inconsciente » du Codex Nazaréen, Ces Monotes et Hénotes étant l'Un, émanés et non produits, mais émanant à leur tour, inconsciemment, un commencement (arche comme il est dit) avant toutes choses intelligibles, incréées et invisibles, laquelle Arche est la monade (qui procède de l'Un). Dans l'ouest, la philosophie des Mages se rendit tout d'abord célèbre sous le nom de « sagesse orientale ». Simon le Mage enseigne la Doctrine du Père, du Fils et de l'Esprit saint (femelle) ; il dit que la Trinité est apparue chez les Juifs comme Fils, chez les Samaritains comme Père, et aux autres nations comme Saint Esprit. La Trinité chrétienne a été tirée en substance des Nazaréens Kabbalistes qui vivaient des siècles avant que ne parut le Christ occidental, et auxquels Jeshu (le Jésus de Lud. 130 ans avant l'ère chrétienne) appartenait au temps d'Alexandre Jannaeus. (Cet Alexandre Jannaeus est généralement indiqué comme ayant régné de 106 ou 104 A.J., jusqu'en 79 A.J.) - note du traducteur anglais La vie a édifié la maison (le corps) dans laquelle nous résidons maintenant ; les sept planètes qui y demeurent ne monteront pas toutes dans la terre de lumière ». Codex nazaréen II. 35. Oui, les Chaldéens appelent Dieu « Sao », « Sabaoth », « Celui qui est au-dessus des sept orbis (cercles) », « le Démiurge ». Lydus de Mens IV.38.74. Les sept cercles sont les sept principes, les trois couples avec leur maison de chair.

Tout cela est une révélation, à la fois poétique et ésotérique. Tout cela est né de l'esprit et du coeur de l'homme. Quand l'homme veut être libre, c'est qu'il sent sa haute dignité. L'éternel vautour peut se repaître du foie de Prométhée, le grand courage de supplicié n'en grandit et n'en renait pas moins avec chaque tentative nouvelle. Jupiter se venge, mais il a peur ; et Celui qui donnera tout le sang de son coeur pour guérir les plaies de Prométhée et venir souffrir à sa place, celui-là détrônera Jupiter et se montrera plus Dieu que lui.

« Lueur du Soleil qui a irradié la Lumière la plus splendide devant Thèbes aux sept portes, tu as enfin resplendi, ô oeil du Jour d'Or ! » « Antigone » de Sophocle. E.O.

(1) Mais il ajouta : « pourvu que vous ne fassiez rien de contraire aux commandements de l'Eglise ». Note E.O.

St Augustin résuma toute la Loi en cette belle phrase :

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« Aimez et faites ce que vous désirez » (1). L'homme libre ne peut désirer que ce qui est bien, car tous les méchants sont des esclaves.

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Emancipation, Liberté, tel est le mot final des symboles. Jésus descendit aux enfers pour tirer l'esclavage de la Mort, et, en remontant vers la Lumière, il traîna à sa suite la captivité esclave.

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Un jour viendra où la mort seule mourra. Seules les malédictions seront damnées, et, par l'esprit de Lumière qui veut que tous les hommes soient sauvés, tous arriveront à la connaissance de la Vérité. Dieu, après avoir rendu tous les êtres humains responsables en masse de la faute d'un seul, peut bien leur pardonner à tous en vertu des mérites d'un seul. Dieu fera triompher le Bien, et le Mal sera détruit. Le temps viendra où l'on comprendra qu'il ne peut y avoir de vraie religion sans Liberté, ni la vraie Liberté sans Religion. Mais à l'heure présente la Religion et la Liberté semblent s'exclure mutuellement, et lutter l'une contre l'autre. De même que la Religion, la Liberté a ses martyrs, et elle se lèvera contre l'autorité tant que l'Eglise niera les droits de la Liberté. « Devons-nous concéder aux hommes la liberté de conscience ? » demandèrent nos Docteurs à l'Eglise, et Rome répondit par la négation. Cela signifie simplement que l'Eglise ne renonce pas à la Direction de ceux qui l'écoutent. La Liberté ne se donne pas ; il faut s'en saisir ; ou plutôt c'est la Nature qui nous l'octroie au moyen de la Science. Demander si l'on doit accorder la liberté de conscience aux hommes - aux vrais hommes c'est comme si l'on demandait : « Doit-on leur reconnaître une tête et un coeur ? » - Est-ce que Galilée ne savait pas que la Terre tourne - même après qu'il eût rétracté ses savantes démonstrations ! - Est-ce que la civilisation retournera en arrière parce qu'il y a un Syllabus ? - Si le Pape nous défendait de marcher en avant, nous saluerions le Pape et continuerions toujours notre route. Si le Saint Père désire se faire entendre de nous, qu'il se mette lui-même en marche à son tour. Il est grand temps cille le Pasteur se lève quand son troupeau s'en va. Ecoutez ! Quelqu'un dira : « Votre titre de catholique ne vous permet pas de parler ainsi » - Soit. Si l'autorité légitime m'impose le silence, je fermerai la bouche, mais... la Terre tourne ! La conscience est inviolable parce qu'elle est divine ;

lument libre dans l'homme. En dehors de la conscience, où trouverait-on la réalisation intégrale de cet idéal - la Liberté ?

Dès le berceau, l'homme est assujetti au joug des nécessités tyranniques, et, bon gré mal gré, sa vie durant, il est obligé de porter cette lourde chaîne d'obligations multiples que la Société et la Nature prennent à tâche mutuellement de lui imposer. La Vérité et la Justice sont des maîtresses austères. L'Amour est un despote souvent cruel. Pour qui n'est pas riche, il y a les nécessités journalières de l'existence : il n'y a pas d'alternative entre le joug du travail et l'Ergastule de la misère. Ceux qu'on dit les Maîtres et les Heureux de ce monde ont d'autres ennemis et d'autres chaînes. Cela est si vrai qu'Alexandre le Grand en vint jusqu'à envier le cynisme - demi-folie et demi-indifférence - de Diogène. Mais Diogène comme Alexandre n'étaient que les deux extrêmes de la vanité paradoxale ; tous les deux, esclaves de leur orgueil, n'étaient pas des hommes libres. La Liberté, c'est la pleine jouissance de tous les droits qui ne contrarient pas un devoir. C'est par l'accomplissement du devoir que les droits sont acquis et sauvegardés. L'homme a le droit de faire son devoir parce qu'il est forcé de sauvegarder ses droits. L'abnégation de soi-même n'est que le devoir porté jusqu'au sublime, et c'est en même temps le plus sublime de tous les droits. Un homme peut se dévouer à un autre homme, mais cela ne veut pas dire qu'il s'en rend esclave ; il peut engager sa liberté, mais il ne peut pas l'aliéner sans commettre une sorte de suicide moral. Un homme peut vouer sa vie au triomphe d'une idée, mais ce tout en se réservant le droit à l'expansion mentale et au dévouement à un autre objet s'il en jugeait un plus digne.

Le voeu perpétuel est l'affirmation de l'absolu dans le relatif, de la connaissance dans l'ignorance, de l'Immuable dans le transitoire, de la contradiction en toutes choses. C'est donc un engagement nul et non avenu en soi, parce qu'il est témé-

c'est en vérité la seule chose qui soit essentiellement et abso-

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raire et absurde : s'en repentir et s'en dégager - quant on s'est rendu compte de sa folie - c'est plus qu'un droit, c'est un devoir. Il est vrai que l'Eglise dont les décisions en matière de Foi font autorité et doivent être respectées par tous les Catholiques, approuve les voeux perpétuels ; mais c'est seulement lorsqu'ils résultent d'une grâce supernaturelle. (1) De tels voeux sont nuls par devant la Nature mais dans l'ordre surnaturel ils sont sacrés et inviolables. (2) Le mariage, lui aussi, est un engagement perpétuel que la nature ne ratifie pas toujours. Il suit de là tout à la fois les justes mais inutiles sévérités de la morale, et la dépravation des moeurs. De là nait le perpétuel contraste des larmes et du sang de la tragédie conjugale, et l'intarissable gaieté des romans et des comédies. Moïse est terrible quand il descend du Sinaï le front orné de cornes... Mais pourquoi des cornes ? - « Parce qu'il était marié » - pourrait répondre, sans rougir, quelque loustic facétieux (3) et « parce que, durant 40 nuits, il avait déserté la couche conjugale ». Les vieilles plaisanteries ne respectent rien. Les deux plus grands libres penseurs que le monde a produits ont été Rabelais et La Fontaine, maîtres passés en l'art des gauloiseries et, au demeurant, excellents catholiques, exempts de tout soupçon d'hérésie. Rabelais avait

(1) Ou d'un désir irrésistible d'acquérir un pouvoir surnaturel. Pour commander à la Nature, il est nécessaire d'être positif, elle n'obéit pas aux magnétismes mixtes. E.O. (2) C 'e st vr a i . E . O . (3) Reconnaissez un Français à ce trait. Le Français est cynique et fait de l'esprit même au milieu de la discussion la plus ardue en philosophie ésotérique. La France a pu avoir quelques alchimistes de renom ; elle n'a jamais eu un seul vrai adepte. E.O.

34 pris des ordres religieux, et avait eu l'habileté de se faire

tolérer par le Pape. La Fontaine était marié et ne vivait pas avec sa femme ; mais quels magiciens du style étaient ces hommes ! Quels apôtres de la pure et franche Vérité ! L'oeuvre de Rabelais est, pour autant dire, la Bible du bonsens et de l'indifectible gaieté ; celle de La Fontaine est l'Evangile de la nature. Rabelais disait la messe, et si La Fontaine avait vécu à son époque, il n'aurait assurément pas manqué d'y assister en lisant les prophéties de Baruch.

On doit faire ce qu'on veut, quand on veut faire ce qu'on doit. Telle est la Loi de la Liberté ! En d'autres termes, tout homme a le droit de faire son devoir, mais le premier devoir de l'homme est indiqué par le premier commandement du Décalogue : « Tu n'adoreras qu'un seul Dieu et n'obéiras qu'à Lui seul. » - Et Jésus amplifiant ce précepte jusqu'à l'expliquer de façon tant soit peu paradoxale n'a pas hésité à ajouter : « Vous ne donnerez à personne en ce monde le nom de Maître ou de Père, car Dieu seul est votre Maître et votre Père. » (1) Saint Jean, le confident intime des pensées de Jésus, nous dit que Dieu est le Verbe - ou la Raison - et que « le Verbe était Dieu ». C'est pourquoi nous n'avons et ne devons avoir - pour Maître que la Raison, c'est-à-dire le Verbe qui parle. « Car, ajoute St Jean, le Verbe est cette vraie Lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde »... Et Jésus dit - parlant de lui-même : « Je suis le Principe qui parle ». (2) Or, tout homme qui parle selon la raison peut dire :

(1)

Dieu ou le Bien. Dans la Kabbale Massorétique on lit : « Un Dieu seulement - la Vérité - et tu n'obéiras qu'à elle ». Il y avait en E. L. trop du Jésuite pour qu'il put jamais devenir un adepte, E.O. (2) En ce cas et nombre d'autres, la lettre de la version anglaise orthodoxe diffère. Mais le sens, pris dans sa généralité, est le même. Note du traducteur anglais,

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« Je suis la Raison », et l'on doit faire ce qu'il prescrit, éviter ce qu'il prohibe ; car la Volonté de la Raison prévaut sur les Caprices de l'homme. Le caprice, c'est le choix des amusements ; on peut tirer au hasard et choisir tels amusements qui plaisent, quand il s'agit de s'amuser, mais non pas quand un devoir s'impose, car, alors, nous sommes obligés de l'accepter et de l'accomplir.

Le devoir écrase qui cherche à l'éviter ; mais il souteint avec amour et porte en avant quiconque le remplit. Vouloir ce qu'on doit faire, c'est vouloir ce que Dieu veut ; et lorsque la Volonté de l'homme est la même que la Volonté Divine, (3) elle devient omnipotente. C'est alors que s'accomplissent les miracles de la Foi ; c'est alors que nous pouvons « commander aux montagnes de se mouvoir et aux arbres fruitiers de prendre racine dans la mer » Paroles de N.S. qu'il ne faut pas entendre dans leur sens littéral. La Parole de la Raison est efficace parce qu'elle veut la fin et détermine les moyens. Il est évident que ni les montagnes, ni les arbres, ne se transporteront d'eux-mêmes d'un lieu à un autre. Mais la Force manie la Matière, et la Pensée dirige la Force. La Foi se sert de la Science, et la Science dirige la Foi. Dieu, lui-même, ne peut rien contre la Raison qui est la Loi de Justice, parce que la Justice, la Loi et la Raison sont Dieu lui-même. Dieu n'arrête pas la marche du Soleil et de la Lune pour permettre à Josué de tuer certains Chananéens, et le récit

boliques communes à la poésie orientale. Dieu ne rejette pas un peuple après l'avoir choisi, et il ne change pas la religion de ce peuple après la lui avoir donnée comme éternelle. Les ordres arbitraires, les faveurs, les privilèges, la colère, les répudiations, le pardon,... tout cela n'appartient qu'à la faiblesse humaine. Mais, pour faire que graduellement les enfants comprennent la Raison, il est parfois nécessaire de jeter sur elle un voile de folie. L'enfance est naturellement un peu folle : il lui faut des contes absurdes et des jouets sensationnels. I1 lui faut ses poupées-automates, ses animaux qui se meuvent mécaniquement. Il est vrai que tout cela sera bientôt brisé « pour voir ce qu'il y a dedans ». Ainsi l'Humanité brise, l'une après l'autre, toutes ses religions enfantines. La seule Religion vraie, c'est la Religion éternelle. La seule vraie Piété, c'est la Piété indépendante. La vraie Foi, c'est la Foi absolue qui explique tous les symboles et se meut au-dessus de tous les dogmes. Le vrai Dieu, c'est le Dieu de la Raison, et son Culte est Amour et Liberté. Les Chrétiens ont bien fait de briser les idoles, parce que certains hommes prétendaient les forcer à adorer ces idoles. Les Protestants ont eu raison de jeter bas et de fouler aux pieds, de brûler, les images des Saints, parce qu'il y eût des hommes qui, pour les obliger à adorer ces images n'hésitèrent pas à brûler les Protestants eux-mêmes. Et pourtant, quoi de plus divin que les chefs-d'oeuvre de Phidias et les Vierges de Raphaël ? Est-ce que le culte des images n'est pas le culte de l'art, et la splendide religion des Grecs ne fut-elle pas une

(3) Ou ce que la Vérité et le Devoir veulent. E.O.

d'un tel miracle ne peut être qu'une de ces fictions hyper-

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des formes les plus gracieuses et charmantes de la Religion Universelle ? J'adore en vérité la Majesté Divine quand je me trouve en face du Jupiter de Phidias, la Beauté immortelle dabs la Vénus de Milo, la divinité de l'homme dans le Christ de Michel-Ange, le Rêve Céleste dans le Paradis de Fra Angelico. Mais si, pour me forcer à adorer l'un ou l'autre de ces chefs d'oeuvre, vous me montrez des échafauds ou des bûchers en flammes... je méprise l'exécuteur et tourne le dos aux idoles. Oh ! folie de la tyrannie humaine ! En France, dans ce pays par excellence dont le nom même signifie Liberté, on a dressé de échafauds devant l'idole de la Liberté, Pourtant Robespierre et Marat ont maudit les Inquisiteurs, comme les Inquisiteurs avaient maudit Néron et Dioclétien. Marat et Robespierre ont été maudits à leur tour par des assassins ultérieurs et la Liberté reste un Paradoxe purulent, une Idole avide de sacrifices. Jusqu'à présent le monde a présenté l'aspect d'une vaste maison de fous. Parmi ceux-ci un grand nombre en a saisi un en lui disant : « adore ma pantoufle... ou je te brûle ! ». Si l'homme tombé en leurs griffes était malin, il faisait mine d'adorer la pantoufle - peut-être même que, ce faisant, il n'était ni hypocrite ni idolâtre (1). La vraie victime, c'est l'être sans malice qui prend la chose au sérieux, résiste tristement et devient un martyr. La lassitude qui toujours succède à la débauche, porte l'homme à la folie du suicide, et les orgies de la décadence devaient fatalement aboutir à l'épidémie du Martyre. En ce temps-là, de jeunes vierges s'en allaient vers le bûcher (1) Seulement un digne fils de Loyola. E.O.

comme à un bal ; des mères obstinées tramaient leurs en-

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fants au massacre ; des bourreaux las de tuer jetaient bas leurs haches et demandaient la mort. « Enlevez vos collerettes » écrivait Certullion aux femmes chrétiennes « et dégagez votre cou pour faire place au sabre du bourreau ». Des enfants jouaient au martyre et l'on en vit un qui faisait rougir à blanc des morceaux de fer pour se les appliquer sur la main. La cruauté romaine provoqua une réaction, et le goût de la torture, comme exhibition, créa le désir de l'expérimenter comme sensation nouvelle. Polineatus et Nearchus, interrompant une cérémonie religieuse et renversant les autels de leurs dieux sous les yeux du peuple saisi d'horreur, vous semblent-ils avoir agi comme des êtres raisonnables ? Alors, quoi ? St Paul n'avaitil pas prédit la folie de la croix, et Jésus lui-même n'a-t-il pas causé du scandale dans le temple de Jérusalem ? « Il était Dieu » me direz-vous. Soit, mais humainement parlant, sa conduite était extrêmement irrégulière et imprudente. Vous seriez bien de mon avis sur ce point si vous l'osiez. Est-il légal - sous prétexte qu'on est Dieu - d'être moins prudent qu'un homme ordinaire, un homme sage ? Voilà ce qu'on est enclin à se demander, alors même qu'on n'en aurait pas le droit, et si tant est qu'on accepte les Evangiles à titre historique. Mais ils sont plus qu'historiques, les Evangiles : ce sont des prétextes et des symboles. Dieu désapprouve le trafic des choses saintes ; Il ne veut pas de marchands dans son temple, et les vendeurs doivent être chassés à coups de fouet. On doit renverser leurs boutiques et fouler aux pieds leur argent. C'est là tout ce que la légende (ou, si vous le préférez, le St Evangile) rapporte sur les vendeurs chassés du temple. Ici je salue et me tiens coi. (1) (1) L'Eglise de Rome, au lieu de cannoniser comme elle l'aurait dû, le pauvre Eliphas Lévi (l'abbé Louis Constant), l'interdit et le persécuta jusqu'à sa mort. « Il est dangereux de laisser les choses inachevées » avoua l'homme à son lit de mort.

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Les libres-penseurs doivent finalement se rendre compte que, s'ils ne veulent pas avoir à lutter sans cesse contre l'une des plus énergiques forces de la nature humaine (le besoin irrésistible de croire en quelque chose d'infini et d'adorer ce quelque chose) il leur faut avoir foi dans l'Humanité, une Humanité plus grande que Nature, sous certains rapports, afin de monter toujours vers elle, de se purifier en elle, de vaincre et de régner par elle. Voltaire ne désirait pas détruire la Religion ; il désirait seulement la réduire à un pur déisme. Sa devise était « Dieu et Liberté ». Lui qui se croyait un poète et qui pourtant n'entendait rien au grand poème épique des Symboles, qui, s'élançant des Forces fatales pour arriver à l'intelligence et à la Liberté, foule aux pieds les soleils, le Feu sacré de Zoroastre, permet à Prométhée de ravir Ce Feu en dépit des charmes de Jupiter, adore la Force qu'il enchaine aux pieds de la Beauté, traverse le domaine presqu'illimité des rêves glorieux, et finit par se synthétiser en la réalité de l'Homme. Dieu n'est plus le géant invisible, fantasque, solitaire, caché dans les profondeurs insondables des cieux. Il est parmi nous ; il est en nous ; il est né de la Femme ; c'est un enfantelet dont nous entendons les vagissements de nouveau-né ; c'est un adolescent qui pense et qui aime, un banni, un proscrit qui lutte et qui souffre, un libre-penseur qui proteste, un réformateur qui chasse du Saint Lieu tous ceux qui vendent ou qui achètent. C'est un maudit qui bénit et qui se relève d'entre les morts. C'est l'homme pur qui pardonne à la femme adultère, le médecin qui guérit... mais c'est aussi l'homme malade qui espère, le paralytique qui se lève et marche, l'aveugle qui ouvre les yeux à la Lumière. « Les autres sont moi » dit le Seigneur, « et celui qui me voit, voit aussi mon Père. Tout ce qui est fait au plus petit d'entre ceux-ci, est fait comme à moi-même, et Dieu est en moi comme je suis en Lui »... Jésus parle-t-il uniquement du Peuple choisi dans la race bénie d'Abraham ? Non, car il bénit éga. lement le bon Samaritain, le centurion de Rome, la femme

de Chanaan et le troupeau immense des nations qu'il espère réunir en un seul troupeau. Ainsi celui qui donne du pain au pauvre le donne à Dieu ; celui qui console un affligé console Dieu ; celui qui bénit un infidèle bénit Dieu ; celui qui fait tort à son prochain fait tort à Dieu ; celui qui maudit son prochain maudit Dieu, et celui qui tue un homme commet un déicide. Qu'est-ce que Jésus aurait pensé du Prêtre et du Lévite sans pitié excommuniant et condamnant à mort, comme schismatique, le bon Samaritain ou l'homme blessé de Jéricho, pour avoir reçu avec reconnaissance le secours et les soins d'un « Infidèle » ? Quelle aurait été sa sentence contre ces Inquisiteurs qui ont emprisonné, torturé et brûlé Dieu vivant ? Mais le Dieu de ces hommes était le Diable, et leur religion était celle de l'Anté-Christ. L'homme n'a pas le droit de tuer un autre homme, sauf le cas de légitime défense L'exécution d'un criminel est une infortune de guerre. (1) Dans une Société non encore Chrétienne mais celui qui est exécuté et qui accepte l'expiation devient à nos yeux le Père du Bon laron mourant ur la croix aux côtés du Sauveur, et nous devons voir en lui Dieu se séparant de la Brute. Le crime n'est pas un acte humain. Le sacrifice est divin dès (1) « Excepté le cas de légitime défense » non pas même alors, car il y aurait toujours différence entre les deux adversaires. E.O. La différence consiste en ce que l'un cherche à tuer, violant ainsi le droit de son prochain à la vie, et ce par agression et non en se défendant pour sauvegarder son propre droit à l'existence ; tandis que l'autre, s'il enfreint également le droit qu'à son voisin de tuer, ne le fait qu'en vue de sa propre sécurité et de son droit imprescriptible à la vie. Il y a une énorme différence entre ces deux cas, différence qu'aucun sophisme ne peut effacer. Les deux parties peuvent avoir tort, c'est vrai, mais, même dans ce cas, (point de droit controversé par les plus grands moralistes de tous les temps) il y a une énorme différence de criminalité entre les deux cas. E.O. condamne intégralement le suicide - et il a raison - ; mais permettre à un homme de vous tuer, c'est-à-dire de laisser vous tuer quand vous pouvez l'en empêcher en le tuant lui-même, cela me parait équivaloir à une sorte de suicide par intention et par objet. Note du traducteur anglais.

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qu'il est volontaire « Homo sum humani a me nil alienum puto » « Je suis un homme et rien de ce qui est humain ne peut m'être étranger ». Voilà ce que Dieu a dit au monde dans l'Esprit de la Révélation Chrétienne. Cherchons Dieu dans la Nature ; adorons-le en Esprit et en Vérité ; aimonsle et servons-le dans l'Humanité. C'est cela que consiste la Religion éternelle et définitive. (I) Et quand le chef de la Famille humaine sera entré dans cette voie, nous serons à même de dire avec Voltaire : « Dieu, c'est la Liberté... » car alors l'homme comprendra Dieu et sera digne d'être libre.

L'AMOUR EST LA REALISATION DE L'IMPOSSIBLE

L'amour est l'omnipotence de l'Idéal. L'âme s'élève par l'Idéal ; elle devient plus grande que nature, plus vivante que le monde, plus haute que la science, plus immortelle que la Vie. Quand Jésus-Christ dit : « Aimez Dieu de tout votre cœur, et votre prochain comme vous-mêmes, c'est la Loi des Prophètes... » Il entendait signifier : « Amour ! Amour ! tu es au-dessus de toute chose, car Dieu est l'Amour infini. De plus, aimez votre prochain comme vous-même, ce qui veut dire : aimez-vous dans votre prochain. » Si l'égoïsme est convenablement dirigé, il commence par autrui. (1)

(1) Autrement dit l'altruisme c'est la forme la plus élevée de l'égoïsme. Note du traducteur anglais.

(1) Seulement, quoi que nous fassions, appelons les choses par leur vrai nom : « pas de demi-inconnues ». E.O.

PARADOXE III

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Aimer, c'est vivre ; aimer, c'est savoir ; aimer, c'est avoir la capacité ; aimer, c'est prier, c'est être l'Homme-Dieu. La femme a osé se perdre pour cueillir la divinité et l'offrir à l'homme ; et l'Homme qui n'avait pas soif de divinité - puisqu'il possédait la Femme - prit la chose comme toute simple de suivre sa compagne dans la Mort. C'est là que commence l'Incarnation de Dieu. Eve a forcé Dieu de se faire Honime, car elle était devenue mère.

La Mort et l'Enfer s'étaient dressés, terribles d'une menace éternelle, et un instant d'amour les avait vaincus, « L'amour est plus fort que la mort » chante le Cantique des Cantiques. Il est plus inaccessible que l'enfer. L'amour, c'est le Feu éternel qu'aucun déluge ne peut éteindre. Pour un peu d'amour, donnez tout ce que vous possédez, tout ce que vous espérez, tout ce qui vous est précieux, tout ce que vous êtes, votre sang, votre coeur, votre vie, votre âme et vous l'aurez acheté pour rien ! Celui qui sauverait son âme en lui sacrifiant l'amour, perdrait son âme ; et celui qui perdrait son âme par amour, la sauverait. « Il sera beaucoup pardonné au coeur qui a beaucoup aimé » et c'est Jésus lui-même qui avait dit cela. Il avait pour compagne et amie la Magdeleine, et c'est à la femme de Samarie, une pécheresse, qu'il demanda l'eau pour étancher sa soif. Il pardonna à la femme adultère et dit que les courtisanes entreraient au Ciel « avant les pharisiens et les Docteurs de la Loi, parce que les fautes de l'amour sont plus excusables que celles de l'orgueil » et qu'il « est préférable de mal aimer que de ne pas aimer du tout ». En morale absolue, le Bien est Amour, le Mal est Haine. L'amour doit être aimé ; c'est la haine seule qu'on doit haïr. « Une seule phrase haineuse mérite l'Enfer » dit l'Evangile par conséquent un seul mot d'amour mérite doublement le Ciel, car l'amour récompense plus libéralement que la haine

ne punit. Et puis, l'Amour lui-même n'est-il pas sa propre récompense ? Celui qui aime n'a-t-il pas trouvé la Clef du Paradis ? Pour Ste Thérèse le criterium de l'Enfer était l'impossibilité d'aimer ; cela lui semblait si terrible, qu'elle plaignait Satan. « Le malheureux ! » avait-elle coutume de dire « il ne peut plus aimer ! ». La Femme plaignant le Démon... Quelle réforme du christianisme ! Quand le monde aura appris à aimer, il sera sauvé (1). L'homme qui sait vraiment aimer attire à lui toutes les âmes. Convoiter n'est pas aimer. Exiger n'est pas aimer. Asservir n'est pas aimer. La jalousie, c'est l'égoïsme sous le masque de l'Amour. Le désir excessif engendre le dégoût ; l'exigence s'attire un refus mérité ; la tyrannie excite la rébellion chez les forts et la trahison chez les faibles. La jalousie est odieuse et ridicule ; haïr le coeur qui ne vous aime plus, n'est-ce point le punir de vous avoir jamais aimé ? La fureur jalouse, c'est de l'ingratitude furieuse. Mais il y a une jalousie sublime qui n'est que le zèle de l'amour, et qui, pour l'honneur même de l'amour, désire l'honneur du bien-aimé. Car le bien-aimé ne cesse jamais (1) Ce qui revient à dire Quand l'amour égoïste aura cédé le pas à l'amour du prochain - de tous les prochains. E.O. Il y a, dans plusieurs passages de ce discours, un fâcheuse confusion apparente entre l'amour émanant de l'esprit et celui né de la chair ; entre le divin et le terrestre ; entre l'amour animal fait d'égoïsme, et celui qui est la forme la plus élevée de l'altruisme. Mais cette confusion est plus apparente que réelle, comme on le verra plus loin. Note du traducteur anglais.

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d'être l'idéal suprême de l'âme, le mirage de l'Absolu. Les affections, les fantaisies passagères ne sont pas l'Amour, L'amour vrai, c'est la compréhension de Dieu dans l'Homme ; c'est l'essence de la Religion, de l'Honneur, de l'Amitié et du Mariage. L'amour est non-seulement immortel, mais c'est lui qui rend l'âme immortelle, Il ne vieillit ni ne change ; mais il est des coeurs qui s'en détournent, comme la Terre se détourne du Soleil quand elle aspire à dormir - et c'est alors que le froid de la nuit semble tomber sur l'âme. L'amour est le principe de vie sur le plan physique. Sur le plan spirituel ou métaphysique, il est le principe d'immortalité. En remontant à l'origine des choses, et en partant de là pour se répandre sur tous les êtres, l'amour s'appelle Piété, Charité et Bonté. Quant il impose le respect par devoir, il prend le nom d'honneur. I1 est le grand ressort de l'individualité humaine. L'amour est manifestement immortel, car il ne cède rien à la Mort ; il la brave, la méprise et en fait souvent sa félicité et sa gloire. Qu'est-ce qu'un martyr, sinon un témoin qui affirme l'éternité de la vie en dépit des tortures et de la Mort. L'amour s'affirme de lui-même, absolument. La crainte n'existe pas où il y a amour ; celui-ci s'impose à la vie, lui donne ses ordres et ne peut en recevoir d'elle. Chez l'homme, l'amour doit être libre. Dans la nature il n'est que le fruit du destin - fruit fatal. Il possède deux forces contraires - comme l'aimant - il attire et repousse, il crée et détruit. C'est le frère de la Mort, mais un frère ainé. C'est le Dieu dont le prêtre est la Mort, le Dieu qui revêt la Mort de sa propre beauté, tandis que la Mort lui fait hommage de ses éternels sacrifices. L'amour a une ombre que les hommes appellent la

Haine ; cette ombre lui est nécessaire pour faire valoir sa splendeur. La beauté est son sourire, le bonheur sa joie, la difformité son chagrin, la souffrance sa preuve. La guerre est sa fièvre chaude, les passions sont ses maladies, la sagesse est son triomphe et son repos. Il est aveugle, mais il porte un flambeau ; c'est Lucifer - à la fois ange et démon - ; c'est la damnation et le salut. C'est Eros contrebalancé par Antéros ; c'est St Michel dressé sur Satan comme sur un piédestal. Le grand arcane de la Magie, c'est le mystère de l'amour. L'amour fait mourir des anges et donne l'immortalité à des démons. Il change en femme les sylphes, les ondines, les gnomes, et fait rentrer en terre les egrégores. C'est l'amour qui a promis Pandore à Prométhée ; c'est pour Pandore que le coeur de Prométhée renait sans cesse sous les serres du vautour, et c'est pour Prométhée que Pandore garde toujours l'espérance. Le ciel est le cantique de l'amour satisfait, l'enfer un rugissement d'amour déçu. Mais, comme l'a dit un grand poète, les ombres de l'Enfer sont des ténèbres visibles puisqu'il y reste toujours quelque clarté dans la nuit. Si l'Enfer n'avait pas dans l'amour une raison valable d'existence, ce serait le crime de Dieu. L'Enfer est le laboratoire de la Rédemption, et il est éternel afin que l'oeuvre réparatrice soit, elle aussi, éternelle. Car Dieu a toujours été et sera toujours ce qu'Il est. La souffrance éternelle est le cri de l'éternelle parturition.

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Deux femmes se tiennent au pied de la croix du Sauveur, dans les tableaux évangéliques. L'une, debout et voilée, immobile et pâle comme une statue de marbre, dans la majesté de sa douleur, est la Vierge Immaculée, la Mère qui conçut sans péché. L'autre, prostrée et gémissante, les cheveux épars, les vêtements en désordre, les yeux rougis par les larmes, le sein palpitant de sanglots, c'est la pécheresse, Marie-Magdeleine, répudiée par le monde, bénie par Celui qui meurt. Aux côtés du Christ, deux hommes se tordent dans la suprême agonie, deux malfaiteurs, l'un repentant, l'autre endurci. Jésus dit à l'un d'eux : « Je te pardonne... » ; mais il ne dit pas à l'autre : « Je te condamne... » Jésus souffrit en silence avec lui et pour lui. La damnation irrévocable, c'est la réprobation éternelle qu'entraine la haine ; c'est l'irrémédiable souffrance de l'être qui jamais n'aimera. L'amour involontaire n'est pas un sentiment particulier à l'Humanité ; c'est l'instinct, propre à toute la Nature : l'animal ne choisit pas l'attrait auquel il cède ; seul l'homme tient dans sa main la pomme d'or que le Ciel destine à la plus belle. Si l'homme était plus sage, il choisirait Minerve ; s'il était puissant, Junon serait sa favorite ; mais si la satisfaction des sens lui suffit, c'est à Vénus qu'il offrira la pomme. C'est ce que fit Paris, le poltron. Agamemnon aurait choisi Junon ; il fut assassiné par Clytemnestre. Ulysse n'admira que Minerve, aussi eut-il Pénélope pour épouse, et triompha-t-il des Sirènes, de Calypso, de Circé, etc... Il s'échappa des mains de Polyphème, de la colère de Neptune..., écrasa sous ses pieds ennemis et rivaux, et finalement reconquis sa couche nuptiale et son trône.

les caractères en sont typiques. Agamemnon et les deux Ajax incarnent la triple auréole de la Puissance, de la valeur, et de la rébellion. Achille est la fureur ; Paris le plaisir ; Nestor, l'expérience qui parle ; Ulysse, l'intelligence qui agit. Les travaux de ce dernier représentent les épreuves de l'Initiation et, en ce sens, correspondent aux travaux d'Hercule. Mais Hercule succombe à un amour fatal et meurt victime de Déjanire. Ulysse jouit de la possession de Calypso, et de Circé, sans leur permettre de le posséder ; il aime ce qu'il doit et veut aimer - sa patrie et son épouse - et cet unique amour le fait passer partout victorieux. L'amour est la plus grande force de l'homme, quand il n'en est pas la plus insigne faiblesse. Il affaiblit l'homme égoïste et fortifie celui qui se dévoue avec abnégation. Hercule, aux pieds d'Omphale, paie cher les joies voluptueuses dont il se rend l'esclave. Samson paie de ses yeux, de son honneur, de sa liberté, les baisers perfides de Dalilah. Orphée ne doit pas regarder Eurydice s'il veut l'arracher à l'étreinte de l'Enfer ; mais il cède à son désir de contempler plus tôt la beauté après laquelle il soupire... il se retourne, et tout est perdu - il ne la verra jamais plus ! Ce qui est certain, c'est que le véritable amour ne s'attache pas à la beauté physique qui est éphémère ; pour lui, la beauté est éternelle et ne saurait lui échapper puisque c'est lui-même, dans sa force, qui la crée. Le sage n'aime pas une femme parce qu'elle est belle : il la trouve belle parce qu'il l'aime et parce qu'il a de bonnes raisons pour l'aimer. L'amour bestial est le mauvais augure. L'amour humain est une providence. Ulysse, dans les bras de Calypso et de Circé, n'était pas infidèle à Pénélope, parce qu'il n'avait

Les poèmes d'Homère sont des enseignements divins ;

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qu'une seule pensée : savoir par quel moyen leur échapper pour rejoindre sa femme. Il ne péchait que contre les délicatesses de l'amour, et de cela il dut être puni par le fils de Circé. La graine des enfants illégitimes est la semence de parricides. Quànd il n'y a pas la Foi, ou tout au moins l'illusion et le désir de l'éternité, l'amour sexuel est une goinfrerie d'animalité, ou une fantaisie de débauche. L'impudicité est un avilissement de l'amour ; la Nature la punit, et l'amour blessé en tire vengeance. Don Juan doit, tôt ou tard, se trouver face à face avec la statue du Commandeur. Mais pouvons-nous toujours échapper à cet amour fatal ? Pouvons-nous irrévocablement obliger notre coeur à n'aimer que ce qui est libre et légitime ?

PARADOXE IV LA CONNAISSANCE EST L'IGNORANCE

OU LA NEGATION DU MAL

Nous le pouvons par la connaissance et la volonté ; quand nous savons ce que nous devons vouloir, nous aimons forcément ce que nous devons aimer. « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font » dit le Christ en intercédant pour ses bourreaux. En s'exprimant ainsi, il plaidait la cause de toute l'Humanité. Tous les hommes se trompent « parce qu'ils ne savent pas », et nul ne sait ce qu'il fait, quand il commet le mal. Comment un être raisonnable, doué de discernement, pourrait-il sciemment faire le mal ? (1) Est-ce que quelqu'un prend volontairement des poisons pour des parfums, du fiel pour du miel, la cigüe pour du persil, ou de l'arsenic pour du sel ? (1) De tels êtres peuvent être rares ; mais l'occultisme sait, et le monde ressent, les effets de la méchanceté de ces malheureux. Note du traducteur anglais.

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L'ignorance est la cause première de toutes les fautes, de tous les crimes, de tous les maux qui s'acharnent sur l'Humanité. Ce fut l'ignorance qui inventa les Dieux capricieux et colères ; c'est elle qui attribua généreusement à Dieu les pires passions de l'homme ; elle qui fit sortir du Principe Intelligent des choses une Personnalité distincte, définie et infinie, confrontant ainsi ensemble les conceptions les plus contradictoires, car, du moment qu'une personnalité devient « définie et distincte », il n'est plus possible de la concevoir comme étant « infinie ». C'est par ignorance que les Hommes ont persisté à se contraindre réciproquement tantôt à se soumettre à une Foi sans raison, tantôt à s'appuyer sur la raison sans la Foi, se persécutant, entre temps, les uns les autres et se portant, tour à tour, aux pôles extrêmes de la Folie. C'est par ignorance des lois de la Nature que les hommes ont ajouté foi à la légende de l'arrêt du Soleil dans sa course, aux ânes qui parlent, aux mâchoires d'ânes transformées en sources jaillissantes, à tout un monde d'absurdités et de chimères de ce genre. C'est l'ignorance qui fait éclater Trimalcyon à table et rend fou St Antoine dans son désert ; car l'homme tend toujours à se plonger dans des vices, ou à gravir des hauteurs de vertus disproportionnés à son être. C'est par ignorance que Tibère se livre, à Caprée, à des plaisirs sensuels plus douloureux que des tortures, et que mille fois par joui il se sentait près de mourir dans le dégoût de son pouvoir impérial et l'agonie de ses jouissances. Les ignorants ont empoisonné Socrate, crucifié Jésus-Christ, torturé les Martyrs, brûlé les hérétiques, massacré les prêtres, renversé puis relevé alternativement les plus monstrueuses idoles, prêché, les uns la tyrannie, les autres la licence ; renié, les uns toute autorité, les autres toute liberté. En somme, tous ont ignoré la Raison, la Vérité et la

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Justice. C'est par pure ignorance qu'un homme est orgueilleux, puisqu'il s'imagine s'attirer des hommages alors qu'il se rend ridicule et méprisable ; c'est encore par ignorance qu'il est avare, puisqu'il se rend ainsi esclave de ce qui est fait pour le servir. C'est par ignorance qu'un homme se livre à la débauche, puisqu'il fait un abus mortel de ce qui se rapporte à la vie et à la propagation de l'espèce. Les hommes se haïssent mutuellement, eux qui devraient s'entr'aimer ; ils s'isolent au lieu de s'entr'aider, se divisent au lieu de s'associer, se corrompent réciproquement au lieu de s'amender, détruisent au lieu de conserver, et s'affaiblissent dans leur égoïsme au lieu de se fortifier par la Charité universelle ; tout cela par pure ignorance. L'homme recherche instinctivement ce qu'il croit être le Bien, et si, presque toujours, il se trompe sottement, cruellement, c'est parce qu'il ne sait pas. Les despotes du Vieux monde ne savaient pas que les abus du pouvoirs impliquent forcément la chutte de ce même pouvoir, et, qu'en creusant la terre pour y cacher leurs victimes, ils creusaient leurs propres tombeaux. Les révolutionnaires de tous les temps n'ont pas su que l'anarchie étant le conflit de toutes les convoitises et le règne fatal de la violence, elle substitue la Force au Droit, et donne au plus audacieux criminel accès à la dictature. Les Inquisiteurs ne savaient pas qu'au nom de l'Eglise c'est Jésus-Christ qu'ils brûlaient, qu'au nom du Saint Office ils brûlaient l'Evangile, et que les cendres de leur autodafés marquaient leurs fronts' au fer rouge du chiffre de

Caïn.

Voltaire ne savait pas, lorsqu'il par lait pour Dieu et la Liberté que dans les esprits étroits du vulgaire la liberté allait détrôner Dieu. Il ne savait pas que dans les obscurs fon-

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dements des symboles une lumière sublime se cache, que la Bible est une tour de Babel au sommet de laquelle repose l'Arche Sainte ; et il ne songea pas un instant que ses écrits préparaient des matériaux aux forces impies de Chaumette et aux Paradoxes de Proudhon. Rousseau ne savait pas que, parmi les fils bâtards de son fier génie inquiet, il aurait un jour à compter les Robespierre et les Marat. Pascal connaissait mal les mathématiques puisqu'il croyait aux Jansénistes... alors que l'exactitude des proportions et l'équilibre se manifestant partout dans la nature de l'Univers, comment ce géomètre inconsidéré pouvait-il supposer l'injustice en Dieu ? Si les moines du Moyen Age avaient été mieux versés en physiologie, et en médecine, ils auraient su que la solitude porte à la folie, les veilles nocturnes à l'inflammation du sang, le jeûne à l'anémie cérébrale, et que le célibat obligatoire provoque des crises de frénésie anormale. (1) Si Bossuet et Newton avaient connu la Kabbale, ils n'auraient pas entrepris d'expliquer l'Apocalypse, alors qu'ils n'y comprenaient rien. Si Napoléon III avait connu les mathématiques, il n'aurait pas attaqué la Prusse.

Personne ne se trompe soi-même sciemment ; celui qui rejette la Vérité ne sait pas que c'est la Vérité qu'il rejette. Chacun cède à ce qui l'attire le plus impérieusement ; cette prédominance d'attraction dépend de la connaissance. (1) Rien de ce genre ne se produit quand l'esprit est naturellement plus fort que la chair et a su s'en rendre maître. De plus il y a la volonté ! Mais si l'esprit est somnolent et la Volonté mal éveillée, ce serait folie de tenter à s'y soumettre. E.O.

Vivre, c'est souffrir ; savoir comment vivre, c'est être

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heureux.

Aimer, c'est obéir ; savoir comment aimer, c'est gouverner. Parler, c'est faire du bruit ; savoir comment parler, c'est faire de la mélodie. Chercher, c'est se tourmenter ; savoir comment chercher, c'est trouver. User, c'est souvent abuser ; savoir comment user, c'est jouir.

Pratiquer la Magie, c'est être charlatan ; connaître la Magie, c'est être un sage. Croire sans savoir, c'est être un imbécile. Savoir sans croire, c'est être un fou : le vrai savoir comporte en soi la Foi. (1) L'homme qui sait n'a plus aucune raison de douter ; quand l'esprit ne doute plus, la volonté cesse l'hésiter, et l'homme atteint à ce qu'il veut.

A cette question : « Pourquoi Dieu nous a-t-il créé » ? Le Catholicisme répond : pour l'aimer, le connaître, le servir et gagner ainsi la vie éternelle. Disons la même chose en termes plus simples : nous sommes au monde pour aimer : quand nous aimons Dieu

parce que Dieu ne se manifeste à nous que dans la Nature

(1) C'est un vrai paradoxe en même temps qu'une grande vérité. E.O.

et dans l'Humanité. Nous sommes au monde pour apprendre, c'est-à-dire pour savoir. Apprendre toutes choses, c'est connaître Dieu de plus en plus. La vraie théologie c'est la science universelle. Nous sommes au monde pour servir l'Humanité, ce qui équivaut à servir Dieu (1), en lui consacrant librement notre activité. Et c'est ainsi que nous avançons sur la voie du Progrès Universel. Nul ne gagne la vie éternelle par ses propres mérites ; cette vie s'impose à nous, et, si nous ne savons pas comment en jouir, il nous faut quand même l'accepter. La connaissance est le premier pouvoir de l'Univers intelligent. Dieu est le Maître de la connaissance infinie. Celui qui sait devient naturellement le Maitre de celui qui ne sait pas. Il est nécessaire de savoir pour être. Celui qui ne sait pas comment être riche, n'est pas riche ; celui qui ne sait pas comment être bon, n'est pas bon. La connaissance est toujours proportionnée à l'être qui l'a acquise, et, en philosophie - comme Kant le fait remarquer - l'être est identique à la connaissance. (1) Quel ridicule « supernuméraire » serait un tel Dieu par devant un jury de bon sens et de logique ! Néanmoins quelques uns des hommes les plus censés de refusent à abolir cette fiction, E.O. Or, parmi nos sujets Figiens, les juges, les gouverneurs, les vaisseaux ,mêmes et tous représentants de notre bonne reine sont reçus avec respect et amour. C'est en son nom que la justice est rendue d'homme à homme ; son nom seul protège contre les attaques des nations étrangères ; elle est connue de ses sujets par ses seules images portraits plus ou moins fantaisistes - ou par les efforts produits par et en son nom. Ces Fijiens ne peuvent la servir que par leur loyauté de citoyens dans leurs rapports réciproques. C'est en somme une « supernuméraire » ridicule que cette reine Victoria actuelle ; et cependant quelques uns des plus raisonnables Fijiens ne consentiraient pas à abandonner cette fiction... Bien au contraire, ils penseraient qu'un homme serait bien mal avisé de la considérer comme un mythe. Note du traducteur anglais. Je ne vois pas trop ce que l'auteur de la traduction anglaise a entendu prouver par cet exemple de Fijiens, etc... Je l'ai traduit à mon tour, fidèlement, sans chercher à comprendre. Note du traducteur français.

Seul le savoir confère un droit de propriété. On frappe

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d'interdiction ceux qui ne savent pas utiliser convenablement leur fortune. L'abus naît de l'ignorance plus ou moins volontaire où l'on se trouve de savoir comment jouir de ce qu'on a. Celui qui sait comment acquérir et conserver a le droit d'user ; mais nul n'a le droit d'abuser. La propriété est sacrée en tant que garantie des droits de l'individu, car elle représente le droit au travail et constitue le pouvoir de donner, de prêter, etc... ce qui fait partie de la dignité de l'homme ; mais cette propriété est limitée par le devoir social, chacun se devant à tous, et tous à chacun, selon les prescriptions de l'ordre, de la justice et de la Loi. Ignorer ces choses, c'est se montrer susceptible d'accepter comme une vérité ce paradoxe de Proudhon : « La propriété, c'est le vol ! » L'ignorance est la mère de toutes les révolutions, parce qu'elle est la cause de toutes les injustices. Quand un homme sait, il devient maître de tous ceux qui ne savent pas. L'étude est l'échelle du Mérite et du Pouvoir. La première parmi les études nécessaires est celle de solmême. Puis vient l'étude des sciences exactes (1), celle de la Nature, et enfin de l'Histoire. Ces études préliminaires fournissent des éléments de la Philosophie laquelle doit ensuite se parfaire par la science des Religions. Un mage ne saurait être un ignorant. Magie signifie majorité, et par majorité on entend émancipation par la connaissance. Le mot latin magister qui veut dire maître est dérivé - de même que le mot magistrat - des mots magie et mage.

Magie signifie plus, major, plus grand - en un mot, magie implique l'idée de supériorité. C'est pour cette raison que ( ) C'est-à-dire des sciences occultes. E.O.

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la légende chrétienne de l'Epiphanie confond les Magi (ou Mages) avec les Rois (1), et les fait venir à la crêche du Sauveur des hommes, guidés par l'étoile mystérieuse de Salomon. Jésus dans son berceau est salué Prince des Mages ; ceux-ci lui offrent l'encens de Saba, l'or d'Ophir et la myrrhe de Memphis, parce qu'il est venu pour consacrer à nouveau le feu du Zoroastre, rénover les trésors symboliques d'Hiram, rassembler une fois de plus les membres épars d'Osiris et les lier ensemble avec les bandelettes d'Hermès. Les Mages, guidés par l'étoile des Sabbéens, vinrent pour honorer l'enfance de l'Initiation chrétienne ; puis, afin de déjouer les projets cruels d'Hérode, ils s'en retournèrent chez eux par un autre chemin. Quel est ce chemin ? C'est celui de l'occultisme. Les puissances de ce monde l'ignorent ; mais il est connu des Initiés Johannites, Adamiramites, Illuminés et Rosicruciens. (2) Il nous faut savoir pour vouloir avec raison, et, quand nous voulons avec raison, c'est notre droit et notre devoir d'oser. Mais tant que nous ne sommes pas à l'abri d'attaques perverses et stupides, nous devons garder sous silence ce que nous osons. Nous pouvons, mais nous ne devons pas toujours faire montre de ce que nous savons. Nous devons être libres d'avouer nos croyances, mais le Christ ne nous le conseillait (1)

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Dans l'un des livres secrets de Mérope - livre antérieur au Christianisme - on montre trois mages à la recherche de la sagesse perdue de Zoroastre, dans le but de sauver le monde de la Maya - ignorance. Une étoile leur apparaît, étoile à six pointes, qui les guide vers la caverne où est enfoui le Livre de Zaratushta - Livre de Sagesse. E.O. Connu aussi d'autres sectes, associations ou Fraternités encore plus importantes et dont les noms n'ont jamais été divulgués au monde. Note du traducteur anglais.

pourceaux, de crainte qu'ils ne se tournent contre vous et ne vous déchirent. « La science occulte a donc une raison pour rester secrète, et cette raison est déclarée - voire même sanctionnée - par une autorité à la fois divine et humaine. Jésus mit-il lui-même en pratique son propre précepte ? Les perles de sa doctrine ne furent-elles pas piétinées par les brutes obscènes qui ont déchiré et continuent à se repaître du Maître ? Celui-ci ne répondra pas à notre question ; mais, au risque de notre repos, de notre réputation et, si besoin est, de notre vie même, nous nous sommes toujours efforcés, et nous nous efforcerons toujours jusqu'à la fin, de sauver de l'auge des porcs les perles du Saint Evangile. Les sciences occultes ne sont pas davantage sciences autorisées que la religion des initiés n'est la religion des croyants en général. Les premières vont sans cesse de l'avant, devinant ce qui n'est pas encore défini. Elles ne bravent pas l'anathème, mais continuent à avancer, sans y prendre garde, car nul anathème ne peut les atteindre. é e qui est certain, c'est qu'il existe, dans la nature et dans l'homme, des forces qui, jusqu'à présent, ont échappé au contrôle des autorités les plus savantes. Le Magnétisme est encore un problème que les Académiciens se refusent à résoudre. La Kabbale est inconnue aux rabbins du second Talmud ; le nom même de la Magie appelle le sourire sur les lèvres de nos professeurs de Physique, et il reste bien entendu qu'un homme qui, de nos jours, s'occuperait de philosophie hermétique, ferait preuve d'un esprit singulièrement détraqué. Trismégiste, Orphée, Pythagore, Apollonius, Porphyre, Parcelse, Trithème, Pompanatius, Vaneni, Giordano Bruno et tant d'autres étaient-ils donc tous fous ? Le Comte Joseph de Maistre, ce farouche ultramontain, n'en jugeait pas ainsi ; lui qui reconnaissait la nécessité d'une manifestation nouvelle et tournait les yeux, malgré lui,

pas quand il disait : « Ne jetez pas vos perles devant les

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vers les sanctuaires de l'occultisme. Toutes les religions et toutes les sciences se rapportent à une connaissance unique, toujours cachée aux yeux du vulgaire, et qui se transmet d'âge en âge, d'initié à initié, sous le voile des fables et des symboles. Cette science conserve pour un monde à venir les secrets d'un monde déjà disparu. Les Gymnosophistes la contemplaient sur les rives du Gange ; Zoroastre et Hermès l'ont conservée en Orient ; Moïse la transmit aux Hébreux ; Orphée en révéla les mystères à la Grèce ; Pythagore et Platon la devinèrent presque. On l'appelait la science sacerdotale ou royale, parce qu'elle élevait ses initiés au rang de Rois et de Pontifes. Elle est dépeint ê dans la Bible sous les traits du personnage mystérieux appelé Melchisédec, le roi de la Paix, le prêtre éternel qui n'avait ni père, ni mère, ni généalogie, et ne tenait que de lui-même - comme la Vérité, Les Initiés chrétiens ont prétendu que le Christ pouvait bien être ce même Melchisédec, et Jésus semble avoir adopté luimême cette version allégorique quand il dit qu'il existait avant Abraham, et que celui-ci le salua en se réjouissant « de voir sa Lumière ». Cette science des prêtres et des Rois était appelée, à cause de cela, le Royaume très Saint, le Royaume céleste, le Royaume de Dieu, où tous ne peuvent entrer et qui n'est accessible qu'aux intelligences d'élite. C'est pour cela que selon l'Evangile, « il y a peu d'élus ». Cette science se cache parce qu'elle est persécutée (1) Zoroastre fut brûlé (2), Osiris mis en pièces, Orphée déchiré par les Bacchantes, Pythagore assassiné, Socrate, le Maître de Platon, empoisonné, les grands prophètes mis à mort de diverses manières, Jésus crucifié, ses apôtres voués au martyre ;

mais la doctrine ne meurt jamais, et malgré qu'elle disparaisse pour un temps, il lui faut toujours reparaître. C'est pourquoi les légendes, plus véridiques que l'Histoire quand on sait les interpréter, nous disent qu'Enoch et Elie continuent à vivre dans le Ciel et redescendront un jour sur la terre. C'est pourquoi Jésus se relève d'entre les morts et que Si Jean ne devait pas mourir. Ces formes de langage sont l'essence de l'occultisme ; elles montrent la Vérité tout en la voilant. Ce que l'Initié dit est vrai, mais ce que le profane comprend est faux, parce que cette fausseté est faite à son intention. La Vérité est comme la Liberté et la Vertu ; elle ne s'abandonne pas d'elle-même ; il faut la rechercher et la conquérir. On dit qu'à la Mort du Christ le voile du temple se déchira ; cela signifie que la science occulte ne résidait plus là ; elle était toujours vivante, mais c'était au pied de la croix du Maître qui s'en était allé qu'on pouvait désormais la trouver. Un apôtre celui qu'on représente toujours jeune, devint le second fils de Marie et médita un livre dont son Evangile n'est que le reflet et qui était destiné à n'être jamais compris de l'Eglise orthodoxe des non-initiés. L'apocalypse de St Jean est un voile nouveau, plus épais que celui de Moïse, mais enrichi de broderies grandioses et splendides. Ce voile s'étend devant le sanctuaire de la Vérité éternelle au grand désespoir des usurpateurs du Sacerdoce et de la Royauté. L'Apocalypse est absolument inintelligible pour qui n'est pas « Initié », car c'est livre de la Kabbale.

(1) Par l'ignorance et la folie humaine. E.O. (2) Je ne sache pas qu'Eliphas Lévi ait quelque autorité valable pour lancer cette affirmation. On dit généralement que Zoroastre mourut à un âge avancé, vers l'an 313 avant J,C. ; quelques uns cependant prétendent qu'il fut massacré un an plus tard, lors de la persécution d'Arjasp. Note du traducteur anglais.

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Nous avons expliqué dans de précédents ouvrages ce qu'est la Kabbale, et nous avons suffisamment indiqué pour les lecteurs intelligents la clef des secrets renfermés dans c livre sublime. L'auteur de l'Apocalypse n'a pas écrit pour de simples lecteurs, mais pour ceux qui savent, et il répète 61

souvent : « C'est ici qu'est la science ; que celui qui a la connaissance calcule et trouve le nombre ». Sa philosophie est celle du Verbe, ce qui signifie que c'est celle de la Raison qui parle. Jésus, comme tous les grands Hiérophantes, avait une doctrine publique, et une autre secrète (1). Sa doctrine publique ne différait du judaisme que par la morale. Il préchait (1) Mais il l'a préchée un siècle avant sa naissance. E.O. Me permettrai-je d'expliquer que nombre des plus éminents occultistes tiennent le Christ de l'Evangile pour un pur idéal, une fiction basée sur un nommé Jésus qui vient longtemps avant l'ère chrétienne. Ce Jésus ou Jeshu-ben-Panthera, vécut de 120 à 170 ans avant 3.-C. C'était le disciple du Rabbin Joachim-ben-Perachia, son grand-oncle, avec lequel il s'enfuit à Alexandrie durant la persécution des Juifs, par Alexandre Janneus. Là, il fut initié aux Mystères Egyptiens, c'està-dire à la Magie. A son retour en Palestine, ce Jeshu fut accusé et convaincu d'hérésie et de sorcellerie. (C'était sans nul doute un adepte). Il fut pendu sur l'arbre d'infamie (la croix romaine) aux portes de la ville de Lud ou Lydda. Cet homme était un type historique : sa vie comme sa mort sont dument établies. Le fait qu'on serait en quelque droit d'admettre que le Christ évangélique n'est qu'un mythe idéal basé sur ce personnage Jeshu, c'est qu'il n'y a rien (ou presque rien) d'écrit sur lui de son temps par des historiens contemporains dignes de foi. Le seul passage qui, dans Josephe, se rapporte à Jésus-Christ, est reconnu maintenant par tous les partis comme une pure invention. Ce qui est certain, c'est que Josephe n'a fait nulle part mention du Christ, alors que si les récits des Evangiles avaient été véridiques, il n'aurait pas manqué de le faire. Bien plus, Philo Judoeus, le plus savant des historiens de l'époque, contemporain du Jésus des Evangiles, homme dont la naissance précéda celle du Christ de 10 à 15 années et dont la mort fut postérieure d'autant au crucifiement ; qui durant sa longue carrière, fit maintes fois le voyage d'Alexandrie à Jérusalem où il devait se trouver peu de temps après le drame du Golgotha ; qui décrivit par le menu les diverses sectes religieuses, sociétés et corporations de Palestine, prenant grand soin de n'en omettre aucune, même les plus insignifiantes, il est inadmissible, dis-je, qu'un tel homme n'entendait jamais parler du Christ, de son crucifiement, ni de tous les autres faits relatés dans les Evangiles. Ce qui est certain, c'est que, dans ses écrits, il n'y a fait aucune allusion. On se demande également - au cas où il serait avéré que le Christ a vécu à l'époque qu'on indique - comment il se fait qu'aucune alusion ne soit faite par rapport à son existence dans le Mishma. Le Mishma fut

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à tous la philanthropie universelle et soutenait la Loi de Moïse tout en combattant l'influence brutale d'un sacerdoce hypocrite et infatué de lui-même. Quant à sa doctrine secrète, il ne la révéla qu'à son apôtre bien-aimé qui devait la revérifier après la Mort du Maître. Cette doctrine d'ailleurs n'était pas nouvelle. Un grand Juif, un Initié, Ezéchiel, l'avait esquissée avant St Jean : Dieu dans l'Humanité et dans la Nature, 1'Eglise universelle du juste, l'affranchissement progressif de l'homme, l'assomption de la femme qu'on doit aimer comme vierge, adorer comme mère ; la destruction du despotisme sacerdotal et royal, le règne de la Vérité et de la Justice, l'union de la science et de la Foi, l'annihilation ultime des trois hideux fantômes - le Diable, la Mort et l'Enfer - que St Jean jette à bas et ensevelit à jamais dans suite de la note précédente.

fondé par Hillel 40 ans av. 3.-C. édité et augmenté jusque vers le commencement du 3' siècle de notre ère à Tibéria, sur les bords de la mer de Galilée, centre même des agissements bibliques des Apôtres et des miracles du Christ. Le Mishma contient sans interruption les récits des faits et gestes de hérétiques et autres rebelles contre l'autorité du Sunhedrim israèlite ; c'est en quelque sorte le Journal des oeuvres de la Synagogue et une histoire des Pharisiens de l'époque - ceux-là même qu'on accuse d'avoir mis Jésus à mort. Comment est-il possible, se demande-t-on, que, si les récits des Evangiles sont vrais et que les événements relatés aient réellement eu lieu à l'époque indiquée, ce « Journal » n'en ait pas tenu compte (même si les Rabbins tenaient Jésus pour un imposteur) car cette chronique très documentée avait précisément pour objectif principal de faire connaître toutes les hérésies, schismes, et autres faits généralement quelconques intéressant la religon orthodoxe juive ? On comprendra maintenant ce que E.O. entend quand il dit dans sa note (1) « Jésus prêcha cent ans avant sa naissance ». Note du traducteur anglais. Pendant que le commun des mortels, la masse du vulgaire était convaincue de l'influence des deux lumières (mar-oth, lumière, soleil et lune, de Mairo, briller ; Maria - le Seigneur) sur les êtres vivants sur la Terre, les Initiés savaient ce qu'étaient ces lumières, Osiris et Isis s'appelaient Apollon et Diane en Occident, et, lorsque les évêques chrétiens se mirent en devoir d'arranger, d'accomoder les choses selon leur nouvelle conception de la doctrine, ils rejetèrent Appolon et Diane, Balder et Fraia, pour inventer Christ et Maria. J.A.H. s'interprètent, d'après les Kabbalistes, en J (Père), A.H. (mère), comprenant J, le

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un lac de feu et de soufre ; la fondation définitive sur terre d'une Jérusalem nouvelle, cité qui n'aura plus besoin de temple puisqu'elle-même est un temple où l'on ne voit ni prêtres ni rois, cité idéale et cependant réalisable, où la Liberté, l'Egalité, la Fraternité pourraient régner ; cité des Elus, des Sages, des Justes ; cité fermée à la vile multitude ; cité archétype de la civilisation humaine, terre promise à tous, mais accessible seulement au petit nombre des Elus, non par privilège, mais par mérite, non par le caprice d'une idole autocrate, mais par la Justice de Dieu. Tel est l'idéal de la connaissance. suite de la note précédente.

mâle, et H, la femelle. Jah est Adam, Evah est Eve - ensemble c'est l'Androgyne (mâle et femelle) qu'Il créa... Genèse et Kabbale, « Par une vierge, l'Eva (H) connut la Mort. C'était nécessaire que ce fut par une vierge, mais plus nécessaire encore que, d'une vierge, sortit la Vie » dit le rusé Cyrille. Hiersol XII.VI. Les alchimistes appellent la Vierge Akasa. Toute la vie passe par Akasa pour se répandre sur la terre. Donc, la venue du Christ sur la terre, par Marie (Mar, la Vierge) s'écriant Evoe Bakke (Bacchus) : toi seul est digne de la Vierge 1 » (Enéide VII, 389). C'est sur la terre d'Asie, sortant les enseignements des Initiés orientaux, que deux conceptions naquirent et déterminèrent en grande partie les convictions religieuses des Chrétiens : (1). La doctrine d'une existence, Parabrahm, notre propre Vie, principe unique, primordial de l'Univers. (II). La doctrine de la Lumière (Akasa avec ses sept principes) qui devint le Logos des Chrétiens ; car le « son » émane d'Akasa. La Vie primordiale se manifeste par son intelligence, le Logos ou Sagesse, 7' Principe considéré comme le principe mâle primordial, Dans cette conception la Sagesse s'identifie à Purucha, premier mâle divin des Hindous. L'Ancien Testament se sert du mot « Sagesse ». L'Esprit et le Verbe sont des expressions synonymes. Les deux « existences ›> ou « Lumières » étaient dénommés Ages avant J.-C. - Père et Fils. Sabda « son » ou « Verbe », est un terme constamment employé dans notre Philosophie de Mimansa. Comparé au grec Logos, « l'éternité du son » - dogme de Mimansa, s'accorde avec nous quant aux vérités éternelles occultes. Pour les Hindous non-initiés, l'éternité de Sabda démontre l'éternité des Védas. « La Sagesse éternelle » - Lia ckakama lia Kadama - des Hébreux, c'est-à-dire de la Kabbale hébraïque, unie à l'âme du Messie : Sair ampin « est en réalité l'âme du Messie unie au Logos éternel. » Kabbale III, 241, Jezira. E.O.

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PARADOXE V

LA RAISON EST DIEU

Ceci devrait occuper la première place dans ces pages, car cela existe avant toutes choses : cela existe per se ; même pour ceux qui ne le comprennent pas, cela existe comme le soleil pour les aveugles. Mais pour le voir, le sentir, le comprendre, il faut que l'homme possède la faculté de compréhension, et c'est là son triomphe, le résultat final de tout le travail de sa pensée et de toutes les aspirations de sa Foi. « Dans le Principe est la Raison, et la Raison est en Dieu, et Dieu est la Raison ». (1) « Tout est fait par elle, et, sans elle, rien n'a été fait. C'est la vraie lumière qui nous (1) Dans notre version on lit ; « Au commencement était le Verbe, etc.., » mais ni l'une ni l'autre version ne rend de façon adéquate le sens occulte de ce passage. L'apXn est l'émanation primordiale que l'Un produit inconsciemment, le commencement de toutes choses. Le Aeyos est la Loi de l'évolution, la raison de toutes choses et leurs interrelations complexes : la Parole, la Force ou énergie qui partout et en tous temps règlent tout qui est en même temps le grand ressort de l'Univers. Note du traducteur anglais.

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éclaire dès notre naissance ; elle brille même dans les ténèbres, mais la ténèbre ne la renferme pas, (ne se referme pas sur elle) ». Ces paroles sont le parfait oracle de la Raison ; ce sont elles - comme chacun sait - qu'on peut lire au début de l'Evangile de St Jean. Sans cette raison, rien n'existe. Toute chose - même la Déraison (1) a sa raison d'être : la Déraison sert de fond, d'arrière-plan à la Raison comme l'ombre à la Lumière. Le croyant raisonnable est celui qui croit à une raison supérieure au savoir ; car la raison - ou, pour parler plus exactement, le raisonnement de chacun de nous en particulier n'est pas la Sagesse absolue. (1) Cette phrase est encore un exemple de l'habitude qu'a Eliphas Lévi d'employer les mots, tantôt dans leur sens occulte, tantôt dans leur sens populaire, et souvent dans la même phrase, ce qui peut porter à croire que partout c'est dans ce dernier sens qu'il les emploie. Or, il n'en est rien. Il va sans dire que si l'on prend le terme raison dans sons sens occulte, il n'y a pas d'adoyos, rien qui ressemble à déraison. Dans tous ses écrits, E. L. s'attache surtout à trouver l'antithèse, qu'importe qu'elle soit fausse, au risque d'égarer l'étudiant le meilleur suc sa signification réelle. La « Déraison » servant d'arrière-plan à la Raison est un pur non-sens si raison doit être pris au sens occulte comme cela a eu lieu dans les phrases précédentes où il est question de force, de Loi, d'impulsion, de but, etc... sans lesquels rien n'aurait pu être et par quoi tout existe. Déraison n'a pas de sens occulte, et, au sens populaire c'est tout autant une émanation d'a oyos que l'est raison dans l'acceptation ordinaire du mot. Mais E. L. ne pouvait résister à l'assonnance de Raison et de Déraison et ainsi, sans prévenir son lecteur, au beau milieu d'une phrase, il emploie pour la première fois le mot raison dans sa signification restreinte éxotérique. Bien plus, après avoir exposé une Loi ou une Vérité en des termes comportant un large sens occulte que l'auteur entendait bien leur attribuer, il continue l'argumentation et la controverse en jouant sur ces mots et en leur attribuant une signification vulgaire et limitée. Il introduit ainsi dans son discours une telle confusion d'idées qu'elle embrouille le lecteur, même si l'écrivain n'a pas, lui-même, perdu contact (comme je l'en soupçonne fort) avec la Haute Doctrine. Si l'on ne perd pas de vue cette « faiblesse » de l'auteur, bien des difficultés apparentes dans ses ouvrages disparaitront. Note du traducteur anglais.

donc pas alors de la raison que je dois me méfier, mais de mon propre jugement. Dans ce cas, je me tournerais volontiers vers ceux qui en savent plus que moi, quoique il me faille même alors avoir quelque raison de croire en leur supériorité. Faire au hasard telles ou telles conjectures sur ce qu'on ne sait pas, puis croire aveuglément en ces mêmes conjectures ou en celles d'autrui qui n'en sait pas plus long que nous, c'est agir en insensé. Quand on nous dit que Dieu exige le sacrifice de notre Raison, c'est faire de Dieu l'idole despote de la Folie. La Raison donne la conviction mais une croyance téméraire ne produit que l'infatuation. 11 est tout à fait raisonnable de croire en des choses qu'on ne peut ni voir, ni toucher, ni mesurer, parce qu'il est manifeste que l'infini existe et qu'on peut non seulement dire : je crois mais je sais qu'une infinité de choses existent tout en étant hors de portée de nos sens. La connaissance étant indéfiniment progressive, j'ai raison de croire qu'un jour viendra où je saurai ce que j'ignore pour le moment. Je n'ai aucun doute sur ce que je connais à fond ; je pourrais douter de mon savoir si je ne savais qu'imparfaitement ; mais je ne puis avoir de doutes quant à une chose dont je ne sais rien, puisqu'il me serait impossible de formuler ces doutes. Celui qui dit : il n'y a pas de Dieu, sans avoir défini Dieu d'une façon absolue et complète, dit tout simplement une sottise. J'attends sa définition, et, quand il me l'a donnée à sa manière, je suis certain d'avance de pouvoir lui dire : « Je suis d'accord avec vous, il n'y a pas de Dieu comme cela ; mais ce Dieu n'est certainement pas le mien. » S'il me dit : « Définissez votre Dieu », je répondrais : « Je me garderai bien de rien faire de tel, car un Dieu défini est un Dieu fini ». Toute définition positive est niable. L'Infini est l'Indéfini. Un autre me dira peut-être « Je ne crois qu'en la matière » mais qu'est-ce que la matière ? On donne ce nom en chirur-

Quand je raisonne mal, je n'ai point de raison. Ce n'est

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gie aux excréments et excrémations ; en philosophie on pourrait dire - quelque peu paradoxiquement - que la matière est l'excrétion de la pensée. Les matérialistes méritent bien l'hommage de cette définition quelque peu grossière et carnavalesque, eux qui prétendent que la pensée est l'excrétion de la matière cérébrale, sans se rendre compte que cet admirable instrument passif des oeuvres de l'âme humaine est le chef-d'œuvre d'une pensée qui n'est pas la nôtre. Si je pouvais définir Dieu d'une manière positive et certaine, je cesserais immédiatement de croire en Dieu. Je pourrais savoir ce qu'il est ; mais étant incapable de savoir cela, je crois simplement qu'il existe, parce qu'il m'est im-

possible de ne pas concevoir une pensée dirigeante dans la substance éternellement vivante qui peuple l'Espace infini. (1) (1) Dans cette substance-là même, dans chacun de ses atomes, mais non pas en dehors d'elle. Il n'y a point de divinité extra-cosmique. Toute matière est Dieu, et Dieu est matière, ou bien il n'y a pas de Dieu. E.O. Cela me parait soulever une question « Quelqu'un est-il sorti du Cosmos pour voir ? E.O. peut, il est vrai, répondre que le Cosmos est infini et qu'il ne peut y avoir rien en dehors de ce qui est infini, oubliant ainsi, me semble-t-il, que tout ce qui peut être infini par rapport à ce que le Cosmos renferme de conditionné, peut cependant laisser place à un au-delà dans ce qu'il contient de non-conditionné. E.O. admet une 4 dimension dans l'espace et affirme - comme on le verra plus loin et comme je le crois en m'appuyant sur de bonnes raisons - qu'il reste encore à découvrir les 5', 6' et 7' dimensions de l'espace. Cependant il veut insister sur le point que les conceptions de l'intelligence conditionnées dans le cosmos (je lui abandonne les esprits planétaires) et que nous ne pouvons nous figurer autrement qu'infinies, sont en réalité absolues. Je conviens qu'elles sont nécessairement relatives et que le fait que les intelligences conditionnées les plus élevées dans l'Univers les croient infinies ne pouvant y rencontrer autre chose que des Lois, ne prouve en aucune façon que, pour une intelligence encore plus haute et non-conditionnée, il n'existe pas quelque chose en dehors de cette infinité et dans ce quelque chose, l'intelligence dont les lois connues représentent la Volonté. Bien plus, je prétends que cette intelligence peut être au dedans du cosmos et le pénétrer tout en étant inconnaissable à toutes les intelligences qui en émanent, et ce

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Si ceux qui croient à des Religions exclusives me disent que Dieu s'est révélé lui-même et qu'il a parlé, je réponds que je ne crois pas cela, je le sais. Je sais que Dieu se révèle au coeur de l'homme dans les beautés de la Nature ; je sais qu'il a parlé par la bouche de tous les Sages, et au fond du coeur de tous les Justes. Je lis ses paroles dans les Hymnes de Cléante et d'Orphée, comme dans les psaumes de David. J'admire les pages grandioses des Vedas et du Koran, et je trouve la légende de Krishma aussi touchante qu'un Évangile. Mais je deviens colère contre Jupiter torturant Prométhée et servant de prétexte à la mort de Socrate. Je frissonne quand j'entends le Christ - dans les derniers sanglots de son agonie - reprocher à Jehovah de l'avoir abandonné, et je me voile la face quand Alexandre VI prétend représenter Jésus-Christ. Les bourreaux et les tortionnaires de la conscience humaine me sont aussi odieux sous le règne de Pie VI que sous celui de Néron. La vraie religion chrétienne, c'est

l'humanité surhumaine dans la force du pardon et dans le sacrifice de soi-même à autrui,

Les Dieux auxquels on sacrifie des hommes ne sont que des démons, et la Raison devrait répudier à jamais les cultes de ces démons et ce Diable-idole devenu ridicule à force d'être monstrueux. Ceux qui croient au Diable lui

rendent hommage par leur culte même pour son créateur et complice. Nous l'avons dit, le Dieu du Diable qui réprouve le Diable et lui permet néanmoins de travailler à notre perSuite de la note précédente. pour de bonnes raisons qui lui sont propres. Donc, à mon avis, l'assertion : « ou Dieu est matière » (au sens de substance inconsciente et inintelligente) « ou il n'est pas de Dieu », m'apparait tout à la fois téméraire et anti-philosophique. Je comprends parfaitement qu'on se refuse à le reconnaitre ou à croire ce dont il n'existe aucune certitude et qu'aucun témoignage autorisé ne sanctionne, mais il me parait que c'est tout différent du fait de nier l'existence de cette chose, négation qui implique la prétention ridicule à l'omni-science. Note du traducteur anglais.

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dition est une invention odieuse de la méchanceté et de la lâcheté humaines. Un Dieu du Diable, à rebours, deviendrait un Diable de Dieu. Ainsi parle la raison ; mais la superstition persiste à lui imposer silence, et c'est pourquoi bien des gens - assez excusables d'ailleurs - abandonnent les autres à leurs superstitions, à leur Dieu et à leur Diable, se contentant désormais eux-mêmes de ne croire à rien. La superstition aurait pourtant sa raison d'être, dans les infinités de l'intellect humain. Le sacerdoce a réussi à la convertir en une force en l'assujettissant à une obéissance aveugle. Enlevez toute superstition des âmes étroites et ardentes, et vous y faites entrer à la place le fanatisme et l'impiété. On est bien obligé de maitriser les fous au moyen de leur propre folie (1), puisqu'ils ne veulent pas être sages. Nous enseignons la morale à nos enfants en leur contant des histoires, et les nourrices ont grand soin de ne pas les désabuser quand ils sont effrayés de « Croquemitaine ». Certaines mères plus réalistes effraient, il est vrai, leurs babies par le loup ou le sergent de ville ; mais, comme ni loup ni sergent de ville ne peuvent être partout, le petit, convaincu, finalement, de leur absence, ne fera plus que rire de la menace tandis que « Croquemitaine » qui n'a jamais été nulle part, n'est pas mis en doute et, comme le Diable, est supposé présent partout. L'enfant est donc d'autant plus enclin à y croire que c'est une fiction, une invention poétique, un conte, quelque chose en un mot qui s'empare de l'imagination : or, l'imagination déjà si puissante chez l'homme, devient suprême dans les enfants. « Croquemitaine » est le Diable des tout-petits tout com(1) Je dois dire que l'auteur met son précepte admirablement en pratique ; tandis qu'il se rit des sots du bout des lèvres, il fortifie leur folie de toute sa bouche grande ouverte. E.O.

hommes. Néanmoins il n'existe pas de fiction qui ne serve de voileou de masque à quelque réalité. « Croquemitaine » existe, et le pauvre enfant ne tarde pas à le connaître sous l'espèce de quelque pédant sourcilleux, à la voix rude, muni d'une férule dont il se sert plus ou moins à propos. Plus tard on lui parlera de Dieu et du Diable, en des termes tels qu'il lui sera facile de confondre l'un avec l'autre Continuera-t-il à être content de l'épilogue du drame de Polichinelle ? Punch-Polichinelle le faisait rire ; le Diable veut le faire pleurer ; n'en arrivera-t-il pas à désirer que Polichinelle - si souvent emporté par le Diable - puisse, à son tour, emporter le Diable ? Ce serait là une question de tempérament et d'audace. Les anciens Hiérophantes ont toujours prétendu que ce serait le plus grand des crimes d'admettre la multitude aux initiations, parce que ce serait déchainer les loups, leur ouvrir les bergeries, ouvrir les cages des fauves et jeter les hommes les uns contre les autres en une guerre fratricide sous prétexte d'égalité. Jésus-Christ ordonnait à ses disciples de ne pas jeter des perles devant des pourceaux. Jusqu'à présent les Francs. Maçons continuent de jurer qu'ils garderont jusqu'à la mort des secrets... qu'ils ne possèdent déjà plus. L'égalité entre les hommes ne peut exister que par des grades hiérarchiques ; elle ne peut jamais être absolue parce que la Nature s'y oppose. Il faut qu'il y ait des grands et des petits pour que les hommes puissent s'entr'aider mutuellement et avoir besoin les uns des autres. Rien n'est plus difficile pour le commun des mortels que de vivre selon les lois de la Raison et de faire le bien pour l'amour du Bien. Leur motif est

me le Diable du Moyen-Age était le « Croquemitaine » des

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presque toujours ou le désir ou la peur, et ils sont dirigés par l'espérance ou la crainte. Néanmoins ils ont besoin d'être réfrénés pour les empêcher de tomber dans l'inertie ou le désordre. Ils marchent mieux quand ils sont en troupe et chargés ; le moine et le soldat se plaisent sous une discipline de fer ; c'est dans les austérités et le silence que l'inconstance de la femme disparait. Tel homme supportera courageusement la vie d'un Trappiste, qui, s'il n'aspirait au ciel et ne craignait l'enfer, serait un voleur. En vaut-il mieux ? Non, peut-être ; mais assurément il est moins dangereux pour la Société. C'est très joli de dire la vérité aux gens, le malheur est qu'ils ne la comprendront pas avant de l'avoir eux-mêmes recherchée et presque trouvée. Le monde au temps de Tibère avait besoin d'expiations et d'austérités. Le siècle des Platoniciens, des Stoïciens, de Sénèque et d'Epictète, devait forcément embrasser la Morale chrétienne. Virgile semble chanter près de la crèche de l'HommeDieu, et les livres Sibyllins promirent le Christ à la terre ; Luther ne s'est pas levé contre Rome de son propre mouvement ; il fut soulevé et porté en avant par un courant qui passait sur toute l'Europe, Ce n'est pas Voltaire qui fit le 18 siècle, mais bien le 18e siècle qui fit Voltaire. Le règne de Mme de Maintenon et les scandales du Jansénisme avaient dégoûté et fatigué la France au suprême degré ; les oraisons funêbres de Bossuet semblent avoir été prononcées sur le cercueil de la Monarchie chrétienne, et puis suivirent des cardinaux comme Bernel et Dubois ! Voltaire se raillait de tout et faisait rire. Rousseau professait cependant qu'il y avait quelque chose là ; on l'admirait tout en le persécutant, parce qu'on sentait bien au fond du tueur que le monde partageait quelque peu sa manière de penser. Les Révolutionnaires dépassèrent Rousseau et le bon sens du pays prit parti pour Châteaubriand tout en applaudissant aux railleries voltairiennes de Béranger. Ce sont les progrès qui mettent en avant les grands hommes et c'est bien à tort que le monde attribue à ceux-ci le mouvement qui les e

porta au premier rang. La Révolution Française offrit au Monde un spectacle aussi étrange que ridicule quand elle institua le culte de la Raison personnifiée par une ballerine. On aurait pu croire que la nation tenait à se ridiculiser et à prôner aux autres peuples que la raison des Français n'est rien n'oins, et toujours, que de la folie. Puis vint Robespierre qui, pour détrôner cette indécente Raison, inventa son « Etre Suprême ». Mais l'opinion publique se refusa à ratifier la substitution ; elle se souvint de Dieu et se rendit compte que la Révolution changeait de terrain. Bonaparte qui suivit comprit que la Religion n'était pas morte, mais à son point de vue, la religion ne pouvait être que catholique ou, en d'autres termes, autoritaire ; il rouvrit les églises, essaya de mettre la main sur le Pape, mais le Pape lui glissa entre les doigts... comme le monde. C'est que la raison de la Religion est supérieure à celle des Politiques, parce que c'est dans la Religion seule que le Droit prend la direction du pouvoir. Pour qu'un droit soit inviolable, il faut qu'il soit reconnu divin. Le droit et le devoir sont au-dessus de l'homme ; Dieu conserve le premier devant lui et impose l'autre : Dieu est la Raison Su prême. Un corps ne peut vivre sans une tête, et la tête du corps social, c'est Dieu. lin corps peut changer, se transformer, mais il ne peut pas mourir si sa tête est immortelle. Dieu, c'est la Vérité et la Justice qui ne changent jamais et c'est pour cela que l'Etat devrait céder sur les questions d'ordre religieux. L'Eglise est le prototype de la Patrie universelle, et l'union du monde chrétien (1) est quelque chose de plus (1) Mais quand et où une telle union a-t-elle jamais existé ? Note du traducteur anglais.

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grand que l'unité de l'Allemagne ou de l'Italie. La force morale est supérieure à la force physique, et le pouvoir spirituel tient la haute main sur le pouvoir temporel. Si St Pierre n'avait jamais tiré son épée, Jésus ne lui aurait jamais dit : « Quand tu seras vieux, tu étendras tes mains, et d'autres viendront pour y mettre des liens et te conduire là ou tu ne voudrais pas aller ». Le roi d'Italie a arraché Rome au Saint Père, parce que St Pierre trancha _par la force de son épée l'oreille de Malchus. Malchus gu Male signifie le Roi en hébreu. Quoi qu'il en soit, la capitale du monde chrétien ne devrait pas appartenir exclusivement à l'Italie. Le représentant suprême de l'Humanité divine devrait être un prêtre pour bénir et un roi pour pardonner. C'est du moins ce que la Raison nous dit et si le Pape croit qu'un père de famille doit être infaillible vis-à-vis de ses enfants, que le chef de la Religion ne doit avoir aucunement à faire avec l'irreligion, que la liberté de conscience ne doit pas être tolérée ; s'il se croit lui-même obligé à tourner la Société sans dessus dessous ; si, en un mot, il proteste contre chaque chose et contre tout ce qui lui semble contraire au dogme, de quel droit mettrait-on donc la question de côté, le Pape a mille fois raison ! (1)

Immédiatement après les passions les plus grands ennemis de la raison humaine sont les préjugés. Nous n'examinons pas comment les choses sont ; nous voulons tout simplement qu'elles soient de telle ou telle façon. Nous nous (1) Il est à peine besoin de prévenir le lecteur que tout cela est pur verbiage savamment élaboré. Cependant, à cause de l'habitude persistante de notre auteur (E. L.) de dire d'une façon apparemment sérieuse ce qu'il ne croit pas ou ce qu'il ne veut pas que quiconque croie - sauf les fous il est probable que trop souvent cela égare la dernière et la plus grande et respectable catégorie de ses lecteurs. Note du traducteur anglais. -

refusons à changer d'opinion parce que cela humilie notre

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orgueil - comme si l'homme était né infaillible - et ne doive pas, jour par jour, s'instruire et se perfectionner. « Quand j'étais un enfant, dit St Paul, je pensais, je parlais, j'agissais comme un enfant. Mais quand j'arrivai à l'âge d'homme, je mis de côté toutes les choses ressortissant de l'enfance... » L'apôtre proclame ici la loi du progrès et l'applique même à l'Eglise ; c'est pourtant ce que les théologiens se refusent obstinément à comprendre. Nous devons nous méfier des préjugés dévots autant que des préjugés impies. La vrai piété est essentiellement indépendante, mais elle se soumet raisonnablement à des lois, des règles, des coutumes, toutes et quantes fois elle ne peut espérer - et souvent même qand elle n'espère pas les changer.

Jésus ne voulait pas qu'on arrachât l'ivraie qui se trouvait mélé au froment de crainte qu'en même temps on ne déracinât le bon grain. « Attendez le temps de la moisson » ditil « et alors le vent séparera le froment des mauvaises graines ». Il y a des temps propices aux résumés et aux synthèses ; alors la critique s'opère et doit faire la distinction entre le vrai et le faux. Nous sommes à l'une de ces époques où les préjugés ne doivent plus être maniés doucement. Nous ne devons cependant pas nous montrer trop durs envers ceux qui y restent attachés ; montrons leur doucement, patiemment, la Vérité et les erreurs tomberont d'ellesmêmes (1). Les préjugés sont les mauvaises habitudes de Protestants sont des Hérétiques, les Catholiques des Papistes... où sont donc les hommes raisonnables ? -

(1) Cela est vrai, mais en partie seulement. Par contre, souvenez-vous que plus vous laisserez la plante sur pied, plus au loin elle répandra sa semence et plus fortement enraciné et résistant sera le pied que vous aurez à arracher Note du traducteur anglais.

l'esprit ; ils naissent de l'éducation, de l'ignorance, ou de la paresse intellectuelle ; les intérêts de la situation qu'on occupe, de la réputation ou de l'état de fortune. Nous croyons spontanément à la vérité de ce qui nous plait et plus encore à ce qui nous flatte ; les meilleurs sentiments portés à l'excès, deviennent des sources de préjugés : l'amour de la famille engendre l'orgueil et l'intolérance de caste ; l'amour de son pays devient arrogance nationale ; on en arrive à penser qu'il sied d'être Français ou Anglais plutôt que d'être hommes tout simplement. Les siècles qui se succèdent se méprisent et se condamnent réciproquement ; les Chrétiens sont des « chiens » pour les « croyants » de Mahomet ; les Juifs sont des êtres obscènes aux yeux des Chrétiens ; les Protestants sont des Hérétiques, les Catholiques des Papistes... où sont donc les hommes raisonnables ? La Raison est comme la Vérité : elle choque lorsqu'elle se montre nue. Avoir trop raison, c'est déjà avoir tort. La Raison doit persuader et non s'imposer. Elle a peu d'autorité sur les enfants et, presque toujours, déplait aux femmes. C'est une Puissance, mais une puissance occulte ; elle devrait gouverner sans montrer la main qui tient les rênes du gouvernement (1). Pour se dévouer sans danger à l'étude des sciences occultes et surtout aux expériences qui en confirment les théories, il est besoin d'un esprit très fort et ferme. Le magnétisme, la divination, le spiritualisme (2) ont

losophie hermétique peut y ajouter encore d'autres victimes. Les plus célèbres praticiens de ces sciences ont eu leurs moments d'aberration. Pythagore se souvenait d'avoir été Euphorbe ; Apollonius de Thyane fut cause qu'un vieux mendiant fut lapidé à mort pour arrêter les ravages de la peste ; Paracelse croyait qu'il avait un esprit familier caché dans la poignée de sa longue épée (1), Cardan se laissa mourir de faim pour donner raison à l'astrologie ; Duchenteau qui remania et compléta le calendrier magique de Tycho-Brahe, mourut aussi misérablement en essayant une expérience extravagante ; Cagliostro se compromit avec une bande de filous dans l'affaire du « collier de la Reine » et s'en alla mourir dans les donjons de Rome, On ne peut pas impunément jeter les yeux sur l'intérieur de l'arche ; ceux qui s'y aventurent risquent d'être frappés par la foudre comme Mazda. Je ne parle pas de la peur, de l'envie, de la

haine du vulgaire qui, partout et toujours, poursuivent l'Initié qui ne sait pas cacher sa science. Les vrais Sages échappent à ce danger (2). L'abbé Trithème vécut et mourut

paisiblement alors qu'Agrippa, son disciple imprudent, ter mina prématurément dans un hôpital une vie d'inquiétude et de tourments. Agrippa, à son lit de mort, maudit la Science, comme Brutus, à Philippas, avait maudit la Vertu ; mais en dépit du désespoir de Brutus, la Vertu est plus qu'un vain mot et, en dépit du découragement d'Agrippa, la Science (3) est une Vérité.

(1) (1) E. L. semble n'établir qu'une faible distinction entre l'occultisme et le Jésuitisme. E.O. Naturellement puisque lui-même, comme tant d'autres occultistes, s'avouait quelque peu « Jésuite », lorsqu'il avait affaire à de non-initiés. Note du traducteur anglais. (2) Je rappelle ici que les Anglais ont coutume de confondre le « spiritualisme » avec le « spiritisme », ce qui n'est pas du tout la même chose. Je suppose - sans pouvoir m'en convaincre - que le texte du manuscrit d'Eliphas Lévi portait « spiritisme ». Note du traducteur français.

76 peuplé et continuent à peupler les Maisons de fous. La phi-

L'auteur exerce là, comme à son ordinaire, son goût de se gausser du public. Il est parfaitement conscient que tous ces prétendus traits de folie ont une signification occulte. Note du traducteur anglais. (2) Je suis heureux qu'E. L. admette ce principe. E.O. Quel principe ? Celui de la Dissimulation ? Je crains fort que ce soit là un principe que tout le monde n'est que trop enclin à admettre. Note du traducteur anglais. (3) Naturellement l'auteur entend par là la Science occulte. Note du traducteur anglais.

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Au temps présent les sciences occultes sont à peine étudiées, sauf par de présomptueux ignorants ou des savants excentriques ; les femmes - il va sans dire - leur offrent le terrain de culture nécessaire, sous forme de crises hystériques et de somnanbulisme suspect. Les gens sont surtout avides de prodiges : caresser les dés de la Fortune, battre les cartes de la destinée, posséder des philtres et des amulettes pour ensorceller les ennemis, et endormir les maris jaloux ; découvrir la panacée universelle de tous les vices non pour les réformer, mais au contraire pour les préserver des deux grands maux auxquels ils succombent : la lassitude et la déception - autant de moyens pour voyager en vitesse sur la grand'route de l'aliénation mentale. Si le bouillant Achille d'Homère avait été tout entier invulnérable, ce n'aurait été qu'un lâche assassin ; de même l'homme qui serait sûr de toujours gagner au jeu, causant une ruine générale, devrait être marqué au fer rouge comme un escroc. Celui qui, par un seul acte de sa volonté,

nous ; comment donc supposer qu'ils doivent y revenir (1) ? Mais alors on dira : Quel peut donc bien être l'emploi de la Magie ? Elle rend les hommes plus aptes à comprendre la vérité et à désirer le Bien d'une façon plus saine et plus efficace. Elle aide à guérir des âmes et à fortifier des corps ; elle ne donne pas le moyen de faire le mal impunément, mais elle élève l'homme au-dessus des appétits brutaux et le rend invulnérable aux affres du désir et de la crainte. Tout cela constitue un centre divinement radiat, devant qui les fantômes, les ténèbres se retirent ; car la Magie sait, veut et conserve sa paix. C'est la vraie Magie, et non pas celle des nécromans et des enchanteurs, mais celle des Initiés et des Mages. La vraie Magie est une force scientifique mise au service de la Raison (2). La fausse Magie est une force aveugle ajoutée aux bévues et aux désordres de la Folie.

répand sur autrui la maladie ou la mort serait une pestilence publique dont la Société aurait le droit de se débarrasser ; obtenir l'amour autrement que par des moyens

naturels, c'est commettre une sorte de viol ; évoquer des ombres ; c'est appeler sur soi les Ténèbres éternelles (1). Pour avoir affaire aux démons, il faut être démon soi-même. Le Diable, c'est l'Esprit du Mal, le courant fatal des Volontés égarées et mauvaises ; entrer dans ce courant, c'est se plonger dans l'abîme, d'autant plus sûrement que l'Esprit du Mal ne répond qu'aux curiosités téméraires et malsaines. Les visions sont des phénomènes naturels inhérents à l'état d'ivresse ou de délire. Voir des esprits ; Quelle chimère ! c'est comme si l'on prétendait toucher la musique et mettre la pensée en bouteille. Si l'esprit des morts s'en est allé

(1) Très juste. E.O.

78 loin de nous, c'est parce qu'ils ne pouvaient plus vivre parmi

(1)

Tout cela est vrai en un sens ; mais, comme E. L. le savait bien, ce n'est pas toute la Vérité. Note du traducteur anglais.

(2) La ténèbre ou le Mal, comme il est dit dans le Codex nazaréen, n'est que l'affaiblissement graduel de la Lumière pléromatique ou Akasique (caligo ubi exstiterat etiam exstitisse decrementum et detrimentum). Le sorcier se sert des principes les plus grossiers de l'Akasa, ceux qui sont physiquement les plus potentiels. Le plénome des auteurs chrétiens-grecs est notre Akasa. L'air l'Ether est le Plérame, c'est-à-dire l'Espace rempli de toute Eternité par l'Etre Un'> (Onomasticon 13) To plan pleroma ton aionôn universum pleroma aconum » (Irénée 1. 1. p. 15). En lui réside charnellement tout le Plérome » (version anglaise). Car en lui demeure la plénitude corporelle de la divinité » (collas, 2.9.). E.O.

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PARADOXE VI

L'IMAGINATION REALISE CE QU'ELLE INVENTE

Voyez-là ! C'est la plus grande magicienne de l'Univers ! C'est elle qui fait fructifier la mémoire ; elle qui prévoit et réalise le possible ; elle qui invente l'impossible même. Les miracles ne lui coutent rien ; elle transporte maisons et montagnes à travers l'espace, place des baleines dans le ciel, des étoiles dans la mer, donne le Paradis sur terre aux mangeurs de haschisch et d'opium, offre des royaumes aux ivrognes, et fait sauter de joie Perrette sous son pot-au-lait. Telle est l'imagination. C'est à l'imagination que nous devons la poésie et les rêves ; c'est elle qui brode les légendes et les symboles sur les voiles des grands mystères. Elle fait les contes pour les enfants et les légendes pour les paysans. Elle fait apparaitre sur les collines les Dieux tonnants et les anges exterminateurs... les dames blanches et les vierges près les sources et les fontaines. Elle fait des prédictions qu'on accomode aux faits ou qu'on réinterprète quand elles ne se réalisent pas. Elle est la nourrice de l'espérance et 81

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la complice du désespoir. C'est elle qui dore l'auréole des Saints et bronze les cornes du Diable. Elle guérit et elle tue ; elle sauve les uns et damne les autres ; elle est chaste comme la Vierge et impudique comme Messaline. Elle crée l'enthousiasme et élargit ainsi - presqu'au-delà des limites du possible - l'empire de la volonté. Elle crée la croyance au bonheur, et le donne pour tout le temps que dure le rêve. L'imagination est la lentille cristalline de l'oeil de notre esprit ; elle réfléchit les rayons lumineux de nos pensées et magnifie les images de toutes nos perceptions. Notre rayon visuel est si restreint que pour voir juste dans l'étroitesse de ce monde, il nous faut voir plus grand que nature. Les gens dépourvus d'imagination ne font jamais rien de grand, parce que tout leur apparait sous des proportions réduites.

l'Histoire. Qui saura jamais la mesure exacte de la valeur d'Alexandre le Grand ou de Napoléon I ? Marat et Napoléon étaient deux hommes de petite taille, énergiques et avides de renommée ; l'un désirait affranchir le monde ; l'autre se proposait de l'asservir. Le premier ne voulait qu'un mince ruisselet de sang, le deuxième en fit couler des fleuves et, par surcroit, nous valut deux invasions, le règne de son neveu, et d'écrasantes catastrophes. L'un est honni et exécré, l'autre adoré. Pour le premier les gémonies, pour le second l'arc de triomphe et la colonne ; ce sont deux exagérations, l'une d'infamie, l'autre de gloire.

L'astronome contemple l'univers et s'imagine l'Infini. Le croyant contemple la Nature et s'imagine Dieu, En vérité, l'imagination est plus grande que la Pensée. La science est inondée par la Foi, et, sans la Foi, la Science resterait incertaine.

Et cela vient de ce que Marat - plus sincère et plus désintéressé au fond du coeur que Napoléon I - n'était qu'un tribun rageur et vociférant, tandis que Napoléon était un homme de génie, ce qui veut dire un despote de l'imagination humaine. C'est aussi parce que la poésie des nations préfère de splendides crimes à des vertus médiocres, et que le masque de Marat est une grimace qui provoquerait le rire s'il n'inspirait l'horreur, tandis que la médaille de Napoléon porte en soi une majesté qui s'impose au culte de l'avenir. Ce sont des raisons concluantes.

Qu'est-ce que l'algèbre, sinon l'imagination des Mathématiques pures ; et qu'est-ce que la Kabbale, sinon l'algèbre des idées ?

Si l'imagination rencontre par bonheui un point d'appui réel, c'est le levier d'Archimède ; sans base solide, ce n'est plus qu'un bâton sur lequel chevauchent les fous.

L'Imagination des Kabbalistes a converti la Philosophie en une science exacte, en rapportant les idées aux nombres. La science des Analogies est entièrement une science d'imagination, et les grandes nations ne sont en somme que des agglomérations de froids enthousiastes qui, puissamment, imaginent la gloire. Les imaginations collectives accentuent les effets du microscope solaire. Les héros surtout deviennent plus grands après leur mort, et les fictions de l'opinion publique font monter sur de superbes piédestraux les hautes majestés de

Christophe Colomb, se basant sur des hypothèses scientifiques raisonnables, imagina l'Amérique, osa s'embarquer pour la découvrir, et la trouva. Quand on sait et quand on

veut, on doit avoir le courage d'oser. L'Imagination est le pouvoir créateur. Dieu est l'Imagination de la Nature ; celle-ci a ses rêves et ses cauchemars qui, d'ailleurs, ne l'empêchent pas d'être sublime. Les architectes du Moyen-Age en ont esquissé des contours dans

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leurs magnifiques cathédrales où les gargouilles, les encorbellements, les ornements finement sculptés témoignent des pures lignes ogivales et participent de la placidité des Saints. ,Ces grands artistes avaient deviné l'énigme du Bien et du Mal ; ils comprenaient la Lumière et ses ombres. C'est l'Imagination qui oeuvre des miracles ; par un acte de leur imagination, de petits paysans sont cause que des églises s'édifient, que les populations entières s'émeuvent... témoin les pélerinages de Lourdes et de la Saiette. Par imagination, Josué arrêta le Soleil et fit' tomber les murs de Jéricho au son de ses trompettes guerrières. C'est par l'imagination que le pain devient Dieu, et que le vin du calice se change en sang immortel. Or, nous ne prétendons pas - comme bien on pense - que cela n'a pas lieu : cela est tel que nous nous l'imaginons, sur la Parole et sur la Foi de Jésus-Christ (1). L'imagination guérit les malades et fait la fortune des médecins célèbres. Elle créa l'Homéopathie dont tous les fervents ont obtenu de bons résultats : elle fait parler les tables et dicte aux médiums, pêle-mêle, des pages savantes ou des inepties de la plus grossière ignorance, des prières ou des imprécations. Elle met les cornes au front de Moïse, comme à celui des maris trompés, faisant ressembler le premier au Diable, et les derniers tantôt furieux comme des taureaux ou doux et patients comme des boeufs. Elle amplifie la Sagesse, exagère la Folie, demande trop à la Vérité et fait paraitre l'erreur plausible. Il n'y a pourtant là ni erreur ni tromperie dans l'imagination : tout ce qu'elle affirme est vrai, en tant que poésie, et la poésie peut-elle jamais se tromper ? Elle crée ce qu'elle invente, et ce qui est créé existe. Imaginer une (1) L'une des grimaces caractéristiques de notre auteur ; il les croyait sans doute « spirituelles », quoiqu'elles n'en imposassent à personne, mais qui exaspéraient le commun de ses lecteurs par leur mauvaise foi n'ayant d'égal que le mauvais goût. Note du traducteur anglais.

divin. En latin, on appelle « Divinus » l'homme qui devine, ce qui veut dire l'homme divin, et le poète se dit « Nates », c'est-à-dire prophète. La Foi n'a pour objet que les « divinations » de ceux qui imaginent les vérités éternelles. Moïse imagina Jéhovah, et le nuage s'étendit sur le tabernacle. Salomon imagina le temple universel et ce temple, successivement détruit par les Assyriens et les Romains, est toujours debout, sous le nom de St Pierre de Rome. Alexandre imagina l'unité des nations ; elle se réalisa presque sous Auguste et, de nouveau, plus tard, fut imaginée par Pierre le Grand et Napoléon I dont l'antagonisme maintient encore l'équilibre du monde. L'imagination est l'éternel entre-deux qui sépare les amours légères. C'est par l'imagination qu'on s'empare généralement des femmes nerveuses. Il est souvent suffisant pour un homme d'être étrange - voire même horrible - pour se faire aimer. Le Marquis de Sade, Mirabeau, Marat ont tous été aimés, et, avant eux, Cartouche et Mandrin. Il y eut des femmes du monde pour tomber amoureuses de Lacenaire, et l'on m'a assuré que Troppman, dans sa prison, recevait nombre de déclarations d'amour. Les Don Juans, les Lovelaces, doivent le plus clair de leur succès à leur mauvaise réputation ; les seigneurs Barbe-Bleue ne manquent jamais de victimes, et c'est surtout lorsque les poignards des Lanciottas sont levés sur elles que les Françaises de Rimini aiment à goûter au fruit défendu. Ce qui excite le plus puissamment l'imagination et, conséquemment, exacerbe le désir, c'est la conscience du danger. C'est pourquoi le Dieu de la Bible, désirant que la Femme devint Mère, lui défendit, sous peine des plus terribles châtiments de toucher au fruit qui la ferait céder à l'amour (1).

(1) Cela n'est point le sens de la légende citée. E L. le savait bien, sans doute, mais il semble constamment craindre d'avoir parlé trop ouvertement quelque part, et éprouve le besoin - ou - le devoir - d'égarer son lecteur en le lançant sur une fausse piste. Note du traducteur anglais.

Vérité, c'est la deviner ; deviner, c'est exercer un Pouvoir

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Le fait que c'est seulement lorsqu'ils se virent voués à la Mort que l'homme et la femme songèrent à se reproduire, à se donner des successeurs. La Mort laboure le terrain de l'Amour et l'Amour y sème le grain qui est destiné à grossir la moisson de la Mort. Il est défendu, sous peine de mort, d'entrer dans la vie, puisque tous ceux qui naissent sont destinés à mourir. C'est ce qui est entendu par « péché originel », dont nous ne pouvons être coupables qu'en la personne de nos ascendants, en remontant tout le long de l'arbre généalogique jusqu'au premier générateur. Le péché de la naissance est la conséquence du péché d'amour, que la nature a toujours l'air de défendre à l'Humanité, afin de stimuler l'appétance qu'elle en a. L'Imagination est le Pégase des poètes, l'Hippogriffe des Palatins, l'aigle de Ganymède, et la tourterelle d'Anacréon. C'est le char de feu d'Elie, et l'ange qui emporte les prophètes en les tenant par les cheveux. C'est le chérubin aux tenailles incandescantes qui cautérise le lèvres tremblantes et bégaiyantes d'Hai, le Prothée mystérieux qui a besoin d'être fortement comprimé dans les limites de la raison pour l'obliger à revêtir une forme humaine et à dire la Vérité. De même qu'il existe une chaleur latente déterminant la polarisation moléculaire des corps, de même il y a une

lumière latente qui se manifeste de soi-même par une sorte de phosphorescence intérieure. C'est cette lumière qui illu-

mine et colore les fantômes de nos visions et de nos rêves, et nous fait voir - en l'absence de toute lumière externe de si prodigieux tableaux photographiques. C'est au moyen de cela que nous lisons dans la mémoire de la Nature, ou dans le réservoir général des impressions et des formes, les germes rudimentaires du Futur inscrits dans les archives du passé. Le somnambulisme est un état d'immersion de la pensée dans la Lumière invisible aux yeux à l'état de veille. Dans ce bain universel qui réfléchit tous les pressentiments et toutes les souvenances, le esprits se rencontrent, des intelligences s'entre-pénètrent ; et c'est ainsi qu'on peut de-

viner, traduire ou expliquer les idées d'un autre. C'est ainsi que le cerveau de l'un devient pour l'autre un livre ouvert qu'il peut lire tout entier couramment. Les merveilles du somnambulisme lucide n'ont pas d'autre cause et sont expliquées par une série de mirages et de visions réflexes. La

Lumière intérieure comporte la même relation - quant à la Lumière extérieure - que l'électricité négative en comporte par rapport à l'électricité positive, et c'est pour cela que les fantômes apparaissent spécialement la nuit (1), et que les sorciers réclament l'obscurité pour faire leurs prétendus miracles. C'est encore pour cette raison que les « esprits » et mediums ne peuvent produire leurs phénomènes particuliers devant toute sorte de personnes ; ils ont besoin d'un petit cercle sympathique, prédisposé à recevoir l'influence contagieuse de cette phosphorescence interne qui fait voir et sentir à ce seul milieu ce qui, pour d'autres, ne serait ni visible, ni sensible. Alors lentement, progressivement on est pénétré par la vie du rêve (1). Les meubles s'agitent, les plumes se mettent à écrire sans qu'on les touche ; des gens sont soulevés de terre et restent suspendus en l'air... Les réalités deviennent folles, et les folles idées semblent réelles ; les voyants et les voyantes sont insensibles à la douleur physique. Les convulsionnaires de St Médard suppliaient qu'on les flagellât avec des bâtons de bois ou des barres de fer ; des somnambules goûtent dans de l'eau pure tous les arômes que le magnétisme veut bien imaginer. Les morts apparais(1) Partiellement seulement pour cette raison-là. Il y a bon nombre d'autres raisons : les conditions magnétiques terrestres diffèrent grandement durant le jour et durant la nuit. L'énergie physique est à son jusant » pendant la nuit et, plus les pouvoirs physiques sont vigoureux, moins il y a de latitude pour les perceptions psychiques. Il y a en outre bien d'autres facteurs. Note du traducteur anglais. (1) Il parait qu'E. L. savait fort peu de choses sur ce sujet. Il pensait sans doute que tout phénomène est forcément subjectif. Note du traducteur anglais.

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sent ; des mains sans corps viennent vous toucher... Mais, qu'un homme sain se présente, ou quelqu'un qui ne soit pas sympathique au cercle, aussitôt les oracles se taisent, les mains disparaissent, les meubles cessent leur danse, tout rentre dans l'ordre naturel (2), et les membres du cercle sont aussi maussades que des dormeurs trop brusquement tirés de leur sommeil. Cette lumière de rêves que nous pourrions appeler Lumière obscure ou noire, existe indépendamment du soleil et des étoiles, comme existe celles des Lucioles, vers luisants et feux follets. Elle ne se confond jamais avec la Lumière visible extérieure, mais peut laisser son empreinte sur le cerveau, empreinte transitoire chez les hallucinés, durable chez les déments. Les organismes nerveux, bourrés (saturés) de lumière noire deviennent des aimants mal réglés et, de temps à autre, produisent sur des objets inertes, des attractions ou des pressions dont les effets paraissent merveilleux, surtout quand ils sont amplifiés et multipliés comme cela arrive presque toujours - par l'imagination obligeante des spectateurs. La crédulité se prête volontiers aux miracles. Les esprits faibles sont naturellement portés vers le merveilleux et il est assez difficile de les détromper, quand ils persistent à vouloir être trompés. Il n'y a jamais eu de miracle fait- pour le triomphe de la Science ou de la Raison. Il ne s'en est jamais produit en présence de gens sages et instruits. Des phénomènes étranges - réduits à leur plus simple expression - peuvent (2) Tout cela est. évidemment une généralisation trop hâtée, fondée sur une documentation insuffisante. Tout cela peut arriver, ou ne le peut pas ; cela dépend de la force magnétique (j'emploie ce terme faute d'un meilleur) du cercle et de l'intrus, y compris, dans le cercle, les influences qui peuvent y avoir été attirées, Nombre de tels intrus, profondément sceptiques et hostiles envers ceux qu'ils tenaient pour des dupeurs et des dupes, ont dû constater que leur présence et même leur volonté étaient tout à fait impuissantes à entraver le cours et le progrès du phénomène. Note du traducteur anglais.

88 certainement exciter la curiosité et provoquer les recher-

ches des hommes de science, mais en aucun cas, ils ne peuvent démontrer l'intervention d'êtres surnaturels (1). En fait, Dieu est seul surnaturel en ce sens qu'il est le Maître de la Nature. Tout ce qui n'est pas Dieu tombe nécessairement dans le domaine du naturel (2). Il nous faudrait ignorer tout à la fois et les lois de la Nature et les règles de l'exégèse pour accepter littéralement et dans leur signification naturelle les expressions dogmatiques et sacramentelles des Ecritures et des Conciles. Ainsi, la Foi nous enseigne que dans le Sacrement de l'Eucharistie il y a transsubstantiation. Est-ce que cette transsubstantiation est naturelle ? Evidemment non : elle est mystérieuse et Sacramentelle. On peut substituer une substance à une mais une substance ne devient pas une autre substance ; c'est toujours la même amalgamée ou modifiée selon le cas. La chimie décompose et recompose les corps, mais elle ne change pas une chose en une autre chose, car, dans ce cas, les deux choses existeraient, et n'existeraient pas en même temps. Pour changer littéralement et totalement de l'eau en (1) Tout cela, quoique littéralement vrai, est grossièrement déloyal. En tant que Kabbaliste, E. L. connaissait tout ce qui concerne les Liémentais et les Elémentaires. Il est certain que ceux-là ne sont pas surnaturels puisqu'ils relèvent de la Nature, de sorte que ce qu'il avance ici est vrai quant à la lettre, mais faux quant à l'esprit, car il savait bien que tous ses lecteurs considéraient ces entités-là comme surnaturelles et, d'après son dire, comprendraient qu'il niait leur existence. Il en est de même des miracles ; ceux-là ne sont, naturellement, que les effets de lois naturelles encore inconnues, si bien que, là aussi, ce qu'il en dit est vrai à la lettre mais faux en esprit parce que cela porte le lecteur à conclure qu'E. L. niait la possibilité de ce qu'on appelle « Miracle ». Note du traducteur anglais. (2) Trompe rie et présomption, et l'auteur le savait. E.O.

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vin, il serait nécessaire d'annihiler l'eau et de créer le vin double absurdité - car rien ne peut être annihilé, et le vin ne se crée pas sans raisin (1). Faire évaporer l'eau et y substituer du vin ne serait que simple jeu de prestidigitateur et non pas « changement de substance ». Le pain peut se faire chair, et le vin sang ; mais seulement par le processus de l'assimilation et non par la transsubstantiation. Ces expressions dogmatiques doivent donc rester limitées au domaine du dogme et des symboles. Prises scientifiquement, dans leur sens naturel, ce sont de pures absurdités. Le dogme est la formule des réalités imaginaires. Notez bien que nous disons ici « réalités » et non fictions ». Les affirmations du dogme, par rapport à la Foi, sont en effet des réalités (2) ; mais ces réalités sont imaginaires parce que nous ne pouvons les concevoir que par l'imagination, puisqu'elles échappent à l'analyse tant de la Science que de la Raison.

C'est l'Imagination seule qui accomplit tous les miracles. Au fait, qu'est-ce qu'un miracle ? C'est un phénomène exceptionnel dont la cause est inconnue. Alors, la Science se tient coite et laisse la parole à l'imagination. Tout aussitôt celle-ci se met à inventer et à affirmer cause toujours hors de proportion avec l'effet. La foule accepte cette affirmation comme parole d'Evangile et le miracle devient incontestable. Tous les gens instruits savent que les miracles de la Bible sont des exagérations orientales (3). Moïse utilisa le (1)

Les marchands de vin de Londres pourraient bien donner ici un démenti à l'auteur. Note du traducteur anglais.

(2)

Ceci est du ressort de la Foi aveugle. E.O.

(3) Ils n'en savent absolument rien. Il peut y en avoir d'exagérés ; D'autres sont, sans doute, des traditions très exactes touchant des phénomènes occultes ; mais E. L. semble avoir connu fort peu de chose en occultisme,

flux et le reflux de la mer ; Josué découvrit un gué dans le

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Jourdain et, pour faire tomber les murs de Jéricho, il se servit d'un de ces composés explosifs dont les prêtres possédaient le secret. Mais les poètes nationaux nous racontent que la mer s'ouvrit, que le Jourdain remonta vers sa source, et que les murailles tombèrent d'elles-mêmes. Il en est de même du Soleil qui s'arrête dans sa course pour éclairer un grand jour de victoire ; et ne lisons-nous pas dans les Psaumes de David que les montagnes bondirent comme des béliers et les collines comme des agneaux. Devons-nous prendre cela à la lettre ? (1). Le même Roi-poète ajoute que des pierres ont été changées en étang et des rochers en fontaines. Est-ce encore là une transsubstantiation ? Les théologiens soutiennent que nous devons prendre à la lettre les paroles de Jésus-Christ quand il dit du pain : « Ceci est mon corps » et du vin « ceci est mon sang ». Mais alors devons-nous aussi prendre dans leur sens littéral les paroles qu'il prononça également : « Je suis vraiment une vigne et vous en êtes les sarments ». Et bien Jésus-Christ était-il vraiment et à la lettre une vigne ? (2) Devons-nous croire que la Science du Bien et du Mal était réellement un arbre, et que les fruits amers de cet arbre à double tige qui donne la Vie et la Mort, étaient des pèches ou des pommes ? Est-ce que le serpent de l'Eden et l'âne de Balaam parlèrent réellement ? On cessera de poser ces questions quand des hommes qui prétendent instruire les autres cesseront d'être aussi stupides que des sauvages.

(1) Tout cela est pur sophisme. Les deux choses sont naturellement tout à fait distinctes. Dans le le' cas on use clairement de métaphore ; dans les autres - cités précédemment - il y a également et clairement assertion de fait. Le dernier peut n'être qu'une fiction ; mais il ne faut pour cela ni le rejeter ni le discréditer, sous prétexte que, par ailleurs, des tropes et des métaphores ont été employées. Note du traducteur anglais. (2) Voilà en vérité un argument sérieux contre le dogme catholique Romain de la Transsubstantiation. Note du traducteur anglais.

Un bon sens imperturbable uni à une puissante imagination, voilà ce qu'on appelle génie. L'homme qui possède ces deux forces peut se rendre entièrement indépendant et exercer à volonté une influence réelle sur le commun des mortels. Il se créera - selon son bon plaisir - des serviteurs et des amis, à moins toutefois qu'il ne rende son génie tributaire de quelque faiblesse secrète. Il est possible de posséder un bon sens dogmatique, sans avoir pour cela un bon sensPARADOXE VII pratique. Les grands hommes sont souvent leurs propres dupes : ils aiment la gloire, comme Orphée aimait sa compagne ; ils vont la cherchant partout - même aux Enfers - et se retournent au moment fatal... pourLA VOLONTE ACCOMPLIT TOUT voir si Eurydice les suit. La vraie gloire CE QU'ELLE NE DESIRE PAS est ce que nul ne peut nous ravir ; elle consiste dans le mérite et non dans les applaudissements de la foule (1) ; elle ne craint pas les caprices du Destin, parce qu'elle ne doit rien au hasard. Elle n'aime ni le tumulte des multitudes ni le bruit ; c'est dans le silence de la Terre qu'on jouit de la paix céleste (2). Le Prince Sakia Muni, qu'on a appelé Buddha, disait que tous les tourments de l'âme humaine venaient ou de la peur ou du désir, et il en concluait par deux phrases que nous pouvons rendre comme suit : « Ne désire rien - pas même la Justice - attends jusqu'à ce que tôt ou tard le Ciel la rende ». « Le Nirvana n'est pas l'annihilation ; c'est dans l'ordre de la nature, le grand apaisement. Vouloir sans peur et sans désir, c'est le secret de la volonté omnipotente ». (1) ... le mérite est l'océan, La renommée n'est que le bruit qui mugit dans les bas-fonds. Note du traducteur anglais. ( 2 ) La conviction de l'aptitude particulière à chacun de mieux reconnaître sa propre nature et ses aptitudes. Le pouvoir a ses illusions. Que chacun accomplisse sa mission. E.O.

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Dieu ne craint rien ; il sait que le Mal ne peut pas triompher, et il ne désire rien, parce qu'il sait que le Bien s'accomplira de soi-même. Mais il veut que la Vérité soit, parce qu'elle est vraie, et que la Justice soit rendue, parce que c'est juste. 93

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La Magie doit vouloir tout ce que le Mage veut. Il veut la beauté dans la nature, parce qu'il en jouit dans sa plénitude et n'en abuse jamais. Il veut que les Printemps se renouvellent toujours chargés de fleurs, que les roses s'épanouissent en leur beauté, que les enfants soient heureux et les femmes aimées. (1) Il veut que les hommes s'entr'aident, pour encourager les femmes et secourir les vieux. Il veut que le Bien éternel triomphe sur le mal transitoire, et il prend part patiemment, paisiblement, à l'oeuvre de la Société et de la Nature. Il veut l'ordre, la raison, la bonté, l'amour, et, en vue de ce qu'il veut, il travaille de toutes ses forces. C'est ainsi qu'il gagne l'immortalité et le bonheur. Ne désirant rien, il est riche ; ne craignant rien, il est libre ; ne demandant que ce qu'il doit demander, il est heureux. Un poète a dit de Dieu « Pour lui, vouloir, c'est créer ; exister, c'est produire. On peut en dire autant du Mage désirer le Bien, c'est déjà faire le Bien : aucune existence n'est stérile. Job, étendu sur son fumier, faisait une oeuvre sublime : il donnait au monde la Patience. Toute souffrance est une parturition : la pauvreté enfante les richesses ; la maladie, la santé ; la captivité, l'affranchissement ; la punition, l'expiation et le pardon ; les larmes sont des semences de joies. La Mort nourrit la Vie. Pour qui sait et aime, tout est espoir et bonheur. Fortune, honneurs et plaisirs, voilà ce à quoi la majorité des hommes aspirent, sans penser jamais que les plaisirs

sans penser que la richesse engendre la satiété et le dégoût

des plaisirs, et que trop souvent les honneurs sont achetés au prix de la bassesse. Aussi quelles déceptions attendent ces hommes ! L'avare thésaurise la misère, le luxurieux déprave ses sens et tue son coeur ; quant à l'ambitieux qui songe à escalader le Capitole, il ne rencontre que la roche Tarpéienne. L'avare souffre de la faim et de la soif, comme Tantale ; le voluptueux tourne sous la roue d'Ixion, l'ambitieux roule éternellement le rocher de Sisyphe... Leur vie est un Enfer, leur fin un désespoir.

Le Mage - ou, si vous le préférez, le Sage - accueille le

plaisir, accepte les richesses, mérite les honneurs ; mais il ne se rend jamais esclave d'aucun d'eux. Il sait être pauvre, se restreindre, souffrir ; il supporte volontiers qu'on oublie, parce que son bonheur qui est sa propriété n'espère rien et ne craint rien des caprices de la Fortune. Il peut aimer sans être payé de retour. Il peut créer des trésors impérissables et s'élever au-dessus du niveau des honneurs, dons aléatoires. Il possède ce qu'il désire en jouissant d'une paix profonde et ne regrette rien de ce qui doit avoir une fin. Mais il se souvient avec joie de tout ce qui lui a été bon. Son espoir est déjà une certitude (I). Il sait que le Bien éternel et le mal transitoire. Le mage peut goûter les charmes de la solitude, mais il ne fuit pas la société des hommes. Il est enfant avec les enfants, gai avec la (1) Il n'en sait rien du tout ; ce qu'il sait, il le dit, à savoir que le Bien et le Mal sont tous les deux éternels, parce que tous les deux des fictions de l'imagination humaine. Or, l'humanité, ou Dieu dans la Nature, est éternelle. E.O. J'ose prétendre que ceci prête à mésinterprétation au sens absolu, transcendant ; le Bien et le Mal peuvent être tous les deux fictifs, mais relativement à des existence conditionnées à tous les degrés, le Bien et le Mal sont réelà.

(1) Je me permets de douter du dernier point : le « mage » - à moins que ce ne soit un Français - n'a besoin de rien de ce genre. £.0.

sont la ruine, tout à la fois, de la fortune et de l'honneur ;

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jeunesse, grave avec les vieux, patient avec les sots, heureux avec les sages.

rités endurcissent le coeur aussi certainement que les orgies de débauche.

Il sourit avec tous ceux qui sourient, il pleure avec tous ceux qui pleurent. Il prend sa part à toutes les fêtes, sympathise à tous les deuils, applaudit à tout effort de l'esprit, est indulgent pour toutes les faiblesses. N'offensant jamais personne, il n'a jamais à solliciter de pardon, ni à pardonner lui-même car il ne se sent jamais offensé. Il prend en pitié ceux qui le méconnaissent et attend l'occasion de leur faire quelque bien. C'est à force de bonté qu'il aime à se venger des ingrats. Etant prêt lui-même à se dépouiller de tout, il reçoit avec plaisir et gratitude tout ce qu'on lui offre. Il s'appuie affectueusement sur tous les bras qui se tendent vers lui aux heures difficiles et ne prend pas pour de la vertu la fierté chagrine de Rousseau. Il pense rendre service aux autres en les mettant à même de faire quelque bien, et il ne répond jamais par un refus, soit qu'on lui offre ou qu'on lui demande.

L'homme parfaitement équilibré peut marcher ou courir sans crainte de tomber, Il faut être quelqu'un pour mériter de vivre ; on est quelqu'un pour faire quelque chose. Nous n'existons qu'en vue d'agir ; nous pensons pour parler. La Raison, elle aussi, est le Verbe ; mais le Verbe n'est pas seulement la Parole, il est la vie et l'action. Nous sommes forts pour travailler ; nous sommes instruits pour enseigner ; nous sommes médecins pour guérir les malades. « Nous n'allumons pas une lampe pour la cacher sous le boisseau » dit le Christ. La lumière doit être placée sur un chandelier. Chacun se dit à tous, comme tous se doivent à chacun en particulier.

Ne pensez-vous pas qu'un homme de ce caractère est plus grand qu'un roi, plus riche qu'un millionnaire, plus heureux qu'un Faublas ou un Sardanapale ? Heureux celui qui comprendra cette grandeur, appréciera cette richesse et saura goûter cette joie et ces plaisirs ! Il ne désirera rien de plus et aura tout ce dont il a besoin. La perfection, c'est l'équilibre ; les excès de privations sont aussi dangereux que les excès de jouissances. Les macérations ont leur côté d'épicurisme malsain. Les Fakirs aiment à s'étioler et à s'éteindre dans l'extase de leur orgueil. Les Pénitents, bourreaux de leurs popres corps et de leurs âmes, sentent triompher en eux la cruauté du Dieu qu'ils croient venger. Les brûleurs d'hommes sont ceux qui se soumettent au plus dures disciplines .Le Pape Pie V était un ascète, et le terrible St Dominique était un pénitant rigoureux, sans pitié pour lui-même. Le fanatique capable de se tuer pour son Dieu est tout aussi capable de tuer son prochain ; les orgies d'austé-

Nous ne devons pas cacher le talent d'or ; nous devons le porter en banque afin qu'il fructifie. Vivre, c'est aimer, et aimer c'est faire le Bien. Nous devrions désirer le progrès de l'Humanité, la prospérité de notre pays, l'honneur de notre famille, la conservation du Monde, L'homme qui ne s'intéresse à personne est un homme déjà mort qui devrait être oublié. « Si quelqu'un désire me suivre » dit le Christ, « qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et marche sur mes traces ». Renoncer à soi-même, c'est sortir de l'égoïsme pour entrer dans la charité. La vraie vie de l'homme n'est pas en soi, mais en autrui. Porter sa croix, c'est supporter courageusement les douleurs et les épreuves de la vie. Tous les sages ont eu leurs croix à porter. Jésus, avant de monter au calvaire, eut l'ingratitude des Juifs et la sottise de ses disciples. Socrate eut Xantippe, Platon eut Diogène. La philosophie doit s'apprendre dans le livre de Job. « Heureux ceux qui pleurent » a dit le Maître ; mais plus heureux - disons-

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nous - ceux qui savent souffrir sans pleurer. Fénelon, dans ses « Dialogues sur les Morts », trouve Héraclite plus humain que Démocrite. Rabelais n'est pas de cet avis : les animaux pleurent, l'homme seul sait rire ; le rire est donc plus humain que les larmes ; il est la consolation de l'homme, et Homère n'hésite pas à en faire le privilège des Dieux. Le héros scandinave avait pour épitaphe : « Il rit et mourut ». Il y a, il est vrai, le bon et le mauvais rire ; mais c'est le bon qui est le vrai. L'autre n'est que le gloussement du dindon ou la grimace du singe, Les hommes bons et intelligents savent rire ; les méchants et les sots ne peuvent que ricaner, Le rire franc est le fruit de cette joie qu'une bonne conscience peut seule produire. « On juge l'arbre par ses fruits » dit l'Evangile. « On ne récolte pas de raisin sur des ronces ». Commencez par prendre la résolution d'être réellement bon, et tout ce que vous ferez sera bon. Le Bien, le Beau, le Vrai - vertu, honnêteté, Justice - sont choses inséparables d'où sort le vrai bonheur, car le résultat en est la Paix, c'est-à-dire tranquillité dans l'ordre éternel. Pour que la Volonté soit puissante, il lui faut être persévérante et calme. « Dieu ne balance pas » dit la Bible, et nous ne pouvons jamais avancer si nous nous arrêtons continuellement en chemin et retournons sur nos pas. Quand on a semé le bon grain, il ne faut plus remuer le terrain qui l'a reçu, mais il ne faut pas non plus cesser encore d'arroser ce qui a été semé. Alors le germe sortira de terre et la plante poussera d'elle-même. Quand on a mis le levain dans le Pétrin, il faut le laisser travailler. Le plus petit effort, constamment répété, vient à bout de tous les obstacles. Nous devons persévérer avec une inlassable patience. Les hommes les plus forts sont ceux qui ne se surexcitent point et n'agissent qu'à propos, avec modération et jugement. C'est le travail et l'économie qui créent et augmentent la fortune ; il ne faut cependant pas confondre l'économie avec l'ava

rice. La fortune de l'homme économe dépense et se distri-

bue ; l'avare retient et met sous séquestre. La fortune de l'homme économe est vivante, celle de l'avare est morte. L'homme économe laboure, l'avare enfouit. La fortune de l'homme économe est utile à tout le monde, celle de l'avare est inutile aux autres et à lui-même. L'un use, l'autre abuse. L'un cueille, l'autre monopolise ; les possessions de l'un sont sa propriété, celles de l'autre sont le fruit de rapines et de recel de biens volés. Il est certain que l'homme n'a pas le droit de vivre uniquement pour soi ; sa règle de conduite ne peut pas être son propre caprice. Enfant de la nature, il doit en respecter les Lois ; membre de la Société, il doit en accepter les devoirs. Sa volonté peut le faire souverain, mais à la seule condition que cette souveraineté soit constitutionnelle. Toutes les volontés désordonnées sont naufragées d'avance et mises en pièces. Tout caprice est une folle dépense de vie et un pas vers la Mort. Pour vouloir efficacement, il faut vouloir avec correction et justice ; et, pour vouloir correctement, il faut juger sainement des choses et ne pas se laisser aller et égarer par les préjugés ou la passion. L'opinion du commun des mortels n'est pas la règle de conduite du Sage. Il ne l'attaque pas ouvertement, mais il ne s'y conforme point. Il y a au fond de toutes les opinions populaires quelque vérité méconnue. Avoir le pouvoir et la jouissance, voilà ce qui fascine et attire les hommes. En réalité, avoir le pouvoir et trouver le bonheur en soi, voilà ce qui constitue la plénitude de la vie humaine. En quoi donc les fous diffèrent-ils des Sages ? En ce que les premiers prennent les moyens pour la fin, et qu'il en résulte que le plus grand bien devient pour

eux le pire des maux. Posséder toutes choses - sauf l'intelligence et la Raison - quel luxe de misère ! Avoir tout pouvoir de faire le Mal - quel horrible sort ! Se complaire dans l'abus - quel suicide ! Est-ce qu'un lâche est un guerrier valeureux parce qu'il trame un grand sabre ? Est-ce qu'un porc est un homme parce qu'il mange des truffes dans un plat d'or ? Peut-on être fier de commander aux autres quand on n'est pas maître de soi-même ? ... Alexandre le Grand, vainqueur des Indous et des Perses, fut incapable de vaincre sa propre intempérance ; maître du monde, il s'abandonna dans son ivresse à un accès de fureur et tua son ami Clytus. Il semblait sur le point de faire éclater un univers trop étroit pour le contenir, et il crève d'un trop plein de vin dans une orgie frénétique. Cet homme tantôt Dieu, tantôt brute, cet homme qui avait fait trembler les nations devant sa folie ambitieuse meurt dans une crise de delirium tremens. Il meurt jeune, comme toutes les espérances exagérées, et l'avortement de cette existence gigantesque est une tare sur sa gloire. Quel néant après tant de grandeur ! Quelle vaine renommée flotte et s'évapore autour de ce petit cadavre ! et n'était-ce pas à lui que Jésus pensait quand il dit : « Que sert-il à l'homme de gagner l'univers quand il vient à perdre son âme ? » La grenouille de la fable se gonfle pour essayer de devenir monstrueuse ; elle finit par crever. De même, dénué de raison, parvenait à s'agrandir outre mesure, que deviendrait-il sinon une gigantesque déraison, une folie énorme, une ombre plus épaisse que la plus petite étincelle de raison aurait d'autant plus de mal à percer.

Raison veut, Dieu le veut. L'être raisonnable participe de la royauté divine. Il veut, parce que la Raison veut, et sa volonté est invincible. Il peut dire comme le Christ : « Je suis le Principe qui parle ». Il peut avoir des adversaires, des contradicteurs, des oppresseurs... il n'a point de maître sur terre et ses égaux sont au Ciel. Le soleil qui brille sur un insecte n'est pas moins splendide que celui qui prête à la lune son éclat, et un mendiant dans son bon droit est supérieur à un prince dans son tort. Diogène préférait avec raison un rayon de son soleil à l'ombre d'Alexandre ; le cynique se posait en cela l'égal du conquérant dont il limitait la puissance par son propre droit à ne pas être gêné. Ne rien désirer, ne rien craindre, vouloir fortement et patiemment ce qui est juste, c'est être plus grand et plus fort que tous les maîtres de la Terre.

Car la raison est toujours semblable à elle-même, soit qu'elle siège sur les trônes de la Science ou du Pouvoir, ou qu'elle soit dans la plus humble sphère, elle n'en est pas moins la Lumière de Dieu. La Raison est comme l'hostie consacrée de la Foi Catholique, cette hostie dont la parcelle la plus infime contient - ou plutôt exprime - Dieu dans sa plénitude. Là où la Raison est, il y a la Divinité. Ce que la

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RECAPITULATION SYNTHETIQUE MAGIE ET MAGISME

Le mot « Magie », après avoir été si craint et si exécré au Moyen Age est devenu, de nos jours, presque ridicule. Un homme qui s'occuperait sérieusement de magie passerait à peine pour un être raisonnable ; à moins qu'on ne le tienne pour un médecin ou pour un charlatan. Les gens crédules supposent volontiers que tous les magiciens sont les artisans de merveilles, et ils sont convaincus d'autre part que seuls les Saints de leur culte ont le droit de faire des miracles ; ils attribuent donc gratuitement à l'influence du Diable et des mauvais esprits, les idées et les phénomènes de la Magie. Pour ce qui est de nous, nous croyons que les miracles des Saints, comme ceux qui sont attribués aux démons, sont également le résultat naturel de causes qui sont anormalement mises en jeu. La nature ne se dérange jamais ; son miracle permanent, c'est l'ordre immuable et éternel qui y règne. Bien plus, on ne doit pas confondre Magie et Magisme. La Magie est une force occulte ; le Magisme est une doctrine qui a pour objet de changer cette force en puissance. Un Magicien sans Magisme n'est qu'un sorcier. Un Magiste (ou 103

Mage) n'exerçant pas la Magie n'est que quelqu'un qui sait. L'auteur du présent ouvrage est un Mage qui ne pratique pas la Magie ; c'est un homme d'études et non un homme à phénomènes. (1) Il prétend n'être ni magicien ni Mage, et il (1) On peut se demander si ce n'est pas là la meilleure, la plus sage et la plus sûre des positions pour lui. En admettant qu'en se vouant aux sciences physiques occultes, on puisse obtenir deux dons suprêmes l'un consistant en la conservation de la mémoire individuelle à travers toutes les vies futures sur cette planète et les autres de notre cycle formant un circuit complet - en d'autres termes gagnant une quasi immoralité de la personnalité ; et, secondement, le pouvoir de gouverner et de diriger notre propre vie future après la mort, au lieu d'être emporté dans le tourbillon et entrainé malgré soi, pendant qu'on est encore à l'étal passif sous la loi des affinités. Il est pourtant à tout le moins incertain de savoir si ces dons supérieurs (que deux pour cent à peine des adeptes acquièrent) sont, oui ou non, profitables à l'homme à la longue. Ce qui est évident, c'est que pour y atteindre, il faut pour les hommes de notre race mener une existence tout à fait exceptionnelle. Cela peu t être un sublime égoïsme, mais l'égoïsme n'en est pas moins la conditions requise pour l'obtention de ces dons suprêmes. On peut du moins se demander si une vie d'active bienfaisance et d'altruisme parmi nos frères n'est pas, à la longue, plus productrice de bonheur. Dans un univers gouverné par une justice mathématique, nous pourrions nous contenter d'abandonner le soin de notre futur aux Lois éternelles, et il me semble que l'immortalisation d'une personnalité nécessairement imparfaite est un bien plutôt douteux. Quant aux autres pouvoirs dépendant de la manipulation de l'essence astrale, malgré qu'ils soient incontestablement susceptibles d'exercer une influence bénéfique en de rares exceptions, ils me semblent un objectif à peine digne de l'Homme divin. Une certaine connaissance théorique des Physiques de l'Occultisme se développe dans l'esprit à mesure qu'il progresse dans la métaphysique des « Hautes Sciences », mais, à mon humble avis, c'est à la compréhension parfaite de ces dernières que nous devons appliquer le meilleur de nos efforts. Nous ne devrions pas perdre notre temps à la recherche du ou des pouvoirs _; nous ne devrions lever aucun regard avide même sur les deux facultés suprêmes, mais nous contenter de si bien travailler à purifier notre nature et à nous imprégner d'amour actif pour tout, de façon à assurer l'évolution de notre personnalité supérieure et à connaître l'unité infinie et tout ce qui par là même fait partie de nous-mêmes pour devenir l'intuition nécessaire de notre personnalité nouvelle. C'est en cela qu'on est « un vrai Magiste qui ne pratique point la Magie », et c'est, à mon sens, le plus noble quoique peut-être le moins attrayant. Note du traducteur anglais.

sorcier. Il a étudié la Kabbale et les doctrines magiques des sanctuaires antiques ; il sent qu'il les comprend ; il y croit sincèrement et les admire. C'est, à ses yeux, la Science la plus noble et la plus vraie que le Monde possède et il regrette profondément qu'elle soit si peu connue. C'est pour cela qu'il cherche à le mieux faire connaitre, ne prenant pour lui que le titre de Professeur de la Haute Science. La science du magisme est contenue dans les livres de la Kabbale, dans les symboles de l'Egypte et de l'Inde (1), dans les livres d'Hermès Trismégiste, dans les oracles de Zoroastre et les écrits de quelques grands hommes du Moyen Age, tels que Dante, Paracelse, Tritheme, Guillaume Postel, Pomponaceus, Robert Fludd, etc...

Les oeuvres de la Magie sont la divination ou prescience, la Thaumaturgie ou emploi de pouvoirs exceptionnels, et la Théurgie ou pouvoir sur les visions et les esprits. On peut deviner ou prédire, soit par observation et induction de la Sagesse, soit par les intuitions de l'extase, du sommeil, des calculs de la Science, ou par les visions de l'enthousiasme qui est une sorte d'intoxication. C'est si vrai que Paracelse l'appelle ebriecatum » ou espèce d'ébriété. Les états qui ont rapport au somnambulisme, à l'exaltation, hallucination, intoxication, soit du fait de l'alcool ou de drogues spéciales, en un mot, à toute classe de folie artificielle ou accidentelle durant laquelle la phosphorescence cérébrale et accrue et surexcitée, sont dangereux et contraires à la nature. Il est donc mauvais de tenter de les pro(1) Et surtout dans la littérature ancienne, sacrée de l'Inde. Mais E.O. n'a jamais étudié le Bhagavad Gîta ni d'autres incarnations pareilles de la vie spirituelle dans la chair ; autrement il aurait été un bien plus vrai Magiste Note du traducteur anglafs.

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104 ne peut que hausser les épaules quand on le prend pour un

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duire parce qu'ils troublent l'équilibre nerveux et mènent presqu'infailliblement à la frénésie, à la catalepsie, à la folie. La divination, la prédiction par pure sagacité demandent une connaissance approfondie des lois de la nature, une observation constante des phénomènes et de leur corrélation ; le discernement des Esprits par la science des signes, la nature exacte des analogies, et le calcul - qu'il soit intégral ou différentiel - des chances et des probabilités. Il est utile de deviner et de prévoir mais nous ne devons pas nous permettre de nous mêler de faire des prédictions. Un prophète intéressé en la matière est toujours un faux prophète, parce que le désir trouble la sagacité. Un prophète désintéressé, ce qui veut dire un vrai prophète, se fait toujours des ennemis, parce qu'il y a toujours en ce monde plus de mal que de bien à prédire. Les sciences occultes devraient toujours être tenues cachées. Les Initiés qui parlent sont des profanes ;

et celui qui ne sait pas garder le silence ne sait rien. (1) Noé prévit le déluge, mais prit grand soin de ne pas le révéler. Il retint sa langue et construisit son arche. Joseph prévit les sept années de famine et prit ses mesures pour assurer au roi et aux prêtres toutes les richesses de l'Egypte. Jonas prédit la destruction de Ninive et s'enfuit désespéré parce que sa prédiction ne se réalisa pas. Les premiers chrétiens prédirent l'incendie de Rome et Néron, avec quelque (1) « Faites silence, vous tous qui entrez ici », tel est le commandement qui, de tout temps, a été gravé au-dessus des portes de l'occultisme. « Gopaniyum Arayahnema ». « Gardez le secret avec le plus grand soin » répètent à l'envie tous les anciens écrivains Ariens qui ont traité du Psychisme. Mais tout efficace que cette injonction au secret ait été dans le passé, il ne faut pas oublier que l'évolution ne s'endort jamais et que la roue tourne toujours. Une race nouvelle et supérieure commence à briller à l'horizon, et ce qui, pour une race, est du plus haut secret, intolérable à la masse, devient pour la race suivante, des vérités intuitives, sinon encore assimilables et palpables. Note du traducteur anglais.

apparence de justice, les accusa d'y avoir mis le feu. Les

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sorcières de Macbeth l'amenèrent au régicide en lui persuadant qu'il serait roi. Les prophéties semblent attirer le Mal et provoquent souvent un crime. Les Juifs croyaient que la gloire de Dieu dépendait tout entière de la conservation de leur temple ; prédire la destruction de celui-ci était donc un blasphème. Jésus osa le faire, et les Juifs qui, la veille encore, étendaient leurs manteaux sous ses pieds et couvraient sa voie de branches de palmiers et de fleurs, se mirent à crier tout d'une voix : « Qu'il soit crucifié I » Mais ce n'était pas pour eux que le Sauveur avait fait cette prédiction ; c'était pour le petit cercle de ses disciples fidèles et de ses apôtres ; malheureusement elle devint publique et servit de prétexte au meurtre juridique du meilleur et du plus divin d'entre les hommes. (1) S'il nous est possible de prédire avec certitude exactement l'époque où les éclipses doivent se produire et le retour des comètes, pourquoi ne pourrions-nous pas prédire les périodes de grandeur et de décadence des empires ? Etant donné la nature d'un germe, ne savons-nous pas quelle espèce d'arbre doit en sortir ? Connaissant le moteur, la charge et les obstacles, ne pouvons-nous pas évaluer la durée et l'étendue de la motion ? Lisez le livre : « Pronosticatio eximie doctris Teophrasti Paracelsi » et vous serez stupéfait des choses que ce grand homme était capable de prévoir en combinant les calculs de la science avec les intuitions de sa merveilleuse sagacité I On peut prédire avec certitude en s'aidant des calculs de la science, et avec incertitude quand on ne s'appuie pas que sur sa nature sensitive, impressionnable ou sur l'intuition magnétique. Il en est de même des (1) Tout ce paragraphe est de pur sophisme et manque - en une certaine mesure - de sincérité. Il ne traite pas des « choses qui se rapportent à Dieu » mais bien de celles qui se rapportent à l'homme. Ce n'est pas de l'occultisme mais de l'Eliphas Léviisme. Note du traducteur anglais. ,

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miracles. Ceux-ci sont des phénomènes stupéfiants, parce qu'ils sont anormaux et produits en conséquence de quelques lois naturelles jusqu'à ce jour inconnues. Lorsque l'électricité était encore un mystère pour la masse, les phénomènes électriques étaient des miracles. Les phénomènes magnétiques étonnent actuellement les adeptes du spiritisme, parce que la science n'a pas encore reconnu et déterminé officiellement les forces du magnétisme humain - lequel est distinct, à notre point de vue, du magnétisme animal. On ne sait pas encore jusqu'à quel point la volonté de l'homme et son imagination sont des pouvoirs. Ce qui est évident, c'est que, dans certains cas, la nature leur obéit : le malade recouvre soudain la santé, des objets inertes changent de place sans aucun motif apparent, des formes invisibles et palpables sont produites ; et les causes de tout cela est, pour les uns

Dieu, pour les autres le Diable, sans que ni les uns ni les autres ne réfléchissent que Dieu est trop grand pour condescendre à se faire le complice ou l'instigateur de tours de conjuration ; et que le Diable - s'il existe comme la légende nous le représente - serait trop intelligent et trop fier pour consentir à être ridiculisé.

Toutes les religions exclusives reposent sur les miracles, et chacune attribue au Diable les miracles accomplis dans la Foi opposée. En ce sens, elles ont toutes, et jusqu'à un certain point, raison. Le Diable, c'est l'ignorance, les Démons sont de faux dieux. Or, tous les faux Dieux font des miracles ; le vrai Dieu n'en fait qu'un qui est celui de l'ordre éternel. Les miracles de l'Evangile sont les opérations merveilleuses de l'esprit divin, racontées en une forme énigmatique, comme c'était la coutume chez les Anciens et surtout chez les Orientaux. L'esprit change l'eau en vin, cela veut dire l'indifférence en amour ; il marche sur les eaux, et d'un mot apaise la tempête ; il ouvre les yeux de l'aveugle et les oreilles du sourd ; il fait parler le muet et marcher le paralytique. Il ressuscite l'Humanité ensevelie depuis quatre jours (ce qui signifie depuis quatre mille ans) ; il la montre

dans sa putréfaction semblable à Lazare, et ordonne qu'elle soit délivrée de ses bandelettes et de son linceul. Tels sont les vrais miracles du Christ ; mais si, on lui demande des prodiges, il répond : « Cette génération vicieuse et adultère désire des miracles, mais il ne lui en sera pas donné d'autre que celui du Prophète Jonas ». Le Maître nous donne à entendre par là que les miracles de la Bible sont aussi des allégories : Jonas sortant vivant du corps du poisson qui l'avait avalé, c'est l'Humanité qui se régénère. Jésus donna sa doctrine aux Juifs et l'exemple de ses vertus, comme miracles incontestables. Jésus aurait certes pu guérir les malades ; après lui, Vespasien, Apollonius, Gassner, Mesmer et le zouave Jacob ont aussi opéré des guérisons. Des gens malades ont également recouvré la santé à Lourdes, comme à la tombe du diacre Paris ; mais de telles cures ne sont point des miracles : elles sont le résultat naturel d'une certaine exaltation dans la Foi. Jésus-Christ le reconnut lui-même ainsi quand, répondant à quelqu'un qui lui demandait « Pouvez-vous me guérir » il dit : « Oui, si vous pouvez croire car tout est possible à qui a la Foi. » La Foi produit certains miracles apparents, et la crédulité publique les exagère. Quand Jésus dit que tout est possible à celui qui croit, il n'entendait pas dire par là que l'impossible put jamais devenir le possible. L'impossible est ce qui est absolument contraire aux lois immuables de la Nature et de la Raison éternelle. (1) (1) Ceci laisse la question en suspens puisque même l'adepte le plus évolué ne peut jamais posséder une connaissance assez étendue de ces mêmes lois et de cette raison, pour être à même d'affirmer qu'une chose leur est absolument contraire, et, par suite, de prêcher l'impossible de quoi que ce soit, en dehors des mathématiques pures, comme le dit Arago. Note du traducteur anglais.

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Tout homme a un centre (focus) magnétique qui est attractif et radiant. Cette attraction et cette projection sont ce qu'on dénomme en magie l'inspiration et la respiration. Le Bien inspire et respire le Bien, l'homme méchant attire et respire le mal. Celui qui est bon peut guérir le corps, parce qu'il rend l'âme meilleure ; les mauvais font du mal tant au corps qu'à l'âme. Il arrive souvent que les méchants attirent les bons pour les corrompre, et que les bons attirent à eux les méchants en vue de les transformer et de les rendre bons, et c'est ainsi que parfois les méchants semblent prospérer, tandis que les bons sont victimes de leurs propres vertus. Mais ils se trompent grossièrement ceux qui s'imaginent que Tibère était plus heureux à Caprée que Marie au pied de la croix de son fils... Et pourtant de quels plaisirs Tibère était-il privé ; quelle souffrance était épargnée à Marie ? Heureuse mère ! (1) Misérable empereur ! disons-nous. Le miel se change en fiel dans la bouche des méchants, et le fiel devint miel dans la bouche du Juste. L'innocent sacrifié est déifié par son supplice même ; le coupable triomphant est marqué au fer rouge et brûlé par son diadème. Abordons maintenant aux dangereux rivages de la Magie toute encerclée de ténèbres. Touchons aux conversations avec l'autre monde, au contact avec l'invisible, à la Théurgie, en un mot, et à l'évocation des esprits. Tout nous prouve qu'il y a - en dehors de l'homme d'autres être intelligents. La hiérarchie des esprits doit être aussi infinie que celle des corps. L'échelle mystérieuse de Jacob est le symbole biblique de cette hiérarchie montante et descendante. Dieu se repose sur cette échelle, ou plutôt il la soutient. On peut dire que cette échelle est en lui, ou

(1) Les malheureux Isiaques s'ouvrent le sein et imitent les lamentations de la I n f e l i c i s s i m a M a t e r I s i s (min. Filip. 21). Le retour d'Isis avec le corps d'Osiris est daté du 15 décembre et les recherches durent sept jours. (Plutarque). E.O.

Dieu et pour manifester Dieu que l'infini monte et descend. A chaque échelon, l'esprit qui monte est égal à celui qui descend et peut le prendre par la main ; mais il lui faut cependant suivre celui qui le précède et qui monte devant lui. C'est une Loi que ceux qui font des évocations devraient bien méditer sérieusement. Monter éternellement, monter sans cesse, monter toujours, tel est l'espoir des Elus ; descendre éternellement, c'est la menace qui pèse sur les Réprouvés.. Les hommes invoquent les Esprits supérieurs, mais ils ne peuvent évoquer que les inférieurs. Quand on invoque un esprit supérieur, celui-ci vous attire vers le haut. L'esprit inférieur qu'on évoque vous entraine en bas (1). Invoquer, c'est prier ; évoquer est un sacrilège, excepté lorsqu'il s'agit d'une dévotion toujours très dangereuse. Mais les mortels téméraires qui se plongent dans les évocations ne pensent nullement à faire monter avec eux l'esprit qu'ils appellent ; ils désirent s'appuyer sur lui au contraire pour faire leur ascension et doivent nécessairement perdre l'équilibre puisqu'ils s'appuient sur ce qui descend. L'Esprit qui descend est une charge pour qui veut le relever, et, nécessairement il entraine vers le bas celui qui s'abandonne à lui ! Renoncer à la Raison pour suivre les inspirations d'un fantôme, c'est se plonger dans l'abîme de la Folie. La grande époque de la Théurgie fut celle qui suivit la chute des anciens dieux. Maxime d'Ephèse avait coutume de les invoquer devant Julien, parce que les hommes avaient cessé de les invoquer ; ils étaient tombés au-dessous du ni-

(1) Très juste. E.O.

mieux encore, qu'elle est Lui, Lui-même, car en tant que

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veau de la raison chez le commun du peuple. Aussi apparurent-ils à Julien, pauvres et décrépits. Julien, encore fasciné par la Magie du Passé, désira prendre sur son dos ces immortels infirmes - comme Enée prit son père pour le sauver du carnage de Troie - mais le Philosophe arrogant tomba sous le fardeau de ses dieux.

« Nous ne pouvons contempler les Dieux sans mourir » est l'un des plus terribles axiomes de la Théurgie ancienne car les Dieux sont des Immortels, et, pour les voir, il nous faut passer hors de notre sphère dans la leur et entrer la vie immatérielle, et, si cela est possible sans passer par la mort, ce ne peut être que d'une manière fictive et imaginaire, ou par une illusion ressemblant à un rêve. Nous devons donc conclure que toute apparition à laquelle nous survivons ne peut être qu'un rêve, car, quand la vision d'un autre monde est réelle, c'est que le voyant meurt, ou que plutôt il est déjà mort quand il la voit. (1) (1) L'auteur fait ici allusion à l'état de transe volontaire ou Samadhi, procurée selon les règles de la science occulte. La transe médiumnique est une sorte d'épilepsie. E.O. Sur ce point je me soumets si les mots sont pris dans leur sens strict « Samadhi » la différence réelle consiste en ce qu'une transe mediumistique est généralement l'effet d'un organisme anormal et quasi défectueux qui y succombe soudain sans la préparation essentielle nécessaire à la rendre inoffensive pour la santé, et sans la préparation mentale sauvegardant le libre exercice de l'âme et de la volonté. Cet état est souvent partiel, hors de tout contrôle, tandis que Samadhi provient d'une longue et soigneuse série de préparations pour le développement de facultés anormales dans un organisme normal, et est précédé par un entraînement gradué qui protège la constitution_ physique et habitue l'esprit et la volonté au libre exercice dans des conditions qui, autrement, les déformeraient, ou stupéfieraient entièrement. Dans ce cas la transe est toute sous contrôle. Ajoutez à ce qui précède que, par sa nature, la transe médiumnique

naturelle ne peut pas durer plusieurs jours sans amener la mort, tandis que l'autre, la transe volontaire, peut durer des mois sans le moindre inconvénient pour la santé, sauf (si nous prenons cela pour un inconvénient) un dégoût déterminé pour la vie terrestre charnelle.

pour les savants matérialistes qui ne croient pas à une autre vie ; mais ils n'en sont pas moins obligés, en dépit de toute évidence, de nier le phénomène du magnétisme et du spiritisme ; ils ne peuvent donc être sincères - les vrais savants sont ceux qui croient. Le danger, c'est de croire sans savoir ; car, alors, on croit à l'absurde, c'est-à-dire à l'impossible. Le vieux Français avait un mot pour exprimer la croyance téméraire c'était le verbe « cuyder » d'où est dérivé outrecuidance, ce qui signifie une confiance ridicule et présomptueuse. La Théurgie est un rêve, poussé jusqu'au réalisme le plus terrifiant chez un homme qui se croit éveillé. On y parvient en affaiblissant et en surexcitant tout à la fois le cerveau par des jeûnes, des méditations et des veillées. L'ascétisme est le père des cauchemars et le créateur des démons les plus informes et grotesques. Paracelse pensait que des « larves » réelles pouvaient être engendrées par les illusions nocturnes des célibataires (1). Les anciens croyaient à l'existence des « Daimons », sortes de génie maliceux qui Suite de la note de la page précédente. dégoût qui persiste chez l'adepte pendant un temps plus ou moins long après le réveil. Ces deux genres de transes sont également épileptiformes ; l'une semi-volontaire, l'autre entièrement voulue ; l'une sans et l'autre avec l'entrainement physique préliminaire, nécessaire à rendre les tissus cérébraux aptes à supporter avec innocuité la sujétion de conditions anormales. Note du traducteur anglais. (1) Ceci, tout en étant vrai, est un équivoque : sans doute les Elémentaires et les Elémentals sont du ressort de la Kamuloka et ne sont donc pas, à proprement parler, des apparitions de l'autre monde ; mais le public les croit et en parle comme si ces entités comparativement immatérielles appartenaient à l'autre monde ; c'est ce qui fait une fois de plus que le sens exact du passage varie avec ce que l'auteur savait être vrai. Note du traducteur anglais.

Ce que nous venons d'écrire n'a assurément aucun sens

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peuplaient l'atmosphère. St Paul parait les admettre quand il parle des Puissances de l'air contre lesquelles nous avons à lutter. Les Kabbalistes peuplaient les quatre éléments de leurs sylphes, ondines, gnomes et salamandres. De jeunes vierges du Moyen Age, prédisposées à l'hystérie, avaient l'habitude de voir, près des fontaines, des « dames blanches » leur apparaitre ; en ce temps-là, on appelait ces fantômes des Fées ; de nos jours, quand le même phénomène se répète, le peuple est persuadé que la Ste Vierge s'est montrée à la Terre, et l'on fonde des églises, on organise des pélerinages, ce qui rapporte toujours beaucoup d'argent en dépit du déclin de la Foi. Nous ne devons pas, en matière de religion, insister pour éclairer trop tôt la multitude. Il est des gens qui cesseraient de croire en Dieu s'ils ne croyaient plus à N.D. de Lourdes (1). Laissons la consolation du rêve à ceux qui ignorent encore comment appliquer à leur maux le remède de la Raison. L'illusion vaut mieux que le désespoir ; il est préférable de faire du bien au moyen d'une incompréhension que de faire du mal par la faiblesse d'une raison rebelle, et l'anémie de la conscience. Quand Moïse fit construire l'arche d'alliance, il faisait une concession à l'idolatrie de la populace juive, et, plus tard, les veaux d'or de Samarie ne furent que les contrefaçons des « Chérubins » de l'arche. Or, ces « Chérubins » étaient des Sphinx à double tête. Il y avait deux Chérubins et quatre têtes - l'une d'un enfant, l'autre d'un taureau, la troisième d'un lion, la quatrième d'un aigle ; réminiscence des Dieux égyptiens : Horus, Apis, Celurus, et Hermomphta, symboles des quatre éléments et signes des quatre points cardinaux du ciel (2). Ils servaient aussi d'emblèmes pour (1) Sophisme. E.O. J'y suis d'accord ; mais tant qu'à la religion, si nous lui substituons « l'occultisme », mon ami, E.0., considèrera apparemment alors que le sophisme disparait. Note du traducteur anglais. (2) Plus la nature quaternaire de l'homme ; les trois paires et l'enveloppe extérieure charnelle, ou tout autre quadrinôme universel analogue. Note du traducteur anglais.

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les quatres vertus cardinales - prudence, tempérance, force

et justice. Ces quatre figures hiéroglyphiques sont restées dans la symbologie chrétienne : on les a faites les insignes des quatre Evangélistes. L'Eglise Catholique a condamné les briseurs d'images iconoclastes, elle savait pourtant bien que les images ne sont que des idoles, et que ce mot, en grec, signifie rien autre qu'image. Or, les païens ne croyaient pas plus que la statue de Jupiter est Jupiter lui-même, que nous ne croyons que l'image de la Vierge est la Vierge en personne. Ils croyaient - comme nous le croyons - en la manifestation possible de la Divinité par ces images ; ils avaient, comme nous, des statues qui pleuraient, qui remuaient les yeux et chantaient au lever du soleil. Nous avons, comme eux, notre mythologie, et la « Légende dorée » pourrait faire la suite des Métamorphoses d'Ovide. Rien ne se détruit dans la Révélation universelle ; tout se transforme et se continue. Dieu se manifeste et se montre dans le génie humain, par des approximations successives, et des changements progressifs. Dieu est toujours l'idéal de la perfection humaine qui croît en grandeur à mesure que l'homme s'élève. Dieu n'a pas parlé une fois pour se tenir coi le reste du temps. Il parle, comme il crée, toujours. Torquemada et Fénelon étaient tous les deux des Chrétiens et des Catholiques ; et pourtant le Dieu de Fénelon ne ressemble en rien à celui de Torquemada. St François de Sales et le Père Garassus ne parlent pas de Dieu de la même manière, et le Catholicisme de Mgr Dupanloup ressemble à peine à celui de Louis Veuillot. Les Protestants ont nivelé toutes choses. Ils ont délibérément nié tout ce qu'ils ne pouvaient pas comprendre, et encore comprennent-ils à peine ce qu'ils affirment. Mais la Révélation ne bat pas en retraite ; elle ne s'appauvrit pas, et ajoute au contraire toujours quelque chose aux trésors mystérieux 115

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de son dogme. Les Rabbins, pour jeter quelque lumière sur les obscurités de la Bible, doublent les ténèbres du Talmud, et ]es époques chrétiennes ont donné - comme suite et commentaires des récits incroyables des Evangiles - les légendes impossibles de la vie des Saints. A ceux qui nient l'infaillibilité de l'Eglise, nour répondons par l'infaillibilité du Pape. On rend toujours l'énigme plus compliquée pour empêcher les sots de la deviner. Or, tout dogme est une énigme philosophique. La Trinité - ou trois en un - signifie Unité. L'incarnation - ou Dieu fait homme - signifie l'Humanité. La Rédemption - ou tout perdu par un seul et sauvé par un seul indique notre dépendance mutuelle, la solidarité de la race.

Unité, Humanité, Solidarité, telle sera la trilogie future : solution pacifique du problème révolutionnaire - Liberté,

Egalité, Fraternité.

En vérité, l'unité sociale peut seule garantir la Liberté des nations en créant le Droit universel. C'est devant la seule Humanité, et non devant la nature, que les hommes sont égaux ; et c'est par leur mutuelle dépendance ou solidarité qu'ils prouvent leur fraternité. Hélas ! Combien de siècles doivent encore s'écouler avant que ces vérités, toutes simples qu'elles sont, soient comprises ! Le Catholicisme est de l'occultisme officiel, et repose entièrement sur le mystère. Le secret des sanctuaires a été profané, mais n'a pas été expliqué.

Œdipe pensa tuer le Sphinx, et la peste envahit Thèbes. Les frères hostiles continuent à se battre et à s'entretuer. Les grands Symboles du Passé sont les Prophéties du Futur. Mystères et Miracles telle doit être la Religion des masses auxquelles il est essentiel de faire sentir vivement ce qu'elles ne comprennent pas, afin qu'elles se laissent conduire. Voilà le secret des sanctuaires et les magistes de tous les temps l'ont compris. Les faibles ne peuvent rester unis que sous la surveillance et la responsabilité des forts : les forts

s'émancipent d'eux-mêmes. S'il n'y avait jamais eu de bergers, il n'y aurait pas eu de troupeaux domestiques. Si les chiens étaient libres, c'est-à-dire sauvages, il faudrait en faire la chasse comme des loups. En réalité, la masse du vulgaire se compose ou de moutons ou de loups. La servitude seule les sauve. Le grand secret de la Franc-Maçonnerie n'est rien autre que la Science de la Nature. Il y a longtemps que ce secret a été divulgué ; mais les gens n'en continuent pas moins à jurer qu'ils le garderont éternellement, rendant ainsi hommage à l'éternel principe de l'occultisme.

Les vrais Initiés sont des bergers et des conquérants ; ils rassemblent le troupeau et triomphent des loups. C'était, au commencement, la mission sublime de l'Eglise ; mais, dans cette bergerie du Seigneur, les loti ps se sont faits bergers, et les troupeaux se sont enfuis. La vraie Eglise doit être une, et ne pas se diviser en nombreuses sectes. Elle doit être sainte et non pas hypocrite ni avide. Elle doit être universelle, et non restreinte à un cercle privilégié qui repousse la majeure partie de l'Humanité. En un mot, elle doit se rattacher à un centre commun qui, dans ce monde romain, pouvait être Rome, mais qui n'est pas plus irrévocablement Rome que Jérusalem. « L'Esprit se porte où il veut » dit le Maître et là où est le corps, les aigles se rassembleront ». L'Eglise Catholique devrait être la MaisonMère de toutes les indulgences. Elle ne tolère pas seulement, elle absout. Elle devrait excommunier les haines religieuses et bénir même ses enfants égarés. C'est par la Foi Catholique que tous les croyants sincères - peu importe le culte qu'ils professent - appartiennent à l'âme de l'Eglise pourvu qu'ils pratiquent la morale naturelle et cherchent la vérité dans la sincérité de leur coeur. Qu'un Pape paraisse qui ose proclamer hautement ces vérités consolantes, et -

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invite tous les peuples de la Terre à fêter un Jubilée universel, et une ère nouvelle s'ouvrira pour la Religion chrétienne. « Gloire à Dieu dans tout ce qui est grand, et paix sur la Terre aux hommes de bonne volonté ! » C'est par ce cri d'amour universel que le génie des Evangiles annonce, au temps passé, la naissance du Sauveur du Monde. L'Eglise officielle représente l'Eglise Occulte, comme dans la Société les castes représentent la Hiérarchie naturelle : les Prêtres, la Noblesse, le Peuple, ce sont les hommes de dévotion ; ceux qui sont supérieurs en intelligence, et ceux qui sont inférieurs. Les vrais prêtres de l'Humanité sont les philanthropes sincères ; les vrais rois sont les hommes de génie ; les vrais nobles sont les hommes d'intelligence et de sentiments élevés. La masse du vulgaire, c'est le troupeau innombrable des ignorants volontaires et des poltrons. Un simple soldat loyal à son drapeau est sûrement plus grand qu'un maréchal de France qui trahit son pays. Un honnête chiffonnier est plus noble qu'un Prince vicieux. Des hommes éminents dans tous les genres sont sortis du peuple ; des rois et des reines ont été vus se vautrant dans la fange. Tout homme intelligent et vertueux doit mériter d'être admis à la plus haute initiation ; les profanes sont ou des sots ou des coquins. L'Initié est un homme d'aucun parti ; il ne désire que l'union, l'indulgence réciproque et la paix. Il n'a pas d'opinion car la Vérité n'est pas une opinion ; pour lui toutes les hostilités sont des erreurs et toutes les haines des crimes. En face des abus de l'Eglise Romaine, la protestation est un droit et conséquemment un vérité ; mais le Protestantisme est une secte, donc une erreur. La catholicité, c'està-dire l'universalité, est ce qui distingue la Religion vraie ; 118

c'est donc une Vérité ; mais le Catholicisme est une partie, par conséquent une chose fausse. Quand les abus auront cessé, la protestation n'aura plus sa raison d'être, et quand la Catholicité aura été établie par toute la Terre, il n'y aura plus de Catholicisme à Rome. En attendant, comme l'on ne peut pas vivre convenablement sans religion, et qu'il est aussi impossible qu'absurde de se tenir seul dans une religion (le mot même « religion » signifiant une chose qui lie les hommes entre eux) chacun peut et doit suivre les us et coutumes du culte dans lequel il est né. Toutes les religions ont un côté respectable et un côté défectueux. (1) Ne continuons pas à briser réciproquement nos idoles, mais tâchons de guider doucement les hommes hors de l'idolatrie. Il faut apprendre à supporter patiemment dans les églises catholiques, le bruit des offices, la hallebarde du Suisse, ... il faut apprendre à se fatiguer avec gravité et respect dans les temples protestants et à garder son sérieux dans la Synagogue et la Mosquée en dépit des têtes voilées des Rabbins et des contorsions des Derviches. Tout cela doit avoir son temps. Une Religion passe, mais la Religion reste et demeure. Un homme meurt mais l'Humanité ne meurt point ; une femme cesse d'être aimée ou de pouvoir l'être, mais la femme mérite toujours le respect et l'amour. Une rose se flétrit trop vite : mais la rose est une fleur impérissable qui s'épanouit (1) En d'autres ternies, nous devons, par notre silence, consentir, et même ajouter de la vitalité à ce que nous tenons pour faux. Il y a une énorme différence entre la tolérance et la douceur pour ce qui nous semble des erreurs chez autrui et la timidité débonnaire qui recule de montrer par son exemple qu'il sait que ce sont des erreurs. E. L. prévoit le règne de la Vérité ; mais si les hommes suivaient son avis et que pour l'amour de la « convenance » ils s'inclinaient sans cesse devant l'erreur, comment cet usurpateur pourrait-il être détrôné, comment le faux serait-ii vaincu et le vrai triomphant. Note du traducteur anglais,

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à chaque printemps nouveau. Usons les religions pour l'amour de la Religion ; aimons les hommes pour l'amour de l'Humanité, et les femmes pour l'amour de la femme. Cherchons la rose parmi les roses, et nous ne rencontrerons jamais les déceptions ni le désespoir. Mais, parce que nous sommes des hommes, nous ne devons pas forcer les enfants à être, eux aussi, prématurément des hommes. Nous ne devons pas les frapper quand ils tombent, ni les rudoyer quand ils ne comprennent pas les choses qui sont au-dessus de leur âge. Nous ne devons pas les priver de leurs « polichinelles » ni de leurs poupées ; ils les adorent aujourd'hui ; plus tard ils les briseront : Maman leur en donnera d'autres, et papa n'aura rien à dire. Les Livres Sacrés de tous les peuples et de tous les temps ont été des collections de légendes ; ce sont des livres et des images faits pour l'instruction des enfants. Ce sont en général des oeuvres collectives résumant toute la connaissance et toutes les plus hautes aspirations d'un peuple et d'une époque. Ils sont sacrés, comme devraient l'être des monuments, et dignes de respect comme est le souvenir des ancêtres. L'esprit divin les a sûrement inspirés, inspirés à des hommes et non à des Dieux. Ils révèlent Dieu comme l'arbre qui croît révèle la semence placée dans la terre d'où il est sorti, ou comme le bourgeon qui se gonfle révèle les feuilles qui y sont cachées. Cette double comparaison est empruntée à Jésus-Christ lui-même. Nous avons dit que les absurdités du dogme sont énigmatiques ; elles sont encore plus systématiques. Les grands Initiés du monde ancien n'expliquaient jamais leurs symboles autrement que par des symboles plus obscurs encore. Dieu veut être deviné, parce que la Divination est divine, comme d'ailleurs le mot l'indique suffisamment. L'énigme du Sphynx est l'épreuve de tous les Néophytes, et le chien tricéphale veille toujours à l'entrée de la crypte des mystères. 120

En religion, expliquer, c'est profaner ; rendre plus obscur, c'est révéler. La Science et la Religion sont comme le jour et la nuit. Si la raison est le Soleil, la Foi est la Lune (1). En l'absence du Soleil la Lune est la souveraine du firmament. N'oublions pas cependant que c'est au soleil qu'elle emprunte tous ses rayons, et que la vraie Foi ne peut jamais être absurde, quoi qu'elle le paraisse. La science n'a-t-elle pas aussi ses mystères ? Echappezvous, si vous le pouvez, du labyrinthe de l'Infini. Est-ce que les molécules invisibles existent réellement ? Essayez de concevoir la substance sans étendue ? (2) Si, au contraire, la matière est indéfiniment divisible, un grain de poussière peut, dans l'infinité du temps, par l'infinité du nombre de ses parties, égaler l'infinité de l'espace. (3) Absurdités de tous les côtés ! Consultez Marphurius ; il veut expliquer que l'évolution polychronique des concepts analytiques, dans le Relatif, est égal à l'isochronisme du concept synthétique dans l'absolu, et il conclut de là que le synchrétisme de l'abstrait (1) Ces figures poétiques ne font qu'égarer : la science réelle et la Religion ne font qu'un ; ce sont tout au plus deux aspects de la Vérité éternelle ; formes allotropiques de la même constante vérité. Note du traducteur anglais. (2) Cette chose n'existe pas ; il n'y a que le néant, c'est-à-dire rien, qui soit sans étendue. L'étendue de ce que nous appelons les choses immatérielles peut être au-delà de notre connaissance ; mais tout a une étendue ; l'étendue est l'essence de la substance ; toutes les deux existent et remplissent l'espace. Note du traducteur anglais. (3) Naturellement tout ceci est du barbotage ; les atomes indivisibles existent. Vous pouvez dire que l'esprit peut les diviser mentalement, mais si vous vouliez pratiquer cette division la molécule retournerait dans le non manifesté. L'auteur confond aussi la matière qui est transitoire, concrète et manifestée, avec la substance qui est la base éternelle, abstraite, non-manifestée de cette même matière. Note du traducteur anglais.

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est analogue au synchrétisme du concret. Cabricius arciturane Les mystères de la Foi sont empruntés, pour la majeure partie, aux mystères de la science. La Lumière, par exemple, n'est-elle pas une en trois rayons de couleurs différentes ? Dans sa triplicité, elle est bleue, jaune et rouge ; dans son unité, li est blanche. Cette trinité donne sept nuances de couleurs ; ici nous tenons le septénaire sacré (1). (1) Le Septénaire est sacré non pas pour une, mais pour mille raisons.

Prenez sept pièces de monnaie ou disques exactement de la même grandeur ; placez en un au centre et vous trouverez que les six qui restent, quand on les a disposés alentour comme une ceinture, occuperont toute la circonférence, l'un touchant exactement son voisin et celui du centre. Ajoutez, avec des disques similaires, une même ceinture en dehors de la première, une 3' après celle-ci, puis une 4' et ainsi de suite. Augmentez la démonstration tant que vous voudrez, vous verrez que chaque ceinture successive ne comportera que six disques de plus que la précédente, avec celui du centre comme 7'. Les ceintures en contiendront 6, 12, 18, 24, 30 et ainsi de suite ; ces nombres étant les termes d'une progression arithmétique dont l'augmentation va par 6. Vous pourriez aller ainsi, élargissant la circonférence, jusqu'à couvrir tout le désert de Gobi, mais vous ne pourrez pas ajouter plus de six pièces au nombre du cercle précédent. Cela peut paraître enfantin mais nous convions tous les mathématiciens occidentaux à nous en expliquer le pourquoi. C'est pourtant sur ce principe que l'univers est construit, dans ses manifestations à la fois concrètes et abstraites. Pythagore parle du Dodécahedron comme étant « divin » - car le premier cercle, 1 6, est le cercle central, l'un abstrait de la nature in abscondito, et le plus occulte. Il se compose de l'un, point central, et des six, nombre de la perfection, d'après les Kabbalistes, ayant cette perfection en soi, sans partage, et qui en ajoutant sa moitié, son tiers et son sixième (un, deux et trois) devient parfait. C'est pourquoi ce chiffre est appelé « le signe du Monde », car en six tours le groupe des mondes atteint à sa perfection et, durant le 7', jouit de la félicité. C'est dans ce 7' tour ou ronde que ni la nature ni les êtres ne travaillent plus, mais se préparent à la perfection pour le Nirvana. Pour les Chrétiens et les Juifs Kabbalistes, ce sont là les six jours de la création, puis le Sabbath. Sept est appelé par Pythagore « le véhicule de la vie », etc... En un mot, sept est le symbole du temps. Les Saboeans honoraient les sept fils de Sabus. Les « sept Esprits de Dieu » dont il est question dans la « Révélation » signifient simplement parfait ; de même pour les sept étoiles, le sept lampes, etc... Et les « plans » chaldéens des sept sphères, et les « Birs Nimrud »

122 La Lumière produit des formes ; elle est incarnate dans

les êtres vivants ; elle meurt pour revivre, et rachète chaque matin notre hémisphère de l'esclavage de la nuit. Dupuis en concluait que Jésus-Christ était le Soleil. Belle découverte en vérité ! C'est comme si l'on professait qu'une mappemonde en carton était réellement l'Univers. Suite de la note de la page précédente. avec ses sept étages, figures symboliques des cercles concentriques des sept sphères. Les modernes se rient de l'ignorance des anciens qui ne connaissaient que sept planètes et n'ont jamais compris que ce chiffre limité signifiait réellement. Ils n'ont pas non plus accordé la moindre attention du fait que les hommes qui - il y a plus de 2000 ans - présentaient Callisthènes et ses observations météorologiques remontant à plus de 1900 en arrière de leur temps, ne pouvaient pas ignorer l'existence d'autres planètes. Puis qu'est-ce que Sabaoth et pourquoi devrait-il

être regardé comme un Créateur ? Combien y a-t-il de Chrétiens qui soupçonnent Sabaoth d'être le nombre démiurgique sept, d'accord avec les Phéniciens qui, plus tard, devinrent les Israélites ? (Lisez Lydus de Mens IV, 38, 74, 98 p. 112). Cherchez Sabaoth, Adonaios dans les « Livres Sybillins » Galleus 278. Le démiurge est Jao présidant sur les sept cercles des sept Ghibers, les sept esprits du feu, la Lumière astrale, Fohah, les sept Gabborim ou Kabiris, les sept étoiles errantes, et ce sont ces errants qui, sous le nom collectif de Kabar Ziv (ou vie ou lumière puissante) comme point central émanant et permettant de s'amasser à leur entour les sept Démons. Comparez : Les noms des sept Daemons Les noms des sept Skandhas ou imposteurs dans le Codex naPrincipes : zaréen : 1. Sol. 7. Esprit de réflexion de la vie une, 2 . Esprit (Saint Esprit) astre 6. L'âme spirituelle (femelle). Vénus ou Lebbat Amameh, 5. L'âme animale. 3 . Nebu (Mercure). 4. La Kama Rupa, le plus dange4 . Sin Luna, appelée aussi Shu- reux et le plus traître des prinrH et Siro. cipes. 5 . Kiun (Kivan) Saturne. 3. L'âme de la Vie, Linga Sarira. 6 . Bel, Jupiter, qui soutient la 2. Le principe vital. Vie. 1. Le corps grossier ou forme ma7. Nerin, Mars - le fils de l'homtérielle - per se - un animal très me qui dépouille ses frères. féroce et sauvage. On l'appelle aussi « Excoriateur ».

E.O.

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La Religion est une force qui échappe aux impies et contre laquelle ils se brisent. Polichinelle ne réussira jamais à tuer le Diable, car le Diable est la caricature de Dieu et cette caricature appartient à ceux qui l'ont faite. Elle reste Suite de la note de la page précédente.

Quant à ce qui regarde le petit problème qu'E.O. convie les mathématiciens occidentaux à résoudre, il est assez simple. Il n'y a là aucun mystère ; c'est la conséquence nécessaire des hypothèses présentées au début. D'abord l'hypothèse exposée dans la description en langage mathématique - de la figure que nous nommons un cercle, l'égalité de tous les rayons, et en second lieu, l'hypothèse que nous ne devons employer que des cercles égaux. La preuve est trop longue à développer ici, mais le tout procède des faits géométriques bien connus qu'où deux cercles touchent la ligne joignant leurs centres passe par le point de contact. Donc, là où trois cercles touchent les trois lignes qui joignent leurs centres il se forme un triangle équilatéral et équiangulaire. De plus, les angles intérieurs d'un triangle sont collectivement égaux à la moitié de l'extension angulaire autour du point, et chaque angle d'un triangle équilatéral est égal à un sixième de celui-ci. Conséquemment, six triangles - et pas plus - peuvent rayonner d'un point donné. Malgré que la première ceinture puisse paraître circulaire, la seconde et les suivantes ne peuvent être construites selon les termes du problème posé - sauf comme hexagones, lorsque les propriétés (et ceci est encore le résultat d'une hypothèse de construction) - du triangle équilatéral entrent de nouveau en jeu. Cela est ainsi parfaitement démontrable non comme une matière à mystère, mais comme le résultat qui découle nécessairement de ce qui a été adopté en principe : s'il y a n ceintures, la hème doit contenir six n disques ou cercles. Il semble inutile de controverser avec des adeptes orientaux. A partir du temps des Gymnasophistes qui enseignèrent Pythagore, ils ont toujours - verbalement du moins - confondu les choses et leurs symboles. 1I n'y a rien de sacré dans le nombre sept ; c'est une mnémotechnie applicable à des combinaisons cachées, etc..., lesquelles combinaisons, etc... peuvent être, ou ne pas être, sacrées. Quant au symbole 7 ou au mot sept, il n'y a rien de sacré ni dans l'un ni dans l'autre. La sainteté - s'il en existe là - appartient aux mystères que ce nombre rappelle et d'aucune façon au nombre lui-même. Si notre langue avait appelé 6 + 1 cochon et s'en était servi pour désigner cet animal (comme symbole), le cochon serait-il donc devenu aussi sacré que sept et 7 ? D'autre part, et pour ceux qui ridiculisent et rejettent les faits reconnus par les Occultistes sous prétexte que d'après ceux-ci l'univers est construit sur un système numérique et que tout se divise par tiers et par septièmes, il serait utile d'indiquer que, même dans notre

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dans leurs yeux ; elle les fascine et les poursuit. Si tous les aveugles pouvaient se coaliser pour exterminer ceux qui voient clair, arriveraient-ils, même alors, à éteindre le Soleil ? La multitude est aveugle et sotte ; les voyants et les sages doivent la conduire. Mais, lorsque ceux dont le devoir est de guider les aveugles, deviennent aveugles à leur tour ; quand les gardiens des fous deviennent fous eux-mêmes, il en résulte des chutes et d'effroyables désordres. C'est là l'histoire de toutes les révolutions. L'emploi de la force brutale pour réprimer les désordres, provoque d'inévitables et terribles réactions, quand la force ne s'appuie pas sur la Justice et Suite de la note de la page précédente.

petit monde, nous avons des exemples de la prédilection constante de la nature pour certains nombres. C'est ainsi que trois et ses multiples régissent la floraison des endogens et 4 et 5, celle de tous les exogens. On peut citer des milliers d'autres exemples, si bien que le rejet en bloc des vues occultes sur l'univers, en raison de leur symétrie, qu'on se hâte trop de déclarer hors nature - c'est-à-dire artificielles et fausses - n'est pas garanti même par notre peu de science. Quant au 3 et au 7 - ce dernier ressortissant nécessairement du premier - puisque 7 est le nombre le plus grand de trois choses prises ensemble : 1, 2 ou 3. Pour les s e p t D é m o n s i m p o s t e u r s , d'aucuns les ont pris comme représentant le cycle de nécessité, lequel, selon eux, commence avec Mars, passe par Jupiter et Saturne pour aboutir à la Terre, et de là gagne le soleil en passant par Mercure et Vénus, Or, malgré que la Confrérie du Thibet nous dit que l'homme doit passer d'abord par Mercure, ils nous disent aussi que la planète sur laquelle l'Humanité vivait immédiatement avant de se montrer sur la Terre, était Mars ; de plus leur rapport sur les mondes qui forment notre cycle de nécessité diffère absolument de ce qui est dit plus haut. Cependant, malgré que ceux-ci prétendent que Saturne - et non pas Mars - était la planète d'où nous sommes venus ici, il ne s'en suit pas que la planète appelée par nous Saturne soit réellement celle qui est entendue par eux, ou que d'autres planètes à qui les occultistes ont attaché des signes et des noms en usage chez les astronomes d'antan, sont réellement les planètes visées. Au contraire, on peut généralement admettre comme règle que lorsque l'occultisme dit une chose elle en entend une autre. Les mots, comme le nom des planètes, des pierres précieuses, des minéraux des plantes, etc... avaient toujours une double signification, l'une palpable, évidente qui, si elle est admise, égare tout à fait celui qui n'est pas initié, l'autre; toute artificielle, qui présente la fait réel aux seuls Initiés. ,

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la Vérité ; car alors, elle devient fatale et contre-balance nécessairement l'action par la réaction. La guerre autorise les représailles, parce que, pendant la guerre, selon le dire cynique d'un grand diplomate allemand, « c'est la force qui fait le droit ». A la vérité, tout despotisme, qu'il vienne des rois ou de la populace, est la guerre : l'autorité des Lois et l'empire de la Justice, c'est la paix. L'unité sociale est le but et la fin de toute civilisation et de toute politique transcendante, fin à laquelle, depuis le temps de Nemrod, tous les grands conquérants et profonds hommes d'Etat ont tendu leurs efforts. Les Assyriens, les Mèdes, les Perses, les Grecs, les Romains, tous cherchèrent à absorber le monde. Bacchus, Hercule, Alexandre, César, Pierre le Grand, Napoléon, n'eurent pas d'autre rêve ; les Papes pensèrent le réaliser sous le nom de religion, et c'était là une grande idée ; Suite de la note de la page précédente. C'est ce qui a apporté le plus de discrédit à l'occultisme, et, je le maintiens avec force et raison, c'est ce qui doit engendrer le plus d'incrédulité ou de mépris à son égard, de par le monde, aussi longtemps que ce système prévaudra. Mais les Adeptes de toutes les Ecoles ont toujours été si étroitement liés par des voeux et des situations (spirituelles qu'il n'est jamais possible à un homme de méconnaitre) provenant d'initiations successives, qu'ils ne peuvent pas, en bien des cas, parler autrement qu'à phrases équivoques aux non-initiés. Ceux-là, à leur tour, au fur et à mesure qu'ils progressent, deviennent par la force des lois de l'association à laquelle ils appartiennent, également des bouches closes et des esprits enchaînés sur bien des points ; le seul espoir qui reste au monde du dehors, c'est que le développement graduel des races d'élite sur terre, lesquelles, sans passer par ces Ecoles, travaillent à conquérir la connaissance par elle-même, libérées de lois, de règles, de conditions devenues rapidement autant d'anachronismes et donnent librement à tous ce qu'elles thésaurisent, Les auteurs de la Voie Parfaite ont déjà fait, en un sens, un premier et grand pas. Naturellement, sur bien des points, (voir les faits cités dans notre introduction) les adeptes peuvent parler plus librement, et quelques uns d'entre eux sont, de nos jours, portés à parler, comme ils l'ont d'ailleurs toujours été ; mais il reste, m'a-t-on dit, les lois les plus hautes et les plus importantes, qu'ils ne peuvent et ne veulent pas enfreindre, sauf pour ceux qui ayant été initiés, sont restés à jamais sous le voeu de ne rien révéler à un profane quelconque. Note du traducteur anglais.

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mais de nos jours, l'Allemagne oppose les Mathématiques à la ruée enthousiaste des croyances et agrandit jour par jour son échiquier. L'empereur - un des deux piliers du monde est maintenant de nouveau debout, mais ce n'est plus un Romain. Rome d'un côté - et de l'autre la terre - la balance n'est plus égale ; nous devrions nécessairement demander un Pape cosmopolite, puisque nous avons un Empereur universel. La Haute Magie est tout à la fois une religion et une science. Elle seule harmonise les contraires en expliquant les lois de l'équilibre et des analogies ; elle seule peut faire les Souverains Pontifes infaillibles et les Monarques absolus. L'art sacerdotal est aussi l'art royal, et le comte Joseph de Maistre ne se trompait pas quand, désespérant des croyances éteintes et des pouvoirs affaiblis, il tourna ses regards, malgré lui, vers les sanctuaires de l'occultisme. C'est de là que sortira le Salut, et déjà il se révèle aux intelligences les plus averties. La Franc-Maçonnerie qui a tant épouvanté la cour de Rome n'est pas aussi terrible qu'on le pense ; elle a perdu ses anciennes lumières, mais elle a conservé ses symboles et ses rites qui appartiennent à la philosophie occulte. Elle continue à donner les titres et les rubans des Rose-Croix ;

mais les vrais Rosicruciens ne sont plus dans ses Loges ; ils sont redevenus ce qu'ils étaient à leur origine - des Philosophes Inconnus. Martinez de Pasqually et Saint-Martin ont des successeurs qui ne se rencontrent pas en assemblées régulières. On dit que leur loge est dans la grande Pyramide

d'Egypte - expression allégorique et mystique que les naïfs et les ignorants sont libres de prendre à la lettre. Il y a une chose plus incontestablement infaillible que le Pape, ce sont les Mathématiques. Des vérités rigoureu-

sement démontrées obligent l'esprit à des suppositions que nous nous permettons d'appeler des hypothèses nécessaires, Ces hypothèses - si j'ose m'exprimer ainsi - sont les objets

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scientifiques de la Foi. Mais l'imagination exaltée par le besoin infini de croire et d'aimer, tire sans cesse de cet objectif rationnel des déductions paradoxales. Or, pour plier sous le joug la licence et les fantaisies mystiques, il faut une autorité touchant d'un côté la Raison et de l'autre le Mysticisme ; cette autorité, dogmatiquement infaillible, n'a pas besoin de l'être scientifiquement, d'ailleurs elle ne le pourrait pas. La science et la Foi sont les deux colonnes du Temple, qui en supportent le Portique. Si elles étaient toutes les deux du même côté, l'édifice tomberait de l'autre. C'est leur séparation et leur parallélisme qui devraient éternellement en maintenir l'équilibre. (1) La compréhension de ce principe mettrait fin à une mésinterprétation qui dure depuis trop longtemps et procurerait la paix à bien des âmes. A la vérité il ne peut subsister aucun antagonisme réel entre la science et la Foi. Tout ce qui a été démontré devient anattaquable, et il est impossible de continuer à croire à ce qu'on sait être faux. Galilée savait que la terre tourne ; mais il savait aussi que l'autorité de l'Eglise est inattaquable parce que l'Eglise est nécessaire. L'Eglise n'a aucune autorité en matière de science, mais elle

(1) Malgré que ceci soit vrai en un certain sens, c'est fort sujet à mésinterprétation. La Foi, au sens ordinaire du mot, savoir : une croyance en une chose dont il n'y a aucune preuve directe ou indirecte, n'a pas sa place en occultisme réel qui est une science exacte n'acceptant rien qui ne puisse être soit démontré ou, à tout le moins, d'accord et résultant nécessairement, par un haut degré de probabilité, de ce qui peut être démontré. Sans doute l'occultisme, comme toute autre science, a ses méthodes, et l'on doit comprendre celles-ci avant d'essayer à en comprendre les démonstrations ; tout comme, par exemple, on doit comprendre les méthodes de la physique mathématique avant de comprendre la preuve que des pôles de la Lune décrivent dans l'espace une certaine courbe très compliquée. Ceci n'en est pas moins un fait exactement démontré. Il en est de même des enseignements de l'occultisme ; malgré que, pour celui qui ignore les méthodes de cette science, ils peuvent paraître de vrais mystères et des matières de Foi. Note du traducteur anglais.

peut s'opposer de tout son pouvoir à l'expansion de toutes

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vérités scientifiques spéciales qu'elle jugerait, dans le moment, préjudiciable à la Foi. Au temps de Galilée les gens croyaient généralement que la popularisation du système de Copernic démentirait la Bible ; forcés plus tard d'admettre ce système parce que l'exactitude en fut démontrée, il leur devint naturellement nécessaire de trouver le moyen de concilier les deux points de vue. La terre tourne - voilà le fait - mais l'Eglise est infaillible, même quand elle déclare que ce n'est plus elle qui est infaillible mais notre St Père le Pape. (1) Ceci n'est pas dit ironiquement ; le Pape est infaillible parce qu'il est nécessaire qu'il le soit, et il l'est réellement pour tous ceux qui le croient, puisque son inf aillibilité ne s'étend qu'aux matières de Foi. L'oeuvre de la Science consiste à détacher la Foi de la lettre et à l'attacher à l'Esprit ; au fur et à mesure que la science s'élève, la Foi est exaltée. L'Evangile éternel est comme le nuage qui marchait devant les Juifs pour les guider à travers le désert ; il a un côté obscur et l'autre de lumière ; le côté obscur est celui de son mystère, le côté lumineux celui de sa raison. L'ombre s'étend sur la lettre, la Lumière émane de l'Esprit. Il y a l'Evangile de la Foi et celui de la Science. De plus la science rend la Foi imprégnable ; ceux qui doutent ne savent pas. La Foi ignorante ne dure que par l'obstination et l'obstination dans l'ignorance n'est que du fanatisme. Ceux qui croient sans savoir mais sans fanatisme commenceront bien vite à douter, et le résultat de ce doute ne peut être que la connaissance ou l'indifférence. (1) Nouvelle preuve que la folie humaine est aussi illimitée que l'espace lui-même. E.O.

Il faut apprendre ou cesser de croire. Cesser de croire est plus facile, mais pour l'âme cesser de croire c'est cesser d'aimer, et cesser d'aimer c'est cesser de vivre. Les fanatiques sont malades, mais ils vivent. Les indifférents sont morts, Les croyances aveugles n'améliorent pas l'Humanité ; elles peuvent la retenir par la crainte ou la stimuler par l'espoir, mais ni la crainte ni l'espérance ne sont des vertus. (1) Un chien peut mettre un frein à son appétit par peur du fouet, mais il n'en reste pas moins avide ; il ne fait qu'ajouter la lâcheté à l'avidité. Ainsi en est-il de nous : pour croire à une bonne intention il faut savoir. On a dit qu'un peu de science détache de Dieu et que beaucoup de science y ramène ; ce dire doit être expliqué par le fait que les débuts dans la science et la philosophie commencent par détacher l'homme du Dieu des Sots, tandis que beaucoup de science et de philosophie le portent vers le Dieu du Sage. Le Mage n'a que faire de formuler sa Foi et Dieu (2) ; il sent en soi-même le pouvoir suprême du vrai Dieu qui (1) On voit que par la Foi l'auteur entend les enseignements de l'autorité (c'est-à-dire de ceux qui présumablement en savent plus que nousmême en la matière) sur les points ou sujets sur lesquels nous ne possédons aucune connaissance, parce que une quantité de celle-ci varie constamment avec les progrès du monde et des individus, pour disparaitre finalement dans le sanctuaire de l'occultisme où tous les mystères - ceux du moins de l'univers conditionné - sont expliqués. (2) Le Mage n'a même pas besoin de croire en Dieu. E.O. C'est bien cela, il n'a pas besoin. L'occultisme ne s'occupe que de l'univers contingent qui est infini en tout ce qu'il comporte de conditionné. Supposez qu'il n'y ait dans cet univers que des Lois sans Dieu, c'est-à-dire sans qu'une volonté consciente, intelligente source de ces lois, s'y rencontre. Le Mage alors serait en droit de dire : je me contente de l'univers manifesté et contingent et ne crois pas en un Dieu qui, s'il existe quelque

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l'anime, le soutient, le fortifie et le console. Quel besoin

avons-nous de définir la Lumière, quand nous pouvons la voir ? Que nous sert-il de prouver la vie quand nous sommes vivants ? Quand St Paul fut converti, disent les Actes des Apôtres, il sentit comme si des écailles lui étaient tombées des yeux, Les écailles qui couvrent les yeux de notre âme sont les vaines présomptions d'une théologie téméraire ei les sophismes malsains d'une fausse philosophie. Les Initiés sont les Voyants et, pour la pensée, voir c'est savoir, savoir c'est vouloir, vouloir c'est oser ; mais pour oser avec succès, il nous faut vouloir et savoir être silencieux. « Ne soyez jamais zélés » dit Talleyrand, et ce même diplomate certifiait que la parole avait été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée. Cette momerie politique n'est point de notre goût ; nous ne disons pas « déguiser », nous disons recouvrez et voilez chastement cette Vierge que nous nommons la Pensée, car notre Pensée n'est plus une pensée de fausseté et d'intérêt personnel ; le voile du sanctuaire n'est pas comme le rideau d'un théâtre ; il lui arrive parfois de se déchirer, mais il ne se relève jamais. (1) suite de la note précédente. part, abscondito ou non, n'a cru bon de se faire connaitre nulle part

dans le monde manifesté et ne peut donc (si un tel être existe) obliger les hommes à croire en Lui. Mais il y a Mages et Mages, et il en est qui disent, admettant tout cela : « Nous croyons cependant par une intuition plus élevée, que l'infini de toutes les existences contingentes n'est pas tout et qu'il y a une volonté consciente et intelligente à l'origine de ces lois manifestées que seules nous pouvons connaitre, nous créatures de manifestation. Ceci est naturellement matière de Foi n'appartenant point à l'occultisme proprement mais ressortissant de l'occultisme transcendant. L'autre, l'occultisme vulgaire est ou athée ou agnostique. Note du traducteur anglais. (1) Il ne se relève jamais, mais, comme une race succède à une autre, un circuit à un autre, le voile s'éthérialise de plus en plus, destiné qu'il est à disparaitre entièrement devant le voile de la nuit cosmique qui recouvre un plus haut mystère et un sanctuaire intérieur soit tiré autour de nous et nous enveloppe. Note du traducteur anglais.

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L'Initié évite avec soin toute excentricité ; il pense comme les plus éclairés et parle comme la multitude. S'il explore les chemins de traverse, c'est seulement en vue de gagner plus sûrement et plus rapidement la grand'route. Il sait que les pensées vraies sont comme de l'eau courante. Celles du Passé se jettent dans le présent, et, courent en avant vers le futur, sans avoir besoin de remonter vers leur source pour les rencontrer. L'Initié se laisse aller tranquillement au courant mais il se tient toujours au milieu pour ne jamais risquer de se meurtrir contre les rocs qui hérissent ses bords.

Les croyances et les opinions ne se peuvent démontrer ; les hommes les choisissent par goût ou les acceptent par politique.

Résumons maintenant et précisons ces principes immuables qui nous serviront à la fois de base et de couronnement pour tout ce que nous venons d'écrire.

VII Les mathématiques pures existent en soi ; aucune volonté ne les produit, nul pouvoir ne les limite. (2) Elles sont

I L'Homme a deux moyens d'acquérir la certitude - les Mathématiques et le sens commun.

Il

Il peut y avoir des Vérités qui dépassent le bon sens, il n'y en a pas qui contredisent les mathématiques. III « Celui qui, en dehors des Mathématiques pures prononce le mot impossible, manque de prudence » (Arago), ce qui veut dire qu'en dehors des Mathématiques pures il n'existe pas de certitude complète, universelle et absolue.

IV En dehors de la certitude complète, universelle et absolue, il n'y a que des croyances et des opinions.

VI Les opinions utiles devraient être encouragées et les dangereuses ou nocives réprimées. C'est ce qui explique la lutte nécessaire entre les conservateurs et les innovateurs.

Seulement les conservateurs deviennent des persécuteurs quand ils croient - ou affectent de croire - dangereux ce qui n'est qu'évidemment utile. (1)

(1)

Très faible ! Qui doit être juge ? Ce que vous trouvez utile, je tiens que c'est nocif et vice versa. -

(2) Notre auteur empruntant les idées de Pythagore parle souvent des mathématiques comme si c'était une sorte d'existence surhumaine, des choses - comme il dit - existant par elles-mêmes, ou soi-existantes. Mais que sont elles réellement ? Simplement, logiquement, les déductions d'hypothèses rigidement limitées. Dire que leurs résultats sont certains, c'est simplement répéter avec Olivier Wendall Holmes « La logique, c'est la logique, c'est tout ce que je dis », Etant donné les choses susdites comme certaines, prouvées et définies, les déductions logiques doivent en être vraies. Les mathématiques sont des créations de l'esprit humain, et dépendent des interprétations, valeurs et limites que celui-ci donne à certains symboles. Il n'y a là rien de mystérieux ni de surhumain. Changez la balance d'équation du décimal au duodécimal, et les diverses « lois éternelles » du premier disparaissent par rapport au dernier. Passez aux calculs différentiels ou calculs de l'infinité dans lesquels vous introduisez des hypothèses non rigidement limitées, et vous arrivez du coup - parmi quelques vérités - à des quantités de solutions tout à fait hypothétiques. Dire qu'aucune volonté ne crée les mathématiques et qu'aucun pouvoir ne les limite, c'est absurde. Elles ont été créées par la Volonté qui engendre leurs hypothèses fondamentales, et c'est par là qu'elles sont rigoureusement limitées. Note du traducteur anglais.

V

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les lois éternelles que nul homme ne peut enfreindre et dont il est impossible de s'échapper. VIII IX Une chose peut paraitre absurde et cependant être vraie quand elle se place au dessus du sens commun (1). Mais une chose contraire aux lois de la mathématique est réellement et absolument absurde ; celui qui croit en une telle absurdité est donc un sot. -

Le signe de la croix, qui est l'intersection de deux lignes s'équilibrant l'une l'autre, a toujours été considéré comme un symbole divin. C'est le Tan des anciens Hébreux, le Xhi (X) des Grecs et des Chrétiens ; en mathématiques + représente l'infini et X l'inconnu ; + signifie plus et l'Infini est toujours plus. (2) Développez la science tant qu'il vous plaira, marquez son premier pas par Alpha et le dernier par Oméga, vous aurez toujours l'inconnu devant vous, l'inconnu que vous devrez reconnaitre et votre formule restera : + X (3). Tout ce que nous apprenons est enroulé autour de cet inconnu qui n'est jamais entièrement déroulé ; c'est cela qui produit toutes choses ; ne sachant pas ce que c'est, nous le personnifions et l'appelons Dieu (4). Il y eut un

l'Homme Dieu mourut sur la croix, c'est-à-dire sur l'X éternel, et seule la croix nous resta. -

X La personnification hypothétique de l'Infini ne peut être qu'infinie et exclue nécessairement l'unité individuelle. Toute individualité est forcément limitée par quelqu'autre, à moins qu'elle ne les supprime toutes. Dieu étant, au contraire, le principe de toutes les individualités, ne peut pas être un individu. C'est pour cela qu'on le dit être un en plusieurs personnes. Trois est un nombre mystique qui représente la génération de tous les nombres.

XI Dieu ne parle jamais aux hommes excepté par l'intermédiaire d'hommes. Il ne fait rien non plus dans la nature sauf par les Lois de la Nature.

XII Le surnaturel est ce qui dépasse notre intelligence naturelle et notre connaissance des lois de la Nature. XI I I

(1) Rien n'est au-dessus du sens commun, mais une chose peut aussi être trop mal définie pour que le sens commun puisse s'en saisir. Tout ce que les aphorismes sentencieux de notre auteur signifient, c'est que si la nature d'une chose - ou la connaissance que nous en avons - est telle que nous soyons incapable de la définir rigoureusement et entièrement dans ses origines et que, de là, nous tirions l'argument logique : à notre point de vue imparfait comme nos conclusions, celles-ci peuvent néanmoins être vraies ; nous ne sommes pas en mesure de décréter ; tandis que si nous pouvions rigoureusement définir les origines, nos conclusions devraient être exactes et personne sauf un imbécile ne pourrait nier le fait, Note du traducteur anglais. (2)

Cela ressemble à un faux-fuyant. Naturellement le signe ordinaire de l'infini en mathématique est . Note du traducteur anglais.

(3)

De là vient la croix thibétaine sur la coiffure du Dalaï-Lama. E.O.

(4)

Le chat est enfin sorti du sac ! E.O.

0)

134 temps où cette personnification fut réalisé sur la Terre. Mais

Dieu lui-même ne devrait pas être considéré comme surnaturel par les théologiens, puisqu'ils raisonnent sur la nature de Dieu. XIV Les Pères du Concile de Nicée avaient donné à Dieu une substance en affirmant que le Fils est de la même substance que le Père. Bien plus, s'il était impossible d'admettre sans le confondre une substance finie et une substance infinie, les arrêts du Concile de Nicée pourraient fournir des arguments aux panthéistes et même aux matérialistes. 135

136

XV Si Dieu, comme le dit le Catholicisme, nous a créés pour le connaître, l'aimer et le servir, et, par ces moyens, obtenir la vie éternelle, et si, comme l'a dit Jésus-Christ, ce que nous faisons à notre prochain, nous le faisons à Dieu ; il s'en suit que Dieu a créé les hommes pour connaitre, aimer et servir leurs semblables, et, par ces moyens, atteindre à la vie éternelle. Le vrai culte qu'on doive rendre à Dieu doit donc être la Philantropie ; et toute religion qui m'inspire, n'augmente et ne perfectionne pas la Philanthropie doit être une fausse religion,

XVI Une religion dont la connaissance serait la réprobation et la punition éternelle de la majorité des hommes, de quelques uns d'entre eux, ou même d'un seul homme, n'inspire pas la Philanthropie. Ceci ne concerne pas la doctrine catholique qui n'emploie la réprobation qu'à titre de menace et qui, en réalité, est le salut offert à tous les hommes. « Celui qui n'aime pas réside dans la mort » dit Saint Jean, et ceux que la Philanthropie rejette sont ceux qui ne veulent pas aimer.

XVII Si Dieu était, comme on le suppose ridiculement, un personnage omnipotent, qui considérerait comme point essentiel d'être honoré par certaines cérémonies spéciales, il aurait indiqué ces cérémonies de façon évidente et incontestable à tous les hommes, et il n'y aurait eu alors sur la terre qu'une forme unique de culte religieux. Mais, tel n'est pas le cas ; ce qu'Il a indiqué à tous, c'est la nécessité et le devoir d'aimer. La Philanthropie est donc la vraie et seule Religion réellement catholique c'est-à-dire universelle.

Toute parole de bénédiction et d'amour est Parole de Dieu ; toute parole de haine et de malédiction est le cri de la méchanceté humaine que les hommes ont personnifiés sous le nom du diable. XIX Un acte de Philanthropie - même le plus imparfait - est plus religieux et plus méritoire que tous les jeûnes, toutes les prières et génuflexions. XX L'attraction qui porte les sexes l'un vers l'autre n'est point de la Philanthropie ; c'est souvent, au contraire, le plus brutal des égoïsmes. XXI Cette attraction mérite seulement le nom d'amour, quand elle se sanctifie par des sentiments d'abnégation et de sacrifice. XXII L'homme qui tue une femme parce que celle-ci ne l'aime plus est un lâche et un assassin, ce qui, cependant, ne justifie pas l'adultère. Mais tout ce qui peut être dit sur ce sujet a été dit par Jésus-Christ. X XI I I La Loi doit toujours être rigoureuse, la Justice indulgente. XXIV Le petit souffre pour le grand, mais le grand doit aussi répondre pour le petit. Le riche paiera les dettes du pauvre. (1) (1) C'est seulement en un sens très lointain, ou autrement transcendant que cela est vrai. Chaque âme paie ses propres dettes, grandes ou petites soient elles. C'est là la vraie et éternelle base, à la fois de la Justice et de la Morale. Note du traducteur anglais.

XVIII

1 37

XXV Les meilleures choses, quand elles sont corrompues, deviennent plus nocives que les mauvaises. Quoi de plus vulnérable que le Sacerdoce ; et pourtant quoi de plus méprisable qu'un mauvais prêtre ? Les devoirs du sacerdoce sont si sublimes et si au-dessus de la nature humaine que tout prête qui n'est pas un saint est mauvais. Ceci explique le discrédit qui atteint le sacerdoce aux époques où le sentiment religieux est faible. Les Evangiles nous disent que le

Christ rencontra un bon larron, mais ils disent nulle part qu'il trouva un bon prêtre. XXVI Le bon prêtre, c'est le sacrifice personnel incarné ; il est la Philanthropie portée à un idéal divin ; le mauvais prêtre qui n'est pas un saint est mauvais. Ceci explique le pour ses marmites. XXVII Tout ce qui fait du bien est bon ; tout ce qui fait du mal est mauvais.

XXVIII Tout ce qui nous plait nous semble bon, et tout ce qui nous gêne ou nous afflige nous semble mauvais. Mais nous nous trompons souvent nous-mêmes, et ces erreurs sont les circonstances atténuantes du péché. X XI X Le mal n'a pas d'existence réelle, ou, pour mieux dire, le mal n'existe pas d'une manière absolue. Ce qui ne devrait pas être n'est pas : cela est certain et incontestable. (1) (1) Ce n'est ni certain ni contestable : tout le paragraphe traite d'une façon peu satisfaisante et sophistique de l'énigme éternelle - l'origine du Mal. On peut dire, en un sens, que le Mal est l'ombre nécessaire pour mettre le bien en lumière mais pour nous l'obscurité est réelle tout de même ainsi en est-il du Mal. L'explication de l'occultiste est que le Mal n'est que la transgression des lois naturelles ; l'univers étant

138

XXX

Il est impossible d'aimer le Mal pour lui-même, sachant ce qu'il est, et lorsqu'il ne présente aucune apparence de

Bien. Ce que nous appelons Mal existe comme l'ombre nécessaire à la manifestation de la Lumière. Le Mal métaphysique est une erreur ; le Mal physique est une souffrance ; mais l'erreur est excusable quand elle est involontaire. Savoir pertinemment que nous nous trompons et persister dans notre erreur, ce n'est plus se tromper soi-même, mais chercher à tromper les autres. Quant à la souffrance physique, elle est un préservateur contre les abus des plaisirs et leur est en même temps un remède. Elle exerce la patience du Sage, admoneste le sans-souci, châtie le méchant. C'est donc plutôt un bien qu'un mal. Suite de la note de la page précédente.

le fruit de Lois immuables. Or, une de ces lois est l'évolution. A un certain degré de celle-ci, les êtres conscients sont développés, et alors commence pour eux, par suite de leur transgression involontaire - parce qu'ignorante - des lois de physique qui régissent l'univers, les maux physiques, la souffrance corporelle, etc... Au degré ultérieur d'évolution, c'est l'intelligence et la responsabilité morales qui sont développées, et alors le mal moral commence par la transgression des lois morales de l'univers, transgression accomplie par des êtres évolués qui ont développé en soi une volonté et un sens moral leur étant propres. Il n'y a pas à essayer de nier cette réalité - quo ad nous - du mal ; mais là est le résultat inévitable de la violation des lois immuables de la Nature. Il est parfaitement admis que les énergies récupérantes (Loi de reconstruction de l'efficient par l'effet) de la nature font sortir le bien du mal (souvent peut-être toujours dans la longue course) tout comme le corps en putréfaction devient un agent de fertilité ; mais le mal n'en reste pas moins par rapport à nos sens, aussi réel que l'est l'odeur répugnante de la putréfaction. Il est probable que c'est principalement la réalité du mal qui incite une partie des Occultistes à dire non seulement « nous ne trouvons pas de Dieu dans l'univers », mais encore à affirmer qu'il n'en existe pas en dehors et qu'il n'y a aucune volonté consciente et intelligente comme source de ces Lois connaissables. Car, prétendent-ils, s'il y avait un Dieu, c'est Lui qui serait responsable de tout le Mal commis ; et conséquem-

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XXXI Le désordre dans la Nature n'est jamais plus qu'apparent, et tous les miracles allégués contre ce fait sont ou bien des phénomènes exceptionnels ou des trucs de jongleurs.

XXXII Quand vous voyez un phénomène contraire en apparence aux lois démontrées par les Mathématiques (1), soyez Suite de la note de la page précédente. ment ne pourrait plus être Dieu, ce qui signifie Bon. Une autre partie d'occultistes prétendent par contre que - limités contingents comme nous le sommes dans l'univers, nous ne pouvons tirer aucune conclusion par rapport à ce qui est en dehors de cet Univers, ni réaliser, ni concevoir quoi que ce soit qui y ait trait ; mais que, en même temps, ils possèdent (eux) une intuition spirituelle par laquelle ils savent qu'il existe une telle volonté consciente et intelligente, essence de toute perfection ; ils le savent sans être capables de le concevoir. Et ils ajoutent que si les Adeptes de la première catégorie n'ont pas cette intuition c'est simplement parce que leur intuition psychique particulière, leur éducation ou entrainement psycho-physique les rend inaptes à toute intuition spirituelle, de même que l'entraînement matério-physique des athlètes ordinaires les rend incapables d'intuition psychique. L'homme, disent-ils, qui éduque et développe ce que j'appellerai - faute d'une terminologie plus exacte ses pouvoirs psychiques, de façon à guider les lois de la nature, à dominer les élémentaux, et à manipuler la Lumière astrale, cet homme ferme effectivement les portes sur ses plus hautes perceptions spirituelles, de même que le fait l'homme qui entraine et développe ses pouvoirs physiques en vue de gagner les coupes d'argent sur la Tamise, ou la ceinture de champion du monde. Nous autres étudiants, nous n'avons qu'à nous tenir assis aux pieds de nos maîtres respectifs et à les écouter. Nous ne pouvons nous rendre compte de qui a raison ; une chose est certaine c'est que - quel que soit celui qui est à la hauteur de ces mystères transcendants - les vrais adeptes de toutes catégories sont presque aussi supérieurs aux hommes ordinaires que ceux-ci le sont par rapport aux singes. Note du traducteur anglais. (1) Il est assez malaisé de comprendre ce qu'on entend par là. Il est certain que les lois de la mathématique démontrent que deux ne peuvent tenir la place d'un. Cependant, sans aucun sortilège, l'occultiste double ou décuple des choses malgré que votre sens d'observation ait été parfait et sans que vous ayez été ni dupé ni halluciné. Note du traducteur anglais.

140 sûr ou bien que vous avez mal observé ou que vous avez

été dupé, à moins que vous n'ayez été halluciné.

XXXIII La vérité n'a nul besoin de miracles, et nul miracle ne peut prouver ce qui est faux.

XXXIV Les Lois générales de la Nature sont connues de la Science ; mais, ni les Forces, ni tous les agents n'en sont jusqu'à présent connus. On a pu obtenir une lueur sur le magnétisme animal qui existe certainement ; mais la Science le traite comme un problème qu'elle n'a pas encore essayé de résoudre. XXXV Certaines gens s'étonnent que les phénomènes ne se produisent jamais en la présence de savants. C'est simplement parce qu'aucun ou bien peu de savants (2), témoins d'un phénomène qu'ils jugeraient inexplicable pour eux, auraient le courage d'attester qu'il s'est produit. XXXVI La Lumière que nous voyons n'est qu'une partie infime de la Lumière Infinie. Ce sont ces quelques rayons de notre Soleil qui sont en rapport avec notre organe visuel. Notre soleil, lui-même, n'est qu'une lampe adaptée à notre état de nuit ; ce n'est qu'un point lumineux dans l'espace qui serait les ténèbres aux yeux de notre corps, et qui est resplendissant pour l'intuition de nos âmes. (2) Ceci qui était assez raisonnable il y a quelque vingt ans est devenu caduque : nombre de savants ont, ces temps derniers, constaté et attesté ces phénomènes. Note du traducteur anglais.

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XX XVII Le mot magnétisme exprime l'action et non pas la nature du grand agent universel qui sert de médiateur entre la pensée et la vie. Cet agent est la Lumière infinie, ou plutôt car la Lumière n'est en soi qu'un phénomène - c'est le Porte-

Lumière, le grand Lucifer de la Nature, le médiateur entre la matière et l'esprit (1), que les ignorants et les imposteurs appellent le Diable, et qui est la première créature de Dieu. XX XVIII

Quoi de plus absurde et de plus impie que de donner au diable, c'est-à-dire au Mal personnifié, le nom de Lucifer qui signifie Porte-Lumière ? Le Lucifer intellectuel est l'esprit d'intelligence et d'amour ; c'est le Paraclet, le St Esprit et le lucifer physique est le grand agent du magnétisme universel.

XXXIX Personnifier le mal et en faire une intelligence rivale de Dieu qui peut continuer à comprendre et ne peut plus aimer, voilà qui est une monstrueuse fiction. Croire que Dieu

permet à cette intelligence mauvaise de tromper et de détruire ses faibles créatures, déjà si faibles par elles-mêmes, c'est faire de Dieu un personnage plus mauvais même que le Diable. Car Dieu, en ôtant au Diable la possibilité de

repentir et d'amour, s'oblige lui-même à faire le Mal. Bien plus, un esprit d'erreur et de mensonge ne peut être qu'une folie pensante et ne mérite même pas l'appellation d'esprit. Le Diable est le contraire de Dieu ; donc si Dieu se définit ainsi : Je suis celui qui est, le Diable doit se dire : Je suis

celui qui n'est pas.

(1) Lumière astrale, réservoir d'électricité occulte véhicule du Chaos Primordial. E.O.

Nous devons chercher l'esprit des dogmes, tout en acceptant la lettre dans son intégrité, telle que le Sphinx sacerdotal nous l'a transmise. Cette lettre est évidemment absurde, afin que nous cherchions au-delà et plus haut. Il est certain que pour agir il faut commencer par être, que pour pécher, il faut avoir une conscience, et qu'en conséquence on ne peut naître coupable. On ne peut pas non plus faire quelque chose de rien, ni Dieu être un hOmme, pas plus qu'un homme peut être Dieu ; Dieu ne peut ni souffrir ni mourir, et la femme qui donne naissance à un enfant ne peut pas être Vierge, etc... etc... Donc personne ne peut soutenir sérieusement le contraire de ces vérités si palpables et évidentes, sans nous avertir qu'il y a là un mystère, c'est-à-dire un sens

caché qui doit être extrait et compris, sous peine de devenir soit un incroyant soit un sot. XLI Ce qui excuse les soi-disant athées, c'est la conception déplorable que la masse se fait de Dieu. Les hommes l'ont doué de tous leurs propres vices, et se sont imaginés le faire grand en exagérant ces vices, jusqu'à des proportions paradoxales. Ainsi par exemple : Orgueil. Dieu n'a pour but que sa propre gloire. Il cherche cette gloire dans l'abaissement de ses rivaux - comme s'il pouvait en avoir ! Il torture pour l'éternité ses misérables créatures - dans le but de sa gloire ; il à tué son propre fils - toujours pour sa gloire !

Avarice. Maître absolu de tout ce qui est bon, il donne à la majorité de ses enfants que la misère, et distribue ses faveurs au plus petit nombre, mais seulement avec lenteur et parcimonie.

Envie. Il est le Dieu jaloux. Il proscrit la Liberté ; il égare la raison et la sagesse et favorise de préférence l'ignorance et l'idiotie.

XL

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Gourmandise. Il n'est jamais rassasié de la chair de ses victimes ; sous l'antique Loi il demandait des holocaustes de taureaux ; sous la Loi nouvelle il renifle l'odeur des victimes humaines brûlant dans les auto-dafés. Luxure. Il lui faut des vierges - comme au Minotaure. Il a ses sérails où languissent d'amoureuses demoiselles et des moines torturés par d'obscènes cauchemars. Il a inventé le célibat pour créer des fantômes, plus indécents que toutes les orgies romaines et tous les rêves anormaux. Colère. Le sujet principal des Livres Sacrés et de la collection des sermons, est la grande colère de Dieu. La fureur déchaine la peste, et, dans sa rage implacable, il creuse un Enfer pour toute l'Eternité. Paresse. Après une éternité de repos, il travaille durant six jours (1). Ce travail consistait à donner chaque jour un ordre et, après avoir donné ces six ordres, il sentit la nécessité de se reposer. Or, combien St Jean avait tort, lorsqu'après avoir représenté le Mal sous la forme d'un monstre à sept têtes, il nous dit que les hommes se protesternèrent devant cette Bête (2) et l'adorèrent. St Jean ajoute que les anti-chrétiens doivent animer cette image, la faire parler, et que le monde se prosternera devant ce simulacre vivant de la folie humaine. Prenons bien garde de penser que cela puisse jamais se réaliser en la personne d'un Souverain Pontife du Catholicisme ; il est sans nul doute question ici de quelque Anti-Pape ou peutêtre du Grand Lama du Thibet.

(1) Naturellement ces six jours représentent inter aria les six cycles oeuvrant - ou circuits de l'homme, le 7e étant le cycle du repos. Note du traducteur anglais. (2) Interprétation correcte. Il n'y a pas plus de Dieu personnel dans les idées de Jean que dans nos propres cerveaux. E.O. (I) Il faut aller en arrière bien plus loin que St Vincent pour trouver

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XLII St Vincent de Lérins dit que ce qui appartient seul au dogme vraiment Catholique ou Universel est ce qui a été admis en tous temps, en tous lieux et par tout le monde. (1) Ceci simplifierait merveilleusement la symbologie et agrandirait prodigieusement le champ de l'Eglise. XLIII On a coutume de répondre à ceux qui critiquent les enseignements des théologiens : êtes-vous d'un esprit plus fort que St Augustin ? Avez-vous plus de génie que Bossuet ou plus d'intelligence que Fénelon ? Ces questions sont très ridicules quand elles portent sur un point de sens commun. Je suis certes bien moins fort en mathématiques que Pascal et pourtant, si j'avais vécu le temps de ce grand homme et que je l'eusses entendu dire ou laissé dire devant moi que deux et deux font cinq, j'aurais considéré sa grande autorité comme nulle et aurais continué à croire - ou plutôt à savoir que deux et deux font quatre. XLIV Les grands savants qui se sont tus, comme ceux qui ont parlé d'une certaine manière, ont eu assurément de bonnes raisons, leur étant propres, pour se taire ou pour parler. Les hautes vérités ne sont pas faites pour les âmes basses ; il leur faut des contes, comme aux enfants, et des menaces pour les lâches ; il faut qu'il y ait des absurdités pour la folie et des mystères pour la crédulité. Nous ne pouvons regarder le soleil qu'à travers un verre noirci ; si nous voulions le regarder directement, il nous semblerait noir et nous aveuglerait. Dieu est pour nous comme un soleil ; nous le « quod semper ubique et ab omnibus »,

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devons cheminer, dans sa lumière avec les yeux baissés ; si l'on essayait de le regarder en face, la vue s'étendrait. La

science la plus dangereuse et la plus triste est la théologie, parce qu'elle se prétend à tort une science de Dieu, alors qu'elle est plutôt une science née de la sottise de l'homme,

lorsqu'il cherche à expliquer le mystère insondable de la divinité. XLV La Lumière de Dieu brille en chacun de nous ; c'est notre conscience. Faire le Bien auquel celle-ci nous incite et éviter le Mal contre lequel nous met en garde, tels sont nos devoirs envers Dieu. XLVI Dieu sème l'idée dans l'Infini, et les rayons des Soleils font naître le germe des Planètes. Les animaux sont issus de la terre comme les arbres, mais, pas plus que ceux-ci ne sont nés tout formés et de toute leur taille ; les espèces ont leurs périodes embryoniques, tout comme des individus, et chacun selon son espèce. S'imaginer que Dieu a tout d'abord modelé une statue d'argile pour ensuite souffler dessus en vue d'en faire un homme, c'est croire un conte en tout semblable à ce qu'on raconte aux petites filles sur les bébés qu'on trouve sous un plant de chou. Est-ce que Dieu serait nié ou seulement diminué si l'on cessait de le considérer comme un statuaire ? C'est la nature qui crée toutes choses progressivement et lentement par degrés, opérant toujours par les fonctions équilibrées des forces inhérentes à la substance ; mais c'est le verbe divin qui guide ces forces vers l'idéal de la Forme. La nature exécute, elle n'invente pas. Les pensées qui se rapportent à la matière ne proviennent que de la Matière, quoique la Matière ne pense pas. A partir du développement de la première cellule vivante jusqu'au perfectionnement de la forme humaine Dieu a dit à toutes les forces de la Nature : « Faisons un homme » et son « Fiat »

a duré pour des millions d'années qui, devant Lui, ne furent qu'un instant. La Genèse n'est pas l'histoire naturelle de l'homme, c'est le prologue de son épopée religieuse. Le couple primitif, c'est l'unité humaine établie dans la première famille de croyants. Quand Dieu fit passer sur le visage de l'homme un souffle d'immortalité, l'homme avait déjà un visage. Qu'était-il donc alors, sinon une sorte d'animal anthropoïde ? Certes l'homme ne descend pas du singe ; mais il se pourrait peut-être que le singe et l'homme descendissent du même animal primitif. La théorie de Darwin ne contredit pas la Bible ; il lui restitue son caractère du Lion symbolique, exclusivement religieux ; la grande semaine de la Création est une série d'époques « géologiques » (1) et l'on dit que Dieu se reposa quand l'homme commença à comprendre que l'univers marche de soi-même. (2)

XLVII Le surnaturel est l'éternel paradoxe du désir illimité. L'homme aspire à s'assimiler à Dieu, et il le fait par la Communion Catholique. A juger du point de vue rationaliste, et, considéré d'une façon purement naturelle, cette communion est une colossale extravagance. Selon la communion catholique on consomme l'esprit d'un Dieu et le corps d'un homme ! Manger un esprit et, de plus, un Esprit infini ! Quelle folie ! Manger le corps d'un homme ! Quelle abomination ! Théophagie et anthropophagie ! Quels titres à l'immortalité ! Et pourtant qu'est-ce qui peut être plus beau, plus consolant, plus réellement divin que la communion ca-

(1)

Ou plus exactement des cycles de développement partant soit du zéro à l'homme-singe, ou de l'homme-singe au Nirvana. Note du Traducteur anglais.

(2)

Très ingénieux... Note du traducteur anglais.

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tholique ? (1) Le besoin religieux, inné chez l'homme, ne trouvera jamais satisfaction plus complète, et combien vivement nous sentons que cela est vrai, quand nous y croyons. Dans une certaine mesure la Foi croit ce qu'elle invente et affirme ; l'espoir dans le surhumain ne trompe jamais, et l'amour du divin ne connait pas de déception. La première communion est le couronnement de la royauté humaine, c'est l'inauguration du côté sérieux de la vie, c'est l'apothéose et la transfiguration de l'enfance, c'est la plus pure de toutes les joies et le plus vrai de tous les bonheurs. XLVIII Il y a donc quelque chose à expliquer, quelque chose qui est au-dessus de la Nature et de la Raison, à justifier et à satisfaire dans les plus hautes aspirations de l'une et de l'autre. De ce point de vue le surnaturel apparait naturel, et la formule paradoxale des hypothèses nécessaires devient parfaitement raisonnable. C'est l'esprit humain qui construit l'impossible dans le but d'atteindre à l'Infini.

XLIX D'après les Pères de l'Eglise, l'ancienne Loi n'était que l'image, l'ombre de la Loi nouvelle. Les étonnantes histoires de la Bible ne sont que des images (ils ne disent pas des allégories, le mot aurait été dangereux), des images du dogme nouveau inauguré par Jésus-Christ, et la base de ce dogme est que Dieu est personnellement uni à l'Humanité ; que nous devons aimer et servir Dieu dans l'homme, en un mot nous aimer les uns les autres, ce qui résume toute la Loi et les Prophètes. Il n'y a donc rien dans la Bible qui ne soit conforme aux Evangiles, et l'esprit des Evangiles est l'esprit de Charité. L S'aimer les uns les autres et ne pas abaisser, maudire, excommunier, persécuter, brûler son prochain. S'aimer les uns les autres et conséquemment s'assister, se consoler, se soutenir, se bénir l'un l'autre. La Charité c'est l'Humanité douée d'un Principe divin ; c'est la solidarité enrichie d'abnégation ; c'est l'esprit des Saints et, par conséquent, c'est le véritable esprit de l'Eglise catholique, c'est-à-dire universelle. Ceux qui ont un esprit contraire à celui là n'appartiennent pas à l'Eglise. Mais la Charité dans l'Eglise doit conserver par dessustout la Hiérarchie et l'union (1). Il est juste de protester contre les abus de l'autorité, mais non contre l'autorité elle-

(1) C'est très bien quand les prêtres sont tous des adeptes des plus hauts mystères occultes, comme Eliphas Lévi ne cesse de répéter qu'ils devraient l'être tous, et quand les doctrines sont celles de la sagesse ou religion éternelle. Note du traducteur anglais.

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même (1). Il existe en ce moment une nouvelle secte protestante qui s'intitule « Vieux catholiques », tout comme si un enfant nouveau-né pouvait se dire vieux parce qu'il a un grand-père ? Mais les ancêtres de ces Protestants ridicules n'étaient point de vieux catholiques ; ils seraient morts mille fois plutôt que de se séparer de la Hiérarchie et de l'autorité. Leurs ancêtres à ceux-ci sont les hérétiques de tous les temps, et leur grand-ancêtre a nom Satan, l'irréductible vieux catholique. (2)

culte délivré des intérêts matériels ne sera plus un objet d'entreprise mercantile. Cela sera parce que cela doit être, et l'on découvrira alors que dans les dogmes chrétiens, il y a - de même qu'en les premières parties de la Bible - des images et des ombres de la religion de l'avenir, celle qui déjà existe et pourrait se dénommer Messianisme, Paracletisme, ou mieux encore catholicisme absolu. Cette Religion-là sera la Lumière de tous les esprits et la vie éternelle de toutes les âmes. (1)

LI Si la Religion doit être une, si elle doit être Sainte, si elle doit être universelle, si elle doit conserver et continuer la chaine de la tradition, si elle doit reposer sur une autorité hiérarchique légitime, si elle doit réaliser et donner tout ce qu'elle promet, si elle doit avoir pour tous les signes de pouvoir et de consolation, si elle doit voiler pour les vues trop faibles l'éclat des vérités éternelles, si elle est pour unir en une seule gerbe toutes les espérances des âmes les plus exigeantes, cette Religion ne peut être que catholique et toutes les nations du monde rentreront bientôt au sein de la catholicité lorsque quelque Pape éclairé aura le courage de désavouer hardiment les petites passions, pleines d'envie et de haine, du sacerdoce catholique ; quand un clergé savant aura la compétence voulue pour réconcilier les lumiè-

(1) Evidemment quand autorité signifie réellement supériorité en connaissance spirituelle. Mais lorsque l'auteur descend d'un bond des hauteurs de cette Eglise utopique et du clergé de ses espérances pour se trouver dans l'arène de l'Eglise Catholique telle qu'elle est, il a tort d'attaquer les soi-disants vieux catholiques et de les incriminer de schisme, ce qui, après tout, n'est qu'un pas, soit-il petit, vers la raison et la vérité : ce faisant, il nous semble que c'est lui, E. L. qui devient l'enfant et le disciple de l'erreur. Note du traducteur anglais. (2) Voilà qui est très consistant avec tout ce qu'il a dit précédemment. Est-ce là sa charité à lui ? E.O.

150 res de la Raison avec les obscurités de la Foi, et quand le

(1) 11 serait peut-être permis de dire que ce qu'on vient de lire ne rend pas entièrement ni n'épuise notre conception de l'Eglise idéale du Futur. Quoi qu'il en soit, une chose reste certaine, c'est que, sous peine de perdre toute sa vitalité, elle ne doit avoir rien de commun avec le « Catholicisme » ou tout autre assemblage saturé de conceptions surannées et constituant une masse d'idées déjà développées, de préjugés et de superstitions. Ce qui détruisit la vitalité des enseignements du Christ, ce qui tourna son amour et ses bénédictions en haine et en malédictions contre l'humanité, ce qui rend nécessaire aujourd'hui qu'on prêche à nouveau ce qu'il enseigna réellement, c'est simplement qu'on n'a pas tenu compte de son avertissement de ne pas mettre du vin nouveau dans les vieilles outres. Quand les Pères de l'Eglise chrétienne se mirent à déguiser et à arranger les vérités occultes du vrai Christianisme, avec le rebut des natures d'autres Fois mortes ou moribondes, ils étouffèrent l'enfant nouveau né aussi effectivement que s'ils l'avaient enterré vif parmi les cadavres qu'ils dépouillaient pour lui procurer des langes. La théosophie ne peut pas être tenue pour absolument irréprochable, en tant que nom, pour la Religion de l'avenir, parce que, aux yeux des étudiants, ce nom s'associe à des doctrines et à des idées pas tout à fait vraies malgré qu'elles aient des affinités avec la vérité. Pour la masse de l'Humanité le mot est vide de sens quand il n'y a pas association, et les étudiants - à moins qu'ils n'y consentent - ne se laissent pas facilement égarer. Quoi qu'il en soit, parmi les noms qu'Eliphas Lévi suggère, il est préférable de s'en tenir à celui-ci qui a le mérite d'être moins et Moins entaché de dogmatisme tyrannique. Note du traducteur anglais.

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LE GRAND SECRET

Ne pas succomber sous les forces immuables de la Nature, mais les diriger ; ne pas permettre qu'elles vous enchainent, mais les utiliser au bénéfice de la Liberté immortelle ; c'est là le grand Secret de la Magie. La Nature est intelligente, mais elle n'est pas libre. Les corps célestes ont des âmes instinctives comme celles des animaux, et ils s'engrossent réciproquement ; les planètes sont le sérail du Soleil et les soleils sont le troupeau docile de Dieu. La Terre a une âme qui obéit au Soleil sous les décrets du Destin, et, instinctivement, obéit aussi à l'homme. Mais il faut à l'homme une grande science, une grande sagesse ou une grande exaltation, pour commander à l'âme de la Terre. La folie a ses prodiges, plus nombreux certes 153

que ceux de la Sagesse, parce que celle-ci ne cherche pas à en produire, mais tend, au contraire, naturellement à en éviter l'occasion. On dit que le Diable opère des miracles ; en fait il n'y a peut-être que lui à en opérer dans le sens que les masses ignorantes donnent à ce mot. Toute chose qui tend à écarter l'homme de la Science et de la Raison est assurément l'oeuvre d'un principe de Mal. Le Soleil est intelligent (1), mais non pas la terre ; celleci ne produirait rien sans le Soleil et le travail de l'homme. Le Soleil est son générateur, l'homme sera son « accoucheur », et c'est à son corps défendant, avec répugnance, qu'elle se soumet aux caresses de son époux et aux soins de son médecin. Les animaux mal organisés, les fauves, les insectes nuisibles, les plantes parasites et vénéneuses, les avortons, ]es monstres, les fléaux, sont les fruits de sa grossièreté. Elle résiste tant qu'elle peut et sa résistance n'est pas un crime : elle n'est que la créature de la Loi et sert de contre-poids à l'activité du Soleil. Selon la tradition hiératique, l'homme, ce fils unique de Dieu, devrait commander à la Terre, mais, ayant enfreint la loi de Dieu, il a cessé d'être libre, et les esclaves sont tous égaux par devant l'esclavage. L'âme de la Terre est hostile à l'Homme (2) parce qu'elle sent qu'il a perdu le droit de lui commander ; elle lui résiste et le trompe ; c'est elle qui forge les rêves, les cauchemars, les visions, les hallucinations... Elle est favorisée en cela par le fanatisme, la débauche, l'ivrognerie et tous les désordres nerveux ; les fous, les femmes hystériques, les cataleptiques et les somnambules, sont tous aussi sous (1)

(2)

Ceci est un sacrifice de la Vérité à la littérature. E.O. Et la plus grande partie du reste de ce paragraphe est pure sottise. Note du traducteur anglais. Pourquoi dit-il la Terre au lieu de son satellite ? Notez que, lorsque l'auteur fait allusion à l'âme de la Terre, il entend toujours dire l a L u n e E.O.

154 son influence directe. On la nomme aussi Lumière Astrale,

et c'est elle qui produit toutes les fantasmagories du spiritisme. Nous admettons que ce nom « Lumière astrale » ne s'applique qu'imparfaitement à l'âme de la Terre. Le pouvoir instinctif de notre planète ne se manifeste en effet que par électricité négative et magnétisme ; l'électricité positive, la chaleur et la lumière viennent de l'influence du Soleil. L'âme de la Terre s'irradie spécialement durant la nuit. La lumière restreint et repousse ses effluves. C'est surtout à minuit, à la saison des longues nuits hivernales que les fantômes apparaissent de préférence. (1) Un homme n'est pas un saint par la simple raison qu'il a des visions ; mais on peut avoir des visions et être tout de même un Saint ; seulement ces visions chez les Saints ne laissent pas de revêtir toujours quelque chose de ridicule ou de hideux. Ste Thérèse était tourmentée par le sang et croyait voir des murailles vivantes, qui s'entrechoquaient et un chérubin armé d'un arc qui tirait dessus. Marie Alacoque voyait J.-C. s'ouvrir la poitrine et exhiber un coeur palpitant et saignant. Martin de Gallardon voyait un ange sous la livrée d'un laquais ; les enfants de la Saiette ornaient leur Vierge d'un immense chapeau de paysanne, d'un tablier jaune, avec des roses piquées dans ses pieds. Bernadette Soubirous voyait N.D. de Lourdes habillée comme une fillette prête à faire sa première communion, avec un petit tablier bleu et des roses jaunes, les tiges plantées dans ses pieds nus. Berbignier vit Jésus-Christ dans le milieu de plusieurs bobèches plates ; cette vision de bobèches se renouvela à Pontmain où l'on vit quatre bougies fixées au mur du

(1) Parce qu'on ne sent pas la lune durant le jour comme cela arrive la nuit. E.O.

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Firmament et la bonne Vierge siégeant au milieu d'elles. Ravaillac voyait les cierges sacrés flotter autour de sa tête et entendait une voix lui ordonner de tuer Henry IV (1). L'âme instinctive de la Terre demande ardemment du sang et favorise les exaltations qui portent à en verser. Les spectres, pareils à des corbeaux, semblent flairer de loin l'odeur des massacres et des champs de bataille. La mort de César, la guerre civile qui en résulta et les sanglantes proscriptions du Triumvirat furent annoncées par des prodiges dont parle Virgile. Peu avant la guerre d'extermination que les Romains firent aux Juifs, le Temple était plein de visions et de merveilles. Les miracles morbides des convulsionnaires précédèrent de bien peu les hécatombes de la Révolution que suivirent de près les grandes guerres de l'Empire. De nos jours, les esprits sont devenus des jongleurs et les morts hantent nos salons, devenant familiers avec les dames... Nous venons de passer par la guerre avec l'Allemagne et par la Commune, qu'avons-nous encore à attendre ?

L'homme, enfant de la terre, reste en communication magnétique avec elle. Il est lui-même un aimant spécial qui peut augmenter indéfiniment ses pouvoirs en combinant ses imaginations et ses volontés. Alors, les choses inertes sont magnétisées et, sous l'influence de l'âme physique de la Terre, attirée et mal dirigée par l'homme, ils peuvent se déplacer, s'élever, produire des craquements, des coups frappés, etc... Parfois même, une sorte de coagulation aérienne modèle grossièrement une forme fugitive quelconque ; des gens croient voir des lumières ou des mains ; des rêves se revêtent de corps, et la nature semble en délire ; des pythonisses nouvelles griffonnent au hasard de nouveaux

mêmes causes produisant toujours les mêmes effets. Est-ce que l'homme réussira jamais à apprivoiser cet animal tourbillonnant et dévorant que nous appelons la Terre ? Non, aussi longtemps qu'il n'y aura pas découvert un fulcrum » (2) pour le levier d'Archimède, et tant que la monture sera toujours sûre de jeter bas son cavalier. C'est en vain que l'homme tourmente la Terre, celle-ci finira toujours par l'engloutir. De là vient que le grand rêve de Prométhée - c'est-à-dire le rêve du génie humain - a toujours été le secret d'Hermès, autrement dit la découverte d'une panacée contre la maladie, la vieillesse et la mort. Le désir de l'immortalité qui a toujours hanté l'âme humaine, est une protestation contre notre allégation touchant la voracité de la terre ; mais la Religion a placé l'immortalité dans la Mort et se flatte seulement de réussir à affranchir de l'esclavage de la Terre cette partie de nous-mêmes qu'elle veut élever jusqu'au ciel. Dans le langage symbolique, le Ciel est esprit et la Terre matière ; le Ciel, c'est la lumière et la Terre c'est la Ténèbre ; le Ciel, c'est le Bien, la Terre, c'est le Mal ; le Ciel est le

(1) Tout ce passage indique ou un défaut de savoir ou le désir de jeter le mépris sur des pratiques dont l'auteur connaissait bien les dangers. Mais le moyen d'affronter le mal ne consiste pas à le contrefaire ni à le mal représenter, mais à l'établir tel qu'il est, loyalement, et, en même temps, faire ressortir tout aussi loyalement les côtés suspects qu'il présente. C'est cela que l'auteur a tout à fait omis de faire quand il s'est agi de spiritisme. Quant à ses voyants et anciens oracles, il se montre peu honnête puisqu'il sait que ces oracles de l'antiquité étaient pour la plupart parfaitement sérieux et dignes de foi, et qu'il sait aussi pourquoi et jusqu'à quel point ils l'étaient. Note du traducteur anglais. (2) Je n'ai pu trouver l'équivalent de ce mot en français - peut-être frein ? Note du traducteur français.

(1) Guiteau aussi entendit une voix. E.O.

oracles - tout aussi peu sérieux que ceux des anciens (1), les

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Paradis, la Terre est l'Enfer. Bien plus, les théologiens qui croient à un Enfer localisé, ne lui trouvent d'autre place que dans le centre de la terre ; c'est là qu'ils le situent, ce qui semble affirmer la matérialité du Mal. La terre est paresseuse parce qu'elle est lourde et matérielle, et comme la paresse produit l'inanition, la terre engendre des espèces imparfaites réduites à se dévorer mutuellement les unes les autres. Elle aime à produire des êtres qui s'entretuent, parce qu'elle s'engraisse des cadavres de ses enfants. La guerre est la raison d'être inévitable de l'existence terrestre et le triomphe appartient toujours au plus fort. La force ne procède pas du droit ; elle le constitue ; ce que Darwin appelle « sélection naturelle » c'est le triomphe de la Force. Pourquoi y a-t-il des avortons dans la Nature ? Pourquoi tant de dessins imparfaits si le Pouvoir créateur est omnipotent ? Parce que toute la Force a la résistance comme frein, parce que l'inertie lutte contre le mouvement, parce que l'ombre doit équilibrer la lumière. Tout est prévu par l'Intelligence universelle souveraine et la Providence de Dieu n'est pas une invention personnelle directe. Dans la genèse Dieu ne crée pas les animaux, il dit à la terre de les produire (1). Dieu a fécondé la terre, la Nature, et celle-ci est devenue mère produisant, sans aide, par elle-même. Mais elle ménage ses efforts et simplifie ses grands travaux ; elle produit la vie et celle-ci, à son tour, travaille à différencier les formes, selon des conditions circonscrites. Un effort engendre un autre effort ou d'autres efforts ; une forme génère d'autres formes, et le progrès n'est possible que par la loi de transformation. Ces mystères de la Nature démontrent (1) Alors ce ne peut être appelé providence ; qui a jamais entendu parler d'intervention impersonnelle ? E.O.

et expliquent ceux de la Religion qui mettent le plus à

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l'épreuve l'entendement humain. La sélection divine, c'està-dire le salut final, uni à la réprobation probable du plus grand nombre ; la porte étroite, la régénération ou transformation morale, la résurrection ou transformation future de l'homme qui est maintenant, en un être plus parfait. Ainsi, ce que l'on pensait devoir ébranler la Foi ne fait que la corroborer, ce que l'on pensait de nature à renverser la Religion la rétablit. Les paradoxes affirmés par Darwin expliquent les oracles de Jésus-Christ, et nous croyons avec d'autant plus d'assurance que nous connaissons mieux ce que nous devons croire. Les vérités finiront tôt ou tard à conquérir l'opinion publique, et celle-ci, quand elle s'appuie sur la Vérité, se revêt toujours d'autorité ? On commence par condamner Galilée ; plus tard on est bien forcé d'admettre ses affirmations, et l'Eglise n'en est pas moins infaillible, parce que l'autorité est chose nécessaire. Or, quand l'Eglise transmet son autorité au Pape, le Pape devient infaillible par une infaillibilité autoritaire, mais non miraculeuse ; une autorité peut être transmise, un miracle ne le peut pas. Le désir de religion est le premier besoin de l'âme humaine ; il existe au même rang que l'amour et dans l'amour même. « Il existe » dit M. Tyndall, l'un des savants les plus en vue d'Angleterre. « D'autres choses tissées dans les fibres intimes de l'homme, telles que les sentiments de vénération, de respect, d'admiration, et non pas seulement d'amour sexuel dont nous venons de parler, mais l'amour du Beau dans la Nature, au physique et au moral ; l'amour de la poésie et les arts ; mais il y a aussi ce sentiment profond qui, depuis l'aurore des siècles, probablement bien avant qui, depuis l'aurore des siècles, probablement bien avant l'ère d'aucune histoire, s'est incorporé dans toutes les religions du monde. Vous pouvez rire de ces religions, mais en tout cas vous ne pouvez rire qu'à certaines particularités de forme, et vous ne toucherez pas à la base immuable du sentiment religieux qui existe dans la nature émotive de ,

l'homme. Le problème des problèmes à l'heure présente est de donner une satisfaction raisonnable à ce sentiment ». (1) Nous croyons pour notre part avoir suffisamment claii ement expliqué ou indiqué la solution de ce grand problème de façon à permettre à des écrivains plus compétents que nous, de le découvrir et de le livrer avec plus de chances de succès aux aspirations légitimes du Monde. L'Esprit d'Intelligence viendra, comme le Christ nous l'a promis, et il nous enseignera toute vérité. Les doctrines de la Haute Science que les anciens appelaient Magie, n'étant plus reconnus de nos jours par la Science officielle ne peuvent lui être présentées que sous forme de paradoxes, mot qui signifie les choses au-dessus de la raison. Paracelse dont le nom est synonyme d'élévation de pensée en quelque sorte paradoxale, désignait ces choses par le terme archidoxes, c'est-à-dire ce qui est ultra- raisonnable ou plus que raisonnable. (2) Dieu est le grand archidoxe de l'Univers. La Religion est archidoxale quand elle parait paradoxale. La liberté est le Paradoxe ou l'Archidoxe de l'Humanité divine. La raison absolue, la connaissance absolue, l'amour absolu, sont autant d'archidoxes du génie humain. L'imagi-

(1)

Je me borne à traduire ce qu'E. L. présentait comme citation de Tyndall. Je ne cite pas l'original. Note du traducteur anglais.

(2) Ceci n'est certainement pas ce qu'E. L. entendait : doxa est une doctrine ou opinion philosophique, archi un préfixe qui signifie excellence, priorité ou supériorité, et on entend par Archidoxes des doctrines très élevées, soit fondamentales ou ultra-excellentes. Note du traducteur anglais.

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nation est archidoxale dans la création et la réalisation de ses paradoxes. La volonté se rue sur l'archidoxe, ne s'arrête pas devant le paradoxe. La Raison absolue est, comme la divinité, l'archidoxe suprême de l'entendement, ce qui, lorsqu'il s'agit de l'esprit est l'absolu en Raison non-conditionnée ; l'absolu pour le coeur est la perfection infinie. De plus, le Beau étant le reflet du vrai, la Beauté infinie ne peut exister que dans la personnification idéale de la vérité et de l'amour. Cette personnification réalisée dans l'homme est le Christianisme ; réalisée dans la Société en un tout, ce sera la catholicité. Celui qui a dit : « Je crois parce que c'est absurde » nous donna, sous une forme paradoxale, la formule de l'Archidoxe, et, par le fait, soit au-dessus ou au-dessous de la Raison, on ne peut rencontrer que l'absurde. Seulement, l'absurdité qui gît au-dessous, est sottise ou folie, tandis que ce qui flotte au-dessus est enthousiasme ou abnégation. Audessous de la raison des multitudes, il y a le matérialisme ; au-dessus de la Raison des savants, il y a Dieu. Credo quia absurdum. Complétons maintenant nos paradoxes magiques par ce dernier que nous appellerons l'Evangile de la Science. Evangile de la Science ! Quelle absurdité ! Comme si la Science pouvait avoir un Evangile, une Bible, un Koran, un Zendaves ta ou Vedas ! Tous ces livres sacrés relèvent exclusivement de la religion et des Prêtres de ces diverses formes de culte ; la Science ne s'en occupe que pour s'assurer de leur antiquité, de leur authenticité, et de leur influence sur l'histoire des nations. Il n'y a pas d'autre Evangile vrai que celui de JésusChrist ; il est vrai, cependant, qu'il existe des Evangiles apocryphes. Ce serait un anachronisme d'écrire à l'époque actuelle un Evangile apocryphe ; et ce serait folie et impiété 161

de chercher à donner tout autre Evangile dogmatique autre que celui de Jésus-Christ,

ce qui était petit sera grand, et ce qui était malade ira mieux. (1)

Nous employons donc le terme Evangile comme expression paradoxale, s'accordant avec le titre du présent ouvrage qui est « Paradoxes Magiques ».

Telle est notre Foi et notre Espérance. Amen et qu'il en soit ainsi !

Le mot Evangile signie « bonne nouvelle », et ce serait en vérité de bonnes nouvelles pour le monde s'il lui était donné d'apprendre que la science et la religion se sont définitivement harmonisées. Mais toute chose vient en son temps, et le monde n'est pas sauvé parce qu'un livre excentrique a été écrit. Les sciences occultes sont nécessairement excentriques, car, dès qu'elles cessent d'être excentriques, elles cessent d'être occultes. Une semence a été enfouie dans le sol ; nul ne la voit, sauf celui qui l'a semée, et quand la terre l'a recouverte, personne ne la voit plus. Des gens passent près de l'endroit où elle est cachée, ils marchent même dessus et, pendant longtemps, elle fermente et germe en silence. Puis un tout petit bourgeon perce le sol ; il se divise en deux feuilles, et, entre ces deux feuilles, apparait un bouton. Cela reste ainsi assez longtemps sans que personne y prenne garde. Un jour on s'aperçoit que le scion est devenu un arbrisseau et, plus tard encore, celui-ci se développera et lentement deviendra un arbre. Or, souvent celui qui l'aura semé sera depuis longtemps rentré au sein de la terre. Il ne cueillera jamais les fruits de son arbre ni ne s'asseoira à son ombre. Son corps engraisse la terre et pourra faire germer d'autres arbres ; sa pensée se développe dans les cieux et fera s'épanouir d'autres pensées. Car rien ne meurt ; tout

se transforme ; ce qui n'est plus sera de nouveau ; mais

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(1) Pour plus de clarté : nous sommes maintenant dans la seconde moitié de la 4' ronde et notre 5' race (dernière sous-race de la 4') a découvert un 4' état de matière, et une 4' dimension de l'espace. La 5' race a à découvrir, avant de faire place à la 6', le 5e état et la 5e dimension, de même que les 6' et 7e races auront à trouver les 6' et 7' dimensions de l'espace et les 6' et 7' états de la Matière, de leur Planète. Car les hommes des 5', 6' et 7' rondes (ou circuits astraux) connaitront les états et dimensions de toutes choses dans leur système solaire. Que nos sciences exactes, si fières de leurs progrès et découvertes, se souviennent que les plus grandes hypothèses - j'entends celles qui sont devenues des faits et des vérités indéniables - ont toutes été devinées et ont été le résultat d'inspirations spontanées (ou intuition) mais jamais celui d'induction scientifique. Cela peut à peine être nié, puisque toute l'histoire des découvertes scientifiques en fait foi - sauf à une ou deux exceptions près Donc, si Copernic, Galilée, Kepler, Newton, Leibnitz, Crookes (même ce dernier comme cela peut se prouver) ont tous deviné leurs grandes généralisations au lieu d'y arriver par un travail aussi long que pénible. Vous avez là une série d'actes vraiment miraculeux. La colossale généralisation des anciens, unie au petit nombre de leurs dates réelles, généralisations qui sont parvenues jusqu'à nous comme axiomes indiscutables, sont autant de témoins certifiant le peu de créance dont sont dignes nos sens physiques et nos modes d'induction. La Loi physique d'Archimède n'a pas été établie petit à petit ; elle se fit jour soudainement, si soudainement en vérité que le philosophe qui, à ce moment-là, prenait son bain, en sortit et s'élança à travers les rues de Syracuse en criant à tue-tête comme un fou « Eureka, eureka 1 ». Quand sir H. Davy découvrit tout d'un coup le sodium en décomposant de la potasse humide et de la soude au moyen de plusieurs batteries voltaïques, on dit qu'il s'est livré aux plus extravagantes démonstrations de joie, sautant par la chambre à cloche-pied et faisant des grimaces à tous ceux qui entraient. Newton ne découvrit pas la loi de la gravitation, c'est cette loi qui découvrit Newton, en faisant tomber une carte de visite sur son nez, si j'ose dire. D'où viennent donc ces inspirations soudaines, ces déchirures spontanées qui se produisent dans le voile de la matière fruste ?